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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 13: Comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore

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The Project Gutenberg eBook of Œuvres complètes de lord Byron, Tome 13

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Title: Œuvres complètes de lord Byron, Tome 13

Author: Baron George Gordon Byron Byron

Annotator: Thomas Moore

Translator: Paulin Paris

Release date: August 1, 2011 [eBook #36938]

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
Online Distributed Proofreaders Europe at
http://dp.rastko.net. This file was produced from images
generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ŒUVRES COMPLÈTES DE LORD BYRON, TOME 13 ***





ŒUVRES COMPLÈTES

DE

LORD BYRON,

AVEC NOTES ET COMMENTAIRES,

COMPRENANT

SES MÉMOIRES PUBLIÉS PAR THOMAS MOORE,

ET ORNÉES D'UN BEAU PORTRAIT DE l'AUTEUR.
Traduction Nouvelle

PAR M. PAULIN PARIS,

DE LA BIBLIOTHÈQUE DU ROI.

TOME TREIZIÈME.



PARIS.
DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, IMPR.-LIB., ÉDITEURS,
RUE SAINT-LOUIS, N° 46,
ET RUE RICHELIEU, N° 47 bis.

1831.



LETTRES

DE LORD BYRON,

ET

MÉMOIRES SUR SA VIE,

Par Thomas MOORE.


MÉMOIRES

SUR LA VIE

DE LORD BYRON.



LETTRE CCCCLXXXIV.

A M. MURRAY.

Pise 6 mars 1822.



«Vous avez (ou devez avoir) depuis long-tems reçu une lettre de moi, où j'énonce mon opinion sur les mauvais traitemens que vous avez éprouvés à propos de la dernière publication. Je les crois déshonorans pour ceux qui vous ont persécuté. Je fais la paix avec vous, quoique notre guerre ait eu lieu pour d'autres motifs que cette controverse même. J'ai écrit à Moore, par ce courrier-ci, pour qu'il vous envoyât la tragédie de Werner. Je ne contracterai avec vous, ni ne vous proposerai aucun marché sur cette pièce, ni sur le nouveau Mystère, jusqu'à ce que nous voyions si ces ouvrages réussissent. S'ils ne se vendent pas (ce qui n'est pas invraisemblable), vous ne me paierez pas; et je crois que c'est vous donner beau jeu, si vous acceptez la partie.

»Bartolini, le célèbre sculpteur, m'a écrit qu'il désirait faire mon buste; j'ai consenti, à condition qu'il ferait aussi celui de la comtesse Guiccioli. Il a fait les deux, et je crois qu'on reconnaîtra que celui de la comtesse est beau. Je vous ferai présent des deux bustes, pour vous montrer que je n'ai point de malice, et pour vous donner une compensation des peines et des tracasseries que vous avez essuyées à cause du buste de Thorwaldsen. Je ne puis rien dire de mon buste, sinon qu'on le juge très-ressemblant à ce que je suis aujourd'hui, ce qui ne ressemble pas du tout à ce que j'étais quand vous me vîtes pour la dernière fois. Le sculpteur est un artiste fameux; et comme c'est d'après son désir qu'il a fait cette œuvre, elle doit être bien faite probablement.

»Que fera-t-on pour *** et son commentaire? Il mourra, s'il n'est pas publié; il sera sifflé, s'il est publié: mais il n'y songe pas. Il faut que nous le publiions.

»Tout le tumulte élevé contre moi ne m'a touché que par l'attaque dirigée contre vous, trait peu généreux de l'église et de l'état; mais comme toute action violente produit au bout de quelque tems une réaction proportionnelle, vous serez mieux traité une autre fois.

»Votre très-sincère, etc.»

Noel BYRON.



LETTRE CCCCLXXXV.

A M. MOORE.

Pise, 8 mars 1822.



«Vous avez eu quantité suffisante de mes lettres depuis quelque tems;--un mot pourtant en réponse à votre présente missive. Vous auriez grand tort de penser que votre avis m'ait offensé.

»Quant à Murray, comme je suis réellement le plus doux et le plus paisible des hommes depuis Moïse (quoique le public et mon «excellente épouse» n'aient pu s'en apercevoir), j'avais déjà fait ma paix et renoué mon alliance avec Albemarle-Street, somme mon épître d'hier vous en aura informé. Mais je croyais avoir expliqué les causes de ma bile,--du moins à vous. Quelques traits de vacillation, de négligence, et d'importune sincérité, soit réels, soit imaginaires, suffisent pour mettre votre vrai grand auteur et grand homme dans un accès de fureur. Mais la réflexion, à l'aide de l'ellébore, m'avait déjà guéri pro tempore; sinon, une prière, venue de vous et de Hobhouse, aurait produit sur moi deux fois plus d'effet que le tribus Anticyris1, avec quoi Horace désespère de purger un poète.--Je suis réellement honteux de vous avoir fatigué si fréquemment et si lourdement depuis peu; mais que pouvais-je faire? Vous êtes un ami,--ami absent, hélas!--et comme je n'ai en aucun autre plus de confiance, je vous importune en proportion.

Note 1: (retour) 1 Hor. Art Poét.--Anticyre était le nom d'une île fertile en ellébore. (Note du Trad.)

»Cette guerre «de l'église et de l'état» m'a étonné plus qu'elle ne me trouble, car je croyais réellement que Caïn était une œuvre spéculative et hardie, mais pourtant innocente. Comme je vous l'ai déjà dit, je suis vraiment grand admirateur de la religion matérielle et tangible; et j'élève une de mes filles dans la foi catholique, afin qu'elle ait les mains pleines. Le catholicisme est bien le culte le plus élégant, sans excepter peut-être la mythologie grecque. L'encens, les tableaux, les statues, les autels, les châsses, les reliques, et la présence réelle, la confession et l'absolution,--tout cela donne prise aux sens. D'ailleurs il n'y a plus de possibilité pour le doute; car ceux qui avalent leur divinité véritablement et réellement dans le mystère de la transsubstantiation, ne peuvent guères rien trouver de plus facile digestion.

»Je crains que ce mot ne soit trop égrillard, mais je l'ai dit sans mauvaise intention; c'est mon tour d'esprit qui me fait prendre les choses sous leur point de vue absurde, et qui éclate malgré moi de tems en tems. Pourtant, je vous assure que je suis bon chrétien. Me croyez-vous sur ce point? je ne sais,--mais je compte que vous me croirez à la lettre.

»Votre ami très-sincère et très-affectionné, etc.

»P. S. Dites à Murray qu'une des conditions de la paix est qu'il publie (ou fasse publier par un confrère) le Commentaire du Dante de ***, malgré l'extrême répugnance que le commerce paraît y opposer. Cette publication rendra notre homme si extraordinairement heureux! Il dîne aujourd'hui avec moi et une demi-douzaine d'Anglais, et je n'ai pas le cœur de lui dire combien le monde de la librairie a d'antipathie pour son commentaire--qui pourtant respire la morale et la religion la plus orthodoxe. Bref, je regarde comme un point important, que *** soit mis sous presse. Il a soif d'être auteur, et il a été le plus heureux des hommes pendant ces deux derniers mois, en imprimant, corrigeant, collationnant, datant, anticipant, et ajoutant à ses trésors de science. A propos, il est encore tombé de cheval dans un fossé, l'autre jour, en se promenant avec moi dans la campagne.»



LETTRE CCCCLXXXVI.

A M. MURRAY.

Pise, 15 mars 1822.



»Je suis charmé que vous et vos amis approuviez ma lettre du 8 du mois dernier. Vous pouvez y donner toute la publicité que vous jugerez convenable dans les circonstances actuelles. Je vous ai depuis écrit deux ou trois fois.

»Quant à «un poème dans l'ancien genre» je n'essaierai rien de plus en ce genre. Je suis la pente de mon esprit, sans considérer si les femmes ou les hommes sont ou ne sont pas satisfaits, mais peu importe à mon éditeur, qui doit juger et agir en raison de ma popularité.

»Donc, laissez les ouvrages à leur destinée: si l'on paie, vous me paierez en proportion; sinon, c'est moi qui vous paierai.

»Les affaires de la succession Noël ne m'amèneront pas, j'espère, en Angleterre. Je n'ai aucun désir de revoir ce pays, sinon pour vous tirer de prison (si je puis le faire en prenant votre place), ou peut-être pour m'y faire mettre, en exigeant satisfaction d'une ou deux personnes, qui profitent de mon absence pour m'insulter. Sauf cela je n'ai ni affaires ni relations en Angleterre, ni je ne désire en avoir (hormis les gens de ma famille et mes amis, à qui je souhaite toute sorte de prospérité); somme toute, j'ai si peu vécu en Angleterre (à peu près cinq ans depuis l'âge de vingt-ans), que mes habitudes sont trop continentales, et que votre climat me plairait aussi peu que votre société.

»J'ai vu le rapport du chancelier dans un journal français. Dites-moi, je vous prie, pourquoi ne persécute-t-on pas la traduction de Lucrèce, ou même l'original pour ce vers,

Primus in orbe Deos fecit timor2,

»Ou pour cet autre.

Tantum relligio potuit suadere malorum3?
Note 2: (retour) Les Dieux durent leur origine à la crainte.
Note 3: (retour) 3 Tant la religion a pu inspirer de forfaits! (Notes du Trad.)

»Vous devriez réellement faire faire quelque chose pour le commentaire de Mr ***: que puis-je lui dire?

»Tout à vous, etc.»



LETTRE CCCCLXXXVII.

A M. MURRAY.

Pise, 13 avril 1822.



»Mr Kinnaird m'écrit, qu'il a paru une «excellente défense» de Caïn, contre l'Oxoniensis; vous ne m'avez envoyé rien de plus qu'une excellente attaque du même poème. S'il existe un tel «défenseur de la foi» vous pouvez m'envoyer ses trente-neuf articles, pour contrebalancer quelques-unes de vos dernières communications.

»Êtes-vous prêt ou non à publier ce que Moore et Mr Kinnaird ont entre leurs mains, et la Vision du Jugement? Si vous publiez cette dernière pièce dans une édition à bon marché, afin de confondre les espérances des pirates par un bas prix, vous verrez qu'elle réussira. Je regarde le Mystère et Werner comme de bons ouvrages, et j'espère que vous les publierez promptement. Vous ne mettrez pas mon nom à Quevedo, mais le publierez comme édition étrangère, et le laisserez aller son chemin. Douglas Kinnaird l'a encore, je crois, avec la préface.

»Je vous renvoie à lui pour les documens relatifs au dernier tapage d'ici. Je les lui ai envoyés il y a une semaine.

»Tout à vous, etc.



LETTRE CCCCLXXXIX4.

A M. MURRAY.

Pise, 22 avril 1822.



»Vous serez peiné d'apprendre que j'ai reçu l'avis du décès de ma fille Allégra, morte d'une fièvre dans le couvent de Bagna Cavallo, où elle avait été placée l'année dernière pour commencer son éducation. C'est un coup bien rude pour plusieurs raisons, mais il faut le supporter, avec l'aide du tems.

Note 4: (retour) La lettre 488 a été supprimée.

»J'ai l'intention d'envoyer ses restes en Angleterre pour qu'ils reçoivent la sépulture dans l'église d'Harrow (où jadis j'espérais moi-même être enterré), et c'est la raison pour laquelle je vous importune de cette nouvelle. Je désire que les funérailles soient très-secrètes. Le corps est embaumé, et dans une caisse de plomb. Il sera embarqué à Leghorn. Voulez-vous nous donner les meilleurs avis pour le faire arriver à bon port.

»Tout à vous, etc.
N. B.


»P. S. Vous savez que les protestans ne peuvent, dans les pays catholiques, recevoir la sépulture en terre sainte.»



LETTRE CCCCXC.

A M. SHELLEY.

23 avril 1822.



»Le coup a été inattendu et étourdissant; car je croyais le danger passé, vu le long intervalle qui s'est écoulé entre l'avis du mieux être et l'arrivée du fatal exprès. Mais j'ai supporté ce coup de mon mieux et même avec tant de succès, que je puis me livrer aux occupations ordinaires de la vie avec l'apparence du même calme, et peut-être même d'un plus grand. Il n'y a rien qui empêche que vous ne veniez demain, mais aujourd'hui, comme hier soir, il vaut mieux peut-être que je ne vous voie pas. Je ne crois pas avoir rien à me reprocher dans ma conduite, et surtout dans mes sentimens et mes intentions à l'égard de la petite infortunée. Mais c'est un moment où nous sommes disposés à penser que, si nous avions fait ceci ou cela, nous aurions prévenu un tel événement,--quoique chaque jour, chaque heure nous montre combien ce malheur est naturel et inévitable. Je présume que le tems fera son œuvre ordinaire:--la mort a fait la sienne.

»Tout à vous à jamais,»



LETTRE CCCCXCI.

A SIR WALTER-SCOTT.

Pise 4 mai 1822.



Mon Cher Sir Walter,

«Le tableau que vous me faites de votre famille est fort touchant. Que ne puis-je «reconnaître ce plaisir par le pendant de votre tableau!» Mais je viens de perdre ma fille naturelle, Allégra, qui a succombé à une fièvre. Ma seule consolation, hormis le tems, est la réflexion que ma fille est maintenant en repos ou heureuse: car le peu d'années qu'elle a vécu (elle avait cinq ans) l'a empêchée d'être souillée d'aucun péché, excepté celui que nous héritons d'Adam.

Quiconque est aimé des Dieux meurt jeune.

»Je n'ai pas besoin de vous dire que vos lettres me seront particulièrement agréables, quand elles ne seront pas une taxe sur votre tems et sur votre patience; et maintenant que notre correspondance est reprise, j'espère qu'elle continuera.

