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Chroniques de J. Froissart, tome 06/13 : $b 1360-1366 (Depuis les préliminaires du traité de Brétigny jusqu'aux préparatifs de l'expédition du Prince de Galles en Espagne)

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The Project Gutenberg eBook of Chroniques de J. Froissart, tome 06/13

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Title: Chroniques de J. Froissart, tome 06/13

1360-1366 (Depuis les préliminaires du traité de Brétigny jusqu'aux préparatifs de l'expédition du Prince de Galles en Espagne)

Author: Jean Froissart

Editor: Siméon Luce

Release date: June 4, 2024 [eBook #73768]

Language: French

Original publication: Paris: Vve J. Renouard, 1869

Credits: Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUES DE J. FROISSART, TOME 06/13 ***

Note sur la transcription: L’orthographe d’origine a été conservée et n’a pas été harmonisée, mais quelques erreurs introduites par le typographe ou à l'impression ont été corrigées.

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Table

CHRONIQUES
DE
J. FROISSART


9924—PARIS.—TYPOGRAPHIE LAHURE
Rue de Fleurus, 9


CHRONIQUES
DE
J. FROISSART

PUBLIÉES POUR LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
PAR SIMÉON LUCE


TOME SIXIÈME
1360-1366

(DEPUIS LES PRÉLIMINAIRES DU TRAITÉ DE BRÉTIGNY JUSQU’AUX PRÉPARATIFS DE L’EXPÉDITION DU PRINCE DE GALLES EN ESPAGNE)

[Logo: SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE]

A PARIS
CHEZ Mme VE JULES RENOUARD
(H. LOONES, SUCCESSEUR)
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, Nº 6


M DCCC LXXVI

EXTRAIT DU RÈGLEMENT.

Art. 14. Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les personnes les plus capables d’en préparer et d’en suivre la publication.

Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable chargé d’en surveiller l’exécution.

Le nom de l’Éditeur sera placé en tête de chaque volume.

Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans l’autorisation du Conseil, et s’il n’est accompagné d’une déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter d’être publié.


Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome VI de l’Édition des Chroniques de J. Froissart, préparée par M. Siméon Luce, lui a paru digne d’être publié par la Société de l’Histoire de France.

Fait à Paris, le 1er décembre 1876.

Signé L. DELISLE.

Certifié,
Le Secrétaire de la Société de l’Histoire de France,
J. DESNOYERS.

SOMMAIRE.


CHAPITRE LXXXIV.

1360. TRAITÉ DE BRÉTIGNY (§§ 474 à 490).

Édouard III et son armée sont toujours campés à Montlhéry[1]. Charles, duc de Normandie, régent du royaume, et les principaux de son Conseil, les ducs d’Anjou et de Berry ses frères, Gilles Aycelin de Montagu, évêque de Thérouanne, chancelier de France, se décident à faire des ouvertures de paix au roi d’Angleterre. Androuin de la Roche, abbé de Cluny, Simon de Langres, maître des Frères Prêcheurs, Hugues de Genève, seigneur d’Anthon[2], sont chargés de ces négociations[3]. Édouard III, indigné au plus haut point de la descente des Français à Winchelsea[4] dont il vient d’être informé, repousse d’abord, malgré les avis du duc de Lancastre, toutes les propositions d’accommodement. Il ne veut à aucun prix renoncer au titre de roi de France, et son projet est, après être allé se rafraîchir deux ou trois mois en Normandie et en Bretagne, de revenir devant Paris au moment de la moisson et des vendanges. Il lève donc son camp de Montlhéry[5] et se dirige vers le pays chartrain, pendant que les trois envoyés du régent, duc de Normandie, reviennent sans cesse à la charge pour le presser de conclure la paix. Au moment où le monarque anglais et ses gens passent à Gallardon, un orage effroyable éclate tout à coup accompagné d’éclairs, de tonnerre, d’une trombe de vent, de grêle et de pierres d’une grosseur énorme, qui terrifie les Anglais et leur tue hommes et chevaux[6]. Édouard y voit un signe de la volonté de Dieu en faveur de la paix; en même temps, le regard fixé sur l’église Notre-Dame de Chartres[7] qu’il aperçoit dans le lointain, il fait un vœu et se consacre à la Sainte Vierge. Après avoir campé la nuit suivante sur le bord de la rivière de Gallardon[8], il n’en continue pas moins le lendemain sa route vers Bonneval[9] et la marche de Vendôme. Toutefois, il finit par céder aux supplications de l’abbé de Cluny, et des négociations[10] s’engagent à Brétigny[11] près de Chartres entre ses délégués et ceux du régent: les pourparlers durent plusieurs jours et aboutissent à la conclusion d’un traité de paix. P. 1 à 5, 237 à 241.

Édouard III confirme[12] le traité de paix conclu à Brétigny-lez-Chartres le 8 mai 1360 entre Édouard, prince de Galles, au nom du roi d’Angleterre, et Charles, duc de Normandie, au nom de Jean, roi de France. Dans la rédaction définitive, un peu différente du texte primitif du traité qui fut quelques mois plus tard ratifié par les deux rois, les conseillers français eurent soin d’insérer une clause réservant le droit de suzeraineté de leur maître et pouvant servir de point de départ à des revendications ultérieures[13]. P. 5 à 17, 241 à 243.

Une trêve est conclue entre les belligérants qui doit durer jusqu’au terme de Saint-Michel prochain et de là en un an[14]. Charles, duc de Normandie, ratifie[15] le traité de paix conclu à Brétigny entre ses plénipotentiaires et ceux d’Édouard, prince de Galles. Cette ratification et la publication de la trêve sont accueillies par tout le royaume avec une joie unanime. Le roi d’Angleterre envoie quatre[16] de ses barons à Paris et les charge de prêter serment[17] en son nom sur le fait du traité de paix. Les Parisiens font à ces envoyés une réception triomphale, sonnent les cloches à leur venue, jonchent les rues de draps d’or sur leur passage; et le duc Charles, après avoir reçu leur serment, leur fait fête et donne à chacun un beau coursier ainsi qu’une épine de la couronne du Sauveur conservée à la Sainte-Chapelle. P. 17 à 21, 243 à 245.

Édouard III fait diriger ses gens d’armes sur Calais par Pont-de-l’Arche où ils doivent traverser la Seine et par Abbeville[18]. Il passe une nuit à Chartres où il fait ses dévotions et présente une offrande à Notre-Dame[19], puis il se rend à Harfleur[20] où il s’embarque avec ses enfants pour l’Angleterre. Il annonce à Jean son prisonnier la fin de sa captivité, et les deux rois ratifient[21] de concert les conventions arrêtées entre les députés et procureurs de leurs deux fils aînés. De grandes fêtes ont lieu à cette occasion à Londres où Jacques de Bourbon vient rejoindre les deux souverains, puis à Windsor où Jean fait ses adieux à sa cousine la reine, enfin à Douvres où il prend congé d’Édouard III[22]. Le roi de France met à la voile pour retourner dans son royaume en compagnie du prince de Galles, du duc de Lancastre, du comte de Warwich, de Jean Chandos et débarque à Calais vers la Saint-Jean-Baptiste[23]. Il doit rester dans cette ville jusqu’à ce qu’on ait payé la première échéance de sa rançon qui est de six cent mille francs. Le duc de Normandie et ses deux frères[24] se rendent à Amiens[25] pour être plus rapprochés du roi leur père et aviser de concert avec lui aux mesures[26] à prendre pour assurer sa mise en liberté. Sur ces entrefaites, Galéas Visconti, sire de Milan[27], demande en mariage pour un de ses fils une des filles du roi de France[28], moyennant quoi il s’engage à fournir à Jean les six cent mille francs dont celui-ci à besoin; mais les pourparlers relatifs à ce mariage entraînent des lenteurs qui empêchent Galéas de verser la somme convenue en temps opportun[29]. Le roi de France doit attendre que ses gens des comptes aient recueilli la première échéance de sa rançon au moyen d’une aide extraordinaire levée sur ses sujets. P. 21 à 24, 245 à 248.

Le prince de Galles et le duc de Lancastre, lassés d’attendre en vain à Calais le versement des six cent mille francs promis, retournent en Angleterre. Ils laissent le roi de France sous la garde de quatre chevaliers dont Jean paye les frais de séjour, en même temps qu’il a à sa charge les siens propres[30]. Depuis 1357 et 1358, un grand nombre de chevaliers et d’hommes d’armes anglais ont occupé des forteresses[31] en France d’où ils rançonnent les habitants du plat pays; Édouard III leur enjoint de vider ces forteresses. Quelques-uns obéissent à cette injonction et vendent les lieux forts qu’ils occupent; mais d’autres refusent de déloger, surtout ceux qui se tiennent sur les marches de Normandie et de Bretagne, et continuent de faire la guerre sous le couvert du roi de Navarre. Eustache d’Auberchicourt vend bien cher la forteresse d’Attigny[32] aux gens du pays, mais il ne parvint jamais dans la suite à se faire payer. Les lieux forts du Laonnais, du Soissonnais, de la Picardie, de la Brie, du Gâtinais et de la Champagne, sont évacués les premiers. Les capitaines qui les occupaient retournent dans leur pays après fortune faite, ou bien ils vont grossir les garnisons navarraises de Normandie[33]. Pendant ce temps, on est parvenu à recueillir de quoi faire face au payement des six cent mille florins. On met cet argent en dépôt provisoire à Saint-Omer[34] dans le trésor de l’abbaye de Saint-Bertin, car les princes et les hauts barons de France, désignés comme otages du traité, prennent des atermoiements et font des difficultés pour se remettre entre les mains des Anglais[35]. P. 24 à 26, 248 et 249.

