← Retour

Confidences et Révélations: Comment on devient sorcier

16px
100%

«Hommage offert à Robert-Houdin par les chefs de tribus arabes, à la suite de ses séances données à Alger, les 28 et 29 octobre 1856.

GLOIRE A DIEU

qui enseigne ce que l’on ignore, qui rend sensibles les trésors de la pensée par les fleurs de l’éloquence et les signes de l’écriture.

»Le destin aux généreuses mains, du milieu des éclairs et du tonnerre, a fait tomber d’en haut, comme une pluie forte et bienfaisante, la merveille du moment et du siècle, celui qui cultive des arts surprenants et des sciences merveilleuses, le sid Robert-Houdin.

»Notre temps n’a vu personne qui lui soit comparable. L’éclat de son talent surpasse ce que les âges passés ont produit de plus brillant. Parce qu’il l’a possédé, son siècle est le plus illustre.

»Il a su remuer nos cœurs, étonner nos esprits, en nous montrant les faits surprenants de sa science merveilleuse. Nos yeux n’avaient jamais été fascinés par de tels prodiges. Ce qu’il accomplit ne saurait se décrire, nous lui devons notre reconnaissance pour tout ce dont il a délecté nos regards et nos esprits; aussi notre amitié pour lui s’est-elle enracinée dans nos cœurs comme une pluie parfumée, et nos poitrines l’enveloppent-elles précieusement.

»Nous essayerions vainement d’élever nos louanges à la hauteur de son mérite; nous devons abaisser nos fronts devant lui et lui rendre hommage, tant que la pluie bienfaisante fécondera la terre, tant que la lune éclairera les nuits, tant que les nuages viendront tempérer l’ardeur du soleil.

»Ecrit par l’esclave de Dieu,

»ALI-BEN-EL-HADJI MOUÇA

«Pardonne-nous de te présenter si peu, etc...» Suivent les signatures et les cachets des chefs de tribus.

Au sortir de cette cérémonie et après que les Arabes nous eurent quittés, le Maréchal-Gouverneur, que je n’avais pas vu depuis mes représentations, voulant me donner une idée de l’effet qu’elles avaient produit sur l’esprit des indigènes, me cita le trait suivant:

Un chef Kabyle, venu à Alger pour faire sa soumission, avait été conduit à ma première représentation.

Le lendemain, de très bonne heure, il se rend au palais et demande à parler au Gouverneur.

—Je viens, dit-il au Maréchal, te demander l’autorisation de retourner tout de suite dans ma tribu.

—Tu dois savoir, répond le Gouverneur, que les formalités ne sont pas encore remplies, et que tes papiers ne seront en règle que dans trois jours; tu resteras donc jusqu’à cette époque.

—Allah est grand, dit l’Arabe, et s’il lui plaît, je partirai avant; tu ne me retiendras pas.

—Tu ne partiras pas si je le défends, j’en suis certain; mais, dis-moi, pourquoi es-tu si pressé de t’en aller?

—Après ce que j’ai vu hier, je ne veux pas rester à Alger; il m’arriverait malheur.

—Est-ce que tu as pris ces miracles au sérieux?

Le Kabyle regarda le Maréchal d’un air d’étonnement, et sans répondre directement à la question qui lui était faite:

—Au lieu de faire tuer tes soldats pour soumettre les Kabyles, dit-il, envoie ton marabout français chez les plus rebelles, et avant quinze jours, il te les amènera tous ici.

Le Kabyle ne partit pas, on parvint à calmer ses craintes; toutefois il fut un de ceux qui, dans la cérémonie qui venait d’avoir lieu, s’étaient éloignés le plus à mon approche.

Un autre Arabe disait encore en sortant d’une de mes séances:

—Il faudra maintenant que nos marabouts fassent des miracles bien forts pour nous étonner.

Ces renseignements, dans la bouche du Gouverneur, me furent très agréables. Jusqu’alors je n’avais pas été sans inquiétude, et, bien que je fusse certain d’avoir produit une vive impression dans mes séances, j’étais enchanté de savoir que le but de ma mission avait été rempli selon les vues du Gouvernement. Du reste, avant de partir pour la France, le Maréchal voulut bien m’assurer encore que mes représentations en Algérie avaient produit les plus heureux résultats sur l’esprit des indigènes.

 

Quoique mes représentations fussent terminées, je ne me pressai pas cependant de rentrer en France. J’étais curieux d’assister, à mon tour, à quelque scène d’escamotage exécutée par des Marabouts ou par d’autres jongleurs indigènes. J’avais promis en outre à plusieurs chefs Arabes d’aller les visiter dans leur douars. Je voulais me procurer ce double plaisir.

Il est peu de Français qui, après un court séjour en Algérie, n’aient entendu parler des Aïssaoua et de leurs merveilles. Les récits qui m’avaient été faits des exercices des sectaires de Sidi-Aïssa m’avaient inspiré le plus vif désir de les voir exécuter, et j’étais persuadé que tous leurs miracles ne devaient être que des trucs plus ou moins ingénieux, dont il me serait sans doute possible de donner le mot.

Or, M. le colonel de Neveu m’avait promis de me faire assister à ce spectacle; il me tint parole.

A un jour indiqué par le Mokaddem, président habituel de ces sortes de réunions, nous nous rendîmes, en compagnie de quelques officiers d’état-major et de leurs femmes, dans une maison arabe, et nous pénétrâmes par une porte basse dans la cour intérieure du bâtiment, où devait avoir lieu la cérémonie. Des lumières artistement collées sur les parois des murs et des tapis étendus sur des dalles attendaient l’arrivée des frères. Un coussin était destiné au Mokaddem.

Chacun de nous se plaça de manière à ne pas gêner les exécutants. Nos dames montèrent aux galeries du premier étage, de sorte qu’elles se trouvaient par ce fait, comme nous disons en France, aux premières loges.

Mais je vais laisser le Colonel de Neveu raconter lui-même cette séance, en la copiant textuellement dans son intéressant ouvrage sur les Ordres religieux chez les Musulmans en Algérie:

«Les Aïssaoua entrent, se placent en cercle dans la cour et bientôt commencent leurs chants. Ce sont d’abord des prières lentes et graves qui durent assez longtemps; viennent ensuite les louanges en l’honneur de Sidi-Mohammet-Ben-Aïssa, le fondateur de l’ordre; puis les frères et le Mokaddem, prenant des tambours de basque, animent successivement la cadence, en s’exaltant mutuellement d’une manière toujours croissante.

»Après deux heures environ, les chants étaient devenus des cris sauvages et les gestes des frères avaient suivi la même progression. Tout-à-coup, quelques-uns se lèvent et se placent sur une même ligne en dansant et prononçant aussi gutturalement que possible, avec toute la vigueur de leurs énergiques poumons, le nom sacré d’Allah. Ce mot qui désigne la Divinité, sortant de la bouche des Aïssaoua, semblait être plutôt un rugissement féroce qu’une invocation adressée à l’Etre suprême. Bientôt le bruit augmente, les gestes les plus extravagants commencent, les turbans tombent, laissent paraître à nu ces têtes rasées qui ressemblent à celles des vautours; les longs plis des ceintures rouges se déroulent, embarrassent les gestes et augmentent le désordre.

»Alors les Aïssaoua marchent sur les mains et les genoux, imitent les mouvements de la bête. On dirait qu’ils n’agissent uniquement que par l’effet d’une force musculaire que ne dirige plus la raison, et qu’ils oublient qu’ils sont hommes.

»Lorsque l’exaltation est à son comble, que la sueur ruisselle de tous leurs corps, les Aïssaoua commencent leurs jongleries. Ils appellent le Mokaddem leur père, et lui demandent à manger; celui-ci distribue aux uns des morceaux de verre qu’ils broient entre leurs dents; à d’autres, il met des clous dans la bouche; mais au lieu de les avaler, ils ont soin de se cacher la tête sous les plis du bournous du Mokaddem, afin de ne pas laisser voir aux assistants qu’ils les rejettent. Ceux-ci mangent des épines et des chardons; ceux-là passent leur langue sur un fer rouge ou le prennent entre leurs mains sans se brûler. L’un se frappe le bras gauche avec la main droite; les chairs paraissent s’ouvrir, le sang coule en abondance; il repasse la main sur son bras, la blessure se ferme, le sang a disparu. L’autre saute sur le tranchant d’un sabre que deux hommes tiennent par les extrémités et ne se coupe pas les pieds. Quelques-uns tirent de petits sacs en peau, des scorpions, des serpents, qu’ils mettent intrépidement dans leur bouche.»

Je m’étais blotti derrière une colonne d’où je pouvais tout voir de très près sans être aperçu. J’avais à cœur de n’être point la dupe de ces tours mystérieux; j’y prêtai donc une attention très soutenue.

Autant par les remarques que je fis sur le lieu même de la scène que par les recherches ultérieures auxquelles je me suis livré, je suis maintenant en mesure de donner une explication satisfaisante des miracles des Aïssaoua. Seulement, pour ne pas interrompre trop longuement mon récit, je renverrai le lecteur, curieux de ces détails, à la fin de cet ouvrage, au chapitre spécial que j’ai intitulé: UN COURS DE MIRACLES.