»J'eus dernièrement ici quelque inquiétude, je ne dis point quelque embarras, à propos d'une affaire assez bizarre, dont vous avez peut-être entendu parler; mais notre ministre s'est conduit très-noblement, et le gouvernement toscan aussi bien qu'il est possible à un tel gouvernement de le faire, ce qui n'est pas beaucoup dire. Quelques Anglais et Écossais, moi compris, nous eûmes une querelle avec un dragon, qui avait insulté l'un de nous, et que nous avions pris pour un officier, vu qu'il était galonné et fort bien monté, etc., mais il se trouva n'être qu'un sergent-major. Il appela la garde aux portes de la ville pour nous arrêter (nous étions sans armes); sur quoi, moi et un autre (un Italien) nous passâmes au galop à travers la susdite garde, mais nos autres compagnons furent arrêtés. Je courus chez moi, et envoyai mon secrétaire faire aux autorités un rapport de cette arrestation illégale; puis, toujours sans descendre de cheval, je retournai aux portes, qui sont près de ma demeure actuelle. A moitié chemin, je rencontrai mon homme, qui exhala sa bile en propos insultans, et menaça de me frapper de son sabre (moi qui n'avais qu'une canne à la main, et point d'autres armes). Moi, qui continuais à le croire officier, je lui demandai son nom et son adresse, et lui donnai ma main et mon gant. Un de mes domestiques se jeta entre nous (sans que je le lui eusse commandé); mais, sur mon ordre, il laissa le dragon aller son chemin. Ce dernier s'enfuit alors à toute bride; mais environ quarante pas plus loin, il fut frappé, et même dangereusement (de manière à être en péril de mort), par un Callum Beg ou quelque autre de mes gens (car j'ai près de moi quelques gaillards à la main prompte): je n'ai pas besoin de vous dire que ce fut sans commandement ou approbation de ma part. Le susdit dragon avait toutefois sabré nos compatriotes sans armes, à la porte de la ville, après qu'ils eurent été arrêtés, et pendant qu'ils étaient tenus par les gardes;, il en avait même blessé un, le capitaine Hey, très-grièvement. Par qui fut-il blessé à son tour? Quoique le coup ait eu lieu devant des milliers de personnes, on n'a jamais pu constater ni prouver le fait, ni même déterminer par quelle arme; les uns disent un pistolet, les autres un fusil à vent, un stiletto, une épée, une lance, une fourche, et que sais-je encore. On a arrêté et confronté des domestiques et des gens de toute espèce, sans pouvoir rien découvrir. M. Dawkins, notre ministre, m'assure qu'on ne soupçonne pas du tout que l'auteur du coup ait été poussé par moi ou par aucun de mes compagnons. Je vous envoie ci-joint les copies des dépositions de nos gens et amis, et du docteur Craufurd, spirituel Écossais (qui n'est pas de mes connaissances), qui avait vu la fin de l'affaire. Toutes les pièces sont en italien.

»Ce sont les seules matières littéraires où j'aie été engagé depuis la publication orageuse de Caïn;--mais M. Murray a plusieurs de mes productions à accoucher: un autre mystère,--une vision,--un drame,--etc. Mais vous, vous ne voulez pas me dire ce que vous faites;--cependant, je vous devinerai; écrivez ce qu'il vous plaira. Vous dites que j'aimerais votre gendre:--il me serait difficile de ne point l'aimer, puisqu'il a un si étroit lien avec vous; mais je ne doute pas que ses qualités ne soient conformes à votre description.

»Je suis fâché que vous n'aimiez pas le nouvel ouvrage de lord Oxford. Mon aristocratie, qui est intraitable, le rend un de mes favoris. Songez que ces «petites factions» occupèrent lord Chatham et Fox le père, et que nous autres nous vivons dans un tems gigantesque, qui nous fait prendre pour des pygmées tous les hommes au-dessous de Gog et de Magog.--Après avoir vu Napoléon commencer comme Tamerlan et finir comme Bajazet dans notre siècle, nous ne trouvons pas le même intérêt dans une histoire, qui autrement nous aurait paru importante. Mais je finis.

»Croyez-moi pour toujours et très-sincèrement tout à vous.»
Noel BYRON.



LETTRE CCCCXCII.

A M. MURRAY.

Pise, 17 mai 1822.



«J'apprends que la Revue d'Édimbourg a attaqué les trois drames, ce qui est une mauvaise affaire pour vous; et je ne m'étonne pas que vous perdiez courage. Cependant, ce volume peut être confié au tems:--c'est sur le tems qu'il vous faut compter. J'ai relu le livre avec attention depuis la publication, et je pense qu'un jour il sera préféré à mes autres écrits. Je dis cela sans colère contre les critiques ou la critique, quelle qu'elle puisse être (car je ne l'ai pas vue); et rien de ce qui a paru ou peut paraître dans la Revue de Jeffrey, ne me fera oublier qu'il a tenu bon pour moi pendant dix ans, sans autre motif que sa bonne volonté.

»J'apprends que Moore est en ville; rappelez-moi à lui, et croyez-moi

»Tout à vous sincèrement,
N. B.


»P. S. Si vous le jugez nécessaire, vous pouvez m'envoyer la Revue d'Édimbourg. S'il y a quelque passage qui demande une réponse, je répondrai, mais modérément et techniquement, c'est-à-dire en n'ayant égard qu'aux principes posés par la critique, et sans allusions offensives, soit à la personne, soit au mérite littéraire du critique.»



LETTRE CCCCXCIII.

A M. MOORE.

Pise, 17 mai 1822.



«J'apprends que vous êtes à Londres. Vous aurez su de Douglas Kinnaird (qui me dit que vous avez dîné avec lui) tout ce que vous aurez désiré savoir de mes affaires. J'ai dernièrement perdu ma petite fille Allégra par suite d'une fièvre, ce qui a été pour moi un coup sérieux.

»Je ne vous ai pas écrit dernièrement, ne sachant pas exactement où vous étiez. Douglas Kinnaird a refusé d'envoyer mon cartel à M. Southey.--Pourquoi? Il vous l'expliquera lui-même.
»................................................5
N. B.


Note 5: (retour) 5 Ici suit la répétition des détails de la querelle racontée plus haut à Walter-Scott. (Note de Moore.)


LETTRE CCCCXCIV.

A M. MURRAY.

Montenero6, 26 mai 1822, près Leghorn.



Note 6: (retour) Colline à trois ou quatre milles de Leghorn, très-fréquentée, comme lieu de résidence, durant les mois d'été. (Note de Moore.)

«Le corps est embarqué, je ne sais pas dans quel vaisseau: je n'ai pu entrer dans les détails, mais la comtesse Guiccioli a eu la bonté de donner les ordres nécessaires à M. Dunn, qui a surveillé l'embarquement, et qui vous écrira. Je désire que la sépulture ait lieu dans l'église d'Harrow.

»Il y a un endroit dans le cimetière, près du sentier, au sommet de l'éminence qui regarde Windsor, et une tombe sous un arbre immense (elle porte le nom de Peachie ou Peachey), où j'avais coutume de demeurer assis durant des heures entières quand j'étais enfant: c'était mon endroit favori. Mais comme je désire consacrer quelques phrases à la mémoire d'Allégra, il vaut mieux faire déposer le corps dans l'église. Près de la porte, à la gauche quand on entre, il y a un monument qui porte ces mots:

Quand le deuil pleure sur la poussière sacrée de la vertu,

Nos larmes nous vont bien, et notre douleur est juste;

Telles furent les larmes de celle dont la reconnaissance paie

Ce dernier et mélancolique tribut de son amour et de sa louange.

»Je me rappelle ces vers (après dix-sept ans), non qu'ils soient remarquables par eux-mêmes, mais parce que de ma place, dans la galerie, j'avais presque toujours les yeux tournés vers ce monument. Je désirerais qu'Allégra fût enterrée le plus près de là qu'il sera possible, et qu'on plaçât dans le mur une table de marbre avec ces mots:--

EN MÉMOIRE
D'ALLÉGRA,
FILLE DE G. G. LORD BYRON,
MORTE A BAGNA CAVALLO,
EN ITALIE, LE XX AVRIL MDCCCXXII,
A L'AGE DE CINQ ANS ET TROIS MOIS..
«J'IRAI A ELLE, MAIS ELLE NE REVIENDRA PAS A MOI.»
(2e Samuel, XII, 23.)

«Je désire que les funérailles soient aussi secrètes que la décence le comportera; et j'espère que Henry Drury lira l'office des morts sur ma fille. S'il refuse, l'office sera célébré par le ministre de service. Je ne crois pas avoir besoin de rien ajouter.

»Depuis que je suis ici, j'ai été invité par les Américains à venir à bord de leur escadre, où j'ai été accueilli avec toute la bienveillance que je pouvais désirer, et avec plus de cérémonie que je n'en aime. J'ai trouvé leurs navires plus beaux que les nôtres de la même classe, et bien montés en hommes et en officiers. Il y avait alors à bord beaucoup de bourgeois américains et quelques dames. Comme je prenais congé de la compagnie, une dame américaine me demanda une rose que je portais, afin, dit-elle, d'envoyer en Amérique quelque chose de moi comme souvenir. Je n'ai pas besoin d'ajouter que je répondis convenablement au compliment. Le capitaine Chauncey me montra une fort jolie édition américaine de mes poèmes, et m'offrit le passage aux États-Unis, si je voulais y aller. Le commodore Jones ne fut pas moins poli ni moins prévenant. J'ai depuis reçu la lettre ci-incluse, qui me prie de poser pour mon portrait en faveur de quelques Américains. Il est singulier que, la même année où lady Noël interdit par testament à ma fille de voir le portrait de son père avant plusieurs années, les individus d'une nation qui n'est pas connue pour aimer les Anglais en particulier ni pour flatter les hommes en général, me prient de poser pour «ma portraiture», comme dit le baron Bradwardine. J'apprends aussi que je reçois de grands honneurs littéraires en Allemagne. Goëthe, me dit-on, est mon patron et protecteur avoué. A Leipzik, cette année, le grand prix proposé a été une traduction de deux chants de Childe Harold. Je ne suis pas sûr que ce soit à Leipzik, mais M. Rowcroft est mon autorité;--c'est un jeune américain, qui est fort instruit en littérature allemande, et qui connaît Goëthe particulièrement.

»Goëthe et les Allemands sont surtout charmés de Don Juan, qu'ils jugent une œuvre d'art. Je l'avais déjà entendu dire par le baron Lutzerode. On a fait de nombreuses traductions de plusieurs de mes ouvrages, et Goëthe a fait un parallèle entre Faust et Manfred.

»Tout cela est une espèce de compensation pour la brutalité, que vous autres, Anglais, avez déployée cette année à un si haut degré. ......................................................

»Tout à vous, etc.»



LETTRE CCCCXCV.

A M. MURRAY.

Montenero, près Leghorn, 29 mai 1822.



«Je vous renvoie les épreuves. Votre imprimeur a fait une drôle de bévue:--«pauvre comme un rat»--au lieu de «pauvre comme un avare7.» L'expression peut sembler étrange; mais ce n'est qu'une traduction du semper avarus eget8. Vous joindrez le Mystère et vous publierez aussitôt que vous pourrez. Je ne me soucie pas de «votre saison opportune» ni des approbations ou improbations des bas-bleus. Tout ce que vous avez à considérer sur ce sujet est un point de commerce, et si je le règle suivant vos désirs (même en courant moi seul tous les risques et périls), vous me permettrez de choisir le tems et le mode de la publication. Quant au volume dernièrement publié, l'attaque présente, contre lui ou plutôt contre moi, peut lui nuire pour un tems, mais il a en lui un principe vital de durée, comme vous le verrez un jour. Je vous ai écrit il y a quelques jours sur un autre sujet.

»Tout à vous,
N. B.


Note 7: (retour) 7 Poor as a mouse, au lieu de poor as a miser.
Note 8: (retour) L'avare est toujours pauvre. (Notes du Trad.)

»P. S. Ayez la bonté de m'envoyer la Dédicace de Sardanapale à Goëthe. Je la mettrai devant Werner, à moins que vous ne préfériez que j'en mette une autre, où je dise que la première avait été omise par l'éditeur.

»Sur le faux-titre du présent volume, mettez:

»Publié pour l'auteur par John Murray.»



LETTRE CCCCXCVI.

A M. MURRAY.

Montenero, Leghorn, 16 juin 1822.



«Je vous renvoie la seconde épreuve de Werner, et j'attends le reste. Quant aux vers sur le Pô, peut-être vous ferez bien de les glisser paisiblement dans une seconde édition (si vous allez jusque-là, bien entendu) plutôt que de les insérer dans la première; car quoiqu'ils aient été reconnus pour bons et que je désire ne pas les perdre, je ne veux pas qu'ils attirent immédiatement l'observation, à cause des relations de parenté de la dame à qui ils sont adressés avec les premières familles de la Romagne et des Marches.

»Le défenseur de Caïn peut être ou ne pas être, comme vous l'appelez «un novice en littérature.» Toujours est-il, à mon avis, que vous et moi lui avons une grande obligation. J'ai lu l'article de la Revue d'Édimbourg dans le Magazine de Galignani, et je n'ai pas encore décidé si je dois ou non répondre; car, si je réponds, il me sera difficile de ne pas «amuser les Philistins» en renversant une ou deux maisons: attendu que, une fois en besogne, il faut dire tout ce qui vient au bout de ma plume ou bien la rejeter loin de moi. Je n'ai pas l'hypocrisie de prétendre à l'impartialité, ni un caractère (comme on dit) à m'abstenir toujours de dire ce qui déplaira à l'auditeur ou au lecteur. Que veut-on dire par le mot d'œuvre travaillée? Vous savez bien que j'ai tout écrit aussi vite que j'ai pu tracer des caractères sur le papier, que tout a été imprimé d'après les manuscrits originaux et que je n'ai jamais rien revu que dans les épreuves; voyez les dates et les manuscrits. Toutes les fautes viennent de la négligence, et non du travail. On disait la même chose de Lara, que je composai en me déshabillant à mon retour des bals et des mascarades dans l'an de bombance 1814.

Tout à vous.»



LETTRE CCCCXCVII.

A M. MOORE.

Montenero, Villa Dupoy, près Leghorn, 8 juin 1822.



«Je vous ai écrit deux fois par l'intermédiaire de Murray, et sur un sujet assez usé,--la perte de la pauvre petite Allégra, morte d'une fièvre; je ne dirai sur ce point rien de plus,--sinon qu'il n'y a d'autre ressource que le tems.

»Il y a peu de jours, mon ancien et tendre ami, lord Clare, est revenu de Genève, afin de me voir avant de retourner en Angleterre. Comme je l'ai toujours aimé (depuis l'âge de treize ans, à Harrow) plus que tout autre individu (masculin) de ce monde, j'ai à peine besoin de dire quel plaisir mélancolique j'eus à ne le voir que pour un jour; car il était obligé de reprendre son voyage sur-le-champ. ...........................

