Variétés Historiques et Littéraires (03/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers
Les Misères de la Femme mariée, où se peuvent voir les peines et tourmens qu'elle reçoit durant sa vie, mis en forme de stances par Madame Liebault[449].
A Paris, chez Pierre Menier, demeurant à la Porte Sainct Victor. In-8.
A Madame de Medine,
religieuse aux Ammurez de Rouen.
Madame, les hommes, en general, sont si divers en leurs opinions, que, par manière de dire, chacun veut maintenir la sienne particulière avecques des raisons bien souvent qui sont du tout alienées de raison. Les philosophes du temps passé nous ont laissé à la memoire que la nature, qui est le Dieu supresme, avoit mis entre mains aux hommes, pour s'en servir, certaine espèce de biens qu'ils appelloient indifferens, c'est-à-dire qui n'apportoient ny bien ny mal aux hommes, si non autant que les hommes les applicquoient à l'usage, fust à bien ou à mal, comme l'on peut dire de l'or, l'argent, le fer et autres metaux, et bref de toutes choses inanimées. Ainsi avons-nous en la police, tant civile que mesme en l'ecclesiastique, certaines choses qui sont indifferentes, et non pas necessaires du tout, comme, en celle-cy, nous autres, qui sommes plus zelés, ne sommes tenus de croire outre et pardessus ce qui est comprins dans les tables de la loy que Dieu nous a données par le bon père Moyse, et ce que l'Eglise nous commande de croire, le reste demeurant à la discretion d'un chacun. Que si l'on nous propose quelque chose davantage, c'est plustost par conseil que par ordonnance et commandement exprès. Tout de mesme en la police civile, prenant pour exemple le subjet du present livret que je vous ay adressé: car c'est bien une chose que le mariage, qui demeure entierement à la disposition volontaire des hommes contre les necessitez qu'y apportoient jadis les anciens ethniques et payens, ne differans en beaucoup de choses des bestes bruttes que de la seule parole. Et ce vaisseau d'election, monsieur sainct Paul, en parlant en ses epistres, dit en ces termes, que qui se marie fait bien, mais qui ne se marie pont fait encore mieux. Comme s'il vouloit entendre que l'on s'en abstînt pour vouer à Dieu sa virginité, ce qui ne se peut toutes fois maintenir aisement ny observer un tel vœu sans y apporter pour aide et support la prière, le jeusne et la solitude, ainsi que vous faites, Madame, qui est un genre de vie, à la verité, qui excelle d'autant le mariage, que la contemplative a tousjours esté preferée à l'active; ce que Dieu mesme confirme de sa propre bouche en son sainct Evangile, parlant des deux sœurs qui avoient suivy divisement et l'une et l'autre vie, quand il dit que celle qui avoit delaissé la cure des choses terriennes pour vacquer à la prière avoit esleu la meilleure part, sans le prendre au subjet qui est traicté dans ce livret, ny pour les occasions qu'il rapporte concurer souvent avec le mariage, ce que vous verrez plus amplement comme le permettra vostre loisir, vous suppliant, au reste, de le prendre en bonne part, et que par la souvenance que j'ay eue de vous, vous, en pareil, ayez souvenance de moy en vos bonnes prieres, que Dieu vueille exaucer. Adieu.
Votre très humble et très affectionné,
Sonnet à la dicte dame.
Mon Dieu! que l'homme est souvent miserable!
Souvent je dy, mais, las! c'est pour tousjours,
Le long des nuicts, tout le long de ses jours,
Estant debout, ou assis à la table.
C'est un sablon inconstant et muable
Comme le vent; c'est un fourneau d'amours,
Suivant ses veux par mille ordes destours,
Subjet d'envie et la chasse du diable.
Que s'il desire arrester ses malheurs,
Ainsi que toy, qu'il monstre ses douleurs
Au Medecin et de mort et de vie,
Disant: Mon Dieu, aye pitié de moy;
Donne-moy paix et me retire à toy,
Car mon ame est de trop de maux suivie.
Les Misères de la Femme mariée[450].
Muses, qui chastement passez vostre bel aage
Sans vous assujettir aux loix du mariage,
Sçachant combien la femme y endure de mal,
Favorisez-moy tant que je puisse descrire
Les travaux continus et le cruel martyre
Qui sans fin nous tallonne en ce joug nuptial.
Du soleil tout voyant la lampe journalière
Ne sçauroit remarquer, en faisant sa carrière,
Rien de plus miserable et de plus tourmenté
Que la femme subjette à ces hommes iniques
Qui, depourveuz d'amour, par leurs loix tiraniques,
Se font maistres du corps et de la volonté.
O grand Dieu tout-puissant! si la femme, peu caute[451],
Contre ton sainct vouloir avoit fait quelque faute,
Tu la devois punir d'un moins aigre tourment;
Mais, las! ce n'est pas toy, Dieu remply de clemence,
Qui de tes serviteurs pourchasses la vengeance:
Tout ce malheur nous vient des hommes seulement.
Voyant que l'homme estoit triste, melancolique,
De soy-mesme ennemy, chagrin et fantastique,
Afin de corriger ce mauvais naturel,
Tu luy donnas la femme, en beautez excellente,
Pour fidèle compagne, et non comme servante,
Enchargeant à tous deux un amour mutuel.
O bien heureux accord! ô sacrée alliance!
Present digne des cieux, gracieuse accointance,
Pleine de tout plaisir, de grace et de douceur,
Si l'homme audacieux n'eust, à sa fantaisie,
Changé tes douces loix en dure tyrannie
Ton miel en amertume, et ta paix en rigueur!
A peine maintenant sommes-nous hors d'enfance,
Et n'ayons pas encor du monde cognoissance,
Que vous taschez desjà par dix mille moyens,
Par presens et discours, par des larmes contraintes,
A nous embarasser dedans vos labyrintes,
Vos cruelles prisons, vos dangereux liens.
Et comme l'oiseleur, pour les oiseaux attraire
En ses pipeuses rhets, sçait sa voix contrefaire,
Aussi vous, par escrits cauteleux et rusez,
Faites semblant d'offrir vos bien humbles services
A nous, qui, ne sçachant vos fraudes et malices,
Ne pensons que vos cœurs soient ainsi desguisez.