Je crois être d’autant plus compétent pour donner ces explications, que quelques-uns de ces tours rentrent dans le domaine de l’escamotage, et que les autres ont pour base des phénomènes tirés des sciences physiques.

Une fois instruit du secret des jongleries exécutées par les Aïssaoua, je pouvais me mettre en route pour l’intérieur de l’Afrique. Je partis donc, muni de lettres du Colonel de Neveu pour plusieurs chefs de bureaux arabes, ses subordonnés, et j’emmenai avec moi Mme Robert-Houdin, qui se montrait tout heureuse de faire cette excursion.

Nous allions voir l’Arabe sous sa tente ou dans sa maison; goûter à son couscoussou, que nous ne connaissions que de nom; étudier par nous-mêmes les mœurs, les habitudes domestiques de l’Afrique; il y avait là certes de quoi enflammer notre imagination. Et c’est à peine si je songeais par moments, moi qui redoutais tant le mauvais temps sur mer, que le mois où nous nous rembarquerions pour la France, serait précisément un de ceux où la Méditerranée est le plus agitée!

Parmi les Arabes qui m’avaient engagé à les visiter, Bou-Allem-Ben-Cherifa, Bach-Agha du D’jendel, m’avait fait des instances si vives, que je me décidai à commencer mes visites par lui.

Notre voyage d’Alger à Médéah fut tout prosaïque; une diligence nous y conduisit en deux jours.

A cela près de l’intérêt que nous inspira la végétation toute particulière du sol de l’Algérie, ainsi que le fameux col de la Mouzaïa, que nous traversâmes au galop, les incidents du voyage furent les mêmes que sur les grandes routes de France. Les hôtels étaient tenus par des Français; on y dînait à table d’hôte avec le même menu, le même prix, le même service. Cette existence de commis-voyageur n’était pas ce que nous rêvions en quittant Alger. Aussi fûmes-nous enchantés de mettre pied à terre à Médéah; au-delà la diligence ne suivait plus la même direction que nous.

Le capitaine Ritter, chef du bureau arabe de Médéah, chez lequel je me rendis, avait assisté à mes représentations à Alger; je n’eus donc pas besoin de lui présenter la lettre de recommandation qui lui était adressée par M. de Neveu. Il me reçut avec une affabilité qui, du reste, est le propre de son caractère, et Mme Ritter, femme également gracieuse, voulut bien se joindre à son mari pour nous faire visiter la ville. J’eus vraiment un grand regret d’être forcé de quitter dès le lendemain matin des personnes aussi aimables; mais il fallait me hâter de faire mon voyage avant de voir arriver les pluies d’automne, qui rendent les routes impraticables, et souvent même très dangereuses.

Le capitaine se rendit à mes désirs. Il nous prêta deux chevaux de son écurie, et nous donna pour guide jusque chez Bou-Allem un Caïd qui parlait très bien français.

Cet Arabe avait été pris tout jeune dans une tente, qu’Abdel-Kader avait été forcé d’abandonner dans une de ses nombreuses défaites. Le gouvernement avait mis l’enfant au collége Louis-le-Grand, où il avait fait d’assez bonnes études. Mais toujours poursuivi par le souvenir du ciel de l’Afrique et du couscoussou national, notre bachelier ès-sciences avait demandé comme une grâce la faveur de rentrer en Algérie. Par égard pour son éducation, on l’avait nommé Caïd d’une petite tribu dont j’ai oublié le nom, mais qui se trouvait sur la route que nous devions parcourir.

Mon guide, que j’appellerai Mohammed, parce que son nom ne me revient pas non plus à la mémoire (ces noms arabes sont difficiles à retenir pour quiconque n’a pas un peu vécu en Algérie), Mohammed, donc, était accompagné de quatre Arabes de sa tribu; deux d’entre eux étaient chargés du transport de nos bagages, et les deux autres devaient nous servir de domestiques. Tous étaient à cheval, et marchaient derrière nous.

Nous partîmes à huit heures du matin. Notre première étape ne devait pas être longue, car Mohammed m’avait assuré que, s’il plaisait à Dieu (formule sans laquelle un vrai croyant ne parle jamais de l’avenir), nous arriverions chez lui pour déjeûner. En effet, environ trois heures après notre départ, notre petite caravane arriva dans le modeste douar[21] de Mohammed. Nous mîmes pied à terre devant une maisonnette entièrement construite en branches d’arbres et dont la toiture était à peine de hauteur d’homme. C’était le salon de réception du Caïd.

La porte en était ouverte; mon guide nous donna l’exemple en entrant le premier et nous le suivîmes. Un seul meuble ornait l’intérieur de ce réduit: c’était un petit escabeau de bois. Mme Robert-Houdin s’en fit un siége. Mohammed et moi, nous nous assîmes sur un tapis qu’un Arabe venait d’étendre à nos pieds, et l’on ne tarda pas à servir le déjeûner. Mohammed, qui voulait sans doute se faire pardonner une faute grave qu’il méditait, nous traita somptueusement et presque à la française. Un potage au gras, des rôtis de volaille, quelques ragoûts excellents que je ne saurais décrire, parce que je n’ai jamais fait de grandes études dans l’art culinaire, et de la pâtisserie que n’eût certes pas désavouée Félix, furent successivement apportés devant nous. On nous avait donné, à ma femme et à moi, chose inouïe chez un Arabe, un couteau, une cuillère et une fourchette de fer.

Le repas avait été apporté d’un gourbi[22] voisin où demeurait la mère du Caïd. Cette femme avait habité longtemps Alger, et elle y avait puisé les connaissances dont elle venait de nous donner un échantillon.

Quant à Mohammed, en reprenant le costume musulman, il avait repris également les usages de ses ancêtres; pour toute nourriture, il s’était remis aux dattes et au couscoussou, à moins qu’il n’eût quelque convive, ce qui était fort rare.

Notre déjeûner terminé, notre hôte nous conseilla de nous remettre en route, si nous voulions arriver chez Bou-Allem avant la fin du jour. Nous suivîmes son avis.

De Médéah à la tribu de Mohammed, nous avions suivi une route assez praticable; en sortant de chez lui, nous entrâmes dans un pays inculte et désert, où l’on ne voyait d’autres traces de passage que celles que nous laissions nous-mêmes. Le soleil dardait ses plus brûlants rayons sur nos têtes, et nous ne trouvions sur notre chemin aucun ombrage pour nous en garantir. Souvent aussi notre marche devenait très pénible; nous rencontrions des ravins dans lesquels il nous fallait descendre au risque de briser les jambes de nos chevaux et de nous rompre le cou. Pour nous faire prendre patience, notre guide nous annonçait que nous ne tarderions pas à gagner un terrain moins accidenté, et nous continuions notre route.

Il y avait environ deux heures que nous avions quitté notre première halte, lorsque Mohammed, qui avait lancé son cheval au galop, nous quitta en nous criant qu’il allait revenir, et disparut derrière une colline.

Nous ne revîmes plus notre Caïd.

J’ai su depuis que, jaloux de la richesse de Bou-Allem, il avait préféré encourir une punition, plutôt que de rendre visite à son rival.

Cette fuite nous mit, Mme Robert-Houdin et moi, dans une grande inquiétude, que nous nous communiquâmes sans crainte d’être compris par nos guides.

Nous avions à redouter le mauvais exemple donné par Mohammed; les quatre Arabes ne pouvaient-ils pas imiter leur chef et nous abandonner à leur tour? Que deviendrions-nous dans un pays où, lors même que nous rencontrerions quelqu’un, nous ne pourrions parvenir à nous en faire comprendre?

Mais nous en fûmes quittes pour la peur; nos braves conducteurs nous restèrent fidèles et furent même très polis et très complaisants pendant toute la route. Du reste, ainsi que nous l’avait annoncé Mohammed, nous gagnâmes bientôt un chemin qui nous conduisit directement à la demeure de Bou-Allem.

Comparativement à la maison du caïd, celle du Bach-Agha pouvait passer pour une habitation princière, moins pourtant par l’aspect architectural des bâtiments que pour leur étendue. Comme dans toutes les maisons arabes, on n’y voyait extérieurement que des murs; toutes les fenêtres donnaient sur les cours ou sur les jardins.

Bou-Allem et son fils, Agha lui-même, avertis de notre arrivée, vinrent à notre rencontre et nous adressèrent en arabe des compliments que je ne compris pas, mais que je supposai être dans la formule des salamalecs usités chez eux en pareil cas, c’est-à-dire:

Soyez les bienvenus, ô les invités de Dieu!

Telle était du reste ma confiance, que quelques choses qu’ils nous eussent dites, je les aurais accueillies comme des politesses.

Nous descendîmes de cheval, et, sur l’invitation qui nous en fut faite, nous nous assîmes sur un banc de pierre où l’on ne tarda pas à nous servir le café. En Algérie, on fume et l’on prend du café toute la journée. Il est vrai que cette liqueur ne se fait pas aussi forte qu’en France, et que les tasses sont très petites.

