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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 10: comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore

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LETTRE CXLIII.

A M. MURRAY.

4 décembre 1813.

«J'ai lu en entier vos Contes Persans 74 et pris la liberté de faire quelques remarques sur les pages blanches. Il y a des passages magnifiques et une histoire très-intéressante; je ne saurais vous en donner une meilleure preuve que l'heure qu'il est actuellement, deux heures du matin, heure jusqu'à laquelle cette lecture m'a tenu éveillé sans le moindre bâillement. La péripétie manque de vérité locale; je ne crois pas qu'on connaisse de suicide musulman, du moins par suite d'amour. Mais cela est de peu d'importance. Ce poème doit avoir été écrit par quelqu'un qui avait été sur les lieux: je lui souhaite du succès, et il en mérite. Voudrez-vous présenter mes excuses à l'auteur pour la manière libre dont j'en ai usé avec son manuscrit? Cela ne serait pas arrivé s'il m'avait moins intéressé; vous savez que j'ai toujours pris en bonne part des observations de cette nature, j'espère qu'il les voudra bien prendre de même. Il est difficile de dire ce qui réussira, plus difficile encore de dire ce qui ne réussira pas. Je suis maintenant moi-même dans cette incertitude pour notre propre compte, et ce n'est pas une petite preuve du talent de l'auteur que d'avoir su charmer et fixer mon esprit dans un tel moment, en traitant des sujets analogues au mien, et dont la scène est la même. Qu'il produise le même effet sur tous ses lecteurs est un souhait bien sincère, et à peine l'objet d'un doute pour votre bien affectionné,»

BYRON.

Note 74: (retour) Contes en vers par M. Galley Knight, dont M. Murray lui avait envoyé le manuscrit, sans cependant lui faire connaître le nom de l'auteur.

Pendant l'impression, il fit à la Fiancée d'Abydos des additions qui s'élevèrent à plus de deux cents vers; et, suivant son habitude, parmi les morceaux ainsi ajoutés, se trouvèrent les plus heureux et les plus brillans de tout le poème. Les vers du début

Connaissez-vous le pays, etc.

dont on suppose qu'une chanson de Gœthe 75 lui donna l'idée, font partie de ces additions, aussi bien que les beaux vers

Qui n'a pas éprouvé combien les mots sont impuissans, etc.

Note 75: (retour) Kennst du das Land wo die citronen blühn, etc.

Il est curieux et instructif à la fois de suivre la marche de ses corrections pour l'un des vers les plus admirés de ce poème. Il avait d'abord écrit:

Mind on her lip and music in her face.

Il mit ensuite:

The mind of music breathing in her face.

Mais cela ne le satisfaisant pas encore, il changea de nouveau; et voici le vers tel qu'il est resté:

The mind, the music breathing from her face.

Mais le plus long et le plus brillant des passages que son imagination lui inspira, tandis qu'il revoyait son premier travail, c'est ce torrent de sentimens éloquens qui suit la strophe,

Oh, ma Zuleika! viens partager mon bateau et y amener le bonheur, etc.

morceau de poésie qui, pour l'énergie et la tendresse des pensées, l'harmonie de la versification et le choix des expressions, n'a que peu de pièces auxquelles on le puisse comparer, chez tous les poètes anciens et modernes. La totalité de ce beau passage fut envoyée par fragmens au compositeur; les corrections suivant les corrections, et la pensée nouvelle venant à chaque instant ajouter de la force à la pensée. Voici un autre exemple des corrections successives auxquelles il a dû quelques-uns de ses plus admirables passages. Chacun de nos lecteurs se rappelle sans doute ces quatre beaux vers:

Or, since that hope denied in worlds of strife,

Be thou the rainbow to the storms of life!

The evening beam that smiles the clouds away,

And tints to-morrow with prophetic ray!

(Ou, si cette espérance nous est refusée dans ce monde orageux, sois l'arc-en-ciel des tempêtes de la vie! le rayon du soleil couchant qui dissipe les nuages, et annonce un beau lendemain!)

Dans la copie envoyée d'abord à l'éditeur, le dernier vers était ainsi écrit:

                                (an airy  )
       And tints to-morrow with (         ) ray.
                                (a fancied)

La note suivante y était jointe:
Monsieur Murray
,

«Choisissez des deux épithètes, fancied ou airy, celle qui vous paraîtra convenir le mieux; si aucune ne peut aller, dites-le moi, et j'en rêverai quelqu'autre.»

Le poète, il faut l'avouer, rêva heureusement; prophetic est de tous les mots celui qui convient le mieux au sujet 76.

Note 76: (retour) On verra toutefois, dans une lettre suivante à M. Murray, que Byron lui-même ne sentit pas d'abord l'heureuse propriété de cette épithète; il est donc probable que le mérite de ce choix appartient a M. Gifford.(Note de Moore.)

Je ne choisirai plus parmi les additions à ce poème qu'un exemple qui prouve que le soin avec lequel il revoyait ses poésies égalait la facilité avec laquelle il les composait d'abord. Les six premiers vers du long morceau que je viens de citer ayant été envoyés trop tard à l'éditeur, furent ajoutés par un erratum à la fin du volume; ils commençaient d'abord ainsi:

Soft as the Mecca-Muezzin's strains invite

Him who hath journey'd fars to join the rite.

Quelques heures après, il les renvoya corrigés ainsi,

Blest as the Muezzin's strain from Mecca's dome,

Which welcomes faith to view her Prophet's tomb.

avec le billet suivant à M. Murray.

3 décembre 1813.

«Voyez dans l'Encyclopédie, article la Mecque, si c'est là ou à Médine que le Prophète est enterré; si c'est à Médine, rétablissez ainsi les deux premiers vers de ma variante:

Blest as the call which from Medina's dome

Invites devotion to her Prophet's tomb, etc.

Si, au contraire, c'est à la Mecque, mettez les deux vers que je viens de vous indiquer.--La Fiancée d'Abydos, chant II, page...

«Tout à vous, etc.

B.

«Vous trouverez cela en cherchant la Mecque, Médine ou Mahomet. Je n'ai point de livres que je puisse consulter ici.»

Ce billet fut bientôt après suivi d'un autre:

«Avez-vous vérifié? Est-ce Médine ou la Mecque qui renferme le Saint-Sépulcre? N'allez pas me faire blasphêmer par votre négligence. Je n'ai pas, sous la main, de livres que je puisse consulter; sans quoi je vous aurais évité cette peine. Je rougis, en bon Musulman; de ne plus me rappeler cela avec précision.

«Tout à vous, etc.»

B.

En dépit de toutes ces altérations successives, voici ces deux vers tels qu'ils sont demeurés:

Blest as the Muezzin's strain from Mecca's wall

To pilgrims pune and prostrate at his call.

Outre le soin méticuleux qu'il apporta lui-même à la correction de ce nouveau poème, il paraît, d'après la lettre suivante, qu'il invoque, à ce sujet, le goût exercé de M. Gifford.


LETTRE CXLIV.

À M. GIFFORD.

12 novembre 1813.

Mon Cher Monsieur,

«J'espère que vous voudrez bien remarquer, toutes les fois que j'ai quelque chose à vous demander, que c'est tout l'opposé d'une certaine dédicace, et que je ne m'adresse pas à l'éditeur du Quarterly-Review, mais à M. Gifford. Vous sentirez bien cette distinction, et je n'ai pas besoin d'y insister davantage.

»Vous avez eu la bonté de lire en manuscrit quelque chose de moi, un conte turc; et je serais charmé que vous voulussiez bien me faire la même faveur, maintenant que le voilà en épreuves. Je ne puis pas dire que je l'aie écrit pour m'amuser, je n'y ai pas été non plus forcé par la faim et les instantes prières de mes amis; mais j'étais dans cette position d'esprit où les circonstances nous placent souvent, nous autres jeunes gens, position d'esprit qui demandait que je m'occupasse à quoi que ce fût, excepté aux réalités; c'est sous cette inspiration peu brillante que ce poème a été composé. Quand il fut fini, et que j'eus au moins obtenu ce résultat de m'être arraché à moi-même, je crus que vous auriez la bonté de permettre que M. Murray vous l'adressât. Il l'a fait; et le but de cette lettre est de vous demander pardon de la liberté que je prends de vous le soumettre une seconde fois.

»Je vous prie de ne me point répondre. Sincèrement, je sais que votre tems est pris; c'est assez, plus qu'assez si vous avez la bonté de lire; vous n'êtes pas un homme auquel on puisse imposer la fatigue de répondre.

»Un mot à M. Murray suffira: «Jetez cela au feu!» ou: «Lancez-le à cent colporteurs, pour aller réussir ou tomber loin d'ici.» Il ne mérite que la première destinée, comme l'ouvrage d'une semaine, écrivaillé stans pede in uno, le seul pied, pour le dire en passant, sur lequel je puisse me tenir. Je vous promets de ne plus vous importuner pour moins de quarante chants, avec un voyage entre chacun d'eux.

»Croyez-moi toujours,

»Votre obligé et affectionné serviteur,»

BYRON.

Les lettres et les billets suivans, adressés à cette époque à M. Murray, ne sauraient manquer d'être agréables à ceux pour qui l'histoire des travaux de l'homme de génie n'est pas sans intérêt.


LETTRE CXLV.

À M. MURRAY.

12 novembre 1813.

«Deux de mes amis, MM. Rogers et Sharpe, m'ont conseillé, pour diverses raisons, de ne hasarder à présent aucune publication isolée. Comme ils n'ont point vu le poème dont il s'agit maintenant entre nous, leur avis, à cet égard, n'a pu être dicté par leur opinion de ses défauts, ou de son mérite, s'il en a aucun. Vous m'avez dit que les derniers exemplaires du Giaour étaient partis, ou que du moins il ne vous en restait plus entre les mains. S'il entre dans vos idées d'en donner une nouvelle édition, avec les dernières additions qui n'ont encore paru que dans celle en deux volumes, vous pourriez y ajouter la Fiancée d'Abydos, qui ferait ainsi sans bruit son entrée dans le monde. Si elle y était favorablement accueillie, nous pourrions en tirer quelques exemplaires séparément pour ceux qui ont déjà acheté le Giaour; dans le cas contraire, nous la ferions disparaître de toutes les éditions que nous donnerions dans la suite. Qu'en dites-vous? Pour moi, je suis très-mauvais juge dans ces sortes d'affaires; et malgré la partialité que l'on a toujours pour ses propres ouvrages, j'aimerais mieux suivre à cet égard l'avis de qui que ce soit plutôt que le mien.

»P. S. Renvoyez-moi, je vous prie, ce soir, toutes les épreuves que j'ai rendues; j'ai quelques changemens en vue que je serais bien aise de faire immédiatement. J'espère qu'elles seront sur des feuilles séparées, et non, comme celles du Giaour le sont quelquefois, sur une seule feuille d'un mille de long, semblable à des complaintes, et que je ne saurais lire aisément.»


À M. MURRAY.

13 novembre 1813.

«Voulez-vous faire passer à M. Gifford l'épreuve avec la lettre ci-incluse? Il y a un changement que l'on pourrait faire dans le discours de Zuleika, au chant II, le seul qu'elle y prononce. Au lieu de:

Et maudire, si je pouvais maudire, le jour, etc.

On mettrait:

Et pleurer, puisque je n'oserais maudire, le jour qui vit ma naissance solitaire, etc., etc.

»Tout à vous,»

B.

«Dans les derniers vers envoyés manuscrits, au lieu de living heart (cœur brûlant), mettez quivering heart (cœur tremblant). C'est le neuvième vers du passage manuscrit.

»Toujours tout à vous,»

B.


À M. MURRAY.

«Variantes d'un vers du second chant. Au lieu de

And tints to-morrow with a fancied ray,

Imprimez:

And tints to-morrow with prophetic ray.


The evening beam that smiles the clouds away

And tints to-morrow with prophetic ray 77.

Note 77: (retour) Pour la traduction, voyez plus haut, page 264.

Ou bien encore:

           (gilds)
       And (     ) the hope of morning with its ray;
           (tints)

Ou enfin:

And gilds to-morrow's hope with heavenly ray.

«Je voudrais que vous eussiez la bonté de demander à M. Gifford laquelle de ces versions est la meilleure, ou plutôt la moins mauvaise.

«Je suis toujours, etc.

«Vous pouvez lui communiquer ma demande à ce sujet, en lui envoyant la seconde 78, après que j'aurai vu cette même seconde

Note 78: (retour) Terme technique; la seconde épreuve: la seconde feuille d'essai soumise à l'inspection de l'auteur.

A M. MURRAY.

13 novembre 1813.

«Certainement. Croyez-vous qu'il n'y ait que les Galiléens qui connaissent Adam, Eve, Caïn 79 et Noé? A coup sûr j'aurais pu mettre aussi Salomon, Abraham, David et même Moïse. Vous cesserez d'en être étonné quand vous saurez que Zuleika est le nom poétique persan de la femme de Putiphar, et que dans leur littérature se trouve un long poème sur Joseph et sur elle. Si vous avez besoin d'autorités, ouvrez Jones, d'Herbelot, Vathek, ou les notes aux Mille et Une Nuits, vous pourrez même tirer de tout ceci la substance d'une note pour notre propre ouvrage, si vous jugez qu'il en soit besoin.

Note 79: (retour) M. Murray avait exprimé quelque doute sur la propriété de mettre le nom de Caïn dans la bouche d'un Musulman.(Note de Moore.)

«Dans la dédicace, au lieu de le respect le plus affectueux, mettez avec tous les sentimens d'estime et de respect


A M. MURRAY.

14 novembre 1813.

«Je vous envoie une note pour les ignorans, mais, en vérité, je m'étonne de vous trouver du nombre. Je ne me soucie que fort peu du mérite poétique de mes compositions; mais, quant à la fidélité des mœurs et la correction du costume, dont les funérailles sont une bonne preuve, je me défendrai comme un diable.

«Tout à vous, etc.»

B.


14 novembre 1813.

