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Caen démoli: Recueil de notices sur des monuments détruits ou défigurés, et sur l'ancien port de Caen

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CD_PL_beg LʼANCIEN PORT DE CAEN


NOTICE HISTORIQUE
SUR LES TRAVAUX AUXQUELS IL A DONNÉ LIEU


L E port de Caen est aussi ancien que la ville. Dès lʼan 1026, il avait assez dʼimportance pour que la dîme des produits de sa douane fût attribuée par Richard II, comme une donation sérieuse, à lʼabbaye de Fécamp. Au temps du duc Guillaume, sa prospérité fut encore augmentée par la conquête de lʼAngleterre, qui amena nécessairement un échange de productions entre la Normandie et le royaume nouvellement conquis.

Jusque-là, les navires nʼavaient eu pour principale station que le cours du Grand-Odon, depuis lʼendroit où cette rivière se jetait dans lʼOrne, cʼest-à-dire vers le point où est actuellement le pont des Abattoirs, jusquʼau pont de Darnetal, appelé plus tard pont St-Pierre.

La première amélioration du port fut entreprise par le duc Robert, fils de Guillaume le Conquérant, vers lʼannée 1104. Après avoir renforcé lʼOdon dʼune branche de lʼOrne, à laquelle la postérité reconnaissante a conservé le nom de canal du duc Robert, le duc fit creuser à lʼOdon un nouveau lit dans la prairie St-Gilles, pour lʼélargir et le rejeter un peu plus haut dans lʼOrne, vers le lieu quʼon appelle encore le rond-point. Grâce à ces travaux, des bâtiments plus forts purent remonter jusquʼau pont St-Pierre.

Ils y vinrent en si grand nombre que, quelque dix ans après cette première amélioration, la vue du mouvement du port excitait lʼadmiration dʼun certain Raoul Tortaire, moine de lʼabbaye de St-Benoît-de-Fleuri (Loiret), qui nous a laissé une curieuse relation en vers latins du voyage quʼil avait fait en Normandie, à une date quʼon peut fixer dʼune manière certaine entre les années 1107 et 1113.

« Le port, dit-il dans son poëme, donne asile à quelques gros vaisseaux que lui envoie la mer, dont les ondes, dans leur flux, suspendent presque entièrement le cours de la rivière. Ce sol, fécond en moissons, ne connaît pas lʼombrage des forêts; la noix gauloise, le raisin, la figue et lʼolive lui manquent; mais lʼîle Britannique lʼenrichit des produits divers du commerce et de ce quʼenfantent les terres baignées par la mer dʼOccident. »

Ébloui et tenté par le nombre et lʼéclat des étoffes de laine de diverses couleurs, des tissus de lin dʼune rare finesse, des soies moelleuses à trame serrée, et des autres marchandises quʼon débarque sur le quai, le bon moine sʼécrie naïvement: « A la vue de tant de richesses apportées des pays les plus divers par des hommes, dont les vêtements sont si disparates, je me sens tout agité et horriblement malheureux de ne pas avoir dʼargent! ».

Ces brillants produits de lʼOrient, qui faisaient regretter au bon religieux ses vœux de pauvreté, étaient échangés contre le blé, lʼorge, le hareng salé qui servait à lʼapprovisionnement des places fortes, et aussi contre les pierres à bâtir tirées des carrières de Vaucelles et de St-Julien.

Au XIIIe siècle, lʼaffluence des « navires chargés de toute sorte de marchandises » est encore affirmée en vers latins, par Guillaume Le Breton 36, historiographe de Philippe Auguste. Mais le mouvement du port dut singulièrement se ralentir pendant les malheurs de la guerre de Cent-Ans, les troubles de la Ligue du bien public et les dévastations des guerres de religion. Durant cette longue période de désastres, aucune amélioration nouvelle ne fut, on le comprend, apportée à la situation du port.

Cependant, il en eût exigé dʼurgentes; car, tandis que le pays commençait à se débarrasser de ses ennemis, le port de Caen subissait un autre genre dʼinvasion qui devait compromettre sa fortune et le menacer dʼune ruine prochaine. Lʼhistoire du port, à partir du XVIe siècle, ne se compose guère, en effet, que de la relation des envasements successifs de lʼOrne, des projets quʼon proposa et des travaux qui furent tentés pour remédier à cet état périlleux pour la navigation. Ces envasements redoutables tenaient à la nature des terrains où lʼOrne sʼétait creusé son lit capricieux. Le sol des prairies de Caen jusquʼà la mer nʼest, en effet, que le produit des matières que lʼeau de la rivière et le flux des marées avaient successivement déposées dans lʼancienne baie. Des fouilles, exécutées à la fin du XVIIIe siècle pour creuser le nouveau canal de lʼOrne, ont donné lieu à des découvertes qui sembleraient prouver que cette alluvion ne sʼest pas accomplie avec la lenteur que met habituellement la nature dans son patient travail des siècles. Telle est, du moins, lʼopinion dʼun observateur du temps, qui pense que le sol de lʼancienne baie de Caen se serait exhaussé de 6 mètres environ depuis la fin du IIe siècle de notre ère 37. On comprendra aisément, après cette explication, que dans un terrain si mobile, composé de tangue, de coquilles, de sable et de bois pourris, le double mouvement des eaux de la rivière et du flux de la mer ait formé dans le lit de lʼOrne, dʼailleurs trop sinueux, les atterrissements qui ont fait, jusquʼà nos jours, le désespoir des navigateurs. Les plaintes répétées des marins et des négociants de Caen qui réclamaient des travaux dʼamélioration, les fins de non-recevoir des maire et échevins de la ville, qui approuvaient les lamentations de leurs administrés sans pouvoir cependant trouver dans leur caisse vide les moyens efficaces de les consoler, les nombreux projets et plans proposés, tant par des particuliers que par des ingénieurs, pour porter remède au mal, la mauvaise volonté du Gouvernement qui, la plupart du temps, faisait la sourde oreille, quelques commencements dʼexécution, trop souvent interrompus par la guerre ou par le manque de fonds, formeraient un chapitre intéressant de lʼhistoire administrative du temps. Nous allons essayer de lʼécrire.

La seconde amélioration qui fut apportée à la rivière dʼOrne, depuis les travaux du duc Robert, date du règne de François Ier. Profitant de la présence du grand sénéchal, lieutenant du Roy dans la ville, les officiers et gouverneurs de Caen « luy firent entendre, dit M. de Bras 38, que la rivière dʼOurne, qui flue par ceste ville, estoit fort sineuse et tortue depuis le havre dʼOistreham jusques en ceste ville, et que les navires qui flottoyent par icelle estoyent fort retardez, et les matelos en peine dʼattendre le changement de vent et marée, devant quʼils abordassent les quaiz de ceste ville qui estoit une grande incommodité pour les marchands. Toutefois quʼil y avoit un endroit en la prairie, au bas du hamel de Longueval, lequel nʼestoit pas de grande longueur, et que si lʼon y faisait une tranchée on abrégeroit le cours de la rivière de plus dʼune grande lieuë, et que cʼestoit lʼendroit auquel les navires commençaient dʼalonger leur chemin et en peine dʼattendre changement de vent ou marée. Ayant ledict seigneur entendu ces remontrances, il sʼy transporte et gens experts et maritimes, et ayant trouvé par leur advis que une trenchée se pouvait aisément faire en cest endroit, et que elle estoit bien nécessaire pour la commodité des habitans et marchands forains, il en fut fait faire un devis. »

Le Roi autorisa le travail par des lettres patentes du 4 mai 1531, et un canal, long de 640 toises, fut achevé avec un plein succès au mois dʼoctobre de la même année. Le 29 juin 1564, le trésorier général de Caen proposa au conseil de la commune un ingénieur « nommé le capitaine Foullon, lequel pourrait entreprendre faire la rivière dʼOrne navigable... » Ce nʼétaient pas les ingénieurs qui manquaient, mais les fonds; et la ville refusa.

