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Variétés Historiques et Littéraires (03/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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Le Pasquil du rencontre[290] des Cocus à Fontainebleau[291].

In-8.

En m'acheminant l'autre jour
A Fontainebleau, beau sejour,
Pensant mon voyage parfaire
Et consulter un mien affaire,
Je rencontray en mon chemin
Un subject de rire tout plein:
Ce fut grand nombre de cocus
De diverses plumes vestus,
Les uns grands, les autres bien gros,
Autres à voler bien dispos;
Les uns, vestus à la legère,
Tenoiont la place de derrière:
Comme les grues, sans desordre
Ils y voloient tous en bel ordre,
Faisant, ainsy que fait la foudre,
De tous cotez voler la poudre.
D'airondelles si grand ensemble,
Aucun n'a point veu, ce me semble,
Soit qu'en voulant la mer passer
Et nostre climat delaisser,
Elles aillent en autre contrée
Eviter les coups de Borée,
Ou soit qu'arrière retournans
En nostre saison au printemps;
Au dedans de nos cheminées,
Qui du feu ne sont enfumées,
Ou bien en quelque autre endroict
Elles se logent plus à droict.
Egarez furent mes esprits,
Me voyant tout à coup surpris
Et partout d'eux environné;
Cela me rendit estonné.
Lors tout pensif je m'arrestay,
Et les comptemplant m'apprestay
Pour entendre ce qu'ils vouloyent
Et pour quelle fin ils m'avoyent
Ainsy de tout point entouré.
L'un, plus que les autres avancé,
D'un rouge plumage vestu,
Commença à chanter: Cocu!
Je suis vray cocu cocué,
Car la huppe[292] quy m'a couvé
S'est posé en mon nid le jour,
Y faisant son plaisant sejour.
Las! j'ay fait tout ce que j'ai peu
Pour chasser du nid ce Peu-Peu[293],
Et, n'en pouvant avoir raison,
Ce m'a esté occasion
Qu'à la justice me suis plainct;
Mais j'ay esté enfin contrainct
Me contenter de cent escus
Pour estre du rend des cocus,
Par la prière des amis
Qui pour ce en peine se sont mis,
Et ce quy m'a plus attristé,
C'est que par après j'ay esté
Contrainct de recognoistre un faict
Qu'en verité je n'ay pas faict.
Mais, comme font les malheureux,
Je me conforte que plusieurs
Sont en ce monde recogneus
(Comme je suis) pour vrais cocus.
Les cocus, se sentant picquez
De ce chant, se sont ecriez
Après luy de confuse voix:
Pourquoy est-ce qu'avec abois
Tu nous chante telle chanson?
Ce n'est maintenant la saison
Que les cocus doivent chanter.
Laisse le printemps retourner,
Car, bien que cocus en tout temps
Chantent ès maisons doucement,
Chacun sçait bien, non par abus,
Que nous sommes hommes cocus,
Et si l'on ne le diroit pas:
Car le cocus a tant d'appas,
Que, comme dit le bon Pasquin,
Mieux vaut le cocu que coquin.
L'un, de la goutte se plaignant,
S'attristoit d'un aveuglement;
Mais que pas ne se soucioit
Si pour cocu l'on le tenoit.
Un autre, qui est vrai badin,
Pensant à ses chants mettre fin,
Chanta: Que pensez-vous, cocus?
Nul aujourd'hui n'a des escus
S'il ne donne consentement
A sa femelle doucement,
Afin qu'ils soient tous recogneus
Estre comme moy vrais cocus;
Pour estre bientost en credit
Et en tirer un bon profit;
Pour acquerir un heritage
Quy entretiendra le mesnage.
Sus donc, point ne nous soucions,
Quoy que vrais cocus nous soyons,
Pourveu que nostre douce mille
Nous face foncer de la bille[294],
De rien il ne nous faut challoir[295];
Il fait toujours bon en avoir.
Il faut aussy que Landrumelle[296]
Soit comme la maistresse belle,
Et que du marpaut[297] le courrier
Entendent fort bien le mestier;
Mais il nous faut bien engarder
Dessus l'endosse les ripper[298]
Pour n'offencer point le marpaut,
Afin qu'il ne face deffaut
De foncer à l'appointement
En jouissant de leur devant,
Et pour ne point avoir du riffle[299]
Sur le timbre[300] ou sur le niffle[301],
Il nous faut bientost embier[302],
Et en la taude[303] le laisser,
En rivant fermement le bis[304]
A la personne du taudis.
Si vous n'entendez le narquois[305]
Et le vray jargon du matois[306],
Il ne faut pas aller bien loing,
Mais seullement au port au foing:
En peu de temps vous l'apprendrez,
Et vrai narquoy en retiendrez.
Je fus là longtemps arresté
Et par ces chansons retardé
De continuer mon chemin,
Jusques à ce qu'un mien voisin,
Quy avoit ouy tous ces desbats,
Me dit: Eh bien! n'es-tu pas las
De tous ces cocus escouter
Et leur verité raconter?
Un vray cocu en cocuage
Se dit maintenant le plus sage;
C'est le jouet de maintenant
Et de plusieurs le passe-avant[307].
Tu les vois souvent par les rues
Cheminer hault comme des grues,
Contrefaisant les gens de bien,
Car toutes fois ce n'en est rien.
Lors les cocus, sans plus rien dire,
Chacun en son nid se retire,
Se sentant par ces mots taxés,
Et de mon voisin offensés.
Pour moy, estant delivré d'eux,
Je continuray fort joyeux
Mon chemin à Fontainebleau,
Pour là apprendre de nouveau
D'autres cocus que je sçauray,
Et tous leurs noms je vous diray;
Mais durant ce voyage court,
Ce bon fripon, ce frippetourt,
Vous prie boire du matin
Soit blanc ou cleret de bon vin.
Toutefois, devant que partir,
Nouvelles je veux departir,
Si vos oreilles debouchées
A les ouïr sont disposées;
Ce qu'en bref à vous je veux dire,
Ce sera pour vous faire rire:
C'est que j'ay veu force corneilles
Quy parloient et disoient merveilles,
Et, comme apprises elles estoient
De jeunesse à parler, disoient
Que, s'estant sur arbres posées
Et assez longtemps reposées,
Elles avoient veu par un matin,
Dessous la treille d'un jardin,
Donner un barbarin clystère
Par devant, et non par derrière,
A quelqu'une que le cujus[308]
Avoit pris cueillant du vert-jus;
Mais que, la porte ouverte estant,
Cela feut sceu tout promptement
Par une femme de peu de prix
Qui tiroit de l'eau à un puits,
Quy dist: Pour moy ne vous ostez,
Mais vostre besongne achevez.
Deux bons compagnons rubaniers
Qui travailloient à leurs mestiers,
Par la fenestre regardant,
Veirent bien tout ce mouvement,
Et d'une très bonne manière
Branler les quartiers de derrière,
Et la femme du loup les branles
Danser, la queue entre les jambes,
Faisant à son homme porter
Les cornes pour son front orner.
Bien souvent à telle pratique
Les femmes ouvrent leur boutique
Pour acquerir à leurs cocus
Un tresor infini d'escus.
Bien peu de cocus ont souffrance;
Cocus ont toujours abondance,
Jamais ils ne manquent de rien,
Et si, par un subtil moyen,
Ils accumulent leurs richesses
Par le doux mouvement des fesses
De leurs femmes, quy, en branlant,
Vont toujours tresors amassant.
Ce n'est donc pas petite gloire,
A ces cocus de plume noire,
D'estre cocus sans s'irriter.
Puis que nous voyons Jupiter
En son front des cornes paroistre[309].
Ne faut-il pas suivre son maistre?
Ce dieu, qui regit les humains,
Fait tout par de puissans desseins,
Et rien de mortel ne respire
Qui ne cognoisse son empire.
Vulcain, par Mars rendu cocu,
S'en est-il pas bien aperceu,
Et, par sa plus forte vengeance,
Forgeant des chesnes en diligence,
Se pleust lui-mesme d'avoir pris
En ses lacs Mars avec Cypris.
Ce n'est donc pas sans un subject,
Si l'amour estendit son traict
Aux femmes quy font residence
En la celeste demeurance
Du fameux sejour de nos roys,
(Où tout ploie sous leurs lois)
A Fontainebleau, le village
Où l'on ouyt souvent le ramage
Des cocus, cornards habitans,
De quy les femmes aux courtisans
Servent bien souvent de monture,
Picquées d'esperons de nature.
Ne soyez donc pas trop marris,
Marchands et bourgeois de Paris,
Si la court fait sa quarantaine
En ces bois où la douce haleine
Des nymphes de Fontainebleau
Captive les esprits plus beaux.
Soyez donc cocus volontaires,
Fort doux à vos bonnes commères,
Et, lors que vous les trouverez
Avec leurs amis accouplez,
Feignez d'avoir, comme escarboucle[310],
De l'air mauvais la veue trouble.
C'est un honneur que d'endurer
Des cornes sur son front germer:
Rien n'est aussi beau que des cornes.
Souvent on voit le capricorne
Toujours quelque bien presager.
Un autre signe mensonger
Ne nous predit jamais merveille,
Et jamais teste sans cervelle
N'eust la patience de Job.
C'est trop courre et aller au trot;
Arrestons-nous vers la demeure
D'un beau chef-d'œuvre de nature
Quy veut donner à son païsant
Un très agreable present:
C'est ceste corne d'abondance
Qui fait que mon dessein s'avance
A vous deduire à petit bruict
Que les clairs astres de la nuict
Sont obscurcis par la chandelle
Qu'on offre au temple d'une belle
Et sur l'autel ores vanté
De la nouvelle deité.
Mais je veux finir mon voyage,
Vous apprenant, en homme sage,
Qu'en ce lieu de Fontainebleau
On entend partout l'air nouveau
Du plaisant oiseau le ramage,
Qui dit Coucou en son langage.
Je n'ay pas maintenant loisir
De davantage en discourir.

Exemplaire punition du violentent et assassinat commis par François de La Motte, lieutenant du sieur de Montestruc, en la garnison de Mets en Lorraine, à la fille d'un bourgeois de la dite ville, et executé à Paris le 5 decembre 1607.

M.DC.VII.

In-8.


Exemplaire punition du violement et assassinat commis par François de La Motte, sieur du dit lieu, et lieutenant de Montestruc, en la garnison de Mets.

Comme ainsi soit que tous crimes soient poursuivis de la vengeance divine, si est-ce que le ravissement et le viol en sont talonnez le plus indefatigablement; la cause en est toute en posture: c'est qu'estant la virginité le miroir où le grand Dieu et les anges se mirent, celui qui, par le traict de quelque force et violence, deshonore et souille un si beau miroüer et pourtraict, incite et excite le grand Dieu et les anges à prendre la raison de sa faute; faute non, mais forfaict, mais horrible crime, mais sacrilége, mais parricide, mais execration abominable et abomination execrable. Et combien qu'ailleurs le grand Dieu marche lentement à la punition du crime, et se contente de s'eclater d'autant plus asprement sur les testes criminelles, reparant par la pesanteur du suplice les delais de la justice trop tardive, si est-ce qu'en ce regard elle ne veut prester à usure, et veut le principal et l'interest presque sur-le-champ. Les escritures, tant sacrées que profanes, ne sont peintes que de ces sanglants discours; la justice n'a les oreilles journellement batues d'autres plaintes, et les roües et potences ne sont accravantées[311] que du poids de ces charongnes. Mais ce qui rend ce crime de violement plus detestable, c'est qu'il met le criminel tellement au delà de toute crainte de Dieu et de tous mouvemens et ressentimens d'humanité, qu'il veut laver sa faute avec des crimes plus enormes et detestables. Voilà comme, voulant fuir la justice, il s'y presente; voulant enterrer sa faute, il la faict saillir en lumière, et, la voulant supprimer, il la fait parler et crier plus haut vengeance au ciel. Il n'est icy question de fouiller les escrits anciens ou modernes pour preuve, veu qu'il ne faut que les rues et carrefours de Paris pour en faire la leçon aux plus ignorans et grossiers. Aussi ne veux-je toucher qu'un seul de ces forfaicts, perpetré à Mets en Lorraine, et chastié à Paris devant la Croix du Tirouer[312] le 5 decembre 1607[313].

Il y avoit un capitaine de la citadelle de Mets, homme preux et vaillant de sa personne, qui, durant ces dernières guerres, avoit acquis beaucoup de preuves de sa valeur; mais plus valeureux eust-il esté cent mille fois s'il eut recongneu et bien entendu que la valeur des valeurs est celle par laquelle nous emportons la victoire sur nous-mesmes et nos affections, et non pas sur les autres et sur les places fortes. Comme aussi vrayement n'y a-il de plus glorieux trophées que ceux que, sans le secours d'autres, nous erigeons nous-mesmes de nous-mesmes, et à la gloire desquels autre ne peut avoir part que nous-mesmes. Ce capitaine, jettant et tournant les yeux (esveillez et hardis) sur les beaux objets et rencontres que la fortune luy presentoit, allant par la rüe, avisa une fille d'âge encore tendre et d'honeste maison, mais de taille relevée, et où la grace et la beauté disputoyent ensemble pour l'honneur et le prix. Aussi ne croi-je que jamais estocade luy porta plus dangereuse playe dans le corps que la grace de ceste jeune beauté dedans l'ame. Aussi est-il retourné de toute autre, mais en celle-cy il y est demouré pour les gages. Il fust donc vaincu de l'amour que la beauté de ceste jeune fille lui coula dedans l'ame. Je redoute d'appeller amour dont est sorty un acte de haine si detestable, et d'appeler amant celuy qui a faict tel traictement à la personne aimée.

