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Apologie pour les nouveaux-riches

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L'ART DE DÉPENSER

Francis de Miomandre, cet écrivain délicieux qui n'a pas encore eu le succès qu'il mérite, a publié de jolies réflexions sur l'Art de dépenser. Non sans tristesse, il demandait à ses lecteurs :

— « Faudra-t-il en donner des recettes? Est-ce la peine de rappeler qu'il existe! »

Puis :

— « Serait-il vrai que l'argent est plus difficile à dépenser qu'à gagner, contrairement à ce que croit le vulgaire? »

J'ignore si Marcel Boulenger a rien écrit sur ce sujet. Je le regrette. J'aurais eu plaisir à citer de lui quelque maxime, pour mettre dans mes pages un peu de couleur et d'autorité. Le public ne connaît pas la joie que procure, à celui qui la cite, une phrase citée au bon moment.

Il est certain que tout le monde ne sait pas dépenser. C'est un art délicat. En dépit des apparences, c'est un luxe qui n'est pas à la portée de toutes les bourses, surtout des mieux garnies. Cent Nouveaux-riches nous en fourniraient cent fois cent preuves. Ils commettent une erreur grave ceux qui affirment : « Je dépense, donc je suis. »

*
*  *

Dépenser à tort et à travers, voilà le tort et voilà le travers. Ainsi font les Nouveaux-riches lorsqu'ils se mêlent de dépenser. Ils le font avec assurance, il est vrai, rendons-leur cette justice.

Inscrirai-je ici le nom de cet ancien tourneur d'obus qui, devenu propriétaire d'un des plus somptueux coffres-forts de Paris, se mit en tête d'avoir une belle bibliothèque? Cela se doit, n'est-ce pas, d'avoir une belle bibliothèque? Le dernier des épiciers vous dira que vous n'êtes pas riche, si vous ne possédez pas une édition des Fermiers Généraux.

Notre bibliophile était moins ambitieux. Pourvu qu'il eût chez lui de beaux livres, bien reliés, et d'un grand prix, le reste ne l'intéressait pas. Il n'avait pas, vous pensez, l'intention de lire. Il ne poussait même pas le scrupule jusqu'à vouloir, comme cette bourgeoise nouvellement promue dont l'Opinion nous rapporta les goûts, des livres d'amateur, c'est-à-dire, expliqua-t-elle, des livres numérotés.

Il laissa carte blanche au libraire ahuri pour le choix des auteurs.

— « N'avez-vous aucune préférence? »

— « Non, non. Mettez ce qu'il vous plaira. »

— « Des romans? Des mémoires? De la poésie? »

— « Oui, oui, allez. Vous savez mieux que moi ce qui se met dans une bibliothèque. C'est pour mon fumoir. »

— « Parfait. Mais combien vous en faut-il? »

— « Combien? »

Le bibliophile répondit sans hésiter :

— « Il m'en faut dix-huit mètres. »

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Dès qu'il s'agit d'ameublement, les Nouveaux-riches perdent tout-à-coup ce sang-froid qui ne leur manqua jamais dans leur négoce. Ils pensent entrer dans un royaume magnifique où l'impossible n'existe pas. Tout s'y trouve merveilleux par nature. Mais rien ne surprend un Nouveau-riche.

Fantasio nous a conté, parmi d'autres histoires, celle d'un provincial qui avait gagné plusieurs millions en vendant des vins plus ou moins portugais. Vous en souvient-il?

Étant à Paris pour ses affaires, il voulut tenir la promesse qu'il avait faite à sa fille, de lui acheter un piano à queue, mais un beau piano, quelque chose de riche enfin. Il se rendit donc chez le meilleur facteur de la place et lui exposa son envie. Il était prêt à tous les sacrifices.

On lui montra des pianos en palissandre, des pianos en noyer ciré, des pianos en citronnier, des pianos décorés de cuivres, des pianos rehaussés de peintures. Il s'arrêta devant un piano d'acajou massif, parce qu'on lui avoua qu'on n'en avait pas qui coûtât plus cher.

— « Combien? »

— « Soixante-mille. »

On peut vendre des pianos aux Nouveaux-riches les plus bêtes ; il y a cependant des nombres qu'on ne prononce pas sans modestie. Le facteur prononça ce « soixante-mille » d'une voix indifférente, comme s'il eût juré que le client, tout de même, reculerait. Mais le client ne recula pas. Il avait probablement délibéré d'aller jusqu'à ce soixante-mille.

Il avait probablement délibéré d'aller au delà. Car il commanda, d'un ton bref :

— « Alors, mettez-en deux. »

*
*  *

Néanmoins, tous les Nouveaux-riches n'ont pas tant d'estomac. Il en est qui n'acceptent pas sans marchander les premiers prix qu'on leur annonce : les vieilles habitudes sont dures à déraciner. C'est principalement chez les femmes que la vieille habitude résiste davantage. Il résulte d'étranges effets, de ces compétitions de l'économie et de la prodigalité.

Rappelons une anecdote qui a fait le tour de Paris :

Nous sommes chez une modiste de la rue de la Paix. Une cliente, dont la manucure n'avait pas encore pu sauver les ongles, se faisait montrer des chapeaux. Rien ne semblait la tenter. Elle était difficile. Quand on s'habille aux Champs-Élysées et qu'on a des bijoux — beaucoup de bijoux — de la place Vendôme, on ne peut pas ne pas être difficile. Celle-ci ne cachait pas sa déception, encore qu'en toute franchise, dans le fond du cœur, elle ne fût pas bien certaine d'être déçue. Mais on finit par la toucher, avec un petit chapeau, joli comme tout.

— « Un véritable amour, Madame », lui disait-on. « Un pur bijou de 1830. »

— « Oui », répondit la cliente, « il n'est pas trop mal. »

Puis, après examen :

— « 1830? » fit-elle. « Oh! vous me le laisserez à 1800? »

*
*  *

Il a été écrit :

« Rien ne fait mieux comprendre le peu de chose que Dieu croit donner aux hommes, en leur abandonnant les richesses, l'argent, les grands établissements et les autres biens, que la dispensation qu'il en fait, et le genre d'hommes qui en sont le mieux pourvus. »

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