Œuvres complètes de lord Byron, Tome 10: comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore
»P. S. En réimprimant, si vous avez occasion, vous prendrez naturellement garder à la correction. Cette édition n'en manque pas, excepté pourtant dans la dernière note au Childe-Harold, où le mot responsible se trouve deux fois répété, très-près l'un de l'autre; changez le second en answerable 100.»
À M. MURRAY.
«Me voici arrivé ici, en route pour Londres. Maître Ridge, l'imprimeur en question, convient qu'il a réimprimé quelques feuilles pour compléter un petit nombre d'exemplaires restans. Je lui ai lavé la tête comme il faut, le menaçant, s'il y revient, de le poursuivre en contrefaçon, en dommages et intérêts, etc; j'en ai le pouvoir, n'ayant jamais aliéné mon droit de propriété; enfin de lui faire éprouver tous les désagrémens que mérite son mauvais procédé. Si le tems ne se gâte pas de nouveau, j'espère être en ville demain ou après.
»Tout à vous, etc.»
À M. MURRAY.
.......................................................
«Ces huit vers ont mis tous les journaux singulièrement en émoi,
particulièrement le Morning-Post, qui a découvert que je suis une
sorte de Richard III, difforme d'esprit et de corps. Cette dernière
injure n'a rien de nouveau pour un homme qui a passé cinq ans dans une
école publique.
»Je suis réellement fâché que vous ayez retranché ces vers pour les mettre à la suite du Childe-Harold; reportez-les, je vous prie, à leur ancienne place, à la fin du Corsaire.»
LETTRE CLXI.
À M. HODGSON.
«Un de mes amis, jeune homme de beaucoup d'espérance, M. Reynolds, vient de publier un poème intitulé Safie, imprimé par Cawthorne. Il a grand'peur de ce qu'en diront les Revues, et non sans motif; et comme nous savons, vous et moi, par expérience, l'effet des premières critiques sur un jeune homme, je vous serais obligé de vous charger de sa production et de la disséquer avec le plus de ménagemens possible. Je ne le saurais faire moi-même, parce que l'ouvrage m'est dédié; mais ce n'est pas la seule raison qui me fait désirer de le voir traiter avec indulgence; la plus forte est que je sais trop par expérience l'impression que font sur un jeune esprit des critiques trop sévères sur un premier essai.
»Maintenant, parlons de moi-même. Mes remerciemens, je vous prie, à votre cousin; la chose est absolument comme je la désirais, peut-être un autre la trouverait-il trop forte. J'espère que vous vous portez à merveille et que tout vous réussit, du moins je le désire. Que la paix soit avec vous. Toujours tout à vous, mon cher ami.»
LETTRE CLXII.
À M. MOORE.
«Je suis arrivé hier soir à Londres après trois semaines d'absence, que j'ai passées tranquillement et agréablement dans le Nottinghamshire. Vous n'avez pas idée du bruit qu'occasione la réimpression des huit vers sur les larmes d'une jeune princesse, publiés déjà en 1812. Le régent, qui les avait toujours cru de vous, sachant maintenant qu'ils sont de moi, s'avise, Dieu sait pourquoi, d'en être peiné plutôt qu'irrité. Depuis ce moment, le Morning-Post, le Sun, l'Herald, le Courrier, tous sont déchaînés contre moi. Murray est effrayé; il voulait gauchir. Il est certain que les injures pleuvent sur moi de tous côtés; quelques-unes sont dites avec talent, toutes le sont de grand cœur. Je sens un peu de componction de savoir le régent peiné, j'aimerais mieux qu'il fût irrité; mais, après tout, je ne le crains pas.
»Vous avez probablement vu quelques-unes de ces attaques contre moi. Ma personne matérielle elle-même, excellent sujet par parenthèse, est décrite en vers qui offrent avec elle d'autant plus d'analogie, qu'ils sont pour la plupart boiteux. Puis, dans un autre, je suis un athée, un rebelle, et enfin le diable (boiteux, je suppose). Il paraît que c'est une femme qui m'a démonisé; s'il en est ainsi, je pourrais peut-être lui prouver que je ne suis qu'un simple mortel, si l'on s'en rapporte aux paroles d'une reine des Amazones qui dit: Αρισλον χολος οιφει. Je cite de mémoire, mon grec est probablement fautif; mais ce passage veut dire.....
»Sérieusement, je suis dans ce que les gens instruits nomment un dilemme, et le vulgaire un bourbier; mes amis me conseillent de ne pas prendre la chose trop à cœur, comme sir Fretful 101, je leur réponds que je suis entièrement calme, tandis que je n'en suis pas moins en furie.
»Quand j'en étais là, est arrivé un ami, avec lequel j'ai ri et bavardé si bien, que j'ai perdu le fil de mes idées, et comme je ne veux pas vous les envoyer décousues, je vous souhaite le bonjour.
»Croyez-moi toujours, etc.
»P. S. Pendant mon absence, Murray a omis les larmes dans plusieurs exemplaires; je l'ai forcé à les remettre et suis bien ennuyé de tous ses scrupules. Puisque le vin est versé, il faut le boire jusqu'à la lie.»
A M. MURRAY.
«Je suis beaucoup mieux, ou même je suis tout-à-fait bien ce matin. J'ai reçu deux Anas; je présume qu'il y en a d'autres, et quelque chose encore avant, à quoi s'adressait la réponse du Morning-Chronicle. Vous avez aussi parlé d'une parodie sur le crâne: je désire voir tout cela; il pourrait s'y trouver des choses auxquelles il fallût répondre de la plume ou autrement.
»Tout à vous, etc.
»P. S. Ne vous donnez pas la peine de me répondre, seulement envoyez-moi tout cela dès que vous le pourrez.»
A M. MURRAY.
«Si vous avez quelques exemplaires des Lettres Interceptées, lady Holland en désirerait un, et quand vous aurez servi tous les autres, vous aurez la bonté de songer à votre serviteur.
»Vous m'avez joué un tour infâme par cette suppression peu judicieuse opérée contre ma volonté expresse. Quelques-uns des journaux ont déjà commencé à dire ce qu'on devait s'attendre qu'ils diraient. Or, puisque je ne tremble pas, je ne veux pas que vous m'en donniez l'air: non, quand même ma personne et tout ce qui m'appartient devrait périr avec ma mémoire.
»Tout à vous, etc.
»P. S. Faites attention, je vous prie, à ce que je vous ai dit hier sur les choses techniques.»
LETTRE CLXIII.
À M. MURRAY.
«Hier, avant de quitter Londres, je vous ai écrit un billet; j'espère que vous l'avez reçu. J'ai entendu tant de récits différens de vos procédés, ou plutôt de ceux des autres envers vous, en conséquence de la publication de ces vers immortels, que je suis impatient de recevoir de vous un compte détaillé et positif de toute cette affaire. Certes, ce n'est pas sur vous que doivent retomber la responsabilité, le blâme et les effets quelconques de cette publication. Je ne m'oppose pas du tout à ce que vous disiez aussi publiquement et aussi distinctement que vous le voudrez, quelle a été votre répugnance à publier les vers en question, et comment vous y avez été forcé par mon opiniâtreté. Adoptez telle mesure que vous croirez propre à vous disculper; mais laissez-moi me défendre comme je l'entendrai, et, je vous le répète, ne me compromettez par rien qui ressemble à de la peur de mon côté; mais pour vous, encore une fois, justifiez-vous par tous les moyens que vous voudrez.
»Tout à vous, etc.»
LETTRE CLXIV.
À M. ROGERS.
Mon Cher Rogers,
«J'ai écrit brièvement, mais clairement, j'espère, à lord Holland sur ce qui a fait depuis peu le sujet de toutes mes conversations avec vous et avec lui 102. A la tournure que prennent les choses, je crois que ma résolution doit être maintenant inébranlable.
»Je vous le déclare dans la sincérité de mon ame, il n'y a pas un homme vivant de l'estime duquel je fasse plus de cas que de celle de lord Holland, et, s'il s'agissait de lui seul, je descendrais jusqu'à des humiliations, sans songer aucunement à l'avenir, et seulement pour lui marquer combien je suis touché de sa conduite à mon égard pour le passé. Quant au reste, il me semble que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir en supprimant la satire. Si cela ne leur suffit pas, ils feront comme ils voudront. Mais je n'enseignerai pas ma langue à dire des bassesses. Vous serez probablement chez le marquis de Lansdowne ce soir; j'y suis invité, mais je ne sais si j'irai. Hobhouse y sera; je crois que vous l'aimeriez si vous le connaissiez bien.
»Croyez-moi toujours votre très-affectionné,»
LETTRE CLXV.
À M. ROGERS.
«Si lord Holland est satisfait, en ce qui touche lui et sa femme, comme il le déclare par sa lettre, c'est tout ce que je puis désirer.
»Quant à l'impression que produira sur le public la résurrection des vers contre lord Carlisle, elle sera toute à son avantage, et contre moi.
»Tous les mots, toutes les actions du monde ne m'arracheront pas une autre parole de paix à l'égard de qui que ce soit. Je supporterai tout ce qui sera supportable, et ce que je pourrai endurer, j'y résisterai. Le pis qu'ils pourraient me faire serait de m'exclure de la société. Je ne l'ai jamais recherchée; j'ajouterai même, dans le sens général du mot, je n'en ai jamais joui, et puis il y a un autre monde ailleurs.
»Ce qui deviendrait par trop injurieux, j'ai les mêmes moyens que les autres de m'en venger, et avec intérêt si les circonstances l'exigent.
»Il n'y a que la nécessité de suivre mon régime qui m'empêche de dîner avec vous demain.
»Toujours tout à vous,»
LETTRE CLXVI.
À M. MOORE.
«Soyez sûr que les seuls piquans dont le royal porc-épic soit armé contre moi sont ceux qui n'ont d'autres propriétés que celles de la torpille, et dont tout l'effet sera d'engourdir quelques-uns de mes amis. Pour moi, je me tiens tranquille et garde le silence. La fréquente répétition des attaques a affaibli leur effet sur moi, si tant il y a qu'elles en aient jamais eu aucun, car pour peu qu'elles en eussent eu, je n'aurais pu retenir ni mes doigts ni ma langue. C'est quelque chose de nouveau d'attaquer un homme parce qu'il renonce à ses ressentimens. Je savais bien qu'il y a quelque chose de bas à injurier ceux qu'on a loués auparavant, mais je ne savais pas qu'il fût honteux de me forcer à rendre justice à ceux qui n'ont point attendu que j'aie fait amende honorable des folies et des préjugés de ma jeunesse pour m'admettre dans leur amitié, quand ils avaient encore tant de droits de me traiter en ennemi.
»Vous voyez bien que, comme sir Francis Wronghead 103, il faut que j'aie fait ma fortune intentionnellement. Il vaudrait mieux qu'il y eût plus de mérite dans mon indépendance, mais aujourd'hui c'est quelque chose que d'être indépendant pour quelque cause que ce soit; et moins on est tenté de ne l'être pas, plus la chose est rare dans ces tems de servilité paradoxale. Je crois que jusqu'ici nos haines et nos affections ont été généralement les mêmes: à dater de ce moment il faut qu'elles le soient sans exception. Maintenant, aux armes! la plume suffira pour commencer, en attendant qu'on en prenne de plus tranchantes.
»Vous ne vous faites pas idée de la solennité risible avec laquelle ces deux stances ont été traitées. Le Morning-Post parle d'une motion dans la chambre des lords à ce sujet, et Dieu sait quelles autres mesures après, et tout cela, comme disent les Mille et Une Nuits, pour avoir fait une tarte à la crème sans poivre. Je crois que la destruction de la douane a un peu suspendu la mienne; ajoutez à cela que la dernière bataille de Buonaparte à usurpé la colonne qui m'était ordinairement réservée.
»J'extrais ci-joint, du Morning-Post d'aujourd'hui, ce qui a paru de mieux contre cette insolente rapsodie, comme l'appelle le Courrier. Il y avait dans la même feuille, il y a quelques jours, un article sur mon régime étant enfant, un article qui n'était pas mauvais du tout; mais le reste ne vaut absolument rien.
»Je réfléchirai au conseil que vous me donnez quant à la tribune publique; je ne m'y suis jamais sérieusement destiné, et je suis devenu aussi ennuyé que Salomon de tout et surtout de moi-même. C'est ce que les gens comme il faut appellent devenir philosophe, et les gens du peuple devenir hébété. Je suis toujours charmé d'une bénédiction 104: répétez bientôt la vôtre, ou du moins votre lettre; je sous-entendrai la bénédiction, ou plutôt je la trouverai dans le fait même de la lettre.
»Toujours tout à vous, etc.»
LETTRE CLXVII.
À M. DALLAS.
«Le Courrier de ce soir m'accuse d'avoir tiré de mes ouvrages de grandes sommes, et de les avoir mises en poche. Je n'ai encore reçu un sou pour aucun d'eux et j'espère ne jamais rien recevoir. M. Murray m'a offert 1,000 livres sterling du Giaour et de la Fiancée, j'ai dit que c'était trop, et que si après six mois il croyait encore pouvoir donner cette somme, je lui indiquerais quel emploi il en devrait faire. Mais, ni à cette époque, ni à aucune autre, je n'ai appliqué à mon propre usage le bénéfice d'un seul des ouvrages que j'aie écrits. J'ai refusé 400 livres sterling de la réimpression de la satire, et jamais je n'ai tiré un sou des éditions précédentes. Je ne désire pas vous voir faire rien qui puisse vous être désagréable, je n'ai jamais prétendu mettre aucune condition aux légers services que je puis avoir eu le bonheur de vous rendre, et je ne vois rien pour vous d'humiliant dans l'action de les avoir acceptés. C'était un simple don offert à un homme infiniment respectable par un autre qui l'est beaucoup moins.
