Œuvres complètes de lord Byron, Tome 13: Comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore
»P. S. Excusez mon griffonnage en raison de ma plume et du froid glacial du matin. J'écris à la hâte, ma barque partant pour Kalamo: Je ne sais si la saisie de la bombarde (si toutefois elle a été capturée, car je ne pourrais en jurer, et je n'en juge que sur l'apparence, et sur le dire de tout le monde), sera une affaire de gouvernement, de neutralité, etc.,--mais le navire a été arrêté au moins à douze milles de distance du port, et il avait tous ses papiers en règle, ainsi que nous, pour la traversée de Zante à Kalamo. Je ne suis point descendu à terre à Zante, parce que je voulais perdre le moins de tems possible, mais sir F. S. *** est venu m'inviter, etc., et tout le monde m'a témoigné autant de bienveillance qu'à Céphalonie même.»
LETTRE DXXXVI.
A M.C. HANCOCK.
Dragomestri, 2 janvier 1824.
Mon Cher Monsieur Hancock,
«Rappelez-moi au souvenir du docteur Muir et de tout le monde. J'ai encore avec moi les 16,000 dollars, le reste était à bord de la bombarde, qui a été prise, ou qui du moins nous manque, avec toutes les fournitures du comité, mon ami Gamba, mes chevaux, mon nègre, mon bulldog, mon maître d'hôtel et mes domestiques, avec tous nos instrumens de paix et de guerre, plus 8,000 dollars: mais la prise sera-t-elle légitime ou non? c'est ce que doit décider le gouverneur des Sept-Iles. J'ai écrit tous les détails au docteur Muir, par la voie de Kalamo. Nous sommes en bon état; et, malgré le vent et la saison, malgré la chasse des Turcs, malgré le court sommeil que nous prenons sur le pont de la chaloupe, etc., etc., nous sommes dans une situation tolérable vu le pays et les circonstances. Mais je prévois que nous aurons besoin de tout l'argent que je puis réaliser à Zante et ailleurs. Mr Barff nous a donné huit mille et quelques dollars; ainsi, il y a encore une balance en ma faveur. Nous ne sommes pas certains que les vaisseaux qui nous ont donné la chasse fussent turcs, mais il y a une forte présomption pour le croire, et point de nouvelles qui contredisent cette idée. A Zante tout le monde, à commencer par le résident, m'a témoigné la plus grande bienveillance possible, et surtout votre digne et honnête associé.
»Dites à nos amis de ne pas se décourager:--nous pouvons encore réussir. J'ai débarqué, je crois, près d'Anatoliko, le jeune garçon et un autre Grec, qui étaient dans les plus terribles alarmes;--je les ai mis ainsi en sûreté: quant à moi et aux miens, il fallait que nous gardassions notre bien.
»J'espère que la captivité de Gamba ne sera que temporaire. Quant à nos effets et à nos dollars, si nous les avons,--tant mieux; sinon, patience. Je vous souhaite un heureux nouvel an, ainsi qu'à tous nos amis,
»Votre, etc.»
Durant ces aventures de lord Byron, le comte Gamba, pris par la frégate turque, avait été emmené, avec sa précieuse cargaison, à Patras, où le commandant de la flotte turque s'était établi. Là, après une entrevue avec le pacha, par qui il fut traité fort poliment durant sa détention, il eut le bonheur d'obtenir qu'on relâchât son navire et sa cargaison, et il arriva le 4 janvier à Missolonghi. Mais, à son grand étonnement, il apprit que lord Byron n'était pas encore arrivé. En effet,--comme si tous les incidens de cette courte traversée avaient été destinés à rembrunir les sombres pressentimens que Byron avait déjà conçus,--à son départ de Dragomestri, un violent coup de vent était survenu; la chaloupe fut deux fois poussée sur les rochers dans le passage des Scrofes, et, vu la force du vent et le peu de connaissance que le capitaine avait de ces bas-fonds, le danger fut considéré comme très-sérieux par tous les hommes à bord. «La seconde fois que le navire échoua, dit le comte Gamba, les matelots, perdant entièrement l'espérance de le sauver, commencèrent à songer à leur propre salut. Mais Lord Byron leur persuada de rester; par sa fermeté, et à l'aide de ses connaissances nautiques, il les mit hors de danger, et sauva ainsi la chaloupe, plusieurs vies, et 25,000 dollars, dont la plus grande partie en espèces.»
Le vent étant toujours contraire, on jeta l'ancre entre deux des nombreux îlots dont cette partie de la côte est bordée; et là Lord Byron, tant pour se rafraîchir que pour se laver, fut porté à commettre une imprudence qui a très-probablement contribué à produire sa fatale maladie. S'étant rendu dans une petite barque sur un petit rocher assez éloigné, il envoya chercher les caleçons de nankin qu'il avait coutume de mettre en se baignant, et quoique la mer fût houleuse, et la nuit froide (c'était le 3 janvier), il regagna la chaloupe à la nage. «Je suis complétement convaincu, dit son valet de chambre en rapportant cette imprudente prouesse, que la santé de milord en fut ébranlée. Certainement sa seigneurie n'en fut point malade sur l'heure, mais au bout de deux ou trois jours elle se plaignit d'une douleur générale dans les os, qui dura, à un degré plus ou moins fort, jusqu'au moment de sa mort.»
Lord Byron mit à la voile le lendemain matin avec l'espoir d'arriver à Missolonghi avant le coucher du soleil, mais il fut encore repoussé par les vents contraires, n'entra que fort tard dans le port, et ne descendit à terre que le 5 au matin.
On concevra aisément l'inquiétude qui, durant ce tems, avait tourmenté tout le monde à Missolonghi, où l'on savait que la flotte turque était sortie du golfe, et que Lord Byron était en route; elle est vivement dépeinte dans une lettre écrite, pendant ces momens d'attente, par un témoin oculaire. «La flotte turque, dit le colonel Stanhope, s'est mise en mer et bloque en ce moment le port. Plus loin on voit les vaisseaux grecs, et entre autres celui qu'on a envoyé à lord Byron. Nous ne savons si sa seigneurie est à bord ou non. Certes, nous sommes dans un jour de crise.» A la fin de la lettre, il ajoute: «Les domestiques de Lord Byron viennent d'arriver; il sera lui-même ici demain. S'il n'était pas venu, nous n'aurions pas eu besoin d'implorer le beau tems; car la flotte et l'armée sont affamées et inactives. Parry n'a point paru. S'il arrive aussi demain, toute la ville sera folle de plaisir.»
L'accueil que les Grecs firent à leur noble visiteur fut tel qu'on pouvait l'inférer de l'ardente sollicitude avec laquelle sa seigneurie avait été attendue. La population entière de la ville se porta en foule sur le rivage: les vaisseaux à l'ancre sous la forteresse tirèrent le canon pour saluer Lord Byron lorsqu'il passa devant eux; toutes les troupes et toutes les autorités civiles et militaires de la place, avec le prince Mavrocordato à leur tête, le reçurent à son débarquement, et l'accompagnèrent au milieu du bruit confus des cris de joie, d'une musique sauvage, et des décharges d'artillerie, jusqu'à la maison qui avait été préparée pour lui. «Je ne puis aisément décrire, dit le comte Gamba, les émotions qu'une telle scène excitait. Je saurais à peine retenir mes larmes.»
Après huit jours de fatigues pareilles, Lord Byron aurait pu fort bien désirer un court intervalle de délassement; mais le théâtre où il venait d'entrer éloignait toute pensée de repos: celui sur qui les regards et les espérances de tous étaient concentrés, ne pouvait guère songer à ménager sa personne. Il y avait d'ailleurs, à ce moment même, dans l'enceinte de Missolonghi, plus de causes réunies de trouble et de désordre qu'il n'y en eut jamais dans un si étroit espace. Dans tous les lieux publics ou particuliers, la désorganisation et le mécontentement se manifestaient. Des quatorze bricks de guerre qui étaient venus au secours de la place, et qui l'avaient quelque tems efficacement protégée contre une flotte turque double en nombre, neuf, faute de solde, s'en étaient déjà retournés à Hydra, tandis que les matelots des cinq autres, pour la même cause de plainte, avaient quitté leurs navires, et murmuraient sans rien faire sur le rivage. Les habitans se voyant ainsi abandonnés, ou mis à contribution par leurs défenseurs, avec la crainte d'une disette imminente, et la flotte turque devant leurs yeux, n'étaient pas moins disposés à l'émeute et à la révolte; tandis qu'au même moment, pour compléter la confusion, une assemblée générale était sur le point d'avoir lieu dans la ville, afin d'organiser les forces de la Grèce occidentale, et que tous les chefs montagnards de la province se rendaient en foule à cette réunion avec leurs sauvages partisans. Mavrocordato lui-même, président du futur congrès, avait amené à sa suite au moins cinq mille hommes armés, qui étaient en ce moment dans la ville. Mal soldé et mal fourni de vivres par le gouvernement, cet immense amas de militaires n'était pas moins mécontent et moins dépourvu que les matelots; bref, sous tous les rapports, la population entière de la ville semble avoir présenté en fermentation un vaste levain d'insubordination et de discorde, plus propre à produire la guerre civile qu'à menacer l'ennemi.
Tel était l'état des affaires quand Lord Byron arriva à Missolonghi,--tels les maux qu'il rencontrait avec la redoutable conviction qu'en lui, et en lui seul, tout le monde plaçait l'espoir de leur fin.
Ses actes durant les premières semaines qui suivirent son arrivée seront suffisamment connus par les lettres suivantes, qu'il écrivit à M. Hancock (qui a eu l'extrême bonté de me les communiquer), et auxquelles je n'aurai besoin d'ajouter que quelques notes explicatives.
LETTRE DXXXVII.
A M. CHARLES HANCOCK.
Missolonghi, 13 janvier 1824.
Mon Cher Monsieur,
«Mille remercîmens pour votre lettre du 5; item à Muir pour la sienne. Vous aurez appris que Gamba et mon navire sont sortis sains et saufs d'entre les mains des Turcs; on ne sait comment ni pourquoi, car il y a un mystère dans cette histoire quelque peu mélodramatique. J'attribue entièrement la chose à Saint-Denis de Zante, et à la madone du Roc près de Céphalonie.
»Les aventures de ma navigation isolée ne se terminèrent pas à Dragomestri; nous fûmes accompagnés hors du port par quelques chaloupes canonnières grecques, et nous trouvâmes le brick de guerre le Léonidas en mer pour veiller sur nous. Mais il survint un fort coup de vent, et nous fûmes jetés sur les rochers deux fois dans le passage des Scrophes, et les dollars eurent encore à s'échapper d'un pressant danger. Les deux tiers de l'équipage descendirent sur un îlot par le mât de beaupré; les rochers étaient assez rudes, mais l'eau était profonde près du bord, en sorte qu'après beaucoup de juremens et quelques efforts, la chaloupe fut remise à flot, et nous nous en allâmes avec un tiers de notre équipage, en laissant les autres matelots sur cet îlot désert où ils seraient encore, s'ils n'avaient été recueillis par une des chaloupes canonnières, car nous n'étions pas en état de les reprendre.
»Dites à Muir que le docteur Bruno n'a pas déployé un grand courage dans cette circonstance; car, sans compter qu'il déchirait sa veste de flanelle et qu'il courait comme un rat en péril; comme je parlais à un jeune garçon (frère de ces jeunes Grecques d'Argostoli), que je lui disais qu'il n'y avait point de danger pour les passagers, quelque grand que fût le péril pour le navire, et que je lui assurais que je pourrais le sauver avec moi sans difficulté45 (quoiqu'il ne sût pas nager), attendu que l'eau, si profonde qu'elle fût, n'était pas houleuse,--le vent ne soufflant pas droit contre le rivage,--le docteur s'écria: «Le sauver! S... Dieu, sauvez-moi plutôt,--je serai le premier sauvé si je puis!»--Trait d'égoïsme qu'il lâcha avec une simplicité emphatique qui fit rire tous ceux qui eurent le loisir de l'entendre; et, une minute après, la chaloupe se remit à flot après avoir touché deux fois. Elle fit une petite voie-d'eau, mais il ne survint plus d'autre accident, sinon que le capitaine ne cessa plus dès-lors d'avoir les nerfs agités.
»Bref, nous avons continuellement eu mauvais tems; nous avons dormi sur le pont presque toujours à l'humidité pendant sept ou huit nuits, mais je ne me suis jamais si bien porté,--et même je me suis baigné un quart-d'heure dans la mer dans la soirée du 4 courant (pour tuer les puces et autres etc.), sans m'en trouver plus mal.
»Nous avons été reçus à Missolonghi avec toutes sortes d'hommages et d'honneurs; l'aspect de la flotte qui nous saluait, etc., la foule, et les costumes variés formaient un spectacle vraiment pittoresque. Nous songeons à entreprendre bientôt une expédition, et j'attends de recevoir l'ordre de rejoindre l'armée avec les Souliotes.
Note 45: (retour) Il avait l'idée de prendre le jeune garçon sur ses épaules, et de nager avec cette charge jusqu'au rivage. Cette action n'eût été qu'une répétition des jeux de son enfance à Harrow, où il avait souvent coutume de monter sur ses épaules un enfant plus petit, et, à la grande alarme du bambin, de plonger avec lui dans l'eau. (Note de Moore.)
»Tout va bien maintenant. Nous avons trouvé Gamba déjà arrivé, et tout en bon état. Rappelez-moi au souvenir de tous les amis.
»Tout à vous à jamais,
N. B.
»P. S. Vous ferez, j'espère, tous vos efforts pour réaliser les fonds
suffisans. Car, outre ce que j'ai déjà avancé, je me suis chargé
d'entretenir, pendant un an, les Souliotes (que j'accompagnerai ou comme
chef ou en telle qualité qu'il plaira au gouvernement), et divers autres
Grecs par-dessus le marché.
......................................
Il
faut que M. Barff m'envoie bientôt des dollars, car je suis à présent
accablé de dépenses.
14 janvier 1824.
»P. S. Voudrez-vous dire au saint juif Geronimo Corgialegno que je tirerai pour la solde de mes crédits sur MM. Webb et Ce. Je tirerai jusqu'à concurrence de deux mille dollars (ce qui est environ le montant de mon crédit); mais pour faciliter l'affaire, je rendrai le billet payable chez MM. Ransom et Ce, Pall-Mall East, à Londres. Je crois vous avoir déjà montré mes lettres (mais dans le cas contraire je puis les exhiber); elles établissent qu'outre les crédits à solder à présent, je ne suis point renfermé dans une certaine limite de crédit avec mes banquiers. L'honorable Douglas Kinnaird, mon ami et homme d'affaires, est un des principaux associés de cette maison de banque; ayant la direction de mes intérêts, il sait jusqu'à quel point mes ressources actuelles peuvent aller, et les lettres en question étaient de lui. Je puis seulement dire, que c'est sur mon revenu de 1823 que j'ai pris l'argent déjà avancé au gouvernement grec, et que je solderai les crédits que vous et votre associé M. Barff m'avez ouverts; mais que je n'ai rien encore prélevé sur mon revenu de l'année courante 1824. J'aurai à ma disposition cent mille dollars (y compris mon revenu et le prix d'un fief récemment vendu), et peut-être davantage, sans anticiper sur mon revenu de 1825, et sans compter ce qui reste de celui de 1823.
