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Chercheurs de sources

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CHAPITRE III
LES ÉDUCATEURS

Ce qui aux yeux de l’écolier constitue le maître, c’est la pleine possession de soi-même, le parfait accord de la conduite et du langage, l’esprit d’exactitude et de justice…

Octave Gréard.

Dans la crise morale que nous traversons, la question de l’éducation privée ou publique est l’une des plus graves qui se posent. De tout temps, des intelligences supérieures l’ont envisagée, et, au dix-neuvième siècle surtout, elle a été la grande préoccupation d’esprits nobles et sincères qui ont essayé de la résoudre. Mais ce grand effort n’a pas abouti : le niveau intellectuel et moral des enfants et des adolescents n’est pas supérieur à celui de leurs pères. Pourquoi pareil résultat négatif ? Les instruments seraient-ils défectueux ? Nous avons vu que la préparation donnée par la famille n’était plus suffisante pour les besoins et les dangers de l’heure présente. Celle des éducateurs l’est-elle davantage ? Le sujet est si complexe, si sérieux et si délicat, que des volumes ne suffiraient pas à l’épuiser. Je me bornerai donc à toucher brièvement deux points : la nécessité de relever moralement la situation des instituteurs et l’obligation, pour eux, de comprendre la grandeur de la mission qu’ils accomplissent.


Les éducateurs ? Eux aussi devraient être des chercheurs de sources. Or, cette tâche demande des qualités de premier ordre. C’est donc toute une classe qu’il faudrait relever, pour pouvoir la choisir dans l’élite, non seulement intellectuelle, mais morale de la nation. Et cela déjà pour les écoles élémentaires et secondaires, les années que les enfants y passent étant d’une importance extrême pour la formation de leur caractère.

Tout d’abord (on me dira que je demande l’impossible), l’enseignement ne devrait pas être choisi simplement comme une profession, mais accepté comme une vocation irrésistible. Sans cet élan, il ne peut y avoir de bons instituteurs. Pour gagner les esprits et les cœurs, il faut se donner soi-même. Un instituteur indifférent pourra faire des leçons brillantes, il ne pénétrera jamais l’âme de ses élèves et ne marquera leur cerveau d’aucune empreinte. Quant aux éducateurs corrompus et corrupteurs, ce sont des criminels, et la même épithète s’applique à ceux qui, les sachant indignes, permettent qu’ils exercent leur ministère.

Le mot est écrit, et je le maintiens. L’enseignement est un ministère, aussi sacré que celui du prêtre dans l’ordre religieux, et il est surprenant que les défenseurs de l’école laïque ne le proclament pas. Il ne faudrait pas seulement en exclure les immoraux et amoraux, mais les gens bornés, tous ceux qui ne sentent pas l’importance de la mission, n’aiment pas la nature et[20] dont l’âme est médiocre.

[20] Voir Faiseurs de peines et Faiseurs de joies.

Il va de soi que pour former une classe d’élite, pour avoir le droit d’écarter et de choisir, une transformation est nécessaire : la classe des instituteurs, je le répète, doit devenir une classe privilégiée, pécuniairement et socialement parlant. Ce serait l’unique moyen de l’élever à la hauteur de sa tâche. Évidemment une réforme de ce genre ne pourra se faire que lentement, peu à peu, et les difficultés à vaincre seront énormes. Sans l’aide de l’opinion publique, il sera impossible d’y arriver. C’est donc, tout d’abord, un mouvement d’opinion qu’il faut provoquer. Chacun peut y aider pour sa part, en montrant un respect particulier aux personnes, auxquelles est confiée l’éducation des générations futures, et en exigeant inexorablement d’elles certaines qualités indispensables, sans lesquelles il n’y aurait pas moyen de les autoriser à exercer leur profession.