»M. Murray va contredire ce que le Courrier et les autres journaux ont avancé à cet égard, mais votre nom ne sera pas cité; de votre côté, vous êtes libre et ferez absolument ce qu'il vous conviendra. J'espère seulement que vous resterez convaincu que je n'ai pas la plus légère idée d'abuser du bonheur que j'ai eu en saisissant l'occasion de vous être utile.
»Toujours tout à vous, etc.»
En conséquence de cette lettre, M. Dallas en adressa une aux journaux, dont voici un extrait, le reste n'offrant qu'une justification assez maladroite de son noble bienfaiteur au sujet des stances attaquées.
À L'ÉDITEUR DU MORNING-POST.
Monsieur,
«J'ai lu dans un journal du soir le paragraphe où Lord Byron est accusé d'avoir retiré de ses ouvrages de grandes sommes d'argent et de les avoir exigées. Je ne me figure pas qu'aucun de ceux qui le connaissent l'en puisse un moment soupçonner, mais puisque l'assertion à été publique, je crois devoir à Lord Byron de la démentir publiquement. Tel est mon but en vous adressant la présente, et je suis charmé de profiter de cette occasion pour rappeler un fait que j'avais depuis long-tems envie de publier; envie à laquelle je n'ai résisté que dans la crainte qu'on ne me crût poussé à cette démarche par sa seigneurie.
»Je prends sur moi d'affirmer que jamais Lord Byron n'a reçu un shilling de ses ouvrages. Il est à ma connaissance certaine qu'il a laissé à l'éditeur tout le profit de sa Satire. Dans mon épître dédicatoire de la nouvelle édition de mes contes, j'ai publiquement reconnu le don de la propriété de Childe-Harold, j'ai maintenant à y ajouter, l'expression de ma reconnaissance, non-seulement pour le don de celle du Corsaire, mais encore pour la manière délicate et affectueuse dont il m'a été fait avant même qu'il ne fût livré à l'impression. Quant aux deux autres poèmes, le Giaour et la Fiancée, M. Murray peut attester que Lord Byron n'a pas touché un sou de leur prix, et que pas un sou n'en a été approprié à son usage. Après avoir ainsi rétabli la vérité des faits, je ne puis m'empêcher de m'étonner qu'on ait jamais songé à lui faire un sujet de reproche, d'avoir touché l'argent provenant de ses ouvrages. Ni le rang ni la fortune ne rendent de semblables produits indignes d'un homme honorable; quelle différence y a-t-il pour l'honneur ou la délicatesse d'employer le produit d'un livre à faire du bien, ou d'en abandonner la propriété, dans la même intention, à un autre? Je diffère d'opinion sur ce point et sur quelques autres avec Lord Byron; et il a toujours dans ses paroles et ses actes montré la plus grande répugnance à recevoir l'argent de ses ouvrages.»
LETTRE CLXVIII.
À M. MOORE.
«Dallas eût peut-être mieux fait de garder le silence; mais comme c'était essentiellement son affaire, que les faits qu'il avance sont exacts, que son motif est honorable, je lui souhaite de bien s'en tirer. Quant à son interprétation des fameux vers, libre à lui et à qui que ce soit de les entendre comme bon leur semblera. J'ai gardé le silence jusqu'ici et je continuerai à le garder à moins que quelque circonstance tout-à-fait particulière ne me force à le rompre. Vous, ne dites pas un mot, je vous prie. Si quelqu'un doit parler, c'est celui qui y est le plus intéressé. Ce qui m'amuse singulièrement, c'est que chacun me désigne, comme l'auteur de l'injure qui m'est faite, la personne qu'il hait personnellement le plus! Quelques-uns disent que c'est C...r, d'autres C...e, d'autres F...d, etc., etc. Pour moi, je ne sais encore qui, j'en suis encore aux conjectures. Si je le découvre et que ce soit un malheureux gagiste, je le laisserai gagner son salaire; mais si c'est ce qu'on appelle un honnête homme, il faudra dégaîner.
»J'avais quelqu'envie de demander directement à C...r s'il s'en reconnaissait l'auteur, mais H... qui, j'en suis sûr, ne m'en voudrait pas dissuader, s'il croyait que cela convînt, m'a dit absolument de n'en rien faire, que je n'avais pas ce droit sur un simple soupçon, etc., etc. Si H... a raison ou non, je l'ignore, mais je sais qu'il ne voudrait jamais m'empêcher de faire ce qu'il regarderait comme le devoir d'un preux chevalier. Dans des affaires de cette nature, au moins dans ce pays-ci, il faut suivre les usages reçus. En m'occupant de celle-ci, je le fais comme si elle n'était pas la mienne. Tout homme, si la nécessité le veut, est, et doit être, prêt à se battre. Dans le cas présent je n'y apporterais pas beaucoup de ressentiment, à moins qu'on ne vienne à y mêler le nom d'une femme que j'aime; car il y a plusieurs années que je ne me suis mis sérieusement en colère. Mais si je découvre mon homme, et qu'il en vaille la peine, je ferai indubitablement mon devoir.
»... était fort irrité, mais il essayait de le dissimuler. Vous n'êtes point du tout appelé à reconnaître le Twopenny; vous leur rendriez service en le faisant, et voilà tout. Ne voyez-vous pas que le but de tout cet éclat est de nous mettre, lui, vous et moi et tous les autres, aux prises (surtout ceux qui sont dans une bonne position), et qu'ils y ont presque réussi. Lord Holland voulait que je fisse des concessions à lord Carlisle... Au diable plutôt qu'à cet homme qui m'a si mal traité. Je lui ai répondu que je ne ferai ni concession, ni rétractation; je garderai le silence, à moins qu'il ne se présente occasion de dire encore quelque chose d'honnête pour lui, lord Holland ou pour sa femme, qui, depuis, se sont toujours montrés mes amis. La chose en est restée là; le moment était mal choisi pour des concessions à lord Carlisle.
»J'ai été interrompu, mais je vous récrirai bientôt. Croyez-moi toujours, mon cher Moore, etc.»
Un autre de ses amis ayant exprimé l'intention d'entreprendre volontairement sa défense publique, il ne perdit point de tems, pour l'en empêcher, par l'excellente lettre qui suit.
LETTRE CLXIX.
À W... W... ESQUIRE.
Mon Cher W...,
«Je n'ai que peu de tems pour vous écrire. Le silence est la seule réponse aux choses dont vous parlez, et je ne regarderais pas comme mon ami celui qui dirait un mot de plus à ce sujet. Je me soucie peu des attaques, mais je ne veux pas me soumettre à des défenses. J'espère et je suis sûr que vous n'avez jamais songé sérieusement à vous engager dans une controverse si ridicule. La lettre de Dallas lui fait honneur, il n'a fait qu'établir des faits dont il avait bien droit de parler. Je n'ai jamais fait publiquement, et je ne permettrai à personne de faire la moindre attention à toutes ces accusations. Si je découvre le calomniateur, peut-être agirai-je autrement; mais alors je ne me contenterai pas d'écrire.
»Une expression de votre lettre m'a porté à vous écrire cette lettre et à vous supplier de ne vous mêler en aucune sorte de cette affaire; il n'en est déjà presque plus question, et, croyez-moi, ils sont plus vexés de mon silence qu'ils ne le sauraient être de la meilleure défense du monde. Je ne connais rien qui me contrarierait autant qu'une nouvelle réplique là-dessus.
»Tout à vous, etc.»
LETTRE CLXX
À M. MOORE.
Mon Cher Ami,
«J'ai grande envie de vous écrire que je suis tout-à-fait indisposé; ne fût-ce que pour vous faire venir à Londres; il n'y a personne que je serais plus désireux d'y voir, personne auprès de qui je chercherais plus volontiers des consolations dans mes momens de tristes vapeurs. La vérité est que je ne manque pas de tristes sujets de réflexions, mais cela vient d'autres causes. Quand nous serons tous deux de vieilles gens, je vous dirai un conte des tems passés et des tems actuels; et ce n'est pas manque de confiance si je ne vous le dis aujourd'hui, mais... mais... toujours un mais à la fin du chapitre.
»Il n'y a rien ici à aimer ou à haïr; mais certainement j'ai des sujets pour tous les deux à peu de distance, outre que je suis embarrassé en ce moment, entre trois femmes que je connais, et une que je ne connais pas, ou du moins dont le nom m'est inconnu. Tout cela irait encore bien si je n'avais pas un cœur; mais, malheureusement j'en ai encore un, quoique en assez mauvais état, et il a conservé l'habitude de s'attacher à une seule, que je le veuille ou non. Je commence à penser que l'axiome divide et impera n'est bon qu'en politique.
»Si je rencontre le crapaud, comme vous l'appelez, je lui marcherai sur la tête, et je mettrai des clous à mes souliers, pour qu'il le sente mieux. Je ne m'informe guère de l'effet de toutes ces belles choses, et elles n'en ont guère non plus sur moi. Je crois qu'elles ont fait plus d'impression sur *** que sur aucun de nous. Les gens sont assez polis; je n'ai pas manqué d'invitation, mais je n'en ai accepté aucune. Je suis très-peu allé dans le monde l'année passée, et j'ai dessein d'y aller encore moins celle-ci. Je n'ai pas de goût pour les assemblées, et j'ai long-tems regretté de m'être livré à ce que l'on appelle la vie de Londres, ce qui, de toutes les vies que j'ai vues (et j'en ai vu presque autant qu'il y en a dans Plutarque), me semble laisser le moins de tems pour songer au passé ou à l'avenir.
»Où en est votre poème? ne le négligez pas, et je ne crains rien pour lui. Je n'ai pas besoin de vous dire que votre réputation m'est chère: en vérité, je pourrais dire plus chère que la mienne; car depuis quelque tems, je commence à penser que mes ouvrages ont été loués bien au-delà de leur valeur: dans tous les cas, j'ai cessé pour jamais d'écrire. Je puis vous dire à vous ce que je ne dirais pas à tout le monde; mes deux derniers poèmes ont été écrits, l'un en quatre jours, et l'autre en dix 105. Je trouve que c'est là un aveu humiliant; il prouve mon manque de sens de publier, et celui du public de lire des choses qui ne sauraient avoir assez de mérite pour demeurer.
Note 105: (retour) Quand il dit qu'il n'a donné que quatre jours à la composition de la Fiancée, il faut entendre qu'il parle du premier jet, car les additions successives qu'il y a faites lui ont coûté bien plus de tems. Le Corsaire, au contraire, fut fait d'un seul coup: il n'y eut après que fort peu de changemens et d'additions; et la rapidité avec laquelle il fut composé, près de deux cents vers par jour, paraîtrait presqu'incroyable, si nous n'avions son propre témoignage et celui de son libraire pour nous empêcher d'en douter. Si l'on tient compte de la beauté surprenante de cet ouvrage, une telle promptitude d'exécution est presque sans exemple dans l'histoire du génie, et montre qu'écrire de passion, comme le dit Rousseau, est peut-être une route plus sûre pour arriver à la perfection que toutes celles que l'art a tracées.
»Je n'ai pas peur que vous ne vous pressiez trop, j'en ai moins encore que vous puissiez ne pas réussir. Mais je crois qu'un an est un terme assez long pour une composition qui ne doit pas être épique. Il faut même que le nonum prematur d'Horace ait été inventé pour les millénaires ou quelque génération qui devait vivre plus long-tems que la nôtre. Je ne sais même ce que nous aurions aujourd'hui de lui, s'il avait suivi sa propre règle à la lettre. Que la paix soit avec vous! Rappelez-vous que je suis toujours, etc.
»P. S. Je n'ai jamais eu connaissance du bruit dont vous parlez, ni probablement de bien d'autres; mais, naturellement, vous avez comme les autres hommes d'excellens amis, que le diable puisse emporter, qui font leur devoir à l'ordinaire. Une chose qui vous fera rire.»
LETTRE CLXXI.
À M. MOORE.
«Voyez toujours l'avenir en noir et vous vous tromperez rarement. Je ne vous en dirai pas davantage à présent, et pourtant peut-être... mais n'importe. J'espère que nous serons réunis un jour, et quelque nombre d'années qui s'écoulent avant ou après ce jour-là, je le marquerai d'une pierre blanche, dans mon calendrier. Je ne suis pas sûr de ne me pas retrouver dans votre voisinage. Si cela arrive, et que je sois célibataire alors, comme il y a gros à parier, je fondrai chez vous, je vous enlèverai chez moi, et m'efforcerai de vous faire excuser la mauvaise chère que vous y trouverez, par le bon visage que je vous y ferai. Mettant toujours le sexe à part, je ne connais personne que je serais plus aise de revoir.
»Je n'ai rien du genre que vous désirez, si ce n'est les vers sur les larmes, s'il vous convient de les insérer dans votre Post-Bag; pour moi je désire leur donner toute la publication possible. Ceux sur le caveau 106 sont tout-à-fait de nature à être attaqués devant les tribunaux, et les imprimer, ce serait mettre l'éditeur dans un danger réel. Mais je crois que les larmes ont tous les droits du monde d'entrer dans votre recueil, et l'éditeur, quel qu'il soit, pourrait y joindre ou non une note facétieuse, selon qu'il lui plairait.