«Ordonnez qu'on remette au compositeur, non la première qui est entre les mains de M. Gifford, mais la seconde, que je viens de vous renvoyer, parce qu'elle renferme plusieurs nouvelles corrections et deux vers de plus.»

«Toujours tout à vous, etc.»


LETTRE CXLVI.

A M. MURRAY.

15 novembre 1814.

«M. Hodgson a relu et ponctué cette seconde, sur laquelle il faudra imprimer. Il m'a donné aussi quelques avis, que j'ai adoptés pour la plupart, parce que, depuis dix ans, il s'est montré pour moi un ami très-sincère et jamais flatteur. Il aime mieux la Fiancée que le Giaour; en cela vous allez croire qu'il cherche à me flatter, mais il ajoute, et je suis de son opinion, qu'il doute qu'elle ait jamais un succès aussi populaire. En opposition avec tous les autres, il veut que je la publie séparément; nous pourrons facilement nous décider là-dessus. J'avoue que j'aimerais mieux la double forme. Il prétend que la versification en est supérieure à celle de toutes mes autres compositions; il serait étrange que cela fût vrai, car elle m'a coûté moins de tems qu'aucune autre, bien que j'y aie travaillé plus d'heures de suite chaque fois.

«P. S. Occupez-vous de la ponctuation; moi, je ne le puis faire: je ne connais pas une virgule, du moins je ne sais où en placer une.

«Ce coquin de compositeur a sauté deux vers du commencement et peut-être davantage, qui étaient dans la copie. Recommandez-lui, je vous prie, d'y faire plus d'attention. J'ai rétabli les deux vers, mais je jurerais bien qu'ils étaient sur le manuscrit.»


LETTRE CXLVII.

A M. MURRAY.

17 novembre 1813.

«Pour bien nous entendre sur un sujet qui, comme le terrible compte, quand les hommes ne riront plus, rend la conversation peu amusante, je crois qu'il vaut autant vous en écrire maintenant deux mots. Avant que je quittasse Londres pour le Lancashire, vous avez dit que vous étiez prêt à me donner 500 guinées du Giaour, ma réponse a été, et je ne prétends pas m'en dédire, que nous en reparlerions à Noël. Le nouveau poème peut réussir, ou ne réussir pas; les probabilités dans les circonstances actuelles sont qu'il paiera au moins les avances, mais cela même n'est pas encore prouvé, et jusqu'à ce que cela soit décidé d'une manière ou d'une autre, nous n'en dirons pas un mot. En conséquence je différerai tous arrangemens pour la Fiancée et le Giaour, jusqu'à Pâques 1814, et alors vous me ferez vous-même les propositions que vous jugerez convenables. Je dois dès à présent vous prévenir que je ne regarde pas la Fiancée, comme valant la moitié autant que le Giaour: lors donc que l'époque indiquée sera venue, vous verrez, d'après le succès qu'elle aura eu, ce qu'il vous plaira d'ajouter à ou de retrancher de la somme offerte pour le Giaour, dont le succès est maintenant assuré.

«Je regarde les tableaux de Phillips comme miens, et l'un des deux meilleurs, non pas l'Arnot, est bien à votre service, si vous voulez l'accepter en cadeau.

»P. S. Portez à mon compte les frais de la gravure du portrait, puisque les planches ont été brisées par mon ordre, et ayez la bonté de détruire immédiatement les exemplaires tirés de ce malheureux ouvrage.

»Je veux vous offrir quelque compensation de la peine que je vous donne par mes éternelles corrections; je vous envoie Cobbett pour vous confirmer dans votre orthodoxie.

»Encore un changement; au lieu de un, mettez le: le cœur dont la douceur, etc.

»Rappelez-vous que la dédicace doit porter: Au très-honorable lord Holland, sans les prénoms Henry, etc.»


À M. MURRAY.

20 novembre 1813.

«Nouvelle besogne pour les libraires de pater noster Row; je fais tous mes efforts pour enfoncer le Giaour, tâche qui ne serait pas difficile pour tout autre que son auteur.»


À M. MURRAY.

22 novembre 1813.

«Je n'ai pas le tems d'examiner de bien près; je crois et j'espère que tout est imprimé correctement. Je me soucie moins que vous ne pourriez penser du succès de mes ouvrages; mais la moindre faute de typographie me tue; je ne saurais voir sans colère les mots mal employés par les compositeurs. Relisez attentivement, je vous prie, et voyez si quelque bagatelle ne m'aurait point échappé.

»P. S. Envoyez les premiers exemplaires, de la part de l'auteur, à M. Frère, M. Canning, M. Hébert, M. Gifford, lord Holland, lord Melbourne (Whitehall), lady Caroline Lamb (Brocket), M. Hodgson (Cambridge), M. Merivale et M. Ward.»


À M. MURRAY.

23 novembre 1813.

«Vous me demandiez quelques réflexions, je vous envoie par Sélim (voyez son discours, chant II, page...), dix-huit vers d'une tournure réfléchie, pour ne pas dire éthique. Encore une épreuve, décidément la dernière, si elle est passable, ou, dans tous les cas, la pénultième. Je n'ai pas besoin de dire que je suis fier de l'approbation de M. Canning, si effectivement il a bien voulu l'exprimer 80. Quant à l'impression, imprimez comme vous l'entendrez, à la suite du Giaour, ou séparément, si vous l'aimez mieux; seulement conservez-moi quelques exemplaires en feuilles.

Note 80: (retour) Voici le billet de M. Canning:

«J'ai reçu les livres, et parmi, la Fiancée d'Abydos; elle est très-belle, en vérité, très-belle. Lord Byron a eu la bonté de m'en promettre un exemplaire, le jour où nous avons dîné ensemble chez M. Ward. Je ne rappelle pas cette promesse pour épargner le prix de l'achat, mais parce que ce cadeau, de sa part, me flatterait infiniment.»(Note de Moore.)

»Me pardonnerez-vous de vous arrêter encore une fois? je le fais dans votre intérêt. Il faut écrire:

He makes a solitude, and calls it peace.

»Makes (fait) se rapproche plus du passage de Tacite dont l'idée est imitée, et en outre, c'est une expression plus forte que leaves:

Mark where his carnage and his conquest cease;

He makes a solitude, and calls it peace.

(Voyez, quand son carnage et ses conquêtes cessent, il fait une solitude et appelle cela... paix.)


LETTRE CXLVIII.

À M. MURRAY.

27 novembre 1813.

«Si vous voulez relire attentivement cette épreuve en la confrontant avec la dernière que j'ai renvoyée avec des corrections, vous la trouverez probablement bonne; vous le pouvez faire au moins aussi bien que moi, et je n'en ai pas le tems en ce moment. Je voudrais que la nouvelle édition du Giaour fût jointe aux exemplaires que j'ai demandés hier pour quelques amis. Si cela n'est pas possible, vous enverrez les Giaours après séparément.

»Le Morning-Post dit que je suis l'auteur de Nourjahad! Ce faux bruit vient de la complaisance que j'ai eue de leur prêter mes dessins pour leurs costumes; mais cela ne vaut pas la peine d'être démenti dans les formes. D'ailleurs, cette supposition attirera au pauvre mélodrame de furieuses et divertissantes critiques. L'Orientalisme, qui s'y trouve, dit-on, dans toute sa splendeur, de quelque auteur qu'il soit, équivaut à un avertissement pour vos poésies orientales, en mettant le Levant en faveur auprès du public.

»P. S. J'espère que si quelqu'un venait à m'en accuser devant vous, vous voudrez bien dire la vérité, c'est-à-dire que je ne suis pas le mélodramaturge.»


LETTRE CXLIX.

À M. MURRAY.

28 novembre 1813.

«Si ce n'est pas trop abuser de votre obligeance, envoyez, au reçu de la présente, en mon nom, à lady Holland, un nouvel exemplaire du Journal 81; c'est pour le comte Grey, et je vous laisserai mon propre exemplaire. Envoyez aussi, dès que vous le pourrez, un exemplaire de la Fiancée à M. Sharpe, à lady Holland et à lady Caroline Lamb.

Note 81: (retour) Journal de Penrose, livre que M. Murray publiait alors.

»P. S. M. Ward et moi persistons toujours dans notre projet; mais je ne vous troublerai d'aucun arrangement au sujet du Giaour et de la Fiancée 82, jusqu'à notre retour, ou, dans tous les cas, avant le mois de mai 1814. D'ici, vous aurez le tems de voir si votre offre vous est préjudiciable ou non; dans le premier cas, vous pourrez réduire la somme proportionnellement; dans le second, je n'accepterai jamais une offre plus élevée que celle que vous avez faite, qui est déjà trop belle et certainement plus que raisonnable.

Note 82: (retour) M. Murray lui avait offert 1,000 guinées des deux poèmes.(Note de Moore.)

»J'ai reçu, ceci entre nous, de sir James Mackintosh un billet très-flatteur au sujet de la Fiancée, avec invitation d'aller passer la soirée chez lui; mais il est trop tard pour accepter.»


À M. MURRAY.

Dimanche... lundi matin, 3 heures,
jurant et en robe de chambre.


«Je vous envoie à tems deux vers que j'ai omis par ma faute, pour en faire une page erratum, puisqu'il est trop tard pour les insérer dans le texte. Le passage entier est une imitation de la Médée d'Ovide, et, sans ces deux vers, il est absolument incomplet. Je vous conjure, que cela soit fait directement: cela ajoutera une page, matériellement parlant, à votre livre, et ne saurait faire de mal, puisque nous sommes encore à tems pour le public. Ô vous, mon cher oracle! répondez-moi affirmativement. Vous pouvez envoyer un carton à ceux qui ont déjà leur exemplaire, surtout ne manquez pas d'en joindre un à ceux de tous les critiques.

»P. S. J'ai quitté, pour faire cette correction, mon lit, ou du reste je ne pouvais dormir; je vais essayer si l'Allemagne opérera sur moi comme un somnifère, mais j'en doute.»


À M. MURRAY.

29 novembre 1813.

«Vous avez, dites-vous, relu avec soin! Comment donc avez-vous pu laisser subsister une faute aussi stupide? Ce n'est pas courage, c'est carnage qu'il faut. Corrigez cela, si vous ne voulez me forcer à me couper la gorge.

»J'apprends avec beaucoup de peine la prise de Dresde.»


LETTRE CL.

À M. MURRAY.

Lundi, 29 novembre 1813.

«Vous en ferez comme il vous plaira; mais que je parte ou que je reste, je ne vous dirai pas un mot à ce sujet jusqu'au mois de mai, et encore ne vous en parlerai-je à cette époque que si cela ne doit pas vous gêner. J'ai bien des choses, particulièrement des papiers, dont je désire vous laisser le soin. Il n'est pas nécessaire d'envoyer les vases maintenant, M. Ward étant parti pour l'Écosse. Vous avez raison; quant à la page d'errata, il vaut mieux la placer au commencement. Les complimens de M. Perry sont un peu prématurés; cela peut nous faire tort, en excitant une attente dans le public que nous ne justifierons peut-être pas; nous devons être au-dessus de ces moyens-là. Je vois le second article dans le Journal, ce qui me fait soupçonner que vous pourriez être auteur de tous les deux.

»N'aurait-il pas autant valu dire dans l'avertissement en deux chants? Autrement ils vont penser que ce sont encore des fragmens, espèce de composition qui ne peut guère aller qu'une fois; une ruine fait très-bien dans un paysage, mais on ne s'aviserait pas d'en construire une ville. Telle quelle, la Fiancée est jusqu'ici mon seul ouvrage d'une certaine étendue, excepté la satire que je voudrais à tous les diables; le Giaour est une série de fragmens; Childe n'est pas terminé et ne le sera probablement jamais. Je vous renvoie le billet de M. Hay, et je vous remercie, ainsi que lui.

»Il a couru quelques épigrammes sur M. Ward; j'en ai vu une aujourd'hui. Je n'ai pas vu la première; je l'ai seulement entendue. Quant à la seconde, celle que j'ai vue, elle m'a paru mauvaise. J'espère seulement que M. Ward voudra bien m'y croire tout-à-fait étranger. J'ai trop d'estime pour lui, pour laisser nos différences d'opinions politiques dégénérer en animosité, ou applaudir à quoi que ce soit, dirigé contre lui ou contre les siens. Il est inutile que vous preniez la peine de me répondre, je vous verrai dans le courant de la soirée.

»P. S. Je me suis étendu sur cette épigramme, parce que, d'après ma position dans le camp ennemi et la qualité d'ingénieur aux avant-postes dont j'y jouis, je pourrais être accusé d'avoir lancé ces grenades; mais avec un ennemi aussi honorable, je ne connais que la guerre ouverte et non ces escarmouches de partisans. Encore une fois, je n'y ai pris et n'y prendrai jamais aucune part; je n'en connais pas même l'auteur.»


À M. MURRAY.

30 novembre 1813.

«Imprimez ceci à la suite de tout ce qui a rapport à la Fiancée d'Abydos.

B.

»Omission. Chant II, page... après le vers 449,

So that those arms cling closer round my neck.

lisez:

Then if my lip once murmur, it must be

No sigh for safety, but a prayer for thee.

(En sorte que, si mes lèvres murmurent, ce ne sera point un soupir pour mon salut, mais une prière pour toi.)


À M. MURRAY.

Mardi soir, 30 novembre 1813.

«Au nom de l'exactitude, surtout dans une page d'errata, il faut faire la correction que je viens de vous envoyer il n'y a pas une demi-heure, sans délai ni retard, et que je voie l'épreuve demain de bonne heure. Je me suis rappelé que murmurer est un verbe neutre (en anglais); j'ai été obligé de changer mon verbe et d'avoir recours au substantif murmure;

The deepest murmur of this lip shall be

No sigh for safety, but a prayer for thee!

(Le dernier murmure de ces lèvres sera, non un soupir pour

mon salut, mais une prière pour toi!)

«N'envoyez pas les exemplaires pour la province, avant que tout ne soit comme il faut.»