Nous sommes vostre cœur, nous sommes vos maistresses[452];
Ce ne sont que respects, ce ne sont que caresses;
Le ciel, à vous ouïr, ne vous est rien au pris;
Puis vous sçavez donner quelque anneau, quelque chaisne,
Pour nous reduire après en immortelle gesne.
Ainsi par des appas le poisson se sent pris.
Mais quelle deité ne seroit point surprise
En vous voyant user de si grande feintise?
Et voyant de vos yeux deux fontaines couler,
Qui penseroit, bon Dieu! qu'un si piteux visage,
Avec la cruauté d'un desloyal courage,
Couvassent le poison sous un brave parler?
Ainsi donc, nous laissons la douceur de nos mères,
La maison paternelle, et nos sœurs et nos frères,
Pour à vostre vouloir, pauvrettes, consentir;
Et un seul petit mot promis à la legère
Nous fait vivre à jamais en peine et en misère,
En chagrin et douleur par un tard repentir.
Le jour des nopces vient, jour plein de fascherie,
Bien qu'il soit desguisé de fraude et tromperie,
Borne de nos plaisirs, source de nos tourmens.
Si de bon jugement nos ames sont atteintes,
Nous descouvrons à l'œil que ces liesses feintes
Ne servent en nos maux que de desguisement.
Le son des instrumens, les chansons nompareilles,
Qui d'accords mesurez ravissent les oreilles,
Les chemins tapissez, les habits somptueux,
Les banquets excessifs, la viande excellente,
Semblent representer la boisson mal plaisante,
Où l'on mesle parmy quelque miel gracieux.
Encore maintenant, pour faire un mariage,
On songe seulement aux biens et au lignage,
Sans cognoistre les mœurs et les complexions;
Par ainsi, ce lien trop rigoureux assemble
Deux contraires humeurs à tout jamais ensemble,
Dont viennent puis après mille discensions.
On ne sçauroit penser combien la jeune femme
Endure de tourment et au corps et à l'ame,
Subjette à un vieillard remply de cruauté
Qui jouit à son gré d'une jeunesse telle
Pour ce qu'il la veut faire ou dame ou damoiselle,
Et pour ce qu'il est grand en biens et dignité.
Luy qui avoit coustume auparavant, follastre,
De diverses amours ses jeunes ans esbattre,
Entretenant sa vie en toute oisiveté,
Se sent or' accablé de quelque mal funeste,
Qui, malgré qu'il en ait, dans son lit le moleste,
Assez digne loyer de sa lubricité.
La femme prend le soin d'apprester les viandes
Qui au goust du vieillard seront les plus friandes,
Sans prendre aucun repos ny la nuict ny le jour;
Et luy, se souvenant de sa folle jeunesse,
Si tant soit peu sa femme aucune fois le laisse,
Pense qu'elle luy veut jouer un mauvais tour.
Et lors c'est grand pitié: car l'aspre jalouzie
Tourmente son esprit, le met en frenaisie,
Et chasse loin de luy tout humain sentiment.
Les plus aigres tourmens des ames criminelles
Ne sont pour approcher des peines moins cruelles
Que ceste pauvre femme endure injustement.
Aussi voit-on souvent qu'un homme mal-habille,
Indigne, espouzera quelque femme gentille,
Sage, de rare esprit et de bon jugement,
Mais luy, ne faisant cas de toute sa science
(Comme la cruauté suit tousjours l'ignorance),
L'en traitera plus mal et moins humainement.
Au lieu que si c'estoit un discret personnage,
Qui avec le sçavoir eust de raison l'usage,
Il la rechercheroit et en feroit grand cas,
Se reputant heureux que la grace divine
D'un don si precieux l'auroit estimé digne.
Mais certes un tel homme est bien rare icy-bas.
Si le cynique grec, au milieu d'une ville,
N'en peut trouver un seul entre plus de dix mille,
Tenant en plain midy la lanterne en sa main,
Je pense qu'il faudroit une torche bien claire
En ce temps corrompu, et se pourroit bien faire
Qu'on despendroit le temps et la lumière en vain.
Car vrayment c'est l'esprit et ceste ame divine,
Recognoissant du ciel sa première origine,
Qui fait le vertueux du nom d'homme appeller,
Et non pas celuy-là qui seulement s'arreste
Au corruptible corps, commun à toute beste
Qui vit dessous les eaux, sur la terre ou en l'air.
Il seroit donc besoin de grande prevoyance
Ains que faire un accord d'une telle importance,
Qui ne peut seulement que par mort prendre fin,
Attendu pour certain que ce n'est chose aisée,
A quelque homme que soit une femme espouzée,
De la voir sans ennuy, sans peine et sans chagrin.
S'elle en espouse un jeune, en plaisirs et liesse,
En delices et jeux passera sa jeunesse,
Despendra son argent sans qu'il amasse rien.
Bien que sa femme soit assez gentille et belle,
Si aura-il tousjours quelque amie nouvelle,
Et sera reputé des plus hommes de bien.
Car c'est par ce moyen que l'humaine folie
A du grand Jupiter la puissance establie,
Pour ce que, mesprisant sa Junon aux beaux yeux,
Sans esclaver[453] son cœur sous le joug d'hymenée,
Suivant sa volonté lasche et desordonnée,
Il sema ses amours en mille et mille lieux.
Et quoy! voyons-nous pas qu'ils confessent eux-mesmes,
Si l'on se sent espris de quelque amour extrême,
Pour en estre delivre il se faut marier,
Puis, sans avoir esgard à serment ny promesses,
Faire ensemble l'amour à diverses maistresses,
Et non en un endroit sa volonté fier.
Si c'est quelque pauvre homme, helas! qui pourroit dire
La honte, le mespris, le chagrin, le martyre
Qu'en son pauvre mesnage il luy faut endurer!
Elle seulle entretient sa petite famille,
Eslève ses enfans, les nourrit, les habille,
Contre-gardant son bien pour le faire durer.
Et toutes fois encor l'homme se glorifie
Que c'est par son labeur que la femme est nourrie,
Et qu'il apporte seul ce pain à la maison.
C'est beaucoup d'acquerir, mais plus encor je prise
Quand l'on sçait sagement garder la chose acquise:
L'un despend de fortune, et l'autre de raison.
S'elle en espouze un riche, il faut qu'elle s'attende
D'obeir à l'instant à tout ce qu'il commande,
Sans oser s'enquerir pour quoy c'est qu'il le fait.