Tant il y a que, l'esclair de ceste beauté luy avant penetré dedans l'ame, il soubmist incontinent sa raison à ses sens, et sans coup destourner ni ferir se donna en proye à ses salles appetits. Miserable! que de prendre la loy de ceux qui la debvoyent recevoir de lui que de s'abaisser aux pieds de tels maistres et tirans, suivre des aveugles pour guides, et de se laisser commander de ceux qu'il debvoit severement gourmander. Mais c'est un grand plaisir aux mal-heureux que de se plaire en leurs mal'-heurs, et de n'accuser pour cause de leurs mal'-heurs qu'eux-mesmes.

Ce pauvre mal-heureux donc, cognoissant que ce tyran d'amour s'estoit saisi du fort de son cœur, et qu'il y commandoit à baguette, et n'ayant jamais trouvé parmy les rencontres de la guerre place si bien gardée et de si difficile accès et approche que ceste beauté, se resolut de la marchander au prix de sa reputation, et l'achepter au peril de sa vie et fortune, la payer de l'usufruict d'icelle et en recevoir l'acquit des sanglantes mains d'un executeur de justice. Ha! que l'ombre du plaisir est grande, et ce qu'il a de corps et de solidité petit! Mais que la fin et commencement des plaisirs font une estrange Heraclite et Democrite l'un vers l'autre! Il s'accosta pour surgir au port de ses desirs d'une maquerelle, laquelle lui promet, quoy qu'il couste, de faire choir le gibier dans ses filets. Pleust à Dieu que par les royaumes et provinces il y eut de bons limiers pour courir, eventer et lever ces pestes des monarchies, villes et citez, et que, les forests estant suffisantes pour leur faire un bucher, un bras justicier mist le feu au dedans et resjouït les cieux de l'odeur de si belles fumées!

Mais quoy! le mestier en est trop commun! plusieurs en auroient trop chaud en leur pourpoinct, et puis le bois seroit trop ardamment recueilli en France.

Quoy qu'il en soit, ce capitaine, sans l'achoison[314] de ceste peste, verroit encor sa vie et sa valeur debout; ceste jeune et tendre pucelle, sa vie et son honneur; et ses parens, leur joye, support et contentement.

Ceste vieille donc (peste de la jeunesse) avisa ceste fille qui marchandoit des bouquets, et, voyant qu'elle ne se trouvoit d'accord avec la jardinière, lui dist: Ma fille, venez avecques moy, et je vous en monstreray de plus beaux, et de plus belles fleurs, à plus raisonnable prix. Ce jeune tendron, portée de son jeune desir, et conduite de sa simplesse, se met à la suite de la vieille, comme un chevreuil qui, sous la conduite du boucher, va droit à la boucherie. Helas! nous voyons bien le commencement des chemins que nous prenons, mais nous n'en descouvrons pas les progrès et l'avancement, et moins encor la fin. Ceste pauvrette s'en va pour trouver quelques bouquets et fleurettes, et ne pense pas qu'elle va perdre (sou la cruauté d'un bouc et vrayement boucquin) le bouquet des bouquets et la reine des fleurs, qui est la rose de sa virginité, voires mesmes sa propre vie.

Elle ne fust donc si tost entrée en la maison de ce capitaine, que ce fust de tirer les portes après elle, et d'elle extorquer par force ce que par voye de consentement et d'honneur l'on ne pouvait impetrer. Icy donc la simplesse fut opprimée par la malice, la trop legère creance par le mensonge, et la foible pudicité par les efforts ravisseurs de la lubricité.

Ce miserable donc tient et entretient quelques jours ceste fille en sa chambre comme esclave, à ses contentemens debordez, et le subjet et l'object de ses plaisirs non moins desreglez qu'aveuglez. Les parens cependant font de tous costez recherches de leur enfant, et la justice, importunée de leurs plaintes, faict assemblée de ceux sur qui pouvoit tomber le soupçon du crime. Commandemens sur prières, menaces sur commandemens, à quiconque la tient ou en entend parler, de l'enseigner ou de la remettre entre les mains des parens. Ce coupable, qui estoit present en l'assemblée, à qui toutes les paroles du juge sembloyent des coups de tonnerres, toutes ses œillades des eclairs poignans comme estocades, et tous ses commandemens et menaces des foudres qui canonnoient, tronçonnoient et fouldroioient en sa conscience, rapporte de ceste assemblée mille craintes, terreurs et mortelles frayeurs à la maison. Seroit-ce pas, dit-il, maintenant que la bonté divine seroit en mon regard parvenue au dernier periode de sa patience? Sens-je pas les coupables remors qui remuent mesnage et pincettent cruellement ma conscience? Vois-je pas l'espée, non de Denis[315], mais d'un cruel executeur, qui pend, attachée d'un simple fil, dessus moy, et menace ma criminelle teste? Quoy! faudra-il que je serve de spectacle à tout le monde sur un eschafaut, et qu'un glaive public limite et abrége honteusement le terme de mes jours? Ay-je esté tant et tant de fois prodigue de ma vie, en tant de dangereuses rencontres, pour estre finalement reservé à ceste honteuse mort? Que ne me rend la fortune les hazards des alarmes où je me suis tant de fois trouvé pour m'y faire ouvrir l'estomac d'un beau coup de picque au travers des entrailles! Que ne me fait le ciel plouvoir et gresler des milions de pruneaux et dragées sur la teste, pour perdre en mes armes une vie glorieuse, plustost que souffrir une mort si vergongneuse[316]!

Mais que dis-je? où suis-je? Y a-il pas moyen d'esviter ce coup? Suis-je desjà entre les bras de la justice, laquelle peut-estre ne pense à autre chose qu'à me punir? Y a-il pas moyen de derober ce faict à sa cognoissance, et quant et quant me delivrer de sa puissance?

Comme il estoit en ces altères[317], l'ennemy de nature, qui faict que les meschancetez servent aux meschants de degrez à plus grandes meschancetez, et qui, par les crimes execrables, leur en fraye le chemin, coula ce propos et ceste resolution en sa pensée: Que penses-tu faire? Que servent tant de plaintes et deliberations? Ne voy-tu pas que les premiers actes de ceste tragedie sont jouez? La beste est prise, tu en as faict curée et en as assouvi tes appetits; reste seulement la catastrophe. Estrangle donc celle qui te tient en peine; et, celant ton faict, tire-toy d'inquietude et tourmens. Toute asseurance est perdue si tu ne trouves ta vie en sa mort, et si sa ruine ne te sert d'ancre de salut.

Le miserable remache et embrasse aussitost ce meschant conseil, non toutes fois sans se sentir merveilleusement esbranlé de ces raisons au contraire: Quoy! de la Motte, pourras-tu concevoir une haine si mortelle contre celle qui, par le rapt de sa virginité, a commencé à t'aimer, et qui, par la perte de sa fleur, s'est domestiquée[318] en ton amour? Hé! ne vois-tu pas que ces bourasques et tempestes t'emportent d'abisme en abisme et de Scille en Caribde! Veux-tu joindre à ce rapt, à cet inceste, à ce sacrilége abominable, un homicide, un meurtre, un parricide execrable? Veux-tu amasser le vol sur le viol, et te rendre voleur de sa vie aussi bien que violateur de sa pudicité? Quoy! faut-il que les lacs de tes bras, dont tu te pendois à son col, soyent maintenant deguisez en etoufans licols? Veux-tu changer tes embrassemens en estranglemens, tes mignardises en cruautez, et ces mots de: Mon cœur et ma vie! en ces termes: Meurs! meurs! il faut mourir? Pourras-tu respondre d'une mine farouche et furieuse à ceste face aprivoisée par le temps, et maintenant si gracieuse? Souffriras-tu d'un œil renfrongné ceste œillade, laquelle dissipoit tes ennuis et mettait la joye et l'allegresse en ton ame?—Que feray-je (repliquoit à soy-mesme), et quel moyen de cacher ma faute aux hommes?—Miserable! penses-tu la cacher à celuy qui tout oït et tout voit? Mais penses-tu de te cacher à toy-mesme, et de faire que tu ne te trouves chez toy-mesme pour insupportable fardeau de la terre?—Mais il ne m'en chaud[319], pourveu que je puisse eviter la mort.—Si ne saurois-tu pourtant eviter les remords, qui te forgeront tous les jours mille espèces de mort en l'ame. Et puis penses-tu que la patience divine tiendra tousjours la main au sein, et que sa vengeance ne suive à la trace cette insupportable cruauté? Ces discours et raisons commençoyent à le fleschir, lorsque quelqu'un, frappant à la porte, luy mist telle frayeur en l'ame et telle apprehension de la justice, que sans plus grand delay il estrangle ceste pauvre fille en son estable, et la fait mettre dans une valise et porter par son serviteur (appelé Houppart) dans la rivière. Ce forfaict fut quelques mois incongnu; mais ce qui le mist en evidence, ce fut un autre viol que le dit de la Motte fist en la personne de Nicolle Martel, fille de Claude Martel, soldat de la citadelle de Mets, lequel en fist sa requeste et sa plainte à M. d'Arquien, lieutenant pour Sa Majesté en la dite garnison. M. d'Arquien renvoye la cause devant M. de Selve, president de la ville de Mets, qui, ayant fait informer contre Louyse de la Villette, maquerelle, et accusée de l'avoir vendue au dit de la Motte, il feit emprisonner le dit sieur de la Motte, lequel recusant M. de Selve pour son juge, la cause en fut evoquée devant M. de Poisisse, par lequel, finalement, toutes informations et justifications faictes de part et d'autre, et la question donnée à la dite Louyse de la Villette et à Claudine et Houppart, serviteur et servante du dit de la Motte, il fut sceu et confessé que le dit de la Motte avoit fait estrangler ceste innocente fille du ministre de Combes et defloré la dite Louyse Martel. Occasion pourquoy le dit de la Motte receut l'arrest de sa mort au fort l'Evesque, à Paris, et fut condamné d'avoir la teste tranchée, et Claudine et Houppart, ses serviteur et servante, condamnez estre pendus; lesquels furent executez devant la Croix du Tirouer.

Que peut servir au dit de la Motte d'avoir voulu receler son fait aux hommes et d'avoir voulu monstrer sa ferocité lors que l'on le vouloit lier pour le mener au suplice? Car il fust atterré par quatre crocheteurs dans la prison, et chargé à force sur le chariot et conduit sur l'echafaut, où, après avoir differé son supplice le plus qu'il pouvoit, et attendu en vain sa grace du roy, qu'il pensoit obtenir par le moyen de la royne Marguerite[320], la grace que le roy lui feist fust qu'il auroit la teste tranchée et recevroit le digne salaire de sa meschanceté. Sur quoy un chacun peut recognoistre que l'homme ne se doit de la sorte precipiter à ses sensualitez, et que là où la crainte de Dieu et des hommes ne l'en destourneroit, la crainte du supplice doit pour le moins estre suffisante pour l'en destourner.

Le Satyrique de la Court.

M.DC.XXIIII[321]. In-8.