Il y avait décidément abondance dʼingénieurs sur la place; car, sous le règne de Henri III, le 26 mars 1580, le lieutenant général François dʼO écrit aux échevins quʼil leur envoie un nommé Louis de Foix, ingénieur expérimenté qui a conduit les travaux du havre de Bayonne, pour voir sʼil serait possible de créer un port à Caen, et, si cela nʼétait pas praticable à Caen, de visiter le littoral pour choisir un autre emplacement.

Les échevins répondent (30 mars) que, dʼaprès lʼavis du sr de Foix, « il se pourra faire commodément en cette d. ville un des plus beaux havres de France... et quʼil sera trop mieux pour le bien et utilité de tout le pays en cette d. ville que en nul autre lieu de votre Gouvernement. »

Mais entre lʼacceptation dʼun projet, dont une ville doit tirer avantage, et le paiement des dépenses quʼil entraînera, il y a plus loin quʼentre la coupe et les lèvres. Dès le 4 avril, cʼest-à-dire quatre jours après leur lettre de remercîment à M. dʼO, les échevins envoient au gouverneur de Caen un délégué chargé de lui dire, entre autres choses, que « lʼentreprise de faire un havre en lad. ville est œuvre royale, et digne dʼun grand roi tel que le nôtre et non par des habitans de lad. ville et gens du pays, pour la pauvreté et peu de moyens dʼicelui. »

Nous ne savons si les échevins fondaient de grandes espérances sur lʼefficacité de ces flatteries, et sʼils pensaient obtenir à si peu de frais la réalisation des vœux quʼils formaient pour lʼétablissement dʼun port. Toutefois, ils crurent nécessaire dʼajouter à leurs injonctions verbales des recommandations écrites, que nous trouvons dans une lettre du 29 avril.

« Pour le fait du havre, disaient-ils à M. dʼO, nous vous supplions, si cʼest votre plaisir, que la confection dud. havre vint de la volonté et mouvement du Roi, plutôt que nous baillassions requête par écrit, car nous craindrions que, le port étant commencé à notre requête, sʼil advenait que les États ne consentissent faire la levée des deniers et quʼil ne plût à Sa M les faire lever, quʼon ne nous contraignît à le faire achever à nos dépens, chose à quoi toute la ville ne pourrait satisfaire, comme étant chose hors notre pouvoir, sans lʼassurance que nous avons de la bonne volonté que portez à cette votre ville et à tout le pays. »

Les échevins avaient une si grande confiance dans la bonne volonté des représentants du pouvoir central, quʼils nʼosaient accepter leurs bienfaits que sous bénéfice dʼinventaire. La lettre que leur répondit, à ce sujet, M. dʼO montrera si leur défiance était justifiée.

« Messieurs, leur répondit le lieutenant du Roi, après avoir trempé sa plume dans une encre légèrement mélangée de vinaigre, jʼai vu par votre lettre les doutes que vous faites dʼacheminer la construction du havre et vous trouve tellement refroidis que je connais assez que vous nʼen avez guère envie; mais, ne lʼayant désiré que pour votre bien et de toute la patrie, si vous ne vous en souciez guère, je mʼen veux encore moins mettre en peine et ne vous en parlerai plus à lʼavenir. »

La mauvaise humeur souligne chaque mot de cette réponse. On y voit le dépit quʼéprouve un fonctionnaire qui nʼeût pas été fâché dʼoffrir au Roi un nouveau port, créé aux frais dʼune population que ruinaient les taxes de guerre. Mais les échevins de Caen devinèrent le but quʼon poursuivait et, avec toute la politesse imaginable, ils surent faire à leur gouverneur lʼapplication du vieux dicton qui dit: « A Normand Normand et demi. »

Comme le manque dʼargent empêchait les échevins de Caen de lutter contre lʼenvasement de leur rivière, ils eurent tout le loisir de défendre celle-ci contre un autre genre dʼennemi quʼils signalèrent à M. de Joyeuse, amiral de France, dans une curieuse requête du mois dʼavril 1584. « Comme ainsi soit que depuis quatre à cinq ans, le sieur de Saint-Victor, votre lieutenant au siége dʼOuistreham, ait entrepris de visiter et arrêter les navires partant de cette ville ou arrivant en icelle, chose non jamais auparavant accoutumée ni pratiquée en cette ville, ni en autres ports ou rivières de ce royaume, étant chose suffisante dʼêtre visités et les rapports être faits au lieu où la marchandise est descendue et le certificat sʼadresse davantage, les pilotes qui étaient volontaires et en grand nombre, desquels, lorsquʼils voyaient un navire à la mer, allaient au-devant pour le piloter à lʼentrée et amont la rivière, ont été par lui réduits au nombre de quatre, auxquels seuls il permet de piloter, lesquels exigent par ce moyen quatre fois plus quʼil nʼétait accoutumé, et leur a défendu de piloter lesd. navires jusquʼà ce que lui soient allé demander congé dʼentrer, qui contraint lesd. matelots descendre leur esquif ou petit bateau pour, étant à terre, aller trouver le sieur de Saint-Victor, qui se tient près dʼune lieue loin de lad. embouchure, lui demander pilote et congé dʼentrer et porter leurs certificats et chartes parties, dont est arrivé la perte de quatre ou cinq navires, depuis led. temps, lesquels, faute dʼêtre secourus desd. pilotes et battus de mauvais temps ont été péris davantage, fait ordinairement, prenant excuse de visiter lesd. navires et de voir leurs certificats, soit en entrant ou en sortant de lad. rivière, perdre une marée ou deux et la fait amortir, qui leur cause perdre quinze jours de temps, jusquʼà ce que la mer revienne pleine, et a tellement ennuyé et fâché lesd. matelots que, pour les travaux quʼon leur donne aud. lieu dʼOuistreham, ils ont enchéri le fret aud. supplians de plus des deux parts. Il a aussi pour les choses susdites fait cesser le trafic des marchands forains et spécialement des Anglais, lesquels ordinairement apportant aud. Caen des draps, cristaux et des cuirs, remportent des toiles de cette ville, un des grands commerces dʼicelle, à présent totalement anéanti, chose grandement préjudiciable au public....... A ces causes il vous plaise ordonner quʼil sera fait défenses au sieur de Saint-Victor dʼarrêter ni visiter lesd. navires ayant chargé aud. Caen, ni ceux qui y apportent marchandise et desquels les certificats sʼadressent en cette ville ainsi que la visitation en sera faite par vos officiers en icelle, afin quʼon y puisse voir renaître le commerce et trafic... »