Bou-Allem, qui avait allumé une pipe, me l’offrit. C’était un honneur qu’il me faisait, de fumer après lui; je n’eus garde de refuser, bien que j’eusse autant aimé qu’il en fût autrement.

Comme je l’ai dit, je ne savais de la langue arabe que trois ou quatre mots. Avec un aussi pauvre vocabulaire, il m’était difficile de causer avec mes hôtes. Néanmoins, ils se montrèrent extrêmement joyeux de ma visite; car, à chaque instant, ils me faisaient grand nombre de protestations en mettant chaque fois la main sur leur cœur. Je répondais par les mêmes signes, et je n’avais ainsi aucuns frais d’imagination à faire pour soutenir la conversation.

Plus tard, cependant, poussé par un appétit dont je ne prévoyais pas la prompte satisfaction, je risquai une nouvelle pantomime. Mettant la main sur le creux de mon estomac et prenant un air de souffrance, je cherchai à faire comprendre à Bou-Allem que nous avions besoin d’une nourriture plus substantielle que ses compliments de civilité. L’intelligent Arabe me comprit et donna des ordres pour qu’on hâtât le repas.

En attendant, et pour nous faire patienter, il nous offrit par gestes de nous faire visiter ses appartements.

Nous montâmes un petit escalier en pierre. Arrivés au premier étage, notre conducteur ouvrit une porte dont l’entrée offrait cette particularité, que pour y passer, il fallait à la fois baisser la tête et lever le pied. En d’autres termes, cette porte était si basse, qu’un homme d’une taille ordinaire ne pouvait la franchir sans se courber, et comme le seuil en était élevé, il fallait enjamber pardessus.

Cette chambre devait être le salon de réception du Bach-Agha. Les murailles en étaient couvertes d’arabesques rouges rehaussées d’or, et le plancher couvert de magnifiques tapis de Turquie. Quatre divans, revêtus de riches étoffes de soie, en formaient tout l’ameublement avec une petite table en acajou, sur laquelle étaient étalés des pipes, des tasses à café en porcelaine, et quelques autres objets à l’usage particulier des Musulmans.

Bou-Allem y prit un flacon rempli d’eau de rose, et nous en versa dans les mains. Le parfum était délicat. Malheureusement notre hôte tenait à faire grandement les choses, et pour nous montrer le cas qu’il faisait de nous, il usa le reste du flacon à nous asperger littéralement de la tête jusqu’aux pieds.

Me tournant vers Mme Robert-Houdin, je lui dis, en faisant une imperceptible grimace: J’aime le parfum, mais jusqu’à un certain point; car nous empestions à force de sentir bon.

Nous visitâmes encore deux autres grandes chambres, plus simplement décorées que la première et dans l’une desquelles se trouvait un énorme divan. Bou-Allem nous fit comprendre que c’était là qu’il couchait.

Ces détails eussent été très intéressants dans tout autre moment, mais nous mourions de faim et, comme dit le proverbe: Ventre affamé n’a ni yeux ni oreilles. J’étais tout prêt à recommencer ma fameuse phrase mimée, lorsqu’en passant dans une petite pièce qui n’avait pour tout ameublement qu’un tapis de pied, notre cicerone ouvrit la bouche, indiqua avec le doigt qu’on allait y mettre quelque chose et nous fit ainsi comprendre que nous étions dans la salle à manger. Je mis la main sur mon cœur pour exprimer le plaisir que j’en éprouvais.

Sur l’invitation de Bou-Allem, nous nous assîmes sur le tapis, autour d’un large plateau qu’on y avait déposé en guise de table.

Une fois installés, deux Arabes se présentèrent pour nous servir.

En France, les domestiques servent la tête découverte; en Algérie, ils gardent leur coiffure, mais en revanche, comme marque de respect, ils laissent leurs chaussures à la porte de l’appartement et servent nu-pieds; entre nos serviteurs et ceux des Arabes, il n’y a de différence que des pieds à la tête.

Nous étions seuls attablés avec Bou-Allem. Le fils n’avait pas l’honneur de dîner avec son père, qui mangeait presque toujours seul.

On apporta sur le plateau une sorte de saladier rempli de quelque chose qui ressemblait à du potage à la citrouille. J’aime assez ce mets.

—Quelle heureuse idée, dis-je à ma femme! Bou-Allem a deviné mes goûts; comme je vais faire honneur à son cuisinier!

Notre hôte comprit sans doute le sens de mon exclamation, car nous présentant à chacun une rustique cuillère de bois, il nous engagea à suivre son exemple, et plongea son arme jusqu’au manche dans la gamelle. Nous l’imitâmes.

Pour mon compte, je sortis bientôt une énorme cuillerée, que je portai avec empressement à ma bouche; mais à peine l’eus-je goûté:

—Pouah! m’écriai-je en faisant une horrible grimace, qu’est-ce cela? J’ai la bouche en feu!

Mme Robert-Houdin arrêta une cuillerée qu’elle tenait près de ses lèvres, puis, soit appétit, soit curiosité, elle voulut s’assurer par elle-même du goût de notre potage; elle en essaya, mais elle ne tarda pas à joindre son concert au mien en toussant à perdre haleine. C’était une soupe au piment.

Tout en paraissant contrarié de ce contre-temps, notre hôte avalait sans sourciller d’énormes cuillerées du potage, et chaque fois il étendait les bras d’un air de béatitude qui semblait nous dire: C’est pourtant bien bon!

On desservit la soupière presque vide.

—Bueno! bueno! exclama Bou-Allem, en nous montrant un plat qu’on venait de mettre devant nous.

Bueno est espagnol. Le brave Bach-Agha qui savait deux ou trois mots de cette langue, n’était pas fâché de nous montrer son érudition.

Ce fameux plat était une sorte de ragoût qui semblait avoir quelque analogie avec un haricot de mouton. Quand j’étais à Belleville, c’était le plat chef-d’œuvre de Mme Auguste, et je lui faisais toujours un très bon accueil. Aussi en souvenir de ma bonne cuisinière, je me préparai à fondre sur le ragoût; mais je cherchai vainement autour de moi une fourchette, un couteau, ou même la cuillère de bois qu’on nous avait donnée pour le potage.

Bou-Allem me sortit d’embarras. Il me montra, en puisant lui-même dans le plat avec ses doigts, que la fourchette était un instrument tout à fait inutile.

Comme la faim nous pressait, nous passâmes pardessus certaine répugnance, et ma femme, à mon exemple, pêcha délicatement un petit morceau de mouton. La sauce en était encore fortement épicée. Toutefois, en mangeant très peu de viande et beaucoup d’un mauvais petit pain sans levain qu’on nous avait servi,

Nous pûmes adoucir la force du poison.

Pour être agréable à notre hôte, j’eus le malheur de lui répéter le mot espagnol qu’il m’avait appris. Ce compliment, qu’il croyait sincère, lui fit un grand plaisir, et pour le mieux justifier encore, il retira un os garni de viande, en arracha quelques morceaux avec ses ongles et les offrit galamment à Mme Robert-Houdin.

Je prévins une seconde édition de cette politesse en puisant moi-même dans le ragoût.

Je me demandais comment ma femme arriverait à se débarrasser de ce singulier cadeau: elle le fit beaucoup plus adroitement que je ne l’eusse pensé. Bou-Allem ayant tourné la tête pour donner des ordres, le morceau de viande fut remis dans le plat avec une étonnante subtilité, et nous eûmes bien envie de rire, lorsque notre hôte, qui ne se doutait de rien, reprit ce fragment de mouton pour son propre compte.

Nous accueillîmes avec une grande satisfaction un poulet rôti que l’on nous servit après le ragoût; je me chargeai de le découper, autrement dit, de le dépecer avec mes doigts, et je le fis assez délicatement. Nous le trouvâmes tellement de notre goût qu’il n’en resta pas la moindre bribe.

Vinrent successivement d’autres mets, auxquels nous goûtâmes avec précaution, et dans le nombre, le fameux couscoussou, que je trouvai détestable. Enfin, des friandises terminèrent le repas.

Nous avions les mains dans un triste état. Un Arabe nous apporta à chacun une cuvette et du savon pour nous laver.

Bou-Allem, après avoir également terminé cette opération et s’être de plus lavé la barbe avec beaucoup de soin, fit mousser son eau de savon, en prit plein sa main et s’en rinça la bouche. C’est du reste la seule liqueur qui fut présentée sur la table[23].

Après le dîner, nous nous dirigeâmes vers un autre corps de logis, et, chemin faisant, nous fûmes rejoints par un Arabe que Bou-Allem avait envoyé chercher.

Cet homme avait été longtemps domestique à Alger; il parlait très-bien le français et devait nous servir d’interprète.

Nous entrâmes dans une petite pièce fort proprement décorée, dans laquelle il y avait deux divans.

Voici, nous dit notre hôte, la chambre réservée pour les étrangers de distinction; tu peux te coucher quand tu voudras, mais si tu n’es pas fatigué, je te demanderai la permission de te présenter quelques notables de ma tribu, qui, ayant entendu parler de toi, veulent te voir.