»Tout à vous à jamais, etc.»
N. B.
LETTRE DXXXVIII.
A M. CHARLES HANCOCK.
Missolonghi, 17 janvier 1824.
«J'ai répondu assez longuement à votre obligeante lettre, et j'espère que vous aurez reçu ma réponse par l'intermède de M. Tindal. Je vous prierai encore de rappeler à M. Tindal que je le prie de vous donner, en décharge sur mon compte, un bon sur le comité pour cent dollars, que je lui ai avancés, par l'entremise de signor Corgialegno, à son arrivée à Zante en octobre dernier, vu qu'il n'est que trop juste que le susdit comité paie les dépenses de ses agens. Un bon sera suffisant, parce qu'il serait gênant pour M. Tindal de débourser de l'argent à présent.
»J'ai aussi avancé à M. Blackett la somme de cinquante dollars, que je prierai M. Stevens de vous payer, en décharge sur mon compte, avec l'argent de M. Blackett, maintenant dans ses mains. J'ai la reconnaissance écrite de M. Blackett.
»Comme les besoins de l'État sont ici toujours pressans, et qu'il paraît n'y avoir que peu d'espèces sonnantes, excepté les miennes, je suis toujours payeur-général; et il faut que je vous prie encore, vous et M. Barff, de m'envoyer par un canal sûr (si c'est possible) tous les dollars que vous pourrez rassembler avec les billets maintenant à négocier. J'ai écrit aussi à Corgialegno pour deux mille dollars, ce qui est environ le montant de ma lettre de crédit sur MM. Webb et Cie; mes billets sont aussi payables chez Ransom de Londres.
»Les affaires vont mieux, sinon bien; il y a de l'ordre et l'on fait des préparatifs considérables. Je compte accompagner bientôt les troupes dans une expédition, ce qui me fait particulièrement désirer le prompt envoi des sommes restantes, vu que «l'argent est le nerf de la guerre» et de la paix aussi, autant que je puis voir, car je suis sûr qu'il n'y aurait point de paix ici sans lui. Mais il en faut peu pour faire beaucoup, ce qui est une consolation. Le gouvernement de la Morée et de Candie m'écrit pour que j'avance encore sur mes propres fonds 20 ou 30,000 dollars, ce que j'hésite à faire à présent (m'étant chargé de la paie des Souliotes comme d'un don gratuit, sans compter maintes autres charges, outre le prêt que j'ai déjà avancé); j'attends pour me déterminer des lettres d'Angleterre.
»Quand les lettres de crédit que j'attends seront arrivées, j'espère que vous voudrez bien vous charger de les réaliser en numéraire; autrement il me faudra avoir recours à Malte, ce qui m'occasionera une perte de tems et un surcroît de peine; mais je ne veux pas néanmoins que vous fassiez plus qu'il ne vous conviendra parfaitement, à vous et à M. Barff, de faire pour moi. Je suis fort bien, et je n'ai aucune raison d'être mécontent de ma situation personnelle; ou de l'état des affaires publiques;--que les autres parlent pour leur compte.
»Tout à vous à jamais et de cœur, etc.
»P. S. Mes respects aux colonels Wright et Duffie, et aux officiers civils et militaires; ainsi qu'à mes amis Muir et Stevens, et à Delladecima.»
LETTRE DXXXIX.
A M. CHARLES HANCOCK.
Missolonghi, 19 janvier 1824.
«Depuis que je vous ai écrit, le 17 courant, j'ai reçu de M. Stevens une lettre renfermant un mémoire de Corfou, si exagéré dans le prix et dans la quantité des articles, que je ne saurais dire ce que j'admire le plus, de la folie de Gamba, ou de la friponnerie du marchand. Tout ce que je chargeai Gamba de commander, ce fut un peu de drap rouge et du taffetas gommé pour caleçons, etc.--Le dernier article n'a même pas été envoyé;--le tout n'aurait pas monté à 50 dollars. Le mémoire va à 645!!! Certes, je garantirai M. Stevens contre toute perte, mais je ne suis pas disposé à prendre les articles (que je n'ai jamais commandés), ni à en solder le montant. J'en prendrai pour la valeur de 100 dollars; le reste peut être remporté, et je ferai au marchand une concession de tant pour cent; ou, si cela ne peut avoir lieu, vous vendrez le tout à l'encan à quelque prix que ce soit, car j'aimerais mieux donner en pure perte une partie de ces objets que d'être encombré d'une quantité de choses qui me sont à présent inutiles et superflues. Grand Dieu! j'aurais entretenu pour la somme 300 hommes pendant un mois dans la Grèce occidentale!
»Quand les chiens, les dollars, le nègre et les chevaux tombèrent entre
les mains des Turcs, je m'y résignai avec patience, comme vous avez pu
voir, parce que c'était un effet de la guerre ou de la Providence; mais
ceci est un résultat de la friponnerie ou de la folie humaine, ou de
l'une et l'autre à-la-fois, et je ne puis ni ne veux m'y soumettre46.
J'ai besoin de tous les dollars que je puis rassembler, pour maintenir
les Grecs en bonne harmonie, et je ne plains aucune dépense pour la
sainte cause. Mais jeter par la fenêtre une somme avec laquelle on
équiperait ou du moins on entretiendrait un corps d'excellens hommes
d'armes! Et pourquoi? pour fournir à Gamba et au docteur du drap fin,
des bottes, des cravaches, etc.!!! c'est ce qui surpasse ma patience,
quoique je sois très-pacifique, au su de tout le monde ou du moins de
mes connaissances. Je vous prie de m'aider à me tirer de cette damnable
spéculation commerciale de Gamba, car c'est un de ces traits
d'imprudence ou de folie que je ne lui pardonnerai
jamais.
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Note 46: (retour) Nous avons ici l'exemple le plus frappant de ce trait de caractère qu'un esprit étroit ou méchant pourrait prendre pour avarice, mais qui en réalité n'était que le résultat d'un profond sentiment de justice et de loyauté, et d'une vive indignation contre la duperie et la fraude. Le colonel Stanhope, en rapportant cette circonstance, a mis la colère de Lord Byron sous son véritable jour.«Il attaquait sans cesse le comte Gamba, quelquefois, à la vérité, par forme de plaisanterie, mais plus souvent avec la plus amère ironie, pour avoir acheté 500 dollars de fournitures pour son usage et celui de ses gens. Il avait coutume de citer ce fait comme un exemple de l'imprudence et de l'extravagance du compte. Lord Byron me dit un jour, avec un ton fort grave, que ces 500 dollars auraient été très-utiles pour pousser le siége de Lepante; et que jusqu'à sa dernière heure il ne pardonnerait jamais à Gamba d'avoir gaspillé son argent pour l'achat de tant de drap. On ne supposera pas que Byron pût alors parler serieusement; car il avait la plus haute opinion du comte, qui, tant par ses talens que par son dévoûment à son ami, méritait l'estime de sa seigneurie. Quant à la générosité de Lord Byron, le monde en a la preuve. Il promit de consacrer son immense revenu à la cause de la Grèce, et il tint sa promesse.
(Note de Moore.)
»Je vous réitère ma demande d'espèces sonnantes, et vous prie de m'en envoyer le plutôt possible, autrement les affaires publiques seront enrayées ici. Je me suis chargé de la solde des Souliotes pendant un an, d'avancer en outre 3,000 dollars, en mars, au gouvernement pour l'arriéré dû aux troupes, et de mille autres frais pour les Allemands, pour la presse, etc., etc., etc.; de sorte qu'avec les dépenses de ma suite, qui, sans être extravagantes, sont assez coûteuses, vu l'absurdité de ce diable de Gamba, j'aurai besoin de tout l'argent que je pourrai ramasser; j'ai en outre des crédits pour faire face à toutes les entreprises si elles se réalisent, et j'en attends encore davantage dans peu de tems.
»Croyez-moi toujours et véritablement, votre, etc.»
Dans la matinée du 22 janvier, jour de sa naissance, dernier anniversaire que mon pauvre ami était destiné à voir,--il vint de sa chambre à coucher dans l'appartement où le colonel Stanhope se trouvait avec quelques autres personnes, et dit avec un sourire: «Vous vous plaigniez l'autre jour que je ne fisse plus de vers. C'est aujourd'hui l'anniversaire de ma naissance, et je viens de finir une pièce qui, je crois, est meilleure que je n'ai coutume de faire.» Il leur montra ces belles stances qui, bien qu'elles soient déjà connues de la plupart des lecteurs, sont néanmoins trop étroitement liées à cette scène finale de sa vie pour ne pas en parer l'histoire. Si l'on a égard à tous les sentimens qui respirent dans ces vers,--aux derniers soupirs d'une ame tendre, à la noble expression de ce dévoûment absolu pour une noble cause, et à ce sombre et profond pressentiment d'une fin prochaine,--il n'y a peut-être, dans l'ordre des compositions purement humaines, pas de production sur laquelle les circonstances et les sentimens qui l'ont inspirée jettent un si touchant intérêt.
22 janvier47.
Aujourd'hui, j'ai trente-six ans accomplis.
I.
Il est tems que ce cœur devienne insensible,
Puisqu'il a cessé d'émouvoir d'autres cœurs.
Cependant, quoique je ne puisse plus être aimé,
Il faut que j'aime encore.
II.
Mes jours sont dans la feuille desséchée;
Les fleurs et les fruits de l'amour sont passés:
Le ver de terre, le remords rongeur et les regrets
Sont mon seul partage.
III.
Le feu qui brûle dans mon sein
Est solitaire comme une île volcanique;
Aucune torche n'étincèle comme sa flamme:
--C'est un bûcher funéraire.
IV.
L'espérance, la crainte, les soins jaloux,
La portion exaltée de la douleur,
Et le pouvoir de l'amour,--je ne puis les partager,
Mais j'en porte encore la chaîne.
V.
Mais ce n'est pas ainsi,--ce n'est pas ici--
Que de telles pensées pourront ébranler mon ame,--ni maintenant,--
Quand la gloire décore le cercueil du héros,
Ou fait pencher son front vers la terre.
VI.
Le glaive, la bannière et le champ de bataille,
La gloire et la Grèce m'environnent!
Le Spartiate, porté sur son bouclier,
N'était pas plus libre.
VII.
Réveille-toi! (non la Grèce,--elle est réveillée!)
Réveille-toi, mon génie! Pense d'où te vient
L'étincelle divine, le sang ardent qui bout dans tes veines,
Et sois digne de ta haute origine!
VIII.
Je foule aux pieds les passions renaissantes
Indignes de l'âge viril.--Pour toi,
Indifférens soient le sourire ou le dédain
De la beauté.
IX.
Si tu regrettes ta jeunesse,--pourquoi vivre!--
La contrée des trépas honorables
Est ouverte devant toi.--Vole aux combats,
Et laisses-y ton souffle de vie.
X.
Cherche la tombe d'un héros,--beaucoup la trouvent qui ne la cherchent pas.
C'est ce qu'il y a de mieux pour toi.
Alors regarde à l'entour;--choisis ton coin de terre,
Et repose en paix.
«Nous vîmes, dit le comte Gamba, par ces vers comme par ses conversations journalières, que son ambition et ses espérances étaient irrévocablement fixées sur les glorieux objets de son expédition en Grèce, et qu'il avait résolu de «revenir vainqueur, ou de ne revenir plus.» Il me disait souvent: «Les autres peuvent faire ce qu'il leur plaira:--ils peuvent s'en aller;--mais, moi, je reste ici, cela est certain.» La même détermination était exprimée dans les lettres que Lord Byron écrivait à ses amis; et cette résolution ne cessait pas d'être accompagnée du pressentiment très-naturel qu'il laisserait sa vie en Grèce. Un jour, il demanda à son fidèle serviteur Tita s'il songeait à retourner en Italie: «Oui, dit Tita, si votre seigneurie y va, j'irai.» Lord Byron sourit et dit: «Non, Tita, je ne reviendrai jamais de Grèce;--ou les Turcs, ou les Grecs, ou le climat m'en empêcheront.»
LETTRE DXL.
A M. CHARLES HANCOCK.
Missolonghi, 5 février 1824.
«La lettre du docteur Muir et la vôtre du 23 me sont parvenues il y a
quelques jours. Dites à Muir que je suis content de sa promotion, et
dans son intérêt, et dans le nôtre, puisqu'il reste près de nous! Mais
je ne puis que regretter le départ du docteur Kennedy, départ qui
explique les tremblemens de terre antérieurs, et le véritable tems
anglais qui règne actuellement dans ce climat.
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»A propos, je me suis trouvé avec l'archevêque grec à Anatoliko (où j'allai il y a quelques jours, sur l'invitation des primats, et où je fus reçu avec une plus terrible canonnade que les Turcs ne l'eussent été probablement): c'était pour la seconde fois que je voyais ledit archevêque (je l'avais vu ici auparavant). Lui, le prince Mavrocordato, les chefs militaires, les primats et moi, nous dinâmes tous ensemble, et je trouvai le métropolitain le plus gai de la compagnie, et de plus très-bon chrétien. Mais Gamba (car nous fûmes mouillés jusqu'aux os à notre retour) a été pris de fièvre et de coliques; Luc aussi, et d'autres personnes ont été dérangées. Pour moi, j'ai été très-bien,--sauf un rhume que je gagnai hier en demeurant trop long-tems à la pluie à jurer contre les Grecs, qui ne voulaient pas donner un coup de main pour aider à débarquer les fournitures du comité; mais je vins en personne, et fis un tel vacarme que je les mis en mouvement. Je les chargeai tous d'imprécations, depuis le gouvernement jusqu'au dernier d'entre eux, jusqu'à ce qu'ils se fussent mis à faire une partie de ce qu'ils auraient dû faire en totalité depuis plusieurs jours, et cela est regardé avec raison comme un miracle.