Un jour que mon humeur me rendoit solitaire,
Tout pensif et songeard, contre mon ordinaire,
Pour m'esgayer un peu et pour passer le temps,
Je me deliberay d'aller jouer aux champs.
Mais comme je sortois des portes de la ville,
Je regarde venir devers moy une fille
Toute nuë de corps, de qui les cheveux blonds
Voletans descendoient jusques sur les talons,
Changeante à tout moment la couleur de sa face,
Et toutes fois tousjours avoit fort bonne grace.
Dans une de ses mains elle avoit un ciseau,
Et dans l'autre portoit un taffetas fort beau,
Afin de s'en vestir; mais pour estre plus belle
Elle sembloit chercher une forme nouvelle[322].
Enfin, comme je vis qu'elle approchoit de moy,
Je luy dis, tout surprins de merveille et d'esmoy:
A voir vostre façon et vostre beau visage,
Je croy que vous soyez de divin parentage;
Vos yeux monstrent assez vostre divinité,
Et que vous ne tenez rien de l'humanité;
Mais sans passer le jour à plus long-temps m'enquerre
Si vous estes des cieux ou fille de la terre,
Au nom de Jupiter, dites-moy vostre nom,
Que je fasse partout voler vostre renom.
Elle, jettant sur moy une œillade divine,
Tire ce long discours du fond de sa poitrine:
Je ne desire pas me faire des autels;
Je ne suis que par trop cognuë des mortels;
Je ne te cherche pas pour me faire paroistre:
Ma force et ma vertu me font assez cognoistre.
Toutes fois, je veux bien, puis que c'est ton plaisir,
Te disant qui je suis, contenter ton desir.
Je suis (comme tu dis) de la divine essence,
Mère du Changement, et fille d'Inconstance.
Jupin, Mars, Apollon, et le reste des dieux
Qui ont commandement dedans l'enclos des cieux,
N'ont pas tant de pouvoir en ceste terre ronde,
Certainement, qu'en a mon humeur vagabonde.
Je fais tous les humains sous mes loix se ranger,
Mais les François premier, qui ayment le changer;
Les François, qui leur nom ont rendu redoutable
Dedans tous les cantons de la terre habitable,
Viennent s'assubjetir à mon commandement,
Aimans, comme je fais, beaucoup le changement.
En leur langue commune ils me nomment la Mode:
Car ainsi que je veux les hommes j'accommode.
Je leur ay fait porter, pour commencer au corps,
La moustache pendante[323] et les cheveux retors.
La France, en ce temps-là, s'estant accoustumée
Aux façons des bourgeois de la terre Idumée[324].
Après, j'ay faict couper ces cheveux qui pendoient
Et jusques au milieu de leur dos descendoient,
Et avec le trenchant mis bas leur chevelure,
Qui peu auparavant leur servoit de parure.
Mille fois j'ay changé le blondissant coton
Que l'avril de leurs ans leur fait croistre au menton;
Fait leur barbe tantost longue, tantost fourchuë,
Tantost large; à present on la prise pointuë[325];
C'est celle maintenant dont plus de cas on fait,
Qui ne la porte ainsi n'est pas homme bien fait;
Non plus que l'on ne peut estre de bonne grace
Si l'on n'a aux sourcils relevé la moustasse[326];
Moustasse qu'on avoit jadis accoustumé
Porter rase, qui lors vouloit estre estimé.
Mais venons aux habits desquels leurs corps je couvre,
Où mon authorité encor mieux se descouvre.
Quelle nouvelleté n'ont souffert les chappeaux!
Combien leur ay-je fait de changemens nouveaux[327]!
Je leur ay fait donner la façon albanoise,
Qui a pour quelque temps eu le nom de françoise,
Puis je les ay fait plats avec un large bord.
Ceste façon plaisoit aussi bien à l'abord;
Mais elle a maintenant perdu toute sa grace;
On n'en fait plus d'estat, une autre a prins sa place,
Qui a la teste ronde avec les bords estroits,
Et semble mieux turban que chappeau de François;
Et comme le chappeau de façon renouvelle,
Fais-je pas au cordon une forme nouvelle?
Ne l'ai-je pas fait gros et puis après petit?
Tantost plat, tantost rond, selon mon appetit?
Je serois trop longtemps si je voulois te dire
Combien je fais par là ma puissance reluire.
Depuis deux ou trois ans seulement, les cordons
Ayans plus de vingt fois rechangé de façons,
Je leur ay pour un temps mis des boucles dorées;
Personne n'en a plus, on les a retirées;
Je les fais maintenant moitié d'un crespe fin
Bouffant en quatre plis, et moitié de satin.
Naguères l'on n'osoit hanter les damoiselles
Que l'on n'eust le colet bien garny de dentelles;
Maintenant on se rit et moque de ceux-là
Qui desirent encor paroistre avec cela.
Les fraizes et colets à bord sont en usage.
Sans faire mention de tout ce dentellage,
J'observe tout le mesme à l'endroit des rebras[328],
Les quels j'ay fait porter tantost haut, tantost bas,
Tantost pleins de dentelle, et quand je veux j'y prise
Avec le point couppé[329] l'ouvrage de Venise.
Mais ces braves rebras ont perdu leurs beautez;
Ceux a bords maintenant sont les plus usitez.
A leurs pourpoints je fais tousjours nouvelle forme:
Ce qui plaisoit hier aujourd'huy est difforme.
Je les ay fait porter larges, longs, courts, estroits,
Je les ay fait changer de colet mille fois,
Tantost façon de dents, maintenant de rondace[330];
La nouvelle tousjours est de meilleure grace.
J'ay fait les aillerons larges d'un demy-pié,
Mesmes souvent pendans du bras jusqu'à moitié.
Pour un temps l'esguillette y a esté prisée,
Qui maintenant n'y sert de rien que de risée.
Les aillerons estroits sont les plus estimez.
Les busques ne sont plus comme jadis aymez.
Avec quoy l'on avoit accoustumé paroistre,
Les plus estroits pourpoints sont ceux qui sont en estre.
J'ay avec le trenchant decouppé leur satin
Pour monstrer le taftas bleu ou incarnadin
Qu'ils font mettre dessous ceste large taillure,
Qui est, à vray parler, vanité toute pure[331];
Encor cela est-il peu prisé si l'on n'a
Le satin verd aux gans ou velours incarna,
Ou bien de franges d'or une paire bordée[332]
Qui porte sur le bras une demy-coudée.
Pour se ceindre l'on a quitté le taffetas;
Personne maintenant n'en fait guère de cas,
Si ce n'est un qui porte une longue sutenne[333]
Qui soit ou de damas ou de velours de Genne:
Car les ceinturons seuls maintenant sont receus
Qui sont en broderie ou de soye tisseus.
Je ne pense non plus que maintenant on puisse
Paroistre avec la chausse estroitte ou à la suisse[334],
Ou bien toute bouffante à l'entour de gros plis,
De crains sous la doublure, ou de coton remplis[335],
Aussi c'est estre fol que de penser paroistre
Vestu d'une façon qui a perdu son estre;
Il faut s'accommoder ainsi comme l'on fait,
Refaire ses habits comme l'on les refait,
Changer d'accoustrement aussitost que j'allume
Dans les cœurs le desir de changer de costume:
Car qui porte la chausse, encor que de velours,
Qui n'est froncée en haut et dessus les genoux,
Qui n'a de gros boutons aux costez une voye,
Ou de rang cinq ou six grands passemens de soye,
Appreste grand subject de rire à haute voix
A ceux qui vont suivant mes inconstantes loix;
On le monstre du doigt, quand mesmes en science
Il seroit estimé des premiers de la France,
Ainsi qu'un qui voudroit en la sale d'un grand
Avec un bas de drap tenir le premier rang,
Ou bien qui oseroit avec un bas d'estame
En quelque bal public caresser une dame[336]:
Car il faut maintenant, qui veut se faire voir,
Aux jambes aussi bien qu'ailleurs la soye avoir,
Et de large taftas la jartière parée
Aux bouts de demy-pied de dentelle dorée[337],
N'avoir pas les souliers camus comme autrefois[338],
Ny plats, à la façon des lourdauts villageois;
Il les faut façonner d'une juste mesure,
Le talon eslevé et plein de decouppure.
Qui les porte autrement, il entendra tout haut
Que quelque courtisan l'appellera maraut;
Comme qui trop hardy voudroit hanter le Louvre
N'ayant pas sur le pied une rose qui couvre
La moitié du soulier[339], ou qui en porte encor
Qu'il n'y ait à l'entour de la dentelle d'or.
Mais quiconque, d'honneur desireux, a envie
Au modelle de court de conformer sa vie,
Il ne faut pas tousjours estre chaussé ainsi;
Il faut qu'il ait souvent la botte de Roussy[340],
Et l'esperon aux pieds, encore qu'il ne pense
Que de passer le jour à l'entour d'une dense;
Qu'il ait tousjours le dos d'une escharpe couvert
De taftas de couleur incarnat, bleu et vert,
Ou d'autre qu'il verra plus propre à sa vesture,
Aux deux bords enrichy d'or ou bien d'argenture,
Qui pende pour le moins sur le manteau d'un pié,
Et couvre du colet une grande moitié;
Qu'il ait sur le costé pendant un cimeterre[341],
Comme portoient jadis les Perses à la guerre,
Court, mais de bonne trempe, inutil toutes fois
Aux batailles que font maintenant les François;
La garde faite en croix ou en forme aquileine,
Toute luisante d'or ou d'esmail toute pleine;
Qu'il ait le manteau court, car d'en porter de longs,
Comme anciennement, qui battent les talons,
L'usage en est perdu, si ce n'est quelque prestre
Sage en théologie ou qui soit ès arts maistre,
Ou quelque conseiller, ou quelque president,
Ou un qui s'enrichit au Palais en plaidant:
Car sans risquer l'honneur ceste mode est permise
Aux hommes seulement de justice ou d'eglise,
Qui ne vont pas s'ils n'ont la sutenne dessous,
Qui leur pende beaucoup plus bas que les genous;
Qu'il l'ait, dis-je, si court que sa longueur ne puisse
Que couvrir tout au plus la moitié de la cuisse,
Doublé tout à l'entour d'un velours cramoisy
Ou d'autre qu'il aura chez un marchand choisy:
Car par trop à present du taftas on abuse,
Et chacun pour doublure à son manteau en use.
Le bourgeois, cy-devant, allant à un festin,
Avoit sur le manteau deux bandes de satin;
Mais maintenant il faut, s'il veut estre honneste homme.
L'avoir plein de taftas comme le gentilhomme;
Pourquoy d'hanter la cour qui fait profession
Que l'on ne voit jamais manquer d'invention
Pour passer en beauté d'habits la populace.
Qui veut des courtisans tousjours suivre la trace,
Il lui faut le velours, et sur nostre orizon,
Quand revient à son tour l'estivale saison,
Il luy faut, pour servir de legère vesture,
De simple taffetas un manteau sans doublure;
Et s'il est quelque fois de chasser desireux,
Le cerf viste courant, ou le lièvre peureux,
Ou bien le loup, terreur de la rustique race,
L'escarlatte est l'habit ordinaire de chasse,
Aucune fois de court, pourveu qu'il soit paré
De trois ou quatre rangs de passement doré.
Mais mon pouvoir s'estend encor plus sur les femmes,
Soit bourgeoises ou bien damoiselles ou dames:
C'est moy seule qui fais leurs tresses et cheveux
Noüez, poudrez, frisez ainsi comme je veux:
Une dame ne peut jamais estre prisée
Si sa perruque n'est mignonnement frizée,
Si elle n'a son chef de poudre parfumé[342]
Et un millier de nœuds, qui çà, qui là semé
Par quatre, cinq ou six rangs, ou bien davantage,
Comme sa chevelure a plus ou moins d'estage,
Et qui n'a les cheveux aussi longs qu'il les faut;
Elle peut aisement reparer ce deffaut:
Il ne faut qu'acheter une perruque neuve[343];
Qui a de quoy payer facilement en treuve;
Mais c'est là la façon des dames: le soucy
Des bourgeoises n'est pas de se coiffer ainsi;
Leur soin est de chercher un velours par figure[344]
Ou un velours rosé qui serve de doublure
Aux chaperons de drapt que tousjours elles ont,
Et de bien ageancer le moule sur le front,
Luy face aux deux costez de mesure pareille
Lever la chevelure au dessus de l'oreille.
Aux dames je fais cas d'un visage fardé:
A la court aujourd'huy c'est le plus regardé,
Car, quand bien elle auroit une fort belle face,
Si elle n'est pas fardée elle n'a pas de grace,
Et principalement le doit-elle estre alors
Que la ride commence à luy siller le corps,
Et que de jour en jour une blanche argenture
Va se peslemeslant dedans sa chevelure:
Car c'est alors qu'il faut faire mentir le temps
Pour se faire honnorer comme en ses jeunes ans;
C'est lors qu'il est besoin se servir d'artifices
Afin de rabiller les ordinaires vices
Que la triste vieillesse ameine pour recors
Aussi tost qu'elle vient se saisir de nos corps.
Aussi faut-il, durant le temps de son jeune aage
Soigneusement garder le teint de son visage;
Il faut tousjours avoir le masque[345] sur les yeux,
De peur que peu à peu le clair flambeau des cieux
De ses traits eslancez ne bazanne la face,
Où de la femme gist la principalle grace:
Car ny les longs cheveux de son chef blondissant,
Ni de son large sein le tetin bondissant,
Ny les luisans esclairs de sa plaisante veüe
Ny son gentil maintien, ny sa forme meneüe,
Ne peuvent pas la rendre excellente en beauté
Si elle a sur le front de la difformité.
Mais je veux maintenant te dire en quelle sorte
Une galante femme en habits se comporte:
Il luy faut des carquans, chaisnes et bracelets,
Diamans, affiquets[346] et montans de colets,
Pour charger un mulet, et voires davantage,
Dont on pourroit avoir aisement un village;
Et telle bien souvent porte ces ornemens
Qui n'aura pas cinq sols de rente tous les ans.
Encor cela est-il aux dames tolerable;
Mais la bourgeoise fait maintenant le semblable,
Qui ose bien porter des diamans au doigt
Qui cousteront cent francs, que peut-estre elle doit,
Et ayme mieux payer tous les ans une rente
Que n'avoir pas au col une chaisne pendante,
Qu'elle acheptera plus beaucoup que ne vaut pas
Ce que luy a laissé son père à son trespas.
Encore n'est-ce rien si elle n'a sur elle
Coliers et bracelets comme la damoiselle,
Et ne porte cent mille autres tels ornemens,
Toy-mesme tu peux bien cognoistre si je mens,
Qui ne sont en effect qu'une vaine despence,
Qui donne clairement preuve de ma puissance.
Et quand bien elle aura cela, ce n'est pas tout:
Sa vaine ambition n'est pas encore au bout;
Il luy faut des rabas de la sorte que celles
Qui sont de cinq ou six villages damoiselles,
Cinq colets de dentelle haute de demy-pié[347],
L'un sur l'autre montez, qui ne vont qu'à moitié
De celuy de dessus, car elle n'est pas leste
Si le premier ne passe une paulme la teste;
Elle a pour ses rabas ses fraizes eschangé,
Dont elle avoit jadis tousjours le col chargé
Quand elle desiroit avoir belle apparence,
Ou à quelque festin, ou bien à quelque dance;
Et lors il n'y avoit que celles qui estoient
D'une condition honneste qui portoient
Deux colets joincts ensemble avec doubles dentelles,
Et les estimoit-on à demy damoiselles.
L'on ne parloit alors sinon de celles-là
Qui avoient à l'entour du col ces colets-là.
Les voilà maintenant laissez aux artisannes,
Et je croy que bien tost aux pauvres paysannes
La volonté viendra de s'en servir aussi,
Et d'en couvrir leur col de halle tout noircy.
La femme du bourgeois, qui aime l'inconstance
Pour le moins tout autant que la dame de France,
Pour se couvrir le sein la façon a appris
D'user de points couppez ou ouvrages de pris,
Et non d'avoir le haut de la robe fermée
Comme elle avoit jadis de faire accoustumée,
Et comme font encor beaucoup de nations,
Où je ne fais pas tant qu'icy d'inventions;
Mais les dames, au moins pour la pluspart, n'ont cure
D'avoir en cest endroit aucune couverture:
Elles aiment bien mieux avoir le sein ouvert
Et plus de la moitié du tetin descouvert[348].
Elles aiment bien mieux de leur blanche poitrine
Faire paroistre à nud la candeur albastrine,
D'où elles tirent plus de traits luxurieux
Cent et cent mille fois qu'elles ne font des yeux.
Des rebras enrichis d'une haute dentelle,
La bourgeoise s'en sert comme la damoiselle;
Mais ceux qui ne vont point jusqu'à moitié du bras
De la dame de court bien venus ne sont pas.
Aux robes le taftas a perdu son usage
Envers celles qui sont de noble parentage.
Il leur faut le satin ou velours figuré,
Autour des aislerons[349] force bouton doré[350],
La manche detaillée à grande chiquetade;
Le taftas seulement sert dessous de parade,
Voires le plus souvent les robes de satin
Qui sont de couleur rouge ou bien d'incarnadin
Des damoiselles sont les plus chères tenues,
Et dont journellement on les voit revestues.
La robe de taftas a prins d'ailleurs son cours:
La bourgeoise s'en sert maintenant tous les jours;
Encore, quand il est question d'être leste
A quelque mariage ou bien à quelque feste,
Elle ose bien porter la robe de damas,
Qui pour se faire voir n'aguères n'avoit pas
Rien que robes de drap, ou bien robes de sarges,
Avec queuë par bas pendante et manches larges:
Car aux robes alors hautes manches portoient
Seulement celles qui de noble race estoient;
Mesmes lors le burail[351] estoit très rare chose,
Et le turc camelot, dont la bourgeoise n'ose
En faire maintenant sa robe seulement
Qui de son coffre soit le pire habillement.
Le grand vertugadin[352] est commun aux Françoises,
Dont usent maintenant librement les bourgeoises,
Tout de mesme que font les dames, si ce n'est
Qu'avec un plus petit la bourgeoise paroist:
Car une dame n'est pas bien accommodée
Si son vertugadin n'est large une coudée.
Les cottes de taftas ont beaucoup de credit;
La bourgeoise s'en sert, sans aucun contredit,
Aussi communement qu'elle faisoit naguère
De drap et camelot, son estoffe ordinaire:
Car jadis celles qui damoiselles n'estoient
Aux cottes ny taftas ny damas ne portoient.
Le burail estoit lors l'estoffe plus commune
A celles qui avoient à leur gré la fortune;
Mais desjà, quand je dis commune, je n'entends
Dire l'estoffe dont elle usoit en tout temps.
Non, ce n'est pas ainsi comme je le veux prendre,
C'est mon intention autrement de l'entendre:
Je dis les cotillons qui plus en vogue estoient,
Et lesquels seulement les plus riches portoient,
Au lieu du taffetas dont à present chacune,
Soit qu'elle ait favorable ou contraire fortune,
Orgueilleuse se sert, enrichy bravement,
A l'entour, de six rangs de large passement,
Voire, mais du damas que j'avois en mon ame
Designé de garder pour l'habit de la dame,
Qui est contrainte avoir la robe de velours,
Et d'autres de damas et de taftas dessous,
Des bourgeoises en ce seulement dissemblable,
Jaçoit bien qu'elle porte une estoffe semblable,
Pour une cotte qu'a la femme du bourgeois,
La dame en a sur soy l'une sur l'autre trois,
Que toutes elle fait esgalement paroistre,
Et par là se fait plus que bourgeoise cognoistre.
A leur bas l'une et l'autre aime fort l'incarna,
La bourgeoise l'estame, et si la dame n'a
Sur les jambes la soye, elle n'est pas parée,
Bien qu'au reste elle fust richement accoustrée.
Les bourgeoises non plus que les dames ne vont
Nulle part maintenant qu'avec souliers à pont[353]
Qui aye aux deux costez une longue ouverture
Pour faire voir leurs bas, et dessus, pour parure,
Un beau cordon de soye, en nœuds d'amour lié,
Qui couvre du soulier presques une moitié.
Tout ordinairement prennent les damoiselles
L'echarpe de taftas pour paroistre plus belles;
La bourgeoise s'en sert tant seulement aux champs,
Soit hiver, soit esté, soit automne ou printemps;
Mesmes quand elle va dedans quelque village,
D'un masque elle ose bien se couvrir le visage,
Mais que fais-je? j'oublie à dire le plus beau:
Mets-je pas sur le dos des dames le manteau
Tout fourré par dedans, quand la froide gelée
Arreste les sillons de la liqueur salée?
Ne fay-je pas aussi les enfans des bourgeois
Aussi braves que ceux des princes et des rois,
Chargez de carquans d'or, et autour de leurs testes,
Pleins d'ornemens perleux qu'ils nomment serre-testes[354],
Avec accoustremens du moins de taffetas,
Bien souvent de velours ou d'un riche damas?
Leur fay-je pas tousjours pendre au bas des aureilles
Quelques perles de prix ou bien choses pareilles?
La chaisne d'or au col[355], aux mains les bracelets,
Au doigt les diamans, au front les affiquets,
Et autres tels fatras qui valent davantage
Que tout le revenu du bien de leur mesnage;
Mais je ne monstre pas seulement ma vertu
Aux façons des habits dont on est revestu:
C'est moy seule qui fais desguiser leur parole.
On a beau consommer tout son temps à l'ecolle,
Il faut, quiconque veut estre mignon de court,
Gouverner son langage à la mode qui court;
Qui ne prononce pas il diset, chouse, vandre,
Parest, contantemans[356], fut-il un Alexandre,
S'il hante quelquefois avec un courtisan,
Sans doute qu'on dira que c'est un paysan,
Et qui veut se servir du françois ordinaire,
Quand il voudra parler sera contraint se taire.
Qui peut trouver un mot qui n'est pas usité
Est attentivement de chacun escouté,
Et celuy qui peut mieux desguiser son langage
Est aujourd'huy partout estimé le plus sage,
Encore qu'il ne soit autre qu'un jeune sot,
Qui de latin ny grec n'ait veu jamais un mot,
Qui n'ait jamais rien fait que tenir des requestes,
Hanter les cabarets et faire force debtes.
Et si quelqu'un prononce ainsi comme il escript,
Quand de France il seroit le plus galand esprit,
Qui auroit employé sa jeunesse à apprendre,
Sans s'exercer à rien dont on l'ait peu reprendre,
Il sera bafoüé de quelque jeune veau
Qui ne prisera rien que ce qui est nouveau.
Bref, il faut observer, qui veut paroistre en France,
Au parler aussi bien qu'aux habits l'inconstance.
Mais pendant que je vay discourant avec toy,
La court pour mon absence est en un grand esmoy.
A Dieu! je m'en vay voir s'il faut que je reforme
Quelque chose aux habits qui paroisse difforme;
Je voy les courtisans desjà las de porter
Les façons que je viens de te representer.
Les passemens dorez reviendront en lumière;
Je m'en vay les remettre en leur vogue première.
Les marchands se faschoient de voir si longuement
Demeurer dans leur coffre un si beau passement:
Il faut les contenter, et que ceste richesse
Serve de parement à toute la noblesse.
Si tost que ceste dame eust cessé de parler,
Soudain s'esvanouit comme fait un esclair,
Et moy, tout estonné, plus longtemps ne sejourne;
Mais dedans ma maison soudain je m'en retourne,
Jugeant bien à par moy que c'estoit verité
De ce qu'elle m'avoit jusqu'icy recité[357].