Le roi de France séjourne à Calais depuis le mois de juillet jusqu’à la fin d’octobre[36]; il crée son fils Louis, auparavant comte d’Anjou et du Maine, duc d’Anjou et du Maine[37], et son fils Jean, auparavant comte de Poitiers, duc de Berry et d’Auvergne[38]. Une fois le payement du premier terme prêt et les otages venus à Saint-Omer, Édouard III repasse la mer et vient à Calais[39]. Là, les deux rois de France et d’Angleterre, qui dès lors s’appellent frères, se font lire et ratifient définitivement[40] tous les articles du traité de Brétigny. Ils se donnent à dîner tous les jours l’un à l’autre, à tour de rôle, ainsi que leurs enfants[41]. Ils passent le temps en fêtes, pendant que leurs gens achèvent de régler toutes les conventions relatives au traité de paix. Chaque clause, chaque article du traité fait l’objet d’une charte spéciale et distincte à laquelle les deux rois et leurs enfants apposent leurs sceaux[42]. P. 26, 249, 250.

Suit le texte de l’une de ces chartes, datée de Calais le 24 octobre 1360, par laquelle Édouard et Jean contractent une alliance offensive et défensive envers et contre tous, excepté le pape et l’empereur de Rome[43]. P. 27 à 33.

Les deux rois se font lire cette charte, dite de confédération et d’alliance, et la ratifient solennellement en présence de leurs enfants et de leurs conseillers. L’évêque de Thérouanne, chancelier de France[44], invite ensuite le roi d’Angleterre à faire les renonciations auxquelles il s’était engagé par le traité de Brétigny. Les commissaires des deux rois se réunissent en conférence et préparent de concert la charte destinée à régler ces renonciations. P. 33, 34, 250.

Suit le texte[45] de cette charte, dite des renonciations, datée de Calais le 24 octobre 1360, par laquelle Édouard III, en confirmation du traité conclu à Brétigny et en retour de la cession qui lui est faite par Jean des provinces y désignées, renonce au nom, au droit, aux armes et à la revendication de la couronne et du royaume de France[46], à tous droits de possession et de souveraineté sur la Normandie, la Touraine, l’Anjou et le Maine, à tous droits de souveraineté et d’hommage sur le duché de Bretagne et le comté de Flandre. P. 34 à 46.

Les deux rois se font lire cette charte et la ratifient en présence de leurs conseillers; ils jurent sur les saints Évangiles et sur une hostie consacrée de l’observer de point en point. Puis, on se réunit de nouveau en conférence, à la requête du roi Jean, pour préparer un mandement destiné à assurer l’évacuation des villes, châteaux et lieux forts du royaume de France par les gens d’armes qui les détiennent sous le couvert du roi d’Angleterre. P. 46, 47, 250, 251.

Suit le texte de ce mandement, daté de Calais le 24 octobre 1360, par lequel Édouard III enjoint sous les peines les plus sévères à ses capitaines, gardiens de villes et de châteaux, adhérents et alliés, de vider, dans le délai d’un mois après qu’ils en auront été requis, les lieux qu’ils occupent ès parties de France, en Picardie, en Bourgogne, en Anjou, en Berry, en Normandie, en Bretagne, en Auvergne, en Champagne, dans le Maine et en Touraine. P. 47 à 50.

Édouard et Jean, après avoir réglé toutes les questions qui les concernent, s’occupent de la lutte toujours ouverte entre Jean de Montfort et Charles de Blois au sujet de la succession de Bretagne, mais ils ne s’arrêtent à rien de définitif par suite du peu d’empressement du roi d’Angleterre[47]. Celui-ci est, au fond, bien aise que les deux partis continuent de rester en armes dans le duché; il voit dans cette guerre un débouché pour bon nombre de ses soudoyers, forcés, en vertu du traité de Brétigny, de vider les forteresses qu’ils occupent en France, et dont il redoute le retour en Angleterre où ils pourraient être tentés de transporter les habitudes de pillage contractées en pays conquis. A l’instigation du duc de Lancastre, tout dévoué à Jean de Montfort[48], on se borne à proroger jusqu’à la Saint-Jean-Baptiste (24 juin[49] 1361) les trêves qui duraient depuis le siége de Rennes et qui devaient expirer le 1er mai de l’année suivante. P. 50 à 52, 251.

Le roi Jean, voulant faire participer les seigneurs anglais aux témoignages d’amitié qu’il échange avec leur maître, fonde quatre rentes annuelles et viagères, de deux mille francs chacune, au profit de quatre chevaliers de l’entourage d’Édouard[50], et le roi d’Angleterre accorde, de son côté, la même faveur à quatre grands personnages[51] de la suite de son frère de France. Jean confirme aussi, à la prière de son allié, la donation de la terre de Saint-Sauveur-le-Vicomte, en Cotentin, faite par celui-ci à Jean Chandos, terre que Godefroi de Harcourt a cédée naguère à Édouard III, et dont le revenu annuel s’élève à seize mille francs[52]. On expédie encore beaucoup d’autres chartes dont je ne puis faire mention, car on emploie à ce travail les quinze jours que les deux rois et leurs enfants passent ensemble à Calais. Ces pièces annexes ne font pas double emploi et ne s’abrogent nullement les unes les autres; on a soin, d’ailleurs, de les dater d’une manière uniforme[53], afin de leur donner à toutes le même caractère d’authenticité: j’en ai pris depuis copie sur les registres de la chancellerie des deux rois. P. 52, 53, 251, 252.

Après la remise des otages[54] et le versement des six cent mille florins[55], Édouard III donne à Jean, en son château de Calais, un magnifique souper où ses enfants, le duc de Lancastre et les plus hauts barons d’Angleterre servent à table tête nue; là, les deux rois prennent congé l’un de l’autre. Le lendemain, veille de Saint-Simon et Saint-Jude[56], Jean et les gens de sa suite quittent Calais pour se rendre à pied en pèlerinage à Notre-Dame de Boulogne, en compagnie du prince de Galles et de ses deux frères, Lionel et Aymon. Le duc de Normandie, qui les attend, fête le retour de captivité de son père en lui offrant, ainsi qu’aux princes anglais, un somptueux festin dans l’abbaye de Boulogne. Le lendemain, le prince de Galles et ses frères retournent à Calais. La veille de la Toussaint[57] 1360, Édouard III, les princes ses fils et les otages remis par le roi de France s’embarquent ensemble pour l’Angleterre. P. 53 à 55, 252.

Noms de trente otages, tant princes du sang que grands seigneurs[58], emmenés en Angleterre.—Noms des dix-huit villes qui fournissent chacune deux otages bourgeois, outre Paris qui en fournit quatre.—Les otages bourgeois peuvent s’ébattre dans les rues de Londres, et l’on permet aux seigneurs français de chasser dans la campagne à une certaine distance de cette ville et pendant un laps de temps déterminé[59]. P. 55, 56, 253, 254.

Le roi Jean part de Boulogne-sur-Mer après la fête de la Toussaint[60] et va à Saint-Omer[61], puis à Montreuil et à Hesdin[62], et de là à Amiens[63], où il reste jusqu’à Noël. Il se rend ensuite à Paris[64], où ses sujets de toutes les classes lui offrent des cadeaux de bienvenue et lui font une réception enthousiaste. P. 56, 57, 254.

Les commissaires d’Édouard III passent la mer et viennent en France pour se faire délivrer les provinces cédées au roi d’Angleterre en vertu du traité de Brétigny[65]. Cette délivrance demande beaucoup de temps[66], parce que plusieurs seigneurs de Guyenne, notamment les comtes de Périgord[67], d’Armagnac[68] et de Comminges[69], les vicomtes de Caraman[70] et de Castelbon[71], prétendent que le roi de France leur suzerain n’a pas le droit de les transporter sans leur aveu, eux et leurs fiefs, sous une autre souveraineté que la sienne. Les seigneurs et les bonnes villes du Poitou et de la Saintonge ne font pas moins de difficultés pour passer sous la domination anglaise. Il faut plus d’un an pour vaincre la résistance des habitants de la Rochelle. Ils disent qu’ils aiment mieux rester Français et être taillés tous les ans de la moitié de leur chevance, ou encore qu’ils se soumettront aux Anglais des lèvres, mais de cœur jamais[72]. Jean Chandos, nommé lieutenant-général du roi d’Angleterre dans ses possessions d’outre-mer[73], vient prendre la saisine des provinces cédées et recevoir au nom de son maître le serment de fidélité des comtes, vicomtes, barons et chevaliers, ainsi que des cités, villes et forteresses: il établit partout de nouveaux officiers, et fixe sa résidence ordinaire à Niort, où il tient grand état. P. 57 à 59, 254 à 256.

CHAPITRE LXXXV.

1360 ET 1361. FORMATION DE LA GRANDE COMPAGNIE.—1360, 28 DÉCEMBRE. PRISE DU PONT-SAINT-ESPRIT.—1362, 6 AVRIL. BATAILLE DE BRIGNAIS (§§ 491 à 498.)

Le roi d’Angleterre nomme des commissaires chargés de faire évacuer les forteresses occupées en France par des hommes d’armes à sa solde. Parmi les capitaines de garnisons, quelques chevaliers et écuyers[74], Anglais de nation, obéissent au mandement royal; d’autres y résistent sous prétexte de guerroyer pour le roi de Navarre. Mais les bandes de soudoyers étrangers, allemands, brabançons, gascons, flamands, hainuyers, bretons, gascons ou de mauvais Français ruinés par les guerres, loin de se disperser, exploitent à l’envi le royaume et continuent leur vie de pillage. Les capitaines des garnisons ont beau congédier leurs soudoyers, ceux-ci mettent à leur tête les pires d’entre eux et reforment de nouvelles bandes. Les aventuriers qui infestent la Champagne et la Bourgogne se donnent le surnom de Tard-Venus. En Champagne, ils s’emparent du château de Joinville où ils font un butin considérable que l’on évalue à cent mille francs; en outre, ils ne consentent à le rendre que moyennant une rançon de vingt mille francs[75]. Après avoir couru toute la province de Champagne, ils dévastent les évêchés de Langres[76], de Toul et de Verdun. Ils entrent ensuite en Bourgogne où ils sont appelés et soutenus par certains chevaliers et écuyers de ce pays[77]; ils se tiennent longtemps aux alentours de Besançon, de Dijon et de Beaune. Ils prennent et pillent Vergy[78], Gevrey[79] en Beaunois, et s’attardent dans cette région plantureuse. La réunion de ces bandes constitue la Grande Compagnie dont l’effectif s’élève, pendant le carême de 1362, à quinze mille combattants. Seguin de Badefol[80], le plus puissant de ces capitaines d’aventuriers, n’a pas sous ses ordres moins de deux mille soudoyers. On compte encore parmi ces chefs de bandes Talbart Talbardon[81], Guiot du Pin[82], Espiote[83], le Petit Meschin[84], Bataillé[85], Frank Hennequin[86], le bour Camus[87], le bour de Lesparre[88], le bour de Breteuil[89], Naudon de Bageran[90], Lamit[91], Hagre l’Escot, Albrest, Ourri l’Allemand, Bourdeille[92], Bernard[93] et Hortingo de la Salle, Robert Briquet[94], Creswey[95], Amanieu d’Ortigue[96], Garciot du Castel[97], Guyonnet de Pau[98]. Vers la mi-carême, les Compagnies se mettent en mesure de marcher sur Avignon en passant par le comté de Mâcon, le Lyonnais et le comté de Forez. P. 59 à 62, 256 à 258.