Par exemple, si les pères[21] ne se désintéressaient pas, comme ils le font, de l’éducation de leurs enfants, ils pourraient, en se liguant avec d’autres pères, intervenir efficacement, pour que tel professeur indigne de sa tâche, ou qui l’accomplit avec négligence, ne continue pas plus longtemps à former des élèves insuffisants ou détestables. Ce sont des exécutions dont les mères, dans l’état de choses actuel, ne peuvent guère se charger.

[21] Voir le chapitre : les Parents.

La plupart des professeurs et des instituteurs ne voyant, dans leur carrière, qu’un gagne-pain assuré, y consacrent le moins de temps possible, parce que les bénéfices qu’ils en retirent ne sont pas à la hauteur de leurs prétentions. Ils n’éprouvent, pour les élèves dont ils ont la charge, qu’une indifférence nuancée d’hostilité ; leur grossièreté et leur manque d’intérêt indisposent les jeunes gens qui, à leur tour, deviennent irrespectueux, inattentifs et finissent par envelopper tout le personnel enseignant dans la même antipathie et le même dédain injustes. Je dis injustes, car si certains maîtres font preuve d’une incompétence absolue dans les matières qu’ils enseignent, d’autres sont admirables de dévouement, de patience, et obtiennent, comme éducateurs, de merveilleux résultats. C’est presque un vol de ne pas donner aux enfants la chance de tomber dans de pareilles mains. Les parents devraient se persuader de cela, et les autorités scolaires également. En théorie, chacun partage cette opinion, mais, en pratique, chacun laisse courir, par nonchalance et par cette tendance à examiner superficiellement toute chose qu’on ne pourra jamais assez flétrir, car elle empoisonne les âmes !

Laisser courir ! Voilà le délit dont nous nous rendons tous coupables. Certes, le système est commode, et, si nous en étions les seules victimes, nous pourrions donner satisfaction à notre paresse, « la vilaine bête accroupie dans les cœurs », dont parle T. Combe[22]. Mais si, au contraire, nous avons charge d’âmes, laisser courir a une bien autre importance. C’est un plaisir qu’on ne peut plus se permettre, il implique de trop graves conséquences morales.

[22] Auteur suisse très connu par ses ouvrages contre l’alcoolisme.


Les empreintes reçues dans la jeunesse sont parfois indélébiles. Quand un professeur, homme ou femme, sait frapper, en bien ou en mal, l’imagination de ses élèves, les notions qu’il leur donne s’effacent lentement, quand elles s’effacent. Dans la maturité de la vie on retrouve en soi des idées, des impressions, des sentiments à la source desquels on peut remonter ; cette source est l’enseignement reçu. Il existe, paraît-il, au Japon, pour les officiers, des écoles d’hypnotisme où on les entraîne au courage et au patriotisme héroïque. Cela nous semble étrange, mais au fond tous les instituts d’éducation, que sont-ils, sinon des applications hypnotiques inconscientes ? Une suggestion, en effet, s’exerce presque toujours du professeur à l’élève.

Du reste, dans tous les rapports humains, on agit plus par la pensée que par la parole ; dans l’enseignement, ce phénomène se produit avec une force singulière. Certains éducateurs n’auraient même plus besoin de parler pour se faire entendre. On répondra que seuls les êtres exceptionnels peuvent exercer une action de ce genre, et qu’ils sont rares dans l’école. D’abord ce n’est pas juste, il y en a plus que l’on ne croit, et puis, logiquement, où les chercher ailleurs ? Ceux à qui l’État et la famille confient les citoyens de l’avenir ne devraient-ils pas être la ruche où les meilleurs sucs d’une nation s’élaborent ?

Par conséquent, il faudrait que les instituteurs et les institutrices représentent ce que le pays possède de meilleur et de plus sain, et ne se recrutent pas parmi les gens de culture et d’éducation médiocres. Probablement, dans l’avenir, ces fonctions, aujourd’hui modestes, seront recherchées comme un honneur par les hommes et les femmes que la confiance publique appellera à les remplir. En attendant que cette transformation s’accomplisse, notre devoir à tous est d’honorer — on ne saurait assez insister sur ce point — ceux et celles qui, dès aujourd’hui, sont conscients de la grandeur de leur tâche.