»Je ne sais comment les vers sur le caveau ont ainsi circulé; cela est par trop farouche, mais la vérité c'est que ma satire n'est jamais à l'eau de roses. J'ai dans ma tête le plan d'une épître à lui et sur lui 107, que je pourrais bien exécuter, s'ils ne me laissent pas tranquille. Je n'aurais rien, ou peu de chose à dire de moi-même. Quant à la gaîté et au plaisant, ce n'a jamais été mon fait, mais je suis assez en fonds d'amertume et de mépris, et, avec mon Juvénal devant moi, je lui ferai peut-être un sermon tel qu'il n'en a jamais entendu à la cour. D'après certaines particularités qui sont venues à ma connaissance, pour ainsi dire par hasard, je sais mon homme par cœur, et je pourrais lui dire quel il est.
»Je voulais, mon cher Moore, vous écrire une longue lettre, le tems ne me le permet pas.
»P. S. Réfléchissez-y encore une fois avant de vous décider à retarder la publication de votre poème. Voici venir un jeune poète, plus âgé que moi, par parenthèse, mais plus nouveau dans le métier, M. G. Knight, avec un volume de contes orientaux, écrits depuis son retour, car il est allé dans le pays. Il me fit consulter l'été dernier, et je lui conseillai d'en écrire un dans chaque mesure, n'ayant, à cette époque, aucune intention de faire précisément la même chose. Depuis, par l'habitude où je suis de composer toujours dans un accès de fièvre, je l'ai devancé du mètre, mais sans aucune intention. Quant à ses histoires, je ne les connais pas, ne les ayant jamais vues 108; mais il a aussi, comme dans le Giaour, une femme dans un sac, à ce qu'il m'a dit à cette époque.
»La meilleure manière de forcer le public à m'oublier, c'est de l'occuper de vous. Vous ne pouvez supposer que je voulusse vous demander ou vous conseiller de rien publier, si je pensais que vous dussiez ne pas réussir. En vérité, je n'ai point de jalousie en littérature; et je ne crois pas qu'un ami ait jamais souhaité le succès de son ami, plus vivement que je souhaite le vôtre. C'est la maladie des vieillards de ne pouvoir supporter de frère près du trône; nous ne vivrons, j'espère, pas assez long-tems pour connaître jamais cette faiblesse-là. Je voudrais que vous parussiez avant qu'on n'offrît au public d'autres sujets orientaux.»
LETTRE CLXXII.
À M. MURRAY.
«Je n'ai pas le tems de lire tout l'ouvrage 109; mais ce que j'en ai vu, vers et prose, me semble fort bien écrit; il est vrai que je ne saurais être juge, au moins un juge désintéressé dans la question. Je n'y ai rien vu qui doive vous faire hésiter à le publier à cause de moi. Si l'auteur n'est pas le docteur Busby lui-même, je ne vois pas pourquoi le dédier à ses souscripteurs; je ne comprends pas en effet ce que le docteur peut avoir à faire là-dedans, si ce n'est peut-être comme traducteur des doctrines de Lucrèce, dont, à coup sûr, il n'est pas responsable. Je vous le dis ouvertement et franchement, si cet ouvrage doit être publié, je ne vois aucune raison au monde qui empêche que ce ne soit par vous; vous ne sauriez, au contraire, me faire un compliment plus flatteur sur la bonté et la loyauté de mon caractère, qu'en publiant cet ouvrage et tout autre où je serai honorablement attaqué sans intention haineuse; et certes, pour ce que j'ai lu, du moins, je ne saurais en accuser cet auteur.
»Il se trompe en un point: je ne suis pas athée; mais s'il croit que j'aie publié des principes qui sentent l'athéisme, il a parfaitement le droit de les réfuter. Je vous en prie, imprimez; je ne me pardonnerais jamais de vous en avoir empêché.
»Faites mes complimens à l'auteur; dites-lui que je lui souhaite du succès, ses vers en méritent; et je serai la dernière personne à mettre en doute la bonté de son intention.
»P. S. Si vous ne les publiez pas, il faudra toujours que quelqu'autre le fasse; et vous ne me croyez pas, j'espère, l'esprit assez étroit pour reculer devant la discussion. Je vous répète, encore une fois, que je le regarde, autant que j'en puis juger par ce que j'ai lu, comme un bon ouvrage; et c'est tout ce que vous devez considérer. Il est étrange que huit vers en aient fait naître au moins huit mille, y compris tout ce qui a été dit, et qui le sera encore sur ce sujet.»
LETTRE CLXXIII.
À M. MURRAY.
«Toutes les nouvelles sont fort belles; mais, néanmoins, j'ai besoin de mes livres: si vous pouvez me les trouver, ou faire en sorte que quelqu'un me les trouve, ne fût-ce que pour les prêter à Napoléon, dans sa solitude de l'île d'Elbe. Je désirerais encore, si cela ne vous dérangeait pas, et que vous n'ayez pas de société, vous parler ce soir quelques minutes; j'ai reçu une lettre de M. Moore, et je voudrais vous demander, comme au meilleur juge, quel serait le meilleur tems pour lui de publier un ouvrage qu'il a composé. Je n'ai pas besoin de vous dire que j'ai grandement à cœur ses succès, non-seulement parce qu'il est mon ami, mais ce qui est plus fort, parce que c'est un homme de grand talent, ce dont il est moins persuadé qu'aucun même de ses ennemis. Si donc vous pouvez avoir l'obligeance de venir jusqu'ici, faites-le; si vous ne le pouvez pas, n'en parlons plus; j'irai vous trouver, chez vous, dans le courant de la semaine prochaine.
»P. S. Je vois qu'on annonce les tragédies de Sotheby. La Mort de Darnley est un sujet très-heureux, et, je crois, éminemment dramatique. Faites m'en tenir un exemplaire, dès que vous le pourrez.
»Mrs. Leigh a été très-contente de ses livres; elle me charge de vous remercier, et se dispose, je crois, à vous en écrire elle-même.»
LETTRE CLXXIV.
À M. MOORE.
«Le vicomte d'Althorpe va se marier, et j'ai pris son bel appartement de garçon dans Albany, où vous m'adresserez bientôt, je l'espère, votre réponse à la présente.
»Je suis de retour à Londres, d'où vous pouvez conclure que je l'avais quitté. Pendant tout le mois dernier, j'ai boxé tous les jours avec Jackson, pour faire de l'exercice. J'ai bu pas mal aussi; une fois, entre autres, je suis resté à table avec trois amis, au Cacaotier, depuis six heures du soir jusqu'à quatre et cinq heures du matin. Nous avons pris du Bordeaux et du Champagne jusqu'à deux heures. Alors, nous avons soupé et terminé la séance par une sorte de punch au régent, composé de Madère, d'eau-de-vie et de thé vert, car l'eau en nature n'y était point admise. Voilà une soirée qui vous aurait convenu! Sans quitter la table, si ce n'est pour me rendre chez moi, à pied, dédaignant un fiacre et mon propre vis-à-vis, moyens de transport dont on avait cru nécessaire de se précautionner. En somme, je m'en trouve très-bien, quoiqu'on prétende que cela altère ma constitution.
»J'ai aussi enfreint plus ou moins quelques-uns de mes commandemens favoris; mais je suis décidé à m'amender et à me marier, si quelqu'un veut bien m'accepter. En attendant, je me suis à moitié tué l'autre soir avec un morceau de porc dont j'ai soupé, et qui m'a donné une fort longue et fort pénible indigestion. Toute cette gourmandise était en l'honneur du carême: la viande m'est défendue pendant tout le reste de l'année; mais elle m'est sévèrement ordonnée pendant votre abstinence solennelle. J'ai été de plus assez suffisamment amoureux; mais nous en reparlerons quand nous pourrons.
»Mon cher Moore, dites ce que vous voudrez dans votre préface, attaquez tout et tout le monde, moi le premier. Fi! me croyez-vous de la vieille école? Si l'on ne peut rire de ses amis, de qui donc rirait-on? Vous n'avez rien à craindre de ***, que je n'ai pas vu cependant, parce que j'étais à la campagne quand il s'est présenté chez moi. Il sera correct, coulant; mais je doute qu'il y mette autre chose que ce que l'art peut donner. Qu'importe après tout? ne vous déferez-vous jamais de cette insupportable modestie? Quant à Jeffrey, c'est quelque chose de beau à lui de dire du bien d'un vieil antagoniste; voilà ce dont un esprit ordinaire ne serait pas capable. Tout le monde peut rétracter des louanges; mais si ce n'était en partie mon cas à moi-même, je dirais qu'il n'y a qu'un esprit au-dessus du vulgaire qui sache démentir ses premières censures et les faire suivre par des éloges.
»Que pensez-vous de la Revue de Lewis? Cela est bien plus insultant que votre Post-Bag et mes huit vers; la cour en est furieuse, comme je l'ai su de bonne part. Avez-vous eu des nouvelles de...
»Plus de rimes pour moi ou plutôt de moi. J'ai quitté le théâtre; je ne monterai pas davantage sur les planches: j'ai eu mon tems et c'est fini; tout ce que je puis attendre ou même désirer, c'est qu'on dise de moi, dans la Biographie Britannique, que j'aurais pu devenir poète si j'avais continué et que je me fusse amendé. Ma grande consolation c'est que la célébrité éphémère dont j'ai joui a été obtenue en dépit de toutes les opinions et de tous les préjugés du monde. Je n'ai flatté aucune des puissances, et je n'ai jamais eu une pensée que j'aie cru utile d'exprimer. On ne pourra dire de moi que j'aie été le poète des circonstances, que j'aie profité des sujets populaires, comme Johnson, ou je ne sais qui, l'a dit de Cléveland. Ce que j'ai acquis de renommée l'a été au prix d'autant de faveur personnelle qu'il était possible; car je ne crois pas qu'il ait jamais existé un poète plus impopulaire que moi, quoad homo. Maintenant j'ai fini, ludite nunc alios. Chacun est libre de se damner s'il en a l'envie, et de gagner sa part des feux éternels de l'autre monde.
»Oh! oh! j'oubliais, voici venir un long poème, l'Anti-Byron, pour prouver que j'ai formé une conspiration pour renverser, à l'aide de la rime, la religion et le gouvernement, et que j'ai déjà fait de grands progrès vers ce double but. Cette satire n'est pas trop personnelle, mais sérieuse et métaphysique. Je ne m'étais jamais cru un personnage, jusqu'à ce moment où je me vois un petit Voltaire, pour avoir nécessité une telle réfutation. Murray ne voulait pas l'imprimer: ce serait une sottise et je le lui ai dit; car à coup sûr quelqu'un s'en chargera. En voilà au moins assez sur ce sujet.
»Votre projet de voyage en France est bon; mais que ne le changez-vous en un voyage en Italie? tous les Anglais vont affluer à Paris. Choisissez Rome, Milan, Naples, Florence, Turin, Venise ou la Suisse, et par dieu, comme dit Bayes, je me marierai et j'irai avec vous; puis, dans ce Paradis, nous composerons ensemble un nouvel Inferno. Réfléchissez-y, et, en vérité, j'achète une femme, un anneau, je dis le fameux oui, et je m'installe avec vous dans quelque maison de plaisance sur les bords de l'Arno, du Pô ou de l'Adriatique.
»Ah! ma pauvre petite idole! Napoléon est tombé de son piédestal. On dit qu'il a abdiqué; il y a de quoi tirer des larmes de bronze fondu des yeux de Satan:
«Quoi! baiser la terre devant les pieds du jeune Malcolm, et puis s'exposer aux insultes de cette populace 110!
Je ne puis supporter une si humiliante catastrophe. Il faut que je reporte mon amour sur Sylla: tous mes favoris modernes ne valent rien; leurs abdications sont d'un autre genre. Joie et santé, mon cher Moore. Excusez la longueur de cette épître.
»Toujours tout à vous, etc.
»P. S. Le Quarterly-Review vous cite souvent dans un article sur l'Amérique, et toutes mes connaissances s'informent sans cesse de vous et de vos ouvrages. Quand voulez-vous leur répondre en personne?»
Lord Byron ne persévéra pas long-tems dans sa résolution de ne plus écrire, comme on le verra par les billets suivans à son éditeur.
À M. MURRAY.
«J'ai écrit une Ode sur la chute de Napoléon, que je copierai et dont je vous ferai présent, si cela peut vous convenir. M. Merivale en a vu une partie et l'approuve. Vous pouvez la montrer à M. Gifford et l'imprimer ou non, comme il vous plaira; je n'y attache aucune importance. Elle ne contient rien en sa faveur, et pas la moindre allusion aux Bourbons ou à notre gouvernement.
»Tout à vous, etc.
»P. S. Elle contient dix strophes, en tout quatre-vingt-dix vers, et est écrite dans le même mètre que mes stances à la fin de Childe-Harold, qui ont été si goûtées. Et tu es mort, etc., etc.»
À M. MURRAY.
«Vous trouverez ci-joint une petite lettre de Mrs. Leigh.