Il veut faire le grand, et, superbe, desdaigne
Celle qu'il a choisie pour espouze et compaigne,
En faisant moins de cas que d'un simple valet.
Mais que luy peut servir d'avoir un homme riche,
S'il ne laisse pourtant d'estre villain et chiche?
S'elle ne peut avoir ce qui est de besoin
Pour son petit mesnage? Ou si, vaincu de honte,
Il donne quelque argent, de luy en rendre compte,
Comme une chambrière, il faut qu'elle ait le soin.
Et cependant monsieur, estant en compagnie,
Assez prodiguement ses escus il manie,
Et hors de son logis se donne du bon temps;
Puis, quand il s'en revient, fasché pour quelque affaire,
Sur le sueil de son huis laisse la bonne chère[454].
Sa femme a tous les cris, d'autres le passe-temps.
Il cherche occasion de prendre une querelle,
Qui sera bien souvent pour un bout de chandelle,
Pour un morceau de bois, pour un voirre cassé.
Elle, qui n'en peut mais, porte la folle enchère,
Et sur elle à la fin retombe la colère
Et l'injuste courroux de ce fol insensé.
Ainsi de tous costez la femme est miserable,
Subjette à la mercy de l'homme impitoyable,
Qui luy fait plus de maux qu'on ne peut endurer.
Le captif est plus aise, et le pauvre forçaire
Encor en ses mal heurs et l'un et l'autre espère;
Mais elle doit sans plus à la mort esperer.
Ne s'en faut esbahir, puis qu'eux, pleins de malice,
N'ayans autre raison que leur seulle injustice,
Font et rompent les loix selon leur volonté,
Et, usurpans tous seuls, à tort, la seigneurie
Qui de Dieu nous estoit en commun departie,
Nous ravissent, cruels! la chère liberté.
Je laisse maintenant l'incroyable tristesse
Que ceste pauvre femme endure en sa grossesse;
Le danger où elle est durant l'enfantement,
La charge des enfans, si penible et fascheuse;
Combien pour son mary elle se rend soigneuse,
Dont elle ne reçoit pour loyer que tourment.
Je n'auray jamais fait si je veux entreprendre,
O Muses! par mes vers de donner à entendre
Et nostre affliction et leur grand' cruauté,
Puis, en renouvellant tant de justes complaintes,
J'ay peur que de pitié vos ames soient atteintes,
Voyant que vostre sexe est ainsi maltraicté.
Les Priviléges et Fidelitez des Chastrez. Ensemble la responce aux griefs proposez en l'arrest donné contre eux au profit des femmes[455].
A Paris. In-8.
1619.
Le phylosophe ne dit jamais rien de plus vray, que tout ce quy est fait au monde a quelque fin ordonnée et quelque bien sans apparence auquel il tend: le feu sert contre le froid, l'eau contre le chaud, le noir contre le blanc, et tous les deux ensemble meslez pour la fortification de la veue.
Et comme la nature, voire l'autheur de la nature, ne fait aucune chose pour neant et quy ne porte avec soy quelque sorte de bien et d'utilité publique: Deus et natura nihil faciunt frustra, aussy les choses quy semblent inutiles au monde ont toutesfois quelques proprietez sans lesquelles la commune societé des estres ne se pourroit aisement conserver.
Il n'y a rien au monde quy semble plus ridicule que la personne d'un chastré. C'est grande pitié d'en entendre parler en l'audience des lavandières du pavé de la Grève et de l'Ecole Sainct-Germain[456], et principallement quelle melancholie pour une jeune dame quy a tel mary couché à ses costez! Ce ne sont que regrets, que soupirs, que larmes et que sanglots; il n'y a que gronderie, que haine et jalousie, pour ce que la dame desire ce que Monsieur ne luy peut donner, en luy deffendant de jouer au reversis avec son voisin, sur peine du baston. Voilà une estrange diablerie à l'hostel! La bosse, la peste, la fiebvre carte, rien n'est oublié en ceste douce musique quy vient de nature en becarre et de becar en becmol. Il n'y a rien de si fiasque que luy quand on traite de combattre; la coyonnerie, la poltronnerie s'ensuit, et le bonhomme s'evanouit à la porte au dedans de laquelle il ne peut parvenir qu'avec la teste et l'umble grève basse, tant il a les reins foibles et quy ne peuvent pas le soustenir! Et qu'au diable soit telle sorte de gens! dit l'adverse partie; au diable les chatrez qui mestent bien le feu au logis, mais ne le peuvent esteindre! Voilà ce que l'on peut dire et produire contre les chastrez sur la plainte des femmes.
Mais aussy voicy les priviléges qu'ont telles manières de gens par dessus les autres hommes du monde.
En la cour du grand Turc et en la cour du prestre Jan, dit l'empereur des Abyssins, il n'y a hommes mieux gagez et respectez que les chastrez; ils sont honorez de ces grands princes pour leur fidelité: le Turc en fait estat en son serail pour la garde de ses femmes, le prestre Jan pour la garde des siennes. Les deux empereurs sont bien asseurez que, de la part desdits eunuques, ils ne seront jamais cornards.
Le deuxième privilége des chastrez est qu'ils se peuvent resjouir en asseurance sans courir aucun risque de recevoir des affronts comme les autres hommes, quy ne se peuvent jouer sans danger et fascherie: car, pour un pauvre coup fait à la derobée, le tablier lève, un enfant arrive au bout des neuf mois; il s'envoye à la porte du drôle; les voisins le voyent, les passans le cognoissent: chacun descouvre le secret du jeu. Voilà un pauvre decrié, condamné aux frais de l'accouchement, à la provision de la dame, à reparer son honneur et à prendre le fruict de son jardin. Or, les chastrez ne sont point en ceste peine-là; on ne les peut accuser de ces accouchements desrobez, ny moins encore les condamner aux frais et despens des gardes et sages femmes, et les femmes ne sont point en danger de perir en travail avec eux.
Le troisième privilége des chastrez est qu'ils sont fort renommez en leurs fidelitez en fait de maquerellage: ils font seure garde de ce qu'ils ont en despot, et livrent fidellement la marchandise sans effort, sans qu'au moins le fruict y paroisse.