L’influence d’un précepteur et surtout d’une institutrice compréhensive sur le développement de ses élèves est énorme. Si les jeunes filles, à certains moments de leur vie, donnent des espérances qui, après leur entrée dans le monde, s’abattent piteusement vers le sol, comme un vol d’hirondelles chassé du ciel par la pluie, à qui en revient le mérite ? Aux femmes dévouées et intelligentes qui ont su découvrir et faire jaillir les sources des âmes juvéniles qui leur étaient confiées. Si ces âmes tombent ensuite dans des mains frivoles, qui les dévoient, la responsabilité n’en remonte pas aux éducatrices, mais aux mères[23].

[23] Voir le chapitre : les Parents.

L’influence de l’institutrice privée s’exerce plus prépondérante encore que celle de l’institutrice publique, car elle suit son élève toute la journée et partage son existence. Il est vrai que son enseignement est parfois contrarié par celui de la famille ; il lui faut du tact et du pluck, pour lutter contre les tendances du milieu où elle se trouve, et les vaincre. Quelques-unes fléchissent ; d’autres, plus fortes, plus fines, arrivent à étendre leur influence au delà de leurs élèves. Mais ce sont des cas rares. En général, elles se bornent à modeler ou à refondre, en bien ou en mal, le caractère de celles qu’on leur confie. Je dois dire qu’en général c’est plutôt en bien.

Si elles ont l’âme sérieuse, elles marquent l’esprit des jeunes filles d’une empreinte contre laquelle, plus tard, la mère entrera en lutte. Si elles l’ont futile et trouvent un terrain favorable, elles exercent une influence dissolvante. Je connais une femme qui a traversé bien des vicissitudes, et qui, pourtant, n’a jamais pu oublier les enseignements que lui avait donnés une institutrice frivole et conventionnelle. Dans ses moindres gestes, dans sa tenue physique et morale, dans sa façon d’évaluer les gens et les choses, elle continue à lui obéir aveuglément, souvent même au détriment de sa santé, de son repos, de son plaisir, et surtout de son bonheur ! L’éducatrice est morte depuis longtemps, mais son ombre s’étend toujours sur la destinée de son élève, décolorant et rétrécissant son horizon, l’empêchant de se délivrer d’habitudes mentales, dont elle est assez intelligente pour discerner l’absurdité. On peut dire que cette influence rétrospective a ruiné une vie, car elle s’est exercée dans les moments les plus inopportuns.

Ce pouvoir suggestif qu’elle exerce, rend très difficile et délicat le choix d’une institutrice, et il faudrait faire de celles-ci un corps d’élite qui serait revêtu d’une grande dignité. Or c’est le contraire qui arrive, et il est effrayant de constater avec quelle imprudente facilité les parents introduisent sous leur toit des personnes médiocres et vulgaires, pourvu que leur réputation de bonnes mœurs soit intacte, comme s’il suffisait de ne pas avoir connu les passions, pour bien élever des enfants et leur apprendre à donner leur mesure !