À M. MURRAY.

2 décembre 1813.

«Dès que vous le pourrez, faites insérer ce que je vous envoie ci-joint ou dans le texte ou dans les errata. J'espère qu'il en est encore tems, au moins pour quelques exemplaires. Ce changement se rapporte à la même partie, l'avant-dernière page avant la dernière correction envoyée.

»P. S. Je crains, d'après tout ce que j'entends dire, que les gens ne se soient fait d'avance une trop haute idée de cette nouvelle publication: ce serait un malheur; mais il est trop tard pour y remédier. C'est la faute de M. Perry et de mes sages amis; n'allez pas, vous, élever vos espérances de succès à cette hauteur, de crainte d'accidens. Quant à moi, je vous assure que j'ai assez de philosophie pour soutenir comme il faut cette épreuve. J'ai fait tout ce qu'il a été en mon pouvoir pour empêcher, dans tous les cas, que vous n'y perdissiez, ce qui ne doit pas laisser que d'être une consolation pour tous deux.»


À M. MURRAY.

3 décembre 1813.

«Je vous envoie une égratignure ou deux qui guérissent. Le Christian-Observer est très-peu poli, mais certainement bien écrit, et fort tourmenté du néant des livres et des auteurs. Je suppose que vous ne serez pas charmé que ce volume soit plus irréprochable, s'il doit partager le sort ordinaire des livres de morale.

»Avant d'imprimer, faites-moi voir une épreuve des six vers à intercaller.»


À M. MURRAY.

Lundi soir, 6 décembre 1813.

«Tout est fort bien, excepté que les vers ne sont pas convenablement numérotés, et puis une faute diabolique, page 67, qu'il faut corriger à la plume, s'il n'y a plus moyen de le faire autrement, c'est l'omission de la négative pas devant désagréable, dans la note sur le Rosaire d'ambre. C'est horrible, cela vaut presque ma sottise dans le mauvais choix du titre (la Fiancée, etc.). Ne laissez pas un exemplaire sortir de votre magasin sans avoir rétabli la négation; c'est une bêtise et un contresens, tel que cela est maintenant. Je voudrais que le compositeur eût sur le dos un vampire à cheval.

»P. S. La page 20 porte toujours a au lieu de ont. Jamais poète fut-il assassiné comme je le suis par vos diables de compositeurs?

»2e P. S. Je crois et j'espère que la négation se trouvait dans la première édition. Il faut trouver un moyen quelconque de la rétablir. J'ai bien assez de mes propres sottises sans répondre encore de celles des autres.»


LETTRE CLI.

À M. MURRAY.

27 décembre 1813.

«Lord Holland a la goutte, et vous serait fort obligé si vous pouviez obtenir, et lui envoyer, aussitôt que possible, le nouvel ouvrage de Mme d'Arblay ou celui de miss Edgeworth. Je sais qu'ils n'ont pas encore paru, mais peut-être votre majesté a-t-elle des moyens de se procurer ce que nous autres ne pourrions encore obtenir pour notre argent. Je n'ai pas besoin de vous dire que, quand vous pourrez ou voudrez m'accorder la même faveur, j'en serai très-reconnaissant: je suis malade d'impatience de mettre le nez dans le livre de Mme d'Arblay.

»P. S. Vous me parliez aujourd'hui de l'édition américaine de certain ouvrage de ma jeunesse sans cesse se reproduisant. Puisque je n'y puis plus rien maintenant, j'aurais quelque curiosité de voir cet échantillon de typographie transatlantique. Faitesen donc venir un exemplaire pour vous et pour moi, mais n'en importez pas davantage, parce que je désire sérieusement que la chose soit oubliée autant qu'elle a été pardonnée.

»Si vous écrivez à l'éditeur du Globe, dites-lui que je ne demande pas d'excuses, que je ne veux pas les forcer à se contredire, que je leur demande simplement de cesser une accusation la plus mal fondée qu'il se puisse imaginer. Je n'ai jamais été conséquent en rien, que dans mes principes politiques; et comme ma rédemption ne se peut espérer que de cette seule vertu, c'est un meurtre que de m'enlever cette dernière ancre de salut.»

Nous pourrions encore mettre sous les yeux de nos lecteurs grand nombre de ces promptes missives dans lesquelles il consignait ses pensées encore toutes saignantes, mais nous en avons donné assez pour montrer qu'il était infatigable à se corriger lui-même, courant sans relâche après la perfection, et, comme tous les hommes de génie, entrevoyant toujours quelque chose au-delà de ce qu'il était parvenu à produire.

À cette époque un appel fut fait à sa générosité par une personne dont la mauvaise réputation eût facilement motivé un refus aux yeux de la plupart des hommes. Toutefois, cette circonstance même le lui fit favorablement accueillir par un sentiment de philantropie plus éclairé; car M. Murray lui faisant des observations sur ses intentions généreuses à l'égard d'un homme à qui personne autre ne donnerait un sou: «C'est précisément parce que personne autre ne le lui donnera, que je dois venir à son secours.» La personne dont il s'agit ici était M. Thomas Ashe, auteur d'une certaine brochure intitulée le Livre, qui, par les matières délicates et secrètes qui y étaient discutées, attira plus l'attention du public que ne le méritait l'auteur par le talent et même la méchanceté qu'il y avait mis. Dans un accès de repentir, que nous devons croire sincère, cet homme écrivit à Lord Byron, alléguant sa pauvreté pour excuse du vil emploi qu'il avait fait jusqu'alors de sa plume, et sollicitant l'assistance de sa seigneurie pour le mettre à même d'exister à l'avenir d'une manière plus honorable. C'est à cette demande que Lord Byron fit la réponse suivante, si remarquable par la raison élevée et les sentimens on ne peut plus honorables qu'il y déploie.


LETTRE CLII.

À M. ASHE.

N° 4, Bennet-Street, Saint-James's, 14 décembre 1813.

Monsieur,

«Je vais demain à la campagne pour quelques jours; à mon retour je répondrai plus au long à votre lettre. Quelle que soit votre situation, je ne puis qu'approuver votre résolution d'abjurer et d'abandonner la composition et la publication d'ouvrages tels que ceux dont vous parlez. Croyez-m'en, ils amusent peu de gens, déshonorent l'auteur et le lecteur, et ne profitent à personne. Ce sera un plaisir pour moi, autant que mes moyens bornés me le permettront, de vous aider à vous délivrer d'une pareille servitude. Dans votre réponse, dites-moi de quelle somme vous auriez besoin pour vous retirer des mains de ceux qui vous emploient actuellement, et vous procurer au moins une indépendance temporaire; je serai charmé d'y contribuer en ce que je pourrai. Il faut que je termine ici ma lettre pour le présent. Votre nom ne m'est pas inconnu, et je regrette, dans votre intérêt même, que vous l'ayez jamais, attaché aux ouvrages que vous avez cités. En m'exprimant ainsi je ne fais que répéter vos propres paroles, et je n'ai pas la moindre intention de dire un seul mot qui puisse paraître une insulte à votre malheur. Si donc je vous avais blessé en quoi que ce puisse être, je vous prie de me le pardonner.

»Je suis, etc.»

BYRON.

Ashe indiqua 150 livres sterling comme la somme dont il avait besoin pour sortir d'embarras, et dit qu'il désirait qu'elle lui fût avancée à raison de 10 livres par mois. Quelques jours s'étant écoulés sans qu'il reçût de nouvelles de sa demande, le timide solliciteur la renouvela, se plaignant, à ce qu'il paraît, qu'elle eût été négligée. Là-dessus Lord Byron, avec une bonté dont bien peu de personnes eussent été capables en pareil cas, lui fit la réponse suivante.


LETTRE CLIII.

À M. ASHE.

5 janvier 1814.

Monsieur,

«Quand vous accusez de négligence une personne qui vous est étrangère, vous oubliez qu'il est possible que des affaires ou une absence de Londres aient causé le retard dont vous vous plaignez, comme c'est ici absolument le cas. Arrivons au fait. Je consens à faire ce que je puis pour vous tirer de votre position. J'examinais votre premier plan 83, mais il paraît que votre propre impatience l'a rendu impraticable, au moins quant à présent. Je déposerai entre les mains de M. Murray la somme que vous avez fixée, pour vous être avancée, à raison de 10 livres sterling par mois.

Note 83: (retour) Sa première idée avait été d'aller se fixer à Botany-Bay.

»P. S. J'écris dans un moment où je suis fort pressé, ce qui peut faire paraître ma lettre bien froide et bien courte; mais, je vous le répète, je n'ai pas la plus légère envie de vous offenser.»

Cette promesse faite avec tant d'humanité fut ponctuellement exécutée; voici l'un des reçus d'Ashe que je trouve parmi ses lettres à M. Murray: «J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint un nouveau reçu de 10 livres sterling, que vous m'avez remises, suivant les ordres généreux de Lord Byron 84

Note 84: (retour) Quand ces avances mensuelles se furent élevées à la somme de 70 livres sterling, Ashe écrivit pour demander que les autres 80 livres lui fussent remises d'une seule fois pour lui permettre, disait-il, de profiter d'un passage à la Nouvelle-Galles; qui lui était offert de nouveau. En conséquence, cette somme lui fut remise sur l'ordre de Lord Byron.(Note de Moore.)

Son ami, M. Merivale, l'un des traducteurs des Extraits de l'Anthologie, qu'il regrettait, ainsi que nous l'avons vu, de n'avoir pas emportés avec lui dans ses voyages, publia vers cette époque un poème, et reçut de Lord Byron la lettre de compliment suivante.


LETTRE CLIV.

À M. MERIVALE.

Janvier 1814.

Mon Cher Merivale,

«J'ai lu avec grand plaisir Roncevaux, et j'y aurais trouvé bien peu de choses à reprendre, si j'avais été disposé à critiquer. Il y a une variante de deux vers dans l'un des derniers chants; je crois que Live and protect vaut mieux, parce que Oh who? entraînerait un doute sur le pouvoir ou la volonté de Roland à cet égard. Je conviens qu'il peut y avoir du doute sur la place qu'il convient d'assigner à une partie du poème, et entre quelles actions il faudrait la mettre; mais c'est un point que vous êtes plus que moi en état de décider. Seulement, si vous voulez obtenir tout le succès que vous méritez, n'écoutez jamais vos amis, et, comme je ne suis pas le moins importun, écoutez-moi moins que qui que ce soit.

»J'espère que vous paraîtrez bientôt. Mars, mon cher monsieur, est le mois pour ce commerce, et il ne le faut pas oublier. Vous avez fait là un fort beau poème, et je ne vois que le goût détestable de l'époque qui vous pourrait faire du tort; encore suis-je sûr que vous en triompherez. Votre mètre est admirablement choisi et marié 85» ........................ .........................................................................

Note 85: (retour) Nous n'avons qu'un fragment de cette lettre, le reste est perdu.

Dans les extraits de son journal que nous venons de donner, il y a un passage qui n'a pu manquer d'être remarqué, lorsqu'après avoir parlé de son admiration pour une certaine dame dont il a lui-même laissé le nom en blanc, le noble écrivain ajoute: Une femme serait mon salut. Ses amis étaient convaincus qu'il était tems qu'il cherchât dans le mariage un refuge contre toutes les contrariétés que lui avaient amenées à leur suite une série d'attachemens moins réguliers: ils l'avaient déterminé, depuis un an avant, à tourner sérieusement ses pensées vers ce but, autant toutefois qu'il en était susceptible. C'est surtout, je pense, par ces conseils et par l'intervention de son amie, lady Melbourne, qu'il s'était déterminé à demander la main de miss Milbanke, parente de cette dame. Quoique ses propositions n'eussent pas été acceptées à cette époque, le refus fut accompagné de toutes les assurances possibles d'amitié et d'estime: on exprima même le désir singulier de voir continuer entre eux une correspondance assez étrange entre deux jeunes gens de sexe différent, dont l'amour n'était pas le motif, et cette correspondance continua d'avoir lieu. Nous avons vu quel cas Lord Byron faisait des vertus et des qualités de cette jeune dame, mais il est évident qu'à cette époque il n'était question d'amour ni de l'un ni de l'autre côté 86.

Note 86: (retour) Le lecteur a déjà vu ce que Lord Byron dit lui-même à ce sujet dans son journal: Quelle étrange situation! quelle étrange amitié que la nôtre, sans une étincelle d'amour de l'un ou de l'autre côté, etc.

Dans l'intervalle, de nouvelles liaisons, où le cœur du poète était la dupe volontaire de son imagination et de sa vanité, vinrent détourner son attention. Cependant, et c'est ordinairement la punition de ces sortes de commerces, à peine une de ces aventures était-elle terminée qu'il soupirait après le joug salutaire du mariage, comme la seule chose qui pût en empêcher le retour. Il est vrai d'ajouter que, pendant le tems qui s'écoula entre le refus de miss Milbanke et celui où elle l'accepta, deux ou trois autres jeunes dames de qualité furent successivement l'objet de ses rêves de mariage. Je passai avec lui beaucoup de tems, ce printems et le précédent, dans la société de l'une d'elles dont la famille m'honorait de son amitié, et l'on verra que, dans la suite de sa correspondance, il me représente comme ayant vivement désiré lui voir cultiver les bienveillantes dispositions de cette jeune dame, pour amener au moins quelque chance de mariage.