»Dites à Muir que, nonobstant ses remontrances que je reçois avec reconnaissance, il vaut peut-être mieux que je m'avance avec les troupes; car si nous ne faisons pas quelque chose bientôt, nous n'aurons qu'une troisième année d'opérations défensives, un autre siége, etc. Nous apprenons que les Turcs viennent en force, et plus tôt que de coutume; et comme ces lurons de Grecs songent un peu à moi, c'est l'opinion générale que je dois marcher,--premièrement, parce qu'ils écouteront plutôt un étranger qu'un de leurs compatriotes, vu leurs rivalités domestiques; secondement, parce que les Turcs traiteront ou capituleront (s'il y a lieu) plutôt avec un Franc qu'avec un Grec; et troisièmement, parce que nul autre ne semble disposé à assumer la responsabilité,--Mavrocordato étant fort occupé ici, les militaires étrangers étant trop jeunes, ou n'ayant pas assez d'influence pour être écoutés par les Grecs, et les chefs (comme je l'ai dit plus haut) étant disposés à obéir au premier venu plutôt qu'à un des leurs. Quant à moi, je suis disposé à faire ce qu'on me dit, et à suivre mes instructions. Je ne recherche ni ne fuis cette distinction, ni quelque entreprise que ce soit; et quant à ma sûreté personnelle, sans compter que ce ne doit pas être là une considération, je garantis que, somme toute, un homme est en sûreté aussi bien dans un endroit que dans un autre: et, après tout, il vaut mieux finir avec un boulet qu'avec force quinquina dans le corps. Si nous ne sommes pas atteints par l'épée, nous sommes exposés à être emportés par les fièvres dans ce panier de boue; et pour conclure par une très-mauvaise pointe, faite pour l'oreille plutôt que pour l'œil, mieux vaut finir martialement que marécageusement48.--La situation de Missolonghi ne vous est pas inconnue. Le sol de la Hollande, quand les digues sont rompues, est, en fait de sécheresse, un désert d'Arabie, en comparaison de ce pays-ci.
»Mais passons au nerf de la guerre. Je vous remercie, vous et M. Barff, pour vos promptes réponses, qui sont la plus agréable chose du monde,--après l'argent comptant, bien entendu49. Outre le compte-courant de Corgialegno, je demanderai, à partir du Ier mars prochain, environ cinq mille dollars tous les deux mois, c'est-à-dire environ vingt-cinq mille dans le courant de cette année, à des intervalles réguliers, indépendamment des sommes qui sont en train de se négocier à présent. Je puis vous montrer les documens qui prouvent que ces demandes sont loin d'excéder mes ressources pour l'année. Mais je n'aimerais pas à dire exactement aux Grecs ce que je pourrais ou voudrais avancer dans l'occasion, parce que dans ce cas ils doubleraient et tripleraient même leurs demandes (disposition qu'ils ont déjà montrée suffisamment); et quoique je sois prêt à faire tout ce que je pourrai en cas de nécessité, pourtant je ne vois pas pourquoi ils ne nous aideraient pas un peu, car ils ne sont pas tout-à-fait si nus qu'ils le prétendent.
7 février 1824.
»J'ai été interrompu par l'arrivée de Parry, et puis par le retour d'Hesketh, qui ne m'a pas apporté de réponse à mes lettres, ce qui me surprend un peu. Vous m'écrirez bientôt, je présume. Parry semble être un bon luron, mais il sera à peine prêt pour le champ de bataille avant trois semaines. Lui et moi (je pense) nous pourrons aller ensemble: --du moins, je ne veux en aucune façon le troubler ou le contrarier dans son département. Il se plaint vivement de la partie mercantile et enthousiaste du comité, mais il loue beaucoup Gordon et Hume. Gordon voulait donner trois ou quatre mille livres sterling et venir lui-même, mais Kennedy ou quelque autre l'a dégoûté; ainsi l'on a ruiné une partie de la souscription, et entravé les opérations du comité. Parry déplore amèrement les frais d'impression et de civilisation, et souhaite qu'il n'y ait point d'école ici à présent, excepté toutefois une école d'artillerie.
»Il s'est plaint aussi du froid, ce qui m'a un peu surpris; premièrement, parce qu'ici, vu le manque de cheminées, je me suis accoutumé à vivre sans autres ressources que la chaleur animale et un manteau; et secondement, parce que je me serais plutôt attendu à entendre un volcan éternuer, qu'un chef de travaux pyrotechniques (qui doit brûler une flotte entière) déclamer contre l'atmosphère. J'étais pleinement convaincu qu'à son approche il aurait rôti la ville, à l'égal des miroirs ardens d'Archimède.
»Hé bien! il paraît que je dois être commandant en chef, et le poste n'est nullement une sinécure, car nous ne sommes pas ce que le major Sturgeon appelle «une réunion d'officiers en bonne amitié.» Aurons-nous «une partie de coups de poing entre le capitaine Sheers et le colonel?» C'est ce que je ne puis dire; mais, chefs souliotes, barons allemands, volontaires anglais, et aventuriers de toutes nations, nous sommes bons à former la meilleure armée alliée qui se querellât jamais sous la même bannière.
8 février 1824.
»Interrompue hier une seconde fois pour cause d'affaires,--cette lettre doit enfin être close. J'ai tiré, il y a quelque tems, sur M. Barff pour la valeur de mille dollars, afin de compléter une somme dont le gouvernement avait besoin: Le susdit gouvernement a fait ici même de l'argent avec ma lettre-de-change; mais le même individu qui la leur avait escomptée, après m'avoir proposé de me donner des espèces pour d'autres lettres-de-change sur Barff, jusqu'à concurrence de treize cents dollars, n'a pas pu le faire, ou a songé à quelque chose de mieux. J'avais écrit à Barff pour l'avertir, mais j'ai dû lui écrire ensuite pour lui dire que l'individu n'était pas revenu. Il faut réellement que vous m'envoyiez bientôt le solde de mon compte: J'ai les artilleurs et mes Souliotes à payer, et Dieu sait quoi encore; et comme tout dépend de la ponctualité, toutes nos opérations seront arrêtées si vous n'usez de célérité. Je vous enverrai, à vous ou à M. Barff, de nouvelles lettres-de-change à tirer sur l'Angleterre, pour trois mille livres sterling, et je vous prierai de les négocier le plus tôt que vous pourrez. J'ai déjà énoncé ici et ailleurs les sommes que je puis commander en Angleterre dans le courant de l'année,--sans compter mes crédits, ou les billets déjà négociés et à négocier,--et les lettres de mes amis (venues par le vaisseau de M. Parry) confirment ce que j'ai déjà énoncé. Combien demanderai-je dans le cours de l'année? Je ne puis le dire, mais je me garderai d'excéder mes ressources.
»Tout à vous à jamais,
N. B.
»P. S. J'ai dû, sur le désir d'un M. Jerostati, tirer sur Démétrius Delladecima (est-ce notre ami in ultima analise?) pour payer les dépenses du comité. Je ne comprends réellement pas ce que veut le comité par quelques-unes de ses libertés. Parry et moi, nous allons très-bien ensemble jusqu'à présent. Cela durera-t-il long-tems? Dieu le sait, mais je l'espère, car le service de la cause grecque en dépend en bonne partie. Mais Parry a déjà eu quelques querelles avec le colonel Stanhope, et je fais tout ce que je puis pour maintenir la paix entre eux. Quoi qu'il en soit, Parry est un bon luron, extrêmement actif, et doué de talens supérieurs, solides et pratiques. Je vous envoie ci-inclus des billets pour trois mille livres sterling, tirés dans le mode désiré (c'est-à-dire partagés en billets plus petits). Je profite d'une bonne occasion qui permet d'envoyer des lettres à Céphalonie. Rappelez-moi au souvenir de Stevens et de tous les amis. Mes complimens et mille choses aimables aux colonels et aux officiers.
9 février 1824.
»P. S. 2e ou 3e. J'ai quelque raison de croire qu'une personne envoyée d'Angleterre pour me faire signer des papiers d'affaires, arrivera bientôt dans les îles ioniennes. Si elle arrive, voudrez-vous me l'envoyer ici par une voie sûre? attendu que les papiers ont trait à une transaction relative à l'arrangement d'un procès, et à une somme de plusieurs mille livres sterling, que nos banquiers et fondés de pouvoir pourront avoir à toucher en mon nom (en Angleterre). Je ne puis déterminer l'époque probable de l'arrivée de cette personne, mais mes lettres sont datées du 2 novembre, et je présume qu'elle doit arriver bientôt.»
Lord Byron fit alors concevoir les plus fortes espérances à ceux même qui observèrent de près toute sa conduite depuis son arrivée à Missolonghi: c'est ce qu'on verra par le passage suivant d'une des lettres du colonel Stanhope au comité grec.
«Lord Byron possède tous les moyens de jouer un grand rôle dans la glorieuse révolution de Grèce. Il a du talent; il professe des principes libéraux; il a de l'argent, et il est animé de sentimens ardens et chevaleresques. Il a commencé sa carrière par deux bonnes mesures; primo, en recommandant l'union, et en déclarant qu'il ne voulait être d'aucun parti; et secundo, en prenant cinq cents Souliotes à sa solde, et en agissant en la qualité de leur chef. Ces actes ne peuvent manquer de donner à sa seigneurie une popularité universelle et une puissance proportionnelle. Dans des circonstances si avantageuses, sa seigneurie aura l'occasion de réaliser toutes ses déclarations.»
Toutefois, celui qui inspirait ces espérances était loin de les partager. C'est un fait qui ressort manifestement de tout ce que Byron dit et écrivit sur le sujet, et qui ne fait qu'accroître douloureusement l'intérêt que sa position excite en ce moment. En vérité, il comprenait et sentait trop bien les difficultés où il était engagé, pour se laisser séduire à de si flatteuses illusions. Il n'avait encore pu satisfaire qu'une de ses espérances,--celle d'imprimer, par son exemple, un caractère plus humain au système de guerre des deux nations belligérantes. Quelques jours après son arrivée, il avait eu l'occasion de tirer un malheureux Turc d'entre les mains de quelques matelots grecs; et, vers la fin du mois, ayant appris qu'il y avait quelques prisonniers turcs à Missolonghi, il pria le gouvernement de les mettre à sa disposition, pour les renvoyer à Yussuf50 Pacha. En accomplissant ce trait d'humanité politique, il envoya avec les prisonniers libérés la lettre suivante.
LETTRE DXLI.
A SON ALTESSE YUSSUF PACHA.
Missolonghi, 23 janvier 1824.
Altesse,
«Un vaisseau, où un de mes amis et quelques-uns de mes gens étaient embarqués, fut pris il y a quelques jours, et relâché par ordre de votre altesse. Je dois maintenant vous remercier, non d'avoir libéré le vaisseau qui, portant un pavillon neutre, et étant sous la protection britannique, ne pouvait être légitimement retenu, mais d'avoir traité mes amis avec une si grande bienveillance, tant qu'ils sont restés entre vos mains.
»C'est pourquoi, dans l'espérance d'être agréable à votre altesse, j'ai
prié le gouverneur de cette place de relâcher quatre prisonniers turcs,
et il y a humainement consenti. Je me hâte donc de vous les renvoyer,
afin de payer de retour le plus tôt possible votre courtoisie dans la
dernière occasion. Ces prisonniers sont libérés sans condition; mais, si
cette circonstance trouve place dans votre souvenir, j'oserai demander
que votre altesse traite avec humanité tous les Grecs qui pourront
désormais tomber entre ses mains, vu que les horreurs de la guerre sont
assez grandes par elles-mêmes, sans avoir besoin d'être aggravées par de
gratuites cruautés des deux parts.»
Noel BYRON.
Une autre idée favorite, et qui parut quelque tems praticable, fut le projet d'attaque contre Lépante51, ville fortifiée qui, maîtresse de la navigation du golfe de Corinthe, est une position de la première importance. «Lord Byron, dit le colonel Stanhope, dans une lettre datée du 14 janvier, est embrasé d'une ardeur militaire et chevaleresque, et il accompagnera l'expédition contre Lépante.» Le retard de l'ingénieur Parry, qu'on avait impatiemment attendu pendant quelques mois, avec les ressources nécessaires pour la formation d'une brigade d'artillerie, avait jusqu'alors paralysé les préparatifs de cette importante entreprise. Cependant, le peu qui avait pu être fait sans son aide avait été déjà accompli; une brigade de Souliotes avait été destinée à agir sous les ordres de Lord Byron, et sa seigneurie et le colonel Stanhope avaient, à frais communs, formé un petit corps d'artillerie.
Ce fut vers la fin de janvier, comme nous l'avons vu, que Lord Byron reçut du gouvernement sa commission régulière comme commandant en chef de l'expédition. En lui conférant de pleins pouvoirs, tant dans l'ordre civil que dans l'ordre militaire, on nomma en même tems pour l'accompagner, un conseil de guerre, composé des chefs les plus expérimentés de l'armée, et présidé par Nota Botzari; oncle du fameux guerrier.
On avait espéré que, parmi les munitions envoyées avec Parry, il y aurait une provision de fusées à la Congrève,--instrument de guerre dont on avait conté tant de merveilles aux Grecs, que leurs imaginations s'étaient remplies des idées les plus absurdes concernant ses effets. Leur désappointement fut donc excessif, quand ils virent que l'ingénieur était venu sans être pourvu de ces projectiles. Une autre espérance,--celle de compléter un corps d'artillerie par l'incorporation des Allemands qui avaient été envoyés en Morée,--se trouva presque également déçue; cette troupe s'étant presque réduite à néant par la mort ou par la retraite de ceux qui la composaient originairement, et le peu d'officiers qui offrirent alors leurs services, étant, par leurs chimériques préjugés de rang et d'étiquette, beaucoup plus incommodes qu'utiles. Par surcroît de circonstances décourageantes, les cinq vaisseaux de guerre speziotes qui avaient quelque tems formé la seule protection de Missolonghi, s'en étaient retournés dans leur pays, et avaient laissé prendre leur position à l'escadre ennemie.
Quelque embarrassantes que fussent toutes ces difficultés pour l'accomplissement de l'expédition, un embarras encore plus formidable se présentait dans les dispositions turbulentes et presque mutines de ces troupes souliotes sur lesquelles Byron comptait pour le succès de son entreprise. Fondant leurs prétentions, tant sur sa richesse et sur sa générosité que sur leur propre importance militaire, ces guerriers indisciplinés n'avaient jamais cessé de porter de plus en plus haut l'extravagance de leurs demandes;--l'état de leurs familles, entièrement dénuées de ressources et d'asile, leur fournissait un prétexte trop bien fondé pour leurs exactions et leur mécontentement. Les chefs n'étaient pas d'ailleurs plus accommodans que les soldats eux-mêmes. «Il y avait parmi eux, dit le comte Gamba, six chefs de famille, qui tous avaient d'égales prétentions, soit par leur naissance soit par leurs exploits; et aucun d'eux ne voulait obéir à l'un de ses compagnons d'armes.»
