Chercheurs de sources
A CEUX
QUI SAVENT VOIR
ET NÉANMOINS ESPÈRENT
PRÉFACE
Après une longue période improductive, nous assistons, depuis quelques années, à une exubérante floraison d’études philosophiques, religieuses et mystiques ; mais ces ouvrages, dont le but devrait être la recherche d’une vie meilleure, plus large et plus joyeuse, s’occupent assez rarement de l’application de leurs théories à la vie vécue. Faut-il en conclure que leurs auteurs se sont complus uniquement à des exercices intellectuels ou que la crainte secrète de déterminer les conséquences de leurs principes et celles même des principes opposés, pousse ces écrivains à garder le silence sur le côté pratique des questions qu’ils développent ?
Faire du spiritualisme théorique et ne pas aborder les problèmes moraux qui en découlent semble illogique : cette réserve dénote-t-elle un manque de courage ou une incertitude de pensée ? Pourquoi tant de réticences et d’hésitations ? Le fait d’établir la nécessité d’une ligne de conduite conforme aux principes qu’on accepte ou qu’on professe, n’implique point que tous auront la constance de la suivre sans interruption ; ne pas prévoir les reculs et les chutes possibles indiquerait un manque de discernement, une conception erronée de la nature humaine et une singulière ignorance des forces secrètes qui la dirigent ou l’égarent. Durant certaines périodes de sa vie, l’homme ne peut être sans cesse armé victorieusement contre les puissances tentatrices qui le sollicitent, en lui et hors de lui. Seuls les héros, les stoïques, les rois d’eux-mêmes et ceux qui ont le privilège de se sentir en contact avec les puissances invisibles, sont capables de persévérer toujours, sans faiblir jamais, dans la recherche de la vie meilleure.
Cela n’est pas, hélas, possible à tous ; plusieurs trébuchent et même tombent en route. Mais ceux qui ont eu, ne fût-ce qu’une seule fois, la vision nette de ce que l’homme doit être, se relèvent toujours et se remettent, plus ou moins brisés ou meurtris, à la culture de leur jardin intérieur. Il est, par conséquent, indispensable de connaître et de définir ce qu’un certain ordre de croyances implique, comme ligne de conduite personnelle. Mais, je le répète, les observateurs de la psyché humaine et les chercheurs de vérités profondes évitent volontiers d’appuyer sur ce point. Ils préfèrent rester à la surface intellectuelle des questions et se refusent d’aider au développement de la conscience générale ; c’est pourtant la seule chose nécessaire, puisque d’elle procède le sentiment de la responsabilité, sans lequel l’être humain n’est qu’un atome s’agitant éperdument dans le vide.
Lorsqu’arrivé à la maturité de l’âge, l’homme qui n’a pas cultivé sa vie intérieure, s’aperçoit tout à coup qu’il n’est qu’un automate perfectionné, et essaie de descendre en lui-même à la recherche de sa conscience, il doit parcourir un chemin long, fatigant, obscur, et souvent il n’arrive pas à réveiller l’endormie ou à ressusciter la morte ! Au contraire, si, jadis, elle a vécu et parlé en lui, il réussit toujours à la tirer de son sommeil et de son silence.
Habituer l’homme à établir un dialogue constant entre sa raison et sa conscience, lui enseigner, dès l’enfance, à se rendre compte de ce qu’il voit, de ce qu’il sent, de ce qu’il fait, devrait être la principale préoccupation des moralistes et des éducateurs. Ainsi l’humanité serait débarrassée de cette conception superficielle et automatique de l’existence, qui retarde l’évolution de la plupart des êtres.
Rendre l’homme conscient en toute chose, c’est lui donner des lettres de noblesse, c’est élargir son horizon, c’est le consoler du bonheur, s’il ne l’a pas, c’est, s’il le possède, en centupler, pour lui, les jouissances.
Mais l’usine où s’élabore la vie consciente n’est pas la même pour tous. Dans ces mystérieuses profondeurs, les jets et les flamines jaillissent de façon différente et, pour les faire surgir, chaque âme a un ressort qu’il faut savoir toucher. Par conséquent, découvrir les sources est toute la science de l’éducation et de la vie.
Les poètes racontent qu’Armide avait l’oreille si fine qu’elle entendait l’herbe croître. Ceux qui veulent éveiller chez l’homme le désir des satisfactions supérieures devraient faire comme la magicienne antique : appliquer leur oreille à la terre et essayer d’y percevoir le murmure souterrain des sources cachées.
Dora Melegari.
Rome, janvier 1907-avril 1908.