»J'ai lu le dernier article de Jeffrey dans une fidèle citation de l'impartial Galignani. Je présume que le fin mot de ceci, c'est que Jeffrey désire me provoquer à répondre. Mais je ne veux pas, car je lui suis encore redevable pour sa bienveillance passée. En vérité, je suppose que l'occasion présente de cette nouvelle attaque contre moi était irrésistible; je ne puis le blâmer, connaissant ce que c'est que la nature humaine. Je ne ferai qu'une remarque;--que veut-il dire par l'expression d'œuvre travaillée? Tout le volume a été composé avec la plus grande rapidité, au milieu des évolutions, révolutions, persécutions et proscriptions de tous ceux qui m'intéressaient en Italie. On disait la même chose de Lara, qui, vous savez, fut écrite au milieu des bals et des folies, et au retour des mascarades et des routs9, dans l'été des souverains. De tout ce que j'ai jamais écrit, ces derniers ouvrages sont peut-être les plus négligemment composés; et les fautes, quelles qu'elles soient, sont dues à l'incurie, et non au travail. Je ne prétends pas que ce soit un mérite, mais c'est un fait.

»Tout à vous à jamais et de cœur,
N. B.


»P. S. Vous voyez le grand avantage de ma nouvelle signature:--elle peut être prise pour Nota bene ou pour Noël Byron; et, par conséquent, elle m'épargnera beaucoup de répétitions, soit dans les livres ou dans les lettres que j'écrirai. Depuis que je suis ici, j'ai été invité à bord de l'escadre américaine, et traité avec tous les honneurs et toutes les cérémonies possibles. On m'a prié de poser pour mon portrait; et, à l'instant où je m'en allais, une dame américaine me prit une rose (qui m'avait été donnée le matin même par une fort jolie dame italienne), parce que, disait-elle, «elle était résolue à envoyer ou emporter en Amérique quelque souvenir qui vînt de moi.» Toutefois, ces hommages américains ne naissent peut-être pas tant de l'admiration de ma poésie que de mon dédain pour les Anglais,--en quoi j'ai la satisfaction de cadrer avec les citoyens des États-Unis. J'aimerais mieux toutefois recevoir un coup-d'œil d'un Américain, qu'une tabatière d'un empereur.»

Note 9: (retour) 9 Mot anglais (qu'on prononce raout) adopté maintenant dans la société française, pour désigner les réunions extrêmement nombreuses. (Note du Trad.)


LETTRE CCCCXCVIII.

A M. ELLICE.

Montenero, Leghorn, 12 juin 1822.



Mon Cher Ellice,

«Il y a long-tems que je ne vous ai écrit, mais je n'ai pas oublié votre bonté, et je viens aujourd'hui la mettre à contribution,--non pas trop, à ce que j'espère;--mais ne vous alarmez point, ce n'est pas un prêt, mais une information que je vais solliciter. Vu l'étendue de vos relations, personne ne peut avoir de meilleures occasions pour connaître l'état réel de l'Amérique du Sud,--je veux dire du pays de Bolivar. J'ai depuis plusieurs années le projet d'un établissement transatlantique; et ce que je désirerais de vous, ce seraient quelques renseignemens sur la meilleure voie à suivre, et quelques lettres de recommandation, au cas que je m'embarquasse pour Angustura. On me dit que les terres dans ce pays se vendent à très-bon marché; mais quoique je n'aie pas de grands fonds disponibles à consacrer à de tels achats, cependant mon revenu actuel est suffisant, dans quelque pays que ce soit (hormis l'Angleterre), pour fournir à tous les besoins nécessaires de la vie, et même à un abondant superflu. La guerre est maintenant terminée là-bas; et comme je n'y vais pas pour spéculer, mais pour m'y établir sans aucune autre vue que celle de l'indépendance, et de la jouissance commune des droits civils, je présume que mon arrivée ne serait pas vue avec déplaisir.

»Tout ce que je vous demande, c'est de ne point me courager ou encourager, mais de me donner tous les renseignemens que vous jugerez utiles et convenables. Je ne m'adresse pas sur ce point à mes autres amis, qui ne feraient que jeter des obstacles dans ma route, et me solliciteraient de revenir en Angleterre: ce que je ne ferai jamais, à moins d'y être contraint par une cause insurmontable. J'ai une grande quantité de meubles, de livres, etc., etc., que j'embarquerais aisément à Leghorn; mais je désire «regarder avant de sauter» sur l'Atlantique. Est-il vrai que pour quelques milliers de dollars on puisse avoir une vaste étendue de terres? Je parle de l'Amérique du Sud, songez bien. J'ai lu quelques ouvrages publiés sur ce sujet, mais ils m'ont paru entachés de violence et d'esprit de parti. Ayez la bonté de m'adresser ici votre réponse, et croyez-moi toujours et sincèrement votre, etc,10

Note 10: (retour) La réponse de M. Ellice dissuada vivement Lord Byron de son dessein. L'entière désorganisation du pays et de ses institutions, qui ne permettra peut-être pas à la Colombie de recouvrer, même avant plusieurs siècles, le degré d'industrie et de prospérité dont elle jouissait sous les Espagnols, rendait ce pays, dans l'opinion de M. Ellice, l'un des derniers où un homme désireux de la paix et du repos, ou même de sa sécurité personnelle et de la sûreté de ses propriétés, dût aller chercher un asile. Tant que Bolivar vivrait et maintiendrait son autorité, on pouvait, disait M. Ellice, mettre toute confiance dans son intégrité et sa fermeté; mais, à sa mort, s'ouvrirait une ère nouvelle de combats et de désordres. (Note de Moore.)

A cette époque, Lord Byron posa pour faire faire son portrait par M. West, artiste américain, qui a lui-même donné, dans un de nos ouvrages périodiques, les détails suivans sur le noble poète:--

«Au jour convenu, j'arrivai à deux heures, et commençai son portrait. Je le trouvai un modèle incommode. Il parla tout le tems, et me fit une multitude de questions sur l'Amérique;--me demanda jusqu'à quel point j'aimais l'Italie, quelle opinion j'avais des Italiens, etc. Quand il devint silencieux, il fut alors un modèle plus commode qu'auparavant, car il prit une contenance qui ne lui était point propre, comme s'il eût songé toutefois à un frontispice pour Childe Harold. Au bout d'environ une heure, notre première séance fut terminée, et je retournai à Leghorn, pouvant à peine me persuader que ce fût là ce hautain misantrope dont le caractère avait toujours paru si enveloppé de ténèbres et de mystère, car je ne me rappelle pas avoir jamais vu de manières plus douces et plus attrayantes.

»Je revins le lendemain, et j'eus une autre séance d'une heure, durant laquelle il sembla inquiet de savoir ce que deviendrait mon œuvre. Tandis que je peignais, la fenêtre d'où la lumière me venait s'obscurcit soudain, et j'entendis une voix s'écrier: È troppo bello! Je me retournai, et je vis une belle femme qui se baissait pour regarder, le sol extérieur étant de niveau avec le bas de la fenêtre. Ses longs cheveux d'or tombaient sur son visage et ses épaules; son teint était superbe, et son sourire complétait la tête la plus romantique que j'eusse jamais vue, rehaussée surtout comme elle l'était par l'éclat du soleil qui brillait par derrière. Lord Byron invita cette dame à entrer, et me la présenta en me disant que c'était la comtesse Guiccioli. Il semblait passionnément amoureux d'elle, et je fus charmé de la présence de la comtesse, car l'air de plaisir que Lord Byron prit alors auprès d'elle le rendait un meilleur modèle.

»Le lendemain, je fus content de voir que le progrès que j'avais fait dans la ressemblance avait fait plaisir: car, lorsque nous fûmes seuls, il me dit qu'il avait une faveur particulière à me demander,--la lui accorderais-je? Je dis que je serais heureux de l'obliger, et il m'engagea à la tâche flatteuse de peindre pour lui le portrait de la comtesse Guiccioli. Je commençai ce second portrait, le matin suivant; et, depuis, ils posèrent alternativement. Il me raconta toute l'histoire de sa liaison avec la comtesse, et me dit qu'il espérait que ce serait pour la vie; qu'en tout cas, ce ne serait pas sa faute s'il en était autrement. Ses autres attachemens s'étaient brisés sans faute de sa part.

»J'étais alors devenu assez familier avec lui pour répondre à la question qu'il m'adressa sur l'opinion que j'avais de lui avant de l'avoir vu. Il rit beaucoup de l'idée que je m'étais formée de lui, et dit: «Eh bien! vous me trouvez comme tout le monde, n'est-ce pas?» Il me répéta souvent depuis: «Ainsi, vous m'aviez cru un tout autre homme, n'est-ce pas?» Je me souviens de lui avoir dit un jour que nonobstant sa vivacité, je croyais exacte au moins une de mes conjectures sur lui, car je pensais toujours qu'il n'était pas un homme heureux. Il eût hâte de savoir quelle raison j'avais pour penser ainsi, et je lui demandai s'il n'avait jamais observé que les petits enfans, après un accès de chagrin, avaient par intervalles une espèce de manière convulsive et tremblante de tirer une longue aspiration. Toutes les fois que j'avais observé ce phénomène chez une personne, quel que fût son âge, j'avais toujours trouvé que la cause en était le chagrin. Il me dit que l'idée était nouvelle pour lui, et qu'il en profiterait.

»Lord Byron, avec toute sa société, quitta Villa Rossa (nom de sa maison) au bout de quelques jours, pour emballer ses affaires dans sa maison de Pise. Il me dit qu'il resterait quelques jours dans cette ville, et me pria, si j'avais encore quelque chose à faire aux portraits, d'y venir, et d'y rester avec lui. Il semblait embarrassé de savoir où il irait, et se préparait, je crois, à s'embarquer pour l'Amérique. Je restai avec lui à Pise pendant peu de jours, car il était si tracassé par la police, et le tems était si chaud, que je doutai de pouvoir donner un dernier coup aux portraits; et partant un matin avant qu'il ne fût levé, je lui écrivis de Leghorn un mot d'excuse. Somme toute, je le quittai avec l'intime conviction qu'il possédait un excellent cœur, qu'on avait méconnu partout à cause d'une légèreté de mœurs qu'il s'était complu, par une vanité bizarre, à opposer à celles des autres.»



LETTRE CCCCXCIX.

A M. MURRAY.

Pise, 6 juillet 1822.



«Je vous renvoie la seconde épreuve. J'ai adouci le passage que Gifford avait blâmé, et changé le nom de Michel en celui de Raphaël, ange de plus douces inclinations. A propos, n'oubliez pas de changer Michel en Raphaël dans toute la scène, car je n'ai eu le tems de faire ce changement que dans la liste des dramatis personœ; et raturez tous ces passages crayonnés, pour éviter d'intriguer les imprimeurs. J'ai donné la Vision de Quevedo Redivivus à John Hunt, ce qui vous tirera d'embarras. Il la publiera à ses risques et périls, vu que c'est à son vif désir. Donnez-lui la copie corrigée que M. Kinnaird avait, attendu qu'elle est mitigée en partie, et la préface aussi.»



LETTRE D.

A M. MURRAY.

Pise, 8 juillet 1822.



«Je vous ai renvoyé la semaine dernière le paquet des épreuves. Vous ferez bien peut-être de ne pas publier dans le même volume les Vers sur le Pô, et la traduction de l'épisode de Françoise de Rimini.

»J'ai cédé à M. John Hunt la Vision du Jugement, que vous voudrez bien lui remettre; plus le chant de Pulci, texte et traduction, et tous mes morceaux de prose: car M. Leigh Hunt est arrivé ici, et songe à commencer un ouvrage périodique, auquel je contribuerai. Je ne vous propose pas d'en être l'éditeur, parce que je sais que vous n'êtes pas bons amis; mais tout ce que vous avez, excepté le volume actuellement sous presse et le manuscrit acheté à M. Moore, peut être donné dans ce but.

»Quant à ce que vous dites de votre «manque de mémoire,» je ne puis que remarquer que vous avez inséré la note de Marino Faliero malgré ma révocation positive, et que vous avez omis la Dédicace de Sardanapale à Goëthe (placez-la à la tète du volume sous presse); ce sont deux fautes qui ne m'ont point été agréables, et je ne voudrais pas que de pareilles négligences se renouvelassent à l'avenir, attendu qu'on peut les éviter avec un peu de soin, ou un simple memorandum dans votre portefeuille.

»Il n'est pas impossible que j'aie trois ou quatre chants de Don Juan prêts pour l'automne, ou un peu plus tard, vu que j'ai obtenu de ma souveraine la permission de continuer le poème,--pourvu toutefois qu'il soit plus décent et plus sentimental dans la continuation que dans le début. Vous verrez bientôt comment ces conditions ont été remplies. Répondez-moi quand il vous plaira.

»Tout à vous, etc.»



LETTRE DI.

A M. MOORE.

Pise, 12 juillet 1822.



«Je vous ai écrit dernièrement, mais non en réponse à votre dernière lettre d'il y a environ quinze jours. Je désire savoir (et je vous prie de me répondre sur ce point) ce que sont devenues les stances à Wellington (destinées à ouvrir un chant de Don Juan), que je vous ai envoyées il y a plusieurs mois. Si elles sont tombées dans les mains de Murray, lui et les torys les supprimeront, attendu que ces vers apprécient ce héros à sa juste valeur. Expliquez-vous, je vous prie, sur ce point, vu que je n'ai point de copie, et que je vous ai envoyé le manuscrit original; et si vous avez encore ces vers, renvoyez-les moi, ou du moins donnez m'en une copie correcte.
............................... ..............................................

»J'ai souscrit à Leghorn pour deux cents couronnes toscanes, en faveur de votre comité irlandais; c'est environ mille francs: je ne sais si c'est plus ou moins. Comme sir C. S***, qui reçoit par an treize mille livres sterling du trésor public, n'a pu prélever que mille livres tournois sur son énorme salaire, on attribuerait à ostentation à un simple particulier de prétendre le surpasser; et par conséquent, je ne vous ai envoyé que la somme susdite, comme vous verrez par le reçu ci-inclus11.

Note 11: (retour) «Reçu de M. Henri Dunn la somme de deux cents couronnes toscanes (pour le compte du très-honorable Lord Noël Byron), à l'effet d'assister les pauvres irlandais.

Thomas HALL.
Leghorn, 9 juillet 1822. Couronnes toscanes, 200.»



»Leigh Hunt est ici après un voyage de huit mois, durant lesquels il a, je présume, accompli le périple du Carthaginois Hannon, et avec autant de célérité. Il est en train de fonder un journal, auquel j'ai promis de contribuer; et dans le premier numéro, la Vision du jugement, par Quevedo Redivivus, paraîtra probablement avec d'autres articles.

»Pouvez-vous nous donner quelque chose? Hunt semble enthousiasmé de l'entreprise, mais (entre nous) je ne le suis pas. Je ne veux pas néanmoins le décourager en lui disant mon sentiment, car il est bilieux et mal portant: Répondez, je vous prie, sur-le-champ à cette lettre-ci.