—Fais-les venir, dis-je, après avoir consulté Mme Robert-Houdin, nous les recevrons avec plaisir.

L’interprète sortit et ramena bientôt une douzaine de vieillards, parmi lesquels se trouvaient un Marabout et plusieurs talebs (savants).

Le Bach-Agha semblait avoir pour eux une grande déférence.

On s’assit en rond sur le tapis et l’on entama sur mes séances d’Alger une conversation très animée. Cette sorte de Société savante discutait sur la possibilité des prodiges racontés par le chef de la tribu, qui prenait un plaisir extrême à dépeindre ses impressions et celles de ses coreligionnaires à la vue des miracles que j’avais exécutés.

Chacun prêtait une grande attention à ces récits et me regardait avec une sorte de vénération. Le Marabout seul se montrait très sceptique, et prétendait que les spectateurs avaient été dupes de ce qu’il appelait une vision.

Dans l’intérêt de ma réputation de sorcier français, je dus faire devant l’incrédule quelques tours d’adresse comme spécimen de ceux de ma séance. J’eus le plaisir d’émerveiller mon auditoire; mais le Marabout continuait de me faire une opposition systématique dont ses voisins étaient visiblement ennuyés. Le pauvre homme ne s’attendait guère au tour que je lui ménageais.

Mon antagoniste portait dans sa ceinture une montre dont la chaîne pendait au dehors.

Je crois avoir déjà fait part au lecteur d’un certain talent de société que je possède, et qui consiste à enlever une montre, une épingle, un portefeuille, etc., avec une adresse dont plusieurs de mes amis ont été maintes fois les victimes.

Je suis heureusement né avec un cœur droit et honnête, sans cela ce genre de talent eût pu me conduire fort loin. Lorsque dans l’intimité la fantaisie me poussait à cette espièglerie, je la faisais tourner au profit d’un tour d’escamotage, ou bien encore j’attendais que mon ami eût pris congé de moi et je le rappelais: «Tenez, lui disais-je en lui présentant l’objet dérobé, que ceci vous serve de leçon pour vous mettre en garde contre l’adresse de gens moins honnêtes que moi.»

Mais revenons à notre Marabout. Je lui avais enlevé sa montre en passant près de lui, et j’avais fait glisser à sa place une pièce de cinq francs.

Pour détourner les soupçons, et en attendant que j’utilisasse mon larcin, j’improvisai un tour. Après avoir escamoté le chapelet de Bou-Allem, qu’il portait sur lui, je le fis passer dans une des nombreuses babouches laissées, selon l’usage, au seuil de la porte, par tous les assistants. Cette chaussure se trouva remplie de pièces de monnaie, et, pour terminer cette petite scène d’une manière comique, je fis sortir des pièces de cinq francs du nez de tous les spectateurs. Chacun d’eux prenait tant de plaisir à cet exercice que c’était à n’en plus finir: Douros, douros[24] me disaient-ils en se tirant le nez. Je me prêtais volontiers à leurs désirs et les douros sortaient à mon commandement.

La joie était si grande, que plusieurs Arabes se roulaient par terre; cette grosse joie de la part des mahométans valait pour moi des applaudissements frénétiques.

J’avais affecté de m’éloigner du Marabout qui, comme je m’y attendais, était resté sérieux et impassible.

Quand le calme se fut rétabli, mon rival se mit à parler avec vivacité à ses voisins, sans doute pour chercher à détruire leur illusion, et ne pouvant y parvenir, il s’adressa à moi par l’intermédiaire de l’interprète.

—Ce n’est pas moi que tu tromperais ainsi, me dit-il d’un air narquois.

—Pourquoi cela?

—Parce que je ne crois pas à ton pouvoir.

—Ah! vraiment. Eh bien! si tu ne crois pas à mon pouvoir, je te forcerai bien de croire à mon adresse.

—Ni à l’un ni à l’autre.

J’étais à ce moment éloigné du Marabout de toute la longueur de la chambre.

—Tiens, lui dis-je, tu vois cette pièce de cinq francs.

—Oui.

—Ferme la main avec force, car la pièce va s’y rendre malgré toi.

—Je l’attends, dit l’Arabe d’un ton d’incrédulité, en avançant la main vigoureusement fermée.

Je pris la pièce au bout de mes doigts en la faisant bien remarquer par l’assemblée, puis feignant de l’envoyer vers le Marabout, je la fis disparaître en disant passe.

Mon homme ouvrit la main, et n’y trouvant rien, il se contenta de hausser les épaules, comme pour me dire: «Tu vois que je te l’avais dit.»

Je savais bien que la pièce n’y était pas. Mais il importait de détourner pour un instant l’attention du Marabout de sa ceinture, et c’est pour cela que j’avais fait cette feinte.

—Cela ne m’étonne pas, lui dis-je, car j’ai lancé la pièce avec tant de force qu’elle a traversé ta main et qu’elle est tombée dans ta ceinture. Craignant de casser ta montre par le choc, je l’ai fait venir à moi; la voici.» Et je la lui montrai au bout de mes doigts.

Le Marabout porta vivement la main à sa ceinture pour s’assurer de la vérité, et demeura stupéfait en n’y trouvant plus que la pièce de cinq francs annoncée.

Les assistants furent émerveillés; toutefois quelques-uns d’entre eux faisaient rouler les grains de leur chapelet avec une vivacité qui témoignait d’une certaine agitation de leur esprit; le Marabout fronçait le sourcil sans mot dire; je vis qu’il machinait quelque mauvais tour.

—Je crois maintenant à ton pouvoir surnaturel, me dit-il, tu es un véritable sorcier; aussi j’espère que tu ne craindras pas de répéter ici un tour que tu as fait sur ton théâtre. «Et me présentant deux pistolets qu’il tenait cachés sous son burnous: «Tiens, choisis une de ces armes, nous allons la charger, et je tirerai sur toi. Tu n’as rien à craindre puisque tu sais parer les coups.»

J’avoue que je fus un instant interdit. Je cherchais un subterfuge et je n’en trouvais pas. Tous les yeux étaient fixés sur moi, et l’on attendait une réponse.

Le Marabout était triomphant.

Bou-Allem qui savait que mes tours n’étaient que le résultat de l’adresse, se montra mécontent qu’on osât ainsi tourmenter son hôte; il en fit des reproches au Marabout.

Je l’arrêtai; il m’était venu une idée qui pouvait me sortir d’embarras, du moins pour le moment. M’adressant alors à mon adversaire:

—Tu n’ignores pas, lui dis-je avec assurance, que pour être invulnérable, j’ai besoin d’un talisman. Malheureusement je l’ai laissé à Alger.

Le Marabout se mit à rire d’un air d’incrédulité.

—Cependant, continuai-je, je puis, en restant six heures en prières, me passer de talisman et braver ton arme. Demain matin, à huit heures, je te permettrai de tirer sur moi en présence même des Arabes qui sont ici témoins de ton défi.

Bou-Allem étonné d’une telle promesse, s’assura encore près de moi si cette scène était sérieuse et s’il devait convoquer la société pour l’heure indiquée. Sur mon affirmation, on se donna rendez-vous devant le banc de pierre dont j’ai parlé.

Je ne passai pas la nuit en prières, comme on doit le croire, mais j’employai environ deux heures à assurer mon invulnérabilité; puis, satisfait de mon succès, je m’endormis de grand cœur, car j’étais horriblement fatigué.

A huit heures, le lendemain, nous avions déjà déjeûné, nos chevaux étaient sellés, notre escorte attendait le signal du départ qui devait avoir lieu après la fameuse expérience.

Non-seulement personne ne manqua au rendez-vous, mais un grand nombre d’Arabes vinrent encore grossir le groupe des assistants.

On présenta les pistolets. Je fis remarquer que la lumière n’était point bouchée. Le marabout mit une bonne charge de poudre dans le canon et bourra. Parmi les balles apportées, j’en fis choisir une que je mis ostensiblement dans le pistolet, et qui fut également couverte de papier.

L’arabe contrôlait tous mes mouvements; il y allait de son honneur.

On procéda pour le second pistolet comme pour le premier, puis vint enfin le moment solennel.

Solennel, en effet, pour tout le monde! Pour les assistants, incertains du résultat de l’expérience; pour Mme Robert-Houdin qui m’avait vainement supplié de renoncer à ce tour, dont elle redoutait l’exécution; et solennel aussi pour moi, car mon nouveau truc ne reposant sur aucun des procédés employés dans pareille circonstance, à Alger, je craignais une erreur, une trahison, que sais-je?

Toutefois j’allai me placer à quinze pas sans témoigner la moindre émotion.

Le marabout se saisit aussitôt de l’un des deux pistolets, et au signal que je donne, il dirige sur moi son arme avec une attention particulière.

Le coup part, et la balle paraît entre mes dents.

Irrité plus que jamais, mon rival veut se précipiter sur l’autre pistolet; plus leste que lui, je m’en empare.

—Tu n’as pu parvenir à me blesser, lui dis-je; tu vas juger maintenant si mes coups sont plus redoutables que les tiens. Regarde ce mur.