Le roi Jean mande à son cousin Jacques de Bourbon[99] de marcher contre les Compagnies. Le comte de la Marche, qui se tient alors en Languedoc où il vient de livrer à Jean Chandos les cités, villes, seigneuries et forteresses de Guyenne cédées aux Anglais par le traité de Brétigny[100], se rend par Montpellier et Avignon dans le comté de Forez auprès de la comtesse de Forez, sa sœur[101], et de Renaud de Forez[102], beau-frère de la comtesse. Il appelle sous les armes les seigneurs d’Auvergne, de Limousin, de Provence, de Savoie, du Dauphiné, du duché et du comté de Bourgogne[103], et il les concentre entre Lyon et Mâcon. Louis, comte de Forez[104] et Jean de Forez[105], son frère, neveux de Jacques de Bourbon, se rendent les premiers à l’appel de leur oncle. P. 62 à 64, 259.

Les chefs des Compagnies, après avoir concentré leurs bandes aux environs de Chalon[106] et de Tournus, prennent la résolution d’envahir le Forez et de marcher contre les gens d’armes du roi de France[107]. Ils ravagent le Beaujolais[108], le Lyonnais, assiégent en vain Charlieu[109], passent par Montbrison et s’emparent du château de Brignais[110], à trois lieues de Lyon, où ils attendent les Français qui les poursuivent sous les ordres de Jacques de Bourbon. Noms des principaux seigneurs qui ont répondu à l’appel du comte de la Marche. P. 64, 65, 259 à 261.

Jacques de Bourbon[111], après avoir rassemblé ses gens d’armes à Lyon, quitte cette ville et s’avance dans la direction de Brignais. Les Compagnies dissimulent le gros de leurs forces derrière de hautes collines[112] et ne font montre que de cinq à six mille hommes postés sur un mamelon[113] appuyé à ces collines et surplombant le chemin que suivent les Français. Jacques de Bourbon, trompé par ce stratagème, fait nouveaux chevaliers son fils, Pierre de Bourbon, ainsi que son neveu, le comte de Forez, et donne l’ordre à l’Archiprêtre, qui commande son avant-garde, à Jean de Chalon et à Robert de Beaujeu, d’attaquer les gens des Compagnies. Ceux-ci, des hauteurs où ils se tiennent et où sont entassés d’énormes monceaux de cailloux[114], font pleuvoir une grêle de pierres sur les assaillants, et jettent ainsi le désordre dans les rangs des chevaliers français[115]. Pendant ce temps, les mieux armés et les mieux montés des gens des Compagnies contournent la montagne et viennent tomber à l’improviste sur les derrières de l’ennemi. Les Français sont mis en pleine déroute. L’Archiprêtre[116], le vicomte d’Uzès[117], Renaud de Forez, Robert et Louis de Beaujeu[118], Jean et Louis de Chalon, les seigneurs de Tournon, de Roussillon, de Chalançon et de Groslée sont faits prisonniers. Le jeune comte de Forez et le seigneur de Montmorillon sont tués[119]. Jacques de Bourbon et son fils Pierre, blessés mortellement et rapportés à Lyon, succombent peu de jours après l’action[120]. Cette bataille de Brignais se livre le vendredi après les Grandes Pâques (ou le 12 avril 1361[121]). P. 65 à 69, 261 à 265.

Les habitants de Lyon recueillent les victimes et les fuyards de Brignais. Jacques de Bourbon meurt de ses blessures dans cette ville trois jours après la bataille, et Pierre de Bourbon ne survit que peu de temps à son père. Après leur victoire, les Compagnies mettent au pillage le comté de Forez[122]. Seguin de Badefol, qui a sous ses ordres trois mille combattants, s’empare d’Anse, château situé sur la Saône, à une lieue[123] en amont de Lyon, d’où il rançonne le comté de Mâcon, l’archevêché de Lyon, la terre du seigneur de Beaujeu et tout le pays environnant jusqu’à Marcigny-les-Nonnains. Les autres chefs de bandes, Naudon de Bageran, Espiote[124], Creswey, Robert Briquet, Ortingho et Bernardet de la Salle, Lamit, Bataillé, le bour Camus, le bour de Breteuil[125], le bour de Lesparre, marchent sur Avignon pour mettre à rançon le pape et les cardinaux. Apprenant qu’on vient de déposer une somme considérable dans la forteresse du Pont-Saint-Esprit[126], située sur le Rhône, à sept lieues en amont d’Avignon, Bataillé, Guyot du Pin, Espiote, les bours Camus et de Lesparre, Lamit et le Petit Meschin font une chevauchée de quinze lieues pendant la nuit; ils arrivent au point du jour devant le Pont-Saint-Esprit qu’ils prennent par escalade, et où ils trouvent d’immenses richesses. Ils tiennent dès lors à discrétion les deux rives du Rhône, le côté de l’Empire comme celui du royaume de France et courent jusqu’aux portes d’Avignon. P. 69 à 72, 265 à 267.

A la nouvelle de la prise du Pont-Saint-Esprit[127], beaucoup de Compagnies, cantonnées en Champagne et en Brie, en Orléanais, dans le Chartrain, le comté de Blois, l’Anjou, le Maine et la Touraine, prennent à leur tour le chemin de la vallée du Rhône, envahissent le Comtat et la Provence[128]. P. 72, 73, 267, 268.

Le pape Innocent VI, affamé dans Avignon ainsi que le sacré collége, prêche la croisade contre ces brigands. Le cardinal d’Ostie[129], mis à la tête de l’expédition projetée, convoque à Carpentras ceux qui en veulent faire partie; mais comme on ne donne à ces croisés que des indulgences, ils retournent bientôt chez eux et quelques-uns vont même grossir les bandes des Compagnies. P. 73, 74, 268, 269.

L’avortement complet de cette croisade oblige le pape[130] à faire remettre une somme considérable à Jean, marquis de Montferrat, à charge de prendre à ses gages les gens des Compagnies, maîtres du Pont-Saint-Esprit, pour les emmener en Italie[131]. Les principaux chefs de ces bandes se laissent enrôler, sauf Seguin de Badefol qui tient Anse, et vont faire la guerre à Galéas et à Barnabo, seigneurs de Milan. Pendant ce temps, Seguin de Badefol s’empare de Brioude[132] d’où il ravage tout le pays d’Auvergne. Ses gens d’armes font des excursions jusqu’au Puy, à la Chaise-Dieu[133], à Clermont, à Montferrant[134], à Chilhac[135], à Riom, à Nonette[136], à Issoire, à Vodables[137], à Saint-Bonnet-l’Arsis[138] et sur toutes les terres du comte dauphin[139] alors otage en Angleterre. Après une occupation de plus d’une année, Seguin de Badefol évacue Brioude[140] moyennant finance et se retire avec ses trésors en Gascogne, son pays natal. J’ai ouï dire depuis que cet aventurier eut une fin tout à fait tragique[141]. P. 74 à 76, 269 à 271.

CHAPITRE LXXXVI.

1361. MORT DU DUC DE LANCASTRE.—MORT DU DUC DE BOURGOGNE ET PARTAGE DE SA SUCCESSION.—1362. MORT DU PAPE INNOCENT VI ET ÉLECTION D’URBAIN V.—VOYAGE ET SÉJOUR DU ROI JEAN A LA COUR D’AVIGNON.—CRÉATION DE LA PRINCIPAUTÉ D’AQUITAINE EN FAVEUR DU PRINCE DE GALLES ET ARRIVÉE D’ÉDOUARD DANS SA NOUVELLE PRINCIPAUTÉ (§§ 499 à 502).

Mort de Henri, duc de Lancastre[142]. Ce duc laisse deux filles, l’aînée, Mathilde, mariée au comte Guillaume de Hainaut, et la jeune Blanche, à Jean, comte de Richmond, fils d’Édouard III, qui devient duc de Lancastre du chef de sa femme.—Mort de Philippe, dit de Rouvre, duc de Bourgogne[143], marié à la jeune Marguerite, fille de Louis, comte de Flandre. Marguerite[144], mère du comte de Flandre, succède à Philippe, son petit neveu, dans la possession des comtés d’Artois et de Bourgogne. Jean de Boulogne a pour sa part les comtés d’Auvergne et de Boulogne[145]. Enfin, Jean, roi de France, hérite à titre de plus proche parent[146], du duché de Bourgogne, au grand déplaisir du roi de Navarre[147] qui prétend avoir des droits sur cette succession ainsi que sur la Champagne et la Brie. P. 76, 77, 271 et 272.