Pasquil de la Court pour apprendre à discourir.

O vous, dames et damoiselles,
Qui desirez passer pour belles,
Et que sur vous on ait les yeux
Comme dessus les demy-dieux,
Si vous voulez, quoy que l'on gronde,
Apprendre le trictrac du monde
Et y vivre morallement
Sans fausser loy ne parlement,
C'est pour discourir à la mode,
Sans le Digeste et sans le Code;
Et puis, quand vous sçaurez parler,
Pour proprement vous habiller,
C'est une façon très nouvelle
Apportée de la Rochelle
Et reformée plusieurs fois
Par la marquise de Vallois.
A vous seule je la dedie
Avecque mon cœur et ma vie;
Vous la verrez, par cest escrit,
Digne de vostre bel esprit.
Lisez-le d'aussi bon courage
Que je vous le rends pour hommage.
Il faut doncques, en premier lieu,
Apprendre à bien parler de Dieu;
Et, bien que l'on n'y sçache notte,
Si faut-il faire la devoste,
Porter le cordon sainct François[358],
Communier à chasque mois,
Admirer tout, tout veoir, tout faire,
Aller à vespre à l'Oratoire[359],
Sçavoir où sont les stations,
Que c'est que meditation,
Visiter l'ordre Saincte-Ursule[360],
Cognoistre le père Berulle[361],
Luy parler de devotion,
Des sœurs de l'Incarnation,
Participer à son extase,
Aller voir le père Athanase,
La marquise de Menelé[362],
Jeusner en temps de jubilé,
Sçavoir où sont les quarante heures[363],
Ne veoir aucun sans controller.
Ses mœurs, sa façon de parler,
Se reserver pour sa conduicte
Père Chaillou, un jesuiste;
Aller conferer avec eux
Chasque journée une heure ou deux,
Avoir des tantes et cousines
Dans le convent des Carmelines[364]
Pour aller joüer en esté;
Veoir madame de Breauté[365],
Amasser force grains de Rome,
Avoir veu de près le sainct homme[366],
Garder de sa robbe un morceau
Pour enchasser en un tableau,
Parler des cas de consciences,
Selon qu'on voit les occurrences,
Appeller tousjours à garand
Arnoux, Granger et Seguerand[367],
Raconis[368], le petit minime;
Discourir un peu de la rime,
Et, si l'esprit n'est trop fasché,
Songer aux amours de Psiché;
Mettre un petit de sa science
A bien faire la reverance
A la Bocane[369] et la Dupont[370],
Ainsi que les autres la font;
Et puis, pour ornement de teste,
Fussiez-vous une grosse beste,
Il faut faire tenir l'iris[371]
Sur le poil noir ou sur le gris,
Et pour cela sur la toilette
Avoir tousjours la boistelette,
Plaine de goume[372] de jasmin;
Visiter madame Gamin[373]
Avecque la coiffe bessée,
La veue demi renversée,
Vous fourer dans son amitié,
Entendre d'elle avec pitié,
Et croire que la romanesque,
Le corps mort du comte de Fiesque,
Peut rendre aux aveugles les yeux
Et la jambe droicte aux boiteux,
Tout ainsi que faisoient les autres
Qui estoient du temps des apostres.
Si on veut la mode imiter,
Il faut pour habit inventer
Se coiffer à la culebutte[374],
Relever ses tetons en butte,
Encore qu'ils fussent pendans,
Ou par l'aage ou par accidens;
Que si l'on a les dents gastées,
Faut les pommades frequentées,
L'opiate, le romarin,
Que l'on trouve chez Tabarin;
Faire de la petite bouche,
Sçavoir friser à l'escarmouche,
Avoir la poincte sur le front,
Qui ne s'estonne d'un affront
Si par hazard quelqu'un arrive,
L'emplastre paroistre excessive,
Puis que l'artifice aujourd'huy
A mis le naturel sous luy;
Faire des sourcils en arcade,
Les moustaches à l'estocade,
Et puis des yeux à l'assassin,
Pour faire naistre le destin,
Et, pour prendre l'amour par l'esle,
Mettre la mouche en sentinelle[375]
Sur un teint poly et bien net;
Avoir gands à la Cadenet,
Ou à la Philis tant aymable,
Le mouchoir à la conestable,
Et la chesne d'un bleu mourant
Qui tue le cœur de l'amant;
Des perles grosses à la Branthe[376],
D'une blancheur très excellente,
A la Guimbarde le collet[377],
De la vraye croix au chapelet,
Du point couppé à la chemise
Pour parer celle qui l'a mise,
Et pour plus grande gayeté
La robbe à la commodité,
Si ce n'est que pour prendre l'aise
On laisse en arrière la fraise.
Il faut sçavoir s'accommoder,
Aux saisons et leur commander:
En hiver il faut la ratine[378],
En esté celle de la Chine,
Et le soulier à la Choisy,
De satin bleu ou cramoisy,
Avecques les bas de fiamette[379],
L'or esmaillé à l'esguillette.
Après, il faut de la maison
Retirer quelque salisson
Pour en former une servante,
Qui fera de la suffisante
Quand son collet sera bien mis;
Luy monstrer qui sont ses amis
Qui sont esprouvez à la touche[380],
Et qui sçache, pour tout discours,
Redire cent fois tous les jours:
Asseurement, En conscience;
Qui responde quand on la tance,
Et qui puisse dire: Il est vray;
Ma foy, Madame, je le croy.
Bref, ce sera la damoiselle
Qui aura lavé la vaisselle.
Plus faut un carosse nouveau,
D'escarlatte ou de drap du sceau[381],
Avec le cocher à moustache,
Orné de son petit panache.
Laisser reposer le velour
Pour s'aller reposer en cour,
Et, pour le faire mieux paroistre,
Luy faut rehausser la fenestre,
Après avoir tout son galant
Qui contreface le vaillant,
Encor que jamais son espée
N'ait esté dans le sang trempée,
Et qu'il n'ait jamais veu Sainct-Jean[382]
La Rochelle ny Montauban;
S'il en discourt, sont ses oreilles
Qui luy ont appris les merveilles.
Voilà, pour le vous faire court,
La vraye Mode de la court.

