Apologie pour les nouveaux-riches
LA BELLE NAÏVETÉ
Candeur n'est point naïveté.
On disait jadis : « La naïveté est l'expression de la franchise, de la liberté, de la simplicité ou de l'ignorance, et souvent de tout cela à la fois. » Voilà une définition dont je m'empare volontiers pour mes Nouveaux-riches.
De la franchise, ils en ont. Comme il n'est pas prouvé que l'argent ne soit pas tout, singulièrement dans une république pareille à la nôtre, les Nouveaux-riches ayant l'argent et donc toutes les possibilités, tout leur est permis, au grand jour. Ils n'ont rien à cacher, ni la façon dont ils s'élevèrent, ni les appétits qu'ils ont, ni la sottise qui leur illumine les yeux.
La liberté se passe de commentaires. Nous savons que ces Messieurs ont pu s'engraisser impunément. Nos droits cessent quand les leurs commencent. Leurs droits commencent tout de suite.
La simplicité, on me permettra de ne pas la confondre ici avec la modestie. Il s'agit d'autre chose.
Ignorance? Est-il besoin de poser un point d'interrogation? Un point suffit. Un point.
Mais illustrons ces généralités. Le conte fait passer la morale avec lui.
* *
Un soir, à la Comédie-Française, on jouait une pièce en vers et une pièce en prose, le Misanthrope et la Paix chez soi.
Arrivés après le lever du rideau, deux Nouveaux-riches, aux fauteuils de balcon, de face, tâchaient à prendre contact avec le spectacle.
— « Où en est-on? » demandait la femme.
— « Attends un peu », répondait l'homme.
Le rideau tomba. Ils discutèrent.
— « Est-ce la pièce en vers, ou la pièce en prose? » demanda la femme.
— « Comment veux-tu qu'on distingue de si loin? » répondit l'homme.
* *
L'été dernier, un Nouveau-riche crut indispensable de visiter les châteaux de la Loire.
A Tours, il s'écria :
— « Voilà un beau fleuve, pour un fleuve de province. »
* *
Un autre avait préféré passer la saison chaude au bord de la mer.
Il n'avait jamais vu la mer. Comme il en craignait le mal, n'en ayant aucune idée, même vague, il estima prudent de ne pas aller pour ses débuts à Deauville. Il choisit une plage obscure de Bretagne.
S'il eut de grandes émotions, ce fut en silence. Pendant de longues heures, il restait muet. Il regardait l'océan. Tant d'espace perdu le troublait peut-être.
Trois îles proches de la côte fixaient le plus souvent ses regards. Les gens autour de lui ne s'en occupaient point. Il n'osait questionner personne. On savait, évidemment, mais lui ne savait pas, et on saurait qu'il ne savait pas. Il se tut. Il méditait.
Un jour, enfin, l'énigme fut résolue. Il avait trouvé, tout seul. Il se frotta les mains. Et le soir, sur la jetée, hochant la tête et montrant du doigt les îles, il gémit doucement :
— « C'est, malheureux tout de même. On ne prendra donc jamais de mesures contre ces sacrées inondations? »
* *
Ils ne sont pas tous de cette force. Certains ont une naïveté différente, à quoi ils joignent par exemple un sérieux souci de leurs devoirs d'hommes neufs. Tel l'ancien marchand de confitures qu'a célébré l'Écho de Paris.
Comme il se promenait un matin, à l'heure de la marée descendante, il rencontra sur la plage un voisin qui pêchait la crevette.
— « Tiens! » dit-il. « Vous les pêchez vous-même? Moi, je les fais pêcher par mon valet de chambre. »
* *
Les « dames » de ces Messieurs ne se privent pas non plus d'être franches, libres, simples et ignorantes à bouche-que-veux-tu. Vingt anecdotes sortent des mémoires. En voici une, que j'emprunte à Fantasio. Elle les résume toutes d'un trait.
La scène se passa dans une de ces boutiques qu'on ne saurait proprement appeler boutiques. On n'y vend pas des parfums, des pâtes épilatoires, des crèmes, des poudres de riz, ou des crayons à farder, bagatelles à l'usage des filles, des jeunes filles, et bientôt des petites filles. Non. Ce sont, vous n'en doutez pas, des instituts de beauté.
Donc, devant un comptoir tout ce qu'il y a de plus Louis XVI, une importante matrone demandait de l'eau de Cologne.
— « A quel prix, Madame? »
— « N'importe. La meilleure que vous avez. »
— « Et combien Madame en veut-elle? »
— « Un demi-setier. »
* *
De ce qui se fait ou ne se fait pas dans ce qu'ils nomment avec emphase le grand monde, les nouveaux-riches ont des connaissances curieuses. Comme ils aspirent de toute leur âme à compter, ou à être comptés, dans le grand monde, il n'est pas de somptuosité qu'ils se refusent.
Au début de 1920, d'après Fantasio, un des plus gros marchands de bois de France avait invité de nombreux amis à pendre la crémaillère dans son nouvel hôtel, qui n'est pas loin de la porte Dauphine.
Les amis admirèrent. Il y avait à admirer, dans tous les sens du mot. La chambre à coucher surtout était admirable. On n'y voyait pas moins de trois lits.
— « Pour qui ce troisième lit? » jugea bon de demander une jeune femme.
La marchande répondit :
— « Mais pour nous. Voici le lit de mon époux ; voici le mien ; et celui-ci, c'est celui où nous nous rencontrons. »
* *
Encore un mot d'intérieur.
Il fut dit le soir où un Nouveau-riche donnait pour la première fois un grand dîner. L'ancien maquignon triomphait de joie et d'orgueil.
Le maître d'hôtel, digne, annonça :
— « Madame est servie. »
Et le maître tout court, indigné : — « Eh bien! » fit-il, « et moi? »
* *
La chronique est pleine de mots semblables, On est obligé de prendre au hasard dans le tas. Les gazettes en ont publié de délicieux. Pillons, une fois de plus, l'Écho de Paris :
Un Nouveau-riche se promenait au Bois de Boulogne, dans sa limousine, bien entendu. Le chapeau sur la nuque, un cigare à la bouche, les cuisses écartées, il toisait les piétons.
Au premier tournant, il aperçut une amazone et deux cavaliers.
Notre homme haussa les épaules.
— « Ces cavaliers! » dit-il. « Ça crâne, et ça n'a même pas de quoi se payer une auto. »
* *
Arrêtons-nous sur celui-là. Nous sommes prêts maintenant à savourer ce fragment d'un vieux dialogue :
Le Financier. — « Il faut, je crois, bien de la force d'esprit pour mépriser les richesses? »
Le Sage. — « Vous vous trompez, il suffit de regarder entre les mains de qui elles passent. »