»Envoyez à Hunt, pour lui donner une bonne excitation, tout ce qu'il vous plaira de votre prose,--ou de vos productions lyriques.

»Votre comité de mangeurs de pommes de terre n'a-t-il pas fait une bévue! Votre avertissement dit que M. L. Callaghan (drôle de nom pour un banquier) a disposé des fonds en Irlande «sans l'autorité du comité.» Je suppose que cela finira par un cartel de Callaghan au comité, dont le président, sans doute, porte des pistolets dans sa poche.

»Quand vous aurez un instant où vous n'ayez pas à chanter, à coqueter ou riboter avec vos Hiberniens12 de l'un et l'autre sexe, écrivez-moi une ligne. Je doute que Paris soit un bon endroit pour la composition de votre nouvelle poésie.»

Note 12: (retour) Irlandais.--L'Irlande se nommait autrefois Hibernie. (Note du Trad.)


LETTRE DII.

A M. MOORE.

Pise, 8 août 1822.



«Vous aurez maintenant appris que Shelley et un autre gentleman (le capitaine Williams) se sont noyés, il y a environ un mois (il y a eu un mois hier), par un coup de vent, à la hauteur du golfe de Spezia. Ainsi, voilà encore un homme trépassé, que la malveillance, l'ignorance et la brutalité du monde avaient méconnu. On lui rendra peut-être justice, aujourd'hui qu'il n'en sera pas plus heureux.

»Je n'ai pas vu l'ouvrage que vous mentionnez13, n'en ai entendu parler que par hasard, et n'ai nulle envie de le voir. Le prix en est, comme je l'ai vu dans des prospectus, de quatorze schelings, ce qui serait beaucoup trop payer pour un libelle sur soi-même. Quelqu'un me dit dans une lettre que c'est l'ouvrage d'un docteur Watkins, qui fait dans la biographie et le libelle.
................................................

Note 13: (retour) Livre qui venait de paraître sous le titre de Mémoires du très-honorable Lord Byron. (Note de Moore.)

»Si vous pensez que j'aie quelque chose à faire à propos du livre de Watkins, je ne répugnerais pas beaucoup à publier aujourd'hui mes Mémoires, en cas que cette publication fût nécessaire pour contrecarrer le faussaire. Mais en ce cas, j'aimerais à surveiller moi-même l'impression. Faites-moi savoir ce que vous pensez, ou dites-moi s'il ne vaut pas mieux ne pas publier ces Mémoires,--du moins la seconde partie qui touche de près des intérêts encore vivans.

»J'ai écrit trois nouveaux chants de Don Juan, et je suis sur le point d'en commencer un autre (le neuvième). La raison pour laquelle je réclame les stances que je vous avais envoyées, est que ces chants contenant une description détaillée (comme celle de la tempête dans le chant second) du siége et de l'assaut d'Ismaïl, avec force sarcasmes sur ces bouchers en gros, et sur votre soldatesque mercenaire, c'est une bonne occasion d'orner le poème de.....14 Avec de telles choses et de tels hommes, il est nécessaire, dans la lutte actuelle de la philosophie et de la tyrannie, de jeter au loin le fourreau. Je sais que c'est une redoutable querelle; mais le combat doit être engagé, et il sera peut-être, utile au genre humain, quel qu'en puisse être le résultat pour l'individu qui se risque.
....................................... .....................................................

»Tout à vous, etc.»

Note 14: (retour) Suppression de Moore.


LETTRE DIII.

A M. MOORE.

Pise, 27 août 1822.



«Je vous fatigue, en vous occupant «d'une si frivole bagatelle;» mais il faut avouer que je serais charmé de m'informer par votre intermède si ma souscription irlandaise est parvenue de Leghorn au comité de Paris. Mes raisons, comme celles de Vellum, «sont au nombre de trois.» Premièrement, je révoque en doute l'exactitude de tous les quêteurs, ou correspondans d'une caisse de bienfaisance; secondement, je soupçonne que ledit comité, composé de torys, a été capable de ne pas admettre dans sa liste le nom d'un adversaire politique; et troisièmement, j'ai le pressentiment que je serai un jour plaisanté par les scribes du gouvernement pour avoir professé l'amour de l'Irlande, et ne m'être pas joint aux autres pour la secourir dans sa détresse.

»Ce n'est pas, comme vous pourriez le penser, que je sois ambitieux de voir mon nom dans les journaux, vu que je puis avoir cette satisfaction gratis, tel jour de la semaine que ce soit. Tout ce que je désire, c'est de savoir si le révérend Thomas Hall a remis ou non ma souscription (200 scudi de Toscane, ou environ mille francs) au comité de Paris.

»L'autre jour, à Viareggio, je jugeai à propos de nager jusqu'à mon schooner (le Bolivar) qui tenait le large, puis de renager de là au rivage,--environ trois milles ou plus en tout. Comme c'était à midi, sous un soleil brûlant, il en est résulté que j'ai eu un accès de fièvre, et que toute ma peau s'en est allée, après avoir présenté l'effet d'un vaste vésicatoire, soulevé par l'action combinée du soleil et de la mer. J'ai souffert beaucoup, ne pouvant me coucher ni sur le dos ni sur le côté, car mes épaules et mes bras avaient été également saint-barthélemisés. Mais c'est fini;--j'ai recouvré une nouvelle peau, et je suis aussi brillant qu'un serpent dans sa nouvelle robe.

»Nous avons brûlé les corps de Shelley et de Williams sur le bord de la mer, pour les mettre à même d'être transportés et régulièrement enterrés. Vous ne pourrez vous figurer quel effet étrange produit cette combustion funéraire, sur un rivage isolé, avec les montagnes par derrière et la mer par devant, et la singulière apparence que le sel et l'encens donnaient à la flamme. Tout le corps de Shelley a été consumé, excepté son cœur, qui est maintenant conservé dans l'esprit-de-vin.

»Votre vieille connaissance Londonderry est paisiblement mort à North Cray! et le vertueux de Witt fut mis en pièces par la populace! Quel heureux coquin l'Irlandais a été dans sa vie et à sa fin15.

Note 15: (retour) Il est évident que les détails de l'événement n'étaient pas encore parvenus à Lord Byron. (Note de Moore.)

»Leigh Hunt est en train de suer des articles pour son nouveau journal; lui et moi, nous vous trouvons tant soit peu gredin de ne pas y contribuer. Voulez-vous devenir un des co-propriétaires? Je vous prie de réfléchir deux fois avant de répondre négativement.
..................................... ..................................................

»Tout à vous, etc.

»Ce *** Galignani a environ dix mensonges dans un paragraphe. Ce n'est pas une Bible qu'on a trouvée dans la poche de Shelley, mais les poésies de John Keats. Toutefois, ce n'eût pas été chose étrange, car il était grand admirateur de l'Écriture comme composition littéraire. Je n'ai pas envoyé mon buste à l'académie de New-Yorck; mais j'ai posé pour me faire peindre par le jeune West, artiste américain, que quelques membres de cette académie avaient prié de faire mon portrait,--pour l'académie, je crois.

»J'ai pensé, et je pense encore à l'Amérique du Sud, mais j'hésite entre elle et la Grèce. Je serais allé, depuis long-tems, dans l'une ou l'autre de ces contrées, sans ma liaison avec la comtesse Guiccioli; car l'amour, dans ce tems, est peu compatible avec la gloire. Elle aurait été charmée de me suivre; mais je ne veux pas l'exposer à un long voyage, et à une résidence dans un pays non encore assis, où je prendrai probablement un parti quelconque.»

Peu de tems après avoir écrit les lettres ci-dessus, Lord Byron se retira à Gênes, où il avait pris une maison, nommée la Villa Saluzzo, à Albaro, l'un des faubourgs de cette ville. Depuis l'époque de sa malheureuse querelle avec le sergent-major, sa tranquillité, à Pise, avait été considérablement détruite, tant par les enquêtes judiciaires qui suivirent cet événement, que par les sinistres rumeurs et les nombreux soupçons qui en naquirent. Quoique le blessé se fût rétabli; tous ses amis jurèrent de se venger avec le poignard; et la sensation qui résulta de l'affaire et de ses diverses conséquences fut douloureuse et alarmante,--surtout pour Mme Guiccioli, d'après la situation où se trouvait sa famille par suite des événemens politiques. De plus, tandis que l'impression de cette affaire était encore récente, il survint une autre circonstance, qui, comparativement peu importante, eut cependant le funeste effet d'attirer encore l'attention des Toscans sur leurs nouveaux visiteurs. Durant la courte visite de Lord Byron à Leghorn, un domestique suisse de sa maison s'étant querellé, je ne sais à quelle occasion, avec le frère de Mme Guiccioli, tira son couteau contre le jeune comte, et le blessa légèrement à la joue. Cette querelle, survenue si tôt après l'autre, excita aussi tant de curiosité et de bavardage, que le gouvernement toscan, dans son horreur extrême pour la moindre apparence de bruit, se crut appelé à intervenir; et conséquemment, ordre fut donné que, dans quatre jours, les deux comtes Gamba, père et fils, partiraient de la Toscane. Cette décision fut extrêmement désagréable et irritante pour Lord Byron; une des conditions du divorce de la Guiccioli étant que cette dame habiterait dorénavant sous le même toit que son père. Après avoir balancé entre divers projets,--pensant tantôt à Genève, tantôt, comme nous l'avons vu, à l'Amérique du Sud,--il se décida enfin, pour le moment, à transférer sa résidence à Gênes.

Son genre de vie, durant son séjour à Pise, n'avait différé que fort peu--(sauf la nouvelle espèce de société où l'avaient engagé ses relations avec les amis de Shelley)--de la routine habituelle et monotone, suivant laquelle, chose si singulière pour un homme d'un caractère si remuant, le cours quotidien de son existence coulait depuis plusieurs années. Il déjeunait ordinairement à deux heures; et à trois, ou même à quatre, lorsque les jours devinrent plus longs, les personnes qui avaient l'habitude de l'accompagner dans ses promenades équestres, venaient le voir. Ce n'était quelquefois qu'après une partie de billard qu'il sortait,--d'abord en carrosse, afin d'éviter les spectateurs,--jusqu'aux portes de la ville, où ses chevaux l'attendaient. La route qu'il choisit d'abord pour ces promenades fut dans la direction de la forêt de pins qui regarde la mer; mais ayant trouvé un endroit plus convenable pour le tir du pistolet, sur le chemin qui mène de la Porta alla Spiaggia à l'est de la ville, il prit tous les jours cette direction durant le reste de son séjour. Une fois arrivés à une ferme, dans le jardin de laquelle ils avaient la permission d'élever leur but, ses amis et lui descendaient de cheval; et après avoir consacré environ une demi-heure à essayer leur adresse au pistolet, ils s'en retournaient à la ville, un peu avant le coucher du soleil.

«Lord Byron, dit un ami qui était quelquefois présent à cet exercice, était le meilleur tireur. Shelley, Williams et Trelawney tiraient souvent d'aussi bons coups que lui,--mais ils n'étaient pas aussi sûrs. Lui, quoique sa main tremblât violemment, ne manquait jamais, car il calculait l'effet de cette oscillation, et ne comptait que sur son coup-d'œil. Une fois, après avoir démoli son but, il dressa une canne mince, dont la couleur, à-peu-près la même que celle du gravier où elle était plantée, aurait fort bien pu le tromper, et il la partagea à vingt pas avec sa balle. Grande était sa joie après un bon coup, grande sa vexation après un échec;--et quand nous le revoyions à son retour, sa froide salutation ou son joyeux rire nous racontaient le succès de la journée.»

Pour la première fois, depuis son arrivée en Italie, il se trouva tenté de donner de grands dîners. Ses hôtes étaient, outre le comte Gamba et Shelley, M. Williams, le capitaine Medwin, M. Taafé et M. Trelawney;--et «jamais, comme son ami Shelley le disait, Byron ne se montra mieux à son avantage que dans ces occasions. A-la-fois poli et cordial, plein d'une gaîté liante et d'une bonne humeur parfaite, il ne se laissait jamais entraîner à une hilarité disgracieuse, et cependant conservait son animation durant toute la soirée.» Aux environs de minuit, ses convives le quittaient généralement, à l'exception du capitaine Medwin, qui avait coutume de rester, à ce que je vois, à parler et à boire avec son noble hôte jusqu'au matin; et c'est aux confidences insouciantes et à demi trompeuses de ces séances nocturnes, confidences négligemment écoutées et confusément retracées au souvenir, que nous devons le volume dont le capitaine Medwin a favorisé le monde, peu de tems après la mort du noble poète.

Au sujet de cette liaison et de toutes celles formées par Lord Byron, non-seulement à l'époque dont nous parlons, mais durant sa vie entière, il serait difficile d'avancer rien de plus judicieux, rien qui prouve mieux une véritable connaissance du caractère de Byron, que les remarques suivantes d'une femme qui l'a étudié de tout son cœur,--qui a appris à le regarder avec les yeux de la raison comme avec ceux de l'affection, et dont le solide amour était fondé sur la base la plus sûre pour lui et pour elle,--sur le talent de le comprendre16.

«17 A Pise, nous continuâmes encore avec plus de rigueur à vivre loin de la société. Mais comme il y avait à Pise beaucoup d'Anglais, Byron ne put s'excuser de faire connaissance avec divers amis de Shelley, et entre autres avec M. Medwin. Ils le suivaient dans ses courses à cheval, dînaient avec lui, et certes s'estimaient heureux de l'intimité apparente que leur accordait un homme si supérieur. Mais aucun d'eux ne fut admis dans son amitié qu'il n'accordait pas aisément. Il avait de l'affection pour Shelley, et beaucoup d'estime pour son caractère et pour son talent, mais il n'était pas son ami dans toute l'étendue du sens qu'on doit donner au mot amitié. Quelquefois il parlait de ses amis et de l'amitié, comme de l'amour et de tout autre noble sentiment de l'ame, de manière à faire naître des doutes sur ses véritables sentimens et sur la bonté de son cœur. L'impression du moment dictait ses discours; et d'ailleurs il aimait à paraître un personnage bizarre;--et quelquefois même pis que cela,--surtout à ceux à qui il supposait l'intention d'étudier et de découvrir son caractère. Mais la ruse ne pouvait tromper qu'un esprit inférieur et un observateur superficiel. Il fallait examiner ses actions pour sentir toute la contradiction qu'il mettait entre elles et ses discours; il fallait le voir dans certains momens où, par une émotion imprévue et plus forte que sa volonté, son ame s'abandonnait entièrement à elle-même;--il fallait le voir alors pour découvrir les trésors de sensibilité et de bonté qui étaient dans cette ame magnanime.