Une émeute sérieuse à laquelle, vers le milieu de janvier, ces Souliotes avaient donné naissance, et dans laquelle quelques personnes perdirent la vie, avait été une source de vive irritation et d'anxiété pour Lord Byron, tant à cause de la mésintelligence qui devait s'en suivre entre ses troupes et les citoyens, que par le peu de confiance qu'il se trouvait encouragé à placer dans une matière si intraitable. Malgré cela, ni son ardeur ni ses efforts pour l'accomplissement de cet unique objet de son ambition personnelle ne se relâchèrent un seul instant. Quelque faible gloire qu'il dût gagner par l'attaque de Lépante, il la regardait comme sa seule récompense pour tous les sacrifices qu'il faisait. Dans ses conversations avec le comte Gamba sur ce sujet, «quoiqu'il plaisantât beaucoup, dit celui-ci, sur sa place d'archistrategos ou de général en chef, il était évident que le romanesque et le péril de l'entreprise étaient de grands attraits pour lui.» En vérité, quand nous comparons sa détermination à soutenir la cause grecque à travers tous les hasards, avec les faibles espérances que sa sagacité lui laissait concevoir sur son aptitude à la servir, je suis persuadé que la tombe guerrière qu'il se prédisait dans ses beaux vers ne fut pas qu'un vain rêve de poésie, mais qu'au contraire son désir enfanta sa pensée, et qu'il considérait une mort honorable, trouvée dans une entreprise pareille à l'assaut de Lépante, non-seulement comme le seul moyen de tenir dignement la grande promesse qu'il avait donnée, mais comme le service le plus signalé et le plus durable qu'un nom tel que le sien,--répété d'âge en âge parmi les mots d'ordre de la liberté,--pût rendre à cette cause sacrée.
Au milieu de ces soins il eut le vif plaisir de recevoir une lettre d'un de ses vieux amis, André Londo, avec qui il avait fait connaissance dans son premier voyage, en 1809, et qui était à cette époque, sous la domination des Turcs, un riche propriétaire de Morée;52 ce patriote grec avait été un des premiers à lever l'étendard de la croix, et se trouvait alors au nombre des principaux appuis du corps législatif et du nouveau gouvernement national. Voici la traduction de la réponse de Lord Byron.
Note 52: (retour) Ce brave Moréote, quand Lord Byron le vit pour la première fois, avait une mine et des manières enfantines, mais nourrissait néanmoins, sous cet extérieur, un esprit de patriotisme qui éclatait par momens. Le noble poète racontait qu'un jour, tandis qu'ils jouaient aux dames ensemble, Londo, en entendant prononcer le nom de Riga, se leva en sursaut, et, en frappant violemment des mains, il se mit à chanter le fameux chant de cet infortuné patriote:Fils des Grecs, levez-vous!
L'heure de gloire est arrivée.
(Note de Moore.)
LETTRE DXLII.
A LONDO.
Cher Ami,
«La vue de votre écriture m'a causé le plus grand plaisir. La Grèce a toujours été pour moi, comme elle doit l'être pour tous les hommes bien élevés, la terre promise de la valeur, des arts et de la liberté; et le tems que je passai dans ma jeunesse à voyager parmi ses ruines n'a point du tout refroidi mon affection pour la patrie des héros. De plus, je vous suis attaché par les liens de l'amitié et de la reconnaissance pour l'hospitalité que je reçus de vous durant mon séjour dans ce pays, dont vous êtes aujourd'hui devenu un des principaux défenseurs et ornemens. Servir, à vos côtés et sous vos yeux, la cause de la Grèce, sera pour moi un des plus heureux événemens de ma vie. En attendant, je suis, dans l'espérance de me trouver encore une fois avec vous,
«Votre, etc.».
Parmi les embarras moins sérieux de la situation de Lord Byron à cette époque, on peut mentionner la lutte soutenue contre lui par son collègue le colonel Stanhope,--avec une consciencieuse persévérance qu'il ne pouvait, tout en étant contrarié, s'empêcher de respecter,--sur le sujet d'une presse libre, que le colonel désirait ardemment établir sur le champ dans toutes les parties de la Grèce. Sur ce point important, leurs opinions différaient considérablement; et la relation suivante, donnée par le colonel Stanhope, d'une de leurs nombreuses conversations à ce sujet, peut être prise comme un tableau exact et concis de leurs vues respectives.
«Lord Byron dit qu'il était un ami ardent de la publicité et de la presse; mais qu'il craignait que cette liberté ne fût pas applicable à cette société dans son état de fermentation. Je répondis que je la croyais applicable à tous pays, et surtout essentielle ici, à l'effet de mettre fin à l'état d'anarchie qui régnait actuellement. Lord Byron craignait les libelles et la licence. Je dis que l'objet d'une presse libre était de réprimer la licence publique, et d'exposer les libellistes à la haine. Lord Byron avait cité sa conversation avec Mavrocordato53 pour montrer que le prince n'était pas hostile à la presse.
Note 53: (retour) Lord Byron avait, à ce qu'il paraît, avoué que le soir précédent il avait dit au prince Mavrocordato, que «s'il était à sa place, il aurait soumis la presse à la censure,» à quoi le prince avait répondu: «Non; la liberté de la presse est garantie par la constitution.» (Note de Moore.)
Je déclarai que je le savais ennemi de la presse, quoiqu'il n'osât pas l'avouer ouvertement. Sa seigneurie dit alors que ses idées n'étaient point arrêtées relativement à la liberté de la presse en Grèce, mais qu'à son avis, l'expérience valait la peine d'être faite.»
Cette différence d'opinion entre deux hommes, également zélés pour le service d'une cause commune, n'est qu'un résultat naturel des variétés du jugement humain, et ne préjuge rien contre le zèle ou la sincérité de l'un ou de l'autre. Mais ceux qui ne se laissent pas exclusivement guider par une théorie, accorderont, ce me semble, que les scrupules professés par Lord Byron relativement à l'opportunité ou au danger de l'introduction de ce qu'on nomme une presse libre, dans un pays aussi peu civilisé que la Grèce, étaient fondés sur une idée juste de la nature humaine et sur un bon sens pratique. S'efforcer d'imposer à un état de société, si peu préparé, les institutions d'une civilisation avancée, songer à greffer sur une nation ignorante les fruits d'une longue expérience et d'une longue culture,--à importer chez elle, de toutes pièces, ces avantages et ces biens que nul peuple n'obtint jamais que par ses propres efforts, et qu'après une lutte pénible;--rêver même le succès d'une telle expérience: c'est faire preuve d'un enthousiasme presque incroyable, qui, dans le cas présent, bien qu'il animât l'économiste et le soldat, outrepassait la sphère du poète.
La confiance absolue, et, sous plusieurs rapports, très-bien fondée, avec laquelle le colonel Stanhope en appelait à l'autorité de M. Bentham sur la plupart des points en discussion entre lui et Lord Byron, ne rencontrait que fort peu de sympathie chez ce dernier, vu l'antipathie naturelle qui existe entre les économistes et les poètes;--ces appels étant toujours accueillis avec ces saillies de ridicule, qui étaient pour Lord Byron le meilleur moyen d'exhaler son impatience contre l'argumentation, et auxquelles, malgré le nom vénérable et les services de M. Bentham lui-même, la charlatanerie de beaucoup d'opinions professées par les disciples de ce philosophe présentaient, il faut l'avouer, une ample matière. Quelque romanesque que fût, en effet, le sacrifice de Lord Byron à la cause grecque, il n'y avait pas dans ses vues sur les moyens de la servir la moindre teinte d'idéal ou de spéculation. La tâche grande, mais toute pratique, de délivrer la Grèce de ses tyrans était le principal objet de Lord Byron. Il savait que l'esclavage était le grand obstacle aux lumières, et devait être brisé avant qu'elles pussent se répandre; que l'œuvre de l'épée devait donc précéder celle de la plume; et les camps être les premières écoles de la liberté.
Avec des vues si solides et si mûres sur les véritables exigences de la crise, il n'est pas étonnant qu'il vît avec impatience, et, peut-être, avec un peu de mépris, tout cet appareil prématuré de presses, de pédagogues, etc., dont les Philhellènes du comité de Londres, dans leur rage de politique utilitaire54, étaient en train de l'encombrer. Et quelques-uns des correspondans du comité n'étaient pas plus solides dans leurs spéculations; l'un d'eux, homme éclairé, ayant conseillé comme un moyen de rendre un service signalé à la cause, une altération de l'alphabet grec.
Tout en sentant, aussi vivement peut-être que Lord Byron, le but important de leur principale mission,--celle de ranimer, et, ce qui était beaucoup plus difficile, de réunir contre l'ennemi commun les forces du pays,--le colonel Stanhope était aussi un de ceux qui pensaient que les lumières de leur grand maître Bentham, et les opérations d'une presse absolument libre, étaient des ressources non moins essentielles pour le triomphe de la cause, et en ce point, comme nous l'avons vu, le poète était en différend avec le militaire. Mais c'était un différend tel qu'il peut s'en élever entre des hommes francs et loyaux, sans reproches mutuels, sans danger pour la cause commune;--une lutte d'opinions, qui, bien que soutenue avec chaleur, peut être rappelée sans amertume, qui n'empêcha pas Byron, à la fin d'une de ses plus vives altercations avec le colonel, de lui dire généreusement: «Donnez-moi cette honnête main droite»; ni le colonel de prononcer, sur la tombe de son collègue, un éloge qui, pour être tempéré par une censure éclairée, n'en était pas moins cordial, ni n'était pas moins honorable à l'illustre mort pour être le tribut d'un homme qui avait courageusement différé d'opinion avec lui.
Vers le milieu de février, l'infatigable activité de M. Parry ayant mis la brigade d'artillerie presque en état d'être prête pour le service, une inspection du corps des Souliotes eut lieu, comme mesure préparatoire à l'expédition; et après beaucoup de déception et d'indiscipline de leur part comme à l'ordinaire, tout obstacle parut enfin surmonté. Il fut convenu qu'ils recevraient un mois de paie d'avance;--le comte Gamba, avec 300 de leur corps, devait partir le lendemain en avant-garde et prendre position sous Lépante, et Lord Byron devait le suivre sans retard avec le reste du corps et avec l'artillerie.
Mais de nouvelles difficultés furent bientôt suscitées par ces intraitables mercenaires; et, comme on le découvrit depuis, à l'instigation du grand rival de Mavrocordato, Colocotroni, qui avait envoyé des émissaires à Missolonghi afin de les séduire, ils donnèrent alors une nouvelle forme à leurs exigences, en demandant au gouvernement de nommer parmi eux deux généraux, deux colonels, deux capitaines, et un nombre proportionnel de sous-officiers:--«En un mot,» dit le comte Gamba, «que sur l'effectif de trois ou quatre cents Souliotes, il y en eût environ cent cinquante gradés.» L'audacieuse déloyauté de cette demande,--outre-passant même ce que Lord Byron pouvait attendre de la part des Grecs,--excita toute sa colère, et il signifia à tout le corps, par l'intermédiaire du comte Gamba, qu'il rompait toute négociation avec eux; qu'il ne pouvait plus avoir de confiance en des hommes si peu fidèles à leurs engagemens; et que, tout en continuant les secours qu'il avait donnés à leurs familles, il mettait à néant toutes ses conventions avec eux comme corps.
Ce fut le 14 février que cette rupture avec les Souliotes eut lieu; et quoique, le jour suivant, en conséquence de la pleine soumission de leurs chefs, ils fussent rentrés au service de Lord Byron, cette affaire, combinée avec les diverses autres difficultés qui l'entouraient, agita considérablement son esprit. Il vit avec douleur qu'il ne pourrait que compromettre la cause de la Grèce et son propre caractère, en comptant entièrement, dans une telle entreprise, sur des troupes que le premier intrigant pourrait ainsi détourner de leur devoir, et que jusqu'à l'organisation d'une armée plus régulière, il fallait suspendre l'expédition contre Lépante.
Tandis que ces événemens contrarians se passaient, l'interruption de son exercice ordinaire par les pluies ne fit qu'accroître l'irritabilité que de tels délais étaient propres à exciter; et le tout ensemble, sans aucun doute, concourut avec quelque prédisposition, déjà formée dans sa constitution, à produire cet accès convulsif,--avant-coureur de sa mort, qui le saisit le 15 février soir. Il était assis, vers les huit heures, seul avec M. Parry et M. Hesketh, dans l'appartement du colonel Stanhope,--et parlait en plaisantant sur un de ses sujets favoris, c'est-à-dire, sur ses différends d'opinion avec ce dernier, et il disait que «il croyait, après tout, que la brigade de l'auteur serait prête avant la presse du militaire.» Soudain sa figure devint extraordinairement rouge; et, d'après les changemens rapides de son air, il fut manifeste qu'il était en proie à une agitation nerveuse. Il se plaignit d'avoir soif, fit venir du cidre et en but; après quoi, ses traits s'étant encore plus altérés, il se leva de son siége, mais il fut incapable de marcher; et, après avoir fait un pas ou deux en chancelant, il tomba dans les bras de M. Parry. Une autre minute après, ses dents se serrèrent, sa voix et ses sens s'évanouirent, et il fut pris de fortes convulsions. Ses efforts étaient si violens qu'il fallut toute la force de M. Parry et de son domestique Tita pour le contenir durant l'accès. Sa figure éprouva une grande contorsion, et, comme il le dit ensuite au comte Gamba: «Les souffrances furent si intenses durant la convulsion, que si elle eût duré une minute de plus, il croyait qu'il serait mort.» Mais l'accès fut aussi court que violent; en quelques minutes Lord Byron recouvra sa voix et ses sens; ses traits, quoique encore pâles et hagards, reprirent leur forme naturelle, et le seul effet que l'attaque laissa après elle, fut une faiblesse excessive. «Aussitôt qu'il put parler, dit le comte Gamba; il se montra parfaitement libre de toute alarme; mais il demanda très-froidement si son attaque pouvait lui devenir fatale. «Dites-le moi, dit-il; ne croyez pas que j'aie peur de mourir,--je n'en ai pas peur du tout.»
Il s'était à peine écoulé une demi-heure depuis ce douloureux accident, lorsqu'on vint annoncer que les Souliotes étaient en armes et sur le point d'attaquer le sérail pour s'emparer des magasins. Sur-le-champ les amis de Lord Byron coururent à l'arsenal; les artilleurs furent commandés, les sentinelles doublées, et le canon chargé et pointé sur les avenues des portes. Quoique ce fût une fausse alerte, la probabilité seule d'une telle attaque montre suffisamment combien l'état de Missolonghi était précaire en ce moment, et sur quelle scène de péril, de confusion et de découragement les jours presque accomplis du poète de l'Angleterre allaient se terminer.