Je lâchai la détente, et, sur la muraille nouvellement blanchie, apparut une large tache de sang à l’endroit même où le coup avait porté.

Le Marabout s’approcha, trempa son doigt dans cette empreinte rouge, et, le portant à sa bouche, il s’assura en goûtant que c’était véritablement du sang. Quand il en eut acquis la certitude, ses bras retombèrent et sa tête se pencha sur sa poitrine, comme s’il eût été anéanti.

Il était évident qu’en ce moment il doutait de tout, même du Prophète.

Les assistants levaient les mains au Ciel, marmottaient des prières et me regardaient avec une sorte d’effroi.

Cette scène était le coup de fouet de ma séance de la veille; je fis comme au théâtre, je me retirai, en laissant les spectateurs aux impressions qu’ils en avaient reçues. Nous prîmes congé de Bou-Allem et de son fils, et nous partîmes au galop.

Le tour dont je viens de donner les détails, si curieux qu’il soit, est assez facile à préparer. Je vais en donner la description, en racontant le travail qu’il m’avait nécessité.

Aussitôt que je fus seul dans ma chambre, je tirai de ma boîte à pistolets, qui ne me quitte jamais dans mes voyages, un moule à fondre des balles.

Je pris une carte, j’en relevai les quatre bords, et j’en fis une sorte de récipient, dans lequel je mis un morceau de stéarine pris sur une des bougies qu’on avait laissées. Quand la stéarine fut fondue, j’y mêlai un peu de noir de fumée que j’avais obtenu en mettant une lame de couteau au-dessus de la lumière, puis je coulai cette composition dans mon moule à balles.

Si j’avais laissé refroidir entièrement le liquide, la balle eût été pleine et solide, mais après une dizaine de secondes environ, je renversai le moule, et la portion de la stéarine qui n’était pas encore solidifiée sortit et laissa dans l’instrument une balle creuse. Cette opération est du reste la même que celle employée pour faire les cierges; l’épaisseur des parois dépend du temps qu’on a laissé le liquide dans le moule.

J’avais besoin d’une seconde balle; je la fis un peu plus forte que la première. Je l’emplis de sang, et je bouchai l’ouverture avec une goutte de stéarine. Un Irlandais m’avait autrefois montré un petit tour d’invulnérabilité qui consiste à faire sortir du sang du pouce sans éprouver de douleur; j’avais profité de ce procédé pour emplir ma balle.

On ne saurait croire combien ces projectiles, ainsi préparés, imitent le plomb; c’est à s’y méprendre, même de très près.

D’après cela, le tour doit facilement se comprendre. En montrant la balle de plomb aux spectateurs, je l’avais échangée contre ma belle balle creuse, et c’est cette dernière que j’avais mise ostensiblement dans le pistolet. En pressant fortement la bourre, la stéarine s’était cassée en petits morceaux qui ne pouvaient m’atteindre à la distance où je m’étais placé.

Au moment où le coup de pistolet s’était fait entendre, j’avais ouvert la bouche pour montrer la balle de plomb que je tenais entre mes dents. Le second pistolet contenait la balle remplie de sang qui, en s’aplatissant sur le mur, y avait laissé son empreinte, tandis que les morceaux avaient volé en éclats.

Après un assez heureux voyage, nous arrivâmes à Milianah, à quatre heures du soir. Le chef du bureau Arabe de cette ville, le Capitaine Bourseret, nous accueillit, ainsi que l’avait fait son collègue de Médéah, avec un aimable empressement. Il nous pria de regarder sa maison comme la nôtre, pendant tout le temps de notre séjour.

M. Bourseret vivait avec sa mère, et cette excellente dame eut pour Mme Robert-Houdin toutes les attentions délicates qu’aurait eues une amie de longue date.

Notre excursion à travers le D’jendel nous avait fatigués; nous passâmes la plus grande partie du lendemain à nous reposer.

Il y eut, le soir, chez le capitaine, un grand dîner auquel assistaient le général commandant la place, un lieutenant-colonel et quelques notabilités de la ville. Après le repas, je crus ne pouvoir mieux répondre aux politesses dont j’étais l’objet, qu’en donnant une petite séance de tours d’adresse où je déployai tout mon savoir-faire. J’avais annoncé, dans la journée, cette intention à M. Bourseret, qui avait en conséquence fait de nombreuses invitations pour le soir. Je dois croire que mes expériences furent goûtées, si j’en juge par l’accueil qu’elles reçurent. Du reste mon public était dans des dispositions si favorables pour moi, qu’il applaudissait très souvent de confiance, car tout le monde n’était pas placé pour bien voir.

Milianah était le but de mon voyage; je n’y devais rester que trois jours et retourner ensuite à Alger, pour l’époque où le bâtiment qui nous avait amenés devait partir pour la France.

M. Bourseret avait arrangé une partie pour le deuxième jour de mon séjour chez lui.

Il s’agissait d’une excursion chez les Beni-Menasser dont la tribu, vivant sous les tentes, était campée à quelques lieues de Milianah.

A six heures du matin, nous montâmes à cheval, en compagnie de quelques amis du capitaine, et nous descendîmes la montagne sur laquelle est bâtie la ville.

Nous étions escortés d’une douzaine d’Arabes attachés au service du bureau, tous vêtus de manteaux rouges et munis de leurs fusils.

Des ordres avaient sans doute été donnés à l’avance, car une fois dans la plaine, au premier goum que nous traversâmes, une dizaine d’Arabes sortant de leurs gourbis montèrent à cheval et se joignirent à notre escorte. Un peu plus loin, un autre peloton d’hommes s’unit au premier, et notre groupe faisant boule de neige sur son passage finit par devenir assez considérable; le nombre des Arabes pouvait s’élever à deux cents environ.

Après deux heures de marche, nous laissâmes la grande route afin d’abréger le chemin, et nous entrâmes dans une immense plaine qui s’étendait au loin devant nous.

Tout-à-coup les Arabes qui nous accompagnaient, obéissant probablement à un signal de leur chef que je n’aperçus pas, partent au galop et nous devancent de cinq à six cents mètres. Là, la troupe se divise, se met sur quatre rangs, s’élançant ventre à terre, se dirigent de notre côté, en poussant des cris frénétiques, le fusil à l’épaule et prêts à faire feu.

Notre petite compagnie marchait de front, en ce moment.

Les Arabes fondent sur nous avec l’impétuosité d’une locomotive. Quelques secondes encore, et nos chevaux vont recevoir le choc de cette avalanche vivante; nul doute que nous ne soyons écrasés.

Mais une forte détonation se fait entendre. Tous les cavaliers, avec une admirable précision, ont fait feu d’un seul coup au-dessus de nos têtes; leurs chevaux se cabrent, pivotent sur leurs pieds de derrière, font volte-face, et repartant à fond de train, vont rejoindre la troupe.

On eût pu prendre alors l’Arabe pour un véritable Centaure, en le voyant, pendant cette course effrénée, charger son fusil, le faire tourner et sauter en l’air comme un tambour-major le ferait avec sa canne.

Le premier rang de cavaliers s’était à peine éloigné, que le second qui l’avait suivi d’une centaine de mètres, se présenta devant nous pour exécuter la même manœuvre. Cela se renouvela au moins une vingtaine de fois. On le voit, c’était une sorte de fantasia dont le capitaine nous avait ménagé la surprise.

Au bruit des coups de fusils, quelques-uns de nos chevaux s’étaient cabrés, mais le premier moment de surprise passé, ils s’étaient calmés, habitués qu’ils sont à ces sortes d’exercices. Celui de Mme Robert-Houdin était un animal d’une tranquillité à toute épreuve; aussi fut-il moins impressionné que sa maîtresse. Cependant chacun se plut à rendre à ma femme cette justice qu’après la première émotion passée, elle était devenue brave autant que le plus aguerri d’entre nous.

La fantasia terminée, chaque Arabe reprit sa place dans l’escorte et une heure après nous arrivâmes à la tribu des Beni-Menasser.

L’Agha Bed-Amara nous attendait. A notre approche, il s’était avancé vers nous et avait baisé respectueusement la main du capitaine, tandis que quelques hommes de sa tribu, pour fêter notre bienvenue, déchargeaient leurs fusils presque au nez de nos chevaux. Mais, hommes et bêtes étaient aguerris, et il n’y eut pas le plus petit mouvement dans nos rangs.

Ben-Amara nous fit entrer dans sa tente, où chacun s’assit à sa guise sur un large tapis.

Notre arrivée avait fait bruit dans la tribu. Pendant que nous fumions en prenant du café, un grand nombre d’Arabes, poussés par la curiosité, s’étaient rangés en cercle à quelques distance de de nous, et par leur immobilité ressemblaient à une haie de statues de bronze.

Nous passâmes environ une heure à nous livrer aux plaisirs de la conversation, en attendant la diffa (le repas), que nous désirions tous avec une vive impatience. Nous commencions même à trouver le temps bien long, lorsque nous vîmes dans le lointain s’approcher une sorte de procession, bannières en tête.