Note 16: (retour) «Mon pauvre Zimmermann, qui te comprendra maintenant?» Telles furent les touchantes paroles adressées à Zimmermann par sa femme mourante, et ce peu de mots renferme tout ce qu'un homme d'une sensibilité maladive doit attendre de la tendresse et de l'abnégation tolérante de la femme avec laquelle il est uni. (Note de Moore.)
Note 17: (retour) In Pisa abbiamo continuato anche più rigorosamente a vivere lontano dalla società. Essendosi però in Pisa molti Inglesi, egli non potè scusarsi dal fare la conoscenza di varii amici di Shelley, fra i quali uno fu M. Medwin. Essi lo seguitavano al passaggio, pranzavano con lui, e certamente si tenevano felici della apparente intimità che loro accordavà un uomo così superiore. Ma nessuno di loro fu ammesso mai a porta della sua amicizia, che egli non era facile a accordare. Per Shelley, egli aveva dell' affezione, e molta stima pel suo carattere e pel suo talento, ma non era suo amico nell' estensione del senso che si deve dare alla parola amicizia. Talvolta parlando egli de' suoi amici, e dell' amicizia, come pure dell' amore, e di ogni altro nobile sentimento dell' anima, potevano i suoi discorsi far nascere dei dubbii sui veri suoi sentimenti, e sulla bontà del suo cuore. Una impressione momentanea regolava i suoi discorsi; e di più egli amava anche a rappresentare un personnaggio bizarro, e qualche volta anche peggio,--specialmente con quelli che egli pensava volessero studiare e fare delle scoperte sul suo carattere. Ma nell'inganno non poteva cadere che una piccola mente, e un osservatore superficiale. Bisognava esaminare le sue azioni per sentire tutta la contradizzione che era fra di esse e i suoi discorsi; bisognava vederlo in certi momenti in cui per una emozione improvvisa e più forte della sua volontà, la sua anima si abbandonava interamente a se stessa, bisognava vederlo allora per scoprire i tesori di sensibilità e di bontà che erano in quella nobile anima.

Fra le tante volte che io l'ho veduto in simili circostanze, ne ricorderò una che risguarda i suoi sentimenti di amicizia. Pochi giorni prima di lasciare Pisa, eravamo verso sera insieme seduti nel giardino del palazzo Lanfranchi. Una dolce malinconia era sparsa sul suo viso. Egli riandava col pensiero gli avvenimenti della sua vita, e faceva il confronto colla attuale sua situazione, e quella che avrebbe potuta essere se la sua affezione per me non lo avesse fatto restare in Italia; e diceva cose che avrebbero resa per me la terra un paradiso, si già sino d'allora il pressentimento di perdere tanta felicità non mi avesse tormentata. In questo mentre, un domestico annonciò M. Hobhouse. La leggiera tinta di malinconia sparsa sul viso di Byron fece luogo subitamente alla più viva gioja; ma essa fu così forte che gli tolse quasi le forze. Un pallore commovente ricoperse il suo volto, et nell'abbracciare il suo amico, i suoi occhi erano pieni di lacrime di contento. E l'emozione fu così forte, che egli fu obligato di sedersi, sentendosi mancare le forze.

La venuta pure di lord Clare fu per lui un'epoca di grande felicità. Egli amava sommamente lord Clare;--egli era così felice in quel breve tempo che passò presso di lui a Livorno, e il giorno in cui si separarono fu un giorno di grande tristezza per Lord Byron. «Io ho il pressentimento che non lo vedrò più,» diceva egli; e i suoi occhi si riempironò di lacrime; e in questo stato l'ho veduto per vari settimane dopo la partenza di lord Clare, ogni qual volta il discorso cadeva sopra di codesto amico.

«Parmi les circonstances nombreuses où je l'ai vu ainsi à découvert, j'en rappellerai une qui regarde ses sentimens d'amitié. Peu de jours avant de quitter Pise, nous étions assis un soir dans le jardin du palais Lanfranchi. Une douce mélancolie était peinte sur son visage. Il repassait dans son esprit les événemens de sa vie, et les comparait avec sa situation actuelle, et avec celle où il aurait pu être, si son affection pour moi ne l'eût pas fait rester en Italie; il me disait des choses qui auraient fait de la terre un paradis pour moi, si je n'eusse pas dès-lors été tourmentée par le pressentiment de perdre une si grande félicité. En ce moment, un domestique annonça M. Hobhouse. La légère teinte de mélancolie répandue sur le visage de Byron, fit soudain place à la plus vive joie; mais cette joie fut telle qu'elle lui ôta presque ses forces. Une pâleur effrayante couvrit son visage, et, en embrassant son ami, il eut les yeux remplis de larmes de plaisir. L'émotion fut si violente, qu'il fut obligé de s'asseoir, sentant ses forces défaillir.

«La venue de lord Clare fut aussi pour lui une époque de grande félicité. Il aimait extrêmement lord Clare;--combien il fut heureux durant le court espace de tems qu'il passa près de lui à Livourne! et le jour où ils se séparèrent fut un jour de grande tristesse pour Lord Byron. «J'ai, disait-il, le pressentiment que je ne le verrai plus;» et ses yeux se remplirent de larmes; et je l'ai vu dans cet état, pendant plusieurs semaines, après le départ de lord Clare, toutes les fois que la conversation tombait sur cet ami».

La même dame rend compte des sentimens de Byron, à la mort de sa fille Allégra, dans les termes suivans: «--A l'occasion de la mort de sa fille naturelle, j'ai vu dans sa douleur tout ce qu'il y a de plus profond dans la tendresse paternelle. Sa conduite envers cet enfant avait toujours été celle du père le plus aimant; mais, d'après ses paroles, on n'aurait pas jugé qu'il eût tant d'affection pour sa fille. A la première nouvelle de la maladie d'Allégra, il fut extrêmement agité; puis arriva la nouvelle de la mort, et je dus remplir le triste devoir de la communiquer à Lord Byron. Ce terrible moment restera toujours gravé dans ma mémoire. Depuis plusieurs jours, il ne sortait plus le soir; je me rendis donc auprès de lui. La première demande qu'il me fit fut relative au courrier qu'il avait expédié pour avoir des nouvelles de sa fille, et dont le retard l'inquiétait. Après un court moment de silence, avec tout l'art que put me suggérer ma propre douleur, je lui ôtai tout espoir de guérison pour sa fille. «J'ai compris, dit-il,--c'est assez, n'en dites pas davantage,»--et une pâleur mortelle s'empara de son visage; ses forces l'abandonnèrent, et il tomba sur un siége. Son regard devint fixe, et me fit trembler pour sa raison. Lord Byron resta une heure dans cet état; et aucune des paroles de consolation que je pus lui adresser, ne paraissait pas plus pénétrer dans ses oreilles que dans son cœur. Mais en voilà assez sur ce triste épisode, sur lequel je ne puis m'arrêter après tant d'années, sans réveiller de nouveau dans mon ame les terribles souffrances de ce jour. Le lendemain matin je trouvai Lord Byron tranquille, et avec une expression de résignation religieuse sur le visage. «Elle est plus heureuse que nous, dit-il,--d'ailleurs sa situation dans le monde ne lui aurait peut-être pas donné le bonheur. Dieu l'a voulu ainsi;--n'en parlons plus». Et, depuis ce jour, il n'a plus voulu prononcer le nom de cette petite fille. Mais il devint plus inquiet sur le compte d'Ada, au point de se tourmenter quand il y avait quelque retard dans l'arrivée des notes qu'on lui envoyait régulièrement sur elle18

Note 18: (retour) Nel occasione pure de morte della sua figlia naturale, io ho veduto nel suo dolore tuttociò che vi è di più profondo nella tenerezza paterna. La sua condotta verso di codesta fanciulla era stata sempre quella del padre il più amoroso; ma dalle di lui parole non si sarebbe giudicato che avesse tanta affezione per lei. Alla prima notizia della di lei malattia, egli fu sommamente agitato; giunse poi la notizia della morte, ed io dovetti esercitare il tristo uficio di participarla a Lord Byron. Quel sensibile momento sarà indelebile nella mia memoria. Egli non usciva da varii giorni la sera: io andai dunque da lui. La prima domanda che egli mi fece fu relativa al corriere che egli aveva spedito per avere notizie della sua figlia, e di cui il ritardo lo inquietava. Dopo qualche momento di sospenzione, con tutta l'arte che sapeva suggerirmi il mio proprio dolore, gli tolsi ogni speranza della guarigione della fanciulla. «Ho inteso, disse egli,--basta così;--non dite di più,»--e un pallore mortale si sparse sul suo volto; le forze gli mancarono, e cadde sopra una sedia d'appoggio. Il suo sguardo era fisso, e tale che mi fece temere per la sua ragione. Egli rimase in quello stato d'immobilità un'ora; e nessuna parola di consolazione che io potessi indirizzargli pareva penetrare le sue orecchie non che il suo cuore. Ma basta così di questa trista detenzione, nella quale non posso fermarmi dopo tanti anni senza risvegliare di nuovo nel mio animo le terribili sofferenze di quel giorno. La mattina lo trovai tranquillo, e con una espressione di religiosa rassegnazione nel suo volto. «Ella è più felice di noi, diss'egli,--d'altronde la sua situazione nel mondo non le avrebbe data forse felicità. Dio ha voluto così,--non ne parliamo più.» E da quel giorno in poi non ha più voluto proferire il nome di quella fanciulla. Ma è divenuto più pensieroso parlando di Ada, al punto di tormentarsi quando gli ritardavano di qualche ordinario le di lei notizie.

La triste mort du pauvre Shelley, survenue, comme nous l'avons vu, à cette même époque, semble avoir inspiré à Lord Byron moins de chagrin pour la perte présente de son ami, que d'indignation contre ceux qui, durant sa vie, l'avaient si grossièrement méconnu; et certes il n'y eut jamais de cas où l'absence présumée de toute religion chez un individu pût être si vivement alléguée comme une excuse pour l'absence complète de vérité et de charité dans le jugement des hommes sur lui. Quoique je n'aie jamais connu personnellement M. Shelley, je me joins volontiers à ceux qui l'aimèrent le plus, pour admirer les qualités variées de son cœur et de son génie, et déplorer la trop prompte destinée qui nous a ravi les fruits de la maturité de l'un et de l'autre. Sa courte vie a été, comme sa poésie, une sorte de rêve brillant et trompeur, fausse dans les principes généraux d'après lesquels elle se réglait, quoique belle et intéressante dans la plupart de ses détails. S'il eût vécu assez long-tems pour que l'éclat surabondant de son imagination eût été tempéré par le jugement, qui, chez lui, était encore en réserve, le monde entier eût appris à lui rendre ce haut tribut d'hommages, qui ne peut lui être accordé aujourd'hui que par ceux qui ont vu de quoi il était capable.

Ce fut vers cette époque que M. Cowell, rendant une visite à Lord Byron, à Gênes, apprit de lui que quelques amis de M. Shelley, étant assis ensemble un soir, avaient vu distinctement, à ce qu'il leur semblait, ce gentleman entrer dans un petit bois à Lerici, quand, au même moment, comme ils le surent ensuite, il était fort loin de là, dans une direction tout-à-fait différente. «Ceci, ajouta Lord Byron, à voix basse et d'un ton solennel, arriva dix jours avant la mort du pauvre Shelley.»



LETTRE DIV.

A M. MURRAY.

Gênes, 9 octobre 1822.



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«J'ai été fort malade,--condamné au lit durant quatre jours, dans «la pire des chambres de la pire des auberges» à Lerici, avec un rhume violent, un mouvement bilieux, de la constipation, et je ne sais quoi diable encore; point d'autre médecin qu'un jeune gars, qui, toutefois, était doux et prudent, et c'est assez.

«Enfin je saisis le livre des Prescriptions de Thompson (c'est un de vos cadeaux), et je me médicamentai avec la première dose que j'y trouvai; après avoir supporté les ravages de toutes sortes de décoctions, je sautai au bas de mon lit le cinquième jour pour traverser le golfe jusqu'à Sestri. La mer me ranima sur-le-champ; je mangeai le poisson du marin, bus un gallon19 de vin du pays, et me rendis à Gênes le soir même de mon arrivée à Sestri: je me suis toujours depuis bien porté, si ce n'est que je suis plus maigre, et que j'ai quelques quintes de toux vers le soir.

«Je crains que le Journal ne soit une mauvaise affaire, et ne réussisse pas; mais en ceci je me sacrifie à autrui,--je n'y puis avoir aucun avantage. Je crois les frères Hunt honnêtes-gens; je suis sûr qu'ils sont pauvres; ils n'ont ni sou ni maille. Ils me pressèrent de m'engager dans cette entreprise, et dans une mauvaise heure j'y consentis. Mais je ne m'en repentirai pas, si je puis leur rendre le moindre service. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour Leigh Hunt depuis qu'il est ici; mais c'est presque inutile:--sa femme est malade, ses six enfans intraitables, et, dans les affaires de ce bas monde, lui-même est un enfant. La mort de Shelley les a totalement laissés à sec; et je n'ai pu les voir dans un tel état, sans obéir aux sentimens ordinaires d'humanité, et sans faire tout mon possible pour les remettre à flot.
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Note 19: (retour) Mesure équivalente à environ quatre pintes. (Note du Trad.)

»Tout à vous, etc.

»P. S. Me direz-vous une fois--si vous publiez Werner et le Mystère? Vous n'en parlez jamais.

»Ce maudit prospectus de M. J. Hunt passe les bornes. Je ne lui ai pas prêté mon nom pour le faire ainsi colporter.

»Cependant je crois,--du moins, j'espère,--qu'après tout vous êtes au fond un bon homme, et c'est d'après cette présomption que je vous écris maintenant au sujet d'une pauvre femme du nom de Jossy, qui est ou fut, dit-elle, au nombre de vos auteurs, et publia en 1816 un livre sur la Suisse, sous le patronage «de la cour et du colonel Mac Mahon.» Mais il paraît que ni la cour ni le colonel ne purent faire passer le prix énorme «de trois livres sterling, treize schelings et six pence,» qui alarma le trop susceptible public; bref, «le livre mourut,» et ce qui est pire, le mari de la pauvre créature mourut aussi, et elle m'écrit avec le cadavre du défunt devant les yeux; mais au lieu de s'adresser à l'évêque ou à M. Wilberforce20, elle a recours à moi, athée proscrit, condamnable et brûlable. C'est assez étrange, mais la canaille anglaise, qui me calomnie sur tous les points, réclame mon assistance dans la détresse. J'ai reçu des milliers de lettres pareilles, et, autant que j'ai pu, j'ai cherché à rendre le bien pour le mal, et à acheter pour un scheling de salut tant que ma poche ne fut pas vide.