Les estranges tromperies de quelques Charlatans nouvellement arrivez à Paris (histoire plaisante et necessaire à toutes personnes pour s'en garantir), descouvertes aux despens d'un plaideur[383], par C. F. Duppé.

A Paris, chez Robert Daufresne, rue S. Jacques, au Petit Jesus.

M.DC.XXIII. In-8.

Je ne croy pas que, de tous les proverbes qui ont jamais esté inventez par les hommes, il y en aye un plus veritable que celuy qui dit:

Heureux celuy qui, pour devenir sage,
Au mal d'autruy fait son aprentissage!

Mais aussi croy-je que celuy que je vay faire et inventer, estant très asseuré, treuvera son passeport parmi ceux qui ont faict des leçons de sagesse à leurs despens.

Je dy donc que

Malheureux est celuy qui fait les autres sages,
Enseignant des leçons par son mauvais mesnage.

Ce que je prouve par ce discours:

Sçachez donc, mes frères plaideurs (espèce infinie d'hommes distinguée du genre suprême des autres par la difference accidentelle de nos procez), qu'estant arrivé il y a environ trois sepmaines de mon païs en cette ville (ventre affamé de nostre argent) pour y poursuivre et solliciter quelques procez, comme vous faites, je fis premierement rencontre d'une hostesse, laquelle, outre le grand argent qu'elle tiroit de mon giste, ferroit la mule sur tout ce qu'elle m'acheptoit. Sur cela je pensay à par-moy: Puisqu'on te vole visiblement l'argent mesme que tu portes sur toy, et que tu mets entre leurs mains, que fera-t'on de celuy que tu laisses en un buffet dedans ta chambre, duquel on peut avoir deux clefs? Je me resolus donc à porter tout mon balot sur moy, joinct aussi qu'il falloit souvent mettre la main à la bourse pour estre amy de mes advocats, procureurs, clercs, copistes, etc.

Comme donc un jour, estant quasi estouffé de la poussière de la salle du Palais, je pensois prendre de l'air sur le Pont-Neuf, et aprendre quelques nouvelles de ce temps, j'en appris, à la verité, de bien nouvelles pour moy, bien que mon aage, qui excède soixante ans, et la longue experience des affaires du monde, me deust, à vostre advis, avoir fait sçavant de ce que je ne sçavois pas. Mais aussi croyez qu'au temps passé et aux lieux où je fay mon séjour ordinaire on use d'une plus grande franchise et sincerité. Comme donc je fus un peu au delà de la maison qui est sur la rivière (je croy qu'on l'appelle Seurmitaine[384]), deux hommes me vindrent aborder, l'un desquels commence à me dire: Mousseur, ce pistole n'est y pas bon? Je regarday la pistole et dis qu'elle estoit bonne. Ce drole me dit: Moy la baille à Mousseur pour mener o logis de moy, Polonnois, et perdu le truchement mien; moy logé à trois petits bestes blanches. Je croy qu'il vouloit dire: Aux trois pigeons blancs. Son compagnon ne faisoit pas semblant de rien, et monstroit vouloir vistement mener l'estranger en son logis, lorsque ce franc Polonnois me tira à part et me dit en son jargon qu'il me bailleroit une pistole si je le voulois aider à conduire, parce qu'il n'avoit pas beaucoup de fiance à celuy qui le menoit, et qu'il avoit ouy dire que dans Paris il y avoit force charlatans et trompeurs (il le sçavoit bien, car il estoit du nombre); qu'il craignoit que celui-cy, au lieu de le bien conduire, ne le menast en quelque lieu pour le devaliser et oster ses pistoles; et en disant cela tira de ses pochettes ses pleines mains d'or (ce qui m'a consolé lorsque depuis j'y ay pensé, disant que je ne suis pas seul et premier duppé). Ce pauvre estranger me fit quelque pitié, joint aussi qu'il se disoit estre malade, car il en avoit assez la mine, à cause de sa couleur blesme, et qu'un petit garçon l'avoit trompé et emporté un quart d'escu qu'il luy avoit baillé pour se faire conduire à son logis. Moy qui, en mon jeune aage, avois couru le païs, et qui sçavois la peine qu'il y a de se voir parmy des gens inconnus, fus tout aussitost esmeu de compassion, et, me laissant emporter à ses prières, je me mis en chemin pour le conduire. En marchant il me contoit la fidelité qu'en son païs on gardoit aux estrangers, et que c'estoit une grande œuvre de charité d'oster un homme des mains des voleurs et de le remettre en son chemin et lieu de seureté. Bref, tous ses discours m'excitoient à commiseration. Or, voicy, comme il se vit proche d'un cabaret, qu'ils avoient, à mon advis, atitré, il commence à dire que le cœur luy faisoit mal, qu'il n'avoit plus la force de se soustenir, et qu'une foiblesse l'avoit pris, et, se jectant sur moy, me supplia de ne l'abandonner point. Je fus en grande peine et tout estonné. Son compagnon, ou plustost le mien pour lors, car il m'aidoit à le conduire, qui estoit le medecin ordinaire d'une telle maladie, luy dit: Monsieur, il vous faut icy reposer dans ce cabaret et prendre un doigt de vin, cela vous passera. Le Polonnois feignoit d'avoir perdu la parole et ne respondoit point. Le compagnon me dit: De peur qu'il n'y tombe entre nos mains, menons-le dans ce cabaret. Ce que nous fismes, et entrasmes dans une petite chambre. Tout aussitost que nous fusmes dedans, le Polonnois s'appuye sur les coudes et dit que la teste lui faisoit mal. Son compagnon, qui entendoit le pair et la prèze[385], luy dit: Monsieur, c'est qu'il nous faut resjouyr, chanter, boire un doigt et prendre quelque recreation; cela ne sera rien: ce n'est que le changement d'air qui vous cause ceste douleur. Enfin, ces deux droles joüoient si bien leurs personnages que je n'y recognoissois rien de mauvais. Croy que plus fin que moy y eust esté trompé. On nous allume donc du feu; on mit du vin sur un bout de table, des cartes sur une autre. Nous luy presentons à boire et luy baillons courage. Ses esprits luy reviennent; il nous remercie fort honnestement de la peine que nous avions pris pour luy, disant que veritablement sans nous il fust mort; et en revanche il dit qu'il nous vouloit faire boire. Les discours que nous eusmes en beuvant seroient trop longs à raconter. (O! que je payerai bien tantost mon escot!) Après donc que nous eusmes beu, il prit les cartes, et dit qu'il vouloit monstrer un jeu auquel il avoit depuis peu perdu cinquante-cinq pistoles; mais il croyoit que c'estoit contre un magicien: car autrement il ne pouvoit pas perdre, et qu'il sçavoit bien le jeu. Aussi vrayment l'entendoient-ils bien tous deux; mais je ne l'entendois pas. Le Polonnois donc, ayant fait trois piles ou monceaux de cartes, nous fit regarder la carte du dessus du premier monceau, puis il nous monstra celle de dessous du second monceau, et nous fit mettre ce second monceau sur le premier; par ainsi la carte que nous avions veu la seconde estoit sur celle que nous avions veu la première. Il appelloit ceste seconde l'horloge. En troisiesme lieu, il nous donnoit une carte du troisiesme monceau, et la faisoit mettre où on vouloit dans le jeu. Or, cela estant fait, il disoit que la première carte ne se trouveroit point après la seconde, qui estoit l'orloge, et que neantmoins ce magicien la faisoit tousjours trouver, et luy gaigna beaucoup d'argent. Mon compagnon de conduite, mais non pas de fortune, dit qu'il comprenoit bien le jeu et qu'il y joüeroit un escu si monsieur le Polonnois vouloit. Le Polonnois, qui ne demandoit pas mieux, accepta ceste offre. Ils commencèrent donc à joüer, et moy à les regarder et à apprendre le jeu, ce que je fis incontinent, à cause de sa grande facilité, bien que je n'eusse jamais joué aux cartes. Tout aussi-tost donc que j'en eus la cognoissance, je vay plaindre la fortune de ce pauvre estranger, pensant à par moy qu'il perdroit tout son argent à ce jeu, et croyois qu'il estoit yvre ou insensé, et avois compassion de sa folie[386]. Sur ces entrefaites, deux hommes qui estoient de leur caballe entrèrent dedans la chambre, et avec nostre permission s'approchèrent fort courtoisement de la table et du feu, faisant semblant de ne se point recognoistre. O! qu'ils joüèrent bien tous leurs personnages! Comme ceux-cy eurent veu jouer une partie ou deux, ils dirent au Polonnois: Monsieur, nous vous conseillons de ne pas jouer davantage, car vous perdriez tout vostre bien à ce jeu-là. Je croyois, ayant ouy cela, qu'ils s'estoient emeus de la mesme compassion que moy, et fus bien aise de ce qu'ils avoient dit, car je ne l'osois dire. Neantmoins l'estranger françois disoit qu'il sçavoit bien le jeu, et qu'il y joüeroit trente pistoles, car il estoit picqué. Mon compagnon, qui avoit demeuré long-temps sans me rien dire, commença à me parler en cette sorte, cependant que l'estranger parloit aux deux survenus: Si j'avois assez d'argent pour joüer tout cela, je le joüerois: car vous voyez combien je suis asseuré de gaigner; mais si vous voulez en mettre la moitié, j'iray vistement emprunter d'un de mes amis, qui demeure là devant, ce qui me manque pour faire une telle somme; il fera bon porter chacun un habit aux despens du Polonnois. Les deux survenus s'offroient à estre de moitié. Moi, voyant que, puisque cet estranger estoit resolu à joüer, il valoit autant que j'eusse son argent comme les autres, je dis que je mettrois au jeu tout ce que j'aurois. Incontinent mon compagnon sort de la chambre et faict semblant d'aller emprunter de l'argent, pour couvrir leur meschanceté. Cependant je foüille en un petit recoin de ma pochète, et descouds un petit sachet dans lequel estoient bien vingt escus. Mon compagnon, estant venu, jette sur la table quinze pistoles pour sa part, et moy je dis que je n'avois que vingt escus. Le Polonnois, après avoir fait quelque difficulté de jouer si peu, consentit qu'on ne joüeroit que quarante escus de part et d'autre. Il conte donc ses quarante escus et les met dans un mouchoir, et nous fait mettre nostre argent dans un autre. C'estoit afin de l'emporter plus aisement. Cela fait, mon compagnon me dit: Or sus, prenez les cartes, vous joüerez aussi bien que moy: car nous sommes asseurez de gaigner. Moy, qui pensois ne pouvoir perdre, pris le jeu, et, l'ayant divisé en trois et veu la première carte, je regarday la seconde, qui estoit l'orloge, c'est-à-dire que lorsqu'elle viendroit elle me signifieroit que la première ensuiviroit; et, afin de ne l'oublier pas, je la regarday plus de trois fois. Mon compagnon me dit: Monstrez-moy l'orloge, que je le recognoisse, afin que quand il viendra je vous en advertisse. En disant cela il prit les cartes, et, feignant de regarder l'orloge, en mit une subtilement entre les deux, c'est à sçavoir entre l'orloge et la première, puis me rendit les cartes. Moy qui ne soupçonnois rien moins que cela, ne regarday pas après luy, et, ayant pris la troisiesme carte, je la mis bien au dessous de l'orloge, de peur qu'elle ne se trouvast entre les deux. Alors je commençay à tourner attentivement les cartes les unes après les autres, et frappois deux petits coups sur chacune, comme il falloit faire, en disant: Ce n'est pas celle-là, ce n'est pas celle-là, jusqu'à ce qu'ayant trouvé l'orloge, et mon compagnon m'ayant adverty, je dis: C'est celle-là, c'est celle-là: car j'en pensois estre bien asseuré. Mais l'orloge fut bien menteur, car au lieu de sonner une heure il en sonna cinq; d'autant que, pour un as de cœur que je devois trouver, je rencontray un cinq de carreau. Je vous laisse à penser si la sueur me monta au visage! Je demeuray aussi muet et fixe qu'une statuë de sel. Le Polonnois, au contraire, se leva de dessus son siége, prit les deux mouchoirs, fut guery, et trouva bien le chemin de son logis sans le demander. Ce ne fut pas tout: mon compagnon commence à crier contre moy, et dire que je luy avois fait perdre son argent; qu'au lieu de mettre la troisiesme carte au dessous des autres, je l'avois lardée entre les deux (car la troisiesme carte estoit aussi un cinq de carreau). Neantmoins il me fit plus de peur que de mal, car il gaigna tout aussi-tost la porte avec les autres, et je restay seul, estonné comme un fondeur de cloches[387], ayant perdu le bon droict de mes procez et toute ma sepmaine par un samedy. A la sortie du cabaret, je pensois conter mon infortune à quelqu'un de mes amis, mais ils se gaussèrent de moy, et me dirent que je n'estois pas le premier pris, que quelques uns estaient attrapez aux merelles, d'autres au filou[388], d'autres aux gobelets, d'autres aux dez, et beaucoup d'autres jeux que je vous conseille de fuyr, et ne practiquer qu'avec gens de cognoissance. Pour conclusion, la misère et fascherie où ceste perte m'a reduit m'ont fait avoir pitié et compassion de tous les vrays estrangers qui viennent en ceste ville, principalement de vous, mes confrères plaideurs, occasion de quoy je vous ay voulu addresser ce discours pour vous faire riches de ma pauvreté et sçavans de mon ignorance.