Dans les internats, l’influence des instituteurs et des institutrices s’exerce plus fortement encore, la famille absente ne pouvant la contrebalancer. Les enfants sont livrés sans contrôle à une direction contre laquelle, pendant de longs mois, il n’y a pas de recours possible. Avec les idées modernes, ce système, sauf pour certaines études spéciales, finira par disparaître. Pourtant, il offre, dans certains cas, de réels avantages. Il existe des parents, incapables, ignorants, corrompus qui sont d’un mauvais exemple perpétuel pour leurs enfants ; il y a des familles où de déplorables luttes intimes sont le spectacle de chaque jour. Élevés dans de pareils milieux, que peut-on attendre des hommes de l’avenir ? Les internats représentent, pour cette catégorie de malheureux, prédestinés aux égarements par les milieux d’où ils sortent, une chance de salut. Elle disparaîtra si on les supprime. Et pourtant, que de périls redoutables ils renferment. Même si la direction est bonne et sage, il y a les maîtres, les camarades… Combien de crimes impunis s’y commettent, combien d’esprits s’y dévoient, combien de cœurs s’y vicient ! Pour échapper à ces embûches inévitables, il faudrait avoir été cuirassé d’avance par la famille qui, d’ordinaire, n’y pense pas. Les parents qui lancent leurs enfants dans ces agglomérations d’êtres, font preuve d’une extraordinaire confiance ou d’une étrange légèreté.

Les maisons religieuses, malgré tout ce qu’on peut dire contre elles, sont encore préférables aux instituts laïques ; le jour seulement où l’enseignement sera considéré comme une mission, et non choisi comme un simple gagne-pain, et souvent même un pis-aller, ceux-ci pourront prendre le dessus. Jusqu’ici la conscience des instituteurs et institutrices laïques n’a pas été réellement formée. En certains pays surtout, ils avouent cyniquement leur manque d’intérêt pour l’enseignement qu’ils donnent.

Les enfants élevés dans les internats, ou qui ont des instituteurs ou institutrices privés, représentent une minorité ; le plus grand nombre fréquente les écoles publiques ou les externats, ce qui est certainement le système le plus normal, pour peu que le milieu familial soit intelligent et paisible. Les contacts avec le monde extérieur sont suffisants pour préparer à la vie, et en même temps l’influence du dehors peut être combattue, dans ses mauvais côtés, par celle du dedans. Cependant, même dans ces conditions, le pouvoir suggestif du maître est immense, et les parents ne devraient jamais cesser de suivre attentivement les évolutions que subissent l’âme et l’esprit de l’enfant.

Suivre, se rendre compte ! C’est le remède à tous les maux, et c’est ce que nous nous refusons à faire par insouciance, par inconscience, absorbés par la vie automatique de chaque jour. Essayer d’arriver à une vue claire des choses serait le premier devoir des parents et des éducateurs. La plupart d’entre eux, au contraire, agissent et se dirigent en aveugles, et si on leur demandait les mobiles de leurs paroles, de leurs enseignements, de leur ligne de conduite, ils seraient fort embarrassés de répondre. Fatalisme, dira-t-on, confiance en Dieu, essaieront de murmurer quelques-uns. Quelquefois, peut-être, mais en général, c’est simple incohérence, paresse, habitude de ne pas réfléchir, de ne pas faire d’examen de conscience, de ne pas envisager en face ses responsabilités. La confiance en Dieu revêt d’autres formes ; on ne peut s’y méprendre : elle est faite de prières et non de légèreté. Aucune comparaison n’est possible entre cet état d’âme spécial, qui consiste à remettre toutes choses aux puissances invisibles et supérieures et la vision très incomplète de leur mission, qu’ont souvent même les parents tendres et les éducateurs honnêtes. Ces derniers, en général, ne semblent pas se douter de l’immense répercussion qu’ont leurs paroles, leurs actes, leurs attitudes… La plupart d’entre eux, en tout cas, sont parfaitement inconscients du privilège qu’ils possèdent : « Quelle tâche bénie que celle de l’éducateur ! Malgré ses soucis, ses fatigues, ses désillusions, elle réserve des joies intenses à ceux qui s’y consacrent de tout leur cœur et de toute leur âme, » écrivait Georges Butler. Combien d’éducateurs, au contraire, ne voient dans leur tâche qu’une corvée dont ils ont hâte de se libérer !