Le quatrième et dernier privilége est que moins que les autres ils sont subjects à estre jeannins et cornards: car une femme quy espouse un chastré vend sa liberté à vil prix, passe sa liberté en douleurs et regrets, et n'ose jouer avec asseurance, pource que, si une fois les maux de cœur et d'estomach arrivoient ou quelque colique venteuse et extraordinaire aux reins, le diable seroit bien au logis. Il n'y auroit pas moyen de faire croire au maistre de la maison qu'il seroit cause du bruit.
Voyez quel proffit apporte au mesnage d'espouser un chastré, puis qu'il rend les femmes femmes de bien, en depit de leur courage et de leur desir; et, pour ce, c'est à tort qu'elles se plaignent des chastrez, lesquels, à bon droict, demandent absolution de l'arrest, avec despens.
Mazarins, il faut tous partir;
Ma muse vous vient advertir
Que vous couriez comme des Basques
Deguisez en habits fantasques,
Pour vous fourer je ne sçais où,
C'est-à-dire en un petit trou.
La ville est ores trop suspecte
Pour des messieurs de votre secte;
Les cailloux y volent à tas
Sur tous ceux qui ne crient pas:
Vive le roy! vive les princes!
Vive ces apuis des provinces!
Ils vont recoigner les voleurs,
Partisans et monopoleurs,
Et par eux, tous tant que nous sommes,
Nous aurons pour rien pain et pommes.
Mais, quand vous diriez tout cela,
Vous ne mettriez pas le hola:
On vous connoistroit à la mine;
Chacun diroit: Eschine! eschine!
Ce sont pendars de Mazarins.
Et lors je vous tiendrois bien fins
Si, par un tour de passe-passe,
Vous amusiez la populace,
Qui viendroit à grands coups de poing
Faire tôpe sur vostre groing,
Sur tout si dans l'autre semaine,
Auprès de la Samaritaine,
Dame Anne[458] eust peu vous descouvrir:
Vous auriez eu bien à souffrir.
Branquas, qui n'est pas une beste,
Ne fut jamais à telle feste
Qu'il se vit, un certain mardy,
Sur le Pont-Neuf, après midy,
Encore qu'il soit pour la Fronde,
Comme il le jure à tout le monde.
Il entendit crier bien fort:
Assomme! il en veut à Beaufort.
Lors, estourdy d'un: Tue! tue!
Il sent que sur luy l'on se rue;
Il perd de ses cheveux dorez;
Il voit ses habits deschirez,
Et, s'il n'eust bien dit: Ouy et voire,
On l'auroit contraint de trop boire.
Toutes fois, pour leur peine encor,
Il donna quelques louys d'or:
Si bien, pour seureté plus grande,
Que le battu paya l'amende;
Encor ne fut-il pas fasché
D'en estre quitte à ce marché[459].
Ce vacarme cessoit à peine,
Et l'on alloit reprendre haleine,
Quand un carrosse orné de vert
Par fortune fut descouvert.
Il trainoit avecque vitesse
Vers le palais de son Altesse
La mareschale d'Ornano,
Qui souvent, comme un Godeno,
Montroit le nez à la portière,
Et puis se tiroit en arrière.
A voir son habit un peu neuf,
On la crut madame d'Elbeuf,
Qui (cecy dit par parenthèse)
Est dehors de ce diocèse[460].
A l'instant, sans plus consulter,
Le cocher vint à culbuter,
Et, frappé de plus d'une pierre,
Donna bien-tost du nez en terre.
Les laquais ne furent pas mieux:
Les rondins volèrent sur eux,
Mais avec tant de violence,
Que c'est un fort grand coup de chance
Qu'ils ne furent pas ajustez
Comme chair à petits pastez.
La mareschalle, epouventée,
Fut un peu trop près visitée:
Un chacun la vint saluer,
Non pas sans plusieurs coups ruer,
Et luy faire une reverence
Qui luy deplut, comme je pense:
Car, sans qu'elle le treuvast bon,
On la deschargea d'un manchon,
Pendant que les pauvres suivantes
Se laissoient foüiller dans leurs fentes,
Et ne gagnoient rien à crier
A haute voix, à plein gozier,
Les meschans ayant peu d'envie
De leur sauver bagues ny vie.
Or les anneaux on fricassa,
Et la vie on ne leur laissa
Qu'après que leur beau corps d'albastre
Eust esté battu comme plastre.
La populace, après cela,
N'en voulut pas demeurer là:
De mesme qu'un hidre feroce,
Elle deschira le carrosse;
Le cuir n'eut aucune mercy;
Les essieux sautèrent aussy,
Et les deux rideaux d'escarlatte
Tombèrent encor souz sa pate.
Les chevaux eurent du bon-heur,
Car on les mit en lieu d'honneur
Dans un cabaret assez proche,
Où loge un Suisse sans reproche,
Qui, de ce gage faisant cas,
Fit à la trouppe un grand repas,
Cependant que la mareschalle
Fut voir son altesse royale
Sur la mule des cordeliers,
Aux depens de ses beaux souliers.
Mais, tandis que je vous amuse,
J'oy desjà, si je ne m'abuse,
Un bruit de gens determinez
Dont vous serez fort mal menez.
Sus, pour sauver vos belles trongnes
Du baston ferré des yvrongnes,
De la fronde des escoliers,
Du tire-pied des savetiers,
De la griffe des harangères,
Du croc des dames chifonnières
Et du levier des porte-fais,
Dites-nous adieu pour jamais.
La Tromperie faicte à un Marchand par son Apprenty, lequel coucha avec sa femme, qui avait peur de nuict, et de ce qui en advint; avec le Testament du Martyr amoureux.
A Paris, par François Du Chesne, imprimeur, demeurant rüe des Lavandières, près la place Maubert; et Anthoine Rousset, libraire, demeurant en la rüe Frementel.
Avec permission.
In-8.
En ceste histoire vous sera depainte l'esprit d'un homme conduit à une charnelle affection, lequel, cuidant tromper sa moitié, se trouva trompé du tout.