»Il vaudra mieux ne pas mettre mon nom à notre ode; mais vous pouvez dire ouvertement, et tant que vous voudrez, qu'elle est de moi; je puis en outre écrire sur un exemplaire: À M. Hobhouse, de la part de l'auteur, ce qui sera l'avouer suffisamment. Après la résolution que j'ai affichée de ne plus rien publier, encore que cette pièce ait peu d'étendue et moins d'importance, il vaut mieux encore garder l'anonyme; mais vous pourrez la joindre au premier volume de mes œuvres que vous aurez le tems ou la volonté de publier.
»Je suis toujours votre, etc., etc.
»P. S. J'espère que vous avez reçu un billet de variantes que je vous ai envoyé ce matin?
«2° P. S. Ô mes livres! mes livres! ne me trouverez-vous jamais mes livres?»
À M. MURRAY.
«Je vous envoie quelques notes et quelques changemens de peu d'importance, plus une nouvelle épigraphe de Gibbon, et qui convient admirablement ici. Un de mes bons amis m'avertit qu'il y a dans l'Anti-Jacobin Review une attaque très-virulente contre nous, et que vous n'avez pas vue. Envoyez-la-moi, car je suis dans un tel état de langueur qu'une occasion de me mettre en colère ne saurait manquer de me faire du bien.
»Toujours tout à vous, etc.»
LETTRE CLXXV.
À M. MOORE.
«Je suis charmé d'apprendre que vous vous disposez à quitter Mayfield sitôt, et la première partie de votre lettre m'a fait grand plaisir; mais peut-être vous y moquez-vous de moi comme dans l'autre 111. Je ne vous parle pas de l'effet de votre ironie, vous vous doutez bien que cela ne m'a pas mis de mauvaise humeur; je sais supporter la critique, je suis homme à en croire un ami sur parole, et, s'il le dit, à ne pas douter un moment que j'aie écrit d'infernales absurdités. Il y avait une restriction mentale dans mon engagement avec le public, en faveur des ouvrages anonymes; et même, quand cette restriction n'y eût pas été, l'occasion était telle qu'il m'était physiquement impossible de passer sous silence cette détestable époque de lâcheté triomphante. C'est une vilaine affaire, et après tout je ferai un peu plus de cas de la rime et de la raison, et bien peu de votre peuple de héros, jusqu'à ce que l'île d'Elbe devienne un volcan et le lance de nouveau sur le monde. Je ne puis croire que tout soit fini.
»Mon départ pour le continent est subordonné à quelque chose de très-incontinent. J'ai reçu deux invitations à la campagne, et ne sais que répondre et que décider. En attendant, j'ai acheté un papegaud et un autre perroquet; j'ai mis mes livres en ordre, je fais des armes, je boxe tous les jours et sors très-peu.
»Au moment où j'écris ces lignes, Louis le goutteux se fait rouler dans Piccadilly, dans toute la pompe et avec tout le cortége de canaille qu'exige la royauté. On m'avait offert des places pour les voir passer; mais comme j'ai vu le sultan aller à la mosquée, que je l'ai vu recevoir un ambassadeur, sa majesté très-chrétienne n'a pas beaucoup d'attrait pour moi. Toutefois, dans quelque année à venir de l'hégire, je ne serais pas fâché, peu après la seconde révolution, de voir les lieux où il aura heureusement régné pendant deux mois, dont les dernières six semaines auront été en proie à la guerre civile.
»Écrivez-moi, je vous prie, et croyez-moi toujours, etc.»
LETTRE CLXXVI.
A M. MURRAY.
«Mille remerciemens pour les lettres que je vous renvoie. Vous savez que je suis jacobin; je n'ai pu me décider à arborer le blanc, et à voir l'installation de Louis le goutteux.
»Voilà une mauvaise nouvelle bien pénible pour ceux qui souffrent en tout tems, mais particulièrement en ceux-ci; je veux parler de la sortie de Bayonne.
»Vous devriez presser Moore de paraître.
»P. S. J'ai besoin d'acheter Moréri à tout prix; j'ai Bayle, mais je veux aussi Moréri.
»2e P. S. Perry me fait un compliment ce matin dans le Morning-Post; je crois qu'il aurait aussi bien fait de ne pas me désigner par mon nom. N'importe, ils ne peuvent que répéter leur vieux reproche d'inconséquence avec moi-même; je m'en moque, c'est-à-dire quant à ce qui regarde la publication de nouveaux ouvrages. Toutefois, maintenant je veux tenir ma parole. Il n'y avait qu'une occasion aussi irrésistible qui pût m'y faire manquer; et puis je considérais l'anonyme comme toutà-fait excepté de mon engagement avec le public. C'est du reste la seule chose que j'aie publiée depuis, et je n'y reviendrai pas.»
LETTRE CLXXVII.
A M. MURRAY.
«Remettez la lettre à M. Gifford, et qu'il la rende à son loisir. Je la lui aurais offerte si j'avais cru qu'il s'occupât de choses semblables.
»Avez-vous besoin de la dernière page immédiatement? Je doute que ces vers valent la peine d'être imprimés: dans tous les cas, il faut que je les revoie, et que j'y change quelques passages avant de les lancer dans l'océan de la circulation. Voilà une phrase sonore, sans qu'il y paraisse; canal de la circulation ira peut-être mieux.
»Je ne suis pas en veine, autrement il ne m'eût pas été difficile de forger deux ou trois strophes qui eussent mieux cadré avec le reste de l'ode. Dans tous les cas, je le répète, il faut que je revoie ces vers, car il y en a deux que j'ai déjà changés dans ma tête. Quelqu'un les a-t-il vus et jugés? Voilà la pierre de touche dont j'ai besoin pour me régler; seulement dites-moi la vérité, et ne me déguisez pas les critiques qu'on peut en avoir faites: si je les trouve justes, je composerai quelques autres stances.
»Toujours tout à vous, etc.
»J'ai besoin d'un Moréri et d'un Athénée.»
Il faut, pour l'intelligence de la lettre précédente, savoir que M. Murray l'avait prié de faire quelques additions à son ode, afin d'éviter le droit de timbre sur toutes les brochures qui ne dépassent pas une feuille. Les vers qu'il lui envoya en conséquence sont, je crois, ceux qui commencent par: Nous ne te maudissons pas, Waterloo, etc., etc. Il ajouta ensuite de lui-même, pendant les réimpressions successives, cinq ou six stances à son ode, qui n'en avait d'abord que onze. Il en avait aussi composé trois de plus, qui n'ont jamais été imprimées, mais qui méritent d'être conservées, à cause du juste tribut qu'il y paie à la mémoire de Washington.
17. Il fut un jour, il fut une heure, quand le monde était soumis à la France, et la France à toi, où l'abdication de cet immense pouvoir t'eût valu une renommée plus pure que la journée de Marengo n'en a attaché à ton nom. Cette journée de Marengo dont l'éclat s'est cependant reflété sur tout le reste de ta carrière, quoiqu'obscurci comme par des nuages, par tes crimes passagers.18. Mais il fallait absolument que tu fusses roi, que tu vêtisses la pourpre, comme si cette robe ridicule pouvait ôter, en la couvrant, les souvenirs de ta poitrine. Qu'est devenu ce vêtement fané? Où sont toutes ces brillantes babioles dont tu aimais à te parer: l'étoile, le cordon, la couronne? Enfant vain et fantasque de l'empire, dis-moi, t'a-t-on donc enlevé tous ces joujoux!
19. Où, parmi les grands hommes, l'œil fatigué peut-il s'arrêter, sans voir la gloire ternie par le crime et achetée par le mépris? Oui, il est un tel homme, le seul, le premier, le plus grand, le Cincinnatus de l'ouest, que l'envie n'a jamais osé haïr; Washington! Il a légué son nom à la nature humaine pour la faire rougir de n'en avoir produit qu'un.
LETTRE CLXXVIII.
A M. MURRAY.
«Je pense qu'il vaudrait autant ne plus publier l'ode séparément, mais l'incorporer avec quelqu'un de mes ouvrages précédens, et y joindre l'autre petit poème, qu'il faudrait toutefois que je revisse auparavant. Sur mon honneur, je ne saurais y ajouter un vers qui en vaille la peine: ma veine est tout-à-fait passée; mes occupations actuellement sont toutes de gymnastique, boxer ou faire des armes, et mes principales conversations avec Bayle ou mon singe. J'ai besoin de Moréri et j'ai besoin d'Athénée.
»P. S. J'espère que vous avez envoyé à son adresse le paquet poétique que je vous ai fait tenir dimanche; si vous ne l'avez pas fait, faites-le, je vous prie, ou je vais avoir l'auteur jetant les hauts cris pour son poème épique.»
LETTRE CLXXIX.
A. M. MURRAY.
«Je ne me doute pas même quel peut être votre auteur; mais le poème 112 est excellent, cela vaut un millier d'odes de qui que ce soit. Je puis, je suppose, garder cet exemplaire: maintenant que je l'ai lu, je regrette bien sincèrement d'avoir rien écrit sur le même sujet; je vous le dis sincèrement, encore que mon défaut ne soit pas en général une excessive modestie.
Note 112: (retour) Il s'agit d'un poème plein d'esprit et de force de M. Straffort Canning, intitulé: Buonaparte. Dans un billet subséquent à M. Murray, Lord Byron dit: «Ma haute opinion du poème sur Buonaparte n'est pas diminuée depuis que j'en connais l'auteur. Je savais bien que c'est un homme de talent; mais je ne le soupçonnais pas de réunir dans une telle perfection tous les talens de la famille.(Note de Moore.)
»Je n'aime pas du tout les stances additionnelles, il vaudrait mieux les omettre tout-à-fait. Le fait est qu'avec la meilleure volonté du monde je ne puis rien faire de bon, quand l'ouvrage m'est commandé, et qu'au bout d'une semaine je ne saurais prendre intérêt à une composition. Cela vous expliquera comment je ne vous ai rien donné de meilleur pour éviter les droits du timbre.
»L'article S. R. est très-poli; mais que veulent-ils dire quand ils avancent que Childe-Harold ressemble à Marmion, et que le Giaour et la Fiancée ne ressemblent pas à Scott? Certainement je n'ai jamais songé à le copier, mais si copie il y avait, ce devrait être dans les deux poèmes où j'ai adopté le même mètre. Cependant ils conviennent que le Corsaire ne ressemble à rien; je m'étonne que le Corsaire s'en soit tiré.
»Si j'ai jamais rien fait d'original, c'est le Childe-Harold, que je préfère à toutes mes autres compositions, la première semaine passée. J'ai relu les Poètes anglais; excepté la méchanceté, c'est ce que j'ai fait de mieux.
»Toujours tout à vous, etc., etc.»
Il prit à cette époque, et tout-à-coup, une résolution dont nous ne pouvons trouver la raison que dans l'état où se trouvait alors son esprit. Depuis deux mois il fournissait au public de nouveaux sujets d'admiration avec une rapidité et un bonheur qui semblaient inépuisables: en effet, dans ce court espace de tems il avait accumulé des matériaux de gloire pour une longue existence. Mais l'admiration est une sorte d'impôt dont la plupart des hommes ne demandent pas mieux que de se décharger. L'œil se fatigue de contempler toujours le même objet, et commence à échanger le plaisir d'admirer son élévation, pour le désir moins généreux d'attendre et de prédire sa chute. La réputation de Lord Byron éprouvait déjà les mauvais effets de sa propre splendeur prolongée et constamment renouvelée. Plusieurs de ses plus grands admirateurs, de ceux même qui étaient le moins disposés à lui trouver des fautes, n'étaient pas fâchés de se reposer des éloges qu'ils lui avaient donnés sans interruption; tandis que ceux qui ne lui en avaient accordé qu'à regret prenaient avantage de ces symptômes apparens de satiété pour hasarder des expressions de blâme 113.
Note 113: (retour) C'était la crainte de cette sorte de courant rétrograde auquel la rapidité de ses succès ne donnait que trop de probabilité, qui faisait que quelques-uns même de ses plus chauds admirateurs, ignorant encore l'immensité des ressources de son génie, ne pouvaient s'empêcher de trembler un peu en le voyant se présenter si souvent devant le public. Je trouve dans une de mes lettres ces appréhensions exprimées dans les termes suivans: «Si vous n'écriviez pas si bien, je dirais que vous écrivez trop, ou du moins que vous ne mettez pas assez d'intervalle entre vos productions. Vous savez que les pythagoriciens pensaient que si nous n'entendions pas l'harmonie des corps célestes, ou si nous n'avions pas conscience de cette audition, c'est parce qu'ils résonnent sans cesse à nos oreilles; et je crains, moi, que l'effet de votre poésie ne soit diminué pour être offerte constamment aux oreilles hébétées du public.»Cependant cette opinion doit se taire devant celle que sir Walter-Scott, l'un des plus grands écrivains, et aussi l'un des plus fertiles de nos jours, avait la sagacité et la générosité d'exprimer à cet égard, au moment où Lord Byron était à l'apogée de sa gloire et dans le feu de ses plus admirables compositions: «Mais ceux-là entendent mal les intérêts du public, et donnent un assez mauvais conseil au poète; qui, le supposant doué des plus heureuses qualités de son art, ne lui conseillent pas de travailler tandis que sa couronne de lauriers est encore dans toute sa fraîcheur. Des esquisses de Lord Byron valent mieux que des tableaux achevés de tous les autres; et qui nous dit qu'un second travail n'effacerait pas, au lieu de les perfectionner, ces traits d'une originalité si forte et si belle, que présentent ses compositions au moment où elles s'échappent de la main d'un grand maître.»--(Mémoires biographiques, par sir Walter-Scott.)