Le roi de France entreprend de visiter son nouveau duché[148] et d’aller voir le pape à Avignon; il part de Paris vers la Saint-Jean-Baptiste 1362[149], après avoir nommé Charles son fils aîné régent pendant son absence, et arrive à Avignon aux approches de Noël suivant[150]. Innocent VI meurt sur ces entrefaites[151]. Les cardinaux de Boulogne et de Périgord se disputent les voix du conclave. Ne pouvant réunir la majorité, parce qu’ils se tiennent en échec l’un l’autre, ils prennent le parti de faire élire un simple moine, abbé de Saint-Victor de Marseille, qui devient pape sous le nom d’Urbain V[152]. Informé que Pierre de Lusignan, roi de Chypre, doit venir bientôt à Avignon, Jean passe l’hiver à Villeneuve et dans ses villes du midi, en attendant l’arrivée du vainqueur des Sarrasins, du conquérant de Satalie[153]. P. 77 à 79, 272 à 274.

Édouard III crée Édouard, prince de Galles, son fils aîné, prince d’Aquitaine[154]; Lionel, son second fils, naguère comte d’Ulster, duc de Clarence; Jean, son troisième fils, auparavant comte de Richmond, duc de Lancastre[155]; et il demande pour son quatrième fils Aymon, comte de Cambridge, la main[156] de Marguerite, fille du comte de Flandre et veuve de Philippe de Rouvre.—Mort d’Isabelle de France[157], fille de Philippe le Bel et mère d’Édouard III. Après avoir assisté aux obsèques de sa grand’mère, Édouard, prince d’Aquitaine et de Galles, qui vient de se marier à Jeanne de Kent, veuve de Thomas de Holland[158], quitte l’Angleterre et fait voile vers le continent[159] où il se rend pour prendre possession de sa nouvelle principauté; il débarque à la Rochelle et y reste quatre jours. P. 79 à 81, 274, 275.

Jean Chandos, gouverneur d’Aquitaine pour le roi d’Angleterre, va de Niort où il réside à la Rochelle au-devant du prince; il l’accompagne à Poitiers où tous les feudataires de Poitou[160] et de Saintonge viennent rendre hommage à leur nouveau suzerain. Le prince d’Aquitaine se dirige ensuite vers Bordeaux. Il fait en compagnie de la princesse un long séjour dans cette ville et y reçoit le serment des seigneurs de Gascogne[161]. Grâce à sa médiation, la paix est conclue[162] entre les comtes de Foix et d’Armagnac qui sont depuis longtemps en guerre. Il fait Jean Chandos connétable, et Guichard d’Angle maréchal, d’Aquitaine. Il distribue les meilleurs offices de la principauté aux chevaliers de son entourage et à des Anglais, au grand mécontentement des gens du pays. P. 81, 82, 275 à 277.

CHAPITRE LXXXVII.

1363. ARRIVÉE ET SÉJOUR DE PIERRE 1er, ROI DE CHYPRE, A AVIGNON.—PROJET DE CROISADE.—TRAITÉ CONCLU ENTRE ÉDOUARD III ET LES QUATRE OTAGES DES FLEURS DE LIS.—VOYAGES DU ROI DE CHYPRE A PARIS, EN NORMANDIE ET EN ANGLETERRE.—1364. RETOUR DE JEAN II A LONDRES.—VOYAGE DE PIERRE 1er EN AQUITAINE.—MORT DU ROI DE FRANCE A LONDRES ET AVÉNEMENT DE CHARLES V (§§ 503 à 510).

Arrivée de Pierre Ier, roi de Chypre, à Avignon[163]. Les rois de France et de Chypre prennent la croix[164] à l’instigation d’Urbain V. P. 82 à 84, 277 et 278.

Après Pâques 1363, départ d’Avignon des rois de Chypre[165] et de France[166]. Voyages de Pierre Ier à Prague[167] auprès de l’empereur Charles IV, roi de Bohême, en Allemagne, dans le duché de Juliers, en Brabant, en Flandre où il rencontre à Bruges le roi de Danemark qui a quitté son royaume pour le venir voir, en Hainaut. Le roi de Chypre s’efforce de recruter dans tous ces pays des adhérents à la croisade projetée. P. 84 à 86, 278 à 280.

Traité conclu entre Édouard III et les quatre ducs d’Orléans, d’Anjou, de Berry et de Bourbon, otages en Angleterre[168]. Édouard s’engage à mettre en liberté ces quatre otages sous certaines conditions; et, en attendant que ces conditions soient remplies, les ducs sont internés à Calais[169]. L’embarras des finances vient se joindre au projet de croisade pour faire traîner en longueur les négociations relatives à ce traité, au grand mécontentement du duc d’Anjou. D’un autre côté, le roi de Navarre se prépare à recommencer les hostilités et prend à sa solde les Compagnies qui reviennent de Lombardie, pour faire la guerre au royaume[170]. P. 86, 87, 280, 281.

Au retour de son voyage en Allemagne, le roi de Chypre va voir le roi de France à Paris[171], le dauphin duc de Normandie à Rouen[172] et le roi de Navarre à Cherbourg[173]; il essaye en vain de réconcilier les enfants de Navarre avec le roi Jean et le dauphin Charles. De Cherbourg, Pierre Ier revient à Caen, passe par Pont-de-l’Arche, Abbeville, Rue, Montreuil et arrive à Calais où il ne trouve que les ducs d’Orléans, de Berry et de Bourbon, car le duc d’Anjou a rompu son otagerie et est retourné en France[174]. P. 87 à 89, 281 à 283.

Pierre Ier va rendre visite à Londres[175] au roi d’Angleterre qui, pressé de participer à la croisade projetée, refuse de prendre un engagement formel.—Entrevue des rois de Chypre et d’Écosse[176].—Édouard III fait cadeau à son hôte d’une nef nommée Catherine, construite en vue d’un voyage à Jérusalem, ancrée alors dans le havre de Sandwick, qui avait coûté douze mille francs. «Un fait que je ne m’explique pas, ajoute Froissart, c’est que, deux ans après le départ du roi de Chypre, cette nef était encore à Sandwick, où je la vis. Je suis porté à croire que ce prince la laissa dans ce port pour s’éviter l’embarras de la traîner après lui plutôt que pour d’autres motifs[177]. Je demandai la raison de ce fait, lors de mon passage à Sandwich, mais personne ne put me renseigner à cet égard.» P. 89 à 92, 283 à 285.

Le roi de Chypre retourne d’Angleterre[178] en France par Boulogne et va rejoindre à Amiens le roi de France, les ducs de Normandie, d’Anjou et de Touraine. Ensuite, il passe par Beauvais, Pontoise, Poitiers, Niort, et va voir le prince de Galles à Angoulême[179].—Sur ces entrefaites, le roi de France, qui se tient alors à Amiens[180], se décide malgré l’opposition de son conseil, à retourner en Angleterre, pour faire des excuses à Édouard III au sujet du départ du duc d’Anjou. Il nomme le duc de Normandie régent et gouverneur du royaume pendant son absence, promet le duché de Bourgogne à Philippe, son plus jeune fils[181], et se dirige vers Boulogne par Hesdin[182], où il a une entrevue avec le comte de Flandre, et où il s’arrête du 22 au 28 décembre, et par Montreuil-sur-Mer. P. 92 à 94, 285 à 287.

Jean s’embarque à Boulogne[183] et débarque à Douvres dans l’après-midi, la veille de l’Apparition des trois Rois. Il passe à Canterbury, à Eltham[184], qui est alors la résidence de la cour d’Angleterre, et arrive à Londres, où il va se loger à l’hôtel de Savoie[185]. Les deux rois et leurs enfants se donnent des fêtes et échangent sans cesse des visites en allant en barque l’un chez l’autre par la Tamise, qui coule au pied du manoir de Savoie et du palais de Westminster. P. 94 à 96, 287 à 289.

Pierre Ier passe un mois à Angoulême à la cour du prince d’Aquitaine; il fait un voyage à la Rochelle et prêche partout la croisade[186]. A son retour à Paris, il apprend que le roi Jean est tombé malade à Londres[187], d’où le maréchal Boucicaut vient d’en apporter la nouvelle au dauphin.—Charles le Mauvais, qui se tient à Cherbourg[188], mande en Normandie son cousin, le captal de Buch, alors hôte du comte de Foix[189], pour lui donner la direction de la guerre qu’il veut faire à la France.—Sur ces entrefaites, le roi Jean meurt à l’hôtel de Savoie[190]. Le dauphin Charles, qui hérite de la couronne par suite du décès de son père, redouble ses préparatifs pour tenir tête aux Navarrais[191]. P. 97 à 99, 289, 290.

CHAPITRE LXXXVIII.

1364. PRISE DE MANTES ET DE MEULAN (7 ET 11 AVRIL).—BATAILLE DE COCHEREL (16 MAI).—COURONNEMENT DE CHARLES V (19 MAI).—CAMPAGNE DU DUC DE BOURGOGNE EN BEAUCE (JUIN).—SIÉGE ET REDDITION DE LA CHARITÉ (§§ 510 à 529).

En ce temps s’armait[192] pour le roi de France un chevalier breton nommé Bertrand du Guesclin, dont jusqu’alors la renommée n’avait guère dépassé la Bretagne où il avait toujours tenu le parti de Charles de Blois contre Jean de Montfort.—Aussitôt qu’il est informé de la mort de Jean son père, le duc de Normandie, devenu le roi Charles V, charge le maréchal Boucicaut d’aller rejoindre du Guesclin devant Rolleboise afin d’aviser de concert avec Bertrand aux moyens de reprendre Mantes et Meulan au roi de Navarre[193]. P. 100, 290.