Le lendemain matin Lord Byron se trouva mieux, mais toujours pâle et faible, et il se plaignit beaucoup d'une sensation de pesanteur dans la tête. En conséquence, les docteurs jugèrent à propos de lui appliquer des sangsues aux tempes; mais il fut difficile, après leur chute, d'arrêter le sang, qui continua à couler si abondamment, que Byron s'évanouit par épuisement. C'est en ce jour, sans doute, que se passa la scène ainsi décrite par le colonel Stanhope:--
«Bientôt après son terrible paroxysme, lorsqu'affaibli par un trop grand écoulement de sang, il était couché sur son lit, avec un ébranlement complet de tout le système nerveux, les Souliotes rebelles, couverts de boue et d'un splendide attirail, firent irruption dans son appartement, en brandissant leurs armes somptueuses, et en réclamant leurs droits avec des cris sauvages. Lord Byron, électrisé par cette circonstance inattendue, sembla délivré de son mal; et plus les Souliotes se livrèrent à leur fureur, plus son courage calme triompha. La scène fut vraiment sublime.»
Un autre témoin oculaire, le comte Gamba, rend un pareil hommage à la présence d'esprit avec laquelle Byron affronta ce danger et plusieurs autres. «Il est impossible, dit-il, de rendre justice au sang-froid et à la magnanimité qu'il déploya dans toutes les occasions importantes. Pour des motifs frivoles il était sans doute fort irritable, mais l'aspect du danger le calmait en un instant, et le rétablissait dans le libre exercice de toutes les facultés de sa noble nature. Jamais homme ne fut plus intrépide à l'heure du péril.»
Les lettres qu'il écrivit durant le court espace des semaines suivantes forment, comme de coutume, la meilleure histoire de ses actes; et, outre le triste intérêt qu'elles offrent comme étant les dernières œuvres de sa main, elles sont de plus très-précieuses, en ce qu'elles fournissent la preuve que ni la maladie ni le désappointement,--oui, que ni l'affaiblissement de sa constitution ni même le découragement de son esprit, ne le firent songer un moment à délaisser la grande cause qu'il avait épousée, et que jusqu'à la dernière heure il conserva la gaîté originale de son esprit, sa courageuse résignation à tous les maux qui n'atteignaient que lui, et sa perpétuelle vigilance pour les besoins d'autrui.
LETTRE DXLIII.
A M. BARFF.
21 février.
«Je suis beaucoup mieux, tout faible que je suis encore; les sangsues ont tiré trop de sang de mes tempes, et on n'a arrêté l'écoulement qu'avec beaucoup de difficulté; mais depuis je me suis levé tous les jours, et je suis sorti en barque ou à cheval. Aujourd'hui j'ai pris un bain tiède; je vis aussi sobrement que possible, sans autre boisson que l'eau, et sans nourriture animale.
»Outre les quatre Turcs envoyés à Patras, j'ai obtenu la délivrance de vingt-quatre femmes et enfans, et les ai envoyés à mes frais à Prevesa, afin que le consul-général anglais puisse les rendre à leurs familles. Je l'ai fait d'après leur propre désir. Les affaires s'embrouillent un peu ici avec les Souliotes et les étrangers, etc.; mais j'espère encore que ça ira mieux, et je resterai attaché à la cause grecque tant que ma santé et les circonstances me permettront de me supposer utile.
»Je suis obligé de soutenir ici le gouvernement pour le moment présent.»
Les prisonniers mentionnés dans cette lettre comme ayant été délivrés par lui et envoyés à Prevesa, avaient été tenus en captivité à Missolonghi depuis le commencement de la révolution. Voici la lettre qu'il envoya avec eux au consul anglais à Prevesa.
LETTRE DXLIV.
A M. MAYER.
Monsieur,
«En venant en Grèce, un de mes principaux buts fut d'alléger autant que possible les misères attachées à une guerre aussi cruelle que la guerre actuelle. Quand il s'agit d'humanité, je ne connais point de différence entre les Turcs et les Grecs. Il suffit que ceux qui ont besoin d'assistance soient hommes pour avoir droit à la pitié et à la protection de qui se pique de sentimens humains. J'ai trouvé ici vingt-quatre femmes et enfans turcs, qui ont long-tems gémi dans la misère, loin de toute espèce de secours et de consolation. Le gouvernement me les a accordés; je vous les envoie à Prevesa, conformément à leur désir. J'espère que vous vous chargerez sans difficulté de mettre ces malheureux en lieu sûr, et de faire accepter mon présent au gouverneur de votre ville. La meilleure récompense que je puisse espérer, est d'inspirer aux chefs ottomans les mêmes sentimens envers les malheureux Grecs qui pourront dorénavant tomber dans leurs mains.
»Je vous prie de me croire, etc.»
LETTRE DXLV.
A L'HONORABLE DOUGLAS KINNAIRD.
Missolonghi, 21 février 1824.
«J'ai reçu la vôtre du 2 novembre. Il est essentiel que l'argent soit compté, puisque j'ai tiré jusqu'à concurrence de la valeur entière, et peut-être davantage, afin d'aider les Grecs. Parry est ici, et lui et moi nous nous entendons fort bien; la marche actuelle des affaires donne à espérer, eu égard aux circonstances.
»Nous aurons de la besogne cette année, car les Turcs viennent en force; et, quant à moi, je dois tenir ferme pour la cause grecque. Je marcherai bientôt (d'après les ordres du gouvernement) contre Lépante, avec deux mille hommes. Je suis resté ici quelque tems, après avoir manqué de tomber entre les mains des Turcs, et après avoir échappé au naufrage. Nous avons touché deux fois sur les rochers, mais vous aurez reçu, par d'autres sources, de véridiques ou fausses nouvelles sur ce point, et je ne veux pas vous importuner d'une longue histoire.
»J'ai réussi à soutenir le gouvernement de la Grèce occidentale, qui autrement se serait dissous. Si vous avez reçu les onze mille livres sterling et plus, cette somme, jointe à ce que j'ai entre mes mains, et à mon revenu de l'année courante, pour ne point parler des ressources éventuelles, me mettra à même de maintenir les «nerfs de la guerre» dans une tension convenable. Si les députés sont honnêtes gens et obtiennent l'emprunt, ils me rendront les 4,000 livres sterling, comme il a été convenu; mais alors même il ne me restera que peu, ou en vérité moins que peu, puisque j'entretiens presque toute la machine--dans cette place, du moins,--à mes propres frais. Mais que les Grecs réussissent, et je ne songe plus à mon intérêt.
»J'ai été sérieusement malade, mais je vais mieux, et je puis reprendre mes promenades équestres; ainsi, je vous en prie, tranquillisez nos amis sur ce point.
»Il n'est pas vrai que j'aie jamais écrit ou veuille écrire une satire
contre Gifford ou contre un seul cheveu de sa tête; je ne puis ni ne
veux ni ne dois le faire. J'ai toujours considéré Gifford comme mon père
littéraire, et moi comme son «enfant
prodigue.»
.......................................
...........................................55
»Tout à vous, etc.»
LETTRE DXLVI.
A M. BARFF.
23 février.
»Ma santé semble s'améliorer, surtout par la promenade à cheval et par le bain tiède. Six Anglais56 seront bientôt en quarantaine à Zante; ce sont des ouvriers qui ont eu assez de la Grèce en quatorze jours. Si vous pouviez les recommander pour un passage en Angleterre, je vous serais obligé; ce sont d'assez braves gens, mais ils ne comprennent pas bien les petites dissentions de ces contrées, et ils ne sont pas habitués à voir tirer des coups de feu et donner des coups de sabre (comme ici) dans le calme de la vie domestique, et pour ainsi dire dans l'intérieur du ménage.
»S'ils ont besoin de quelque chose durant leur quarantaine, vous ne leur avancerez pas plus d'un dollar par jour (entre eux tous) pendant ce tems, afin qu'ils achètent quelques petits extra (puisqu'ils sont tout-à-fait hors de leur élément). Je ne puis leur donner davantage à présent.»
Je me réjouis d'avoir à produire la lettre suivante, adressée à Murray, comme dernier chaînon d'une longue et amicale correspondance qui n'avait été interrompue que peu de tems et par la faute d'autrui;--elle contient un sommaire des principaux événemens qui se passaient alors autour de Lord Byron, et, avec l'aide de quelques notes elle rendra inutile tout récit plus circonstancié.
LETTRE DXLVII.
A M. MURRAY.
Missolonghi, 25 février 1824.
«J'ai appris de M. Douglas Kinnaird que vous annoncez «qu'il est arrivé d'Italie une satire contre M. Gifford, composée, dit-on, par moi! mais que vous ne le croyez pas.» J'ose dire que vous ne le croyez certainement pas, ni personne autre non plus. Quiconque avance que je suis l'auteur ou le fauteur d'une pareille attaque contre Gifford, a menti par la gorge. Si un tel ouvrage existe, il n'est point sorti de ma plume. Vous même savez aussi bien que personne, contre quels hommes j'ai ou n'ai pas écrit; et vous savez aussi très-bien s'ils n'en sont ou n'en furent pas dignes. Mais en voilà assez sur ce point.
«Vous serez peut-être curieux de recevoir des nouvelles sur cette partie de la Grèce (laquelle partie est la plus exposée à une invasion); mais vous en recevrez assez par les papiers publics et par les correspondances particulières. Je vous donnerai toutefois les événemens d'une semaine, en mêlant mes affaires personnelles avec les affaires publiques, car les unes et les autres se trouvent ici un peu confondues pour le moment.
»Dimanche,--15 courant, je crois,--j'eus une forte et soudaine attaque de convulsions, qui me priva de la parole, sans m'ôter toutefois le mouvement,--car des hommes forts ne purent me tenir; mais est-ce épilepsie, catalepsie, cachexie, ou apoplexie, ou toute autre exie ou epsie? c'est ce que les docteurs n'ont pas décidé. Est-ce spasmodique ou nerveux etc.? ils n'en savent rien non plus. Toujours est-il que cette attaque convulsive fut très-désagréable, et peu s'en est fallu qu'elle ne m'emportât. Le lundi, on m'appliqua des sangsues aux tempes, ce qui ne fut pas chose difficile, mais le sang ne put pas être arrêté avant onze heures du soir (les sangsues avaient mordu trop près de l'artère temporale pour mon salut temporel), les styptiques et les caustiques ne cautérisèrent l'orifice des piqûres qu'après cent tentatives infructueuses.
»Mardi, un brick de guerre turc échoua sur la côte. Le mercredi, on fit de grands préparatifs pour l'attaquer,57 mais les Turcs le brulèrent et se retirèrent à Patras. Le jeudi, il y eut une querelle entre les Souliotes et la garde franque à l'arsenal: un officier suédois fut tué, et un Souliote grièvement blessé; on attendait un combat général qu'on n'a prévenu qu'avec difficulté. Le vendredi, l'officier fut enterré: les ouvriers anglais du capitaine Parry se mutinèrent, sous prétexte que leurs vies étaient en danger; ils quitteront peut-être le pays.
Note 57: (retour) «De très-bonne heure, nous nous préparâmes pour attaquer le brick. Lord Byron, malgré sa faiblesse, et malgré une ophthalmie imminente, désirait beaucoup d'être des nôtres; mais le médecin ne le laissa point aller.» (Comte Gamba.)Sa seigneurie avait promis une récompense pour chaque Turc qu'on prendrait vivant dans l'attaque projetée de ce navire. (Note de Moore.)
»Le samedi, nous ressentîmes le plus rude tremblement de terre dont je me souvienne (et j'en ai ressenti trente, faibles ou violens, à différentes époques; ils sont fréquens dans la Méditerranée). Toute l'armée fit une décharge générale de mousqueterie, par la même raison que les sauvages battent du tambour ou hurlent durant une éclipse de lune:--ce fut un spectacle vraiment extraordinaire.--Si vous aviez vu les cockneys anglais, qui n'étaient pas encore sortis des ateliers de John-Bull!--Et dimanche dernier, nous apprîmes que le visir était arrivé à Larisse, avec plus de cent mille hommes.
»En revenant ici, j'échappai à deux dangers; d'abord aux Turcs (l'un de mes navires fut pris, mais ensuite relâché), puis au naufrage. Nous touchâmes deux fois contre les rochers des Scrophes (îles près de la côte).
»J'ai obtenu des Grecs la mise en liberté de vingt-huit prisonniers turcs,--hommes, femmes et enfans,--que j'ai envoyés à Patras et à Prevesa à mes frais. Quant à une petite fille âgée de neuf ans, qui préfère rester avec moi, je l'enverrai probablement (si je vis) en Italie ou en Angleterre avec sa mère. Elle se nomme Hato ou Hatagée: c'est une jolie et vive petite fille. Tous ses frères furent tués par les Grecs; elle et sa mère furent épargnées par une faveur spéciale, et vu son extrême jeunesse: elle n'avait alors que cinq ou six ans.
»Ma santé va mieux maintenant, et je remonte à cheval. Je n'ai point ici une sinécure, tant il y a de partis et de difficultés de toute espèce! mais je ferai ce que je pourrai. Le prince Mavrocordato est un homme excellent, et fait tout ce qu'il peut, mais sa situation est extrêmement embarrassante. Toutefois, nous avons grand espoir de réussir. Mais vous recevrez plus de nouvelles sur les affaires politiques par mille et mille sources, car je n'ai pas le tems d'écrire beaucoup.
»Croyez-moi votre, etc.»
N. B.
La sauvage indiscipline des Souliotes était alors parvenue à un tel point d'audace, qu'il devint nécessaire à la sûreté de la population européenne de se débarrasser de ces hôtes incommodes; et, par quelques sacrifices de la part de Lord Byron, cet objet fut enfin rempli. Ces farouches guerriers ne se décidèrent à partir de la ville qu'en recevant de Lord Byron un mois de paie d'avance, et du gouvernement le solde de leur arriéré (lequel d'ailleurs fut payé avec l'argent prêté dans ce but par le même payeur-général). Leur départ fit donc évanouir toutes les espérances de l'expédition contre Lépante.
LETTRE DXLVIII.
A M. MOORE.
Missolonghi, Grèce occidentale, 4 mars 1824.
Mon Cher Moore,
«Votre reproche n'est pas fondé;--j'ai reçu deux lettres de vous, et j'ai répondu à l'une et à l'autre avant de quitter Céphalonie. J'ai été, non pas «en repos» dans une île ionienne, mais fort occupé d'affaires,--comme les députés grecs (s'ils sont arrivés) pourront vous le dire. Je n'ai continué ni Don Juan ni tout autre poème. Vous parlez, comme d'ordinaire, je présume, d'après le dire de quelque journal, ou d'après quelque autorité pareille.