Il est indubitable que j'aie pu exprimer plus d'une fois de pareilles idées. Partageant complètement son opinion et celle de la plupart de ses amis, que le mariage était son seul salut contre cette foule de liaisons passagères auxquelles il se laissait sans cesse tenter à cette époque, je ne voyais dans aucune des jeunes personnes sur lesquelles il semblait porter des vues plus légitimes, un ensemble plus complet des qualités nécessaires pour le rendre heureux et fidèle, que dans la dame dont il est ici question. À une beauté extrêmement remarquable elle joignait un esprit intelligent et naturel, assez d'études pour perfectionner le goût, beaucoup trop de goût pour faire parade de ses études. Avec un caractère essentiellement patricien et fier comme le sien, mais qui ne décelait son orgueil que par la délicate générosité de ses procédés, il lui fallait une femme d'une ame aussi grande que la sienne, qui passât quelques-uns de ses défauts en considération de ses nobles qualités et de sa gloire, qui sût même sacrifier une partie de son bonheur personnel, plutôt que de violer l'espèce de responsabilité que lui imposerait aux yeux du monde entier l'honneur d'être la femme de Lord Byron. Telle était l'idée que, par une longue expérience, je m'étais faite du caractère de cette jeune dame, et voyant mon noble ami déjà charmé par ses avantages extérieurs, je ne sentis pas moins de plaisir à rendre justice aux qualités encore plus rares qu'elle possédait, qu'à m'efforcer d'élever l'ame de mon ami à la contemplation d'un caractère de femme plus noble que celui des femmes que pour son malheur il avait jusque-là pu étudier.

Voilà jusqu'où j'ai pu être conduit par les idées qu'il m'attribue à ce sujet. Mais en me supposant, comme il le fait dans une de ses lettres, un désir fixe et arrêté de voir conclure cette affaire, il va plus loin que je ne suis jamais allé. Quant à la jeune personne elle-même, objet, sans le savoir, de tous ces projets, et qui n'a jamais vu en lui qu'une connaissance distinguée, elle eût pu consentir à entreprendre la tâche périlleuse, mais cependant possible et glorieuse, d'attacher Byron à la vertu: mais quelque désirable que ce résultat pût me paraître en théorie, j'avoue que ce n'est pas sans trembler que j'aurais vu risquer dans cet essai le bonheur d'une jeune demoiselle que j'avais connue et appréciée dès son enfance.

Je vais maintenant reprendre la suite de son journal, que j'avais interrompu, et que le noble auteur, comme on le va voir, avait aussi discontinué pendant quelques semaines à cette époque.


JOURNAL, 1814.

18 février.

«Il y a plus d'un mois que je n'ai tenu ce journal; la plus grande partie s'en est passée hors de Londres et à Nottingham: somme toute, ce fut un mois bien et agréablement employé, du moins aux trois quarts. À mon retour, je trouve les feuilles publiques en fureur 87 et la ville soulevée contre moi, parce que j'ai signé et publié de nouveau deux stances sur les larmes de la princesse Charlotte, pleurant le discours que le régent adressa à lord Landerla en 1812. Ils y reviennent tous; quelques-unes des injures ne manquent pas de talent; toutes partent du fond du cœur. On parle d'une motion dans notre chambre à ce sujet... soit.

Note 87: (retour) Aussitôt après la publication du Corsaire, auquel avaient été joints les vers en question:

Pleure, fille de royal lignage, etc.

une série d'attaques dirigées, non-seulement contre Lord Byron, mais encore contre ceux qui s'étaient depuis peu déclarés ses amis, commença dans le Courrier et le Morning-Post, et se continua pendant tous les mois de février et de mars. Ces écrivains reprochaient surtout au noble auteur ce qu'eux-mêmes aujourd'hui seraient sans doute assez justes pour louer en lui, je veux dire l'espèce de réparation qu'il s'était cru obligé de faire à tous ceux qu'il avait offensés dans sa première satire. Sentiment de justice honorable, même dans les excès contraires auxquels il a pu l'entraîner.

Malgré le ton léger avec lequel il affecte çà et là de parler de ces attaques, il est évident qu'il en était fort tourmenté; effet qu'en les relisant aujourd'hui, on aurait peine à concevoir, si l'on ne se rappelait la propriété que Dryden attribue aux petits esprits comme à d'autres petits animaux: «Ce n'est guère qu'à leurs morsures que nous nous apercevons de leur existence.»

Voici deux échantillons de la manière dont les gagistes du ministère osaient parler d'un des maîtres de la lyre anglaise. «Tout cela aurait pu dormir dans l'oubli avec les drames de lord Carlisle et les poésies de Lord Byron.»--«Les poésies de Lord Byron ne manquent pas de partisans, mais la plupart des meilleurs juges lui assignent une place très-inférieure parmi les poètes du second ordre.»(Note de Moore.)


»J'ai lu le Morning-Post à mon lever, contenant la bataille de Bonaparte, la destruction de la douane et un article sur moi, long comme ma généalogie, et injurieux à l'ordinaire.

»Hobhouse est de retour en Angleterre; c'est le meilleur de mes amis, le plus gai, et un homme du talent le plus vrai et le plus solide.

»Le Corsaire a été imaginé, écrit, publié, etc., depuis que je n'ai mis la main à ce journal. On dit qu'il réussit fort bien; il a été écrit en amore et beaucoup d'après la vie réelle. Murray est content de la vente; et si le public est aussi content de l'acquisition, c'est tout ce qu'il faut.»

9 heures.

«Je suis allé chez Hanson pour affaires. J'ai vu Rogers, et reçu un billet de lady Melbourne, qui dit que l'on dit que je suis bien triste. Je ne sais si je le suis ou non. La vérité est que j'ai beaucoup de cette périlleuse drogue qui fait un poids dans le cœur. Il vaut mieux qu'ils prennent cela pour le résultat des attaques des journaux, que s'ils en connaissaient la véritable cause; mais... Ah!... ah!... toujours un mais à la fin du chapitre.

»Hobhouse m'a conté mille anecdotes de Napoléon, toutes vraies et excellentes; cet Hobhouse est le plus divertissant compagnon que je connaisse, et un fort bel homme, par-dessus le marché.

»J'ai lu un peu, j'ai écrit quelques lettres et quelques billets, et je suis seul, ce que Locke appelle être en mauvaise compagnie: Ne soyez jamais seul, jamais oisif! L'oisiveté est un mal, d'accord; mais je ne vois pas grand mal dans la solitude. Plus je vois les hommes, moins je les aime. Si je pouvais seulement en dire autant des femmes, tout serait pour le mieux. Eh! pourquoi ne le pourrais-je pas? J'ai vingt-six ans, mes passions ont eu de quoi se satisfaire, mes affections de quoi se refroidir, et cependant... cependant... toujours des mais et des cependant. «Très-bien, vous êtes un marchand de poisson... Retirez-vous dans un couvent.» Ils se moquent de moi à plaisir.»

Minuit.

«J'ai commencé une lettre que j'ai jetée au feu; j'ai lu... tout cela inutilement. Je n'ai point fait de visite à Hobhouse, comme je l'avais promis et comme je l'aurais dû: n'importe, c'est moi qui y perds... Fumé des cigares.

»Napoléon! cette semaine décidera son sort. Tout semble contre lui; mais je crois et j'espère qu'il sortira vainqueur de la lutte, ou que du moins il chassera les envahisseurs. Quel droit avons-nous d'imposer tel ou tel souverain à la France? Oh! une république! Tu dors, Brutus! Hobhouse est plein d'anecdotes qu'il a recueillies sur le continent concernant cet homme extraordinaire; toutes en faveur de son courage et de ses talens, mais contre sa bonhomie. Cela n'est pas étonnant: comment, lui, qui connaît si bien le genre humain, pourraît-il ne pas le haïr et le mépriser?

»Plus l'égalité est grande, plus les maux se distribuent impartialement; ils deviennent plus légers en se divisant davantage: or donc, une république!

»Encore des invitations de Mme de Staël; je n'y veux pas répondre. J'admire ses talens; mais, en vérité, sa société est assommante: c'est une avalanche qui vous enterre sous une masse de brillantes futilités. Tout cela n'est que de la neige et des sophismes.

»Irai-je chez Mackintosh mardi? je ne suis pas allé chez le marquis de Lansdowne, ni chez miss Berry; ce sont cependant deux maisons fort agréables. Celle de Mackintosh l'est aussi; mais je ne sais, il n'y a rien à gagner à toutes ces parties, à moins qu'on ne doive y rencontrer la dame de ses pensées.

»Je m'étonne comment diable qui que ce soit a pu faire ce monde, pourquoi avoir fait des dandies, par exemple, des rois, des fellows de collége 88, des femmes d'un certain âge, bon nombre d'hommes de tout âge, et moi surtout!

Divesne, prisco natus ab Inacho,

Nil interest, an pauper et infima

De gente, sub dio moreris,

Victima nil miserantis Orci.

................................

Omnes eodem cogimur.

Note 88: (retour) On appelle fellows ceux qui ont pris des grades dans une université, et ont été élus de certaines pensions prises sur les fonds de leur collége particulier; pensions qui ne donnent aucunes fonctions, n'obligent pas même à la résidence, et ne se perdent que par le mariage du sujet, qui doit être célibataire pour continuer à en jouir.(N. du Tr.)

»Il y a-t-il quelque chose au-delà? Qui le sait? ceux qui ne le peuvent pas dire. Qui nous dit qu'il y ait effectivement un autre monde? ceux qui ne le peuvent pas savoir. Quand le sauront-ils? peut-être au moment où ils s'y attendront le moins, et généralement au moment où ils ne le souhaiteront pas. Sous ce dernier objet, tous les hommes ne sont pas égaux: cela dépend beaucoup de l'éducation, un peu des nerfs et des habitudes, mais surtout de la digestion.»

Samedi, 19 février.

«Je viens de voir Kean dans le rôle de Richard. Parbleu, voilà un homme qui a de l'ame, de la vie, de la nature, de la vérité, sans exagération ni diminution. Kemble est parfait dans Hamlet; mais Hamlet n'est pas dans la nature. Richard est un homme, et Kean est absolument Richard. Maintenant, à mes affaires...

»Je suis allé chez Waite. Mes dents sont blanches et en bon état; mais il dit que j'en grince dans mon sommeil, et que j'en émousse la pointe. Le sommeil ne m'est pas favorable, et cependant je lui fais ma cour quelquefois douze heures sur vingt-quatre.»

20 février.

«À peine levé, j'ai déchiré deux feuilles de ce journal, je ne sais pas pourquoi. Hodgson m'est venu voir, et sort d'ici à l'instant. Il a beaucoup de bonhomie, bien d'autres bonnes qualités et bien plus de talens qu'on ne lui en accorde, hors du petit cercle de ses amis intimes.

»Une invitation à dîner chez lord Holland pour y rencontrer Kean. Cet acteur le mérite et j'espère qu'en fréquentant la bonne société, il évitera le malheureux défaut qui a été la ruine de Cooke. Il est maintenant plus grand que lui sur la scène, et ne saurait être moins que lui dans le monde. Un des journaux le critique et le déprécie stupidement. Je crois qu'hier soir il a été un peu inférieur à ce qu'il m'avait paru la première fois. Ce pourrait bien être l'effet de toutes ces petites critiques de détails, mais j'espère qu'il a trop de bon sens pour en faire le moindre cas. Il ne peut s'attendre à conserver sa supériorité actuelle ou même à monter plus haut, sans exciter la jalousie de ses camarades, et les critiques de leurs partisans. Mais s'il ne parvient pas à triompher d'eux tous, il ne reste plus de chance au mérite dans ce siècle d'intrigues et de cabales.

»Je voudrais avoir le talent du drame, je ferais une tragédie maintenant. Mais non, il est trop tard. Hodgson parle d'en écrire une; je crois qu'il réussira, et que Moore devrait essayer aussi. Il a beaucoup de talens, et des talens variés; en outre il a beaucoup vu et beaucoup réfléchi. Pour qu'un auteur touche les cœurs, il faut que le sien ait senti, mais que peut-être il ait cessé d'être le jouet des passions. Quand vous êtes sous leur influence, vous ne pouvez que les sentir, sans être capable de les décrire, pas plus qu'au milieu d'une action importante, vous n'êtes capable de vous tourner vers votre voisin et de lui en faire le récit! Quand tout est fini, irrévocablement fini, fiez-vous-en à votre mémoire; elle n'est alors que trop fidèle.

»Je suis sorti, j'ai répondu à quelques lettres, bâillé de tems en tems et lu les Brigands de Schiller: la pièce est bien, mais Fiesque vaut mieux; Alfiéri et l'Aristodème de Monti sont encore infiniment supérieurs. Les tragiques italiens ont plus d'égalité que les allemands.

»J'ai répondu au jeune Reynolds, ou plutôt je lui ai accusé réception de son poème, Safie. Ce jeune homme a du talent, mais beaucoup de ses pensées sont empruntées, d'où? c'est aux écrivains de Revues à le chercher. Je n'aime pas à décourager un débutant, et je crois, bien qu'il soit un peu rude et plus oriental, qu'il le serait s'il avait vu la scène où il place son histoire: il a beaucoup de moyens; à coup sûr ce n'est pas la chaleur qui lui manque.

»J'ai reçu une singulière épître, et la manière dont elle m'est parvenue, par les mains de lord Holland, n'est pas moins curieuse que la lettre elle-même, qui du reste est flatteuse et fort jolie.»

Samedi, 27 février.

«Me voici, ici seul, au lieu d'être à dîner chez lord Holland, où j'étais invité; mais je ne me sens disposé à aller nulle part. Hobhouse dit que je deviens loup-garou, une espèce de démon de la solitude. C'est vrai, mais le fait est que je suis simplement demeuré moi-même. La semaine dernière s'est passée à lire, à aller au spectacle, à recevoir quelques visites de tems en tems, à bâiller quelquefois, à soupirer quelquefois, et sans écrire autre chose que des lettres. Si je pouvais lire toujours, je ne sentirais jamais le besoin de la société. Est-ce que je la regrette?... Einh! Einh! les hommes ne m'amusent pas beaucoup et je n'aime qu'une seule femme... à la fois.

»Il y a quelque chose de doux pour moi dans la présence d'une femme, une sorte d'influence étrange, même dans celles dont je ne suis pas amoureux, influence dont je ne puis absolument me rendre compte, avec l'opinion peu avantageuse que j'ai de leur sexe. Cependant je me sens de meilleure humeur envers moi-même et tout le reste quand il y a une femme près de moi. Même mistress Mule 89, mon allumeuse de feu, la femme la plus vieille et la plus ridée qui soit dans cet emploi, la femme la plus revêche pour tout le monde, excepté moi, me fait toujours rire; ce qui, il est vrai, n'est pas difficile, quand je suis de bonne humeur.