Note 20: (retour) Célèbre philantrope, qui a surtout contribué à la proscription légale de la traite des noirs. (Note du Trad.)

»Or, je suis disposé à faire ce que je puis pour cette malheureuse personne; mais sa situation et ses désirs (déraisonnables, toutefois) réclament plus que ne peut avancer un individu comme moi; car j'ai à présent à satisfaire plusieurs réclamations du même genre, et des restes de dettes à payer en Angleterre,--Dieu sait combien je paie ces dernières à contre-cœur! Le Fonds Littéraire ne peut-il rien faire pour elle? Par votre influence, qui est grande parmi les personnes pieuses, j'ose dire qu'on peut faire une petite collecte. Pouvez-vous faire publier un des livres de la dame? Prenez-la comme auteur à ma place, aujourd'hui vacante parmi vos salariés; c'est une personne pieuse et morale, elle fera honneur à vos tablettes. Mais, sérieusement, faites ce que vous pourrez pour elle.»



LETTRE DV.

A M. MURRAY.

Gênes, 23 octobre 1822.



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«Je vous renvoie la Quarterly, sans l'avoir coupée ni ouverte, non par mépris ou dédain, ou brouillerie, mais c'est un genre de lecture que j'ai abandonné depuis quelque tems, parce que je crois que les ouvrages périodiques nuisent à l'esprit, en lui présentant la superficie de trop d'objets à la fois. Je ne sache pas que ce numéro contienne quelque article désagréable pour moi;--cela peut être; je ne vous le renvoie point parce qu'il y a peut-être un article auquel vous faisiez allusion dans une de vos dernières lettres, mais parce que j'ai cessé de lire cette sorte d'ouvrages, et que je vous eusse également renvoyé tout autre numéro.

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»Tout à vous, etc.

»J'espère que vous avez un hiver plus doux que le nôtre. Nous avons eu des inondations dignes du Pô, et le paratonnerre de ma maison a été frappé (ou présumé l'avoir été) par un coup de tonnerre. J'étais si près de la fenêtre, que j'ai été ébloui, et que mes yeux ont souffert plusieurs minutes, et tout le monde dans la maison a senti une secousse électrique au même moment. Mme Guiccioli a été effrayée, comme bien vous pensez.

»J'ai depuis pensé que vos bigots m'auraient «bâté d'un jugement» (comme Thwackum en bâta Square quand celui-ci mordit sa langue en parlant métaphysique), s'il me fût survenu quelque accident. Ces gens-là oublient toujours le Christ dans leur christianisme, et ce qu'il dit quand «la tour de Siloam tomba.»

»C'est aujourd'hui le 9, et le 10 est l'anniversaire de la naissance de ma fille Ada. J'ai commandé, comme régal, la côtelette de mouton et une bouteille d'ale. Ma fille a, je crois, sept ans. Vous ai-je jamais conté que le jour de mon anniversaire je dîne avec des œufs, du lard, et une bouteille d'ale. Car, une fois par hasard, c'est là mon repas et ma boisson de prédilection, mais comme ce régime m'est contraire, je n'en use que dans les grands jubilés,--une fois en quatre ou cinq ans.

»Je vois qu'on représente les Hunt et Mrs. Shelley comme vivant dans ma maison: c'est un mensonge. Ils demeurent à quelque distance, et je ne les vois pas deux fois par mois. Je n'ai pas vu M. Hunt douze fois depuis mon arrivée à Gênes ou aux environs.»



LETTRE DVI.

A M. MURRAY.

Gênes, 25 octobre 1822.



«Je vous ai renvoyé la Quarterly sans la lire, résolu que je suis à ne plus lire les articles, bons, mauvais ou indifférens, des ouvrages périodiques: mais «qui peut gouverner la destinée?» Galignani, auquel mes études anglaises sont bornées, a inséré au moins la moitié de l'article dans l'infatigable compilation qui grippe nos sous chaque semaine; et comme l'article «semblable à une mort honorable, est survenu à l'improviste», je l'ai parcouru. Je dois dire, qu'au total (c'est-à-dire, au total de la moitié que j'ai lue, car l'autre moitié doit faire partie du Galignani de la semaine prochaine), il est extrêmement favorable. Comme je prends le bien en bonne part, je ne dois ni ne veux chercher noise pour le mal. Ce que l'auteur dit de Don Juan est dur, mais inévitable. Il est obligé de suivre ou du moins de ne pas contrecarrer directement l'opinion d'un parti, qui domine sans être néanmoins entièrement affermi. Une Revue peut diriger et détourner les courans de l'opinion, mais non s'y opposer directement. Don Juan sera bientôt reconnu pour ce que j'ai voulu en faire,--pour une satire sur les abus des sociétés de ce siècle, et non pour un éloge du vice. Il peut être par fois voluptueux:--je n'en puis mais. Arioste est pire; Smollett (voir lord Strutwell, dans le deuxième volume de Roderick Random) dix fois pire, et Fielding ne vaut pas mieux. La jeune fille ne se pervertira pas en lisant Don Juan: non, encore une fois, non; elle recourra pour cela aux poèmes de Little et aux romans de Rousseau, ou même à l'immaculée Mme de Staël. Voilà les auteurs qui l'exciteront, et non pas Don Juan, qui rit de cela, et--et--de bien d'autres choses. Ne vous inquiétez pas;--ça ira!
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»Or, voyez-vous ce que vous et vos amis avez fait par votre imprudente brutalité?--Vous avez cimenté une sorte de liaison que vous vous efforciez de prévenir, et qui, si les Hunt eussent prospéré, n'aurait pas probablement continué. Maintenant je ne les quitterai pas dans leur adversité, dussé-je sacrifier mon caractère, ma renommée, mon argent, etc., etc.

»Je vous ai déjà expliqué mes premiers motifs (dans la lettre que vous avez jugé à propos de montrer); ce sont les véritables, et j'y persiste; je vous le dis, et l'ai dit à Leigh Hunt, quand il me questionna au sujet de cette lettre. Il a été vivement choqué, et ne me pardonnera jamais au fond; mais je n'en puis mais. Je n'eus jamais intention de faire parade de mes sentimens; mais puisqu'il s'est décidé à me questionner, je n'ai pu que répondre la pure vérité, et je déclare n'avoir vu dans la lettre rien qui pût le choquer, à moins que je n'aie dit qu'il était une charge importune, ce que je ne me rappelle pas. Si leur journal avait réussi, et que j'en eusse aidé le succès, après avoir été le pilote qui les eût mis en mer loin d'un bord dangereux, je les aurais ensuite laissé continuer eux-mêmes une navigation prospère. Maintenant je ne puis ni ne veux les abandonner parmi les écueils.

»Quant à une communauté de sentimens, de pensées ou d'opinions, entre Leigh Hunt et moi, il n'y en a que peu ou même pas du tout. Nous nous voyons rarement, presque jamais; mais je le crois un homme de bons principes et de capacité. Je ne sais dans quel monde il a vécu: j'ai vécu dans trois ou quatre; mais dans aucun qui ressemblât à ses John Keats et à sa terra incognita, des kanguroos. Hélas! le pauvre Shelley, comme il aurait ri s'il avait vécu! Comme nous avions coutume de rire parfois de diverses choses qui sont sérieuses dans les faubourgs!

»Vous vous êtes tous mépris sur le compte de Shelley. Vous ne savez pas combien il était doux, tolérant, sociable, et que, dans un salon, il avait aussi bon ton que qui que ce fût, quand il voulait et où il voulait.

»J'ai idée de faire une course jusqu'à Naples (solus, ou tout au plus cum sola) le printems prochain, et d'écrire, quand j'aurai étudié le pays, un cinquième et un sixième chants de Childe Harold; mais ce n'est qu'une idée pour le moment, et j'ai d'autres excursions et voyages en tête.

»Tout à vous, etc.»
N. B.


«P. S. La famille Gamba, le père, la mère et la fille, habitent avec moi, d'après la recommandation de M. Hill (le ministre), comme dans un asile plus sûr que toute autre résidence contre les persécutions politiques; mais ils occupent un corps-de-logis d'une vaste maison, et moi l'autre, et nos demeures sont tout-à-fait séparées.

»Depuis que j'ai lu la Quarterly, je dois biffer, dans les six ou sept derniers chants de Don Juan, deux ou trois passages où j'avais légèrement frappé sur deux ou trois de vos auteurs; je ne veux pas rendre le mal pour le bien. Ce que j'ai lu de l'article m'a beaucoup plu.

»M. J. Hunt sera très-probablement l'éditeur des nouveaux chants: avec quelle perspective de succès? je n'en sais rien, et peu m'importe en tant que j'y suis intéressé: mais j'espère qu'il en tirera quelque profit; car c'est un homme raide, brusque et consciencieux, et je l'aime; il est tel que Prynne ou Pym ont pu être. Je ne vous en veux pas d'avoir refusé les nouveaux chants.

»Avez-vous secouru Mme de Jossy, comme je vous en priais? Je lui ai envoyé trois cents francs. Recommandez-la, voulez-vous, au Fonds Littéraire ou dans vos cercles.»



LETTRE DVII.

A LADY ***.

Albaro, 10 novembre 1822.



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»Le chevalier a persisté à se déclarer un homme indignement maltraité, et à vous peindre comme une Calypso au cœur froid, qui égare les gens d'amoureuse disposition sans leur donner aucune sorte de compensation. Pour ma part, je pense que vous avez tout-à-fait raison; et je vous assure qu'une femme (dans la constitution actuelle de la société en Angleterre), en accordant des avantages à un homme, peut espérer un amant, mais trouve tôt ou tard un tyran; et ce n'est peut-être pas la faute de l'homme, mais le résultat nécessaire et naturel des circonstances sociales, qui, dans le fait, exercent également leur tyrannie sur l'homme comme sur la femme, c'est-à-dire si l'un ou l'autre a quelque sentiment et quelque honneur.

»Vous pouvez m'écrire à votre gré et suivant votre loisir. J'ai toujours eu pour maxime, et j'ai vérifié par expérience, qu'un homme et une femme contractent une amitié bien plus étroite qu'il n'en peut exister entre deux personnes du même sexe; mais à la condition qu'ils ne se soient jamais fait, ni ne se fassent jamais l'amour. Les amans peuvent être, et, en vérité, sont ordinairement ennemis; mais ils ne peuvent jamais être amis, parce qu'il y a toujours un levain de jalousie et un peu d'égoïsme dans toutes leurs spéculations.

»En vérité, je regarde l'amour comme une sorte de transaction hostile, nécessaire pour favoriser ou rompre des mariages, et pour faire aller le monde; mais non comme une sinécure pour les parties intéressées.
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»Croyez-moi, etc.»



LETTRE DVIII.

A M. MOORE.

Gênes, 20 février 1823.



Mon Cher Tom,

»Quant à Hunt, je le vois peu,--une fois par mois à-peu-près, et toujours pour ses affaires. Vous pouvez facilement présumer que je connais trop peu Hampstead et ses satellites pour avoir beaucoup de communication ou de communauté d'idées avec lui. Toutes mes relations actuelles avec lui sont nées du désastre inattendu de Shelley. Vous ne voudriez pas que je l'eusse laissé dans la rue avec sa famille, dites-moi? Et quant à l'autre plan que vous mentionnez, vous oubliez combien Hunt eût été humilié par la supposition que ses écrits dussent périr morts-nés21. Réfléchissez un moment: c'est peut-être l'homme le plus vain du monde; du moins ses amis le disent à haute voix; et s'il était dans une autre situation, je serais peut-être tenté de lui donner un croc-en-jambe; mais non pas à présent,--car ce serait cruel. C'est une maudite affaire; mais ni le motif, ni le moyen ne pèsent sur ma conscience, et il se trouve que lui et son frère ont tiré une grande utilité de la publication sous un point de vue pécuniaire. Son frère est un homme ferme et hardi, tel que Prynne, par exemple, et plein de courage moral, et même, dit-on, de courage physique. ..................................................

Note 21: (retour) Je donnerai le passage de ma lettre, auquel Byron fait allusion. (Note de Moore.)

»Tout à vous à jamais.»
N. B.


Lord Byron, depuis quelque tems, avait, comme on peut le remarquer dans ses lettres, commencé à s'imaginer que sa réputation en Angleterre était sur son déclin. La même soif de la gloire, et la même sensibilité à tout changement passager de la faveur populaire, qui jadis portèrent le Tasse à finir par se regarder comme le plus dédaigné des écrivains22, avaient plus d'une fois disposé Lord Byron, au milieu de tous ses triomphes, sinon à douter de leur réalité, du moins à ne pas croire à leur continuation, et quelquefois même à voir, avec cette douloureuse habileté que la sensibilité fait naître, un présage de chute à venir, ou un symptôme de déclin dans les plus brillans hommages de succès. Cependant, de nouveaux succès vinrent encore dissiper ces défiances, et ce ne fut qu'après avoir formé cette malheureuse coalition avec M. Hunt dans le Libéral, que Byron eut quelques motifs réels de soupçonner qu'il avait décliné dans la faveur publique.

Note 22: (retour) Ce poète dit dans une de ses lettres:--«Non posso negare che io mi doglio oltramisura di esser tanto disprezzato dal mondo quanto non è altro scrittore di questo secolo.»--Dans une autre lettre, cependant, après s'être plaint d'être «perseguitato da molti più che non era convenevole,» il ajoute, avec une orgueilleuse préscience de sa renommée future: «La onde stimo di potermene ragionevolmente richiamare alla posterità» (Note de Moore.)

Les principales causes qui engagèrent Lord Byron dans cette indigne alliance, furent d'abord le désir de seconder les vues bienveillantes de son ami Shelley, en invitant M. Hunt à le joindre en Italie; puis, en second lieu, le désir de profiter du secours d'un homme si expérimenté, comme journaliste, dans le projet favori qu'il avait depuis si long-tems entretenu, c'est-à-dire dans la publication d'un ouvrage périodique, où les diverses productions de son génie seraient recueillies aussitôt qu'elles auraient reçu le jour. Toutefois, avec les opinions qu'il avait eues si long-tems sur le caractère et le talent de M. Hunt23, on doit reconnaître que la facilité avec laquelle il l'admit,--non certes au moindre degré de confiance ou d'intimité, mais à une alliance avouée de réputation et d'intérêt aux yeux du monde, est une inconséquence difficilement explicable, qui décelait, dans tous les cas, une ferme confiance dans le pouvoir de son nom pour résister comme un antidote au ridicule d'une telle association.