Ces bannières m’intriguaient et me semblaient tout étranges, car elles étaient repliées. Soudain, les rangs de nos paisibles spectateurs s’ouvrirent, et quel ne fut pas mon étonnement de voir que ce que je prenais pour des bannières, n’était autre chose que des moutons rôtis dans leur entier, et embrochés au bout de longues perches.

Deux de ces porte-moutons marchaient en avant. Ils étaient suivis d’une vingtaine d’hommes, rangés sur une même ligne, dont chacun portait un des plats qui devaient composer la diffa.

C’étaient des ragoûts et des rôtis de toutes sortes, le couscoussou, et enfin une douzaine de plats de dessert, ouvrage des femmes de Ben-Amara.

Ce dîner ambulant présentait un coup d’œil ravissant, pour des gens surtout dont le grand air et les émotions de la fantasia avaient singulièrement aiguisé l’appétit.

Le chef cuisinier marchait en tête, et, ainsi que l’officier de M. Malbroug, il ne portait rien; mais, dès qu’il fut près de nous, il se mit activement à l’œuvre: saisissant à bras-le-corps un des deux moutons, il le débrocha et le posa devant nous sur un énorme plat.

Pour mes compagnons, presque tous vétérans d’Algérie, ce gigantesque rôti n’était point une nouveauté; quant à ma femme et à moi, la vue d’une telle viande aurait suffi pour nous rassasier dans toute autre circonstance; mais nous nous empressâmes de nous joindre au cercle qui se forma autour de ce mets, digne de Gargantua.

Il nous fallut, comme chez Bou-Allem, dépecer la bête avec nos doigts; chacun en arracha un morceau à sa guise, d’abord avec un peu de répugnance; puis, poussés par une faim de Cannibales, nous fîmes sur le mouton une véritable curée. Je ne sais si ce fut en raison des dispositions que nous apportâmes à ce repas, mais tous les convives se récrièrent qu’ils n’avaient jamais rien mangé d’aussi bon que ce mouton rôti.

Lorsque nous eûmes pris sur l’animal les morceaux les plus délicats, le cuisinier nous offrit de nous présenter le second. Sur notre refus, il nous servit la volaille rôtie, à laquelle nous fîmes encore beaucoup d’honneur, puis, délaissant les ragoûts au piment et le couscoussou, qui exhalait une forte odeur de beurre rance, nous nous dédommageâmes de la privation du pain pendant le repas, en savourant d’excellents petits gâteaux.

La réception de l’Agha des Beni-Menasser avait vraiment quelque chose de princier. Pour l’en remercier, je lui proposai de donner une petite séance devant nos nombreux spectateurs. Ces admirateurs passionnés n’avaient pu se résoudre à quitter la place qu’ils occupaient à notre arrivée, et ils avaient assisté de loin à notre repas.

Sur l’ordre de leur chef, ils se rapprochèrent en resserrant leur cercle autour de moi. Le capitaine voulut bien me servir d’interprète, et grâce à lui, je pus exécuter une douzaine de mes meilleurs tours. L’effet produit sur ces imaginations superstitieuses fut tel qu’il me fut impossible de continuer; chacun s’enfuyait à mon approche. Ben-Amara nous assura qu’ils me prenaient pour le Diable, mais que si j’avais porté le costume mahométan, il se seraient au contraire prosternés devant moi comme devant un envoyé de Dieu.

En revenant à Milianah, le capitaine, pour couronner cette charmante journée de plaisirs, nous donna le spectacle d’une chasse dans laquelle les Arabes prirent à la course de leurs chevaux des lièvres et des perdrix, sans tirer un seul coup de fusil.

Le jour suivant, nous prîmes congé de M. Bourseret et de son excellente mère. Nous nous dirigeâmes sur Alger, mais non plus par les chemins de traverse, car nous avions assez d’une seule excursion à travers le D’jendel, et nous aspirions maintenant après une locomotion plus douce. Ces sortes de parties de plaisir, qui ne sont en réalité que des parties de fatigue, peuvent être agréables tout au plus une fois, et ne servent qu’à raviver dans notre esprit inconstant la jouissance du bien-être et du confortable que nous avions volontairement quittés. Nous prîmes la diligence qui nous conduisit à la métropole de l’Algérie, et cette fois, nous appréciâmes tout l’avantage de ce mode de transport.

Le bateau l’Alexandre, qui nous avait amenés de France, partait le surlendemain de notre arrivée. J’eus deux jours pour faire mes adieux et adresser mes remerciements à toutes les personnes qui m’avaient montré de la bienveillance, et j’eus fort à faire. J’aurais infiniment de plaisir aujourd’hui à adresser encore à chacune d’elles mon bon souvenir, mais je suis retenu par la crainte de paraître ingrat en faisant quelque omission involontaire. Je ne puis résister, toutefois, au désir de témoigner au maire d’Alger, M. de Guiroye, toute ma reconnaissance pour son affable réception, ainsi que pour l’énergique et bienveillant appui qu’il m’a prêté lors de mes petites misères avec l’administration théâtrale.

En quittant Alger, j’eus la satisfaction d’être conduit à bord par deux officiers distingués, dont je ne saurais jamais assez reconnaître les bontés. Le colonel, chef d’état-major de la marine, M. Pallu du Parc, et M. le colonel de Neveu ne me quittèrent que lorsque les premiers coups de la machine commencèrent à ébranler le steamer. Ces Messieurs furent les derniers dont je pressai la main sur le littoral africain.

Si j’écrivais mes impressions de voyage, j’aurais encore beaucoup à raconter avant d’arriver à mon ermitage de Saint-Gervais; mais je me rappelle que dans le titre de mon ouvrage j’ai promis des confidences ayant trait à ma vie d’artiste; je dois donc écarter de mon récit tout événement de la vie commune.

Un temps affreux sur mer, une tourmente à la hauteur des Pyrénées, la mort vingt fois devant nous seraient des événements aussi terribles qu’intéressants à raconter. Mais combien de fois ces émouvants épisodes qui, du reste, se ressemblent tous, n’ont-ils pas été déjà dépeints par des plumes beaucoup plus habiles que la mienne; la description que j’en pourrais faire n’aurait donc aucun caractère de nouveauté. Je me contenterai de donner un sommaire de ce malheureux voyage.

Une tempête nous surprend dans le golfe de Lyon: nos machines sont démontées. Notre bâtiment, ballotté par les vents pendant neuf jours, est enfin jeté sur les côtes d’Espagne. Nous parvenons à nous diriger sur le port de Barcelone; mais les autorités nous en refusent l’entrée, parce que nous n’avons pas de passeports pour l’Espagne. Nous côtoyons, par un temps épouvantable, cette terre inhospitalière et nous gagnons enfin Rosas, petit port, dans lequel nous nous mettons à l’abri de la tourmente.

Je quitte alors le bateau, et je traverse les Pyrénées en tartane. Un ouragan, résultat de la tempête sur mer, menace à chaque instant de nous précipiter dans des fondrières. Nous atteignons heureusement la France, puis Marseille, où je dois acquitter une promesse faite, lors mon premier passage, aux directeurs du Grand-Théâtre.

Je fus en vérité bien dédommagé des tourments et des fatigues de mon voyage. Les Marseillais se montrèrent envers moi d’une bienveillance si grande, que ces dernières représentations resteront toujours dans mon souvenir comme les plus applaudies que j’aie jamais données. Je ne pouvais faire plus solennellement mes adieux d’artiste au public. Je me hâtai de retourner à Saint-Gervais.

CONCLUSION.

Je puis en terminant cet ouvrage répéter ce que je disais au commencement de ce chapitre: «Me voilà donc arrivé au but de toutes mes espérances!» Mais cette fois, s’il plaît à Dieu, comme disait mon guide Mohammed, aucune tentation ne viendra désormais modifier mes plans de félicité. J’espère longtemps encore (toujours s’il plaît à Dieu), jouir de cette douce et paisible existence que j’avais à peine goûtée, lorsque l’ambition et la curiosité m’ont conduit en Algérie.

Rentré chez moi, j’ai installé dans mon cabinet de travail les instruments de mes séances, mes fidèles compagnons, je dirais presque mes vieux amis. Je vais maintenant m’abandonner tout entier à mon goût, à ma passion pour les applications de l’électricité à la mécanique.

Qu’on ne croie pas cependant que, pour cela, je renie l’art auquel je dois tant de jouissances! Loin de moi cette pensée; plus que jamais je suis fier de l’avoir cultivé, puisque c’est à lui seul que je dois le bonheur de me livrer à mes nouvelles études. Du reste, je m’en éloigne peut-être moins qu’on ne serait tenté de le croire; il y a longtemps que je fais des applications de l’électricité à la mécanique et je dois avouer, si déjà mes lecteurs ne l’ont deviné, que l’électricité a joué un rôle important dans plusieurs de mes expériences. En réalité, mes travaux d’aujourd’hui ne diffèrent de ceux d’autrefois que par la forme; ce sont toujours des prestiges.