Fin.

La Pièce de cabinet, dédiée aux poètes du temps.

A Paris, chez Jean Pasle, au Palais, à l'entrée de la salle Dauphine, à la Pomme d'or couronnée.

M. DC. XLVIII.

Avec permission. In-4.


A Messieurs les Poètes.

Messieurs,

Cette pièce de cabinet ne s'estime pas indigne de l'entrée des vôtres, et pretend quelque place parmy les curiositez d'esprit dont ils sont enrichis. C'est une bouteille qui parle et qui raisonne, estant pleine de ce qui fait faire raison à la santé des plus grands princes d'une manière bien plus douce que leurs canons, que l'on nomme leur dernière raison, ne la font faire à leur puissance; et, bien qu'elle ne parle qu'en gazouillant, elle ne laisse pas d'exprimer assez adroitement son origine, et les effects de la plus digne liqueur qui luy puisse acquerir de l'estime, s'en acquittant neantmoins un peu obscurement pour cacher ses mystères au vulgaire indiscret, qui a coustume de les profaner. Elle merite singulièrement d'estre considerée, lorsque, comme une autre Semelé, elle porte dans ses flancs ce gentil dieu de la joye et de la liberté, dont il a tiré son nom, à qui les plus sevères Catons n'ont pas refusé leurs hommages, quand ils vouloient delasser leur esprit du soin des affaires publiques, ou du chagrin d'une trop profonde meditation. Elle n'a que des charmes innocens pour les honestes gens qui en usent de mesme, et n'est pas complice des excez que commettent les brutaux quand ils abusent de ses dons, que l'on compte entre les principaux lenitifs des misères humaines. L'auteur de cette pièce, qui ne vous est pas inconnu, se promet tant de vos bontez, qu'il s'asseure que l'adresse qu'il vous en fait ne vous sera pas desplaisante, et que vous agreerez la veneration qu'il voüe à vos belles qualitez par celle qu'il prend,

Messieurs,

De vostre très humble et très
obeyssant serviteur,

Carneau[389].


La Pièce de cabinet.

Stances énigmatiques.

Vous qui par le nectar de vos doctes merveilles
Adoucissez le fiel des plus fascheux ennuis,
Prenez le passe-temps d'entendre qui je suis,
Et prestez à ces vers le cœur et les oreilles.

Je nais d'un fort brasier et d'un soufle traitable,
Et j'enfante sans peine un fruit qui tient du feu,
Qui par de vifs attraits s'acquiert un doux aveu,
Pour forcer le donjon de l'ame raisonnable.

J'ay fort peu de beauté, quoy qu'on me treuve belle,
N'ayant rien que le ventre, et la bouche, et le cou;
Toutesfois mon amour rend tant de monde fou,
Qu'aux plus paisibles lieux il sème la querelle.

Pour sauver des dangers le tresor que je porte,
Un art industrieux m'arme jusqu'au gosier;
Une belle tissure, ou de jonc ou d'osier,
Compose mes habits de différente sorte.

L'on me void jusqu'au cœur quand je suis toute nue,
Et l'œil qui me regarde en moy-mesme se peint;
Mais, si dans cet estat quelque estourdy m'atteint,
Souvent du moindre choc il me brise et me tue.

Je me plais neantmoins où je suis harcelée,
M'y voyant à la fin tout le monde soumis.
Ceux que je mets à bas sont mes meilleurs amis,
Et parfois nous tombons ensemble en la meslée.

Chez eux souvent je meurs, souvent je ressuscite,
Perdant cent fois mon sang, le recouvrant cent fois;
En me caressant trop on se met aux abois,
Et plus je fais de mal, d'autant plus on m'excite.

Je sçay, comme Circé, l'art de metamorphose
Pour transformer l'esprit de tous mes courtisans,
Les rendant furieux, ou brutaux, ou plaisans,
Selon que le climat ou l'humeur les dispose.

J'anime l'eloquence, et n'en suis pas pourveue:
Si l'on m'entend parler, ce n'est qu'en vomissant;
Mes trop frequens baisers rendent l'homme impuissant,
Et font errer ses pas en egarant sa veue.

D'une humeur sans pareille un dieu m'emplit le ventre,
Le teignant tour à tour des aimables couleurs
De la rose et du lys, les plus belles des fleurs,
Et le rouge et le blanc sont chez moy dans leur centre.

Le pauvre, me tenant quand je suis ainsi pleine,
Ne porte point d'envie aux tresors de Crœsus,
Et, traisnant des souliers et des bas descousus,
Il marche avec orgueil comme un grand capitaine.

Avec mon elixir le plus lasche courage
Triomphe quelquesfois des plus braves guerriers;
J'ay des foudres pour nuire aux plus dignes lauriers,
Et pour faire un affront à leur illustre ombrage.

Sans moy, ce dieu fougueux qui preside à la guerre
Verroit ses gens sans cœur errans à l'abandon,
Et ce doux assassin qu'on nomme Cupidon
Verroit ses traits sans moy plus fresles que du verre.

On void fort peu la joye aux lieux d'où je m'absente,
Et l'on void la sagesse où je n'excède pas;
Je preste à celle-cy quelquesfois des appas,
Animant ses raisons d'une emphase puissante.

Caton, à ce qu'on dit, recherchant quelque pointe
Pour attirer les cœurs à suivre ses discours,
La faisoit mieux paroistre et de mise et de cours
Quand ma bouche s'estoit à la sienne conjoincte[390].

Je me fais estimer la dixiesme des Muses,
Polissant les esprits sans beaucoup de façons;
Et les moindres bergers font admirer leurs sons
Quand mon enthousiasme enfle leurs cornemuses.

Je montre au plus grossiers une amitié prodigue;
M'admettant à leur table, ils joüissent de moy;
Là je leur fais mesler tout à la bonne foy
Aux gazettes du temps cent contes de la Ligue.

Je leur fais estaler d'une grace authentique
Les guerres du passé, les siéges du present,
Et leur fais penetrer, en les subtilisant,
Les desseins du futur par esprit prophetique.

Mais les ingrats pour moy n'ont qu'une amitié feinte,
Puis qu'ayant espuisé mon sang et mes espris
Ils ne me voyent plus qu'avecques du mespris
Tant que d'un nouveau fruict je redevienne enceinte.

En effect, sans ce fruict je serois peu de chose,
Et n'aurois pas sujet de beaucoup me vanter;
Mesmes il pourroit bien dans mes flancs se gaster
Si l'on ne m'ordonnoit d'avoir la bouche close.

Je ne suis que la gaine où ce glaive liquide
Recèle sa valeur et cache sa beauté[391]:
Tant qu'il loge chez moy, j'ay de la vanité;
Lors qu'il en sort, je pleure, et deviens toute aride.

Je porte en le portant poison et medecine,
Selon que l'abus regne ou la discretion;
Debitant le remède et la corruption,
J'offense et je gueris la teste et la poitrine.

C'est par luy qu'on me loue et que l'on me caresse
Luy seul fait que mon nom est par tout reveré,
Et que tant de mortels, d'un accent alteré,
M'invoquent au besoin comme quelque deesse.

Le voyageur lassé, l'artisan hors d'haleine,
Et le soldat recreu[392] s'empressent pour m'avoir,
Sçachans que mon genie a l'excellent pouvoir
De resveiller la force et d'adoucir la peine.

S'il faut faire un marché, l'on veut que je m'en mesle;
S'il s'agit d'un contrat, j'en conduis les ressors;
Si parmi les plaideurs il se fait des accors,
Pour les mieux affermir il faut que je les scèle.

Le malade en son lict, où la fievre le mate
Et le tient attaché d'un vigoureux lien,
Souvent pour m'aborder rebute Galien,
Et prise plus mon nom que celuy d'Hipocrate.

Plusieurs, pour m'accueillir, me font des sacrifices
De langues, de jambons, de fromages pourris,
Où l'on n'oit que mots gras entremeslez de ris,
Et les plus doux encens n'y sont que des espices.

Tout ce que la debauche a pris pour ses amorces,
Ces fusils de la soif, ces ragousts parfumez,
Par qui les intestins sont enfin consumez,
Donnent à mes attraits de merveilleuses forces.

J'ay par tout du renom, hormis chez les infames
Dont l'orgueil s'est armé des cornes du croissant,
Qui, pour me tesmoigner un cœur mesconnoissant,
Sont traistres à leurs corps aussi bien qu'à leurs ames.

Je triomphe en ces jours qui rameinent les festes
De ce folastre Dieu que l'on feint deux fois né,
Qui, ne portant qu'un dard de pampre environné,
Fit voir aux Indiens ses premières conquestes.

Je n'ay pas moins d'honneur lors que la canicule,
Respandant ses brasiers jusqu'aux lieux plus secrets,
Fait que Diane sue aux plus fraisches forests,
Et craint que Cupidon, s'y glissant, ne la brûle.

Alors mes bons amis prennent beaucoup de peines
Pour eloigner de moy les rayons du soleil,
Et, pensans m'obliger d'un plaisir nonpareil,
Ils me font un beau lict du cristal des fonteines.

Flotant autour de moy, cet element m'agrée,
Mais je souffre à regret qu'il penetre au dedans,
Parce qu'il rompt la pointe à mes bouillons ardans,
Dont un cœur abatu s'eveille et se recrée.

Sa froideur, me privant de chaleur naturelle,
Prive mes nourrissons de mes riches douceurs,
Qui ravissent la gloire au ruisseau des neuf sœurs
En eschauffant l'esprit d'une fureur plus belle.

Mais, quand les intestins, debiles ou malades,
Se sentent menacez de quelques maux sanglans,
Pour moderer le dieu que je porte en mes flancs,
On me contraint par fois d'admettre les nayades.

Je ne sçaurois pourtant treuver bon ce meslange,
Aimant mieux tenir seul ce dieu, qui me cherit
Et fait qu'en tant de lieux tout le monde me rit,
Que tous les flots dorez du Pactole et du Gange.

Son odeur, preferable au doux parfum des roses,
Sçait donner à ma bouche un baume precieux,
Pour qui les dieux d'Ovide abandonnent les cieux,
Et font de meilleurs tours qu'en ses Metamorphoses.

Ils quittent le nectar que verse Ganymède,
Pour celuy que l'on gouste en mes baisers charmans;
Mesmes ce Jupiter, le plus chaud des amans,
Contre le mal d'amour cherche en moy du remède.

Apollon, degousté des liqueurs du Parnasse,
Qui n'eurent qu'un cheval pour premier eschanson,
M'appelle quand il fait quelque bonne chanson,
Et pour bien entonner ardemment il m'embrasse.

Cette eau de Castalie où l'on devient poète
N'inspire à ses poumons qu'un accent enrumé;
Mais quand il me courtise il se sent animé
D'un air qui rend sa voix plus divine et plus nette.

Les mignons de ce dieu font par moy des miracles
Et me doivent l'honneur de leurs plus beaux desseins;
Ma feconde vertu les produit par esseins,
Et mon gazouillement leur dicte des oracles.

C'est erreur de penser que dans la poesie
L'on puisse reussir à moins que de m'aymer;
Tous ceux que mes appas ne peuvent enflammer
N'ont jamais qu'une veine infertile et moisie.

Ce lyrique excellent de la muse romaine
Que Mecène appelloit le Pindare latin,
Eust-il pourveu ses vers d'un si fameux destin
Si ma douce fureur n'eust enrichy sa veine?

Sitost que son esprit sentoit la pituite
Offusquer tant soit peu ses nobles fonctions,
J'accourois au secours de ses conceptions,
Dont il m'attribuoit la gloire et le merite.

Fuyant la medecine et ses plus sçavans maistres,
Qui m'esloignoient de luy pour conserver ses yeux[393],
Il jugeoit leurs avis sots et pernicieux,
De nuire au bastiment pour sauver les fenestres[394].

Le copieux Ronsard, l'industrieux Jodele,
Le grave du Bellay, l'agreable Baïf,
Le tragique Garnier, et Belleau le naïf,
Me consultoient souvent comme oracle fidele.

Desportes m'invitoit à ses mignards ouvrages;
J'entretenois Bertaud dans ses divins élans,
Et, pour faire des vers plus forts et plus coulans,
Du Perron me mandoit par quelqu'un de ses pages.

Pour louer un vainqueur tout couvert de trophées,
Pour descrire un amant nageant dans les plaisirs,
Et pour sonder un cœur jusqu'aux moindres desirs,
Mon odeur seulement les rendoit des Orphées.

Malherbe fut après des premiers de la liste
De ceux que j'ay placez parmy les demi-dieux,
Et si je ne poussois mon charme dans ses yeuz,
Il n'en voyoit aucun dans les yeux de Caliste[395].