Note 89: (retour) Cette vieille servante, dont le crayon seul pourrait représenter la maigreur et l'air de sorcière, fournit un nouvel exemple de la facilité avec laquelle Lord Byron s'attachait aux choses même les plus communes, lorsqu'elles avaient une fois excité son bon naturel en leur faveur, et qu'elles étaient devenues comme associées à ses pensées. Il trouva d'abord cette vieille femme dans son logement garni de Bennet-Street, où elle fut pendant six mois une espèce d'épouvantail pour ses visiteurs. Lorsque l'année suivante il fut logé dans Albany-Street, un des grands avantages que ses amis voyaient dans ce changement était de se trouver débarrassés de ce fantôme. Mais non... ils l'y trouvèrent: il l'y avait amenée de Bennet-Street. L'année suivante, il était marié, et tenait maison dans Piccadilly; et là, comme Mrs. Mule n'avait apparu à aucun des visiteurs, on conclut avec trop de précipitation que la sorcière avait disparu. Cependant, un d'entre ceux de ses amis qui avaient le plus vivement entretenu cette espérance trompeuse, s'étant présenté à la porte un jour où tous les domestiques mâles étaient absens, elle lui fut, à sa grande épouvante, ouverte par ce même personnage fantastique. La sorcière, il est vrai, avait beaucoup gagné quant au vêtement, elle avait grandi avec le nombre des gens de son maître; une perruque neuve et d'autres signes extérieurs attestaient la promotion qu'elle venait d'obtenir. Quand on demandait à Lord Byron pourquoi il promenait ainsi cette vieille femme avec lui de maison en maison, sa seule réponse était: «Cette pauvre diablesse a toujours été si bonne pour moi!»

»Ah! Ah!... je voudrais être dans mon île! je ne me porte pas bien, et cependant j'ai l'air d'être en bonne santé. Je crains par momens que ma tête ne soit pas absolument en bon état; et pourtant ma tête et mon cœur ont soutenu bien des assauts; qui pourrait les ébranler maintenant? Ils se déchirent eux-mêmes et je suis malade... malade!

»Détache-moi, je te prie, ce bouton; pourquoi faut-il qu'un chat, un rat, un chien vivent, et que toi seul tu n'aies pas de vie 90?

»Vingt-six ans, à ce que l'on dit... j'aurais pu et je devrais être pacha à cet âge-là. Je commence à être fatigué de l'existence.

»Bonaparte n'est pas encore à terre; il a battu Blücher et repoussé Schwartzenberg. Voilà ce que c'est que d'avoir de la tête. S'il gagne encore une fois sa patrie, væ victis!»

Dimanche, 6 mars.

«Mardi dernier j'ai dîné chez Rogers, avec Mme de Staël, Mackintosh, Shéridan, Erskine, Payne, Knight, lady Donegall et miss R... Shéridan nous a conté une excellente histoire de lui et du mouchoir de Mme Récamier; Erskine, quelques histoires où il n'était question que de lui. Mme de Staël va, dit-elle, écrire un gros livre sur l'Angleterre; pour gros, je m'en rapporte à elle. Elle m'a demandé ce que je pensais du *** de miss ***, et je lui ai répondu avec beaucoup de sincérité que je le trouvais bien mauvais et fort inférieur à tout le reste. Je réfléchis ensuite que lady Donegall étant Irlandaise, il était possible qu'elle patronisât ***, et je fus fâché d'avoir ainsi exprimé mon opinion, car je n'aime pas mécontenter les gens dans leur personne ou dans leurs protégés; on a toujours l'air de l'avoir fait à dessein. Le dîner se passa très-bien, et le poisson était fort de mon goût, mais, nous quittâmes la table beaucoup trop tôt après les dames, et Mrs. Corinne y reste toujours si long-tems, que nous souhaitions lui voir prendre le chemin du salon.

»C*** est venu me voir aujourd'hui, et pendant que nous causions ensemble, est arrivé Merivale. C*** ignorant que le nouveau venu est l'auteur de l'article sur la correspondance de Grimm, dans le Quarterly-Review, se prit à parler de cet article comme de la chose la plus fade du monde. Moi, qui étais dans le secret, je changeai la conversation le plus vite qu'il me fut possible, et C*** s'en alla, bien convaincu qu'il avait fait la meilleure impression sur sa nouvelle connaissance. Heureusement Merivale est un très-bon enfant ou Dieu sait ce qu'il aurait pu résulter d'une pareille maladresse. Je n'ai pas osé le regarder pendant ce discours inopportun; mais, pour mon compte, j'étais sur des charbons, car j'aime fort Merivale, aussi bien que l'article en question...

»Je suis invité pour demain soir chez lady Keith: je crois que j'irai; mais ce sera la première invitation que j'accepterai cette saison, comme l'appela si élégamment le savant Fletcher, lorsque j'eus l'œil et la joue ouverts par une pierre que me lança maladroitement le petit bambin de lady ***. «Ce n'est rien, milord, il n'y paraîtra plus avant la saison,» comme si un œil ne me devait être d'aucune utilité d'ici là.

»Lord Erskine m'a apporté son fameux pamphlet, avec une note marginale et des corrections de sa main; je l'ai envoyé pour être magnifiquement relié, et je le garderai comme une relique.

»J'ai fait encadrer ma belle gravure de Napoléon; ses vêtemens impériaux lui vont comme s'il était né dedans et qu'il les eût portés toute sa vie.»

7 mars.

«Levé à sept heures, prêt à huit et demie, je suis allé chez M. Hanbon, dans Beskeley-Square; de là à l'église avec sa fille aînée, Mary Anne, bonne fille, que j'ai conduite à l'autel pour y épouser le comte de Portsmouth. Je l'ai vu faire comtesse en bonne forme, j'ai congratulé sa famille et son mari, bu en leur félicité réciproque un grand verre de vin, d'excellent Xérès, et m'en suis revenu. On m'avait engagé à rester pour dîner, je n'ai pu accepter. À trois heures j'ai posé chez Phillips pour mon portrait. Je suis allé ensuite chez lady M***; je l'aime tant que j'y reste toujours trop long-tems. Memento... m'en corriger.

»J'ai passé la soirée avec Hobhouse: il a commencé un poème qui promet beaucoup; je voudrais bien qu'il le terminât. J'ai entendu lire quelques extraits fort curieux d'une vie de Morosini, ce fou de Vénitien qui a brûlé l'Acropolis et Athènes avec une bombe; que le diable l'emporte! L'envie de dormir m'a ramené ici; je vais me coucher immédiatement, et suis engagé à me trouver demain avec Shéridan chez Rogers.

»C'est une cérémonie assez originale que celle du mariage: j'en ai vu beaucoup de grecs et de catholiques; un seul en Angleterre, il y a bien des années. Il y a quelques phrases étranges dans le prologue (l'exhortation) qui m'ont forcé à me retourner pour ne pas rire au nez de l'homme en surplis. J'ai fait une bévue quand il s'est agi de joindre les mains des deux heureux époux: j'avais pris leurs deux mains gauches; je m'en suis aperçu, j'ai réparé mon erreur et me suis hâté de me retirer derrière la balustrade pour dire amen. Portsmouth répondait comme s'il eût su tout le rituel par cœur, et allait au moins aussi vite que le prêtre. Il est maintenant minuit, et...»

Jeudi, 10 mars.

«Mardi j'ai dîné avec Rogers, Mackintosh, Shéridan et Sharpe; longues conversations et bonnes, excepté le peu que j'y ai hasardé. On a beaucoup parlé de l'ancien tems, d'Horne Tooke, des jugemens, du témoignage de Shéridan, d'anecdotes de cette époque où, hélas! je n'étais qu'un enfant. Si j'avais été homme, j'aurais fait un lord Edward Fitzgerald anglais.

»J'ai reconduit Shéridan chez Brooke, où aussi bien il n'eût pas été capable de se conduire lui-même, car nous avions été seuls à boire. Sherry est dans l'intention de se présenter à Westminster que Cochrane va nécessairement cesser de représenter. Brougham se met aussi sur les rangs; j'ai grand'peur pour ce pauvre Sherry. Tous deux ont des talens du premier ordre; mais le plus jeune a encore une bonne réputation. Nous verrons, s'il arrive à l'âge de son compétiteur, comment il retirera ses mains du fer rouge placé au timon des affaires publiques. Je ne sais, mais je n'aime pas à voir décliner les anciens, surtout Shéridan, malgré toute sa méchanceté.

»J'ai reçu du père et de la mère de lady Portsmouth les plus vifs remerciemens pour le mariage que j'ai procuré à leur fille. Je ne le regrette pas, car elle a tout-à-fait l'air d'une comtesse, et c'est une excellente fille. Elle porte le poids de ses nouveaux honneurs avec une aisance extraordinaire. Je ne me figurais pas que je dusse réussir si bien à faire une pairesse.

»Je suis allé au spectacle avec Hobhouse. M. Jordan est admirable dans le rôle de Hoyden, et Jones assez bien dans celui de Foppington. Quelles pièces! quel esprit! hélas! Congrève et Vanbrugh sont nos seuls comiques! Notre société actuelle est trop insipide pour qu'on en tire de si bonnes copies. Je ne voulais pas aller chez lady Keith, ce que Hobhouse trouva étrange. Je m'étonne, moi, qu'il puisse lui aimer les assemblées. Quand on est amoureux, qu'on veut violer un commandement et convoiter quelque belle qui se trouve là, à la bonne heure. Mais y aller, seulement pour se mêler au troupeau, sans motif, sans plaisir, sans but... je n'en suis plus. Il m'a parlé d'un bruit étrange, je serais le vrai Conrad, le véritable corsaire, et une partie de mes voyages aurait eu pour but la piraterie. Einh... les gens approchent quelquefois de la vérité, mais ils ne la devinent jamais toute entière. Hobhouse ne sait pas ce que j'ai fait l'année d'après qu'il eût quitté le Levant, personne ne le sait davantage, ni... ni... ni... Quoi qu'il en soit, c'est un mensonge; mais je n'aime pas à voir mentir le diable quand il prend si bien l'apparence de la vérité.

»J'aurai demain des lettres importantes... toutes écriront, et exigeront des réponses. Puisque je suis parvenu à me mettre bien avec moi-même, il faut que je tâche de m'y maintenir; jamais toutefois je ne me suis trompé sur mon compte, quoique bien d'autres l'aient fait.

»*** est venu aujourd'hui, désespéré à cause de sa maîtresse qui s'est prise d'un caprice pour ***. Il avait commencé à lui écrire une lettre qu'il n'avait pu terminer; je l'ai finie pour lui; il l'a transcrite et envoyée. S'il suit mes instructions et qu'il persiste à feindre de l'indifférence, elle amènera pavillon. Sinon il en sera du moins débarrassé, et elle ne me paraît guère valoir la peine d'être entretenue. Mais le pauvre garçon est amoureux; dans ce cas, elle gagnera la partie... Quand elles découvrent une fois leur pouvoir, finita è la musica.

»J'ai sommeil, il faut aller coucher.»

Mardi, 15 mars.

«J'ai dîné hier avec R***, Mackintosh et Sharpe. Shéridan n'a pas pu venir. Sharpe nous a raconté plusieurs anecdotes fort amusantes de l'acteur Henderson. Je suis resté très-tard, et j'avais pris tant de thé que je n'ai pu m'endormir avant six heures du matin. R*** dit qu'il sera question de moi dans le prochain numéro du Quarterly; en ce cas, j'y serai bien arrangé, car il ne nous aime pas, nous autres nouveaux venus au Parnasse. N'importe, quand Sharpe, pour venir dîner, passait devant la porte d'une certaine conférence légo-littéraire, le Westminster forum, il a vu le nom de Scott et le mien charbonnés sur les murs. La question à l'ordre du jour pour ce soir étant lequel de vous deux est le meilleur poète? Je suppose que les templiers, ou soi-disant tels, auront mis nos vers en pièces à qui mieux mieux. Lequel de nous deux aura eu la majorité, je l'ignore, mais je trouve cette alliance de nos deux noms très-flatteuse, quoique Scott, à mon avis, méritât d'être mis en meilleure compagnie.............................

»W. W***, lord Erskine, lord Holland, etc., sont venus me visiter aujourd'hui. J'ai écrit à *** le bruit de mon identité avec le Corsaire. Elle dit que cela n'est pas étonnant, puisque Conrad me ressemble tant. Il est étrange qu'une personne qui me connaît si intimement vienne me dire cela à mon nez. Si elle partage cette opinion, qui diable ne l'adoptera pas?

»Mackintosh est, à ce qu'il paraît, l'auteur de la lettre justificative dans le Morning-Post: c'est bien de la bonté à lui, et plus que je n'ai fait pour moi-même.............................................

»J'ai dit à Murray de ne pas manquer à m'acheter demain à la vente les Nouvelles italiennes de Bandello; cela m'ira comme un gant. J'ai lu une satire contre moi, intitulée l'Anti-Byron, et dit à Murray de l'imprimer, si cela lui convient. Le but de l'auteur est de prouver que je suis un athée et un conspirateur systématique contre la loi et le gouvernement. Quelques-uns de ses vers sont bons; quant à sa prose, je n'ai pas l'avantage de la bien comprendre. Il avance que mes écrits empoisonnés ont eu un effet sur la société qui nécessite ceci et cela... et la publication de son propre poème. Celui-ci est un peu long, flanqué d'une longue préface et d'un titre ronflant. Comme la mouche de la fable, il paraît que je me suis perché sur une roue qui soulève bien de la poussière; il y a pourtant cette différence que je ne me regarde pas comme l'auteur de ce tourbillon.

»Reçu de Bella une lettre à laquelle j'ai répondu. Si je n'y prends garde, j'en redeviendrai amoureux. ................................ .........................................