Tout en essayant de se défendre contre ces sangsues administratives des marais dʼOuistreham, qui suçaient le plus clair des revenus de leur commerce maritime, les échevins de Caen faisaient dʼhonorables mais infructueuses tentatives pour lutter contre lʼenvasement de leur rivière. Ils avaient, en titre dʼoffice, un épureur ou esperreur de lʼOrne, chargé du nettoyage de la rivière. Malheureusement, à lʼimperfection des moyens mécaniques dont disposait cet honorable fonctionnaire, se joignait encore une négligence, qui a laissé sa trace dans une délibération du Conseil du 25 mai 1612. « Plusieurs marchands et maîtres de navires, trafiquant en cette ville, se plaignent que, dans le cours de la rivière, les navires et bateaux y abordants sont en péril et danger, à raison que dans le canal de lad. rivière y a plusieurs grosses pierres contre lesquelles les navires et bateaux peuvent heurter et entrer en danger dʼêtre brisés, requérant que lʼesperreur commis pour curer lad. rivière soit approché. »

Malgré les plaintes incessantes des marins, le port resta un siècle environ dans cet état déplorable sans quʼon fît de tentatives sérieuses pour y remédier. Caen eut enfin la bonne fortune de recevoir la visite du grand ingénieur Vauban, que Colbert avait chargé dʼétudier toutes les côtes de France. « Voyant la rade de Colleville placée très-avantageusement au voisinage de lʼOrne, dit M. Boreux 39, Vauban comprit que lʼon pouvait tirer très-bon parti de cette situation. Il projeta donc de faire un port dʼasile dans la rade, dʼy faire déboucher lʼOrne, de redresser le cours de la rivière entre Caen et les carrières de Ranville et de rendre navigable sa partie supérieure jusquʼà Argentan, comme on en avait eu lʼidée à diverses reprises depuis le règne de Charles VII jusquʼà celui de Louis XIII. »

Dʼaprès le témoignage de Vauban, Colbert fit expédier, le 6 mai 1679, des lettres-patentes qui autorisaient lʼexécution des travaux indiqués par le célèbre ingénieur. On commença par faire un redressement de lʼOrne sur 1,140 toises de longueur, entre les carrières de Ranville et les moulins de Clopée; cʼest dans ce même intervalle que, cent cinquante ans auparavant, on avait fait le redressement de Longueval. Les ouvrages devaient être continués sans interruption, mais la mort de Colbert vint malheureusement tout suspendre.

Lʼamélioration dʼune partie de la rivière nʼinfluant en rien sur le reste de son cours vers la mer ni sur son embouchure, toutes les difficultés, tous les dangers y demeuraient les mêmes, et le mal sʼaccrut de telle sorte que, sur la fin de lʼannée 1731, on se vit dans la nécessité de faire à ce sujet des démarches pressantes auprès de lʼintendant; mais elles nʼeurent aucune suite.

Cependant la situation du port devenait si périlleuse pour la navigation que le Gouvernement lui-même sʼen émut. Le comte de Maurepas, ministre de la marine, recommanda à lʼintendant de Caen de prendre des mesures pour obliger la ville à enlever les vases et les pierres qui menaçaient de rendre le quai impraticable. Le maire et les échevins répondirent que la ville nʼétait point en état de faire une si grosse dépense. « Tout son revenu, disaient-ils en novembre 1735, qui est de 84,093 livres 10 sous par an, est de 1,537 livres, 17 sous, 4 deniers au-dessous de ses charges annuelles. On ne peut aggraver, par une nouvelle taxe, la situation déjà bien triste des habitants dʼune ville dont le commerce est ruiné. »

Trop préoccupées dʼaligner les chiffres de leur budget, les administrations ont généralement la vue courte et nʼaperçoivent pas, par-dessus leur comptabilité, les avantages sérieux que lʼavenir accorde à ceux qui ont le courage de tenter lʼinconnu. Quelque précaire que fût lʼétat des finances de la ville, les échevins auraient dû tenir compte des vœux de leurs concitoyens. Lʼextrême prudence nʼest pas la vraie sagesse; et il est des occasions où il faut savoir oser. Lʼinitiative privée eut heureusement lʼaudace qui manquait à une administration trop économe. Un bon citoyen, littérateur, poète et savant, qui avait déjà dépensé généreusement des sommes considérables en exécutant des plans relatifs à un projet de canalisation de lʼOrne, M. François-Richard de La Londe, sut communiquer son ardeur patriotique à ses concitoyens. Bientôt, en 1740, une assemblée de notables de la ville et généralité de Caen le chargea de présenter, en leur nom, au contrôleur général, un mémoire où M. de La Londe demandait lʼétablissement dʼun port de refuge à Ouistreham et la canalisation de lʼOrne depuis Argentan jusquʼà la mer. Le projet fut accueilli favorablement, mais la guerre qui survint mit obstacle à son exécution.

Lʼimpulsion était donnée, et de nouveaux mémoires se produisirent en 1747. Enfin, en 1748, après la signature de la paix, M. de La Londe adressa une nouvelle étude au comte de Maurepas. Le ministre daigna la prendre en considération et chargea M. Duhamel, membre de lʼAcadémie des Sciences, de se transporter sur les lieux pour examiner le cours de lʼOrne et donner son avis. Le savant minéralogiste vint à Caen et accomplit sa mission avec un soin scrupuleux. Cependant, malgré son avis favorable, lʼexécution des travaux fut encore une fois différée. Un aveu inédit du consciencieux académicien donne lʼexplication de ce retard. Dans une lettre à M. de La Briffe, du 5 septembre 1748, M. Duhamel, après avoir rappelé avec reconnaissance lʼaccueil quʼil a reçu à Caen, déclare quʼil nʼa pu encore parler dʼaffaires à Versailles. « La cour est si ambulante, dit-il, et si occupée des plaisirs que Madame la Marquise ne cesse dʼimaginer, que tout le travail est remis... » Ainsi, les négociants de Caen, menacés dans leurs intérêts commerciaux, et les marins, dans leur existence même, par les périls de la navigation, durent attendre que Mme de Pompadour eût suffisamment assuré sa faveur en organisant des fêtes destinées à distraire un monarque ennuyé.

Laissant la cour sʼamuser, M. Duhamel nʼattendit pas ses encouragements pour se mettre à lʼétude, et il écrivit son mémoire sur le rétablissement dʼun port à lʼentrée de la rivière dʼOrne. Peine inutile! Comme la favorite avait, dʼun coup dʼéventail, brisé la carrière du contrôleur général Orry, dont les économies ne pouvaient sʼaccorder avec sa manière de comprendre la direction des finances, Machault, sa créature, qui paya sa bienvenue aux affaires en faisant accorder à la marquise une pension de 200,000 livres, anéantit dʼun trait de plume les espérances que fondaient les habitants de Caen sur le projet si sérieusement étudié par M. Duhamel. Un M. de Caux, ingénieur, fut chargé de préparer un autre mémoire, qui reçut naturellement lʼapprobation du nouveau contrôleur général.