La bruyante clameur soulevée au commencement de cette année, par les vers à la princesse Charlotte, avait donné occasion de s'écouler à tout ce venin caché jusque-là, et le ton dédaigneux dont quelques-uns des assaillans affectèrent alors de parler de ses talens poétiques, tout absurde et méprisable qu'il fût en lui-même; était précisément cette sorte d'attaque la plus propre à blesser son esprit à la fois orgueilleux et méfiant de ses forces. Tant qu'ils se contentèrent de dénigrer son caractère et ses mœurs, ces libelles, loin de l'offenser, flattaient la singulière manie qu'il avait de paraître et de se peindre lui-même plus noir qu'il n'était. Mais quand ils s'avisèrent de rabaisser ses talens, secondés par ce mécontentement de soi qui est le propre des hommes d'un vrai génie, ils l'affligèrent et le découragèrent. Ces sons de mauvais augure, les premiers qu'il eût entendus dans le cours de sa carrière triomphante, l'alarmèrent, comme nous l'avons vu, et le firent hésiter sérieusement s'il devait s'arrêter ou continuer sa route.
S'il s'était trouvé occupé alors de quelque nouvelle tâche, la conscience de ses propres forces, qu'il ne sentait réellement bien qu'en les exerçant, lui eût fait oublier ces humiliations passagères, dans le feu et l'excitement de succès anticipés. Mais il venait de prendre vis-à-vis du public l'engagement de renoncer à la poésie, il avait scellé la seule fontaine où il eût puisé jusque-là du rafraîchissement et des forces; ainsi il demeurait sans autre occupation que de ruminer sans cesse sur les insultes journalières de ses ennemis. Sans pouvoir pour s'en venger, quand ils s'attaquaient à la personne, et naturellement disposé à les en croire quand c'était son génie qu'ils désignaient: «Je crains, dit-il dans une de ses lettres à propos de ces attaques, que ce que vous appelez bagatelles ne soient des choses très-fortes et de plus pleines de raison, et, pour dire la vérité, voici quelque tems que je me surprends à en penser comme eux.»
Avec une telle facilité à se laisser toucher des attaques de ses ennemis et à désespérer de lui-même, dispositions qu'il déguisait mal sous une apparence de gaîté et de philosophie dédaigneuse, il est peu étonnant qu'il en soit venu tout d'un coup à prendre la résolution, non-seulement de persévérer dans son idée de ne plus rien écrire à l'avenir, mais encore de racheter la propriété de tous ses ouvrages et de n'en pas laisser subsister une seule page, une seule ligne. Quand il en écrivit la première fois à M. Murray, celui-ci crut naturellement qu'il ne parlait pas sérieusement; mais tous ces doutes à cet égard furent levés, quand il reçut, avec la lettre suivante, une lettre-de-change équivalente aux diverses sommes qu'il lui avait comptées pour la propriété de ses ouvrages.
LETTRE CLXXX.
À M. MURRAY.
Mon Cher Monsieur,
«Vous trouverez ci-joint une lettre-de-change; quand elle aura été acquittée, renvoyez-moi les titres de cession de mes ouvrages. Je vous décharge des 1,000 livres sterling convenues pour le Giaour et la Fiancée, et c'est une affaire finie.
»Si je viens à mourir, vous ferez alors ce qu'il vous plaira; mais, à l'exception d'un double exemplaire de chaque, j'entends et je vous prie que tous les ouvrages soient détruits, les avertissemens retirés, et je me ferai un plaisir de payer toutes les dépenses que cela pourra vous occasioner.
»Peut-être serait-il juste de vous donner quelque raison de tout ceci: je n'en ai pas d'autre que mon caprice, et je ne crois pas que la chose soit assez importante pour mériter une explication.
»Je n'ai pas besoin de vous dire que mes poésies ne seront jamais, avec mon consentement direct ou indirect, imprimées par quelque autre personne que ce soit, que je suis parfaitement satisfait de votre conduite et de vos procédés avec moi, comme mon éditeur.
»Ce me sera un grand plaisir de cultiver votre connaissance, et de vous considérer comme mon ami. Croyez-moi toujours,
»Votre très-obligé et très-obéissant serviteur.
»P. S. Je ne pense pas avoir trop tiré sur Hammersley; si cela était, je pourrais tirer pour l'excédant sur Goares. La lettre-de-change est de 5 livres sterling trop faible; je vous en tiendrai compte. Quand vous aurez été payé, renvoyez-moi les titres de propriété, mais non pas avant.»
Dans cette circonstance, M. Murray pensa que ce qu'il avait de mieux à faire était d'en appeler à la générosité et à l'honnêteté de son caractère; il le fit, et la réponse suivante que Byron lui envoya immédiatement prouve qu'il ne s'était pas trompé.
LETTRE CLXXXI.
À M. MURRAY.
Mon Cher Monsieur,
«Si le billet que je reçois en ce moment de vous est sérieux, et que la chose doive réellement vous être préjudiciable, n'en parlons plus, voilà qui est fini, déchirez ma lettre-de-change, continuez à l'ordinaire, et d'après nos anciennes conventions. J'étais bien véritablement résolu à supprimer tout ce que j'avais publié, mais je ne veux pas nuire aux intérêts de qui que ce soit, et surtout aux vôtres. Quelque jour je vous dirai les raisons qui m'avaient fait prendre ce parti, en apparence si bizarre. Qu'il me suffise pour le moment de vous déclarer que j'y renonce d'après vos observations, et que je me hâte de le faire, puisque cela vous avait contrarié.
»Toujours tout à vous, etc.»
Pendant mon séjour à Londres, cette année, nous vécûmes presque toujours ensemble; et, je ne le dis pas par esprit de flatterie pour les morts, mais plus je connus son caractère et ses manières, plus je pris d'intérêt à lui et à tout ce qui le concernait. Ce n'est pas que, dans les nombreuses occasions que j'eus alors de l'observer, je n'aie remarqué en lui bien des imperfections fâcheuses et déplorables; mais à côté de ses plus grands défauts il y avait toujours quelque bonne qualité qui leur servait comme de contre-poids, et qui, mise doucement et adroitement en jeu, ne manquait jamais d'en neutraliser l'effet. La franchise même avec laquelle il avouait ses erreurs semblait impliquer qu'il se sentait capable de les racheter, et qu'il lui était permis de les confesser avec sincérité. Cette absence complète de réserve était d'ailleurs une garantie contre les vices qu'on ne découvrait pas subitement en lui, et la même qualité qui mettait en évidence les petites taches de son caractère, en assurait en même tems l'honnêteté. «La pureté, la bonté d'un cœur ne se montre jamais mieux que quand ce cœur découvre ses propres défauts à la première vue: car un ruisseau qui laisse voir d'abord la boue de son lit, offre en même tems la transparence de ses eaux.»
Le théâtre était le lieu où il passait alors le plus généralement ses soirées. Nous avons vu avec quel enthousiasme il exprimait son admiration pour le jeu de M. Kean; j'ai eu souvent le bonheur, pendant cette saison, de l'aller voir avec lui, et plus d'une fois nous nous plaçâmes à l'orchestre pour ne rien perdre du jeu de sa physionomie. Lors du bénéfice de cet acteur célèbre, le 25 mai, lady J*** avait réuni une nombreuse compagnie, et nous en faisions partie, mais Lord Byron avait aussi loué une loge entière, et il était si jaloux de jouir du spectacle sans être interrompu, que, par un arrangement peu social, nous l'occupâmes seuls à nous deux, tandis que toutes les autres étaient pleines à y étouffer. Nous ne rejoignîmes le reste de la société qu'au souper. Toutefois M. Kean n'eut pas à se plaindre de cette séparation comme d'un manque d'hommage à son talent, car lord J*** lui fit présent de 100 livres sterling en une action du théâtre, tandis que Lord Byron lui envoya le lendemain 50 guinées, et peu de tems après l'ayant vu jouer dans l'un de ses rôles favoris, il lui fit présent d'une superbe tabatière et d'un sabre turc de grand prix.
Tel était l'effet qu'avait sur lui le jeu passionné de M. Kean, qu'un jour il fut saisi d'une sorte de convulsion nerveuse en le voyant dans le rôle de sir Giles Overreach. Nous le verrons quelques années après, en Italie, éprouver le même accident à la représentation de la tragédie de Mirra d'Alfieri, comparer ces deux sensations, et dire que ce sont les deux seules fois où des choses sans réalité avaient eu sur lui tant de pouvoir.
Voici quelques-uns des billets que je reçus de lui pendant le tems de mon séjour à Londres, cette fois.
À M. MOORE.
............................................. «Je voudrais bien que les gens n'écourtassent pas leurs diners; n'était-ce pas un dîner dont il avait été question? ne nous donner que d'infernales sandwiches aux anchois 114!
»Votre diable de voix m'a fait tourner au sentiment et devenir presque amoureux d'une fille qui, pendant que vous chantiez, se recommandait par sa haine pour la musique. On donne Othello demain et samedi. Quel jour irons-nous? quand vous verrai-je? Si vous venez chez moi, que ce soit après trois heures, et aussi près de quatre qu'il vous plaira.
»Toujours tout à vous, etc.»
À M. MOORE.
Mon Cher Tom,
«Vous m'avez demandé une chanson; je vous envoie ci-joint un essai qui m'a coûté plus que de la peine, et qui vraisemblablement et pour cela même ne mérite pas que vous preniez celle de le mettre en musique. Si donc vous le trouvez mauvais, jetez-le au feu sans phrases 115.
»Toujours tout à vous, etc.
»1. Je ne dis pas, je n'écris pas, je ne prononce pas ton nom: le son m'en serait pénible; je serais coupable de le divulguer. Mais cette larme qui brûle ma joue décèle les pensées profondes qui assiégent mon cœur silencieux.
»2. Ces heures se sont écoulées trop courtes pour notre passion, trop longues pour notre repos! Leur joie et leur amertume ne sauraient cesser! Nous nous repentons, nous abjurons notre amour, nous voulons rompre notre chaîne, nous voulons nous séparer, nous voulons nous fuir... pour nous unir de nouveau.
»3. Oh! que le bonheur te reste, que la faute ne soit qu'à moi! Pardonne-moi, femme adorée! oublie-moi, si tu le veux. Ce cœur qui t'appartient ne s'abaissera jamais, pas même à la mort; et jamais un homme ne le brisera, quoique, toi, tu en aies le pouvoir.
»4. Mon ame, qu'ils disent si noire, si méchante, sera toujours fière avec les superbes, mais humble avec toi. Quand tu es à mes côtés, les jours passent plus rapidement; et tous les momens me paraissent plus doux que si des mondes étaient à nos pieds.
»5. Un soupir de ta douleur, un regard de ton amour, fixera, changera mon sort, sera ma récompense ou mon châtiment. Ceux qui n'ont point d'ame s'étonneront de tout ce que j'abandonne pour toi; tes lèvres répondront, non à eux, mais aux miennes.»
À M. MOORE.
«Voulez-vous, vous et Rogers, venir dans ma loge à Covent-Garden? j'y serai et personne autre, ou bien encore, je n'y serai pas, si vous préférez y aller tous deux sans moi. Vous ne pourriez trouver une meilleure place dans toute la salle, même en vous mettant à la merci des portiers et des revendeurs de coupons. Voulez-vous m'obliger et venir tous deux, ou seulement l'un de vous? ou enfin, ne venez ni l'un ni l'autre, comme vous voudrez.
»P. S. Si vous acceptez, je viendrai vous prendre à six heures et demie, ou à toute autre heure qu'il vous plaira fixer.»
À M. MOORE.
«J'ai une loge pour Othello ce soir; je vous envoie le billet pour vos amis les R...fes. Je vous recommande sérieusement de leur recommander d'y aller, ne fût-ce qu'une demi-heure, pour voir le troisième acte; ils ne retrouveront peut-être pas aisément semblable occasion. Nous n'y allons pas, ou plutôt moi, je n'y vais pas; ainsi personne ne les gênera. Voulez-vous vous charger de leur donner ou de leur envoyer ce billet? il aura meilleure grâce à venir de vous que de moi.
»Je ne suis pas bien disposé; cependant j'irai, si je puis, dîner avec vous chez ***. Il y a de la musique à Covent-Garden. Dans tous les cas, voulez-vous venir après dans ma loge, pour voir le début d'une jeune actrice de seize ans 116, dans l'Enfant de la Nature?»
À M. MOORE.
«L'Iago de Kean n'était-il pas parfait, surtout la dernière scène? J'étais tout près de lui à l'orchestre, et je n'ai jamais vu une figure anglaise moitié si expressive. Je ne connais point de sensations immatérielles aussi délicieuses que celles que nous font éprouver de bonnes pièces bien jouées; mais il faudrait qu'outre celles de Shakspeare, on en donnât de nouvelles de tems en tems. Je voudrais que vous ou Campbell en écrivissiez une: nous autres nouveaux venus au Parnasse, nous n'avons pas assez de force et de courage pour une telle entreprise.
