Apologie pour les nouveaux-riches
GÉNÉRALITÉS PRÉPARATOIRES
Vous êtes à pied dans la rue. Si une limousine en passant vous éclabousse, vous vous écriez :
— « Cochon de Nouveau-riche! »
Vous dînez au restaurant. Près de vous, on débouche une bouteille de Champagne. Vous vous dites :
— « Ces Nouveaux-riches! »
Un jour de grève des omnibus, vous arrêtez un taxi, parce que vous êtes pressé. Quelqu'un se précipite vers le chauffeur en lui promettant vingt francs de pourboire. Vous grognez :
— « Nouveau-riche! »
Au théâtre, dans une loge, vous apercevez des hommes en veston. Vous jugez :
— « Encore des Nouveaux-riches. »
On vous marche sur le pied :
— « C'est un Nouveau-riche. »
Vous voyez une jolie petite grue qui monte en voiture :
— « C'est pour un Nouveau-riche. »
On vous rapporte un propos bête comme tout :
— « C'est d'un Nouveau-riche. »
Mais qu'est-ce enfin qu'un Nouveau-riche?
* *
Un Nouveau-riche, c'est :
I. |
— Un individu qui était un homme en 1914 et qui est un Monsieur en 1920 ; | ||||
| — Un homme qui, souvent, parlait à la troisième personne en 1914, et à qui on parle à la troisième personne en 1920 ; | |||||
| — Un Monsieur qui vous saluait en 1914, et qui attend votre salut en 1920 ; | |||||
II. |
— Un individu qui n'avait pas | } | de l'argent. | ||
| — Un homme qui a gagné | |||||
| — Un Monsieur qui a | |||||
III. |
— Un individu | } | qui ne mérite pas d'en avoir. | ||
| — Un homme | |||||
| — Un Monsieur | |||||
IV. |
— Un individu | } | qui ne sait pas s'en servir. | ||
| — Un homme | |||||
| — Un Monsieur | |||||
V. |
— Un individu | } | qui se moque de vous et de moi. | ||
| — Un homme | |||||
| — Un Monsieur | |||||
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Le Nouveau-riche est à peu près le seul avantage que nous ayons tiré de la guerre. Il est considérable.
Le Nouveau-riche est à peu près le seul homme de France à qui la guerre ait été de quelque profit. Ce profit, il est vrai, fut grand.
* *
Le Nouveau-riche a fait fortune, pendant la guerre, en vendant des choses à l'État, ou en vendant d'autres choses aux simples particuliers. Quelquefois, il menait les deux commerces.
L'État, qui a l'avantage de faire payer ses factures par les contribuables, achetait à n'importe quel prix, pourvu qu'il fixât lui-même ce prix. Il le fixait n'importe comment, au hasard de préférence, mais avec un goût de l'excessif que les monarchies les plus dépensières n'ont jamais connu.
Pour la vente aux simples particuliers, par manière de compensation, c'est le marchand qui fixait les prix. En citoyen libre d'une libre république, il les fixait avec une fantaisie que les humoristes les plus audacieux n'auraient pas inventée.
Notons seulement qu'en France les simples particuliers et les contribuables se confondent. Si nous ne sommes pas encore tous ruinés, il y a de quoi en rester confondu.
* *
Selon Hésiode, Ploutos, dieu de la richesse, était fils de Déméter, déesse des moissons. Ainsi, les champs ayant besoin de la paix selon tous les poètes, nul n'aurait dû pouvoir s'enrichir pendant la guerre. On sait qu'il en fut autrement.
Mais il serait puéril de convaincre les Grecs de mensonge. La prescription les sauve. D'ailleurs, la paix donne la richesse, on ne peut le nier. Elle la donne toutefois plus grande avant même d'être la paix. Cela aussi est une triste vérité.
Pendant la guerre, les mercantis de tout poil furent d'une endurance digne d'éloges.
Ceux de la zone des armées n'hésitaient pas à passer des nuits blanches derrière leurs volets clos, afin d'héberger les soldats désireux de boire de verts bourgognes servis par des Madelons souvent attigées.
Ceux de l'intérieur, chargés de la subsistance des civils, n'avaient pas une livre de sucre pour qui leur présentait une carte d'alimentation. Mais ils en fournissaient dix boîtes de cinq kilos à qui les voulait payer trente francs l'une. Cette grandeur d'âme avait ses dangers. Les mercantis les bravaient.
Tous étaient décidés à tenir jusqu'au bout. Ils s'y étaient si bien décidés qu'ils auraient tenu jusqu'au 11 novembre 1934. L'armistice de 1918 les déçut un peu. « Déjà? » demandèrent-ils. L'héroïsme, affaire d'habitude, ne leur pesait plus.
Les temps allaient changer. Un jour viendrait sans doute où la vie redeviendrait normale. La guerre avait fini plus tôt qu'ils ne pensaient qu'elle dût finir. La paix pourrait aussi, plus tôt qu'on ne croyait, tout remettre en l'état d'autrefois. Ils résolurent de proroger leur héroïsme.
Et ce fut la vie chère, toujours plus chère.
* *
Et nous avons les Nouveaux-riches.
Dans les écoles, les enfants n'apprennent plus à conjuguer le verbe aimer.
Il n'est pas nécessaire, ont décrété les maîtres, de leur bourrer le crâne avec des mots dont le sens s'est perdu.
Les petits conjuguent en chœur : « J'augmente, tu augmentes, il augmente, nous augmentons, vous augmentez, ils augmentent. »
Pauvres petits! Comment concilieraient-ils les leçons de leurs maîtres et les plaintes de leurs parents?
La mère annonce en préparant une tartine :
— « Le beurre a encore augmenté. »
— « C'est le passé indéfini », dit l'enfant, tout fier de sa jeune science.
— « Non », corrige la mère, « c'est le présent, le douloureux présent. »
— « Indéfini? » ajoute le père. « C'est, hélas, bien défini. Je crains plutôt que ce ne soit le futur qui soit indéfini. »
Cet enfant ne saura jamais la grammaire.
Les Nouveaux-riches sont passés par là.
* *
Qui donc a dit, mais en serrant les dents :
— « Les Nouveaux-riches, ou la médiocrité dorée. »
* *
La Bruyère disait :
— « Faire fortune est une si belle phrase… »