En la riche ville de Lyon demeuroit un marchand, lequel avoit l'entendement plus propre à conduire l'estat de sa marchandise qu'à sagement faire l'amour; et, d'autant qu'il faisoit grand train par le moyen de son credit, l'un de ses compagnons lui bailla un sien filz pour apprenty, et de l'aage de dix-huict à vingt ans, marché conclud que, pour le tenir deux ans en sa maison et luy apprendre le commencement de l'estat qu'il conduisoit, luy forniroit content la somme de quarante escus d'or. Ce marchand (à grand peine estoient six mois passez) avoit espousé une jeune dame lyonnoise de riche maison et d'assez passable beauté. Comme advient souvent qu'une jeune femme, n'entendant les ruses qui despendent d'un mesnage, prend volontiers servante de son aage, sans soy deffier du changement, qui plaist souvent aux mariz, le semblable fit cette jeune dame, le mary de laquelle, dispost et assez bien nourry, devint amoureux de ceste chambrière[461], jeune, affettée[462] et grassette, laquelle il poursuivit si vivement, tant par belles paroles que promesses, que ceste garse, ou pour obeïr au commandement de son maistre, pensant faire service très agreable à sa maistresse, ou pour avoir quelquefois experimenté le mal qui fait les filles femmes, ne fut long-temps sans accorder liberalement la requeste du sire, qui se trouva fort content d'un si favorable accord; restoit seulement le moyen du joindre, qui fut tel que, la nuit ensuivant, il iroit coucher avec elle, et luy donneroit, outre ses gages, un corset[463] du plus fin drap de sa boutique. La chambrière, tant pour le plaisir qu'elle attendoit que pour l'esperance du corset, fut contente. Ainsi le marchand, voyant que son entreprise succedoit selon l'intention de son cœur, bruslant d'un costé d'une longue attente, d'autre estant envelopé d'une crainte d'estre decouvert de sa femme, ne peut trouver autre remède en sa lourde teste que de tirer en secret son apprenty, et, se fiant plus en sa sotte jeunesse qu'en son apparente folie, luy dit: Escoute, j'ay une entreprinse necessaire où il me faut aller cette nuict pour le fait de ma marchandise, en laquelle je pourrois avoir grande perte sans ma presence; mais parce que ta maistresse (craignant qu'il ne survinst quelque ennuyeuse fortune) ne me voudroit donner congé, au moyen de ce qu'elle est jeune, craintive de nuict et ne veut coucher seule, pour ce que je t'ay cogneu fidelle, quasi de son aage, et que tu as bon vouloir de me servir loyallement pour l'honneur de tes parens, me fiant en toy, sans luy rien dire, incontinent qu'elle sera couchée et endormie, je te commande, pour l'asseurer, de te coucher en ma place. Mais donnes-toy garde de parler ou remuer tant soit peu, de peur qu'elle ne te cognoisse: car tu serois à jamais perdu. Ce lourdaut d'apprenty (qui n'avoit accoustumé telle compagnie à son coucher) pleuroit quasi de l'exécution d'une telle commission; mais, pour ce qu'il avoit receu exprès commandement de son père d'obeyr en tout et partout à son maistre, n'osa contredire, de crainte de quelque plainte qu'eust peu faire le sire envers son père: de sorte qu'à l'heure qui luy avoit esté ordonnée, avec une frayeur, tout tremblant se coucha auprès de la dame. Le mari, d'autre costé (estimant avoir mis bon escorte pour son embusche), alla d'une gayeté de cœur chercher sa marchandise non plus loin que le lict de sa chambrière, de laquelle pour bien juger s'il fut mieux receu qu'attendu, je m'en rapporte à ceux qui se sont trouvez au labeur et plaisir d'un tel changement. L'apprenty, qui, au commencement de son coucher, trembloit de froid et de peur, sentant la challeur du lict et de la femme, commença à s'asseurer quelque peu. La dame, qui, au milieu de son somme, eut affection de sentir son mary, s'approcha plus près, estimant estre celuy duquel, selon Dieu, elle pouvoit chercher contentement.
Ce jeune garçon, sentant ses approches, cuide reculer, suivant le commandement de son maistre; mais plus il fuyoit, plus la dame coulloit sa cuisse le long de la sienne, tellement qu'en ceste fuitte se trouva bord à bord du lict sans pouvoir reculer davantage s'il n'eust voulu tomber. En ses altères[464] demeura quelque temps si passionné et pressé, qu'une chaleur autre que la première luy causa si chaude fièvre, qu'oubliant le commandement du marchand, ne se peust garder de remuer si dextrement que de la maistresse fut receu pour son mary, et d'aprenty se fit tel maistre, que pour le bon traitement qu'ilz receurent l'un de l'autre, ne le print envye de parler un seul mot. Ainsi, tout estonné de s'estre trouvé en si nouveau travail, n'oublia de soy lever plus matin, de peur d'estre cogneu, et s'en retourna tout gay en la boutique, sans se vanter de la faveur qu'il avoit receu de la dame, laquelle, sur les sept heures, prend le chemin du marché pour acheter des vivres, et, retournant en la maison, rencontra son mary, qui estoit en la bouticque, lequel, apercevant un gras chapon qu'elle tenoit, luy demanda s'il y avoit quelqu'un de ses parens à disner au logis. La dame, passant plus outre, lui respond que non. Le mary, qui n'avoit accoustumé de tenir si gras ordinaire, ne fut content de cette responce, et la poursuyvit l'interrogeant de son marché. Sa femme, hochant la teste, lui replicque: Voire vrayement, un chapon! il me semble que ne devez point tant faire le courroucé, veu que l'avez si bien gaigné. Je ne sçay quel gibier aviez mangé: ceste nuict vous estiez quasi enragé. A ce mot d'enragé, le mary fut fort estonné d'une telle responce, et cogneut par là son evidente sottise; tellement qu'en ceste extrême cholère, sans plus parler du chapon, rencontrant ce jeune garson, lequel, voyant les estranges menaces, et craignant la violence et fureur de son maistre, sort du logis et se retire chez son père, qui commença soudain à le reprendre d'une rigoureuse façon, luy disant que c'estoit un enfant qui estoit perdu, qui ne valoit rien et qui ne demandoit qu'à fuyr la bouticque. Ce pauvre garson, ainsi chassé de tous costez sans sçavoir où soy retirer, n'osoit retourner à son maistre, et s'en alloit promenant par la ville pour chercher lieu seur à se cacher. Mais le père, allant à ses affaires, le rencontre, et, voyant que son filz avoit un visage si craintif et piteux, eust soudain opinion qu'il eust desrobé le sire, de quoy voulant sçavoir la verité, le rameine en sa maison, où tant d'amour que de rigueur le contraignit de confesser assez piteusement la verité du premier essay de sa jeunesse, et que le maistre, par force, l'avoit fait coucher avecq' la dame, dont depuis il s'estoit si fort courroucé contre luy qu'il l'avoit voulu tuer. Le père, ayant entendu un si bon tour (advenu par la sottise du marchand), s'appaise, et le va au plus tost chercher jusques en sa maison, où, après l'avoir salué, luy demande si son filz l'avoit desrobé, veu qu'il l'avoit chassé comme un larron, ce qu'où il se pourroit trouver veritable, luy-mesme en feroit la punition si violante qu'elle serait exemplaire à tous, et que, au surplus, satisferoit entierement au tort et au larrecin. A quoy luy fut repondu par le sire (ayant encore le cerveau tout troublé de si recente tromperie) que non, mais que c'estoit un mauvais et affeté garson duquel il ne se serviroit jamais. Donc (dist le père), rendez-moy le surplus de mes quarante escuz, et vous payez du temps que l'avez tenu et qu'il vous a tant bien servy. Le marchand, despité outre mesure qu'en ce service avoit fait une si facheuse rencontre, ne pensoit à autre chose qu'à se plaindre et courroucer, tellement qu'ilz entrèrent en telles picques, que le père, ennuyé du refus, fit adjourner le marchand par devant le juge ordinaire de la ville pour luy payer le reste de l'argent; et fut tellement procedé que, la cause playdée, l'aprenty fut interrogé, le fait descouvert, et le pauvre sire, avec une courte honte, condamné.