Racan, Maynard, Gombault, Saint-Amant, Theophile,
Corneille, Scudery, Tristan, Metel[396], Rotrou,
Ont plus puisé chez moy de tresors par un trou
Qu'Ilion n'en perdit cessant d'estre une ville.

Par moy Faret, Beys[397], Colletet, Bensserade,
Desmarets, Mareschal[398], Sainct-Alexis, du Rier,
L'Estoile, Maistre Adam, Robinet[399], Pelletier[400],
Avoisinent les cieux d'un autre air qu'Encelade.

Ce malade plaisant, dont la folastre verve
Dispute le laurier aux plus sages autheurs,
Cet aimable Scaron est de mes amateurs[401],
Et pour me courtiser il quitteroit Minerve.

Lysis, quoyque prelat, et Carneau, quoyque moine[402],
Lorsque leur veine cède à quelque infirmité,
Cherchent plustost en moy la perle de santé,
Qu'aux bouëtes de sené, de casse et d'antimoine.

Tous ces heros du temps, dont les rares genies
Tiennent ce que les arts ont de riche et de beau,
Ne pourroient pas sauver leurs œuvres du tombeau,
Si je ne gouvernois leurs doctes harmonies.

Je suis une des clefs du temple de Memoire;
Je l'ouvre aux bons esprits qui m'aiment sobrement,
Et le ferme aux bruteaux qui vivent salement,
Comblant ceux-cy de honte, et les autres de gloire.

Je declare la guerre à la melancolie,
Et fais lever le siege à ses illusions,
Pour remplir le cerveau de belles visions
Qui donnent de l'esclat à ma douce folie.

Que je suis obligée à cette illustre plante
Qui me fait renommer par son fruict savoureux,
Et que je veux de bien à ce pilote heureux
Qui logea tout le monde en sa maison flotante!

Ce vieillard fut prudent de le mettre en usage,
Descouvrant le secret d'en faire une liqueur,
Pour se vanger des maux d'un element vainqueur
Et dissiper l'ennuy d'un general naufrage.

Sans ce fruict, je serois ainsi qu'un corps sans ame,
Qu'une ame sans esprit, qu'un esprit sans raison,
Qu'un debile arbrisseau planté hors de saison,
Et qu'un fidele amant eloigné de sa dame.

C'est par luy que je règne et regis les puissances
De l'homme, qui se dit le roy des animaux;
Par luy je suis l'arbitre et des biens et des maux,
Des noises et des ris, des combats et des danses[403].


Sonnet sur le mesme sujet.

Quand, par un double effort d'adresse et de courage,
Promethée enleva du haut du firmament
Ce qu'avoit de plus pur le plus noble element
Afin de donner vie à sa nouvelle image,

Il vid proche d'un muid plein de fort bon breuvage
Bacchus, tout jeune encore, estendu plaisamment,
Assoupy de vapeurs, ronflant profondément,
Sans soucy des mortels et sans crainte d'outrage.

Luy, voyant qu'il pourroit, sans troubler son repos,
Le prendre adroitement, l'emporta sur son dos;
Et, pour luy preparer un sejour qui fust leste,

Il façonna mon corps comme un ciel portatif,
Clair, poly, transparent ainsi qu'un corps celeste,
Pour y garder chez luy cet illustre captif.

Priviléges et Reglemens de l'Archiconfrerie vulgairement dicte des Cervelles emouquées[404] ou des Ratiers.

Sans lieu ni date. In-8.


Les Capitouls, Consuls et Jurats[405] de l'archiconfrerie des Cervelles emouquées, ou Ratiers, s'estant assemblez au son du timble[406], suivant l'usage, le syndic d'icelle, surnommé Agoranome[407], mareschal des logis dans la compagnie des porte-ferule, a remontré à leurs seigneuries que le defaut de cognoissance des prerogatives et statuts de l'archiconfrerie estoit cause que plusieurs personnages qui ont toutes les dispositions requises pour y estre agregés, et mesmes talens propres à luy attirer de plus en plus l'admiration des sages, differoient de s'y enroler.

A quoy il importoit d'autant plus de pourvoir que, l'archiconfrerie ayant resolu de publier un catalogue exact de tous et un chacun ses suppots, avec des remarques en forme de glose ou commentaire sur leurs caractère et exploits particuliers, les sujets en question ne manqueroient point, à la vue du recueil des priviléges et reglements, de donner au plustost leurs noms et qualités.

Ledit syndic ayant laissé ses conclusions sur le bureau de Dom Cyclope, greffier en chef des Cervelles emouquées ou Ratiers, et la matière mise en deliberation, tout considéré, iceux Capitouls, Syndics et Jurats, après avoir applaudi au zèle dudit syndic Agoranome pour la propagation de l'Archiconfrerie, ont unanimement ordonné et ordonnent le recueil et publication desdits priviléges et reglements, à condition de n'y inserer que ceux que l'on voit authorisés et maintenus par l'exemple de quelqu'un des notables d'icelle archiconfrerie, et qu'au préalable l'original d'iceux soit omologué dans la chancellerie du père Aigremine, conservateur desdits priviléges, comme aussi que copies d'yceluy original, duement timbrées, soient portées aux bureaux ordinaires, et notamment rue des Agaches[408], des Gauguiers[409] et des Baudets à Sainct Andru[410], à la place des jongleurs, à la fontaine aux Moucrons[411], etc.

S'ensuivent les priviléges, tant communs que speciaux, de tous et un chacun des suppots de l'archiconfrerie des Cervelles emouquées ou Ratiers, et tout ensemble les reglemens jugez necessaires pour fortifier lesdites Cervelles contre tous abus, forfaitures et meschefs par lesquels elles pourroient deroger aux hauteurs et preeminences de l'archiconfrerie.

Prime.—Toutes Cervelles emouquées ou Ratiers ont, par especial, le privilege de la singularité du raisonnement, qui les garantit de la contusion de se voir jamais ravalés jusqu'au sens commun.

Item.—Icelle archiconfrerie a le droit de s'incorporer personnages de toute espèce, figure et profession, tant laïquale qu'ecclesiastique et monacale, ci: comme porte-robbes, porte-perucques, porte-estolle, porte-aulmusse, porte-sabots, porte-sandales, porte-corde, porte-capuce, porte-ferules et porte-barbe.

Item.—Nuls postulans ne peuvent estre admis qu'ils n'aient souffert toutes les eclipses de raison à ce suffisantes et pertinentes pour meriter le susdit privilège fondamental, à savoir la singularité du raisonnement.

Item.—Nul acte ecrit, avertissement ou autre pièce quelconque, ne sera approuvée par les superieurs et officiers majeurs de l'archiconfrerie s'il n'est original[412] ou timbré.

Item.—Tous suppots d'icelle ont privilége, ès jours de jeune et de carême, d'avaler hors du repas toute sorte de liquide, pourveu que toujours ils rejettent ce quy sera proposé de solide; et, advenant le cas qu'aucun y veuille contredire ou pratiquer le contraire, iceluy sera condamné au tribunal de l'archiconfrerie, comme fauteur d'une morale rigoureuse pour lui-mesme.

Item.—Indulgence en faveur de tout agregé ecclesiastique qui dit precipitamment son breviaire, et mesme la messe, pourveu qu'il lise gravement le Mercure et la Gazette[413].

Item.—Indulgence pour les maisons et communautés incorporées en icelle archiconfrerie qui jugeront de l'importance de leur estat et de la suffisance de leurs personnes par la grandeur de leurs robes, rabats et perruques, et regarderont comme vraie bienseance et gravité ce qui paroît à d'autres hauteur et pedenterie.

Item.—Indulgence pour tous religieux ou autres qui le matin, en vue de mieux passer la journée, seront attentifs à prendre l'eau bénite de l'archiconfrerie, c'est à savoir eau-de-vie, fenouillette[414], ratafiat, rossoly[415], etc.

Item.—Indulgence pour ceux et celles quy, à la place du Testament, liront avec foy le supplement de la Gazette de Hollande, comme l'evangile des archiconfrères.

Item.—Est permis aux eclesiastiques agregés de publier et debiter de faux brefs, sans crainte aucune de l'excommunication portée contre les falsificateurs de lettres apostoliques.

Item.—Droit de sauvegarde et protection en faveur d'iceux quy seroient grevés de la meme peine pour avoir sçu, en matière spirituelle, décliner les juges d'eglises nonobstant toutes bulles et decrets à ce contraires.

Item.—Droit de franchise pour tous ceux qui tiendront estaminets[416] et academies de jeu, surtout les dimanches et festes et pendant le service.

Item.—Indulgence au religieux confesseur quy, pour avoir l'œil sur sa devote, la menera le soir sous le bras à la promenade.

Item.—Indulgence pour tous ceux quy, n'estant en usage de chanter en leur eglise les louanges du Seigneur, chanteront sur le theatre celles de Bacchus ou autres divinités païennes, y feront sonner les violons et batront la mesure.

Item.—Indulgence en faveur des religieux quy, ne pouvant recevoir les honoraires pour la celebration de leurs messes, auront volonté respective de soy respecter et dedommager aux derniers sacrements, en se faisant constituer heritiers et legataires universels par testamens et codicilles, et mesme sans le secours d'icelles pièces, en emportant bources, bagues et joyaux.

Item.—Advenant qu'iceux religieux ne trouvent en icelles bources que des jetons au lieu de louis, iceux gagneront les pardons de l'ordre, à condition de ne plus se meprendre.

Item.—Indulgence pour tous monastères et communautés dont les caves, refectoires et maisons de campagne[417] seront fournis de vin en abondance, à effect d'estre plus sobres ès maisons d'autruy.

Item.—Indulgence pour tous prieurs et autres suprieurs de couvents quy supposent que leurs inferieurs sont en voyage, tandis qu'ils sont encore dans la ville à boire, manger, jouer, ripailler, le jour et la nuit.

Item.—Indulgence pour le religieux quy, voyant demoiselle soy retirer en abbaye pour y voiler et vouer sa virginité au Seigneur, luy suggerera le retour au siècle[418] en vue de lui faire preferer l'alliance d'un homme à celle d'un Dieu.

Item.—Indulgence en faveur des religieux lesquels, ayant droit de dresser theatre pour le divertissement des archiconfrères, le dresseront en temps de caresme, et mesme de la passion, pour y donner farces avec dances et chansons bachiques[419].

Item.—Privilége à iceux religieux d'employer pour ceste bonne œuvre les couronnes d'argent à eux leguées pour la decoration des autels et des images.

Item.—Iceux pères qui n'auront faculté de confesser leurs devotes dans les eglises les pourront confesser sous les moulins champestres.

Item.—Iceux, nonobstant les bulles qui leur defendent de negocier, sous peine d'excommunication, pourront s'engager dans quelque commerce non repugnant à l'exterieur de leur institut, si comme avec marchand de charbon, etc.

Item.—Advenant que parmi les confrères se trouve un ecclesiastique qui n'ose donner sa decision lorsqu'il sera consulté, iceluy sera regardé comme l'oracle de l'archiconfrerie.

Item.—Tous suppots d'icelle, tant ecclésiastiques et religieux, se contenteront, et pour eux-mêmes et pour l'utilité du prochain, de la science que les docteurs appellent science moyenne[420], hoire et ayant-cause du feu P. Molina[421], guidon en la compagnie des porteferules.

Item.—Tous clercs et coutres[422] ou beneficiers de paroisse et autres eglises, sans distinction ny exception quelconque, pourront, pendant le service divin, se rendre aux porteaux et sacristies d'icelles pour y apprendre ou debiter nouvelles et y juger le prochain.

Item.—Tout frère questeur et proviseur, de couvent qui soy advancera de traicter des matières de doctrines les plus relevées dans les boutiques, parloirs et autres lieux, sera escouté de tous archiconfrères et consœurs ni plus ni moins qu'un lecteur de jubilé.

Item.—Pourront les dames et demoiselles agregées à l'archiconfrerie aller à la messe poudrées et parées ainsy comme au bal, comme aussi preferer les messes basses aux grandes, et surtout la dernière: le tout pour le plus d'edification du prochain.

Item.—Pourront lesdites archiconsœurs se poster par humilité à genoux, sur des bancs ou chaises, et prendre sur leurs eventails le sujet de leurs meditations.

Tous ceux et celles qui, se trouvant ès eglises, y auront causé de nouvelles et d'affaires en attendant le prédicateur, pourront s'abandonner au sommeil pendant la predication.

Item.—Y doit avoir en lieux competens inquisiteurs secrets et censeurs des livres, pour interdire, suprimer, enlever et même decacheter tous livres pernicieux à l'archiconfrerie et defendus par icelle, si comme epitres, evangiles, ordinaires de la messe, etc.

Item.—Est loisible à tous laïques agregés quy se meslent de corriger ou reprendre ceux qui offencent le Seigneur d'appuier sa reprimande ou correction de moult maledictions et imprecations.

Item.—Es lieux de public instruction où les maistres comme les disciples ne peuvent cacher aux clairvoyans l'insuffisance de leur doctrine, on pourvoira à l'honneur des escoles dans l'esprit du bourgeois et père de famille par l'appareil des thèses[423] et tragedies, et par la beauté des bâtimens.

Item.—L'inscription d'iceux bâtimens designera ceux quy ont receu l'argent pour les construire, et nullement ceux qui l'ont donné.

Item.—Tout ecclesiastique meditant l'erection de communauté nouvelle ne prendra ailleurs qu'au bureau de l'archiconfrerie les bulles et patentes que les autres vont demander au pape et au prince.