Tant que vécut Shelley, la considération que Lord Byron avait pour lui exerça une grande influence sur les relations du noble poète et de M. Hunt. Le bon ton et le savoir-vivre de Shelley prévenaient, par une douce médiation, ces collisions désagréables qui eurent lieu depuis, et durent, comme on peut le concevoir aisément d'après le caractère connu des deux hommes, mettre également à l'épreuve la patience du protecteur et la vanité du protégé. Cependant, du vivant même de leur ami commun, il y avait déjà eu quelques-unes de ces mésintelligences que l'argent fait naître,--humiliantes pour les deux individus entre lesquelles elles s'élèvent, comme si elles participaient à la nature même de leur impure source. La lettre suivante de Shelley en fait foi.

Note 23: (retour) Voir la lettre 317. (Note de Moore.)


A LORD BYRON.

15 février 1822.



Mon Cher Lord Byron,

«Je vous envoie ci-joint une lettre de Hunt, laquelle me fait de la peine sous plus d'un rapport. Vous en remarquerez le post-scriptum, et vous me connaissez assez pour sentir quelle pénible tâche c'est pour moi que de le commenter. Hunt m'avait pressé plus d'une fois de vous prier de lui prêter de l'argent. Ma réponse consista à lui envoyer toutes mes épargnes, ce que j'ai littéralement fait. La bonté que vous avez eue de disposer d'une partie de votre maison pour lui, m'a vivement touché, et j'ai de grand cœur accepté de vous ce service en son nom; mais, croyez-moi, sans la moindre intention d'imposer, ou de laisser imposer, tant que je pourrais l'empêcher, une taxe plus lourde sur votre bourse. Comme les choses en sont venues là en dépit de mes efforts, je ne vous cacherai pas la basse situation de mes affaires pécuniaires dans le moment présent,--par conséquent, mon incapacité absolue d'assister encore Hunt.

»Je ne pense pas que la promesse par laquelle le pauvre Hunt s'engage à payer dans un tems donné, ait une grande valeur; mais la mienne est moins exposée au doute, et je serais heureux de me rendre caution de ses engagemens. Je suis si ennuyé de cette affaire que je sais à peine ce qu'il faut vous écrire, et encore moins ce qu'il faudrait vous dire, et j'ai besoin de toute votre indulgence en faveur de mes sentimens et de mes expressions.

»Je vous verrai bientôt. Croyez-moi votre très-fidèle et sincère ami,»
P. B. SHELLEY.



Quant au livre où M. Hunt a jugé convenable de se venger, sur Byron mort, du pénible fardeau des services qu'il avait, à l'heure du besoin, acceptés de Byron vivant, je puis par bonheur m'épargner le dégoût d'en parler longuement, vu l'oubli complet et bien mérité où le volume est tombé. Jamais, en vérité, le monde n'a plus honorablement manifesté ses sentimens de justice sur de telles matières que dans l'accueil universellement fait à ce livre ingrat:--ceux mêmes qui étaient le moins disposés à juger favorablement de Lord Byron, ayant repoussé avec indignation les preuves apportées à l'appui de leur opinion par un homme qui ne rougissait pas d'être redevable de son autorité, comme accusateur, aux facilités qu'il avait eues pour observer en étant abrité et nourri sous le toit de celui qu'il décriait.

Par rapport aux sentimens hostiles manifestés contre moi dans l'ouvrage de M. Hunt, la seule vengeance que je prendrai sera de mettre sous les yeux de mes lecteurs le passage d'une de mes lettres qui provoqua cette hostilité, et qui peut du moins réclamer le mérite de n'être pas une attaque couverte, vu que dans tout le cours de mes remontrances à Lord Byron au sujet de ses nouveaux alliés littéraires, je n'écrivis jamais sur le compte de M. Shelley ou de M. Hunt une seule ligne que je ne prévisse leur devoir être communiquée sur-le-champ par mon correspondant, dont je connaissais depuis long-tems le caractère. Ce manque de discrétion était un défaut dans mon noble ami, je ne veux pas le nier; mais, comme il n'était point déguisé, on pouvait facilement s'en garantir, et par conséquent il était peu dangereux. D'ailleurs, telle est la peine généralement imposée à la franchise; et ceux qui se seraient flattés qu'un homme aussi communicatif que Lord Byron sur ses propres affaires pût être plus discret en faveur des confidences d'autrui, n'auraient eu à blâmer que leur propre imprudence pour tout le tort que leur confiance en sa discrétion aurait pu leur faire.

Voici le passage que Lord Byron, comme je m'y attendais, montra à M. Hunt, et auquel une de ses lettres (celle du 20 février) fait allusion:

«Je désirerais apprendre que vous voulez vous retirer du Libéral. Je suis fâché de vous exhorter à une mesure si contraire à l'intérêt de Hunt; mais je n'hésiterais pas à lui tenir le même langage, si j'étais près de lui. Je voudrais, si j'étais que de vous, le servir par tous les moyens possibles, excepté cette coalition;--je lui donnerais (s'il en acceptait l'offre) les profits des mêmes ouvrages, publiés séparément,--mais je ne me mêlerais pas de cette manière avec autrui. Je ne voudrais pas devenir partie intéressée dans cette espèce de pot au feu mélangé, où la mauvaise saveur d'un ingrédient se communique à tout le reste. Je voudrais, si j'étais que de vous, être seul, réduit à mes propres forces, et, comme tel, invincible.»

Puisque nous en sommes sur M. Hunt, je profiterai de cette occasion pour insérer quelques passages d'une lettre que Lord Byron adressa à une amie de cet homme de lettres, en réponse à un appel fait à ses sentimens concernant son «amitié» avouée pour M. Hunt. Les aveux qu'il y fait sont, je l'avoue, un peu étonnans, et doivent être accueillis avec une indulgence plus qu'ordinaire, eu égard non-seulement à la disposition particulière d'humeur ou d'esprit durant laquelle la lettre fut écrite, mais encore à l'influence des légères brouilleries, des ressentimens accidentels dont le passager souvenir offusquait peut-être alors l'esprit de Byron, et l'indisposait, pour le moment, contre ceux de ses amis que, dans une plus brillante humeur, il aurait proclamé comme les plus chers à son cœur.



LETTRE DIX.

A MRS. ***.

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«Je présume que vous, du moins, me connaissez assez pour être sûre que je n'ai pu avoir l'intention d'insulter à la pauvreté de Hunt; au contraire, je l'honore pour cette pauvreté même; car je connais ce que c'est, j'ai été aussi embarrassé qu'il le fut jamais, sans m'être aperçu que, dans ce cas, un homme honorable perdît le moins du monde dans sa propre estime. Voulez-vous dire que s'il eût été riche, je me fusse joint à lui pour ce journal? Je réponds par la négative..... Je me suis engagé dans le journal par bienveillance pour lui, et par respect pour son caractère comme littérateur et comme homme; non moins par égard à son courage politique que par compassion pour sa situation présente. J'ai fait cela dans l'espérance qu'avec l'aide d'amis littéraires, apportant chacun leur quote-part littéraire de contributions (ce qui est indispensable pour tout journal d'une nature mixte), il pourrait se rendre indépendant.

»Je l'ai toujours traité, dans nos relations personnelles, avec une si scrupuleuse délicatesse, que je me suis abstenu de donner des avis que je pensais pouvoir être désagréables, de peur qu'il ne les imputât à ce qu'on appelle «l'importance d'un homme qui tire avantage de sa situation.»

»Quant à l'amitié, c'est un penchant pour lequel mon génie est très-borné. Je ne connais point d'être humain mâle (excepté lord Clare, l'ami de mon enfance), pour qui j'éprouve un sentiment digne d'être ainsi qualifié. Toutes mes autres amitiés sont des amitiés selon le monde. Je n'ai même jamais éprouvé une véritable amitié pour Shelley, quelque grandes qu'aient été mon admiration et mon estime pour lui; ainsi, vous voyez que la vanité même n'a pu me séduire sous ce rapport; car, de tous les hommes, Shelley fut celui qui eut la plus haute opinion de mes talens,--et peut-être de mon caractère.

»Je ferai mon devoir envers mes intimes, d'après le principe qu'il faut traiter autrui comme on voudrait soi-même être traité. Je crois avoir ainsi agi envers eux dans la plupart des cas. Je puis trouver du plaisir dans leur conversation,--me réjouir de leurs succès,--être charmé de leur rendre service, ou de recevoir en retour leurs conseils et leurs secours. Mais, s'il s'agit d'amis et d'amitiés, j'ai déjà nommé le seul homme encore vivant pour qui j'éprouve quelque sentiment de ce genre, excepté peut-être Thomas Moore. J'ai eu, et puis encore avoir un millier d'amis, comme on les nomme dans la vie; ils sont, dans la walse de ce monde, ce que sont nos danseuses au bal, oubliées, ou peu s'en faut, après la fête, quoique fort agréables la danse durant. L'habitude, les affaires, la communauté de plaisirs ou de peines, sont des liens de ce genre, et la même foi politique en est une autre.»



LETTRE DX.

A LADY ***.

Gênes, 28 mars 1823.



«M. Hill est ici; je dînai avec lui le samedi de la semaine avant-dernière; et au sortir de sa maison à S.-P. d'Arena, ma voiture se cassa. J'allai à pied jusque chez moi,--l'espace est d'environ trois milles,--ce n'est pas là une prouesse de piéton; mais soit que le passage brusque d'appartemens chauds à un vent froid m'eût glacé, soit que la montée de la colline d'Albaro m'eût échauffé, ou que toute autre cause m'eût indisposé, le lendemain j'eus à la figure une inflammation à laquelle j'ai été sujet cet hiver pour la première fois, et je souffris beaucoup, mais sans courir aucun danger. Ma santé va aujourd'hui comme d'ordinaire. M. Hill est, je crois, occupé de sa diplomatie. Je lui donnerai votre message quand je le reverrai.

»Je ne m'oppose point à faire connaissance avec le marquis Palavicini, s'il a ce désir. Depuis ces derniers tems j'ai peu hanté la société, soit anglaise, soit étrangère; car j'avais vu tout ce qui méritait d'être vu dans la première avant que je partisse d'Angleterre, et à l'époque de la vie où j'étais plus disposé à m'y plaire; et j'ai fait une suffisante expérience de la seconde dans les premières années de ma résidence en Suisse, principalement chez Mme de Staël, où j'allais quelquefois, jusqu'à ce que je fusse devenu las de conversazioni et de carnavals, avec leurs accessoires: ce qu'il y a de fatigant, c'est que si vous allez une fois dans le monde, on compte sur votre présence quotidiennement, ou plutôt nuitamment. J'ai fait le tour des plus célèbres soirées à Venise, et partout où j'ai séjourné quelque tems, chez les Benzona, les Albrizzi, les Michelli, etc., etc., et chez les cardinaux et les divers potentats de la légation en Romagne (c'est-à-dire, à Ravenne), et je ne me suis retiré en Toscane que dans l'intérêt de mon repos. D'ailleurs, si je vais en société, je tombe à la longue dans des embarras d'un genre ou d'un autre, qui ne surviennent pas dans ma solitude. Cependant, comme le marquis est un de vos amis, je suis prêt de grand cœur à faire connaissance avec lui. Il est peut-être lié à ma famille par une circonstance que je me rappelle; un Palavicini--de Bologne, je crois,--se maria il y a un demi-siècle à une de mes parentes éloignées. Je me trouve savoir le fait, parce que lui et son épouse avaient une rente viagère de cinq cents livres sterling constituée sur la propriété de mon oncle, rente qui cessa à la mort dudit oncle, quoique je me rappelle avoir entendu dire que le couple renté essayât, bien naturellement il est vrai, de faire survivre la pension. Si je puis faire quelque chose pour vous ici ou ailleurs, ordonnez, je vous prie, et vous serez obéie.»



LETTRE DXI.

A M. MOORE.

Gênes, 2 avril 1823.



«Je viens de voir quelques-uns de vos amis, qui me firent hier une visite, que, par considération pour eux et pour vous, je leur ai rendue aujourd'hui;--vu que je réserve ma peau d'ours, mes dents et mes griffes pour nos ennemis.

»J'ai vu aussi Henri F***, fils de lord H***, pour la première fois depuis que je l'avais laissé, enfant doux et de santé délicate, sans cravatte et en jaquette, il y a sept ans, à l'époque de mon éclipse,--de ma troisième éclipse, je crois, attendu que j'en ai généralement une tous les deux ou trois ans. Je pense que ce jeune homme à la plus douce et la plus aimable expression de physionomie que j'aie jamais vue, et des manières correspondantes. Si à ces avantages il joint les talens héréditaires, il maintiendra, j'espère, le nom de F*** dans toute sa fraîcheur durant un demi-siècle encore. Je parle d'après un rapide coup-d'œil, mais j'aime toujours à céder à de telles impressions; car j'ai toujours trouvé que ceux que j'aimai le mieux et le plus long-tems me plurent à la première vue; et j'aimai toujours ce garçon,--en partie, peut-être, à cause d'une ressemblance dans le cas le moins heureux de nos destinées,--je veux dire, pour éviter les méprises, qu'il boite comme moi. Mais il y a cette différence que, lui, il paraît être un ange qui s'est foulé le pied contre une étoile, tandis que, moi, je suis «le diable boiteux.» Sobriquet qu'à mon grand étonnement, parmi tant de nominis umbrœ24, les orthodoxes ne m'ont pas encore appliqué.

»Vos autres alliés, que j'ai trouvés être de fort agréables personnages, sont milor B*** et son épouse, voyageant avec un fort beau compagnon, qui «sous la forme d'un comte français» (pour me servir de la phrase de Farquhar dans le Stratagême des Petits-Maîtres), a tout l'air d'un Cupidon déchaîné, et se trouve être un des rares spécimens que j'aie vus de notre type idéal d'un Français d'avant la révolution. Milady semble consommée en littérature,--et c'est à cela, ainsi qu'à la liaison de la famille avec votre Honneur, que j'attribue le plaisir d'avoir vu ces voyageurs. Elle est, de plus, fort jolie, même le matin,--genre de beauté que le soleil d'Italie n'éclaire pas si souvent que le chandelier. Certainement les femmes anglaises durent plus long-tems que leurs voisines du continent.
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Note 24: (retour) Ombres de nom. (Note du Trad.)