Si tous ceux (mes dames) qui aiment le change estoient punis de semblable punition, je crois qu'outre que le nombre en seroit grand, les maris seroient aussi d'autant plus sages à conserver leurs femmes, des quelles ils peuvent user en pleine liberté, et non chercher les chambrières pour en recevoir une fin si sote et honteuse. Mais où ce malheureux vice prend une fois racine, il ne cesse de pousser jusques à ce qu'il ait engendré en nos cœurs une tige si puante et infecte que le fruict n'en vaut jamais rien.
Le premier Testament du Martyr amoureux.
Puis qu'en dueil et tourment
Je meurs par trop aymer,
Je fais mon testament
Dolent, triste et amer.
Je prie à mes amis
Qu'à la fin de mes jours,
Mon petit cœur soit mis
Dans le temple d'Amours.
Douze torches j'auray
De feu d'Ardent Desir;
En ce cercueil seray
Porté de Desplaisir.
Ceux qui me porteront
Auront chappeaux de saux[465],
Les quelz demonstreront
Mes amoureux assaux.
Les porteurs soyent: Regret,
Faux-Semblant et Reffus;
Pour le quart, Dueil secret,
Pour qui je meurs confus.
Trois porteront le dueil:
Rigueur, Ennuy, Soucy,
Ayans la larme à l'œil,
Avecques Sans-Mercy.
Puis les cloches de pleurs
En bruit on sonnera.
Cruauté de sonneurs
S'il veut ordonnera.
Mon service fera
L'aumosnier de Pitié;
Le dyacre sera
Le prestre d'Amitié.
Le soubz-diacre après,
Ce sera Bel-Acueil[466],
Qui ne se mettra près
De mon piteux cercueil.
Noires chappes auront,
Beau-Parler, Regard-Doux,
Qui l'office feront
En larmes sans courroux.
A la fin, Noble-Cueur,
D'un cueur bien compassé,
Dira dedans le cueur:
Requiescant in pace.
Ballades et rondeaux
D'amours seront donnez
Aux amoureux loyaux
Qui sont abandonnez.
Je fais mes heritiers
Les habitants d'Honneur,
Qui aiment volontiers
Dames sans deshonneur;
Et l'execution
Du testament sera
Dame Compassion,
Le plus tost que pourra.
Dessus moy soit escrit:
Cy gist un douloureux,
Le quel rendit l'esprit
Par trop estre amoureux.
Je vous pry', vrais amans,
De n'aimer si très fort
Que n'en soyez amens
Et encouriez la mort.
Legat[467] testamentaire du Prince des Sots à M. C. d'Acreigne, Tullois, advocat en parlement[468], pour avoir descrit la defaite de deux mille hommes de pied, avec la prise de vingt-cinq enseignes, par Monseigneur le duc de Guyse.
Sans lieu ni date. In-8.
Nostre amé et feal, sçachant qu'il n'y a rien si certain à l'homme que la mort, ne si incertain que l'heure d'icelle, mesme me recognoissant debile de corps, pour ma vieillesse, et par la grace de Dieu assez fortifié d'esprit pour pourvoir à la substitution des honneurs ausquels pour recognoissance j'ay esté promeu, et ne pouvant nommer pour nous estre substitué aucun plus capable que vous, ayant depuis cinq jours en çà conféré avec M. Agnan[469], qui nous est apparu embeguiné, enfariné, tel que les sots de mon royaume l'ont veu et practiqué en nostre hostel de Bourgongne, et luy, assez instruit de vos merites en ce cas requis, nous ayant instamment prié de la preference en vostre recommandation, pour luy complaire et satisfaire au desir que nous avons tousjours eu de vous advancer, pour l'esperance que vous vous acquitterez bien et loyaument de la charge à laquelle nous vous voulons appeler, le cas advenant que Dieu face son commandement de nous, et que vous nous surviviez, vous avons pour ces causes et autres à desduire cy-après au long et au large, haut et bas, en bloc et en tasche[470], tant en gros qu'en menu, donné nos lettres de nomination pour exercer icelle nostre charge plainement et absolument, et en prendre la possession et jouyssance incontinent après nostre trespas; et affin de voue installer plus facilement en icelle nostre charge, vous avons associé avec nous aux tiltres et priviléges desquels nous jouissons; et, pour eviter les fraiz qu'il vous conviendroit faire, nous vous en relevons, vous dispensant de comparoistre, tant en public qu'en privé, en l'estat que nature vous a relevé, sans qu'aucun de nos dits subjects vous en puisse porter envie, ausquels nous imposons silence, n'entendant qu'ils se formalisent en aucune manière s'ils ne vous voyent enchaperonné comme nous, pourveu que vous soyez tousjours en possession de vos oreilles d'asne, desquelles nature a faict chef-d'œuvre en vous, pour admirable eschantillon de vostre future grandeur, et pour rendre aucunement satisfaicts ceux qui pourroient contester avec vous, bien que nous ne soyons tenus de raisonner avec nos subjects autrement que selon nostre plaisir. Donné à Paris, etc. Nous voulons qu'ils sçachent que, pour l'effronterie, vous avez faict merveilles; pour l'ignorance, vous engendrez des monstres; pour l'estourdissement, vous le mettez en pratticque autant que les dromadaires que nous avons veu à Paris au bout du pont Neuf; pour les bourdes, vous en sçavez compter comme si vous veniez de loing; pour un parasite et escornifleur, vous y estes extremement naïf; pour le soldat, vous l'estes presque autant que Thersite; pour enchomiaste[471] et louangeur historiographe, autant que Cherille[472]; pour capitaine, autant que Crocodile, qui s'esvanouit sur le tombeau d'une grenouille qui, tombée dans l'embuscade des rats, fut escorchée toute vive[473]; pour frippon, vous en avez esté passé maistre au collége de Lisieux; pour gibier de mouchard, vous en avez faict chef-d'œuvre à celui de Mans[474]; vous sçavez faire le mathois comme les cappettes de Montaigu[475]; en gourmandise, vous surpassez les souppiers de Reius.