Rolleboise[194] est un beau et fort château, situé sur le bord de la Seine, à une lieue de Mantes. Les gens de Compagnie qui occupent ce château sous les ordres d’un capitaine nommé Wauter [Straël][195], originaire de Bruxelles, font la guerre pour leur propre compte et mettent au pillage les possessions du roi de Navarre aussi bien que le royaume de France. Le duc d’Anjou, Bertrand du Guesclin, le comte d’Auxerre, Antoine, sire de Beaujeu, assiégent Rolleboise depuis quelques semaines au moment où Boucicaut vient apporter à Bertrand l’ordre de s’emparer à tout prix de Mantes et de Meulan. Voici le stratagème que ces deux capitaines imaginent. Boucicaut se présente un jour à l’une des portes de Mantes à la tête de cent chevaux seulement. Il fait semblant d’être poursuivi par les brigands de Rolleboise et prie instamment les gardiens de lui donner entrée dans l’enceinte. Ceux-ci consentent à ouvrir la porte, et Bertrand, qui s’est posté dans le voisinage avec ses Bretons, profite de cette circonstance pour pénétrer dans Mantes dont il se rend maître et qu’il met au pillage. Le jour même de la prise de cette ville, une troupe de Bretons chevauche en toute hâte vers Meulan où ils se disent envoyés par Guillaume de Gauville, capitaine d’Évreux pour le roi de Navarre. On les croit sur parole, on leur ouvre les portes et Meulan a le même sort que Mantes. Les maisons sont livrées au pillage et une partie de la population est massacrée[196]. P. 100 à 105, 290 à 292.

Le captal de Buch débarque au havre de Cherbourg à la tête de quatre cents hommes d’armes. Le roi de Navarre le met[197] à la tête des forces qu’il rassemble pour faire la guerre au roi de France, et lui adjoint un chevalier anglais nommé Jean Jouel, qui dispose de trois cents combattants de la même nation.—Le duc de Normandie, de son côté, ne reste pas inactif. A la nouvelle de la maladie dont le roi son père vient d’être atteint à Londres, il redouble ses préparatifs militaires[198]. Du Guesclin et Olivier de Mauny son neveu[199] reçoivent l’ordre de quitter Mantes où ils se tiennent avec leurs Bretons et de s’avancer dans la direction de Vernon pour y faire frontière contre les Navarrais. Philippe, duc de Bourgogne[200], Arnaud de Cervolle, dit l’Archiprêtre, marié à la veuve du seigneur de Châteauvillain tué à la bataille de Poitiers[201], conseiller et compère du duc de Bourgogne, le comte d’Auxerre, le vicomte de Beaumont[202], Antoine, seigneur de Beaujeu, Louis de Chalon, Amanieu de Pommiers[203], Petiton de Curton, le soudic de [la Trau[204]], le sire de Mussidan[205], chef et conducteur des gens du seigneur d’Albret, sont les principaux chevaliers qui figurent dans l’armée de du Guesclin.—[Brumor[206]] de Laval, chevalier breton du parti français, est fait prisonnier par Gui de Gauville, jeune chevalier de la garnison d’Évreux, au retour d’une chevauchée contre les Navarrais de cette ville. P. 105 à 108, 292, 293.

Retour du roi de Chypre d’Aquitaine à Paris[207].—Funérailles du roi Jean à l’abbaye de Saint-Denis[208].—Préparatifs pour le couronnement de Charles V à Reims.—Arrivée du captal de Buch à Évreux. P. 108 à 110, 293 à 295.

Jean de Grailly part d’Évreux[209] et s’avance vers Pont-de-l’Arche pour couper le passage de la Seine à du Guesclin et aux Français. Les principaux chevaliers de l’armée du captal sont le sire de Sault[210], banneret du royaume de Navarre, l’anglais Jean Jouel, Pierre de Sacquenville, Guillaume de Gauville, Bertrand du Franc, le bascle de Mareuil[211].—Sur son chemin, le captal rencontre un héraut nommé le Roi Faucon qui arrive du camp français; dialogue échangé entre ce héraut et le captal.—Jean de Grailly refuse de recevoir un autre héraut appelé Prie envoyé vers lui par l’Archiprêtre, le mercredi de la Pentecôte[212]. P. 110 à 112, 295 à 297.

Marche, dispositions et ordre de bataille des Navarrais. P. 113 à 115, 297 à 299.

Marche, dispositions et ordre de bataille des Français. P. 115 et 116, 299, 300.

Ruse de guerre imaginée par les Gascons du parti français: trente hommes d’armes des plus hardis et des mieux montés sont chargés spécialement d’attaquer le captal dès le début de l’action, de le prendre et de l’emporter de vive force loin du champ de bataille. P. 116, 117, 300.

Sur le refus du comte d’Auxerre, les barons français mettent du Guesclin à leur tête et adoptent d’un commun accord comme cri de ralliement le cri d’armes de Bertrand: Notre Dame! Guesclin! Cependant la matinée s’avance, et les Français commencent à souffrir de la faim et de la chaleur. On délibère sur la conduite à tenir: les uns sont d’avis d’aller offrir la bataille à l’ennemi sur les hauteurs[213] où il s’est retranché; toutefois on finit par se ranger à l’opinion des plus sages qui conseillent d’attendre en bon ordre l’attaque des Navarrais. P. 117 à 121, 300 à 302.

Du Guesclin a recours à un stratagème pour faire descendre l’ennemi en rase campagne. Il donne l’ordre à ses gens de battre en retraite et de retourner sur leurs pas avec armes et bagages de l’autre côté de la rivière. L’anglais Jean Jouel, en voyant ce mouvement, croit que ses adversaires cherchent à s’échapper et veut leur donner la chasse. Le captal s’y refuse; mais son lieutenant, qui brûle d’en venir aux mains, ne se peut plus contenir: il s’élance à la poursuite des Français. Force est alors à Jean de Grailly, qui ne peut ni ne veut laisser Jean Jouel[214] se mesurer seul contre les Français, d’abandonner ses positions et de descendre de la colline. L’ennemi une fois pris au piège, les Français font volte-face, reprennent l’offensive, et la bataille commence. Sous prétexte qu’il ne peut porter les armes contre certains chevaliers de l’armée navarraise, l’Archiprêtre quitte le champ de bataille dès le début de l’action, mais il ordonne à ses gens de rester pour prêter main forte aux Français. P. 121 à 125, 302 à 305.

Les Navarrais, quoique surpris, ne se déconcertent pas. Ils font passer en avant leurs archers; mais les Français sont si bien protégés par leurs pavois que le trait de l’ennemi ne leur fait presque aucun mal. Les Bretons et les Gascons se couvrent de gloire. Les trente hommes d’armes d’élite, montés sur fleur de coursiers, que l’on a spécialement chargés de s’assurer de la personne du généralissime de l’armée navarraise, vont droit au captal, l’enlèvent après une résistance désespérée, l’emportent loin du champ de bataille et le mettent en lieu sûr[215]. P. 125 à 127, 305 et 306.

Les Gascons[216] et notamment les gens du seigneur d’Albret, ayant à leur tête Amanieu de Pommiers, Petiton de Curton, le soudic de la Trau, parviennent à s’emparer du pennon du captal que défendent le bascle de Mareuil et Geffroi de Roussillon. Le bascle de Mareuil est tué, et Geffroi de Roussillon est fait prisonnier par Amanieu de Pommiers. En revanche, le sire de Mussidan[217] est blessé grièvement et perd trois de ses écuyers; le soudic de la Trau, de son côté, a un bras cassé. Du Guesclin vient au secours de la bataille ou division du comte d’Auxerre, qui commence à plier, mais le vicomte de Beaumout périt dans cette rescousse. Bertrand accourt ensuite prêter main-forte aux Picards qui ont affaire à la division anglaise de l’armée du captal. Jean Jouel, chef de cette division, est terrassé et fait prisonnier par Olivier de Mauny, neveu de du Guesclin, qui le remet à un de ses écuyers nommé Guyon de Saint-Pern[218]; le capitaine anglais meurt des suites de ses blessures le soir même de la bataille. Cet engagement coûte la vie à deux chevaliers picards, Baudouin, sire d’Annequin[219], maître des arbalétriers de France, et Louis de Haverskerque. Finalement, les Français restent maîtres du champ de bataille. Guillaume de Gauville[220], Pierre de Sacquenville, Bertrand du Franc tombent entre les mains des vainqueurs[221]. Le reste de l’armée navarraise se débande et gagne la forteresse d’Acquigny[222]. Cette bataille de Cocherel se livre le jeudi 16 mai 1364. P. 127 à 130, 306 à 310.

Gui de Gauville, fils de Guillaume de Gauville, arrive sur le champ de bataille à la tête de la garnison navarraise de Conches; à la nouvelle de la défaite des siens, il reprend en toute hâte le chemin de sa forteresse. Les trente qui ont enlevé le captal le transportent à Vernon[223] et de là à Rouen. P. 130 à 132, 310, 311.

Charles V reçoit la nouvelle de cette victoire à Reims[224] où il est allé se faire couronner roi de France.—Noms des principaux personnages qui assistent au couronnement.—Retour de Charles V à Paris. P. 132 à 134, 311 à 313.

Charles V investit Philippe son plus jeune frère du duché de Bourgogne[225], et, à la prière de celui-ci, pardonne à l’Archiprêtre sa conduite à Cocherel. Il fait couper la tête à Pierre de Sacquenville à Rouen[226]. Guillaume de Gauville, fait prisonnier à Cocherel, est échangé contre Brumor de Laval, captif à Évreux. Le captal de Buch est transféré de Paris à Meaux[227] où il doit tenir prison. Bertrand du Guesclin rachète au prix de cinq ou six mille francs le château de Rolleboise à Wauter [Straël], capitaine de cette forteresse.—Charles V met sur pied trois armées. La première, sous les ordres du duc de Bourgogne, va mettre le siége devant Marchelainville, en Beauce; la seconde, dont Bertrand du Guesclin est le chef, opère dans la direction du Cotentin et sur les marches de Cherbourg; la troisième enfin, commandée par Jean de la Rivière, assiége le château d’Acquigny[228]. P. 134 à 137, 313 à 315.

Louis de Navarre, frère puîné de Charles le Mauvais, Robert Knolles, Robert Ceni, Robert Briquet, Creswey, à la tête de douze cents combattants, ravagent le pays compris entre Loire et Allier, le Bourbonnais et surtout les environs de Moulins, de Saint-Pierre-le-Moutier[229] et de Saint-Pourçain. Bernard et Hortingo de la Salle, ayant sous leurs ordres quatre cents compagnons, s’emparent par surprise de la Charité-sur-Loire[230] dont les habitants se réfugient à Nevers. A la nouvelle de la prise de cette ville, Louis de Navarre envoie aux vainqueurs un renfort de trois cents armures de fer sous les ordres de Robert Briquet et de Creswey. P. 137 à 139, 315, 316.