Tandis que ces intrigues de palais laissaient en suspens des travaux dont lʼurgence était évidente, à Caen, le patriotisme de M. de La Londe veillait sur les intérêts de la cité. Une tempête épouvantable qui, vers la fin de 1749, faillit emporter les dunes de Sallenelles et menaça dʼenvahir une grande partie de la riche vallée du Pays-dʼAuge, vint apporter au zélé citoyen lʼutile collaboration de la peur. Les intérêts alarmés demandèrent lʼavis dʼune commission, qui consulta elle-même M. de La Londe. Celui-ci, profitant de lʼépouvante générale, dirigea cette force aveugle avec assez dʼart pour en faire un instrument de progrès. Grâce à sa patriotique dissimulation, il sut faire sortir dʼun malheur lʼexécution des grands travaux quʼil nʼavait pu obtenir, en des temps plus calmes, de lʼexamen dʼun plan sagement médité. Il déclara, en effet, et fit admettre par lʼopinion que le seul moyen de prévenir le désastre quʼon redoutait serait de transporter, au moyen dʼun canal, lʼembouchure de lʼOrne à Colleville, où lʼon pourrait, par la suite, creuser un port excellent. Ce vaste projet fut mal accueilli en haut lieu. La cour de Versailles, avide dʼéconomies pour les autres, fit répondre par la bouche de son ingénieur quʼune digue de pierres, de terre et de bois suffirait pour garantir la côte menacée.

Malgré cette déception, M. de La Londe, qui ne voulait pas renoncer à ses espérances, accepta la direction des travaux. A peine construite, la digue fut détruite par la mer, et cependant le danger quʼon avait prétendu conjurer par là ne se réalisa pas. Alors M. de La Londe se retira, renonçant à jouer plus longtemps un rôle dans cette comédie de la peur, quʼil nʼavait imaginée quʼafin de lui donner pour dénouement la réalisation de ses vœux patriotiques. Quant au véritable auteur du désastre, M. de Caux, lʼingénieur en chef, il sʼen lava les mains. Dans une lettre du 14 mai 1751, il déclarait dʼun cœur léger quʼil avait toujours considéré et annoncé le travail en cours dʼexécution comme un palliatif provisoire; que le parti le plus sûr était dʼouvrir le canal proposé, pour donner une autre embouchure à lʼOrne. Malgré cette tentative dʼapologie, lʼopinion publique sut faire la part des responsabilités. A son arrivée à Caen, le nouvel intendant, M. de Fontette, mis au courant de la situation par les plaintes des habitants, crut quʼil était pressé de donner un successeur à M. de Caux. Il proposa de consulter, au sujet des travaux à exécuter, M. Lecloustier, ingénieur en chef à Dieppe. Quelque temps après, le 23 janvier 1753, M. Trudaine, directeur des ponts et chaussées, mandait à lʼintendant de Caen que le garde des sceaux avait pris le parti dʼenvoyer sur les lieux M. Lecloustier, dès que la saison le permettrait. On ne pouvait faire un choix plus malheureux.

M. Lecloustier avait une réputation dʼhabileté méritée; mais ses intérêts personnels le retenaient à Dieppe. Sʼil ne refusa pas absolument le travail quʼon lui proposait, il employa mille subterfuges et délais pour en retarder lʼexécution. Caractère indépendant, fantasque, bourru, il se retrancha derrière sa position acquise, pour lancer de là, dans une correspondance verbeuse et parfois spirituelle, mille traits acérés contre les abus de lʼadministration du temps. Son humeur frondeuse sʼattaquait hardiment à tout et semblait rechercher, dans une prolixité voulue, le moyen de lasser ses supérieurs et dʼéterniser la résistance. Rien de plus curieux que les lettres de cette sorte dʼingénieur malgré lui. Cʼest une bonne fortune de les rencontrer sur son chemin; car on y trouve, à côté dʼune critique amusante, les détails les plus circonstanciés sur les travaux des ponts et chaussées vers le milieu du XVIIIe siècle.

Une première lettre, du mois de mai 1753, adressée probablement à lʼintendant de Caen, débute ainsi:

« Monsieur, je reçois aujourdʼhui la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire et jʼai celui dʼy répondre tout à lʼheure.

« Lʼamitié, permettez-moi ce précieux et rare terme, lʼamitié, dis-je, que je vous ai vouée, me forcera toujours à vous parler à cœur ouvert et sans adulation pour mériter la vôtre, et si jʼy parviens, etc., attendez-vous, sʼil vous plaît, à ne me jamais trouver dʼhumeur à la laisser échapper. Lʼon sait à mon âge, ou du moins on doit savoir quʼun bien si difficile à acquérir échappe des mains lorsquʼon en a le moins dʼenvie et cela presque toujours; un soupçon, un rapport faux, un jugement précipité, une défiance sont suisses qui assiégent votre antichambre, Messieurs, habillent la probité et la franchise de deuil. La jalousie, lʼenvie, la critique, les si, mais, car, parce que, etc., viennent à lʼappui, et le fil casse par lʼendroit le plus faible. Les réflexions de Sosie dans lʼAmphytryon ne me sont jamais sorties de lʼesprit lorsque, la lanterne en main dans son début, il sʼapostrophe lui-même. Toutes ces images, dis-je, doivent nous guider dans le labyrinthe du cœur humain, avec le fil dʼAriane: Fac bonum et declina a malo. Sur ce principe donc, Monsieur, et avec la connaissance que jʼai de votre excellent caractère, je vais prendre la liberté de vous parler tout naturellement... »

Puis après avoir parlé, avec autant de concision que de légèreté, des travaux à exécuter tant à Sallenelles que dans la ville de Caen, M. Lecloustier termine brusquement sa lettre par lʼétrange conclusion qui suit:

« Voilà, Monsieur, en bref ce que je ferais pour mon bien propre en quatre ou cinq ans de temps. Il vous sera bien glorieux, soit dit sans compliment, dʼavoir donné jour à la conservation du Pays-dʼAuge et à la commodité de votre navigation qui, en dépit des vents de nord-ouest, sera permanente si vous avez pris garde à la manière dont les pierres sèches sont arrangées. Mais je commencerais à exterminer tous les lapins qui culbutent les dunes et désolent les bonnes terres par leurs brigandages. Cet article sera le plus difficile, parce que ce bétail appartient à gros seigneurs qui nʼont mie cure des pauvres. »

On voit que M. Lecloustier avait un tempérament dʼopposition singulièrement hardi pour lʼépoque. Sa brusquerie, réelle ou jouée, dut probablement servir dʼexcuse à ses audaces de plume. On sʼétonnera toutefois que ses chefs aient pris si longtemps au sérieux un ingénieur qui, dans une « lettre dʼaffaires », semblait demander comme un travail préparatoire à la construction dʼune digue, lʼextermination des lapins qui peuplaient les dunes du voisinage.