Nous les renvoyons tous, pour estre plus amplement informez de vos merites, en la lecture de ce recit veritable de la deffaicte des troupes du prince de Condé par nostre cher et bien-aimé cousin le duc de Guise[476], que vous avez ampliffiée, par la reigle de multiplication arithmetique, de vingt pauvres malotrus à cinq cens francs-archers, ou francs-taupins, tant à pied qu'à cheval: l'un est aussi vray que l'autre. Ne m'en chaut, pourveu que dans Paris l'on vende encores les salades en saulce verde[477], pour avaler à petits morceaux les restes de la vache enragée de patience, exposée au collége de Clermont[478] par les bons pères jesuistes[479], pour amplifier la martyrologie du nombre des affidez à l'espagnole, en vertu des grains benists, selon l'invention du père Ignace, renouvellant les formulaires prattiqués par les heritiers de Salladin, en Amernie, contre les princes de l'Europe qui avoient traversé l'Asie et vouloient restablir un nouveau roy en Jerusalem[480]. J'ay veu representé en la sale de ma principauté par des personnages qui, non tant pour mon plaisir que pour faire argent, disoient avoir recouvert tous ces mystères de nostre vieil archive. J'espère que, si vous nous succedez, vous y serez recogneu franc archier, car vous ne dementirez point vostre mine, qui ne nous promet rien moins en vous qu'un bon successeur, digne sur tous les francs sots de tenir les resnes longuement, en tout heur et felicité. Donné au Landy, le vingt et unziesme de nostre reigne, l'an present qui suit les autres. Et à vous d'autant escrimez-vous de la marotte; n'oubliez la bouteille quand vous visiterez les huissiers de la Samaritaine, qui, attendant les passans pour continuer leurs exploicts aux assignations quadrifessales, Amen et sic per omnes casus, amen. Si je sçavois que vous entendissiez mon haut aleman, je vous en dirois davantage; mais je m'impose silence pour ceste heure, pour faire ouyr l'harmonie d'une chanson qui prophetise les veritez passées, pour ne tromper personne à fausses enseignes, comme celles qu'on porta à Nostre-Dame du temps de la Ligue.
Ainsi signé: Angoulevent, prince des sots, et scellé de cire invisible; et sur le reply: Par monseigneur le prince des sots.
Cet espouvantable carnage
Qu'on oit publier dans Paris,
Ce n'est qu'en un nouveau langage
La mort des rats et des souris.
D'Acreygne, d'estoc et de taille,
Jouant çà et là des deux mains,
Donne le gaing de la bataille
A la vaillance des Lorains.
Pour avoir descrite l'histoire
De ces memorables assauts,
Il joinct à ses tiltres la gloire
D'estre nommé Prince des Sots.
Oraison funèbre de Caresme prenant, composée par le Serviteur du roy des Melons andardois[482].
M.DC.XXIII. In-8.
Pourquoi, cruelle Mort, trop injuste et sevère,
Nous oste-tu si tost ce prince debonnaire?
Pourquoy as-tu changé nostre contentement,
Nos liesses, nos joyes, en douleurs et tourment,
Nous privant de celuy dont les graces divines
Esclattoient tous les jours au milieu des cuisines,
Qui a fait que les princes ont quitté les combats
Pour chercher les festins, les dances, les esbats;
Qui mesme a fait changer aux grands chefs de milice
La fureur en douceur, et quitter l'exercice
Des armes pour chercher aux cuisines repos,
Où aux combats des dents ils se monstroient dispos;
Et, festoyans sans fin de viande assaisonnée,
Comme chapons, poulets, langue de bœuf fumée[483],
Perdris, cailles, faisans, patez de venaison,
Lièvres, levraux, lapins, becasses de saison,
Oys sauvages, canards, pluviers et courlie,
Vaneaux et pigeonneaux, l'alouette jolie,
Sans conter le bœuf gras, poulets de fevrier,
Le veau, dont se traitoit l'artisan roturier,
Les masques desguisez de diverses manières,
En boesme, à l'entique, en paisans et bergères,
Accompagnez les uns de musique de voix,
Les autres de viollons, flageolets et hautbois,
Les phifres, les tambours, les trompettes gaillardes,
Faisoient retentir l'air en donnant les aubades?
Chacun à qui mieux mieux alloient solemnisant
De ce prince benin l'heureux advenement.
Mais, quoy! cela n'est plus: ceste mort trop soudaine
Finissant nos plaisirs, augmente nostre peine,
Nous l'oste, meurtrière, aussitost que venu,
Et quasi mesme avant qu'il fust de nous conu,
Change tous ces plaisirs en amères tristesses,
En jeûnes, en chagrins, en travaux, en angoisses,
Nos chapons en harans, en febves nos poulets,
Et nos langues de bœuf en vieux harans sorets,
Nos perdrix en moulue[484], nos cailles en anguillettes,
Et nos faisans en rais puantes et infectes.