»Je commencerai bientôt un système plus régulier de lecture.»

Jeudi, 17 mars.

«J'ai boxé avec Jackson ce matin pour faire de l'exercice; j'ai intention de continuer et de renouer connaissance avec les gantelets. La poitrine, les bras, la respiration, tout va bien, et je ne suis pas encore trop puissant. Autrefois, j'étais un rude champion; et mes bras sont très-longs pour ma taille, cinq pieds huit pouces et demi anglais (environ cinq pieds trois pouces de France). En tout cas, l'exercice m'est bon; celui-là est le plus violent de tous; le fleuret et l'espadon ne m'ont jamais de moitié tant fatigué.

«J'ai lu les Querelles des Auteurs (autre classe de boxeurs), c'est une nouvelle d'Israëli, cet auteur si amusant et si érudit. Il paraît que c'est une troupe irritable; je voudrais bien en être dehors. Je ne marcherai pas avec eux jusqu'à Coventry: c'est insipide. Que diable avais-je besoin de me mêler d'écrivailler? Il est trop tard pour me le demander; tous les regrets sont superflus. Mais si c'était à recommencer..... j'écrirais tout de même, je parie. Tel est l'homme, ou du moins, tel je suis; cependant, j'aurais meilleure opinion de moi-même, si j'avais le bon sens de m'arrêter où j'en suis. Si j'ai une femme, que cette femme ait un fils, n'importe de qui, j'élèverai mon héritier de la manière la plus anti-poétique, j'en ferai un légiste, ou un pirate, ou quoi que ce soit. Mais, s'il se met à écrire, je serai sûr qu'il n'est pas à moi, et je m'en débarrasserai en lui mettant un billet de banque dans la main. Il est trop bonne heure, il faut que j'écrive une lettre.»

Dimanche, 20 mars.

«J'avais intention d'aller chez lady Hardwicke: je n'irai pas. Au commencement de chaque journée, j'ai toujours intention d'aller à quelque partie; mais, à mesure que le jour s'avance, mon envie diminue; je sors rarement, et, quand je le fais, je m'en repens toujours. Cette assemblée eût pu être agréable, l'hôtesse, du moins, est une femme supérieure. Demain, chez lady Lansdowne; mercredi, chez lady Heathcote: il faut que je prenne sur moi d'aller à quelqu'une de ces soirées; cela aurait l'air trop impoli, et il vaut mieux faire comme les autres... que le diable les confonde!

«J'ai lu Machiavel et quelques passages çà et là de Chardin, Sismondi et Bandello. J'ai lu aussi le numéro quarante-quatre de la Revue d'Édimbourg qui vient de paraître: on m'y fait un fort beau compliment. Je ne sais si cela est très-honorable pour moi; mais cela fait assurément beaucoup d'honneur à l'auteur, parce qu'il m'avait auparavant amèrement critiqué. Bien des gens rétracteront des éloges; il n'y a qu'un homme de beaucoup d'esprit qui sache rétracter un jugement défavorable. J'ai souvent, depuis mon retour en Angleterre, entendu Jeffrey vanté par ceux qui le connaissent pour autre chose que pour ses talens. Je l'admire, non pour les éloges qu'il m'a donnés, on m'a tant prodigué d'éloges et de censures que l'habitude m'y a également rendu indifférent autant qu'à vingt-six ans on peut être indifférent à quoi que ce soit, mais parce qu'il est peut-être le seul homme capable d'en agir ainsi d'après les rapports que nous avons eus ensemble; il n'y a qu'une grande ame qui ait pu hasarder tant de générosité. La hauteur à laquelle il s'est élevé ne lui a pas donné de vertiges; un homme de peu de talent eût persisté dans son système de critique jusqu'à la fin. Quant à la justice des éloges qu'il a faits de mes ouvrages, c'est une affaire de goût. Bien des gens la mettent en question et sont charmés de le faire.

»Lord Erskine est venu aujourd'hui. Il a dessein de continuer jusqu'au moment actuel ses réflexions sur la guerre, ou plutôt sur les guerres: j'espère qu'il le fera. Il faut que j'envoie chez Murray pour presser la reliure de son pamphlet; lord Erskine m'a promis de le corriger et d'y ajouter des notes marginales. Quoique ce soit de sa main, ce sera un trésor; les années ne feront qu'en augmenter la valeur. Erskine attend beaucoup de l'histoire que nous promet Mackintosh. Quand elle sera finie, ce sera indubitablement un ouvrage classique.

»J'ai encore boxé hier avec Jackson, et je le ferai demain; mes esprits s'en trouvent fort bien, quoique mes bras et mes épaules en soient engourdis. Memento. Assister au dîner des pugilistes, le marquis Hantley occupera le fauteuil................ ....................................................

»Lord Erskine croit que les ministres courent grand risque d'être renvoyés. Tant mieux pour lui. Pour moi, que m'importe qui entre au ministère ou qui en sort? nous avons besoin d'autre chose que d'un changement de ministère, et dans quelques jours nous l'aurons.

»Je me rappelle que, me promenant à cheval, de Chrisso à Castri (Delphes), au pied du Parnasse, je vis six aigles en l'air 91. Il est extraordinaire d'en voir autant à la fois; et mon attention fut attirée, non par leur espèce qui est assez connue, mais par leur nombre.

Note 91: (retour) Ce passage se trouve déjà dans le premier volume. Nous l'avons toutefois laissé subsister ainsi, à cause de la manière inattendue et singulière dont il y est introduit.(Note de Moore.)

»Le dernier oiseau que j'aie tiré, c'est un aiglon, sur les bords du golfe de Lépante, près Voshtza. Il n'était que blessé et j'essayai de le sauver; son œil était si brillant! mais il languit quelques jours et mourut. Depuis cette époque, je n'ai jamais essayé de tuer un oiseau et je ne l'essaierai jamais. Je ne sais ce qui rappelle maintenant ces deux circonstances à la fois dans ma tête. Je viens de lire Sismondi; il n'y a rien dans son livre qui puisse faire naître ce double souvenir.

»J'aime beaucoup Braccio di Montone, Giovanni Galeazzo et Eccelino. Ce dernier n'est pas Eccelino Braccioferro, comte de Ravennes, dont je voudrais suivre l'histoire. Il y a une belle gravure dans Lavater, d'après un tableau de Fuseli, de ce Ezzelin penché sur le corps de Médune, qu'il vient de punir pour s'être légèrement écartée de la foi jurée, pendant qu'il était à la croisade.

Il a eu raison... mais je voudrais connaître cette histoire plus à fond.» ................................................... ...........................

Mardi, 22 mars.

«Hier, soirée chez lord Lansdowne; aujourd'hui, chez lady Charlotte Gréville; quelle perte déplorable de tems! Je n'ai rien appris des autres ni aux autres, j'ai bavardé sans idées; et si quelque chose de semblable à une idée s'est présenté à mon esprit, ce n'était pas sur les misérables objets dont nous nous entretenions. Ah! ah! Et c'est ainsi que la moitié de Londres passe ce qu'on appelle la vie. Demain, encore soirée chez lady Heathcote. Irai-je? Oui, pour me punir de n'avoir pas un but, et de ne pas m'y fixer.

»Réfléchissons un peu; qu'ai-je vu? La seule personne qui ait excité mon attention est lady C. L***, fille aînée de lady S***. On dit qu'elle n'est pas jolie; je n'en sais rien: tout ce qui plaît est joli; mais il y a de l'ame sur sa figure: elle change souvent de couleur; et puis il y a, dans toutes ses manières, la timidité de l'antilope, ce que j'aime tant, que je l'ai plus observée qu'aucune des autres femmes présentes, et que je n'ai détourné les yeux de dessus elle que quand je craignais qu'elle ne remarquât l'admiration qu'elle m'inspirait et n'en fût embarrassée. Après tout, peut-être y a-t-il ici une association d'idées et de sentimens; elle est grande amie d'Augusta, et je ne saurais m'empêcher d'avoir du goût pour tout ce qu'elle aime.

»La marquise, sa mère, m'a parlé quelque tems; j'ai été vingt fois sur le point de la prier de me présenter à sa fille; mais je n'ai pas osé, à cause de ma querelle avec les Carlisle.

»Le comte Grey m'a parlé en riant d'un paragraphe du dernier Moniteur, qui, parmi d'autres symptômes de rebellion en Angleterre, compte la sensation occasionée dans toutes les gazettes du gouvernement par les Vers sur les Larmes (de la princesse Charlotte). Seulement il fait un roman d'une épigramme, encore d'une épigramme qui n'en est une que dans l'acception grecque primitive de ce mot. Je m'étonne que le Courrier et nos autres journaux n'aient pas traduit ce passage du Moniteur, en y ajoutant un petit commentaire.

»La princesse de Galles, à ce que m'a dit M. Locke, a commandé à Fuseli quelques tableaux tirés du Corsaire, en lui laissant le choix des sujets. Fatigué, ennuyé, égoïste et rendu, je vais me coucher.

»Roman, ou du moins romance, signifie quelquefois une chanson comme dans l'espagnol. Je suppose que c'est ce qu'aura voulu dire le Moniteur, à moins qu'il n'ait confondu avec le Corsaire

Albany, 28 mars.

«J'ai pris ce soir possession de mes nouveaux appartemens que j'ai loués de lord Althorpe, avec un bail de sept ans. Ils sont spacieux; il y a de la place pour mes livres, mes sabres et autres curiosités que je pourrai maintenant avoir dans ma propre maison. Ces jours derniers, ou plutôt toute la semaine dernière, j'ai été très-sobre dans mes repas, très-régulier dans mes exercices, et cependant je ne m'en porte pas mieux.

»Hier, j'ai dîné tête à tête avec Scrope Davies, au Cacaotier; nous sommes restés à table depuis six heures jusqu'à minuit; nous avons bu, entre nous deux, une bouteille de Champagne et six de Bordeaux; ces deux vins n'ont jamais d'effet sur moi. J'ai offert à Scrope de le reconduire dans ma voiture; mais il était gris et tourné à la dévotion. J'ai été obligé de le laisser sur ses genoux, adressant je ne sais quelle prière à je ne sais quelle idole. Point de mal à la tête ni au cœur la nuit passée ni aujourd'hui. Je me suis levé comme à l'ordinaire, peut-être même de meilleure heure; j'ai boxé avec Jackson usque ad sudorem, et me suis porté beaucoup mieux que je n'avais fait depuis plusieurs jours. Je n'ai pas eu de nouvelles de Scrope depuis. Je lui ai payé hier 4,800 livres sterling que je lui devais depuis quelque tems; j'aurais voulu m'acquitter plus tôt, et je me sens aujourd'hui l'ame fort soulagée de l'avoir fait.

»Augusta me tourmente pour que je me raccommode avec Carlisle. J'ai refusé les sollicitations de tous les autres à ce sujet; mais elle, je ne saurais rien lui refuser. Ainsi, il le faudra donc faire; encore que j'eusse autant aimé boire du vinaigre, ou manger un crocodile. Voyons... Ward, les Holland, les Lamb, les Rogers, etc., plus ou moins, tous se sont efforcés depuis deux ans d'apaiser cette querelle, fruit de quelques malheureux vers. Je rirai bien si Augusta en vient à bout.

»J'ai lu un peu de beaucoup de choses: demain, j'aurai mes livres ici; heureusement cette chambre les contiendra tous. Il faut que je me crée quelque occupation; voilà que je recommence à me manger le cœur.»

8 avril.

«Hors de Londres pendant six jours. À mon retour, j'ai trouvé ma pauvre petite idole, Napoléon, renversé de son piédestal: les voleurs sont dans Paris. C'est bien sa faute; comme Milon, il a voulu fendre le chêne 92; mais il s'est refermé, ses mains y ont été prises, et maintenant les animaux sauvages et domestiques, le lion, l'ours, jusqu'à l'âne ignoble, tous le mettent en pièces. Cet hiver moscovite lui a glacé les bras; depuis, il s'est défendu avec les pieds et avec les dents. Ces dernières peuvent encore laisser des marques; et je soupçonne que, même en ce moment, il pourrait bien leur jouer un tour de sa façon. Il est sur leurs derrières, entre eux et leurs patries. Question... Y rentreront-ils jamais?»

Note 92: (retour) Il se servit dans son Ode à Napoléon de cette pensée, aussi bien que des exemples historiques qu'il cite dans le paragraphe suivant.
Samedi, 9 avril 1814.

«Voilà un jour dont il faut prendre date!

»Napoléon Buonaparte a abdiqué le trône du monde. Il me semble que Sylla fit mieux; car il se vengea d'abord, et résigna sa puissance quand il fut arrivé au faîte, rouge encore du sang de ses ennemis, exemple le plus beau que l'on connaisse du dédain d'un grand homme pour des misérables. Dioclétien aussi abdiqua fort bien. Amurat, pas trop mal, s'il fût devenu autre chose qu'un derviche. Charles-Quint, pas trop bien... Mais Napoléon, le plus mal de tous. Quoi! attendre qu'ils soient dans sa capitale, et alors parler de son empressement à quitter ce qu'il ne possède déjà plus! Quel moine pleureur, quel hypocrite charlatan est-ce là? Denis, à Corinthe, était encore roi en comparaison. Et puis, l'île d'Elbe pour retraite! Si c'était Caprée, j'en serais bien moins étonné. Je vois que l'esprit des hommes dépend de leurs fortunes, et en fait partie. Je suis entièrement confondu, désenchanté.

»Je ne sais, mais il me semble que moi, qui ne suis qu'un insecte en comparaison de cette créature colossale, j'ai risqué ma vie pour des enjeux qui n'étaient pas la millionième partie de ceux de cet homme. Mais, après tout, peut-être une couronne ne vaut-elle pas la peine qu'on meure pour essayer de la conserver. Cependant survivre à Lodi, pour en venir là!!! Oh! si Juvénal ou Johnson pouvaient revenir à la vie! Expende, quot libras in duce summo invenies? Je savais qu'ils ne pesaient pas grand'chose dans la balance de la mortalité, mais je croyais que de leur vivant cette poussière portait plus de carats. Hélas! ce diamant impérial a une place; à peine est-il bon maintenant pour un instrument de vitrier; la plume de l'histoire ne l'évaluera pas à un ducat!