»Lorsque l'instant d'être un peu utile fut arrivé, je vins ici; et l'on me dit que mon arrivée (avec quelques autres circonstances) a été avantageuse, du moins temporairement, à la cause grecque. J'eus grande peine à échapper, d'abord aux Turcs puis au naufrage, pendant ma traversée. Le 15 (ou 16) février, j'eus une attaque d'apoplexie, ou épilepsie,--les médecins ne se sont pas encore précisément décidés pour l'une ou pour l'autre, mais l'alternative est agréable. Ma constitution reste donc suspendue entre les deux opinions, comme le sarcophage de Mahomet entre les aimans. Tout ce que je puis dire, c'est qu'on m'a saigné jusqu'à me mettre à deux doigts de la mort, en plaçant les sangsues trop près de l'artère temporale, en sorte que le sang ne put être que très-difficilement arrêté,--même avec la pierre infernale. On suppose que je vais de mieux en mieux,--lentement toutefois. Mais mes homélies, je présume, seront à l'avenir comme celles de l'archevêque de Grenade;--en ce cas, «je vous donne un bon de cent ducats sur mon trésorier, et vous souhaite un peu plus de goût.»
»Pour les affaires publiques, je vous renvoie aux rapports du colonel Stanhope et du capitaine Parry,--et à tous les autres rapports. Il y a de quoi en faire:--guerre au-dehors, tumulte au-dedans:--on tue un homme par semaine. Les ouvriers de Parry sont partis tout alarmés, à cause d'une dispute qui s'est élevée entre des nationaux et des étrangers, et dans laquelle un Suédois a été tué et un Souliote blessé. Au milieu de leur épouvante, il y eut une forte secousse de tremblement de terre; aussi, entre cet accident de la nature et l'épée des hommes, ils détalèrent en hâte, malgré toute l'éloquence déployée pour les dissuader. Un brick turc a échoué sur la côte, etc., etc., etc.58.
»Vous êtes, je présume, en train de donner ou de méditer quelque nouvelle publication. Donnez-moi de vos nouvelles, et croyez-moi, quoi qu'il advienne,
»Tout à vous, à jamais et de cœur,
N. B.
»P. S. Dites à M. Murray que je lui écrivis l'autre jour, et que j'espère qu'il aura déjà reçu ou recevra bientôt ma lettre.»
LETTRE DXLIX.
AU DOCTEUR KENNEDY.
Missolonghi, 4 mars 1824.
Mon Cher Docteur,
«J'ai à vous remercier pour vos deux obligeantes lettres, reçues toutes deux en même tems, et l'une long-tems après sa date. Je n'ignore pas l'état précaire de ma santé, et je n'ai encore rien décidé sous ce rapport. Mais il est convenable que je reste en Grèce; et mieux vaudrait mourir à faire quelque chose qu'à ne rien faire. Ma présence a été jugée très-utile ici pour empêcher la confusion de devenir pire, au moins pour le moment présent. Si je deviens inutile, ou que je sois jugé tel, je suis prêt à me retirer; mais dans l'intérim, je ne dois pas considérer mes chances personnelles: le reste est dans les mains de la Providence,--comme y sont en effet tous les événemens. Je suivrai toutefois vos instructions; et, en vérité, en ce qui regarde l'abstinence, je les ai suivies depuis quelque tems.
»Outre les Traités, etc., que vous m'avez envoyés à distribuer, un des ouvriers anglais (un ferblantier nommé Brownbill) m'a laissé en dépôt une quantité de Testamens grecs, que je tâcherai de distribuer convenablement. Les Grecs prétendent que la traduction n'est pas correcte, qu'elle n'est pas en bon romaïque: Bambas peut décider ce point. Je suis en train d'essayer de rendre le clergé favorable à la distribution; car (si l'on n'avait égard à ce corps) il pourrait s'opposer à la distribution, ou en neutraliser l'effet, vu son pouvoir sur le peuple. M. Brownbill est parti pour les îles ioniennes; il a craint pour sa vie (non pas, toutefois, de la part des prêtres), et apparemment il a mieux aimé être saint que martyr, quoique ses appréhensions fussent probablement très-peu fondées. Tous les ouvriers anglais l'ont accompagné, se croyant en danger à cause de quelques troubles qui ont éclaté ici, et qui se sont apaisés en apparence.
J'ai été interrompu par la visite de P. Mavrocordato et d'autres personnes, pendant que j'écrivais cette lettre, et je suis obligé de la clorre à la hâte, car on m'annonce que le paquebot est prêt à mettre à la voile. Votre future convertie, Hato ou Hatagée, me paraît vive et intelligente; elle promet, et a un air tout-à-fait intéressant. Quant à ses dispositions, je ne puis en dire que peu de chose; mais Millingen, qui a chez lui la mère (femme d'un âge mûr et d'un excellent caractère), en qualité de domestique (quoique la famille ait été dans une bonne position sociale avant la révolution), parle fort bien de cette femme et de sa fille, et l'on peut compter sur son dire. Pour moi, je n'ai vu l'enfant que peu de fois avec sa mère, et ce que j'en ai vu est favorable; sinon, je n'eusse pas conçu tant d'intérêt pour elle. Si elle tourne à bien, j'ai idée de l'envoyer à ma fille en Angleterre (ou en Italie, auprès de personnes respectables), et de la mettre à même de vivre en bonne réputation, soit dans le célibat, soit mariée, si elle arrive à la maturité. Je réglerai les arrangemens relatifs à ses dépenses par l'intermède de MM. Barff et Hancock, et je laisse le reste à votre discrétion et à celle de Mrs. Kennedy, avec une profonde reconnaissance de l'obligeance avec laquelle vous vous chargez de la surveillance temporaire de cette jeune fille.
»Relativement aux affaires publiques, j'ai peu de chose à ajouter à ce que vous aurez déjà appris. Nous allons aussi bien que possible, avec l'espérance et la ferme volonté de mieux faire. Croyez-moi,
»Pour toujours et sincèrement, etc.»
LETTRE DL.
A M. BARFF.
5 mars 1824.
«Si Sisseni59 est sincère, on traitera avec lui, et sur des bases avantageuses; s'il ne l'est pas, tombent sur lui le péché et la honte. C'est un important objet que de guérir pour l'avenir ces dissentions intérieures, sans exiger un trop rigoureux compte du passé. Le prince Mavrocordato est de cette opinion; et quiconque est disposé à agir loyalement, rencontrera la même loyauté. J'ai entendu beaucoup parler de Sisseni, mais non pas en bien, beaucoup s'en faut; mais je ne juge jamais sur ouï-dire, surtout dans une révolution. Personnellement, je lui dois quelque reconnaissance; car il a été très-hospitalier envers tous ceux de mes amis qui ont passé par son district. Vous pouvez donc lui assurer que toute ouverture pour l'avantage et pour la pacification intérieure de la Grèce, sera ici promptement et sincèrement accueillie. J'ai peine à croire qu'il eût hasardé de me faire une proposition trompeuse par votre intermède. En tout cas, la fin de ces dissentions est un point si important, qu'il faut bien risquer quelque chose pour les guérir.»
Note 59: (retour) Ce Sisseni, qui était le capitano du riche district de Gastouni, et qui avait quelque tems méconnu l'autorité du gouvernement grec, faisait alors des ouvertures de conciliation, par l'intermède de M. Barff. Lord Byron demandait que Sisseni, pour preuve de sa sincérité, remît entre les mains du gouvernement la forteresse de Chiarenza. (Note de Moore.)
LETTRE DLI.
A M. BARFF.
10 mars 1824.
«Je vous envoie ci-joint une réponse à la lettre de M. Parruca, et j'espère que vous lui assurerez de ma part que j'ai fait et fais encore tout ce que je puis pour réunir les Grecs avec les Grecs.
»Je vous suis extrêmement obligé pour l'offre bienveillante de votre maison de campagne (comme pour toutes vos autres bontés), au cas que ma santé me force de partir; mais je ne peux quitter la Grèce, tant qu'il me reste une chance d'être utile (même par pure supposition):--il y a un enjeu qui vaut des millions d'hommes tels que moi; et tant que je pourrai tenir ferme, je tiendrai ferme pour la grande cause. En disant cela, je n'ignore pas les difficultés qui résultent des dissentions et des défauts des Grecs eux-mêmes, mais les gens raisonnables doivent avoir de l'indulgence pour eux.
»La presque totalité, au moins les neuf dixièmes, de mes dépenses ont ici consisté en avances faites aux Grecs, ou dans leur intérêt60, et pour objets relatifs à leur indépendance.»
Note 60: (retour) «A cette époque (14 février), dit M. Parry, qui tenait les comptes de sa seigneurie, «les dépenses de Lord Byron pour la cause grecque montèrent au moins à deux mille dollars par semaine, en rations seulement.» Il dit ailleurs: «Les Grecs semblaient croire qu'il était une mine dont ils pourraient tirer l'or à plaisir. Une personne représenta qu'un secours de 20,000 dollars empêcherait l'île de Candie de tomber entre les mains du pacha d'Égypte; et n'ayant pas cette somme disponible, Lord Byron donna à cette personne l'autorisation de se la procurer, s'il était possible, dans les îles ioniennes, en garantissant lui-même le remboursement. Je crois que cette personne ne put réussir.» (Note de Moore.)
La lettre de Parruca, dont il est question dans la précédente, pressait instamment Lord Byron de se présenter dans le Péloponèse, où, disait-on, son influence amènerait à coup sûr l'union de tous les partis. En vérité, la confiance, inspirée par ce noble allié, était si générale, que tous les chefs de parti semblent l'avoir regardé comme le seul point de ralliement autour duquel il y eût la plus légère chance de concentrer leurs divers intérêts. Une invitation encore plus flatteuse et plus authentique lui parvint bientôt après, par un message exprès, de la part de Colocotroni, qui proposait une assemblée nationale, où sa seigneurie agirait en qualité de médiateur, et qui s'engageait, lui et ses partisans, à se conformer au résultat. Lord Byron y fit une réponse semblable à celle qu'il adressa à Parruca, et qui était conçue dans les termes suivans:
LETTRE DLII.
AU SIEUR PARRUCA.
10 mars 1824.
Monsieur,
«J'ai l'honneur de répondre à votre lettre. Mon premier désir a toujours été d'amener les Grecs à s'entendre entre eux. Je viens ici sur l'invitation du gouvernement grec, et je ne pense pas que je doive abandonner la Romélie pour le Péloponèse sans la volonté du gouvernement; d'autant plus que cette contrée est plus exposée aux attaques de l'ennemi. Néanmoins, si ma présence peut réellement être de quelque secours pour unir deux partis ou même plus, je suis prêt à me rendre où l'on voudra, soit comme médiateur, soit même, s'il est nécessaire, comme ôtage. En cette affaire, je n'ai aucune vue personnelle, ni aucune répugnance personnelle pour qui que ce soit, mais j'ai le sincère désir de mériter le nom d'ami de votre patrie et de ses enfans.
»J'ai l'honneur etc.»
LETTRE DLIII.
A M. CHARLES HANCOCK.
Missolonghi, 10 mars 1824.
Monsieur,
«J'envoyai par M. J. M. Hodge une lettre-de-change tirée sur signor C. Jerostatti pour la valeur de trois cent quatre-vingt-six livres sterling, au compte de l'honorable comité grec, pour le service de cette place. Mais le comte Delladecima ne voulant pas envoyer plus de deux cents dollars avant d'avoir reçu les instructions de C. Jerostatti, je suis donc obligé d'avancer cette somme pour prévenir la suspension du service du laboratoire dans cette place.
»Je vous prie de communiquer cette affaire au comte Delladecima, qui a la lettre-de-change et tous les comptes. Tâchez, de concert avec M. Barff, d'arranger cette affaire d'argent; et, sitôt que vous aurez reçu la somme, veuillez la faire passer à Missolonghi.
»Je suis, monsieur, tout à vous sincèrement.
»Ce qui précède a été écrit par le capitaine Parry; mais je vois que je dois continuer moi-même la lettre. Je ne comprends que peu ou même pas du tout l'affaire, sinon que, comme la plupart des affaires d'ici, elle s'arrêtera si l'on n'avance pas d'argent, et il y en a fort peu de disponible ici. Ainsi, je dois courir la chance, comme à l'ordinaire.
»Vous verrez ce qu'on pourra obtenir de Delladecima et de Jerostatti, et me ferez passer la somme, afin que nous puissions avoir quelque repos; car le comité a tant soit peu embrouillé ses affaires, ou choisi des correspondans grecs plus grecs que les Grecs eux-mêmes n'ont coutume de l'être.
»Tout à vous à jamais,
N. BYRON.
»P. S. Mille remercîmens à Muir pour son chou-fleur, le plus beau que j'aie jamais vu ou goûté, et le plus gros, je crois, qui soit sorti du paradis ou d'Écosse. J'ai écrit au docteur Kennedy, pour le tranquilliser au sujet du journal (dans lequel je ne suis point engagé comme rédacteur, veuillez le lui dire). J'ai dit aux sots qui conduisent l'entreprise, que leur devise leur jouerait un tour du diable; mais, à l'instar de tous les charlatans, ils y ont persisté. Gamba, qui n'est rien moins qu'heureux, s'est mis là-dedans; et, comme d'ordinaire, dès ce moment, les choses ont mal tourné61. Ça ira peut-être mieux, avec le tems. Mais j'écris à la hâte, et je n'ai que le tems de dire, avant que le paquebot mette à la voile, que je suis toujours
»Tout à vous,
N. B.
»P. S. M. Findlay est ici, et a reçu son argent.»
Note 61: (retour) Il avait l'idée que le comte Gamba était destiné à être malheureux;--qu'il était un de ces hommes qui, nés sous une mauvaise étoile, gâtent toutes les affaires où ils se mêlent. En parlant de ce journal à Parry, il dit: «J'y ai souscrit pour me délivrer des importunités, et peut-être pour préserver Gamba d'un malheur. En tout cas, c'est la chose la moins importante qu'il puisse gâter.» (Note de Moore.)
LETTRE DLIV.
AU DOCTEUR KENNEDY.
Missolonghi, 10 mars 1824.
Cher Docteur,
«Vous ne pourriez désapprouver la devise du Télégraphe plus que je ne fais moi-même; mais c'est ici la terre de liberté, où la plupart des gens font ce qu'il leur plaît, et non ce qu'ils devraient faire.
»Je n'ai rien écrit, et n'ai aucune disposition à écrire, pour ce journal ou pour tout autre; mais j'ai conseillé, à plusieurs reprises, de changer la devise et le style. Toutefois, je ne pense pas que le journal prenne une couleur d'irréligion ou de nivellement universel, et les rédacteurs promettent d'avoir le respect convenable pour les églises et pour les choses établies.
»Si Bambas voulait écrire pour la Chronique grecque, il serait payé pour ses articles.
»Il y a un léger retard pour le départ de Hato, sa mère désirant aller avec elle, ce qui est fort naturel, et ce que je n'ai pas le cœur de lui refuser; car Mahomet lui-même établit en loi que, dans le partage des captifs, l'enfant ne serait jamais séparé de la mère. Mais ceci peut faire une différence dans l'arrangement, quoique la pauvre femme, qui a perdu la moitié de sa famille dans la guerre, soit, comme je l'ai déjà dit, d'un caractère excellent et d'un âge mûr, qui la met à l'abri de tout soupçon. Elle a, ce semble, appris que son mari n'est plus à Prevesa. J'ai confié vos Bibles au docteur Meyer, et j'espère que ledit docteur justifiera votre confiance; néanmoins, j'aurai l'œil sur lui. Vous pouvez compter que j'agirai comme M. Wilberforce lui-même agirait, et toute autre commission pour le bien de la Grèce rencontrera même attention de ma part.