Pastez de venaison seront changez en noix,
Nos lièvres et levraux et nos lapins en pois;
Oys sauvages et canards, pluviers et courlies,
Seront changez aussi pour des seiches pouries[485];
Et bref, tout le surplus de ces frians morceaux
Seront changez en raves, eschervises, naveaux;
Nos dances, nos ballets, mousmons[486] et masquarades,
Nos musiques de voix, en cris et hurlemant
Qu'on fera pour la mort de Caresme prenant.
Hé! qui sera celuy qui de ses deux paupières
Ne fera distiler deux coulantes rivières,
Lorsque, par le deceds de ce prince tant bon,
Il se verra exclus de manger d'un jambon?
Pleurez, pleurez, pleurez, pleurez en milles diables;
Hé! pleurez pour celuy qui faisoit que les tables
Estoient toujours remplies de mets delicieux,
De vins clairets, vins blancs, vins nouveaux et vins vieux;
Pleurez, broches et landiers[487]; pleurez, vous, lechefrites;
Pleurez, casse[488] et chaudron; pleurez, grasses marmites,
Pleurez, pleurez la mort de celuy qui faisoit
Que servant tous les jours chacun vous cherissoit;
Pleurez, pleurez aussi, vous, gentille lardoire,
Et ayez comme nous de ce prince memoire;
Disons-luy tous adieu, et tous ensemblement
Faisons-luy de l'honneur à son enterrement;
Pleurons à qui mieux mieux, jusqu'à ce qu'il revienne.
Cul qui ne pleurera, que la foire le prenne,
Et, ne le laschant point, aille tousjours foirant
Jusqu'au nouveau retour de Caresme prenant!
Puisse l'amour qui vous enserre
Vous convier d'aimer un Pierre,
Serviteur du roy des Melons,
Et que l'astre qui vous void naistre
Vous puisse; Charles et mon maistre,
Unir de cœur comme de noms!
FIN DU TOME TROISIÈME.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
- Pages
- 1 Placet des amans au roy contre les voleurs de nuit et les filoux. 5
- 2 Reponse des filoux (par Mlle de Scudery). 9
- 3 Recit veritable de l'attentat fait sur le precieux corps de N.-S. Jesus-Christ entre les mains du prestre disant la messe, le 24 mai 1649, en l'église de Sannois. 11
- 4 Histoire prodigieuse du fantome cavalier Solliciteur qui s'est battu en duel le 27 janvier 1615, près Paris. 17
- 5 La Chasse au vieil grognard de l'antiquité. 1622. 27
- 6 L'Onophage, ou le mangeur d'asne, histoire veritable d'un procureur qui a mangé un asne. 67
- 7 Les Regrets des filles de joie de Paris sur le subject de leur bannissement. 77
- 8 Histoire joyeuse et plaisante de M. de Basseville et d'une jeune demoiselle, fille du ministre de S.-Lo, laquelle fut prise et emportée subtilement de la maison de son père. 83
- 9 L'Ordre du combat de deux gentilshommes faict en la ville de Moulins, accordé par le roy nostre sire. 93
- 10 La Response des servantes aux langues calomnieuses qui ont frollé sur l'ance du panier ce caresme; avec l'advertissement des servantes bien mariées et mal pourveues à celles qui sont à marier, et prendre bien garde à eux avant que de leur mettre en mesnage. 101
- 11 Nouveau reglement general sur toutes sortes de marchandises et manufactures qui sont utiles et necessaires dans ce royaume, par de la Gomberdière. 109
- 12 Le Trebuchement de l'ivrongne, par G. Colletet. 125
- 13 Lettres nouvelles contenant le privilege et l'auctorité d'avoir deux femmes. 141
- 14 Règles, Statuts et Ordonnances de la caballe des filous reformez depuis huict jours dans Paris, ensemble leur police, estat, gouvernement, et le moyen de les cognoistre d'une lieue loing sans lunettes. 147
- 15 Priviléges des Enfans Sans-Souci, qui donne lettre patente à madame la comtesse de Gosier Sallé.... pour aller et venir par tous les vignobles de France. 159
- 16 La Rencontre merveilleuse de Piedaigrette avec maistre Guillaume revenant des Champs-Elizée, avec la genealogique des coquilberts. 165
- 17 Le Ballieux des ordures du monde. 185
- 18 Discours veritable des visions advenues au premier et second jour d'aoust 1589 à la personne de l'empereur des Turcs, sultan Amurat, en la ville de Constantinople, avec les protestations qu'il a fait pour la manutention du christianisme. 203
- 19 Le Pasquil du rencontre des cocus à Fontainebleau. 217
- 20 Exemplaire punition du violement et assassinat commis par François de La Motte, lieutenant du sieur de Montestruc, en la garnison de Metz en Lorraine, à la fille d'un bourgeois de ladite ville, et executé à Paris le 5 décembre 1607. 229
- 21 Le Satyrique de la court, 1624. 241
- 22 Les Estranges Tromperies de quelques charlatans nouvellement arrivez à Paris, descouvertes aux despens d'un plaideur, par C. F. Duppé. 273
- 23 La Pièce de cabinet, dediée aux poètes du temps (par E. Carneau). 283
- 24 Privileges et reglemens de l'Archiconfrerie vulgairement dite des Cervelles emouquées ou des Ratiers. 297
- 25 Advis de Guillaume de la Porte, hotteux ès halles de la ville de Paris. 311
- 26 Les Misères de la femme mariée, où se peuvent voir les peines et tourmens qu'elle reçoit durant sa vie, mis en forme de stances par Mme Liebault. 321
- 27 Les Privileges et fidelitez des Chastrez, ensemble la responce aux griefs proposez en l'arrest donné contre eux au profit des femmes. 333
- 28 Le Pont-Neuf frondé. 337
- 29 La Tromperie faicte à un Marchand par son Apprenty, lequel coucha avec sa femme, qui avoit peur de nuict, et de ce qui en advint; avec le Testament du Martyr amoureux. 343
- 30 Legat testamentaire du Prince des Sots à M. C. d'Acreigne, Tullois, pour avoir descrit la defaite de deux mille hommes de pied, avec la prise de vingt-cinq enseignes, par Monseigneur le duc de Guyse. 353
- 31 Oraison funèbre de Caresme prenant, composée par le serviteur du roy des Melons andardois. 361