»Vos amis me donnent de bonnes nouvelles de vous et de vos «anges emprisonnés,» ou peu s'en faut. Mais pourquoi avez-vous changé votre titre?--Vous vous en repentirez un jour. Les bigots ne vous pardonneront jamais,--et d'ailleurs, leur pardon en vaut-il la peine? Je présume que je suis un chrétien plus orthodoxe que vous n'êtes; et, toutes les fois que je vois un homme véritablement chrétien, soit en pratique, soit en théorie (car je n'ai jamais encore trouvé un individu qui, mis à l'épreuve, se montrât tel sous l'un et l'autre rapport), je suis son disciple. Mais, jusqu'à présent, je ne puis me soumettre à nos marchands de dîmes,--et je ne puis m'imaginer pourquoi vous avez circoncis des séraphins.

»J'ai été bien plus persécuté que vous, comme vous en pouvez juger par ma présente décadence,--car je suis aussi bas en popularité et en librairie que quelque auteur que ce soit. Au moins, mes amis m'en assurent;--grand merci de leur bonté! Ils en accusent Hunt, mais ils ont tort:--ce doit être, en partie du moins, ma faute propre,--ainsi soit-il! Quant à Hunt, je m'applaudis de ne pas l'avoir laissé mourir de faim dans la rue, préférablement à tout honneur personnel qui aurait pu provenir d'une si naïve philantropie. J'agis réellement par principe en cette affaire, car nous n'avons rien de commun; et je ne puis vous décrire la désespérante sensation que j'éprouve à faire quelque chose pour un homme qui semble ne pouvoir ni ne vouloir plus rien faire pour lui: c'est comme si on retirait de la rivière un homme qui va droit s'y jeter de nouveau. Pendant ces trois ou quatre dernières années, Shelley l'a assisté, et tiré une fois d'embarras. Depuis la mort de Shelley,--et même auparavant,--j'ai fait ce que j'ai pu; mais il n'est pas en mon pouvoir de prolonger une telle assistance. Je voudrais que Hunt retournât en Angleterre, je lui donnerais les moyens de s'y placer dans une situation confortable. Somme toute, sa position n'y est plus aussi mauvaise, puisque une portion de ses dettes est payée, etc., etc. Il serait sur les lieux pour continuer son journal avec son frère, qui semble un homme sensé, franc, fort et patient.....»
BYRON.



La nouvelle amitié dont Byron annonce ici le commencement, et dans laquelle je fus bien aise, comme ami commun des deux parties, de le voir s'engager, fut pour lui une grande source de plaisir durant le séjour des nobles voyageurs à Gênes. En effet, il s'était si long-tems persuadé que tous ses compatriotes hors d'Angleterre ne le regardaient que comme un proscrit ou une curiosité, que chaque fois qu'il recevait d'eux un accueil amical, il en éprouvait autant de surprise que de plaisir; et son esprit, en renouant les liaisons et les habitudes anglaises, goûtait une sensation de bien-être pareil au plaisir de respirer l'air natal.

Dans la vue d'engager ses amis à prolonger leur séjour à Gênes, il leur suggéra l'idée de prendre une jolie villa, nommée il Paradiso, dans le voisinage de la sienne, et les accompagna pour la visiter avec eux. Ce fut à cette occasion qu'en entendant lady B*** exprimer l'intention de fixer sa résidence dans ce lieu, il composa l'impromptu suivant:

Sous les yeux de ***,

Le paradis convoité

Devrait être aussi pur de mal que le paradis primitif;

Mais, si la nouvelle Ève

Soupirait après une pomme,

Quel mortel ne jouerait volontiers le rôle du diable!

Je n'omettrai pas non plus une pièce de vers adressée à la même dame, dont la beauté et le talent auraient eu droit d'attendre, de la plume de Lord Byron, un tribut d'hommages plus ardens. Cette pièce est fort intéressante, en ce qu'elle peint ce sentiment de la vieillesse qui se glissait si prématurément dans l'ame du noble poète.

A LA COMTESSE DE B*****.


I.

Vous m'avez demandé des vers:--simple demande,

Qu'un rimeur ne saurait refuser sans paraître bizarre.

Mais mon Hippocrène était dans mon cœur,

Et mes sentimens, source de ma verve, sont taris.


II.

Si j'étais ce que je fus, j'aurais chanté

Ce que Lawrence a si bien peint;

Mais aujourd'hui le son expirerait sur mes lèvres,

Le sujet est trop doux pour mon luth.


III.

Mon feu d'autrefois n'est plus qu'une cendre;

Le barde est mort dans mon sein;

Au lieu d'aimer, je ne fais plus qu'admirer,

Et mon cœur est aussi chenu que ma tête.


IV.

Ma vie ne se date point par les années,--

Il y eut de courts instans qui, comme une charrue,

Tracèrent leurs sillons en rides profondes

Dans mon ame comme sur mon front.


V.

Que la brillante jeunesse aspire

A chanter ce que je contemple en vain;

Le chagrin a ravi à ma lyre

La corde digne de ce chant.

B.

Les lettres suivantes, écrites durant le séjour de ces nobles voyageurs à Gênes, intéresseront la curiosité du lecteur.



LETTRE DXII.

AU COMTE DE B***.

5 avril 1823.



Mon Cher Lord,

«Comment va votre goutte? ou plutôt comment allez-vous? Je vous renvoie le journal du comte ***, production fort extraordinaire, et d'une triste vérité en tout ce qui concerne la haute société d'Angleterre. Je connais ou connus personnellement la plupart des personnages et des sociétés qu'il décrit; et depuis que j'ai lu ses observations, mes souvenirs me semblent des souvenirs d'hier. Je plaiderais toutefois en faveur d'un petit nombre d'exceptions, que je mentionnerai bientôt. Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que ce jeune homme ait pénétré, non le fait, mais le mystère de l'ennui anglais à vingt-deux ans. J'avais environ le même âge quand je fis la même découverte, à-peu-près dans les mêmes cercles--(car, parmi les personnes citées, à peine y en a-t-il une que je n'aie vue alors journellement ou nuitamment, et j'étais lié plus ou moins intimement avec la plupart d'entre elles);--mais je n'aurais jamais pu faire une si bonne description. Il faut être Français pour faire cela.

»Mais il doit aussi avoir été à la campagne durant la saison de la chasse, avec «une compagnie choisie d'hôtes distingués,» comme disent les journaux. Il doit avoir vu les gentlemen après dîner (les jours de chasse), et durant la soirée qui vient ensuite, où les femmes ont l'air d'avoir chassé, ou plutôt d'avoir été chassées. J'aurais désiré qu'il eût été à un dîner en ville chez lord C***, peu nombreux, mais choisi, et composé des gens les plus amusans. Le dessert fut à peine sur table, que, de douze convives, j'en comptai cinq endormis; et parmi ces cinq étaient Tierney, lord *** et lord ***; j'ai oublié les deux autres; mais c'étaient des hommes d'esprit ou des orateurs,--peut-être des poètes.

»Mon séjour en Orient et en Italie m'a rendu un peu indulgent pour la sieste,--mais on la fait régulièrement dans les pays chauds: on s'y livre dans la solitude, ou tout au plus en tête-à-tête avec une compagne, et on se retire paisiblement dans ses appartemens, pour éviter le soleil pendant une heure ou deux.

»Certes, le journal de votre ami est une production formidable. Hélas! nos chers compatriotes ne sont connus que pour être ennuyés, et non pour ennuyeux; et je présume que la révélation désagréable de cette dernière vérité ne sera pas mieux reçue que les vérités ne le sont ordinairement. J'ai lu le tout avec une grande attention, et j'y ai trouvé de l'instruction; je suis trop bon patriote pour dire du plaisir,--du moins je ne le dirais pas, quoique je pusse le penser. J'ai montré le journal (ce n'est pas un manque de discrétion, j'espère) à une jeune dame italienne de haut rang, très-instruite, et qui passe ou passa pour être une des trois plus célèbres beautés du district de l'Italie, où sa famille et sa parenté résidaient dans des tems moins orageux sous le rapport de la politique (et ce n'est pas à Gênes, par parenthèse); cette dame en a été fort contente, et elle dit qu'elle y a puisé une meilleure notion de la société anglaise que dans toutes les discussions métaphysiques de Mme de Staël sur le même sujet, dans son ouvrage sur la révolution. Je vous prie de remercier le jeune philosophe, et de faire mes complimens à lady B*** et à sa sœur.

»Croyez-moi votre très-obligé et fidèle ami.»
N. B.


«P. S. Les lettres particulières parlent de trouble ou de complot dans l'armée française des Pyrénées,--de généraux soupçonnés ou congédiés,--d'un voyage du ministre de la guerre pour voir l'affaire sur les lieux.

»Dites au comte *** qu'il ne rapporte pas toujours les noms d'une façon intelligible, surtout ceux des clubs; il parle du Watts-Club,--peut-être a-t-il raison; mais, de mon tems, c'était le Watter's-Club qui était le club des dandys; j'en étais membre (sans être dandy toutefois) au tems de sa plus grande gloire, lorsque Brummel, Mildmay, Alvanley et Pierrepoint donnaient les bals de dandys; c'est nous qui fîmes, c'est-à-dire le club fit la fameuse mascarade à Burlington-House pour Wellington. Il ne parle pas de l'Alfred, qui était le plus recherché et le plus ennuyeux de tous, comme je le sais pour en avoir aussi été membre.»



LETTRE DXIV25.

AU COMTE DE B***.

14 avril 1823.



«Je suis vraiment fâché de ne pouvoir vous accompagner dans votre promenade équestre ce matin, attendu que je me suis fait un très-grand mal au visage, en y appliquant un caustique sur une verrue, d'après l'avis du médecin. Je ne sais si j'ai employé une trop forte dose, mais toujours est-il que non-seulement j'ai souffert une vive douleur, mais encore la partie malade et ses environs immédiats sont devenus tout noirs. Comme je ne veux effrayer ni vos chevaux, ni leurs cavaliers, j'aime mieux attendre, pour vous voir, jusqu'à six heures; j'espère qu'alors j'aurai repris un air plus chrétien, et que je serai redevenu semblable aux créatures humaines: Mon mal s'est étendu en partie à mes doigts; car, en essayant de retirer le noir au moins de ma lèvre supérieure, je n'ai fait qu'en teindre ma main droite, et ni le jus de citron, ni l'eau de Cologne, ni aucune autre eau, n'ont pu la délivrer de ces taches par trop semblables à l'encre..... En tout cas, je vous verrai à six heures, à la faveur du crépuscule.

»Pour toujours et de cœur, etc.

Note 25: (retour) La lettre 513 a été supprimée.

11 heures.

»P. S. J'écrivais le billet ci-dessus à trois heures du matin. Je regrette de vous dire que toute la peau, dans l'espace d'environ un pouce carré au-dessus de ma lèvre supérieure, s'est détachée, en sorte que je ne puis ni me raser, ni mâcher, et que je suis également incapable de paraître à votre table, et d'en partager l'hospitalier repas.
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LETTRE DXV.

AU COMTE ***26.

«Mon cher comte *** (si vous me permettez de m'adresser à vous si familièrement), vous devriez vous contenter d'écrire dans votre langue, comme Grammont, et de réussir à Londres comme personne n'a réussi depuis les jours de Charles II et les Mémoires d'Antonio Hamilton, sans vous jeter dans notre barbare idiome,--que, d'ailleurs, vous comprenez et écrivez mieux qu'il n'en est digne.

Mon «approbation», comme il vous plaît de dire, a été sincère, mais peut-être elle n'a pas été impartiale; car, bien que j'aime ma patrie, je n'aime pas mes compatriotes,--du moins, tels qu'ils sont à présent. Et, outre la séduction du talent et de l'esprit qui brillent dans votre ouvrage, je crains d'avoir éprouvé aussi l'attrait de la vengeance. J'ai vu et senti presque tout ce que vous avez si bien dépeint. J'ai connu ces personnes et ces réunions si bien décrites (c'est-à-dire la plupart d'entre elles),--et les portraits sont si ressemblans, que je ne puis qu'admirer le peintre non moins que son ouvrage.

Note 26: (retour) La lettre est adressée au jeune comte français, dont le nom est supprimé dans le texte anglais. (Note du Trad.)

»Mais j'en suis fâché pour vous; car si vous connaissez si bien la vie à votre âge, que deviendrez-vous quand l'illusion sera encore plus dissipée? Mais, n'y songez pas:--en avant!--vivez tant que vous pourrez; et puissiez-vous jouir pleinement des nombreux avantages que vous possédez en jeunesse, en talens et en beauté! c'est le vœu d'un--Anglais,--mais ce n'est pas être traître à mon pays; car ma mère était écossaise, mon nom et ma famille sont normands; et, pour moi, je ne suis d'aucun pays. Quant à mes «œuvres» qu'il vous plaît de citer, qu'elles aillent au diable, d'où (si vous en croyez maintes personnes) elles sont venues.

»J'ai l'honneur d'être votre obligé, etc.»

A cette époque, survint une circonstance qui montre, à l'honneur des tendances désormais meilleures de son caractère, combien étaient diminués et adoucis ses ressentimens, auparavant si vifs, au sujet de ses différends conjugaux. On a vu que sa fille Ada,--surtout depuis la perte du seul être dont il espérait devoir l'attachement au lien du sang, --était devenue l'objet constant et chéri de ses pensées; et il était bien naturel que, avec un cœur aimant comme le sien, en se livrant ainsi à sa tendresse pour sa fille, il se trouvât insensiblement disposé à des sentimens plus doux envers la mère. Un Anglais, dont la sœur était connue pour être l'amie et la confidente de lady Byron, étant alors à Gênes, et visitant habituellement les nouveaux amis du poète, Lord Byron, un jour, en conversant avec lady ***, prit occasion de dire qu'elle lui rendrait un service essentiel si, par la médiation de ce monsieur et de sa sœur, elle pouvait obtenir pour lui de lady Byron, ce qu'il avait depuis long-tems désiré avoir entre les mains, une copie de son portrait. Comme on lui représentait, dans le cours de cette même conversation et d'une autre, que lady Byron, au dire de ses amis, était dans une alarme continuelle qu'il ne vînt en Angleterre réclamer sa fille, ou l'inquiéter de quelque façon, il déclara qu'il était prêt à donner toutes les assurances nécessaires pour calmer une telle appréhension; et bientôt après il écrivit la lettre suivante, relativement à ces deux points.

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