»Vous avez été mal mené dans le Champion, n'est-ce pas? C'est mon tour aujourd'hui, au point que l'éditeur même en rougit. L'auteur de l'article écrit bien, et, comme le serpent d'Aaron a dévoré chez moi tous les autres, et que la poésie n'est plus ce qui m'occupe le plus aujourd'hui, j'ai pris cette critique assez tranquillement. Nous allons ensemble chez M. ***. Peut-être vous verrai-je d'ici là; je crains seulement de vous importuner.
»Je suis toujours, avec autant de vérité que d'affection, votre, etc.»
À M. MOORE.
«Allez-vous ce soir chez lady Cahir? Dans ce cas, et toutes les fois que nous prendrons part aux mêmes folies, embarquons-nous dans le même vaisseau de fous. Je suis resté debout jusqu'à cinq heures du matin; j'étais debout de nouveau à neuf. Je me sens tout appesanti de n'avoir fait au plus que sommeiller les trois ou quatre dernières nuits.
»J'ai perdu ma place et tout le plaisir de la soirée, en essayant au souper de me tenir loin de ***. J'aurais quitté la maison même, si je n'avais craint que cela ne parût une affectation pire que la première. Naturellement, vous êtes invité à dîner, ou bien nous pourrions aller tranquillement dans ma loge à Covent-Garden, et de là à cette assemblée. Pourquoi vous êtes-vous retiré si tôt?
»Toujours tout à vous, etc.
»P. S. Le souper de R*** n'aurait-il pas dû être un dîner? Voici M. Jackson: il faut que je me fatigue pour me remettre en train.»
À M. MOORE.
«Remerciemens et ponctualité. Il faudra bien qu'on me fasse connaître ce qui s'est passé chez ***, puisque j'ai été en partie le sujet de la conférence. Je suis fâché que votre affaire doive vous retenir si tard; toutefois, je suppose que vous viendrez chez lady Jersey. Pour moi, j'irai de bonne heure avec Hobhouse. Vous vous rappelez que demain nous soupons et allons voir Kean ensemble.
»P. S. Le pugilisme est pour demain, deux heures.».
Le souper dont il parle ici eut lieu chez Watier; il était devenu, depuis peu, membre du club de ce nom. Comme ce repas peut donner idée du régime irrégulier qu'il suivait, et expliquer les fréquens dérangemens de sa santé, je vais essayer d'en tracer de mémoire les détails. Lord R***, qui devait souper avec nous, n'étant pas venu, je me trouvais seul avec Byron. Je m'étais chargé d'ordonner le repas; et sachant qu'il n'avait, depuis deux jours, rien pris que quelques biscuits, et que même, pour amuser son appétit, il s'était réduit à mâcher du mastic, je désirai qu'on nous donnât une quantité suffisante de poisson, au moins de deux espèces. Cependant mon compagnon se contenta des homards, et il en mangea entièrement à lu seul deux ou trois, s'arrêtant de tems en tems pour boire un petit verre d'eau-de-vie blanche, extrêmement forte, puis un grand verre d'eau chaude. Il but ainsi alternativement six verres au moins d'eau-de-vie et six grands verres d'eau chaude, persuadé que le homard, pour passer, avait besoin d'être ainsi arrosé. Nous bûmes ensuite deux bouteilles de Bordeaux, et nous nous séparâmes à quatre heures du matin.
Pope a jugé ses soirées de homard dignes de passer à la postérité: on me pardonnera d'avoir entretenu le public d'une partie du même genre, puisque Lord Byron en est le héros.
Parmi les autres parties de cette espèce où j'eus l'avantage de me trouver avec lui, je me rappelle qu'un soir, revenant fort tard de quelqu'assemblée, nous vîmes de la lumière dans Bond-Street, chez Stevens, dont il était une ancienne pratique, et nous résolûmes d'y entrer souper. Nous y trouvâmes un de ses vieux amis, sir G*** W***, qui consentit à se joindre à nous. Aussitôt nous mîmes en réquisition les homards, l'eau-de-vie et l'eau chaude; et, comme à l'ordinaire, il était grand jour quand nous nous séparâmes.
LETTRE CLXXXII.
À M. MOORE.
«Je ne puis résister au désir de vous faire passer le numéro du 3 juillet 1813, de la Gazette du gouvernement de Java, que Murray vient de m'envoyer. Que pensez-vous de nous voir, vous et moi, exciter les combats des journalistes dans les mers des Indes? Cela ne ressemble-t-il pas à de la gloire? cela n'a-t-il pas une sorte d'odeur de postérité? C'est quelque chose de divertissant de savoir qu'à cinq mille milles de nous de pauvres écrivains se font la guerre à notre sujet, tandis que nous sommes ici de si bon accord. Rapportez ce journal dans votre poche; nous en rirons ensemble comme j'en ai ri seul.
»Toujours tout à vous,»
Il parle souvent de cette circonstance dans le journal qu'il tint étant à l'étranger. Voici entre autres un passage des pensées détachées, où l'on verra que, par un léger manque de mémoire, il dit qu'il me montra cette gazette pour la première fois quand nous allions dîner.
«En 1814, Moore et moi allions ensemble dîner chez lord Grey, in Portman-Square, quand je tirai de ma poche une Gazette de Java, que Murray m'avait envoyée, et dans laquelle se trouvait une longue controverse sur notre mérite relatif comme poètes. Il était assez amusant de nous voir aller dîner bras dessus bras dessous, tandis qu'ils se disputaient à cause de nous, et guerroyaient en notre honneur dans les mers de l'Inde; il est vrai que cette feuille avait six mois de date, et que les colonnes en étaient pleines de critique batavienne. Voilà ce que c'est que la renommée!»
LETTRE CLXXXIII.
À M. MOORE.
«Comme probablement je ne vous verrai pas aujourd'hui, je vous écris pour vous prier, si cela ne dérange pas trop vos projets, de rester ici jusqu'à dimanche, sinon pour m'obliger moi-même, du moins pour faire plaisir à beaucoup d'autres personnes, qui seront bien fâchées de vous perdre. Quant à moi, je le répète encore, j'aimerais mieux que vous fissiez de plus longs séjours ici, ou que vous n'y vinssiez pas du tout; car ces courtes apparitions ne font que me rendre ensuite votre absence plus pénible.
»Vous croyez, j'en suis presque sûr, que je n'ai pas assez rendu justice à ce petit chef-d'œuvre de beauté avec lequel vous vouliez me marier. Mais si vous réfléchissez à ce que sa sœur a dit à ce sujet, vous vous étonnerez moins que mon amour-propre se soit alarmé, d'autant plus que je n'ai eu avec votre héroïne que les rapports les plus simples et les plus généraux de la société. Si lady *** avait paru le désirer, ou même ne pas s'y opposer, j'aurais poussé ma pointe, et j'aurais pu me marier, si toutefois l'autre partie eût été consentante, avec la même indifférence qui a glacé la mer de presque toutes mes passions. C'est cette même indifférence qui me rend si irrésolu, et qui me donne l'air capricieux. Ce n'est pas empressement pour de nouveaux objets: c'est que rien ne fait assez impression sur moi pour me fixer. Je n'éprouve pas non plus de dégoûts: je suis seulement indifférent à tout. La preuve en est que les obstacles, même les plus légers, sont sûrs de m'arrêter. Je ne saurais attribuer cela à de la timidite, car j'ai fait dans mon tems des choses assez impudentes; et, généralement parlant, les obstacles sont des aiguillons pour tout le monde. Il n'en est pas ainsi de moi; et si un brin de paille s'opposait à mon passage, je n'aurais pas l'énergie de me baisser pour le ramasser ou l'écarter.
»Je vous écris cette longue tirade, parce que je ne voudrais pas vous laisser supposer que je me moque de propos délibéré de vous ou de qui que ce fût. Si vous avez cette idée, au nom de saint Hubert, patron des chasseurs et des bêtes à cornes, mariez-moi à qui vous voudrez; n'importe, pourvu que cela convienne à un tiers, et que cela ne me prenne pas trop de tems pendant le jour.
»Toujours tout à vous, etc.»
LETTRE CLXXXIV.
À M. MOORE.
«Je pourrais bien faire de la sensibilité maintenant, mais je ne le veux pas. La vérité est que j'ai essayé toute ma vie de m'endurcir le cœur, sans y réussir entièrement, quoique je sois en bon chemin; eh bien! vous ne sauriez croire combien je suis peiné de votre départ. Ce qui ajoute à mes regrets, c'est de vous avoir si peu vu au milieu de ces assemblées si nombreuses qu'elles en deviennent comme des déserts, et où il faudrait s'habituer, comme le chameau, à supporter la chaleur et la soif. Le printems dure si peu, et il est généralement si laid!
»Les journaux vous diront tout ce qu'on peut dire des empereurs, rois, etc. Ils ont dîné, soupé, et montré leurs figures communes dans tous les lieux publics et dans divers salons. Leurs uniformes sont assez bien, mais un peu écourtés aux basques; et leur conversation est un catéchisme, pour les demandes et les réponses duquel je vous renvoie à ceux qui l'ont entendu.
»J'ai dessein de quitter bientôt Londres pour Newsteadt. Dans ce cas, je ne serai pas loin de votre hermitage; et, à moins que Mrs. Moore ne vous retienne à la maison en vous donnant un nouvel héritier, nous pourrons vous voir. Vous viendrez chez moi, ou j'irai chez vous, comme vous voudrez, pourvu que nous nous voyions. J'ai reçu une invitation d'Aston, mais je n'ai pas dessein d'y aller. J'ai eu aussi des nouvelles de ***. Je serais bien aise de la revoir, car il y a des années que je ne l'ai vue; et quoique le feu qui ne saurait se rallumer soit éteint en moi, je ne sais si un de ces délicieux sourires d'autrefois ne pourrait me faire oublier un moment la monotonie du fleuve de la vie.
»Je vais chez R*** ce soir, à l'un de ces soupers qui devraient être des dîners. Je ne l'ai pas vu une seule fois, et sa femme très-rarement depuis votre départ. Je vous disais bien que vous étiez l'anneau principal de la chaîne qui nous liait. Quant à ***, nous n'avons pas échangé une parole depuis. Le départ du courrier ne me permet pas de continuer ce griffonnage. Je vous en dirai davantage une autre fois.
»Toujours tout à vous, mon cher Moore.
»P. S. Gardez le Journal 117. Je me soucie peu de ce qu'il peut devenir; s'il a pu vous amuser, je suis charmé de l'avoir écrit. Lara est fini: je le copie pour mon troisième volume, que l'on prépare en ce moment, mais plus de publication séparée.»
À M. MURRAY.
«Je vous renvoie votre paquet de ce matin. Avez-vous entendu dire que Bertrand soit revenu à Paris avec la nouvelle que Buonaparte a perdu la tête? Ce n'est qu'un bruit; mais si cela est vrai, je puis, comme Fitzgerald et Jérémie, de lamentable mémoire, élever des prétentions au titre de prophète pour avoir dit qu'il devait devenir fou, et cela dans l'avant-dernière strophe d'une certaine ode, qui, ayant été trouvée absurde par plusieurs critiques profonds, a d'autant plus de prétentions à l'inspiration qu'elle est plus inintelligible.
»Toujours tout à vous, etc.»
LETTRE CLXXXV.
À M. ROGERS.
«Je suis toujours obligé de venir vous tourmenter par suite de mes balourdises: en voici une nouvelle. M. Wrangham s'est présenté plusieurs fois pour me voir, et j'ai perdu l'occasion de faire sa connaissance, ce dont je suis bien fâché; mais vous qui connaissez mes habitudes étranges et variables, vous n'en serez pas étonné; et, j'en suis sûr, vous n'attribuerez pas cette maladresse à aucun dessein d'offenser une personne qui m'a montré beaucoup de bienveillance, et dont la réputation et les talens lui donnent des droits à l'estime générale. Je me lève très-tard; je passe ensuite la matinée à faire des armes et à boxer, et à une infinité d'autres exercices très-salutaires, mais qui n'auraient rien d'agréable pour mes amis, que je suis forcé de ne point recevoir pendant ce tems-là. Je ne sors jamais que le soir; et je n'ai pas eu le bonheur de rencontrer une seule fois M. Wrangham, chez lord Lansdowne ou chez lord Jersey, où j'espérais lui présenter mes respects.
»Je voulais lui écrire; mais quelques mots de vous feront plus d'effet que tous les sesquipedalia verba dont j'aurais pu m'aviser en cette occasion. Qu'il me suffise de dire que, sans le vouloir, je trouve moyen de désobliger tout le monde, et que j'en suis désolé après.
»Toujours tout à vous, etc.»
Les billets suivans, non datés, et adressés à M. Rogers, doivent avoir été écrits vers cette époque.
«Je suis charmé que vous n'alliez pas chez Corinne, car je venais, à l'instant, d'envoyer une excuse; je ne me sens pas assez bien pour y aller ce soir. Je ne crois pas avoir besoin d'en envoyer une autre à Shéridan pour son invitation de mercredi, que je suppose avoir bien entendu de la même manière que vous. Avec lui, il ne faut pas prendre au pied de la lettre l'axiome de Mirabeau, les mots sont des choses.
»Toujours tout à vous.»
«Je viendrai vous voir à sept heures moins un quart, si cela peut vous convenir. Je vous renvoie Sir Proteus 118; je vous en dirai seulement comme disait Johnson à quelqu'un: Et nous sommes encore vivans après cela.
»Croyez-moi toujours, etc.»