Prise de Marchelainville[231] par le duc de Bourgogne et d’Acquigny par Jean de la Rivière. P. 139 à 141, 316, 317.

Siége, prise et rasement du fort de Chamerolles[232] par le duc de Bourgogne.—Siége et prise du château de Dreux et du fort de Preux[233].—Reddition du fort de Couvay[234].—Le duc de Bourgogne quitte la Beauce[235], et, après avoir eu une entrevue avec le roi son frère à Vaux-la-Comtesse en Brie, accourt à la tête de toutes ses forces en Bourgogne où il force le comte de Montbéliard et ses alliés d’Allemagne, qui ont profité de l’absence de Philippe pour envahir le duché, à rebrousser chemin et à repasser précipitamment le Rhin[236]. P. 141 à 143, 317 à 320.

Le connétable[237] et les deux maréchaux[238] de France mettent le siége devant la Charité; ils sont bientôt rejoints par le duc de Bourgogne[239], revenu de sa chevauchée dans le comté de Montbéliard. Bertrand du Guesclin[240] lui-même, après une campagne dans le Cotentin, Jean de la Rivière[241], après la levée du siége d’Évreux, viennent renforcer les assiégeants. La garnison de la Charité fait souvent des sorties, et, dans une de ces escarmouches, Robert d’Alençon, fils du comte d’Alençon, Louis d’Auxerre, fils et frère des deux comtes d’Auxerre[242], sont faits chevaliers. Louis de Navarre, cantonné sur la frontière d’Auvergne, appelle au secours des assiégés Robert Knolles, Gautier Hewet et Mathieu de Gournay; mais le comte de Montfort a pris ces chevaliers anglais à son service pour assiéger le fort château d’Auray, et il a besoin plus que jamais de leur aide pour tenir tête à Charles de Blois son concurrent, qui se prépare à lui faire la guerre à la tête d’une puissante armée. P. 145, 146, 320 à 322.

Louis de Navarre, en qui la garnison de la Charité met toute son espérance, évacue l’Auvergne pour se rendre en Normandie dans la région de Cherbourg[243]. Charles V est obligé de rappeler ses gens d’armes de la Charité pour les enrôler au service de son cousin Charles de Blois[244], et il invite le duc de Bourgogne son frère à traiter avec les assiégés. On permet à ceux-ci de se retirer où bon leur semblera, après leur avoir fait prêter serment de ne point s’armer contre le royaume pendant trois ans. Les habitants de la Charité rentrent dans leurs foyers, et le duc de Bourgogne retourne en France[245]. P. 147, 148, 322.

CHAPITRE LXXXIX.

1364, 29 SEPTEMBRE. BATAILLE D’AURAY.—1365, 12 AVRIL. TRAITÉ DE GUÉRANDE (§§ 530 à 545.)

Le roi de France, apprenant que la guerre va se rallumer entre Jean de Montfort et Charles de Blois, envoie à ce dernier un secours de mille lances sous les ordres de Bertrand du Guesclin[246]. Charles, après avoir rassemblé une armée à Nantes[247], quitte cette ville pour marcher contre le comte de Montfort qui a mis le siége devant Auray. Noms des principaux chevaliers, tant bretons que français, qui ont répondu à l’appel du duc de Bretagne. Au moment du départ, Jeanne de Penthièvre exhorte son mari à repousser toute proposition d’accommodement. Charles de Blois se met en marche et arrive à Rennes[248] avec son armée. P. 148 à 152, 323 à 327.

Huit lieues de pays séparent Rennes d’Auray[249]. Charles de Blois part de Rennes un vendredi[250] et se vient loger à trois lieues d’Auray. L’armée franco-bretonne s’avance dans le plus bel ordre. A cette nouvelle, Jean de Montfort et ses principaux capitaines, Jean Chandos, Robert Knolles, Eustache d’Auberchicourt, Hugh de Calverly, Gautier Hewet, Mathieu de Gournay, tiennent conseil. On décide qu’on ira à la rencontre de l’ennemi, et le lendemain samedi la plus grande partie de l’armée assiégeante exécute un mouvement rétrograde et vient se placer en travers du côté par où s’avance Charles de Blois, pour lui barrer le chemin d’Auray[251]. Arrivés en présence des forces anglo-bretonnes, Charles et les siens s’arrêtent dans une position avantageuse au milieu de grandes bruyères[252]. P. 152 à 154, 327, 328.

Par le conseil de Bertrand du Guesclin, Charles de Blois partage son armée en trois batailles ou divisions, chacune de mille combattants[253], et une arrière-garde. Bertrand commande la première de ces batailles, les comtes d’Auxerre et de Joigny la seconde, Charles de Blois la troisième. Les seigneurs de Rais, de Rieux, de Tournemine, du Pont forment l’arrière-garde. Le duc chevauche de rang en rang, excitant chacun à faire son devoir; il affirme sur son âme et sa part de paradis[254] que c’est pour son bon et juste droit que l’on va combattre. P. 154, 155, 328, 329.

Jean Chandos, chargé dans l’autre camp de la direction suprême, divise aussi l’armée de Montfort en trois batailles et une arrière-garde. Il met à la tête de la première bataille Robert Knolles, Gautier Hewet et Richard Burleigh; la seconde a pour chefs Olivier de Clisson, Eustache d’Auberchicourt et Mathieu de Gournay; enfin, Chandos s’est réservé pour lui-même le commandement de la troisième où il doit combattre aux côtés du comte de Montfort. Chacune de ces batailles se compose de cinq cents hommes d’armes et de trois cents archers[255]. Après beaucoup de difficultés, Hugh de Calverly consent à être le chef de la réserve ou arrière-garde qui compte cinq cents combattants. P. 155 à 157, 329 à 331.

Le samedi [28 septembre[256]] 1364, les deux armées sont en face l’une de l’autre dans l’ordre que nous venons d’indiquer. Le sire de Beaumanoir, qui ne se peut armer parce qu’il est prisonnier des Anglo-Bretons, va en parlementaire d’un camp à l’autre et parvient à obtenir un répit entre les deux parties jusqu’au lendemain, à l’heure de soleil levant. Le châtelain d’Auray profite de ce répit pour se rendre auprès de Charles de Blois, son maître, qui l’assure que l’ennemi lèvera le siége le lendemain par accord ou par bataille[257]. Les Anglais, de leur côté, sachant que leurs adversaires sont à bout de ressources, ont pris la résolution de ne se prêter à aucun accommodement. P. 157 à 159, 331 à 333.

Le dimanche, de grand matin, les chevaliers des deux armées assistent à la messe et communient et, un peu après soleil levant, se mettent en ordre de bataille comme le jour précédent. Le sire de Beaumanoir revient au camp de Jean de Montfort où il porte des propositions de paix. Chandos, qui veut à tout prix livrer bataille, ne le laisse pas venir jusqu’au comte et prend sur lui de répondre à ce parlementaire: «Messire Jean de Montfort sera aujourd’hui duc de Bretagne ou il mourra à la peine.» Puis il va trouver Montfort et, pour l’exciter, il met dans la bouche de Charles de Blois les paroles qu’il vient lui-même de prêter auparavant au compétiteur de Charles[258]. Grâce à cette ruse mensongère, les deux prétendants sont également exaspérés, et leurs partisans se disposent à en venir aux mains, les Franco-Bretons en invoquant Dieu et saint Yves, les Anglo-Bretons en se recommandant à Dieu et à saint Georges. P. 159 à 162, 333 à 335.

Du côté des Français, chaque homme d’armes est muni d’une lance retaillée à la longueur de cinq pieds et d’une hache qui pend à la ceinture ou qu’on porte suspendue au cou. La bataille de Bertrand du Guesclin vient attaquer celle de Robert Knolles et de Gautier Hewet. Les archers anglais commencent à tirer, mais leurs adversaires sont si bien protégés par leurs pavois que les traits ne les atteignent pas. Ces archers jettent alors leurs arcs, et quelques-uns d’entre eux parviennent à s’emparer des haches des hommes d’armes de du Guesclin. Pendant ce temps, la bataille de Charles de Blois en vient aux mains avec celle de Jean de Montfort. Les gens de ce dernier ont d’abord le dessous, mais Hugh de Calverly, qui se tient sur aile, accourt leur prêter main-forte et parvient à rétablir le combat. P. 162, 163, 335 à 337.

Olivier de Clisson, Eustache d’Auberchicourt, Richard Burleigh, Jean Boursier, Mathieu de Gournay[259], ont affaire à la bataille des comtes d’Auxerre et de Joigny. La mêlée devient telle que toutes les batailles ou divisions des deux armées se confondent, excepté l’arrière-garde de Hugh de Calverly, qui se tient toujours en réserve du côté des Anglo-Bretons. Olivier de Clisson, une hache de guerre à la main, fait merveille d’armes; mais il a un œil crevé par la pointe d’une hache ennemie qui a rompu la visière de son bassinet. Les comtes d’Auxerre et de Joigny sont blessés grièvement et faits prisonniers sous le pennon de Jean Chandos; le sire de [Trie[260]], grand banneret de Normandie, est tué; les Franco-Bretons, qui combattaient aux côtés de ces seigneurs, se laissent alors entraîner à une panique et à une débandade générales. P. 164 à 166, 337 à 339.