Item.—Et ceux patriarches de nouvelle espèce pourront se faire baiser les piés, ny plus ny moins que le pape.

Item.—Advenant qu'aucuns catholiques se fourvoient jusqu'à manquer de respect pour l'archiconfrérie, iceux catholiques seront, par le seul faict, réputés chimatiques, et jansenistes, qui pis est; voire meme, si metier est, pendus en effigie aux yeux des souffre-ferules.

Item.—Au cas qu'iceux catholiques allèguent, pour soy justifier, certains decrets des papes bien et dument approuvés ès saints conciles, suivis et omologués en toutes provinces catholiques, apostoliques et romaines, sera maintenu par les archiconfrères qu'iceux decrets ne sont munis de lettre de placet à ce necessaire de par l'archiconfrerie.

Item.—Tout confrère qui voudra montrer son courage envers iceux catholiques redoutera leur presence et ne pourra signaler sa bravoure que par la fuite.

Item.—Pour lesdits cas d'esclipse et desertion, iceux archiconfrères tiendront pour certain que le scandale peut être preferé au danger du raisonnement et la faveur des ignorans l'emporter sur l'exemple des sages.

Item.—Attendu que la science, si elle n'est science moyenne[424], est le poison le plus funeste, comme est dit cy-dessus, à l'archiconfrerie, tous suppots et agregés d'icelle mettront en arrière les saints pères de l'eglise, en leur substituant les saints pères de la société, si comme abandonneront saint Augustin pour suivre Escobar et debusqueront saint Thomas[425] pour subroger à ses droits le porteferule Francolin.

Item.—Nul archiconfrère ne manquera d'observer pour ses demarches et entreprises les phases de la lune, comme estant l'astre tutelaire de l'archiconfrerie, et feront eclater leur ferveur surtout au temps de la première sève et du renouvellement d'icelle, comme faisant les deux principales solemnitez des Cervelles emouquées ou Ratiers.

Item.—A eux permis de raper, prendre et donner tabac[426] en leurs prières, messes et offices, pour eviter plus seurement les distractions.

Item.—Les directeurs et confesseurs agregés se proposeront soigneusement le bien des familles dans leur ministère.

Item.—Quiconque s'ingerera de blasmer iceux confesseurs, les accusant d'avarice, ou qui censurera leur intention à employer pour des visites les temps destinez à la prière, retraite et silence, sera deferé à l'archiconfrerie comme coupable de violer la charité du prochain.

Item.—Tout archiconfrère qui debource pour soy divertir florins, patacons[427] et ducats, en ne donnant aux pauvres que la plus basse des espèces de monnoie, sera tenu pour aumonier.

Item.—Les predicateurs religieux prescheront eux-mêmes dans leurs eglises lorsqu'ils voudront critiquer les censeurs de leur morale; mais ils choisiront des predicateurs estrangers pour en recevoir des eloges devant le public.

Item.—Tout religieux quy, se trouvant accompagné d'un sien frère ou convers, rencontrera un ecclesiastique, iceluy aura soin que le dit frère salue le premier l'ecclesiastique, afin que iceluy salue le premier le religieux.

Item.—Tout chasseur agregé prendra son mousquet pour tuer les souris, mais doit espargner les rats, comme animaux privilégiés par edits et patentes de l'archiconfrerie.

Collationné à l'original par moi,

Songecreux[428].

Advis de Guillaume de la Porte, hotteux ès halles de la ville de Paris.

Sans lieu ni date, in-8.

Le vaudeville des bouchers et le reglement faict pour la police publié[429] m'a donné subject de tracer ces lignes, pour vous declarer que, pensant apporter du remède, vous courés au mal. La raison en est parceque vous voulez paroistre de grands œconomes, et vous n'estes qu'abecedaires de maisons. D'où vient que, voulant retrancher le mal, vous le fomentés et le faictes pululler? Que si vous aviez consulté toutes sortes de qualités de personnes, ne vous attachant tant au pourpre[430], qui n'a le plus souvent que l'apparence ou l'appuy de l'argent, sans doute vous auriés faict tout autre reglement. Qui est celuy qui ne recognoisse le signalé defaut sur le prix du mouton, veu que chacun sçait qu'il y a grande disproportion du moindre au meilleur? A vostre compte, le plus gras mouton ne vaudroit que seize sols davantage que le plus chetif[431], veu qu'il y, a mouton de neuf livres et autres de trois livres. Pour le veau, pareille raison. Ma cousine la Moignotte, que Dieu veulle conserver et luy restablir la santé! estant fermière de la grande ferme de Paré, elle avoit douze vaches, dont l'une avoit nom la Bourelière, laquelle faisoit des veaux aussi puissants que des bœufs du Poitou. Je vous laisse à penser quelle perte elle eust receu de les vendre à six livres, et le grand profit de vendre des avortons à pareil prix de six livres. Ces considerations, et autres que je veux deduire cy-après, font que je ne puis approuver ce reglement. Et d'autant qu'estant bourgeois de Paris, je faicts partie d'icelle, il me semble qu'au peril de la famine qui nous menace, je doibs dire mon opinion, pour estre receue ainsi qu'on le verra bon estre. Que si quelqu'un me debat mon droict de bourgeoisie, Pierre de la Porte et Guillemette des Rosières, surnommée Dix-sept-demi-septiers, mes père et mère, vous leveront ceste difficulté et vous diront qu'ils ont porté les crochets et la hoste vingt ans, servants à porter viandes et fruicts des halles. Je vous laisse à penser si j'ay quelque memoire du vineux mestier qui fait dire la verité. Ma qualité prouvée, venons au subject qui se presente. Toute ville, republique ou royaume se maintient principalement de bled, vin, chair et bois: c'est pourquoy les bien reglées ont donné toute liberté de trafiquer à toutes sortes de personnes sans y imposer aucune dace[432] ny impost, afin que l'affluence y apporte vilité de prix, ce qui est très certain par l'abord des marchands, qui ne trafiquent que sur l'esperance du gain. Je sçay que le malheur du temps a apporté des subsides sur lesdits vivres; mais lesdits subsides ne sont suffisans pour faire telle cherté qu'on s'en puisse plaindre, et je m'asseure que quelque jour nostre bon prince et roy retranchera en partie lesdits subsides: car je m'asseure que, Gondy et Jamet[433] à present estant morts, on ne verra plus tant de partisans composés d'Italiens et d'Espagnols, que je desirerois les uns estre placés au pol arctique, les autres au pol antarctique. Dios me libre de tal gente! Je ne parle des femmes desdits païs, car elles passent en la famille des maris.

Il est donc necessaire de donner liberté aux marchands forains de vendre leurs troupeaux et marchandises le prix qu'ils pourront, parceque, si vous leur faictes delivrer leur marchandise à perte, sans doubte ils n'y retourneront pour la seconde fois: je m'en raporte à la Verdure de Juvisi, s'il veut venir perdre sur chaque chartée de veaux dix-neuf livres qu'il perdit vendredy dernier.

Il est utile de donner permission à tous maistres bouchers et compagnons ou autres vendre viandes en destail, afin de n'estre subject à un nombre[434].

Il est à propos de vendre les viandes à la livre, et le prix d'icelles en soit faict au rabais, ainsi qu'il se practique en Languedoc, Gascogne et autres provinces.

Davantage (avec permission de MM. les bouchers), parceque je vois plusieurs bonnes maisons où il faut quantité de moutons, d'autres familles qui se peuvent passer d'un quartier, et qu'ils se pourroient plaindre, soit de la maigreur des viandes, soit sur la difficulté d'avoir un quartier de derrière, que l'on appelle, en Musarabie[435], trasero, pour eviter à cet inconvenient, je voudrois faire dresser des escorcheries au dessus et au dessoubs de nostre ville de Paris[436], et près icelles quelques halles, où les marchands forains, deux fois la sepmaine, pourroient venir vendre leur bestail, les manants et habitans de nostre ville, ou leurs domestiques pour eux, se joignant deux, trois, plus ou moins, se transporteroient ausdits lieux et feroient achapt de leur necessité, et à l'instant feroient tuer leur mouton ou plusieurs, moyennant trois ou quatre sols qu'ils donneroient à des compagnons bouchers, qui seroient bien aises de faire ce profict. En après, le mouton pesé, l'on regarderoit la montance de chaque livre, et chacun puis après prendroit sa provision. C'est un mesnage qui se faict en plusieurs endroits de l'Europe, sur lequel vous faictes le tiers de profict. Je le sçay par experience. Ma mère Guillemette me disoit bien qu'en voyant le monde on voit du pays, et qu'à ne voir que des charbons on ne cognoist que des tisons.

Or, d'autant que l'abondance est la mère de vilité, je voudrois, pour y parvenir, faire defences de tuer des aigneaux, sur peine du fouet[437], despuis le premier jour de janvier jusques au dernier juillet. Vous faictes, en ce faisant, profiter les troupeaux, accroistre les fumiers des laboureurs, qui s'abonissent par la fiante de ces animauls, qui par après multiplient les grains à foison par l'amendement que l'on faict aux soles et jachères. Vous empeschés les bergers de vendre les dits agneaux: vous retranchez la perte des troupeaux que l'on donne à moitié.

Pareil remède sur les veaux et autres espèces de vivres, lesquels ne voyent a peine la lumière par la friandise de ce temps.

Je voudrois faire defenses aux marchands de bled residans à Paris de serrer du grain dans Paris outre leur provision: car ils enlèvent le bled de deux ou trois marchés à bas pris pour vous le vendre puis après cherement. Je portois un jour à monsieur Criton du pain de la hale, et il montroit une oraison grecque à ses escoliers, escripte contre des marchands traficquans en bled, residans à Athènes[438], de la qualité susdicte; et les dits escoliers, à cause que je portois du pain, ils me prenoient pour l'un de ces monopolistes, et me vouloient lapider; et si le dit sieur ne fut venu, leur donnant à entendre que je n'estois marchand blatié grec[439], c'estoit faict de Guillaume de la Porte! Il sera bien fin qui me fera vivre avec ces toques de malice!

Pour le bois, j'observerois les reglements anciens, à peine de contravention de la perte de la marchandise contre les marchans, et de privation et de confiscation des offices des officiers, qui, en leur presence, voyent enfraindre la taxe de la ville; à quoy pour remedier, il y auroit des poteaux dans lesquels il y auroit une table (ce que les Arabes appellent Arauzel)[440] contenant la taxe de la ville, afin qu'un chascun fut adverti du prix de la marchandise[441].

Seroit fait defences d'acheter des bois, n'estoit pour estre promptement coupés et vendus à la saison, afin d'eviter aux monopoles. Il y a plusieurs bourses qui s'assemblent et enlèvent les bois, et les gardent un, deux, trois ans, jusques à cherté, et n'en font venir qu'à la derobée. Je vous donne advis qu'il y a un marchand d'Auxerre qui, sous la bourse d'un nommé Giman, bourgeois de Paris, a enlevé tout le marin[442] du pays de Morvan. Je vous laisse à penser s'il faudra passer par ses mains si le bois tortu chemine droit[443]; mais je m'asseure que monsieur le lieutenant general d'Auxerre y donnera bon ordre. Le commencement de la santé est de cognoistre la maladie, el comienso de la salud, es conocer la dolencia del enfermo.

Messieurs les maistres des forests, vous ne serez negligens de faire planter à la place des bois de haute futaye que l'on abat.

Je voudrois faire defendre aux cabaretiers d'asseoir en leurs tavernes fors pain et vin[444], et ce à personnes estrangers seulement.

Il y a un tas de gueules enfarinées qui n'ont pour leur dieu que la Pomme de pin, la Croix blanche, le Petit saint Anthoine[445], le cuisinié de monsieur de Bethune, que l'on dit à la Bastille, avec mille autres de ce poil, sans comprendre les logis où l'on traicte à deux, trois et quatre escus pour teste. Quelle abysme de despense! Et le vice chatouille tellement les hommes qu'il n'y a fils de bonne mère qu'il n'y porte sa chandelle. Si compère Gaultier arrive, il faut le recevoir en un cabaret. Là, on trouve toute sorte de vins d'Orleans, de Beauce, Gascogne, d'Espagne, de Ciudad Real, Perogomez, Frontignan; là, vous ne pouvés desirer aucun genre de viande qu'il ne vous soit servi. La colation ou dessert seconde l'entrée, tellement que vous estes servi plus qu'en roy. Au partir de là, pour faire chère entière, il faut aller voir les dames, ou plustost la verole.

Je me proposois vous toucher quelques remèdes, mais il m'est souvenu que monseigneur de Verdun (que chascun ne sauroit assez admirer, pour estre les louanges inferieures à ses vertus) est à present premier president au parlement de Paris, premier parlement de France[446]. Ma plainte suffit; la paix qu'il a establie entre les mondains de Toulouse, y rendant la justice en qualité de premier president, asseure qu'il la donnera aux enfans de Paris, ou plustost à la confusion du siècle corrompu. Nous estions perdus (mes concitoiens) si nous n'eussions recouvert l'Hercule de nostre pays. Desjà j'avois faict resolution de vendre ma hotte et ma bonne casaque de toille, ayant perdu l'esperance de gagner ma vie aux halles pour tirer des coups de pistolets aux portes en tirant pays pour aspirer la qualité de gondolier à Venise. A Dieu, jusques al veder.

L'an de grace 1611[447] le 2. jour de may,
et de Guillaume de la Porte[448], de nostre
aage le 27.

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