»J'essaie maintenant, avec quelque espérance de succès, de réunir les Grecs, attendu que les Turcs vont arriver en force, et bientôt. Nous les rencontrerons où faire se pourra, et nous nous battrons comme nous pourrons.
»Je suis heureux de savoir que votre école prospère, et je vous assure que vos bons souhaits rencontrent de ma part une juste réciproque. Le tems est si besu, que je ne me fais pas faute d'un exercice modéré à cheval ou sur mer, et je veux bien croire que ma santé n'est pas pire que lorsque vous m'écrivîtes votre obligeante lettre. Le docteur Bruno peut vous dire que je suis votre régime, et même un régime plus sévère; car je m'abstiens de toute espèce de viande, même de poisson.
»Croyez-moi toujours, etc.
»P. S. Les ouvriers (au nombre de six) sont tous dans la même intention. Peut-être sont-ils moins blâmables qu'on ne l'imagine, puisque le colonel Stanhope leur a dit «qu'il ne pouvait positivement affirmer que leurs vies fussent en sûreté.» Je voudrais savoir où notre vie est en sûreté. Il est vrai de dire qu'on ne peut trouver en Grèce un lieu où l'on jouit d'une sûreté aussi hermétiquement scellée que ces gens-là ont paru le désirer; mais Missolonghi était le lieu où l'on supposait qu'ils pussent être utiles, et leur danger n'était pas plus grand que celui de tant d'autres.»
LETTRE DLV.
AU COLONEL STANHOPE.
Missolonghi, 19 mars 1824.
Mon Cher Stanhope,
«Le prince Mavrocordato et moi, nous irons à Salona pour nous aboucher avec Ulysse, et vous pouvez être sûr que le prince acceptera toute proposition avantageuse à la Grèce. C'est à Parry à répondre pour ses articles62. Si j'intervenais dans son affaire, ce serait arrêter tous ses travaux; il fait réellement tout ce qu'on peut faire sans recevoir plus d'aide du gouvernement.
»Ce qui pourra être épargné sera envoyé; mais je vous renvoie au rapport du capitaine Humphries et à la lettre du comte Gamba, pour les détails en toute matière.
»Dans l'espérance de vous voir bientôt, je diffère de vous dire beaucoup de choses jusqu'à ce moment, et je vous prie de me croire toujours, etc.
»P. S. Les deux lettres que vous m'avez écrites sont envoyées à M. Barff, comme vous désirez. Rappelez-moi particulièrement, je vous prie, à Trelawney, que je serai charmé de revoir.»
Note 62: (retour) Le colonel Stanhope, sur les instances d'Odyssée (ou Ulysse), avait écrit pour demander que quelques munitions du laboratoire de Missolonghi fussent envoyées à Athènes. Mais ni le prince Mavrocordato, ni Lord Byron ne jugèrent qu'il fût prudent d'affaiblir leurs moyens de défendre Missolonghi, et ils n'envoyèrent que quelques barils de poudre. (Note de Moore.)
LETTRE DLVI.
A M. BARFF.
19 mars.
«Comme le comte Mercati craint de recevoir une réponse directe et personnelle sur les affaires de la Grèce, c'est à vous que je réponds (comme vous m'y avez autorisé), et vous aurez la bonté de lui communiquer la pièce ci-jointe. C'est la réponse du prince Mavrocordato et la mienne aux propositions de signor Georgio Sisseni. Vous pourrez lui dire en sus, à lui ainsi qu'à Parruca, que je désire, avec une parfaite sincérité, la plus amicale terminaison des dissentions intestines, et que je crois le prince Mavrocordato animé du même sentiment: sinon, je n'agirais point de concert avec lui, pas plus qu'avec tout autre, soit grec, soit étranger.
»Si lord Guilford est à Zante, ou s'il n'y est pas, et que le signor Tricupi y soit, vous m'obligerez beaucoup en présentant mes respects à tous deux, ou à l'un des deux seulement, et en leur disant que dès l'abord j'ai prédit au colonel Stanhope et au prince Mavrocordato qu'un journal grec (ou tout autre journal), dans l'état actuel de la Grèce, produirait probablement beaucoup de mal et de désaccord, à moins qu'on n'imposât quelques restrictions. Je ne me suis jamais mêlé de la rédaction, et n'ai pris part à l'entreprise que par une contribution pécuniaire que je n'ai pu refuser aux instantes prières des fondateurs. Le colonel Stanhope et moi, trous eûmes de grands différends à ce sujet; et (ce qui paraîtra assez ridicule) il m'accusa de principes despotiques, et moi je l'accusai d'ultra-radicalisme.
»Le docteur ***, éditeur du journal, avec sa liberté illimitée de la presse, a la liberté d'exercer un pouvoir discrétionnaire sans bornes,--il ne laisse point paraître d'autres articles que les siens et ceux qui leur ressemblent;--et tout en déclamant contre les restrictions, il coupe, taille et restreint (dit-on) suivant son bon plaisir. Il est l'auteur d'un article contre la monarchie;--mais les rédacteurs se mettront dans l'embarras, s'ils n'y prennent garde.
»De tous les petits tyrans, il est un des plus petits que j'aie jamais connus, comme sont la plupart des démagogues. Il est Suisse de naissance, et Grec par adoption, s'étant marié en Grèce et ayant changé de religion.
»Je verrai avec grande joie et je désire impatiemment le succès des dernières ouvertures pacifiques des partis du Péloponèse.»
LETTRE DLVII.
A M. BARFF.
22 mars.
«Si les députés grecs (comme cela semble probable) ont obtenu l'emprunt, les sommes que j'ai avancées me seront peut-être rendues; mais il n'y aurait pas grande différence, puisque je dépenserais toujours cet argent pour la cause grecque; et d'une manière plus profitable;--j'espère que ce serait pour quelque chose de mieux que de payer les arrérages des flottes qui fuient à toutes voiles, et des Souliotes qui ne veulent pas marcher; à quoi, dit-on, tout ce que j'ai avancé jusqu'à présent, a été employé. Mais ce n'est pas mon affaire, mais celle des hommes qui avaient le gouvernement des affaires publiques, et je ne pouvais décemment leur dire: «Vous ferez ceci et cela parce que, etc., etc.»
»Dans quelques jours le prince Mavrocordato et moi, nous avons l'intention de nous rendre, avec une escorte considérable, à Salona, à la prière d'Ulysse et des chefs de la Grèce orientale, afin de combiner des mesures offensives et défensives pour la campagne prochaine. Mavrocordato est presque rappelé par le nouveau gouvernement en Morée (pour prendre le timon, je pense), et on m'a écrit pour me proposer, ou d'aller en Morée avec lui, ou de prendre la direction générale des affaires dans cette contrée-ci,--avec le général Londo et tous ceux que je choisirai pour former un conseil. A. Londo est mon vieil ami depuis que nous fûmes ensemble en Grèce dans notre jeune âge. Il serait difficile de faire une réponse positive avant l'entrevue de Salona63, mais je suis disposé à servir les Grecs en telle qualité qu'il leur plaira, comme commandant ou commandé;--cela m'est tout un, tant que je serai présumé être de quelque utilité.
Note 63: (retour) A cette offre que le gouvernement lui fit de le nommer gouverneur-général de la Grèce (c'est-à-dire de la partie affranchie du continent, à l'exception de la Morée et des îles), il répondit que: «il allait d'abord à Salona, et qu'ensuite il serait aux ordres du gouvernement; qu'il ne ferait pas difficulté d'accepter quelque fonction que ce fût, pourvu qu'il fût convaincu qu'il en dût résulter quelque bien.» (Note de Moore.)
»Excusez-moi si je me hâte; il est tard, et j'ai été plusieurs heures à cheval dans un pays si bourbeux après les pluies, que de cinquante en cinquante toises vous rencontrez un fossé, dont la profondeur, la largeur, la couleur et le contenu ont laissé maintes traces sur mes chevaux et leurs cavaliers.»
LETTRE DLVIII.
A M. BARFF.
26 mars.
«Depuis votre avis relatif à l'emprunt grec, le prince Mavrocordato m'a montré un extrait de sa correspondance particulière, d'où il paraîtrait que trois commissaires doivent être nommés pour veiller à ce que la somme soit placée en mains convenables pour le service du pays, et que je suis désigné dans ce nombre. Mais ce n'est encore qu'une nouvelle.
»Cette commission est apparemment nommée par le comité ou par les parties contractantes en Angleterre. Je suis d'avis qu'une telle commission sera nécessaire, mais l'office sera délicat et difficile. Le tems, qui dernièrement a été équinoxial, a inondé le pays, et notre voyage à Salona sera probablement retardé de quelques jours, jusqu'à ce que la route devienne soit plus praticable.
»Vous étiez déjà averti que le prince Mavrocordato et moi avions été invités à une conférence par Ulysse et par les chefs de la Grèce orientale. J'apprends (et je suis même consulté là-dessus) qu'en cas que la première partie de l'emprunt n'arrive pas immédiatement, le gouvernement grec veut essayer de lever intérimairement dans les îles quelques milliers de dollars, qui seront payés à l'arrivée des premiers fonds. Avec quelle perspective de succès? et à quelles conditions? vous pouvez en parler plus savamment que moi. Faites-nous connaître votre opinion. Il y a une nécessité impérieuse d'avoir un trésor national, et cela promptement; autrement, que peut-on faire? Le corps auxiliaire d'environ deux cents hommes à ma solde, est, je crois, le seul qui soit régulièrement payé par semaine pour les soldats, et par mois pour les officiers. Il est vrai que le gouvernement grec donne les rations de vivres, mais nous avons eu trois révoltes, dues à la mauvaise qualité du pain, que ni Grecs, ni étrangers (pas même les chiens), ne pouvaient manger, et il y a encore une grande difficulté à obtenir les provisions.
»Il y a dissention parmi les Allemands, concernant la conduite des agens de leur comité, et ils ont établi un examen entre eux. On ne peut prévoir le résultat, si ce n'est que l'affaire se terminera sans doute par une émeute, comme d'ordinaire.
»Les Anglais vivent très-amicalement; nous ne cadrons pas mal non plus avec les Grecs, en leur accordant toujours l'indulgence due à leur situation; et nous n'avons point de querelles avec les étrangers.»
Durant le mois de mars, il n'y eut, outre ce qui est mentionné dans les lettres précédentes, que peu d'événemens dignes d'être exposés longuement et en détail. Après que le projet d'attaque contre Lépante eut échoué, les deux grands objets des pensées journalières de Lord Byron furent la réparation des fortifications de Missolonghi64, et la formation d'une brigade;--d'abord, en vue des mesures défensives qui paraissaient probablement devoir être les seules à prendre durant la présente campagne; puis, en préparation de ces entreprises plus actives qu'il se flattait de conduire durant la prochaine. «Il attendait (dit M. Parry), pour le rétablissement de sa santé, le retour de la belle saison et le commencement de la campagne, lorsqu'il proposa de tenir la campagne à la tête de sa brigade, et des troupes que le gouvernement de la Grèce devait mettre sous ses ordres.»
Note 64: (retour) Le zèle généreux avec lequel il s'appliqua à cet important objet sera révélé par le document suivant: «Lorsque je rapportai à Lord Byron ce que je croyais possible de faire, il m'ordonna de dresser un plan pour la réparation complète des fortifications, et de l'accompagner d'un devis. Il fut convenu que je ne porterais dans le devis qu'un tiers de la dépense réelle; et si ce tiers pouvait être obtenu des magistrats, Lord Byron s'engageait à payer secrètement le reste. (Note de Moore.)
Avec cette ingratitude qui suit trop souvent les actions désintéressées, on a quelquefois ironiquement remarqué,--et cela dans des journaux d'où l'on aurait pu attendre un jugement plus généreux65, qu'après tout, Lord Byron n'avait fait que peu de chose pour la Grèce;--comme si un seul individu pouvait faire beaucoup pour une cause qui, soutenue presque sans relâche par la voie des armes encore six ans après la mort de Byron, n'a demandé rien moins que l'intervention de toutes les grandes puissances d'Europe pour avoir une chance de succès, et même avec cela n'a pas encore triomphé. Je crois avoir clairement montré que Byron lui-même ne se fit aucune illusion sur l'importance de son assistance isolée,--qu'il savait que dans une semblable lutte il faut, pour un grand résultat, la même prodigalité de moyens que dans ces immenses opérations de la nature, où les individus sont comme zéro dans le cours des événemens,--et que tel était le point de vue, à la fois philosophique et triste, sous lequel il envisageait ses sacrifices. Mais dire que durant ce court période d'action, il n'accomplit pas bien et sagement tout ce qu'un homme pouvait faire dans le tems et avec les circonstances données, c'est énoncer une assertion que les faits mentionnés dans ces mémoires réfutent pleinement et victorieusement. Il savait que dans sa situation, ses mesures, pour être sages, devaient être prévoyantes, et c'est par la nature même des semences qu'il jeta, qu'on doit juger quels fruits en seraient résultés. Réconcilier les chefs militaires avec le gouvernement et entre eux;--communiquer, par son exemple, un esprit d'humanité aux hostilités;--préparer les voies à l'emploi de l'emprunt attendu, de la façon la plus propre à développer les ressources du pays;--mettre les fortifications de Missolonghi en état de soutenir un siége,--prévenir ces violations de la neutralité, qui, si séduisantes pour les Grecs, mettaient leur gouvernement en collision avec les autorités ioniennes66, et restreindre cette licence de la presse, qui pourrait indisposer les cours européennes:--voilà les importans objets qu'il s'était proposé de remplir, et pour l'accomplissement desquels, dans un si court intervalle, et au milieu de tant de dissentions et d'obstacles, il avait déjà fait de considérables progrès. Mais il serait injuste de clorre même ici le brillant catalogue de ses services. Après tout, ce n'est pas dans le cercle de la vie mortelle que se borne le bien accompli par un nom immortel. Le charme opère sur l'avenir;--c'est un auxiliaire pour tous les tems, et l'exemple entraînant de Byron, comme martyr de la liberté, est pour jamais embaumé dans sa gloire de poète.
Note 66: (retour) Dans une lettre qu'il adressa à lord Sidney Osborne, et qui en contenait une du prince Mavrocordato à sir T. Maitland, au sujet de ces infractions, il dit: «Vous devez tous savoir combien il est difficile aux Grecs, dans les circonstances actuelles, de maintenir une sévère discipline, quelle que soit leur bonne volonté. Je fais tout ce que je puis pour les convaincre de la nécessité d'observer strictement les réglemens des îles, et, j'espère, avec quelque succès.» (Note de Moore.)