Les deux batailles de du Guesclin et de Charles de Blois soutiennent encore la lutte. Toutefois les Anglo-Bretons de Montfort maintiennent mieux leurs lignes et gagnent du terrain, grâce surtout à l’appui de la réserve commandée par Hugh de Calverly[261]. Jean Chandos, à la tête d’une troupe nombreuse d’Anglais, accourt prêter main-forte à la division opposée à celle de Bertrand du Guesclin. Après une résistance désespérée, Bertrand et le seigneur de Rais sont faits prisonniers par les gens de Jean Chandos. Le reste des forces franco-bretonnes se rallie autour de Charles de Blois qui se bat comme un lion. Bientôt la bannière de Charles est jetée par terre et conquise, et Charles lui-même est tué[262]. On a prétendu que, le matin de la bataille, les chevaliers des deux armées s’étaient donné le mot de ne pas prendre à rançon le chef de l’armée opposée, s’il venait à tomber entre leurs mains, mais de le mettre à mort. Parmi les bannerets de Bretagne, Charles de Dinan, les seigneurs de Léon, d’Ancenis, d’Avaugour, de Lohéac, de Kergorlay, de Malestroit, du Pont, sont tués. Le vicomte de Rohan, les seigneurs de Léon, de Rochefort, de Rais, de Rieux, de Tournemine, Henri de Malestroit, Olivier de Mauny, les seigneurs de Riville, de Fréauville et d’Esneval, outre les comtes d’Auxerre, de Joigny et Bertrand du Guesclin, sont faits prisonniers. Cette bataille se livre dans les environs d’Auray le [29 septembre[263]] 1364. P. 166 à 169, 339 à 342.

Les principaux seigneurs anglo-bretons, laissant à leurs gens le soin de poursuivre les fuyards, viennent se désarmer à l’ombre d’une haie et font compliment à Jean de Montfort de sa victoire. Celui-ci en reporte tout l’honneur sur Jean Chandos qu’il invite à boire après lui dans son hanap. Et, quand il apprend la mort de son adversaire Charles de Blois, il se fait conduire auprès du cadavre de son cousin dont la vue excite ses regrets et lui arrache des larmes[264]. Jean Chandos s’empresse de mettre fin à cette scène attendrissante. Les restes de Charles de Blois sont portés à Rennes et de là à Guingamp. P. 169 à 171, 342 à 344.

Le comte de Montfort donne trêve pour enterrer les morts, et Charles V envoie en Bretagne Louis, duc d’Anjou, son frère, pour réconforter Jeanne de Penthièvre, veuve de Charles de Blois.—La nouvelle de la victoire d’Auray est apportée à Édouard III à Douvres, cinq jours après la bataille[265], par un varlet poursuivant armes que le roi d’Angleterre fait sur le champ héraut sous le nom de Windsor, et c’est de ce héraut ainsi que de certains chevaliers des deux partis que Froissart tient son récit de cette journée mémorable[266]. P. 171 à 174, 344 à 346.

Cette nouvelle comble de joie Édouard III et Louis, comte de Flandre, qui se sont donné rendez-vous à Douvres pour traiter, moyennant dispense du pape Urbain V, du mariage d’Aymon, comte de Cambridge, l’un des fils du roi d’Angleterre, avec Marguerite, fille du comte de Flandre et veuve du dernier duc de Bourgogne, Philippe de Rouvre[267]. P. 174, 175, 346 à 348.

Siége d’Auray, de Jugon et de Dinan[268], par le comte de Montfort; reddition de ces trois places.—Siége de Quimper-Corentin. P. 175 à 177, 348 à 350.

De l’avis de ses conseillers, frappés des progrès croissants et des conquêtes du vainqueur d’Auray, Charles V envoie Jean de Craon, archevêque de Reims, le seigneur de Craon et le maréchal Boucicaut[269] à Quimper-Corentin[270] en qualité de plénipotentiaires et les charge de traiter avec Jean de Montfort[271]. Celui-ci demande du temps pour en référer à Édouard III, son beau-père et son protecteur, d’après les inspirations duquel il règle toute sa politique; puis, il pose ses conditions que les ambassadeurs français soumettent à leur tour au roi leur maître et au duc d’Anjou. Finalement, la paix est conclue aux conditions suivantes: 1º Jean de Montfort sera reconnu duc de Bretagne, mais s’il meurt sans héritiers légitimes, le duché retournera aux enfants de Charles de Blois. 2º Jean fera hommage du duché au roi de France, son suzerain. 3º Jeanne de Penthièvre, veuve de Charles de Blois, sera maintenue en possession du comté de Penthièvre dont le revenu est évalué à vingt mille francs[272]. Jean de Montfort interviendra de tout son pouvoir auprès d’Édouard III pour faire mettre en liberté ses cousins Jean et Gui, les deux fils aînés de Charles de Blois, qui sont encore détenus prisonniers en Angleterre. P. 177 à 181, 350 à 352.

Charles V rend à Olivier, sire de Clisson, ses terres sises dans le royaume, que Philippe de Valois avait autrefois confisquées, et le rallie ainsi au parti français[273].—Jean de Montfort se marie à la fille de la princesse de Galles que Jeanne de Kent avait eue de son premier mariage avec Thomas de Holland[274], et les noces sont célébrées à Nantes.—Les reines Jeanne d’Évreux et Blanche de Navarre, la première tante et la seconde sœur de Charles le Mauvais, font mettre en liberté le captal de Buch à qui le roi de France donne le château de Nemours[275] dont le revenu est évalué à trois mille francs. Le prince de Galles ayant témoigné son mécontentement de l’acceptation de ce don, le captal renvoie son hommage à Charles V et renonce à la donation faite en sa faveur.—En vertu d’un traité conclu entre les rois de France et de Navarre, Charles V conserve Mantes et Meulan et assigne en dédommagement à son beau-frère d’autres châteaux en Normandie[276].—Louis de Navarre emprunte soixante mille florins[277] au roi de France pour passer en Lombardie où il va épouser la reine de Naples, mais il ne survit que peu de temps à ce mariage[278]. P. 181 à 183, 352, 353.

CHAPITRE XC.

1365, OCTOBRE-1366, MAI. EXPÉDITION DE DU GUESCLIN ET DES COMPAGNIES EN ESPAGNE.—1366, 5 AVRIL. DON PÈDRE EST DÉTRÔNÉ ET DON HENRI, COMTE DE TRASTAMARE, EST PROCLAMÉ ROI DE CASTILLE.—14 AOUT. VICTOIRE REMPORTÉE PAR LES COMPAGNIES ANGLO-GASCONNES PRÈS DE MONTAUBAN.—23 SEPTEMBRE. TRAITÉ D’ALLIANCE ENTRE LE PRINCE D’AQUITAINE ET DE GALLES, DON PÈDRE ET LE ROI DE NAVARRE; PRÉPARATIFS MILITAIRES DU PRINCE DE GALLES ET DÉMÊLÉS AVEC LE SIRE D’ALBRET (§§ 546 à 559).

Redoublement des ravages des Compagnies dans le royaume de France à la suite des traités qui ont mis fin aux guerres de Navarre et de Bretagne; la principauté d’Aquitaine seule est à l’abri du fléau; plaintes et récriminations contre le roi d’Angleterre[279] et le prince de Galles son fils. Charles V et Urbain V essayent en vain d’envoyer les gens des Compagnies en Hongrie faire la guerre contre les Turcs[280]. P. 183 à 185, 353, 354.

Lutte entre don Pèdre, roi de Castille et Henri, comte de Trastamare, frère naturel de don Pèdre[281].—Griefs du roi de France et du pape contre don Pèdre, meurtrier de sa femme Blanche de Bourbon[282] et excommunié par le Saint-Père[283]. Bertrand du Guesclin, fait prisonnier par Jean Chandos à Auray, dont Charles V, Urbain V et don Henri de Trastamare ont payé la rançon fixée à cent mille francs[284], se met à la tête des gens des Compagnies pour les emmener en Espagne au secours de don Henri contre don Pèdre. A du Guesclin se joignent plusieurs chevaliers anglais ou à la solde du prince de Galles, Hugh de Calverly[285], Gautier Hewet, Mathieu de Gournay, Eustache d’Auberchicourt[286], Bertucat d’Albret[287]. De cette expédition font aussi partie un certain nombre de seigneurs français, en première ligne le jeune comte de la Marche qui veut venger la mort de sa cousine Blanche de Bourbon[288], Antoine, sire de Beaujeu[289], Arnoul, sire d’Audrehem, maréchal de France[290], le Bègue de Villaines[291], le Bègue de Villiers[292], le sire d’Antoing[293], en Hainaut, Alard de Briffœuil[294], Jean de Neuville[295], Gauvain de Bailleul, Jean de Berguette, Lallemand de Saint-Venant[296]. Le rassemblement général a lieu à Perpignan[297], sur les confins de l’Aragon. L’effectif de toutes ces bandes s’élève à trente mille hommes. Là sont tous les chefs des Compagnies, Robert Briquet[298], Jean Creswey, Naudon de Bageran, Lami, Maleterre, le Petit Meschin, les bours Camus, de Lesparre et de Breteuil, Bataillé, Espiote, Amanieu d’Ortigue, Perrot de Savoie. Le roi d’Aragon, allié de don Henri, fait le meilleur accueil aux Compagnies[299] avec l’aide desquelles il reconquiert les villes et forteresses de son royaume, occupées naguère par don Pèdre. Celui-ci se voit bientôt abandonné de l’immense majorité de ses sujets qui se déclarent pour le comte de Trastamare. Accompagné de don Fernand de Castro[300], le seul de ses courtisans qui lui soit resté fidèle, de sa femme[301] et de ses deux filles Constance[302] et Isabelle[303], il s’enferme avec ses trésors dans le château de Séville[304] d’où il fait voile[305] bientôt vers la Galice et se réfugie à la Corogne. P. 185 à 192, 354 à 360.

Gomez Carrillo[306], les grands maîtres de Calatrava[307] et de Saint-Jacques[308] prennent parti pour le comte de Trastamare devant qui toutes les villes ouvrent leurs portes[309]. Don Henri est couronné roi, fait comtes ses deux frères don Sanche[310] et don Tello[311], sans oublier les chefs des Compagnies[312] auxiliaires qu’il comble de faveurs. P. 192, 193, 360.