J’ai dit dans un autre livre que ceux qui ne sentent et n’aiment pas la nature ne sauront jamais être de bons éducateurs. Cela paraît un paradoxe, et tout au plus admettra-t-on la nécessité de ce sentiment dans les leçons de littérature et d’art. Mais pour le reste, dira-t-on, à quoi peut servir l’amour de la nature, de la beauté, de l’harmonie ? Comme je l’ai écrit dans un précédent chapitre[24], l’imagination éclaire tout, facilite tout ; sans elle, l’enseignement est plat, incolore, pédant… Il faut, pour être efficace, qu’il ouvre des horizons ; or, comment accomplir cette tâche, si on n’a pas soi-même l’esprit ouvert ? La masse est médiocre, répondra-t-on, et des médiocres suffisent à l’instruire. Mais sait-on si, dans cette masse, il n’y a pas des cerveaux qu’une intelligente culture tirerait peut-être de la médiocrité, dans laquelle on les maintient, on les enfonce…

[24] Voir le chapitre : Chercheurs de sources.

Si les hommes sont souvent indifférents, négligents, cyniques même, dans l’accomplissement de leur tâche, les femmes y font preuve, parfois, d’une légèreté incroyable. Leurs dons naturels les porteraient cependant à être des éducatrices de premier ordre. Déjà nous en avons d’admirables qui peuvent servir d’encourageant exemple. Mais ce qui nuit aux femmes, dans l’enseignement comme ailleurs, du reste, c’est qu’elles aiment rarement les choses en soi, elles les font pour des raisons autres que la chose elle-même. Ainsi le directeur d’un laboratoire scientifique, où plusieurs jeunes filles travaillent, me disait récemment : « Elles sont assidues à l’étude, arrivent à l’heure exacte, montrent une patience méritoire dans les recherches, mais elles ne vont jamais au delà, cet au delà qui est tout dans la science. A peine ont-elles obtenu la place qu’elles convoitent ou gagné le prix d’un concours, leur zèle se ralentit, et pour peu qu’un mariage, même médiocre, se présente, elles lâchent avec joie tous leurs instruments de travail, n’ouvrent plus un livre et oublient ce qu’elles ont appris ! »

Je veux croire que les couleurs de ce tableau sont un peu poussées, mais il est certain que le travail intellectuel représente, pour les femmes, un but à atteindre, et, en général, une nécessité économique, plutôt qu’un goût réel pour la science et la culture. Si ce goût existait, on verrait les femmes riches, dont l’existence est assurée, se consacrer à l’étude, à la lecture… Cela se rencontre rarement ; les plus sérieuses préfèrent l’action, le mouvement, ce qui les éloigne de chez elles, les met en contact avec autrui. Ceci prouve que le cerveau de la femme est encore rebelle à la méditation, à la concentration, à l’abstraction… Il ne fait guère d’efforts qu’en vue d’un résultat positif à atteindre.

Cette paresse du cerveau féminin se manifeste également dans le corps enseignant, et si l’influence des éducatrices, déjà si grande, ne s’exerce pas plus prépondérante encore, il faut en chercher la cause dans la répugnance naturelle des femmes pour le travail mental et solitaire. Or, pour bien enseigner, il faut être arrivé, comme culture, à un degré supérieur à celui de ce qu’on enseigne ; les femmes devraient s’en persuader. Elles répondront que les hommes méritent les mêmes reproches, et elles auront raison en partie. Cependant, il y a des savants dans le professorat[25], des savants modestes qui travaillent et étudient pour le plaisir de savoir, sans l’ambition de parvenir. Connaît-on beaucoup de savantes désintéressées ?

[25] Je parle, bien entendu, des écoles primaires et secondaires.