«Shéridan était d'abord trop sobre hier pour se rappeler votre invitation; mais il en a retrouvé le souvenir au fond de la troisième bouteille. Mme de Staël a accablé Withbread à force de parler; Shéridan s'est moqué d'elle; elle a confondu sir Humphry, et mis absolument votre serviteur à la torture. Le reste, grands noms cependant sur le livre rouge, n'étaient là que de purs segmens du cercle. Mademoiselle a dansé une sarabande russe avec beaucoup de force, de grâce et d'expression.
»Toujours, etc.»
A M. MURRAY.
«Je suppose que Lara est allé à tous les diables, ce qui n'est pas grand dommage; seulement, laissez-le moi savoir, ce qui m'évitera la peine de copier le reste, et, ce reste, jetez-le au feu. Cela ne me tourmente pas du tout; je ne serais pas fâché de n'avoir pas à continuer la copie qui va très-lentement. Ainsi, vous voyez que vous pouvez parler avec franchise; si toutefois je me trompais, dites-le moi encore, afin que je sois moins paresseux.
»Tout à vous, etc.»
LETTRE CLXXXVI.
A M. ROGERS.
«Vous ne pouviez me faire un présent plus agréable que Jaqueline; elle est pleine de grâce, de douceur et de poésie. Il y a surtout tant de poésie, qu'on ne remarque pas la faiblesse de la fable, qui est simple, mais cependant suffisante. Je m'étonne que vous ne nous donniez pas plus souvent des compositions de ce genre. J'aime assez les affections douces, encore que ce ne soit pas mon fort; et personne ne saurait les peindre avec autant de vérité et de bonheur que vous. J'avais presque envie de vous payer en nature, ou, pour mieux dire, d'une manière bien dénaturée 119; car je viens de digérer deux chants d'horreurs et de sombres mystères.
»Allez-vous chez lord Essex ce soir? Dans ce cas, voulez-vous que je vous vienne prendre à l'heure qu'il vous conviendra? J'ai dîné hier avec toute la famille Holland chez lord Cowper; lady C. a été très-gracieuse, ce qui lui est plus aisé qu'à personne, quand elle le veut bien. Je n'ai pas été fâché de les revoir; car je ne saurais oublier qu'ils ont eu toute sorte de bontés pour moi.
»Toujours bien sincèrement votre, etc.
»P. S. Y a-t-il quelque chance ou quelque probabilité d'un rapprochement avec lord Carlisle? je suis disposé à faire tout ce qui sera raisonnable ou même déraisonnable pour y parvenir. Je l'aurais tenté plus tôt sans le Courrier, et la crainte qu'à cette époque, on ne se méprît sur mes motifs. Voyez, examinez.»
Pendant un autre voyage de courte durée que je fis à cette époque à Londres, je trouvai son poème de Lara, qu'il avait commencé à la fin de mai, entre les mains de l'imprimeur et, pour ainsi dire, prêt à paraître. Avant de partir pour la campagne, il m'en avait, un soir que nous nous rendions à quelque réunion, récité les cent vingt premiers vers qu'il avait composés la veille, en même tems il m'avait donné une idée générale de la fable et des principaux caractères.
Ses petits billets à M. Murray, pendant l'impression de cet ouvrage, sont aussi singuliers et aussi pleins d'impatience que ceux que j'ai déjà cités; mais des matières plus importantes nous pressent, et je ne m'arrêterai pas à les transcrire en entier. Dans l'un d'eux il dit: «Je viens de corriger les plus infernales balourdises qui se puissent fourrer dans une épreuve.» Dans un second: «J'espère que la prochaine épreuve sera meilleure; celle-ci eût consolé Job, si c'eût été celle du livre de son ennemi.» Un troisième contient seulement ces mots: «Mon cher monsieur, vous voulez de nouvelles batailles, en voici. Tout à vous, etc.»
Les deux lettres suivantes me furent adressées à Londres à cette époque.
LETTRE CLXXXVII.
À M. MOORE.
«Je suis revenu à Londres hier soir, et j'espérais vous voir aujourd'hui. Je serais allé chez vous si, quoiqu'effroyablement en bonne santé du reste, je n'avais un petit mal de tête, suite de ce qu'on appelle mener joyeuse vie: je suis maintenant au moment glacial de redevenir plus rangé. Naturellement, je serais bien fâché que nos parallèles ne déviassent pas en une intersection avant votre redépart pour la campagne, après la conclusion de ce procès 120 dont les journaux nous ont entretenus; mais si vous êtes trop occupé, et que le tems ou les affaires s'opposent à ce que nous nous voyions, je ne vous en garderai pas rancune.
»Rogers et moi nous sommes ligués ensemble contre le public. Que notre volume paraisse ou non, c'est ce que je ne sais pas encore. Je crains que Jaqueline, qui est vraiment très-belle, ne se trouve là en mauvaise compagnie 121; mais, dans ce cas, ce n'est pas elle qui en souffrirait le plus.
»Je vais du côté de la mer, et de là en Écosse. Je n'ai rien fait, ou du moins je n'ai rien fait de bon, et suis toujours bien sincèrement, etc.»
LETTRE CLXXXVIII.
À M. MOORE.
«Ne vous ayant pas vu, je suppose que la philosophie de ma dernière lettre et le silence que j'avais gardé avant vous ont mis de mauvaise humeur, ou vous y ont laissé. N'importe, cela n'en vaut guère la peine.
»J'ai reçu aujourd'hui de mon homme d'affaire avis que M. Claughton, mon acquéreur, n'a pas encore exécuté son paiement, et qu'il est peu vraisemblable qu'il le fasse jamais. Il ne sait que faire, ni quand il pourra payer, ainsi voilà tous mes projets et toutes mes espérances terrestres au diable. Lui (l'acquéreur, le diable aussi, pour le cas que j'en fais), mon conseil et moi devons avoir une conférence demain, le susdit acquéreur ayant eu grand soin de s'informer avant si je promettais de le voir sans m'emporter. Certainement; la question est bien simple: il s'agit pour moi de rompre le marché, ce qui équivaut à ma ruine; ou de me laisser encore amuser de nouveaux délais, ce qui est pire encore. Comme dit le proverbe: «J'ai mené mes porcs sur un marché musulman.» Si j'avais seulement une femme maintenant, et des enfans de la paternité desquels je me crusse sûr, je serais aussi content, aussi heureux que Candide ou Scarmentado. Cependant, si vous ne venez pas me voir, je croirai que la banque de Samuel a sauté aussi, et qu'y ayant vos fonds placés, vous ne sauriez en retirer plus d'une piastre à la livre sterling 122.
»Toujours tout à vous, etc.»
Note 122: (retour) La portion de dette que paie un failli ne s'exprime pas en Angleterre par son rapport à cent, comme 15, 25 p. 100; mais par son rapport à la livre sterling, qui contient 20 shillings, et le shilling 12 pences. Ainsi l'on dit qu'un négociant donne un shilling pour dire 5 p. 100, ou 4 shillings pour dire 20 p. 100. Or la piastre espagnole valant généralement 4 shillings 3 ou 4 pences, c'est donc ici à peu près 21 p. 100 qu'il faut entendre.(N. du Tr.)
À M. MURRAY.
«Vous aurez l'un des portraits. Je voudrais que vous envoyassiez ce soir l'épreuve de Lara à M. Moore, n° 33, Bury Street, parce qu'il quitte Londres demain et désire le lire avant de partir; de mon côté, je serais bien aise de profiter de ses observations 123.
»Toujours, etc.»
À M. MURRAY.
«Je crois que vous serez plus que content de nos amis du Nord 124, et je ne veux pas vous priver plus long-tems de ce que je crois devoir vous faire plaisir; quant à moi, je dois me taire, par modestie ou par vanité.
»P. S. Si vous pouviez vous en passer une heure pendant la soirée, je vous serais obligé de l'envoyer à Mrs. Leigh, votre voisine, London hotel, Albemarle-Street.»
LETTRE CLXXXIX.
A M. MURRAY.
«Je suis fâché de vous dire que la gravure 125 n'a pas été approuvée des personnes qui connaissent l'original et le tableau d'après lequel cette planche a dû être faite. Je soupçonne qu'elle aura été gravée d'après une copie, et non d'après le tableau exposé; dans cette idée, je vous serais obligé, sinon d'y renoncer tout-à-fait, du moins de ne pas vous presser de placer ce portrait en tête des volumes dont vous voulez affliger le public.
»Quant à Lara, ne vous hâtez pas trop non plus; je ne suis pas encore bien décidé, je ne sais même que dire ou que faire jusqu'à ce que j'aie de vos nouvelles, et M. Moore m'a paru dans la même indécision. Je ne sais s'il ne vaudrait pas mieux le garder pour l'édition complète que vous méditez, que de le hasarder seul; ou même soutenu de la charmante Jaqueline. J'ai été en proie à toute sorte de doutes, etc., depuis que j'ai quitté Londres.
»Donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles, et croyez-moi, etc., etc.»
LETTRE CXC.
A M. MURRAY.
«La minorité doit l'emporter dans ce cas, et je désire qu'il en soit ainsi; je ne donnerais pas six pences de toutes les opinions que vous me citez, quant à ce sujet du moins, et il faut que P*** soit un âne pour s'y être rangé. Je ne trouve personnellement pas de grands défauts à ce portrait; mais puisque Mrs. Leigh et ma cousine, qui sont les meilleurs juges de la ressemblance, n'en sont pas satisfaites, je n'en veux à aucun prix.
»M. Hobhouse a raison quant à sa conclusion; mais je nie les prémisses. Il n'y a que le nom d'espagnol 126; la scène n'est pas en Espagne, mais en Morée.
»Waverley est le roman le meilleur et le plus intéressant que j'aie lu depuis je ne sais combien de tems. Je l'aime autant que je déteste*** et*** et*** et tout ce bavardage féminin dont nous sommes inondés depuis quatre mois. C'est outre cela une lecture qui m'est fort aisée, parce que j'ai été fort long-tems en Écosse; quoique je fusse bien jeune alors, je me reconnais au milieu de ce peuple des montagnes et des plaines, et le langage m'en est encore familier.
»Une petite note suffira pour rectifier ce que M. Hobhouse regarde comme une erreur, par rapport au système féodal en Espagne... La scène ne se passe pas en Espagne. Si donc il veut mettre quelque part une petite note en prose à cet effet, ce sera tout ce qu'il faut.
»J'ai reçu l'invitation de venir voter; je n'irai pas: tout ce bavardage ne mène à rien; ce sont des actions qu'il faudrait pour amener certains résultats. Si vous avez quelque chose à me dire, écrivez-moi.
»Je vous salue, etc.»
LETTRE CXCI.
A M. MURRAY.
«J'ai lieu d'être surpris que vous n'ayez pas envoyé la Revue d'Édimbourg, comme je vous en avais prié; j'espère qu'il ne faudra pas vous écrire un billet tous les jours pour vous le rappeler. Je vois que vous annoncez Lara et Jaqueline, pourquoi cela, je vous prie? ne vous avais-je pas engagé à suspendre toute publication jusqu'à mon retour?
»J'ai reçu une épître fort amusante de Hogg, le poète berger, dans laquelle, parlant de son libraire, il l'appelle le plus gueux du métier pour ne payer pas ses billets, et ajoute en toutes lettres que le diable les emporte eux et lui. Voilà un joli début pour vous engager à adopter ce même Hogg; cependant, il me prie de vous le recommander, et si vous le voulez bien, nous en reparlerons. Il a un poème tout prêt pour l'impression à vous donner en échange pour vos billets, à condition cependant que ceux-ci seront payés. Il faut voir quelles bénédictions il lance à M. Moore, pour m'avoir empêché d'insérer Lara dans le premier numéro du Miscellany 127.
Note 127: (retour) M. Hogg avait espéré que Lord Byron lui permettrait d'insérer Lara dans un recueil mensuel, The Miscellany, qu'il avait dessein de publier à cette époque. J'en détournai mon noble ami, parce que je ne crus pas ce mode de publication le plus favorable aux intérêts de sa gloire, mais non pour nuire à ceux de M. Hogg, dont j'admire, comme je le dois, le talent si original.
»P. S. Sincèrement, je crois que M. Hogg vous conviendrait parfaitement; c'est à coup sûr un homme d'un grand talent naturel, et qui mérite d'être encouragé. Il faut que je fasse quelque chose pour son recueil, et vous ferez bien d'y regarder à deux fois avant de rejeter ses offres. Scott est parti pour les Orcades par un gros tems, et Hogg dit que, tant que ce tems-là durera, il ne sera pas à l'aise, pour ne rien dire de plus. Je voudrais que ces poètes casaniers tâtassent de quelques bonnes bourrasques dans la Méditerranée, ou de la baie de Biscaye, même par un calme plat.»
LETTRE CXCII.
A M. MOORE.
«Quand vous recevrez cette lettre, je serai, Dieu aidant, de retour à Londres très-probablement. J'ai renouvelé ici connaissance avec mon vieil ami L'Océan; et je trouve que son sein est un oreiller aussi agréable pour le matin, que celui de la fille de Paphos le pourrait être le soir. Je me suis occupé à nager, à manger du turbot, à entrer en fraude de bonnes eaux-de-vie et des foulards, à écouter les jubilations de mon ami Hodgson à propos d'une femme qu'il a prise à son choix, à grimper sur les rochers, à dérouler du haut des montagnes, et surtout pendant la dernière quinzaine, à savourer dans tous ses charmes le dolce far niente. J'ai rencontré un fils de lord Erskine, qui dit qu'il est marié depuis un an, et qu'il est le plus heureux des hommes; or, mon ami Hodgson est aussi le plus heureux des hommes: ainsi, je n'ai pas perdu mon tems en venant ici, ne fût-ce que pour être témoin de la félicité suprême de tous ces renards qui se sont fait couper la queue, et voudraient persuader aux autres d'en faire autant, afin de se donner des compagnons d'infortune.