Un reste d’amour pour mon ancienne profession d’horloger m’a fait choisir les instruments chronométro-électriques pour but de mes travaux. J’ai adopté pour programme: Populariser les horloges électriques en les rendant aussi simples et aussi précises que possible. Et comme l’art suppose toujours un idéal que l’artiste cherche à réaliser, je rêve déjà ce jour où un réseau de fils électriques partant d’un régulateur unique, rayonnera sur la France entière et portera l’heure précise dans les plus importantes cités comme dans les plus modestes villages.

En attendant, dévoué à la cause du progrès, je travaille incessamment avec l’espoir que mes modestes découvertes seront de quelque utilité dans la solution de cet important problême.

Voici quelques-uns des résultats que j’ai obtenus jusqu’à ce jour:

NOUVELLES APPLICATIONS DE L’ÉLECTRICITÉ A LA MÉCANIQUE.

1º Appareil pour le transport d’un courant électrique et la reproduction successive, à l’aide de ce même courant, d’un nombre quelconque d’effets mécaniques.

2º Appareil contrôleur et distributeur des courants électriques pouvant obvier aux arrêts des courants formant un long circuit.

3º Régulateur électrique sans aucun rouage, à l’abri de toute influence des variations des courants électriques.

4º Pendule électrique populaire, marchant par un petit élément Daniel, et pouvant conduire, sans augmentation de dépense d’électricité, un cadran de deux mètres de diamètre.

5º Sonnerie électrique sans aucun rouage, pouvant être conduite à quelque distance que ce soit par la pendule électrique ci-dessus.

6º Cadran électrique pour clocher ou autre monument, marchant sans le secours d’horloge-type. Ce cadran, le premier de ce genre, a été placé au fronton de l’Hôtel-de-Ville de Blois, auquel j’en ai fait hommage. Il marche, depuis dix ans, avec la plus grande régularité.

7º Nouvelle disposition électrique servant à supprimer automatiquement, pendant la nuit, un courant électrique et à le rétablir pendant le jour. Ce système produit une économie de moitié et peut s’appliquer aux cadrans qui ne sont pas éclairés, la nuit.

8º Pile de Smee, ne plongeant dans le liquide que lorsque son courant est nécessaire à une action mécanique, et se relevant aussitôt qu’elle ne doit plus fonctionner.

9º Nouvelle sonnerie pour les grosses cloches, conduite par la petite pendule nº 4.

10º Répartiteur électrique, à l’aide duquel on peut centupler une attraction magnétique. Cet appareil a été présenté à l’Académie en 1856 (Rapporteur, M. Desprez).

Voici comment, dans le Cosmos, t. 8, p. 330, s’exprime l’abbé Moigno sur cette invention, après en avoir fait la description: «En résumé, le répartiteur, si petit et si humble en apparence, est l’une des grandes nouveautés de l’Exposition universelle de 1855.

«Au point de vue de la mécanique, c’est un organe entièrement nouveau, qui sera bientôt appliqué de mille manières différentes, à mille usages, et qui rendra d’innombrables services. Au point de vue de la physique et des applications de l’électricité, c’est une découverte immense. M. Robert-Houdin, dont les forces sont centuplées par son répartiteur, est seul aujourd’hui en mesure de résoudre le plus grand des problèmes à l’ordre du jour, de réaliser enfin le moteur électrique[25], etc., etc.»

Ma séance est terminée (il faut se rappeler que c’est sous ce titre que j’ai présenté mon récit); j’ai toutefois l’espoir de la reprendre bientôt. Il me reste encore tant de petits et de grands mystères à dévoiler! La prestidigitation est une immense carrière que la curiosité peut longtemps exploiter. Je ne prends donc point congé du public, ou pour mieux dire, du lecteur, car, sous cette seconde forme de représentation que j’ai adoptée, mes adieux ne seront définitifs que lorsque j’aurai épuisé tout ce qui peut être dit sur les prestidigitateurs et la prestidigitation; ces deux mots serviront de titre à l’ouvrage qui fera suite à mes Confidences.

UN COURS DE MIRACLES.

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.
Le vraisemblable peut aussi n’être pas vrai.

On a dit des Augures qu’ils ne pouvaient se regarder sans rire.—Il en serait de même des Aïssaoua si le sang musulman ne coulait pas dans leurs veines. Toutefois il n’est pas un seul d’entre eux qui se fasse illusion sur la nature des prétendus miracles exécutés par ses confrères; mais tous se prêtent la main pour l’exécution de leurs prestiges, comme le ferait une troupe de faiseurs de tours dont le Mokaddem serait l’impresario.

Leur troupe est divisée par spécialités de même que dans les spectacles forains: tel fait un tour de force qui ne peut en faire un autre, et l’on cite même de premiers sujets dont les miracles sont bien moins étonnants que ceux de certains acteurs du second ou du troisième ordre.

Lors même qu’on ne pourrait expliquer leurs prétendues merveilles, une simple réflexion devrait en détruire le prestige. Les Aïssaoua se disent incombustibles; qu’ils viennent donc franchement prier un des assistants de leur appliquer le fer rouge sur la joue ou sur toute autre partie du corps! Ils se prétendent invulnérables; qu’ils invitent quelques zouaves à leur passer leur sabre au travers du corps. Après un tel spectacle, les plus incrédules se prosterneront devant eux.

Ah! si j’étais incombustible et invulnérable, comme je me donnerais la satisfaction d’en offrir une preuve irréfragable! Je me ferais mettre à la broche devant une fournaise ardente, et, pendant que je rôtirais, j’occuperais mes loisirs à manger une salade de verre pilé, assaisonnée d’huile.... de vitriol[26]. Ce serait un spectacle à faire courir le monde entier et à le convertir à ma propre religion.

Mais les Aïssaoua ont des raisons pour être prudents dans l’exécution de leurs tours, ainsi que je vais le prouver. Leurs principaux mires sont les suivants:

1º S’enfoncer un poignard dans la joue;

2º Manger des feuilles de figuier de Barbarie;

3º Se mettre le ventre sur le côté tranchant d’un sabre;

4º Jouer avec des serpents;

5º Se frapper le bras, en faire jaillir du sang, et le guérir instantanément;

6º Manger du verre pilé;

7º Avaler des cailloux, des tessons de bouteille, etc.;

8º Marcher sur du fer rouge, et se passer la langue sur une plaque rougie à blanc.

Commençons par le tour le plus simple, qui consiste à s’enfoncer un poignard dans la joue.

L’Arabe qui fit ce tour me tournait le dos; je pus donc m’approcher très près de lui et distinguer comment il s’y prenait. Il appuya sur sa joue le bout d’un poignard dont la pointe était aussi émoussée et arrondie que celle d’un couteau à papier. La peau, au lieu de se percer, s’enfonça de trois centimètres environ entre les dents molaires, qui étaient entrouvertes, absolument comme le ferait une feuille de caoutchouc.

Ce tour réussit particulièrement aux personnes maigres et âgées, parce que chez elles la peau des joues est très élastique. Or l’Aïssaoua remplissait en tous points ces conditions.

L’Arabe qui mangea les feuilles de figuiers de Barbarie ne nous les donna pas à visiter. Je dois croire qu’elles étaient préparées de manière à ne pouvoir le blesser; autrement il n’aurait pas négligé ce point important qui pouvait doubler le prestige. Mais, quand même il les eût montrées, cet homme faisait tant d’évolutions inutiles qu’il lui eût été très facile de les changer contre d’autres feuilles inoffensives. C’eût été alors un escamotage de quinzième force.

Dans l’expérience suivante, deux Arabes tiennent un sabre, l’un par la poignée, l’autre par la pointe; un troisième arrive, relève ses vêtements de manière à laisser l’abdomen complètement nu, et se couche à plat ventre sur le côté affilé de l’arme, puis un quatrième monte sur le dos de celui-ci, et semble peser sur lui de tout le poids de son corps.

L’artifice de ce tour est très facile à expliquer.

On ne montre point au public que le sabre soit bien affilé; rien ne prouve que le tranchant en soit plus coupant que le dos, bien que l’Arabe qui le tient par la pointe affecte de l’envelopper soigneusement d’un foulard, imitant en cela les jongleurs qui feignent de s’être coupés au doigt avec un des poignards dont ils doivent se servir pour jongler.

D’ailleurs, dans l’exécution de son tour, l’invulnérable tourne le dos au public. Il sait le parti qu’il peut tirer de cette circonstance; aussi, au moment où il va pour se placer sur le sabre, ramène-t-il adroitement sur son ventre la partie de son vêtement qu’il avait écartée. Enfin, lorsque le quatrième acteur monte sur son dos, ce dernier appuie ses mains sur les épaules de deux Arabes qui tiennent le sabre. Ces derniers sont debout comme pour maintenir son équilibre, mais en réalité ils supportent tout le poids de son corps. Il ne s’agit donc dans ce tour que d’avoir le ventre plus ou moins pressé, et j’expliquerai un peu plus loin que cela peut se faire sans aucun mal ni danger.