Il serait d’autant plus désirable de pousser les femmes qui enseignent à étendre leur culture, qu’elles pourraient trouver dans cette voie un sérieux avenir, leurs dons de persuasion et d’intuition les mettant en mesure de frapper l’imagination et le cœur de l’enfant et de l’adolescent. Elles pourraient faire jaillir les sources. La plupart n’y songent guère aujourd’hui. Il y a beaucoup d’insupportables pédantes qui, magnifiant le peu d’instruction qu’elles possèdent, s’imaginent être des femmes supérieures ; il leur suffirait de s’instruire davantage, pour comprendre la réalité de leur ignorance. Il y a d’autres femmes pour lesquelles l’enseignement représente un gagne-pain quelconque ou un moyen de s’élever sur l’échelle sociale, et qui apportent à l’accomplissement de leur tâche une frivolité étonnante. Orientées autrement, elles auraient été tout aussi bien choristes, comparses dans un théâtre ou mannequins.

Si, par contre, on constate les miracles obtenus par une institutrice dont la vocation est véritable, on demeure émerveillé de ce que les femmes savent réaliser en ce genre. Une culture supérieure intellectuelle et morale pourrait faire d’elles, je le répète, d’admirables chercheuses de sources, mais il faudrait les recruter dans ce qu’une nation possède de meilleur et de plus élevé comme pensée, esprit, manières… Madame de Maintenon régna sur l’âme de Saint-Cyr par ses grandes façons.


Les sources abondent, c’est la baguette de coudrier qui manque ! M. Guizot a dit très justement que nous avons en nous des facultés qu’une seule existence ne suffit pas à développer[26]. En effet, nous sentons souvent que des voies, différentes de celles que nous suivons, auraient pu s’ouvrir devant nous et correspondre tout aussi bien, et mieux peut-être, à nos tendances et à nos capacités. Les théosophes se résignent, en pensant qu’ils réaliseront ces forces dans une autre incarnation. Ceux qui ne croient pas à de futures existences terrestres soupirent et disent : « c’est dommage » ; et s’ils ont du sens commun, ils ne se consument pas en regrets stériles. Quelques-uns, car la race des Icares n’est pas perdue, se jettent avec fougue dans de multiples entreprises, touchent à tout, se mêlent de tout, et, voulant ravir le feu du ciel, n’arrivent même pas à en retenir une étincelle !

[26] Il y a, pour les créatures humaines vraiment distinguées, plus d’une destinée possible, et elles portent en elles des puissances qu’une vie humaine, toujours si étroite, n’éveille et ne développe point. (Guizot.)

Mais le fait de sentir en nous tant de possibilités diverses, que nous ne parvenons pas à réaliser, prouve l’existence de sources vives qui, découvertes à temps et bien canalisées, pourraient activer l’évolution humaine et rendre l’homme conscient des forces inconnues qu’il détient en lui et qu’il n’a pas encore appris à discerner et à manifester.

Je crois fermement que la bourrasque dévastatrice qui souffle, en ce moment d’un bout de la terre à l’autre, ne durera pas et que, lorsqu’elle se sera dissipée, un avenir meilleur luira pour l’humanité. Quand toutes les forces bonnes, aujourd’hui éparses et inconscientes d’elles-mêmes, se seront reconnues et coalisées, une grande partie des tristesses qui assombrissent l’heure présente disparaîtra ; un souffle purificateur passera sur le cœur des hommes, et ils apprendront à se désaltérer aux eaux fraîches. Mais, pour y arriver, ils doivent aimer et approfondir la nature, écouter ses voix et chercher en eux-mêmes l’empreinte du divin, que les basses passions de la vie factice effacent, et que l’ange de la pitié vient chaque jour dessiner à nouveau dans leurs âmes.

Leur montrer cette empreinte, et ouvrir leurs oreilles aux hymnes que la nature chante au soleil et aux étoiles, est la tâche des chercheurs de sources, et ces chercheurs de sources devraient être surtout les éducateurs. Si ceux-ci comprenaient leur mission, il n’y aurait même plus besoin de lois nouvelles ni de courants d’opinion publique, pour élever leur situation ; elle grandirait immédiatement et s’imposerait au respect général.

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