Cependant, à la date du 26 juillet 1753, le directeur des ponts et chaussées, M. Trudaine, écrit à lʼintendant de Caen quʼil faut avant tout faire un bon devis, bien détaillé, accompagné dʼune estimation. Et il ajoute: « Je crois M. Lecloustier très-propre à le bien faire; mais il passe pour nʼêtre pas aisé à manier, surtout pour ce qui concerne son intérêt personnel. »

Lʼintendant communiqua-t-il cette lettre à M. Lecloustier, ou se fit-il du moins, auprès de lui, lʼécho des appréhensions que le directeur des ponts et chaussées manifestait au sujet du caractère de lʼingénieur de Dieppe? On peut le croire; car, dès le 11 août 1753, lʼingénieur bourru prit sa bonne plume de combat et écrivit une lettre dans laquelle il expliquait les causes légitimes de son irritation. Cette lettre est à citer tout entière; on y trouve une description colorée des petites misères de la vie des ponts et chaussées à cette époque 40.

« A Dieppe, le 11 août 1753,

« Monsieur,

« Jʼai reçu la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire le 8 de ce mois, par laquelle vous me faites celui de me marquer que le Ministre vous charge, Monsieur, de lʼinformer si je voudrais bien faire un devis bien exact des ouvrages à faire à la rivière de Caen et quelles sont à peu près mes idées sur la récompense que je crois devoir attendre du Roi. Je suis bien persuadé, Monsieur, que si lʼon voulait sʼen rapporter à vous, vous arrangeriez les choses en ministre généreux, en vrai Colbert, et que nous ne marchanderions pas. Mais aujourdʼhui, Monsieur, nous voyons renaître le temps du bon Juvénal, qui disait avec le fiel que vous lui connaissez: Probitas laudatur et alget, aujourdʼhui, dis-je, ce trop vrai bon mot, que jʼavais oublié depuis mes classes, mʼest revenu en mémoire par la triste expérience que jʼai faite de son application. Or, écoutez donc mon histoire, Monsieur, sʼil vous plaît. Elle mériterait dʼêtre mise en vers sur lʼair des Pendus, car elle est assez tragique pour ma pauvre famille. Et, en effet, je nʼai jamais dû mʼattendre à un sort communément heureux, étant né le vendredi immédiatement après dîner, Saturne et Mercure en conjonction, le soleil éclipsé de onze doigts, et la lune, qui luit pour tant dʼautres couleur dʼargent, était pour lors comme couverte dʼun sac de poil noir. Ce langage, Monsieur, connu des adeptes seulement, vous doit paraître extravagant; je nʼen suis pas surpris. Mais souvenez-vous que... sapientis est desipere in loco.

« Il y a quatre ou cinq ans, Monsieur, que la navigation de la Somme étant interrompue dans Abbeville pour communiquer à Amiens, quelques ingénieurs des ponts et chaussées avaient insinué à M. Chauvelin un beau et superbe canal à demi-lieue hors de la ville, mais ce canal avec les écluses pouvait aller à quelques millions; la Cour voulut savoir sʼil nʼy avait pas de remède moins violent. M. de Regemorte, qui aime ma famille, me proposa, en vue sûrement de me faire du bien. Je reçus donc ordre dʼexaminer; et, sur mon rapport, on jugea quʼoutre la dépense inutile et exorbitante, il résultait du projet une désertion totale de la ville, comme il arriverait à Caen, Monsieur, si le projet de Colleville avait jamais lieu. Je remarquai donc quʼil nʼétait question que de curer lʼancien bras de la Somme dans la ville, assez bas sous un pont de pierre pour que les barques pussent y passer de mer basse, afin que de mer haute lʼarche de ce pont ne leur servît plus dʼobstacle étant une fois passées, car il arrivait, Monsieur, que ces barques, attendant la marée pour passer sous ce pont, se trouvaient souvent prises sous la voûte et sʼy écrasaient. On suivit mon avis, par ordre du Conseil; mais comme je nʼavais pas barbouillé beaucoup de papier, ni fait un projet à millions, tout lʼouvrage sʼest fait sans quʼil ait été seulement fait mémoire du pauvre saint, et jʼen fus pour mes frais avec une chute de cheval qui faillit à me tordre le cou. Ce quʼil y eut encore de singulier à cet ouvrage ou curement, est quʼil fut dirigé et conduit par Messieurs de ville, qui, pour aller plus vite (en dépense apparemment), employèrent six cents travailleurs où il nʼen pouvait tenir à lʼaise que cent cinquante au plus; tout le reste devint spectateur bénévole. – Fin de mon premier point.

« 2e POINT.

« Lʼannée ensuite, me promenant dans mon jardin, à Fécamp où jʼétais pour lors en résidence, je vis arriver un cavalier de la maréchaussée qui mʼannonça un arrêt du Conseil qui me nommait pour concilier le débat entre MM. Bayeux et Le Barbier, des ponts et chaussées, sur le projet de la conservation du territoire de Cayeux, proche le bourg dʼAult. Leurs projets étaient joints à lʼarrêt du Conseil qui mʼenjoignait de dire mon avis et faire les dessins nécessaires si je trouvais les autres défectueux. Je fis le voyage et examinai le terrain. Mon mémoire fit connaître les défauts des autres projets qui étaient très-bien dessinés et montaient à plus de 80,000 livres chacun. On tailladait le pays par grands canaux inutiles avec des têtes dʼécluse dans la mer. Bref, je donnai le projet dʼun aqueduc comme on les pratique en Flandre; lʼadjudication sʼen passe; elle est agréée du Conseil, lʼouvrage qui consistait tout en pilotis de chêne est fait par lʼentrepreneur pour 39,000 livres. M. Chauvelin quitte lʼintendance dʼAmiens et va à Paris. M. dʼAligre lui succède. Lʼentrepreneur, lʼouvrage fait, est renvoyé comme un vilain après lui avoir retenu 14,800 livres. Cet homme écrasé quʼon avait obligé déjà de payer les honoraires de MM. Bayeux et Le Barbier, et chargé aussi de payer le mien, est devenu insolvable et jʼen ai été pour mes peines, et nʼai pas été exempt des plaisanteries de M. dʼAligre que je ne connus oncques. Si lʼon viole donc aujourdʼhui, Monsieur, le droit des gens avec autant de despotisme que M. dʼAligre le fait, qui est-ce qui sera assez hardi pour avoir à démêler vis-à-vis les intendants? Dʼailleurs, Monsieur, ma profession est pour les fortifications. Je suis attaché aux ministres de la guerre et de la marine qui mʼont noblement récompensé lorsquʼils mʼont chargé de commissions particulières. Ils ont été contents et nʼont point cherché, comme M. dʼAligre, de ces petits alibis pour chagriner (besogne faite) entrepreneurs, et se moquer mal à propos dʼun pauvre diable dʼingénieur quʼon ne peut taxer dʼavoir mis la main à la pâte, puisquʼil nʼa fait aucuns toisés, le bureau des ponts et chaussées ayant nommé pour la conduire un sieur Le Tellier, qui a failli à faire échouer lʼouvrage par son indétermination et son insuffisance aux travaux de mer.