»Bah! en voilà trop sur ce sujet. Je ne l'abandonnerai pas, quoique tous ses admirateurs l'aient fait, et que ses chefs lui refusent leur épée.»

10 avril.

«Je ne sais si je puis dire que je sois parfaitement heureux quand je suis seul, mais ce dont je suis sûr, c'est que je ne suis jamais long-tems en la compagnie de celle même que j'aime trop bien, Dieu le sait, et le diable aussi probablement, sans soupirer après la compagnie de ma lampe et de ma bibliothèque si complètement sens dessus dessous 93. Même de jour je renvoie ma voiture plus souvent que je ne m'en sers. Per esempio, je ne suis pas sorti de chez moi depuis quatre jours, mais j'ai boxé, les fenêtres ouvertes, avec Jackson, pour faire de l'exercice, une heure durant chaque jour, pour atténuer et tenir en haleine la partie éthérée de mon être. Plus la fatigue est violente, mieux je me trouve pendant tout le jour, et le soir je me trouve dans une douce langueur, dans un état d'anéantissement qui a pour moi tant de charmes! Aujourd'hui j'ai boxé une heure, fait une ode à Napoléon, je l'ai copiée, j'ai mangé six biscuits, bu quatre bouteilles de soda-water, et lu pour passer le reste du tems. J'oubliais, j'ai donné une foule d'avis à ce pauvre *** que sa maîtresse rend malheureux et qu'elle rendra malade. Je suis un fameux gaillard de donner des avis et des conseils à propos de femmes. N'importe, puisque mon pénitent ne tient compte ni des uns ni des autres.»

Note 93: (retour) «Quoique j'aie beaucoup vu le monde, dit Pope, et que je l'aime beaucoup, je préfère encore la lecture à la compagnie, et je suis plus heureux quand je suis seul à lire, qu'au sein de la plus agréable société.»(Note de Moore.)
19 avril 1814.

«Il y a de la glace aux deux pôles, au nord et au midi; toujours les extrêmes se ressemblent: le malheur n'appartient qu'aux degrés les plus élevés et les plus bas de l'échelle, à l'empereur et au mendiant quand ils ont perdu, l'un son trône, l'autre sa dernière pièce de douze sous. Il y a certainement un insipide, un infernal point médium, une ligne équinoxiale, mais où? personne ne le sait, si ce n'est sur les cartes et les globes.

«Tous les jours écoulés n'ont fait qu'éclairer notre marche vers le néant et la mort.

»Je ne continuerai pas plus long-tems ce journal, ce fanal du passé, et pour m'empêcher de revenir comme un chien, à ce que ma mémoire a vomi, je déchire les pages blanches de ce cahier et j'écris sur la dernière avec de l'ipécacuanha: Les Bourbons sont rétablis sur le trône!!! Au diable la philosophie! Certainement il y a long-tems que je méprise les hommes et moi-même, mais je n'avais pas encore craché à la figure de l'espèce à laquelle j'appartiens. Ô sot que je suis! je deviendrai fou!»

La lecture de ce singulier journal a fait suffisamment connaître au lecteur les principaux événemens de cette période de l'histoire de Lord Byron; la publication du Corsaire, les attaques que les journaux dirigèrent contre l'auteur: il ne me reste plus qu'à placer ici une partie de sa correspondance pour bien faire connaître ce qui se passait dans son cœur à cette époque.


A M. MURRAY.

Samedi, 3 janvier 1814.

«Excusez la saleté de mon papier; c'est l'avant-dernière demi-feuille d'une main. Je vous renvoie avec mes remerciemens votre livre et le London-Chronicle. Le Corsaire est copié, il est maintenant chez lord Holland, mais je désirerais que M. Gifford pût l'avoir ce soir.

«M. Dallas est bien méchant: ainsi je vous ai offensés, vous et lui, quand je voulais être agréable à l'un au moins, et certainement ne pas déplaire à l'autre. J'espère lui faire entendre raison. J'ai bonne idée de ce nouveau poème, mais on ne peut être sûr de rien. Si je puis le ravoir de chez lord Holland, je vous l'enverrai. Toujours tout à vous, etc.»

Il avait fait présent du prix du Corsaire à M. Dallas, qui raconte ainsi la manière dont la chose se passa: «Le 28 décembre, je fis le matin visite à Lord Byron, que je trouvai composant le Corsaire. Il y travaillait depuis quelques jours, et me lut ce qu'il en avait déjà fait. Après quelques observations, il me dit qu'il le finirait en peu de tems, et me pria d'en accepter la propriété. Je fus très-surpris. Il est vrai qu'avant de connaître la valeur de ses ouvrages, il avait déclaré qu'il n'entendait jamais en retirer un sou, et qu'il m'abandonnait le produit, quel qu'il fût, de tout ce qu'il pourrait écrire. Cette promesse devint nulle de droit dès qu'il s'agit de milliers et non plus de quelques centaines de livres sterling; je suis à cet égard pleinement de l'avis de l'illustre auteur de Wawerley: l'homme prudent et honnête n'accepte pas les présens qu'on lui offre dans un premier mouvement, et qu'on pourrait ensuite se repentir de lui avoir faits. Cette pensée m'agitait lors de la vente de Childe-Harold, et je lui en fis l'observation. Il n'avait point disposé de la propriété du Giaour et de la Fiancée, quoiqu'ils se vendissent avec la plus grande rapidité, et je ne pensais pas qu'il songeât à me faire cadeau d'aucun autre de ses ouvrages. Mais comme il persistait dans sa résolution de ne pas en retirer lui-même le fruit, je ne me fis point scrupule d'accepter la propriété du Corsaire, et lui en exprimai toute ma reconnaissance. Il me pria de venir entendre chaque matin la lecture de ce qu'il aurait fait la veille: je le fis et je fus étonné de la rapidité avec laquelle il composait. Il me remit le poème terminé le 1er janvier 1814, en me disant que je lui faisais beaucoup de plaisir de l'accepter, et qu'il me laissait absolument libre d'en traiter avec tel libraire que je voudrais.»

Cette dernière circonstance donna naissance à la petite difficulté entre le noble poète et son libraire, à laquelle le billet précédent fait allusion.


À M. MURRAY.

Janvier 1814.

«Je répondrai à votre lettre ce soir; en attendant, qu'il me suffise de vous dire qu'il n'y a pas eu de ma part la moindre intention de vous faire de la peine: je voulais seulement rendre service à Dallas, et me disculper de toute accusation possible d'écrire pour autre chose que la gloire. Si je retire quelque profit de ma peine, soyez sûr que je ne l'applique pas à mes propres nécessités, du moins je ne l'ai pas encore fait, et j'espère ne le faire jamais.

»P. S. Je répondrai ce soir et j'arrangerai tout avec Dallas. Je vous remercie de l'estime personnelle que vous me témoignez; soyez sûr que j'en fais le plus grand cas.»


LETTRE CLV.

À M. MOORE.

6 janvier 1814.

«J'ai sous presse une grande diable d'histoire, en vers alexandrins, intitulée le Corsaire; c'est une île de pirates peuplée de gens sortis de mon cerveau. Vous pouvez aisément supposer que, dans les trois chants, ils se permettent une multitude de petites peccadilles: maintenant je vous dédie ce chef-d'œuvre, si vous voulez bien l'accepter. C'est bien positivement la dernière fois que j'essaie l'opinion littéraire du public, jusqu'à trente ans, si je vis toutefois jusqu'à cet âge où commence la décadence. ...................................................

»Thomas, vous êtes un homme bien heureux, mais si vous voulez que nous le soyons aussi, il faut venir à Londres, comme vous l'avez fait l'année passée. Nous aurons une foule de choses à dire, à voir et à entendre. Donnez-moi de vos nouvelles.

»P. S. Arrive que pourra, vous êtes sûr de votre dédicace; elle est faite et je la copierai au net ce soir, si quelque affaire ou quelque plaisir ne m'en empêche d'ici là. Amant alterna Camænæ


À M. MURRAY.

7 janvier 1814.

«La dédicace ne vous plaît pas, fort bien, en voilà une autre; mais vous enverrez la première à M. Moore, afin qu'il voie bien que je l'avais écrite. Je vous envoie aussi des épigraphes pour chaque chant. Vous conviendrez que si un éléphant peut avoir plus de sagacité, il ne saurait être plus docile que

»Votre, etc.»

BYRON.

»P. S. Le nom est changé de nouveau, ce sera Médora 94

Note 94: (retour) C'était d'abord Génèvra et non Francesca, comme le prétend M. Dallas.

LETTRE CLVI.

À M. MOORE.

8 janvier 1814.

«Comme il ne serait pas juste de vous forcer à accepter une dédicace sans vous en avoir prévenu, je vous en envoie deux; je vais vous dire pourquoi deux. M. Murray, qui se donne quelquefois des airs de critique, ce que je souffre de pur étonnement, prétend que la première pourrait vous faire du tort. Dieu m'en préserve! voilà la seule raison qui me fait l'écouter. Le fait est que c'est un damné tory, et je parierais bien qu'il y a de l'égoïsme au fond de ses objections. C'est l'allusion à l'Irlande qui n'a pas l'avantage de lui convenir; que le diable l'emporte, tout bon homme qu'il soit! Il est vrai que sans cela le diable ne voudrait pas se donner la peine de l'emporter.

»Faites votre choix; il n'y a que Murray et Dallas qui aient vu l'une ou l'autre; Dallas est entièrement de mon avis et préfère la première 95. Pour moi, mon seul but est de donner à vous et au monde un témoignage de l'admiration et de l'estime que j'ai pour vous. En fait de prose, je n'y connais rien; je ne distinguerais pas celle d'Addisson de celle de Johnson: toutefois, j'essaierai de corriger ma cacologie. Voyez, je vous prie, examinez; dans tous les cas, ne prenez en mauvaise part ni l'une ni l'autre dédicace.

Note 95: (retour) La première fut naturellement celle que je préférai. Voici la seconde:
7 janvier 1814.

Mon Cher Moore,

«Je vous avais écrit une longue dédicace que je supprime: elle contenait, il est vrai, sur vous bien des choses que beaucoup de gens eussent été charmés de lire, mais il y en avait trop sur la politique, la poésie, etc.; et elle se terminait par un sujet sur lequel un auteur est toujours trop prolixe, moi-même. J'aurais pu la recommencer; mais à quoi bon? Mes éloges n'eussent rien pu ajouter à votre réputation si brillante et si bien méritée; et quant à ma juste admiration pour vos talens, et aux charmes que je trouve dans votre commerce, ils vous sont suffisamment connus. En profitant de la permission que vous avez bien voulu m'accorder de vous dédier cet ouvrage, j'aurais voulu qu'il fût plus digne de vous être offert, et plus proportionné aux sentimens et à l'estime que je professe pour vous.

»Votre très-affectionné serviteur,»

BYRON.

»Ma dernière épître vous aurait probablement mis à la torture; mais le diable, qui doit être poli dans ces sortes de circonstances, l'a été dans celle-ci et l'a emportée en lieu convenable.
.................... .......................................................

»N'est-ce pas étrange? le sort auquel j'avais dit qu'elle avait échappé avec ***, elle y a succombé avec l'honorable ***. Ne pourrais-je pas élever des prétentions au titre de devin, comme M. Fitzgerald l'a fait dans le Morning-Herald, pour avoir prophétisé la chute de Buonaparte, que, par parenthèse, je ne crois pas encore rendu. Je voudrais qu'il prît le dessus et battît tous vos souverains légitimes; car j'ai une haine mortelle pour toutes, ces royales vieilleries. Mais je m'aperçois que je commence un traité de politique.

»Toujours tout à vous, etc.»

À M. MURRAY.

11 janvier 1814.

«Corrigez cette épreuve d'après M. Gifford et le manuscrit, surtout pour la ponctuation. J'ai ajouté quelque chose à Gulnare, pour remplir un peu la scène d'adieux et la renvoyer avec plus de cérémonie. Si vous ou M. Gifford n'en êtes pas content, c'est l'affaire d'un coup d'éponge et d'une demi-nuit mieux employée qu'à bâiller pour miss ***, qui, par parenthèse, pourrait bien me rendre bientôt le compliment.»

Mercredi ou jeudi.

»P. S. Je n'aime pas Mme de Staël, mais soyez convaincu qu'elle bat tous nos auteurs en jupons. Je ne le dirais pas, si je pouvais penser autrement.

»Présentez mes remerciemens à M. Gifford dans les termes les plus propres à lui faire sentir combien je suis pénétré de son obligeance. Je ne veux l'en persécuter de vive voix ni par écrit.»


À M. MOORE.

13 janvier 1814.

«Je n'ai qu'un moment pour écrire; mais tout est comme il devait être. Il s'en faut que j'aie dit de vous tout ce que je pense; mais si vous êtes content, cela me suffit. Voulez-vous me renvoyer l'épreuve par la poste? je quitte Londres samedi, et je n'ai pas d'autre copie corrigée. J'ai mis serviteur, comme moins familier dans une lettre publique; car je ne crois pas devoir présumer assez de votre amitié pour négliger les formes reçues. Quant à l'autre mot, soyez sûr que je ne saurais vous l'adresser ou le recevoir de vous trop souvent.

»J'écris dans une agonie de hâte et de confusion. Perdonate


LETTRE CLVII.

À M. MURRAY.

15 janvier 1814.