»Je suis charmé que Lara vous plaise. Le n° 45 de la Revue d'Édimbourg a paru; je suppose que vous l'avez reçu. Jeffrey n'y est que trop indulgent pour moi, et je commence à me croire un faisan doré et à me rengorger sous le beau plumage dont il lui a plu de me revêtir. Mais toujours le surgit amari: les rédacteurs du Champion et du Morning-Chronicle ont mis, je ne sais comment, la main sur mon épître de consolation à lady J*** sur l'enlèvement de son portrait par le régent, et les ont publiés avec mon nom; c'est par trop mal, et cela sans m'en demander permission, sans s'informer si cela me convient ou non. Que le diable emporte leur imprudence et tout le reste! C'est à en perdre patience; aussi, je n'en veux pas parler davantage.
»Vous recevrez, dès qu'ils paraîtront, Lara et Jaqueline, tous deux avec quelques additions; en attendant, j'hésite toujours, je diffère toujours, et suis dans un grand embarras; Rogers n'en éprouve pas moins à sa manière.
»Newsteadt va m'appartenir de nouveau. Claughton perd 15,000 livres sterling de dédit, ce qui ne m'empêche pas d'être à peu près ruiné. J'ai envie de m'y enterrer, de laisser croître ma barbe et de me mettre à vous détester tous.
»Oh! j'ai reçu la lettre la plus amusante de Hogg, le poète berger; il me prie de le recommander à Murray; et, parlant du libraire avec lequel il travaille actuellement, dont les billets ne sont jamais payés, il ajoute en toutes lettres, que le diable les emporte, eux et lui. J'ai ri, et vous auriez ri vous-même de la manière dont ce souhait bénévole est amené. Cet Hogg est un être étrange et de grands talens, quoique incultes. J'ai très-haute opinion de lui comme poète; mais lui et la moitié des troubadours d'Écosse et des lacs sont gâtés par les petits cercles et les petites sociétés qu'ils fréquentent. Londres et le grand monde, comme le disent les boxeurs, voilà ce qu'il faut à un homme pour lui faire perdre son amour-propre. Scott, dit-il, est parti pour les Orcades par un gros tems, et tant que ce tems durera, Hogg est sûr que Scott sera mal à son aise, pour ne rien dire de plus. Mon Dieu! mon Dieu! il faudrait à tous ces poètes casaniers votre Atlantique ou ma mer Méditerranée, et puis une promenade dans un bâtiment non ponté pendant une bonne bourrasque, un coup de vent dans le golfe, ou même la baie de Biscaye par un calme plat; cela leur élargirait l'ame, et leur ferait connaître bien des sensations; pour ne rien dire d'un ou deux amours illicites sur le rivage, par voie d'essai sur les passions, commençant par un simple adultère, et compliquant la chose chemin faisant.
»J'ai fait passer votre lettre à Murray; par parenthèse, vous aviez mis sur l'adresse: A M. Miller. Écrivez-moi, je vous prie, et dites-moi ce que vous faites. Pas encore fini! En vérité, cela n'est pardonnable qu'à vous. Je suis fâché d'apprendre que vous ayez un différend, ou plutôt que vous soyez moins bien avec les ***. Je ne veux être ni impertinent, ni bouffon sur un sujet si grave; c'est pourquoi je ne sais trop qu'en dire.
»J'espère que rien ne pourra vous faire rabattre du juste prix de votre ouvrage, aussi long-tems du moins que vous aurez quelque chance de l'obtenir. Pour moi, sérieusement parlant, je n'ai ni espérances ni but, c'est à peine si j'ai quelques désirs; je suis heureux sous de certains rapports, mais non d'une manière qui puisse et qui doive durer. Le pire est que je me sens énervé et indifférent à tout. En vérité, si Jupiter m'ouvrait son précieux tonneau, je ne sais ce que j'y prendrais. Si, comme le disent les nourrices, je suis né avec une cuillère d'argent dans la bouche, elle est restée dans mon gosier et m'a gâté le palais, de manière que rien de ce que j'avale n'a de goût, à moins que ce ne soit du poivre de Cayenne. Quoi qu'il en soit, j'ai des chagrins assez forts pour me forcer à les sentir; mais, de peur d'ajouter aux vôtres par cette longue diatribe, j'en diffère l'énumération sine die 128. Croyez-moi toujours, mon cher Moore, votre, etc.
»P. S. N'oubliez pas mon filleul. Vous ne pouviez choisir pour porter ses péchés quelqu'un qui convînt mieux que moi, habitué, comme je le suis, à porter double charge en ce genre sans le plus léger inconvénient.»
LETTRE CXCIII.
A M. MURRAY.
«Comme je n'ai pas reçu la plus petite réponse à mes trois dernières lettres, non plus que le livre que je demandais, le dernier numéro de la Revue d'Édimbourg, je présume que vous êtes la personne infortunée qui périt dans la pagode lundi dernier; c'est donc plutôt à vos exécuteurs testamentaires qu'à vous que j'adresse la présente, regrettant sincèrement que vous ayez eu assez de malheur pour être la seule victime de cette joyeuse journée.
»Je prendrai donc la liberté de dire à ces messieurs, quels qu'ils soient, que je suis un peu surpris de la négligence antérieure du défunt à mon égard, et comme aussi de l'annonce pour samedi prochain d'une certaine publication, contre laquelle j'ai protesté et je proteste encore par ces présentes.
»Je suis votre ou leur très-humble, etc.»
LETTRE CXCIV.
A M. MURRAY.
«La Revue d'Édimbourg est arrivée; merci. Je vous envoie une lettre de M. Hobhouse, par laquelle vous verrez quel ouvrage vous avez fait. Qu'importe? j'ai fini. Envoyez mes vers au diable par le chemin qui vous conviendra le mieux; je m'y soumets puisqu'il le faut. Il paraît que le portrait fidèle et animé est aussi dans votre nouvelle publication. Je vous en félicite; mais ce n'est pas du tout mon portrait, voilà tout. Sérieusement parlant, si j'ai retardé votre voyage en Écosse, je suis fâché que vous ayez poussé si loin la complaisance, d'autant plus que, pour les choses de peu d'importance, vous avez une méthode très-expéditive, témoin pour la grammaire de Hobhouse, ce petit bout de prose qui nous donna la fièvre à lui et à moi.
»Je n'avais aucune connaissance du contenu de la lettre de M. Moore; je crois vos offres fort belles, mais vous et lui pouvez mieux en juger. Toutefois, s'il peut obtenir davantage, vous ne devez pas vous étonner qu'il l'accepte.
»En avant donc Lara, puisqu'il le faut. Le volume paraît assez bien extérieurement. Je serai à Londres la semaine prochaine; en attendant je vous souhaite un bon voyage.
»Tout à vous, etc.»
LETTRE CXCV.
A M. MOORE.
«Je n'étais pas seul, et je ne le suis jamais quand je puis faire autrement. Claugthon doit faire un grand effort pour compléter son paiement d'ici à samedi en huit, sinon il perd 25,000 livres sterling, le domaine, ses dépenses, etc. etc. Si je reprends l'abbaye, je vous en avertirai en tems utile, et vous y aurez toujours une cellule à part, et un accueil pieux mais affectionné. Je n'ai pas vu Rogers, toutefois Lara et Jaqueline ont paru: avec quel succès? c'est ce que j'ignore. ............................................. .............................................................
»Il y a quelque chose de fort drôle à vous voir devenu l'un des rédacteurs de la Revue d'Édimbourg. Vous savez que T*** n'est pas des plus endurans; il pourrait se porter à quelque action tragique, rien que pour s'entendre dire qu'il n'est qu'un sot. Or, si Jeffrey venait à être tué pour un article de vous, ce serait une singulière conclusion. Pour moi, comme dit Mrs. Winifred, «il m'a très bien fait la chose,» surtout dans son dernier numéro, de sorte que c'est le meilleur des hommes et le plus habile des critiques, et je ne désire pas le voir tuer, quoique bien d'autres, j'en suis sûr, en seraient ravis, pour lui apprendre à avoir tant d'esprit et de malice.
»Avant de quitter Hastings, je me suis mis en colère contre une bouteille d'encre, que j'ai jetée la nuit par la fenêtre; qu'en est-il résulté? le lendemain j'ai été stupéfait de voir qu'elle s'était brisée et renversée sur le jupon d'une statue d'Euterpe dans le jardin, et l'avait barbouillée comme à plaisir. Voyez quelle a dû être ma douleur, et quelles épigrammes on aurait pu faire sur la muse et sa mésaventure.
»Il m'est arrivé quelque chose de presque aussi comique, à un théâtre bourgeois près de Cambridge, quoique dans un autre genre. Je me suis querellé dans l'obscurité avec un homme pour m'avoir, assez grossièrement il est vrai, demandé qui j'étais: je l'ai suivi jusque dans le foyer (une écurie par parenthèse), en fureur, au milieu d'une foule de gens que je n'avais vus auparavant. Il se trouva que c'était un cabotin gagé pour jouer avec les amateurs, et qui devint très-poli, quand il vit qu'il ne gagnerait rien de bon par la rudesse. Mais vous auriez ri de ce tumulte, du dialogue, des vêtemens ou plutôt de l'absence des vêtemens de la troupe au milieu de laquelle je me jetai en furie, et de l'étonnement que ma présence y causa. J'étais sorti de la salle pour prendre le frais dans le jardin: là je fus poursuivi par quelques chiens; je m'éloignais d'eux d'assez mauvaise humeur, quand je rencontrai mon homme de plus mauvaise humeur encore; et c'est de là que vint tout ce fracas.
»Eh bien! pourquoi ne vous lancez-vous donc pas? Voici votre heure venue; les gens commencent à être passablement las de moi, et pas trop charmés de ***, qui vient d'accoucher d'un in-quarto de vers blancs, in-quarto qui n'est cependant qu'une partie de son poème.
»Murray parle d'opérer un divorce entre Lara et Jaqueline, mauvais signe pour les auteurs qui pourraient bien divorcer aussi, et rejeter le blâme l'un sur l'autre. Sérieusement, je ne m'en soucie aucunement, et je ne vois pas pourquoi Rogers y attacherait plus d'importance.
»Donnez-moi de vos nouvelles ainsi que de celles de mon filleul. Si c'est une fille, le nom ira presque aussi bien.
»Toujours tout à vous, etc.»
LETTRE CXCVI.
A M. MOORE.
«J'ai écrit hier à Mayfield, et je viens d'affranchir votre lettre à maman. Le tems de mon séjour en ville est si incertain, que vos paquets pour le Nord pourraient ne pas m'arriver: dans tous les cas je ne resterai pas ici plus tard que la fin de la semaine prochaine. Je ne sais pas non plus exactement où je vais aller; probablement cependant à Newsteadt, et, si vous m'envoyez vos paquets avant mardi, je pourrai encore les faire parvenir à notre nouvel allié: Mais passé ce jour-là, je ne puis vous répondre qu'il soit encore tems.
»*** a, dit-on, été exilé de Paris, pour avoir dit que les Bourbons étaient des vieilles femmes. Ceux-ci auraient pu se contenter de lui rendre le compliment. ......................................................
»Je vous ai dit hier que Lara et Jaqueline allaient être divorcés, du moins à ce que dit le grand oracle Murray; pour moi, je n'en sais pas davantage. Jeffrey a été plus que juste à mon égard; quant à son conseil d'écrire une tragédie, je n'ai pas le tems de m'occuper de fictions en ce moment. Un homme ne saurait s'occuper à peindre un naufrage, quand son bâtiment est à sec, à mâts et à cordes par un coup de vent, ou au moment de toucher. Quand je serai encore une fois à terre, je verrai ce que je pourrai faire; et si, au contraire, je vais au fond dans cette tempête, Melpomène ne manque pas de soupirans plus anciens et plus habiles que moi pour la consoler.
»Quand je serai à Newsteadt, il faut que vous m'y veniez voir, même quand ce ne serait que pour un jour, si Mrs. Moore ne peut pas se passer de vous plus long-tems. L'abbaye mérite d'être vue comme ensemble de ruines, et je puis vous assurer que, de mon tems encore, il s'y faisait de bonnes parties, mais tout cela est fini. Toutefois, les revenans 129, les constructions gothiques, les pièces d'eau et la désolation qui y règne en font encore un séjour très-gai.
»Toujours tout à vous, etc.»
Note 129: (retour) Si je ne me trompe, c'est pendant son dernier séjour à Newsteadt qu'il s'était lui-même figuré voir lui apparaître le moine noir qu'on disait revenir dans l'abbaye depuis le tems de la destruction des monastères, et qu'il décrit dans son Don Juan (chant XV), sans doute d'après le souvenir de son aventure imaginaire.On dit que le revenant de Newsteadt apparut aussi à miss Fanny Parkins, cousine de Lord Byron, et qu'elle le dessina ensuite de mémoire.(Note de Moore.)