«  Quoiquʼintendant vous-même, Monsieur, je présume de votre excellent caractère que vous voudrez bien, pour un moment, descendre à ma place. Ayant été échaudé deux bonnes fois, vous exposeriez-vous à la troisième? Et ne vaut-il pas mieux manger du pain noir en paix auprès de ses lares et pénates que de courir après le vent? Vous me parlez, Monsieur, du ministre sans le nommer; je prends donc la liberté de vous dire que si je me charge du détail de la construction des ouvrages à faire tant à la rivière quʼà son embouchure, pont tournant, clapets, etc., je ne désire avoir affaire à dʼautres ministres quʼà M. Trudaine. Je connais son mérite et son humanité; je ne veux dʼautres juges pour mes honoraires que vous, Monsieur, et MM. De Regemorte. Je suis bien certain par ma bonne conduite et économie sauver sur les ouvrages la récompense dʼun honnête homme. Informez-vous, Monsieur, de lʼadministration des fonds destinés pour les fontaines du Havre que jʼy fis faire, il y a huit ou dix ans. Les misérables qui se présentaient pour lʼentreprise faisaient monter la livre de mastic à 20 sols; je la fis faire devant moi pour 6 sols, et la livre de soudure à 37 sols fut faite dans la cour de lʼHôtel de Ville pour 13 sols. Je sauvai plus de mille louis à cette administration.

« Le projet que vous a donné M. de Regemorte est le seul raisonnable, durable par sa construction, et le seul capable de faire lʼeffet quʼon en doit attendre. On peut le pousser aussi loin et aussi peu quʼil conviendra, sans avaries aucunes (notez bien ceci) toutes pierres et de tous échantillons seront bonnes étant essemillées comme il convient. En un mot, ce ne sont point ici des fagots quʼon vous donne, ce nʼest point un palliatif. Prenez-y bien garde, Monsieur; ceux qui ont ajusté une pièce à vos dunes ont-ils marchandé? Voulez-vous que je marchande aussi? Faites donc comparaison, Monsieur, non-seulement de la besogne, mais de son âme, cʼest-à-dire de ce qui en résultera. En un mot, Monsieur, je suis à M. de Trudaine, à vous, à M. de Regemorte, mais parbleu! que dʼautres nʼy mettent pas le nez, car je trousse mon sac et mes quilles et je mʼen vas tout droit devant moi. »


Sans tenir compte de la mauvaise humeur qui perce à chaque ligne dans cette lettre, lʼintendant de Caen, M. de Fontette, écrivit, le 28 novembre 1753, au ministre dʼArgenson pour le prier dʼautoriser M. Lecloustier à venir à Caen, afin dʼy commencer lʼétude des travaux à exécuter sur lʼOrne. Cette insistance, qui faisait honneur aux talents de M. Lecloustier, mais le menaçait dans sa tranquillité, détermina lʼingénieur malgré lui à indiquer de loin des mesures dʼadministration à prendre, en attendant la saison des études sur le terrain. Se voyant, malgré cela, sur le point dʼêtre arraché du milieu qui lui plaisait, il imagina, pour obtenir un nouveau répit, le prétexte dʼune maladie. Cʼest du moins ce qui ressort dʼune lettre du ministre dʼArgenson, « qui autorise M. Lecloustier à venir à Caen dès que la saison et sa santé le lui permettront. »

Pressé de nouveau, M. Lecloustier se décide enfin à rédiger un « Devis et mémoire pour servir au percement du nouveau canal, projeté pour diriger en lignes droites la navigation de Caen sur la rivière dʼOrne. » Aussitôt, de lʼintendance de Caen arrivent des objections contre ce projet. Cʼétait probablement ce que souhaitait lʼingénieur, forcé dans ses derniers retranchements. Après avoir combattu vivement dans sa correspondance, comme suggérées par des ignorants, les critiques et les vues nouvelles que lui adresse lʼintendant, il décline avec ironie, dans une dernière lettre, la paternité du projet dont il a signé le devis.

« Monsieur,

« Jʼai reçu ici la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire le 2, par laquelle vous me faites celui de me mander que les fonds ne sont pas encore accordés pour lʼexécution de mon devis.

« Je ne suis pas assez rempli de vanité pour me prévaloir dʼun dessein qui est tout vôtre, Monsieur. La gloire vous en est due sans aucun partage. Et sûrement le public me traiterait avec mépris si, après avoir fait éclater ma pensée sur ces ouvrages, jʼavais lʼorgueil de me parer dʼun projet qui nʼest point du tout de mon imagination. Je vous supplie donc, Monsieur, de faire en sorte quʼil ne soit point question de moi. La seule idée que je sois homme à me faire honneur de lʼusage dʼautrui me ferait rougir de honte quand jʼirais dans le pays, où je ne prévois pas heureusement avoir le temps dʼy faire aucun voyage, pour voir la famille de mon épouse. Je dis heureusement, Monsieur, parce quʼil a plu au Roi de me charger dʼun détail dans deux de ses places qui me fait honneur. Cʼest aussi où je dois me renfermer pour ne pas tromper lʼattente de mes supérieurs et jʼai de lʼouvrage pour toute lʼannée. Vous me saurez bon gré, Monsieur, de cette scrupuleuse attention qui, en même temps que je ferai mon devoir, me délivrera des corvées dʼun évêque in partibus. Je suis encore, outre cela, malheureusement dʼun âge fort dangereux et incurable même, à cause des années passées, comme il est dit fort élégamment dans les pronostications Pantagruéliques. »


Cette lettre était datée du 10 mars 1754. Ainsi, on avait perdu deux ans en pourparlers inutiles pour sʼassurer les services dʼun étranger, qui refusait catégoriquement de quitter son poste! La leçon valait bien ce retard sans doute et lʼon sʼadressa à un homme du pays, M. Loguet, ingénieur en chef de la généralité de Caen. Celui-ci sʼempressa de rédiger un devis des travaux à exécuter pour le redressement de lʼOrne; sa bonne volonté fut même appuyée par une adresse dʼun grand nombre de commerçants, qui se plaignaient de lʼétat déplorable de la rivière, où des barques de 60 tonneaux ne pouvaient plus monter jusquʼau quai. Malheureusement, à la même époque, Mme de Pompadour, irritée des sarcasmes de Frédéric II sur la dynastie des cotillons, préparait le traité de Versailles qui devait amener les désastres de la guerre de Sept-Ans. Il fut donc répondu aux habitants de Caen quʼon était désolé de reprendre les fonds destinés aux travaux de leur port, mais quʼon leur promettait de les leur rendre à la paix. Pour les inviter à la patience, M. Trudaine leur envoya un arrêt du Conseil dʼÉtat, du 21 septembre 1756, qui « autorisait les négociants de Caen à faire directement le commerce avec lʼAmérique. » On voit donc que sʼil nʼeût fallu que de lʼeau bénite de cour pour faire monter le niveau de leur rivière, les commerçants et marins de la ville auraient eu mauvaise grâce à murmurer. Ils se turent jusquʼau 4 juillet 1762; mais, à cette date, les marins adressèrent à lʼintendant, M. de Fontette, une supplique dont nous citerons le passage suivant: « Lʼentrée du quai de cette ville, qui commence depuis la tour Massacre jusquʼà la seconde porte du quai, au-dessus de la rue des Carmes, est tellement gâtée par les attérissements que, lors des plus grands flots, il ne sʼy trouve que 4 à 5 pieds dʼeau; quʼà ce moyen, les vaisseaux, qui dans le cours de cette rivière ont déjà souffert des avaries considérables pour la monter, sont obligés de se mettre en décharge au dessous dʼicelui, dans des fonds vaseux et de prairie dont le terrain, pour peu quʼil survienne des pluies, sera défoncé et impraticable... »