«Avant d'envoyer aucune autre épreuve à M. Gifford, il vaudrait autant revoir celle-ci, où il y a des mots omis, des fautes commises, et le diable sait quelles autres bévues! Quant à la dédicace, j'ai retranché la parenthèse de monsieur 96, mais pas un mot n'en bougera plus, si ce n'est pour faire place à un meilleur. M. Moore a vu les deux dédicaces, et décidément il préfère celle que, dans votre accès de bile tory, vous ne pouviez souffrir. Quand chaque syllabe y serait un serpent à sonnettes, chaque lettre une peste ambulante, il n'y sera rien changé. Ceux qui ne peuvent avaler mes expressions sur l'Irlande n'ont qu'à les bien mâcher; que M. Croker s'arme, s'il veut, de toutes pièces contre elles, je ne me soucie d'aucun de vous, excepté M. Gifford; et lui ne m'attaquera que si je le mérite, ce qui m'empêchera de murmurer contre sa justice. Quant aux poésies, dans l'ouvrage de M. Hobhouse, la traduction du Romaïque est assez bien: mais ce qu'il y a de mieux dans l'autre volume, je veux dire de ce qui est à moi, a déjà été imprimé. Faites, après tout, comme il vous plaira; seulement, comme je ne serai pas là quand vous paraîtrez, je vous conjure, vous et M. Dallas, de prendre garde à la correction des épreuves.

Note 96: (retour) Il avait d'abord, après les mots Scott seul, mis entre parenthèse: «Il m'excusera de ne pas dire M. Scott; nous ne disons pas M. César.»(Note de Moore.)

»Tout à vous.»

À M. MURRAY.

16 janvier 1814.

«Je crois que Satan n'a jamais créé ou perverti un diable de sot comme votre compositeur 97; je suis obligé de vous envoyer ci-joint la seconde épreuve, heureusement pour moi, corrigée, car il a pour les bévues un génie tout particulier. Imprimez d'après cette seconde épreuve.

Note 97: (retour) Les rages amusantes dans lesquelles le mettaient les fautes des typographes, il leur donnait carrière, non-seulement dans des billets séparés, mais souvent sur les épreuves elles-mêmes. Ainsi, le compositeur ayant mis dans un passage de la Dédicace: «Le plus estimé de ses bandes,» il écrivit en marge, «bardes, et non bandes! Vit-on jamais une faute d'impression si absurde?» Et en corrigeant un vers tronqué: «Ne passez pas de mots; c'est bien assez de les changer et de les mal orthographier.»(Note de Moore.)

»Brûlez l'autre.

«Corrigez aussi celle-ci sur l'autre pour certaines choses qui pourraient m'avoir échappé. Il avait fait une faute telle que je lui eusse certainement cassé les reins si elle fût demeurée.»


LETTRE CLVIII.

A M. MURRAY.

Newsteadt-Abbey, 22 janvier 1814.

«Vous, apprendrez sans doute avec plaisir que je suis arrivé ici bien portant. Mon retour dépendra du tems, qui est si mauvais que cette lettre aura à traverser autant de neiges que l'empereur en a trouvé dans sa retraite. Les routes sont impraticables, et le retour impossible, quant à présent; ce qui ne m'afflige nullement, car je suis ici fort à mon aise, et j'ai aujourd'hui vingt-six ans, un joli âge, s'il pouvait toujours durer. Notre charbon de terre est excellent, nos cheminées grandes, ma cave bien garnie, et ma tête vide, et puis je ne suis pas encore bien remis de ma joie d'être sorti de Londres. Si quelque chose d'inattendu survenait de la part de mes acquéreurs et que la vente ne tînt pas, je crois que je ne sortirais plus guère d'ici et que je laisserais croître ma barbe.

«J'oubliais à dire, et je crois en effet que je pouvais m'en dispenser; les vers qui commencent par Remember him, etc, ne doivent pas paraître avec le Corsaire. Vous pouvez les glisser parmi les petites pièces nouvellement jointes au Childe-Harold: mais, sous aucun prétexte, ne les accolez au Corsaire. Ayez la bonté de faire bien attention à cette recommandation.

»Les livres que j'ai apportés avec moi me sont d'un grand secours dans ma solitude, et j'en ai acheté d'autres chemin faisant. Enfin, je ne consulte jamais le thermomètre, et ne ferai pas de prières pour le dégel, à moins que je croie qu'il doive être la perte des envahisseurs de la France. A-t-on jamais rien vu de semblable à la proclamation de Blücher?

»Au moment où j'allais quitter Londres, Kemble a eu la politesse de m'engager à écrire une tragédie: je voudrais le pouvoir faire, mais ma rage d'écrire est apaisée; tant mieux, il en était grand tems. Si ma lettre se prolongeait davantage, vous croiriez qu'elle me reprend; ainsi adieu.

»Toujours tout à vous.

BYRON.

»P. S. Si vous apprenez quelque bataille, quelque retraite des alliés, comme ils ont l'effronterie de s'appeler, donnez-m'en avis, je vous prie. Je souhaite de tout mon cœur que les champs de la France s'engraissent du sang de ses envahisseurs. Je hais tous les envahisseurs, et je ne puis supporter de voir ces lâches se glorifier si fort des revers de celui dont le nom suffirait pour les rendre plus pâles que les neiges auxquelles ils doivent leurs triomphes.

»Je rouvre ma lettre pour vous remercier de la vôtre que je reçois à l'instant. Les vers À une dame qui pleure doivent paraître avec le Corsaire; je me soucie peu des conséquences à cet égard. Mes principes politiques sont pour moi, comme une jeune maîtresse à un vieillard; pires ils deviennent plus j'y suis attaché. Puisque M. Gifford aime la traduction de la romance portugaise 98, ajoutez-la aussi, je vous prie, à la suite du Corsaire.

Note 98: (retour) La jolie chanson portugaise, Tu mi chamas, etc. Il essaya de donner de cette idée ingénieuse, une autre traduction, peut-être encore plus heureuse, et qui, je crois n'a jamais été imprimée:

«Vous m'appelez toujours votre vie! Ah! changez ce mot; la vie est passagère comme le soupir de l'inconstant. Appelez-moi plutôt votre ame, ce mot serait plus juste; car l'ame, amie, ne saurait mourir!»

»Dans tous les cas où M. Gifford et M. Dallas ne seraient pas d'accord, suivez toujours l'opinion du premier, faites de même toutes les fois qu'il y aura contestation entre M. Gifford et M. Qui-que-ce-soit. Si je me trompe, je ne saurais qu'y faire; mais j'aimerais mieux, je crois, avoir tort avec lui, que raison avec un autre. Ainsi, voilà qui est convenu. Après toute la peine qu'il s'est donnée pour moi et mes ouvrages, je serais bien ingrat de penser et d'agir autrement. Outre qu'en fait de goût il n'y a personne à qui on le puisse comparer sans lui faire tort. En politique, il se peut qu'il ait aussi raison, mais chez moi, la politique est une affaire de sentiment, et je ne saurais toryfier mon naturel.»


LETTRE CLIX.

À M. MURRAY.

Newsteadt-Abbey, 4 février 1814.

«Je n'ai pas besoin de dire que votre lettre obligeante m'a été d'autant plus agréable que je l'attendais moins. Je suis certainement charmé que notre final ait plu, et qu'ainsi le rideau tombe avec grâce 99. Vous méritez ce succès, par la promptitude et l'obligeance que vous avez mises dans votre arrangement avec M. Dallas. Je puis vous assurer que je vous ai personnellement beaucoup d'obligations d'avoir pris la chose si fort à cœur et de vous être si fort empressé de m'annoncer le succès. Nous allons maintenant nous quitter, et, je l'espère, satisfaits l'un de l'autre. J'étais et suis encore sérieux dans la promesse consignée dans le Corsaire, de ne plus importuner le public: ce n'est pas une affectation puérile; je suis convaincu que c'est le meilleur parti à prendre, c'est du moins le plus respectueux envers mes lecteurs, puisque c'est leur montrer que je ne m'exposerai pas davantage à perdre, par des ouvrages postérieurs, la faveur avec laquelle les miens ont été accueillis jusqu'à ce jour. J'ajouterai que j'ai d'autres vues, d'autres desseins, et que je tiendrai, je crois, ma résolution, car depuis que je suis ici, quoique j'y sois confiné tantôt par la neige, tantôt par le dégel, que j'aie du papier de toutes les qualités, l'encre la plus sale, et les plumes les plus mauvaises qu'il se puisse imaginer, je n'ai jamais été tenté de les mettre en usage combiné, si ce n'est pour des lettres d'affaires. Ma rage de rimer est presque passée: je suis comme à Patras quand la fièvre m'avait quitté; je me sens faible, mais bien portant et ne craignant rien qu'une rechute. J'espère cependant avec ferveur que je n'en aurai pas.

Note 99: (retour) On se rappellera qu'il avait annoncé le Corsaire, comme le dernier ouvrage qu'il dût donner, au moins de quelques années.

»Je vois dans le Morning-Chronicle qu'il y a eu des discussions dans le Courrier, et je lis dans le Morning-Post une lettre virulente contre M. Moore, où un lecteur protestant prend fort singulièrement l'Inde pour l'Irlande.

»Vous ferez comme il vous plaira quant aux petits poèmes; mais je crois que, si nous les séparions en ce moment du Corsaire, nous aurions l'air d'avoir peur: ce qui, vous me permettrez de le dire, n'aurait rien d'agréable pour moi. J'ai lieu de supposer aussi après que la grande colère de messieurs les journalistes sera un peu calmée, que ces petits poèmes pourront amener un plus grand débit du Corsaire, objet plus important pour vous, ce me semble, qu'une septième édition de Childe-Harold. Du reste, faites comme vous voudrez, pourvu que la disparition de la pièce en question ne m'attire pas le reproche de crainte.

»Présentez, je vous prie, mes complimens respectueux à M. Ward; je fais, comme vous le savez bien, le plus grand cas de l'approbation qu'il veut bien m'accorder. Ce sont les éloges d'hommes tels que lui qui donnent seuls du prix à la renommée. Loin de diminuer, ma reconnaissance pour M. Gifford n'a fait naturellement qu'augmenter. Adieu donc le métier d'auteur.

»J'ai passé mon tems ici à courir sans but ou à dormir; somme toute, je ne m'y suis pas ennuyé. Vous apprendrez sans doute avec plaisir que je suis parvenu à établir dans la forme voulue tous mes titres pour la vente, que mon acquéreur a été obligé d'accepter mes conditions, qu'il les remplit ou les remplira dans peu. Il est ici en ce moment; nous vivons fort bien ensemble, lui dans une aile de l'abbaye, moi dans l'autre, et nous en partons dimanche, moi pour Londres, et lui pour Cheshire.

»Mrs. Leigh est avec moi, fort contente de ce domaine, fort mécontente de ce que je m'en défais, ce dont rien ne la peut consoler, pas même le prix élevé que j'en retire. Votre paquet n'est pas encore arrivé, du moins les Magazines, car j'ai reçu Childe-Harold et le Corsaire. Tous deux paraissent bien imprimés, ce qui me fait beaucoup de plaisir.

»Je vous remercie de désirer me voir à Londres; mais je crois qu'on jouit mieux d'un succès à distance: pour moi, je savoure ici mon importance personnelle, et mon nouveau triomphe avec un égoïsme auquel la solitude ajoute un nouveau charme: le tout sur la foi de votre lettre, dont je vous remercie encore une fois.

»Je suis bien sincèrement, etc.

»P. S. Ne pensez-vous pas que la première publication de Buonaparte coûtera cher aux alliés? La lettre de Paris, publiée hier par Perry, ranime mes espérances. Quelle hydre! quel Briarée! Je voudrais qu'ils fissent la paix; cette guerre n'a pas de fin.»


LETTRE CLX.

À M. MURRAY.

Newsteadt-Abbey, 5 février 1814.

«J'ai entièrement oublié de vous dire hier, en vous répondant, que je n'ai aucuns moyens de vérifier si ce forban de libraire à Newark s'est, comme vous le dites, permis de réimprimer les Hours of Idleness. S'il l'a fait, c'est un malheureux, un infâme misérable, et si son offense peut être atteinte par les lois ou par le pugilat, il sera mis à l'amende et battu. Essayez de découvrir quelque chose; de mon côté je vais prendre des informations ici. Peut-être quelque autre aura-t-il continué l'impression à Londres, et mis un faux titre.

»Vous avez omis le fac-simile dans Childe-Harold, ce qui fait un effet d'autant plus singulier qu'il y a une note expressément à ce sujet. Replacez-le, je vous prie, comme à l'ordinaire.

»Après y avoir pensé deux et trois fois, je crois qu'en séparant les poésies fugitives du Corsaire, même pour les annexer au Childe-Harold, nous aurions l'air d'avoir peur et de reculer devant tout le bruit que les Torys ont fait pour l'une de ces petites pièces. Remettez-les donc, je vous prie, à la suite du Corsaire. Je suis fâché que le Childe-Harold ait besoin d'un pareil secours pour se soutenir; mais, si vous vous le rappelez, je vous ai dit que sa vogue ne serait pas de longue durée. Il est très-heureux pour un auteur de s'être fait d'avance à l'idée que son succès n'aurait qu'un tems. La vérité est que je ne pense pas qu'aucun des écrivains contemporains, du moins de ceux qui n'ont point flatté l'espèce humaine, doive attendre beaucoup de la postérité. Vous le prendrez peut-être pour de l'affectation; mais le succès de mon nouvel ouvrage et celui des précédens m'ont toujours paru chose fort extraordinaire, étant obtenus en dépit de tant de préjugés. Je crois en vérité que les gens aiment à se voir contredire. Si le Childe-Harold mollit, peut-être ne vaut-il plus la peine que vous fassiez les frais des gravures: comme il vous plaira; je ne me mêle plus de rien, et les vers suivans, composés il y a quelques années, et gravés sur ma coupe taillée dans un crâne humain, sont les derniers dont je vous importunerai de long-tems. S'ils sont de votre goût, ajoutez-les à Childe-Harold, ne fût-ce que pour leur donner une nouvelle occasion de crier. Ma réponse d'hier était si longue que je n'abuserai pas plus long-tems de votre patience, et me contenterai de vous renouveler l'assurance des sentimens avec lesquels je suis

»Votre, etc.

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