Après le couronnement de don Henri, le comte de la Marche, Arnoul, sire d’Audrehem, et le sire de Beaujeu retournent en France[313]; mais Bertrand du Guesclin[314] et Olivier de Mauny[315] avec les Bretons, Hugh de Galverly et Eustache d’Auberchicourt avec les Anglais, restent en Espagne pour aller faire la guerre contre les Sarrasins de Grenade.—Retiré à la Corogne avec sa femme, ses deux filles et don Fernand de Castro, don Pèdre envoie des messagers vers le prince d’Aquitaine et de Galles pour le prier de venir à son secours contre le bâtard Henri. Le prince, après en avoir délibéré avec les gens de son conseil, accueille favorablement cette demande, et cinq chevaliers anglais partent pour la Corogne afin de ramener à Bordeaux le roi détrôné de Castille. Sur ces entrefaites, don Pèdre se rend lui-même à Bayonne. P. 193 à 199, 360 à 365.

Arrivée et séjour de don Pèdre à Bordeaux[316]. Il promet de faire roi de Castille Édouard, le jeune fils du prince de Galles, et de distribuer ce qu’il a conservé de ses trésors[317] aux gens d’armes du prince. Celui-ci, malgré les avis de ses conseillers qui le détournent d’une intervention armée en faveur du roi détrôné, est disposé à prendre parti pour ce dernier, d’abord parce que, souverain légitime, don Pèdre a été supplanté par un bâtard, ensuite, parce que l’adversaire de don Henri de Trastamare a été de tout temps pour l’Angleterre un allié fidèle. Toutefois, avant de mettre ce dessein à exécution, le prince d’Aquitaine veut avoir l’avis de ses vassaux et des grands feudataires de sa principauté. P. 199 à 204, 365.

Le prince d’Aquitaine convoque à un parlement à Bordeaux les seigneurs et barons, tant de Poitou, de Saintonge, de Rouergue, de Quercy, de Limousin, que de Gascogne. On lui conseille d’en référer au roi d’Angleterre, son père, et quatre chevaliers sont envoyés à cette fin à Londres. Édouard III, après avoir consulté les gens de son Parlement, est d’avis que son fils donne suite à son projet et entreprenne une expédition pour remettre don Pèdre sur le trône. Les barons d’Aquitaine, convoqués de nouveau, demandent qui payera leur solde. Don Pèdre promet d’employer tous ses trésors, qui sont immenses, au payement de cette solde; et le prince anglais, de son côté, se charge de pourvoir aux frais de l’expédition et de faire les avances nécessaires jusqu’à l’arrivée en Castille. Jean Chandos et Thomas de Felton vont à Pampelune inviter Charles le Mauvais à se rendre à Bayonne, afin qu’on s’entende avec lui sur les conditions du passage à travers ses états; car l’armée du prince ne peut pénétrer en Espagne sans traverser la Navarre en franchissant les défilés de Roncevaux[318]. P. 204 à 209, 366, 367.

Le prince d’Aquitaine, don Pèdre et le roi de Navarre ont ensemble à Bayonne[319] des conférences qui durent plusieurs jours. Moyennant le payement d’une somme de cent vingt mille francs[320] et la cession de Logroño[321], de Salvatierra[322] et de Saint-Jean-Pied-de-Port[323], Charles le Mauvais consent à laisser passer à travers son royaume l’armée qui doit se rendre en Espagne pour rétablir don Pèdre sur le trône de Castille. L’allié de don Pèdre s’empresse de rappeler près de lui ceux de ses hommes d’armes que du Guesclin a enrôlés sous la bannière du comte de Trastamare. Eustache d’Auberchicourt, Hugh de Calverly, Gautier Hewet, Mathieu de Gournay[324], Jean Devereux, répondent les premiers à l’appel du prince et quittent l’Espagne pour retourner à Bordeaux. Bientôt après le départ de ces chevaliers, quelques-uns des principaux capitaines d’aventure, Robert Briquet, Jean Creswey, Robert Ceni, Bertucat d’Albret, Garciot du Castel, Naudon de Bageran, les bours de Lesparre, Camus et de Breteuil, reprennent aussi le chemin de la Gascogne pour aller offrir leurs services au prince d’Aquitaine.—Du Guesclin, de son côté, se rend auprès du roi d’Aragon, du duc d’Anjou qui se tient alors à Montpellier, et du roi de France[325], afin d’engager ces princes à prendre parti pour Henri de Trastamare et à lui envoyer des renforts. P. 209 à 213, 367 à 369.

A la nouvelle de l’expédition projetée par le prince d’Aquitaine et de Galles pour rétablir don Pèdre sur le trône de Castille, Pierre, roi d’Aragon, fait alliance avec don Henri de Trastamare[326], et interdit aux Compagnies anglo-gasconnes, qui veulent quitter l’Espagne pour rejoindre la bannière du prince, le passage à travers l’Aragon et la Catalogne. Ces Compagnies sont enrôlées définitivement au service du prince d’Aquitaine par Jean Chandos envoyé en mission dans le pays basque auprès de leurs chefs; et à la prière de ce chevalier, Gaston Phœbus, comte de Foix, consent à laisser passer les routiers et leurs bandes sur son territoire. P. 213 à 216, 369, 370.

Par le conseil de Jean Chandos et de Thomas de Felton, le prince de Galles, non content d’avoir fait fondre les deux tiers de son argenterie, sollicite et obtient d’Édouard III cent mille francs[327] pour subvenir aux frais de l’expédition projetée. P. 216 à 218, 371, 372.

Le sire d’Albret s’engage à servir le prince d’Aquitaine et de Galles à la tête de mille lances. Apprenant que les gens des Compagnies, au nombre de trois mille, après avoir franchi les Pyrénées, doivent passer entre Toulouse et Montauban, Gui d’Azay, sénéchal de Toulouse, les sénéchaux de Carcassonne[328], de Nîmes[329] et le [vicomte[330]] de Narbonne marchent à la poursuite de ces pillards[331] à la tête de cinq cents lances et de quatre mille bidaus. P. 218 à 220, 372 à 374.

Traquée par les Français, une des bandes anglo-gasconnes se réfugie dans Montauban; et Jean Trivet, capitaine anglais de cette forteresse, dans une entrevue qu’il a avec Gui d’Azay et le vicomte de Narbonne, refuse de livrer des gens d’armes qui viennent rallier la bannière du prince son maître[332]. P. 220 à 223, 374 à 376.

Une bataille se livre sous les murs de Montauban entre les Français et les gens des Compagnies commandés par Robert Ceni[333] et Bertucat d’Albret[334]. Les Français sont bien trois contre un; mais Jean Trivet et les soudoyers de la garnison viennent à la rescousse des routiers, et les habitants de la ville eux-mêmes font pleuvoir sur les Français une grêle de pierres[335]. En outre, le bour de Breteuil, Naudon de Bageran amènent aux Anglo-gascons pendant l’action un renfort de quatre cents combattants de troupes fraîches[336]. Les Français sont mis en pleine déroute. Gui d’Azay, les vicomtes de Narbonne et d’Uzès, le seigneur de Montmorillon, les sénéchaux de Carcassonne, de Beaucaire et plus de cent chevaliers sont faits prisonniers. Cet engagement a lieu devant de Montauban la veille de la mi-août 1366. P. 223 à 226, 376 à 379.

Bertucat d’Albret, Robert Ceni, Jean Trivet, Robert d’Aubeterre[337], le bour de Breteuil et Naudon de Bageran se partagent le butin. Les prisonniers s’engagent à payer rançon à Bordeaux dans un délai convenu et sont mis en liberté à cette condition; mais le pape Urbain V leur défend sous peine d’excommunication de verser les sommes promises et déclare nuls tous engagements pris envers les gens des Compagnies[338]. Ceux-ci adressent des réclamations à Jean Chandos, connétable d’Aquitaine, qui élude leurs plaintes pour ne pas froisser le Saint-Père. P. 226 à 228, 379, 380.

L’effectif des Compagnies anglo-gasconnes s’élève à douze mille soudoyers: le prince de Galles les prend à ses gages depuis la fin d’août 1366 jusqu’à l’entrée de février 1367. D’un autre côté, don Henri de Trastamare retient à son service les soudoyers français et surtout les bandes bretonnes dont les principaux chefs sont, après Bertrand du Guesclin, Silvestre Budes[339], Alain de Saint-Pol, Guillaume du Bruel et Alain de Lakouet[340].—Sur ces entrefaites, Jean, duc de Lancastre[341], vient amener au prince de Galles son frère un renfort de quatre cents hommes d’armes et de quatre cents archers. Le roi de Majorque, dépouillé de ses états par le roi d’Aragon, se rend aussi, vers la même époque, à la cour de Bordeaux où il expose ses griefs, et on lui donne l’assurance qu’au retour de l’expédition d’Espagne on l’aidera à recouvrer son royaume[342]. Le prince d’Aquitaine reçoit continuellement des plaintes au sujet des désordres de tout genre commis par les gens des Compagnies qu’il a enrôlés à son service; mais il attend la délivrance de la princesse sa femme, qui est sur le point d’accoucher, et on lui conseille de laisser passer la fête de Noël avant de s’engager dans les défilés de Roncevaux[343]. Le 7 décembre, il écrit au sire d’Albret de lui amener deux cents lances, au lieu de mille, comme il avait été convenu d’abord. Le sire d’Albret se fâche et répond qu’il renonce à servir le prince, car il ne saurait trier ces deux cents lances parmi les mille qu’il avait retenues pour faire partie de l’expédition. Le prince d’Aquitaine est outré de dépit d’une telle réponse et se montre bien résolu à ne pas laisser cette insolence impunie; toutefois, le comte d’Armagnac accourt à Bordeaux et réussit à obtenir la grâce du sire d’Albret, son neveu[344], grâce à l’entremise de Jean Chandos et de Thomas de Felton. Cet incident n’en doit pas moins être considéré comme le point de départ de la brouille entre le prince de Galles et le sire d’Albret[345]. P. 228 à 234, 380 à 382.


CHRONIQUES
DE J. FROISSART.


LIVRE PREMIER.

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