Dès le 1er décembre 1762, nouvelle supplique présentée à M. de Fontette par les négociants de la ville. Ils espèrent, disaient-ils, que, la paix approchant, il va être fait des travaux pour remédier au mauvais état de la rivière « qui a rebuté pendant la présente guerre les navires neutres dʼapporter les choses même les plus nécessaires à la vie. »

Malgré la signature de la paix en 1763, on ne parlait pas de rendre les fonds destinés aux travaux du port. Aussi, le 27 juin 1764, les marins adressèrent-ils une nouvelle supplique à lʼintendant de la généralité de Caen. Quelques jours après, le 15 juillet, lʼingénieur en chef, M. Loguet, publiait un mémoire important sur les améliorations à faire au port. Mais lʼimprudent ingénieur, qui voyait que les meilleurs projets venaient se briser contre lʼéternel écueil des coffre-forts vides, eut la fatale prévoyance dʼajouter à ses plans lʼexposition dʼun système de taxes qui eût permis de commencer le travail sans attendre dʼinterminables délais. Pauvre M. Loguet! vouloir secouer le joug de la routine, quand on est attelé au coche administratif! Attendez! Voici un coup de fouet qui vous apprendra, non à avancer comme on pourrait le croire, mais à vous tenir bien tranquille à votre rang! En effet, dans une lettre du 9 décembre 1764, adressée à M. Loguet, le directeur des ponts et chaussées, tout en reconnaissant lʼutilité des travaux projetés, ajoute « quʼil faut attendre les demandes et les propositions des intéressés et que les ingénieurs ne doivent point se mêler des affaires de finances! » Ce nʼétaient pourtant pas les demandes des intéressés qui manquaient. Les habitants de Caen se plaignaient sur tous les tons et à tout instant: le 19 mars 1766, mémoire de M. Viger, lieutenant-général de lʼamirauté de Caen; le 19 juin 1766, doléances des navigateurs qui présentent aux maire et échevins de la ville une liste des sinistres causés par lʼétat de la rivière; le 26 juin 1766, plaintes des habitants au sujet des inondations causées par lʼenvasement de lʼOrne; le 29 mai 1770, procès-verbal des officiers de lʼamirauté, dressé à la requête des commerçants et des marins. Quelques extraits de ce procès-verbal donneront une idée de lʼincroyable état de délabrement du port à cette époque. Voici dʼabord quelle était la situation du quai de débarquement des Carmes:

« Ledit quai, dit le lieutenant-général en lʼamirauté de Caen, est défoncé et coupé de toutes parts par différentes ornières sur toute sa superficie entremêlée de différents amoncellements de terres vaseuses, mêlées de décombres y apportés, lesquels à ce moyen entretiennent des fosses et flanges où lʼeau séjourne au point que les camions et brouettes ne les peuvent franchir et y demeurent souvent coulés jusquʼau moyeu, ce qui cause un retardement et un préjudice onéreux au commerce, tant lors du chargement des cargaisons à bord que lors du déchargement dʼicelles, par la raison quʼelles se trouvent gâtées et couvertes des fanges et boues dudit quai; quʼen outre la pourriture des emballages qui en résulte, la qualité des différentes marchandises se trouve altérée et gâtée et le poids considérablement augmenté, ce qui occasionne aux propriétaires ou consignataires de tomber involontairement dans le cas de contravention aux ordonnances de Sa Majesté sur le fait des traites et cinq grosses fermes, dʼoù il résulte des peines, des soins et toujours des avaries. »

Quant au canal lui-même, lʼauteur du procès-verbal déclare: « que les pierres de revêtissement du quai, loin dʼavoir été entretenues par les officiers municipaux aux termes de lʼordonnance de la marine de 1681, art. 20, tit. Ier, liv. IV, sont dans un état dʼune totale destruction; quʼelles sont tellement endommagées et si peu solides que nous-mêmes, en passant à bord du navire hollandais Joost, capitaine Cornelis Boezaard, aux fins de la visite dʼiceluy, samedi dernier, ce dʼy dresser procès-verbal judicier dʼune partie de sa cargaison, nous avons couru le danger de tomber à lʼeau, partie de ces pierres sʼy trouvant écroulées.

« Nous a pareillement été fait remarquer, tant par le maître de quai que par les capitaines de navires, que lʼéboulement dans le canal des principales pierres dudit revêtissement met les navires qui y sont rangés dans le danger le plus imminent, en ce que, de basse-mer, ils courent risque dʼêtre rompus ou crevés sur ces mêmes pierres, sans pouvoir sʼen garantir ni les éviter, par la raison quʼelles se trouvent mêlées dans un lit de vases molles formant un corps semi-solide dont le canal est rempli et sur lequel les navires restent à sec de morte-eau; quʼil devient urgent pour le commerce dʼen faire procéder au curage, ainsi quʼà la réparation desdites pierres de revêtissement dudit quai sur toute sa longueur. »

On pouvait espérer que lʼadministration aurait des entrailles de père pour cette douleur officielle, émanant des officiers de lʼamirauté. Mais il nʼen fut rien. Les habitants durent recommencer à gémir et, comme le héros pleureur de lʼÉnéide, tendre à tout instant les mains vers le ciel pour lʼapitoyer sur le sort de leur rivière. Le 8 mars 1771, cʼest une supplique de la ville à M. Trudaine, « où lʼon espère que le Roi voudra bien accorder à la ville de Caen, pour les travaux de son port, les mêmes avantages quʼà la ville de Granville pour le sien. » Le 16 avril 1776, cʼest une lettre de lʼintendant lui-même, M. Esmangart, qui mande au directeur des ponts et chaussées que les négociants de Caen ont dû renoncer à faire venir, en 1775, des blés du Nord, parce que des barques, même médiocres, ne peuvent plus remonter la rivière. » Le 25 mars 1777, cʼest une supplique adressée aux maire et échevins par les marins et négociants, qui annoncent que les piétons eux-mêmes ne peuvent plus circuler sur les quais, sans sʼexposer à recevoir des pierres qui tombent des murs en ruine sur les passants.

A ces réclamations viennent en même temps se joindre des mémoires et des rapports, rédigés par des particuliers ou par des ingénieurs qui proposent des moyens de remédier au mal. Peu de temps après la mort de M. Loguet, cet ingénieur qui sʼétait permis dʼavoir des idées sans lʼautorisation de ses chefs, son successeur, M. Viallet, dans une lettre au maire de Caen, du 12 novembre 1766, expose ses vues au sujet des travaux à faire et émet le premier lʼopinion quʼon nʼobtiendrait de résultats sérieux quʼen ouvrant, pour la navigation, un nouveau canal à gauche de lʼOrne, entre Caen et la mer. Enfin parut, le 11 janvier 1778, un mémoire dû au nouvel ingénieur de la généralité de Caen, Armand-Bernardin Lefebvre, qui sʼétait déjà fait connaître par des projets exécutés dans la province de Champagne. Le nouvel ingénieur avait le défaut de vouloir « faire grand », suivant une expression qui devait plus tard devenir historique. Lʼintendant de Caen lui répondit, après avoir examiné ses plans, quʼil ne pouvait présenter son projet au Conseil, parce quʼune dépense de 7,000,000 livres serait inévitablement rejetée. Non sans regrets, comme on peut le voir dans une lettre du 2 juillet 1779, M. Lefebvre se conforma aux ordres absolus de lʼintendant, et soumit ses projets à une réduction, qui dut autant lui coûter quʼelle devait rapporter au budget de la ville et de lʼÉtat.