Depuis l'époque de son attaque du mois de février, il avait été de tems en tems indisposé; et, plus d'une fois, il s'était plaint de vertiges qu'il comparait à un état d'ivresse. Il était, de plus, fréquemment affecté de maux de nerfs, de frissons et de tremblemens, qui, bien qu'ils fussent évidemment les effets d'une excessive débilité, étaient attribués par lui à la pléthore. D'après cette idée, il s'était, depuis son arrivée en Grèce, presque entièrement abstenu de nourriture animale, et il ne mangeait guère que du biscuit, des végétaux et du fromage. Tourmenté de cette crainte de devenir gras, qui l'avait obsédé dans son jeune âge, il se mesurait presque chaque matin le tour du poignet et la ceinture, et toutes les fois qu'il croyait apercevoir un surcroît de dimension, il prenait une forte dose de médecine.
Ses amis de Céphalonie avaient, comme nous l'avons vu, tâché de lui persuader de revenir sans délai dans cette île, et de pourvoir, lorsqu'il en était encore tems, au rétablissement de sa santé. «Mais ces conseils (dit le comte Gamba) produisaient justement l'effet contraire; car plus Byron croyait sa position périlleuse, plus il était déterminé à rester où il était.» Au milieu de toutes ces circonstances, le penchant naturel de son esprit en société ne le quittait pas; et quand il trouvait l'occasion de jouer un tour d'écolier à l'un de ses compagnons, il était aussi disposé que jamais à en profiter. Son ingénieur Parry ayant été fort alarmé par le tremblement de terre qu'on avait ressenti, et continuant toujours à en appréhender le retour, Lord Byron imagina, un soir qu'il était avec lui et avec d'autres personnes, de faire rouler des barils pleins de boulets dans la pièce de l'étage supérieur, et il rit de tout son cœur, comme il l'eût fait à Harrow-on-the-Hill, de la plaisante impression que cette illusion produisit sur le pauvre ingénieur.
Cependant, chaque jour mettait à l'épreuve sa santé et sa constitution.
Les pluies continuelles avaient rendu presque impraticables les marais
de Missolonghi.--Le bruit de l'apparition de la peste ayant circulé vers
le milieu du mois de mars, il fut prudent de se renfermer chez soi
pendant quelque tems; et c'est ainsi que Lord Byron fut privé plusieurs
semaines du grand air et de l'exercice.
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En même tems, ses services personnels et pécuniaires étaient réclamés de toutes parts, tandis que les embarras de sa position publique s'accroissaient de jour en jour. Le principal obstacle à l'accomplissement de son plan de réconciliation entre tous les partis avait été la longue rivalité de Mavrocordato et des chefs de la Grèce orientale; et cette difficulté ne fut pas peu augmentée par la conduite du colonel Stanhope et de M. Trelawney, qui, s'étant alliés avec Ulysse, le plus puissant de ces chefs, s'efforçaient activement de détacher Lord Byron de Mavrocordato, et de le faire entrer dans leurs vues. Ce schisme était,--pour ne pas dire plus,--inopportun et malheureux; car, comme le prince Mavrocordato et Lord Byron agissaient alors en complète harmonie avec le gouvernement, la coopération de tous les agens anglais dans le même sens aurait eu l'effet d'assurer la prépondérance à ce parti, qui était celui de tous les intérêts civils et commerciaux de la Grèce, et qui aurait, en fortifiant le pouvoir souverain, offert quelque espoir de vigueur et de consistance dans ses mouvemens. Mais, par cette division, les Anglais perdirent leur influence; et non-seulement ruinèrent la faible chance qu'ils avaient eu d'éteindre les dissensions des Grecs, mais donnèrent, très-mal à propos, un exemple de dissension entre eux.
La visite à Salona, où Mavrocordato, bien qu'il se méfiât du congrès militaire projeté, avait consenti à accompagner Lord Byron, fut, comme on l'a vu dans les lettres précédentes, retardée par les inondations,--la rivière Fidari s'étant accrue au point de n'être plus guéable. Cependant, des dangers, tant intérieurs qu'extérieurs, menaçaient Missolonghi. La flotte turque était de nouveau sortie du golfe, tandis que des mouvemens insurrectionnels, concertés, craignait-on, avec la reprise du blocus, et fomentés, comme on l'a su depuis, par les mécontens de la Morée, se manifestaient d'une façon formidable dans la ville et dans les environs. La première cause d'alarme fut le débarquement d'une troupe de soldats de Cariascachi, venus d'Anatolico en canots, pour demander aux habitans de Missolonghi une rétribution pour une injure faite dernièrement à un homme de leur tribu. On répandait aussi le bruit que trois cents Souliotes marchaient sur la ville; et le lendemain matin, on reçut la nouvelle qu'une bande de ces farouches guerriers s'était emparée de Basiladi, forteresse qui commande le port de Missolonghi, tandis que les soldats de Cariascachi avaient, pendant la nuit, arrêté deux primats, et les avaient emmenés à Anatolico. Cette nouvelle causa un tumulte et une indignation universelle. Toutes les boutiques se fermèrent, et les bazars furent abandonnés. «Lord Byron, dit le comte Gamba, ordonna à ses troupes de rester sous les armes, mais de garder la plus stricte neutralité, sans prendre part à aucune querelle, ni en action ni en parole.»
Durant cette crise, le tems était devenu assez favorable pour lui permettre d'accomplir le projet de visite à Salona. Mais comme en partant dans une telle conjecture, il aurait eu l'air d'abandonner Missolonghi, il résolut d'attendre que le danger fût passé. C'est à cette époque qu'il écrivit les lettres suivantes.
LETTRE DLIX.
A M. BARFF.
3 avril.
«Il y a une querelle, non encore terminée, entre les habitans et quelques hommes de Cariascachi; il y a déjà eu quelques coups d'échangés. Je fais garder à mes gens la neutralité, mais je leur ai commandé de se tenir sur leurs gardes.
»Il y a quelques jours, un soldat italien a été ici dégradé pour cause de vol. Les officiers allemands voulaient le fesser; mais je refusai tout net de permettre l'emploi du bâton ou du fouet, et je livrai le coupable à la justice. Depuis, un officier prussien ayant fait le tapageur dans son logement, je le mis aux arrêts, conformément à l'ordre. Ceci, à ce qu'il paraît, ne plut pas à ses confrères de la confédération germanique; mais je me tins à cheval sur mon texte, et je donnai à entendre que ceux qui ne sont pas résolus à se soumettre aux lois du pays et du service n'ont qu'à se retirer: mais que dans tout ce que j'ai à faire, je veux voir étrangers et nationaux y obéir.
»Je désire qu'on ait quelque nouvelle de l'arrivée d'une partie de l'emprunt, car nous manquons de tout à présent.»
LETTRE DLX.
A M. BARFF.
6 avril.
«Depuis ma dernière lettre, nous avons eu ici quelque tumulte entre les habitans et les gens de Cariascachi, et tout le monde est sous les armes. Peu s'en est fallu qu'on ne fît feu sur moi et sur cinquante de mes gars67, par méprise, comme nous faisions notre excursion ordinaire dans la campagne. Aujourd'hui, tout est fini ou apaisé; mais il y a environ une heure, le beau-père de mon hôte (lequel est un des primats) a été arrêté pour haute trahison.
Note 67: (retour) Corps de cinquante Souliotes qu'il avait pris pour sa garde, presque depuis son arrivée à Missolonghi. Une vaste salle en dehors de la maison où Lord Byron logeait était consacrée à cette troupe, et les carabines étaient suspendues le long des murs. «C'est dans cette salle, dit M. Parry, et parmi ces sauvages guerriers, que Lord Byron avait coutume de se promener longuement, surtout quand le tems était humide, avec son chien favori Lion.»Quand il sortait à cheval, ces cinquante Souliotes le suivaient à pied; et quoiqu'ils fussent chargés de leurs carabines, «ils pouvaient toujours, dit le même auteur, suivre les chevaux. Le capitaine, avec un détachement, précédait sa seigneurie, qui était accompagnée d'un côté par le comte Gamba, et de l'autre par l'interprète grec. Derrière lui, et à cheval, venaient deux de ses domestiques,--généralement son groom noir et Tita,--tous deux habillés comme les chasseurs qu'on voit ordinairement derrière les carrosses des ambassadeurs; puis une autre division de sa garde fermait la cavalcade. (Note de Moore.)
»...............................................
»La dernière échauffourée a eu un bon effet;--elle a mis tout le monde en alerte. Quant au beau-père de mon hôte, je ne sais ce qu'on en fera, ni même très-exactement ce qu'il a fait68......
«Je vous écrivis il y a quelques jours assez longuement sur les affaires. Vous recevrez ma lettre ou mes lettres avec celle-ci. Nous désirons entendre plus de nouvelles de l'emprunt; et il y a déjà quelque tems que je n'ai reçu de lettres d'Angleterre (d'un intérêt important, veux-je dire). Excepté une lettre de Bowring, du 4 février (sans importance aucune), mes dernières sont datées de novembre ou du 6 décembre, il y a juste quatre mois. J'espère que vous allez bien dans les Iles. Ici, la plupart d'entre nous, tant natifs du pays qu'étrangers, nous sommes ou avons été plus ou moins indisposés.
LETTRE DLXI.
A M. BARFF.
7 avril.
»Le gouvernement grec m'a obsédé pour avoir encore de l'argent69. Comme j'ai la brigade à entretenir, et que la campagne est évidemment sur le point de s'ouvrir, comme j'ai déjà dépensé dans la cause grecque 50,000 dollars en trois mois, d'une façon ou d'une autre, et surtout comme l'emprunt a réussi, j'ai refusé;--et comme on ne s'en est pas tenu au premier refus,--j'en ai fait un second en termes exprès et sincères.
Note 69: (retour) En conséquence de l'attaque séditieuse des gens de Cariascachi, la plupart des chefs voisins accoururent au secours du gouvernement, et ils avaient déjà, dans cette vue, marché sur Anatolico, au nombre d'environ deux mille hommes. Mais, quoique ce renfort arrivât à propos, il fut cause d'un nouvel embarras, vu qu'on manquait absolument de provisions pour l'entretien journalier de ces auxiliaires. Ce fut alors que le gouverneur, les primats et les chefs eurent recours à leur fournisseur ordinaire. (Note de Moore.)
»Le gouvernement désire maintenant essayer de se procurer dans les îles quelques milliers de dollars à compte sur l'emprunt. Si vous êtes à même de le servir, vous le ferez, je crois (par des informations en tous cas); ce sera pour vous une bonne affaire, mais je ne vous conseille rien, sinon d'agir comme il vous plaira. C'est de l'arrivée, et de la prompte arrivée d'une portion de l'emprunt, que dépend presque entièrement le maintien de la paix parmi les Grecs. S'ils ont assez de bon sens pour la maintenir, je crois qu'ils lutteront d'égal à égal, et même avec avantage, contre toutes les forces qu'on peut à présent diriger contre eux. Nous faisons tous de notre mieux.»
On voit par ces lettres qu'outre les grands et principaux intérêts de la cause, suffisans par eux-mêmes pour absorber toutes ses pensées, il rencontrait, de toutes parts dans les détails de son devoir, les obstacles et les distractions les plus variées, que la rapacité, la turbulence et la trahison semaient sur ses pas. De tels tourmens, qui auraient fatigué la plus robuste santé, tombaient sur une organisation déjà destinée à la mort; et nous ne pouvons nous empêcher de dire, en contemplant cette dernière scène de la vie de Lord Byron, que, si elle offre beaucoup de circonstances admirables, étonnantes et glorieuses, il y en a aussi beaucoup qui éveillent les plus tristes et les plus noires pensées. Dans une situation qui, plus que toute autre, avait besoin de sympathie et de soins, nous le voyons jeté au milieu d'étrangers et de mercenaires, sans garde-malade et sans ami:--car le premier office réclamait le recueillement d'une femme, et nous n'en verrons pas une, et d'autre part, le second office ne pouvait point du tout être rempli par la jeunesse et par l'inexpérience du comte Gamba. La fermeté même, avec laquelle une position si isolée et si décourageante fut pourtant supportée, sert, en nous intéressant plus profondément à l'homme, à accroître notre sympathie, au point d'oublier peu s'en faut, l'admiration dans la pitié, et de regretter que le noble poète ait été grand à tel prix.
Les seules circonstances qui lui avaient dernièrement causé quelque plaisir étaient, en ce qui touchait les affaires publiques, la nouvelle de l'heureux succès de l'emprunt, et, sous le rapport de ses relations personnelles, les avis favorables qu'il avait reçus, après une longue interruption de communication, sur le compte de sa sœur et de sa fille. Il apprit que la première avait été sérieusement indisposée à l'époque où lui-même avait été pris de convulsion, mais qu'elle était tout-à-fait rétablie. Tout charmé qu'il était de cette nouvelle, il ne put s'empêcher de remarquer, avec son penchant ordinaire à ces sentimens superstitieux, combien la coïncidence était étrange et frappante.
Pour ceux qui ont suivi dans ces mémoires Lord Byron depuis son enfance, il doit être, je pense, manifeste qu'il n'était pas né pour vivre long-tems. Soit par un défaut héréditaire de son organisation,--comme il l'inférait lui-même de l'âge peu avancé où son père et sa mère étaient morts,--soit par suite de ces moyens violens qu'il employa de si bonne heure pour combattre la tendance naturelle de sa constitution, et se réduire à un état de maigreur, il était, comme nous avons vu, presque annuellement sujet à des indisposition qui, plus d'une fois, mirent sérieusement sa vie en danger. La bizarre méthode qu'il suivit toujours dans sa diète,--les longs jeûnes, les excès auxquels il se livra parfois dans la nourriture la plus malsaine, et, durant les derniers tems de sa résidence en Italie, l'abus des boissons spiritueuses:--tout cela, dis-je, ne put que nuire à sa santé et la miner peu à peu, tandis que les médecines auxquelles il avait constamment recours--journellement, il paraît, et en larges doses,--démontraient, et sans aucun doute, accroissaient le trouble de sa digestion. Quand à ces causes l'on ajoute cette immense perte d'esprits et de forces, produite par la lente corrosion de la sensibilité, par le combat des passions, et par les travaux d'une intelligence qui ne se permettait pas un septième jour de repos, on ne s'étonne plus que le principe vital se soit sitôt épuisé, et qu'à l'âge de trente-trois ans, Byron, comme il le dit lui-même énergiquement, se soit senti vieux. Toutes ses forces physiques et morales furent sacrifiées pour nourrir la flamme dévorante de son génie,--pour présenter aux yeux du monde cette sublime et ruineuse conflagration, dans laquelle,