Grâce à ce sacrifice, M. Lefebvre réussit à faire approuver son projet, et, le 1er juillet 1780, il reçut de lʼintendant lʼordre de commencer les travaux. Il sʼagissait, comme nous lʼindique un devis du 1er juillet 1781, de « creuser et redresser les différents canaux le long des murs et aux abords de Caen, entre cette ville et la mer, jusquʼau dessous du moulin et du hameau de Clopée, près le pont de Tournebrousse. » La masse de terres, déplacée à cette occasion, sur une longueur de 2 kilomètres entre Caen et Clopée, a formé depuis la promenade du Cours Caffarelli. Comme un tel travail exigeait de nombreux ateliers, lʼintendant de Caen prit ses arrangements avec les chefs du régiment du Roi pour lʼemploi des soldats. Mais, à côté des grosses difficultés de lʼentreprise, naissaient spontanément mille petites misères qui retardaient les travaux. Un jour, ce sont des hostilités avec la régie au sujet des boissons fournies aux soldats qui creusent le canal; une autre fois, cʼest un fermier qui demande quʼon débarrasse des brouettes son écurie, dont il a besoin, mince événement qui donne lieu à de gros embarras administratifs. Puis, ce sont des accidents sérieux, comme la crue inopinée du 15 août 1782, qui vient couvrir tous les travaux. Ces contre-temps inspirèrent à quelque désœuvré de la ville un avis qui se recommandait autant par son orthographe que par la force de la pensée. « Un citoyen de cette ville, disait cet avis, ayant examiné tout lʼembaras que lon a pour de seché le canalle de cette nouvelle rivier donne connaissance de ses idées. » Soit que les idées de ce zélé citoyen ne brillassent point par la clarté, soit quʼon eût le tort de les laisser passer inaperçues, tout alla de mal en pis.

En 1783, un des entrepreneurs signale à M. de Buffon, lieutenant-colonel du régiment de Lorraine, la mauvaise besogne de ses hommes et les dépenses énormes qui en résultent. En 1784, on se plaint des vols de bois commis par les soldats au préjudice des travaux. La même année se produit le scandale dʼune scène très-vive entre lʼingénieur, M. Loyer, et lʼentrepreneur Besson, qui exige des paiements arriérés. Quʼil menaçât ou suppliât, comme lʼentrepreneur ne voyait rien venir en fait de fonds, il interrompit brusquement les travaux dans le courant de lʼannée 1780. Alors M. de Brou, intendant de la généralité de Caen, prit la résolution de faire exécuter en régie lʼachèvement de la partie inférieure du canal. La question dʼargent se représenta alors sous une autre forme. Qui servirait de caissier à la régie? Grand embarras! car il paraÎt quʼon nʼavait déjà quʼune médiocre confiance dans les agents quʼon chargeait de cette fonction délicate. Le subdélégué de lʼintendant écrivait, à la date du 11 juin 1780: « Jʼai conféré au sujet dʼun caissier avec M. de Logivière, qui ne veut recommander personne sʼil sʼagit dʼun caissier ayant une caisse, et non dʼun agent recevant de quoi payer les dépenses au jour le jour. » Non sans peine, on finit cependant par dénicher ce phénix, cet employé unique dans son espèce, un caissier sans caisse! Cette merveilleuse découverte ne paraît pas avoir eu sur lʼentreprise lʼinfluence heureuse quʼon pouvait en attendre. Tout marchait à la diable, et lʼintendant ne cessait dʼadresser des reproches à lʼingénieur en chef.

Lʼintendant renonça bientôt au système de la régie, et, dès le 24 avril 1786, il tenta une nouvelle adjudication des travaux, qui eut lieu au prix de 757,222 livres. Cʼest à cette époque que lʼon fonda, sur les deux rives du canal St-Pierre, des murs de soutènement. En même temps, on commençait la construction du quai nord du canal de Vaucelles. Ces travaux se continuèrent jusquʼen lʼannée 1798, interrompus souvent, soit par suite des malheurs du temps, soit par suite dʼinondations ou dʼéboulements.

Depuis cette époque, jusquʼen 1839, les quais du canal St-Pierre ne changèrent point de physionomie. La lithographie qui accompagne cette notice, et qui nʼest que la reproduction dʼune aquarelle exécutée en 1832 par Lasne, nous donne donc une idée assez exacte de ce quʼétait lʼancien port de Caen à la date de la cessation des travaux en 1798. On peut y remarquer que les murs des quais nʼétaient terminés que sur la rive droite, depuis lʼOrne jusquʼau débouché de la rue des Carmes, où lʼon aperçoit deux piles, qui supportaient un pont tournant, dont la passe avait 50 pieds de largeur. Ces quais, consolidés en 1839, ont formé depuis lʼun des côtés du bassin actuel. Lʼauteur de lʼaquarelle, dont nous donnons une réduction lithographique, sʼétait placé, pour prendre la vue de lʼancien port, sur la rive droite de lʼOrne, dans un terrain quʼon appelait le Poigneux 41 et qui servait de chantier aux constructeurs de navires. De cet endroit, le regard de lʼartiste remontait toute la ligne du canal, depuis sa jonction avec lʼOrne jusquʼà lʼancien pont St-Pierre. Dans les derniers plans, sur une hauteur, on aperçoit les murs du château, et, sur la gauche, une partie de la ville avec la tour élégante de lʼancienne église des Carmes, sacrifiée depuis par lʼinintelligent et impitoyable marteau des démolisseurs.

Tous les travaux de lʼancien port, dont nous venons de rappeler succinctement lʼhistoire lamentable, avaient coûté beaucoup de peine pour un pauvre résultat. « On comprend, en effet, dit très-bien M. Boreux 42, que du moment où lʼon ne sʼétait pas préoccupé de lʼembouchure de lʼOrne, passage que les navires de huit à neuf pieds de tirant dʼeau franchissaient très-difficilement et seulement à lʼapproche des grandes marées, il était parfaitement inutile de creuser à Caen des canaux plus profonds que le lit naturel de la rivière. »

M. Cachin, dans son mémoire présenté en 1798, entra le premier dans une voie nouvelle, qui devait conduire sûrement au but. Ce fut lui qui condamna toutes dispositions tendant à établir le port de Caen dans la rivière même. Son projet, qui consistait à créer un bassin isolé de la rivière et un canal latéral à lʼOrne entre Caen et la mer, reçut un commencement dʼexécution en 1838. Le 23 août 1857, le canal était inauguré solennellement, et, à partir de ce jour, la cité, qui se souvient encore avec fierté du fameux armateur Étienne Duval, vit renaître enfin son mouvement maritime.


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