Quant aux Aïssaoua qui mettent la main dans un sac rempli de serpents et qui jouent avec ces reptiles, je m’en rapporte au jugement du colonel de Neveu. Voici ce qu’il en dit dans l’ouvrage que j’ai déjà cité:

«Nous avons souvent poussé la curiosité et l’incrédulité jusqu’à faire venir chez nous des Aïssaoua avec leur ménagerie. Tous les animaux qu’ils nous désignaient comme des vipères (lefà) n’étaient que d’innocentes couleuvres (hanech); lorsque nous leur proposions de mettre la main dans le sac qui contenait leurs animaux, ils se hâtaient de se retirer, convaincus que nous n’étions pas dupe de leurs fraudes.»

J’ajouterai que ces serpents, fussent-ils même d’une espèce dangereuse, on pourrait leur avoir arraché les dents pour n’en plus rien redouter.

Ce qui viendrait à l’appui de cette assertion, c’est que ces animaux ne font aucune blessure lorsqu’ils mordent.

Je n’ai pas vu exécuter le tour qui consiste à se frapper le bras et à en faire sortir du sang; mais il me semble qu’une petite éponge imbibée de rouge et cachée dans la main qui frappe, suffirait pour accomplir le prodige. En essuyant le bras, la blessure se trouve naturellement guérie.

Étant jeune, j’ai souvent fait sortir du vin d’un couteau ou de mon doigt, en pressant une petite éponge, imbibée de ce liquide, que je tenais cachée.

J’avais vu plusieurs fois des étourdis broyer des verres à liqueur entre leurs dents sans se blesser; mais jamais aucun d’eux n’en avait mangé les fragments. Il m’était donc assez difficile d’expliquer ce tour des Aïssaoua, lorsque sur un renseignement qui me fut donné par un médecin de mes amis, je trouvai dans le Dictionnaire des Sciences médicales, année 1810, nº 1143, une thèse soutenue par le docteur Lesauvage, sur l’innocuité du verre pilé.

Ce savant, après avoir cité quelques exemples de gens auxquels il avait vu manger du verre, rapporte ainsi différentes expériences qu’il fit sur des animaux.

«Après avoir soumis un grand nombre de chiens, de chats et de rats au régime du verre pilé, dont les fragments avaient deux ou trois lignes de longueur, aucun de ces animaux ne fut malade et grand nombre d’entre eux ayant été ouverts, l’on ne trouva aucune lésion dans toute la longueur du canal alimentaire. Bien convaincu, d’ailleurs, de l’innocuité du verre avalé, je me déterminai à en prendre moi-même en présence de mon collègue M. Cayal, du professeur Lallemand et de plusieurs autres personnes. Je répétai plusieurs fois l’expérience et je n’en éprouvai jamais la moindre sensation douloureuse.»

Ces renseignements authentiques auraient dû me suffire; cependant, je voulus aussi voir de mes yeux ce singulier phénomène. Je fis alors manger à l’un des chats de la maison une énorme boulette de viande assaisonnée de moitié de verre pilé. L’animal l’avala avec infiniment de plaisir jusqu’à la dernière bribe, et sembla regretter la fin de ce mets succulent. On croyait le chat perdu, et l’on déplorait déjà ma barbarie, lorsqu’on le vit arriver le lendemain, dispos et bien portant, et flairant encore l’endroit où, la veille, il avait fait son repas.

Depuis cette époque, si je veux régaler un ami de ce spectacle, je régale également mes trois chats sans distinction, pour ne pas exciter de jalousie parmi eux.

Je fus assez longtemps, je l’avoue, avant de me décider à faire sur moi-même l’expérience du docteur Lesauvage; je n’y voyais aucune nécessité. Pourtant, un jour, en présence d’un ami, je fis cette bravade, si c’en est une; j’avalai aussi ma petite boulette; seulement j’eus soin d’y mettre du verre plus fin que celui que je donnais à mes chats. Je ne sais si c’est un effet de mon imagination, mais il me sembla qu’au dîner je mangeais avec un plaisir inaccoutumé; le devais-je au verre pilé? En tout cas, ce serait un procédé assez bizarre pour s’ouvrir l’appétit.

Quand il s’agissait d’avaler des tessons de bouteille et des cailloux, l’Aïssaoua, chargé de ce tour, les mettait réellement dans sa bouche: mais je crois pouvoir affirmer qu’il s’en débarrassait au moment où il se mettait la tête sous les plis du burnous du Mokaddem. Du reste, les eût-il avalés, qu’il n’eût rien fait d’extraordinaire, comparativement à ce que faisait, en France, il y a une trentaine d’années, un saltimbanque, surnommé l’avaleur de sabres.

Cet homme, qui donnait ses séances sur la place publique, rejetait sa tête en arrière de manière à présenter une ligne droite, et s’enfonçait réellement dans l’œsophage un sabre dont la poignée seule restait à l’ouverture de la bouche.

Il avalait aussi un œuf sans le casser, ou bien encore des clous et des cailloux, qu’il faisait ensuite résonner en se frappant l’estomac avec le poing.

Ces tours de force étaient le résultat d’une disposition phénoménale de l’œsophage chez le saltimbanque. Mais s’il avait vécu au milieu des Aïssaoua, n’eût-il pas été à coup sûr le premier sujet de la troupe?

Qu’auraient donc dit les Arabes s’ils avaient vu aussi cet autre bateleur qui se passait à travers le corps le premier sabre venu qu’on lui présentait, et qui, lorsqu’il était embroché, enfonçait encore la lame d’un couteau jusqu’au manche dans chacune de ses narines? J’ai été témoin du fait et d’autres ont pu l’être comme moi.

Ce tour était si effrayant de réalité, que le public ému en le voyant, criait: assez! assez! suppliant l’individu de cesser. Celui-ci, sans s’inquiéter de ces cris, répondait en parlant affreusement du nez que ça de dui faisait bas de bad, et chantait avec ce singulier accent la romance de Fleuve du Tage, qu’il accompagnait sur la guitare.

Je ne pus supporter la vue de ce spectacle, et je détournai la tête avec horreur, lorsque retirant le sabre, le troubadour enchifrené fit remarquer qu’il était empreint de sang.

Cependant en y réfléchissant, je compris que cet homme ne pouvait véritablement pas se percer ainsi impunément le ventre, et qu’il devait y avoir là-dessous un truc que je n’apercevais pas.

Mon amour pour le merveilleux me donna le désir de le connaître; je m’adressai à l’invulnérable, et, moyennant quelque argent, et la promesse que je n’en ferais pas usage, il me livra son secret.

Je puis à mon tour le communiquer au public sans avoir besoin d’exiger de lui la même promesse. Le truc est du reste assez ingénieux.

Le faiseur de tours était très maigre, particularité indispensable pour la réussite du prestige. Il se serrait fortement le ventre avec une ceinture étroite, et voici ce qui arrivait. La colonne vertébrale ne pouvant pas fléchir, servait de point d’appui; les intestins seuls pliaient et rentraient à peu près de moitié. Le saltimbanque remplaçait alors la partie comprimée par un ventre de carton qui le remettait dans son embonpoint normal, et le tout bien sanglé sous un vêtement de tricot couleur de chair semblait faire partie du corps. De chaque côté, au-dessus des hanches, deux rosettes de ruban cachaient les ouvertures par lesquelles devait entrer et sortir la pointe du sabre. A ces ouvertures aboutissait une sorte de fourreau qui conduisait avec sûreté l’arme d’un bout l’autre. Pour simuler le sang, une éponge imprégnée de couleur rouge se trouvait au milieu du fourreau. Quant aux couteaux dans le nez, c’était une réalité. L’invulnérable était très camard, ce qui lui permettait, pour l’introduction des couteaux, d’élever les cartillages du nez jusqu’à la hauteur des fosses nasales.

J’avais d’assez bonnes qualités physiques pour faire le tour du sabre, mais aucune pour celui des couteaux. Je n’essayai point le premier, et bien moins encore le second.

Du reste, je me suis amusé moi-même, dans ma jeunesse, à faire deux miracles qui pourront être utiles aux Aïssaoua, s’ils viennent jamais à en avoir connaissance. Je vais les expliquer ici:

Le pédicure Maous, qui m’avait montré à jongler, m’avait également enseigné un tour très curieux, qui consiste à se fourrer dans l’œil droit un petit clou que l’on fait ensuite passer à travers les chairs dans l’œil gauche, puis dans la bouche, et enfin revenir dans l’œil droit.

Que l’on juge à quel point j’avais le feu sacré du sortilége, puisque j’eus le courage de m’exercer à ce tour, que je trouvais ravissant!

Une circonstance assez désagréable vint cependant m’ôter mes illusions sur l’effet produit par ce prestige.

J’allais quelquefois passer la soirée chez une dame qui avait deux filles, pour l’amusement desquelles elle donnait souvent de petites fêtes. Je crus ne pouvoir pas mieux choisir le lieu de ma première représentation, et je demandai la permission de présenter un talent de société d’un genre tout nouveau. On y consentit avec plaisir, et l’on fit cercle autour de moi.

—Mesdames, dis-je avec une certaine emphase, je suis invulnérable; pour vous en donner la preuve, je pourrais me transpercer d’un poignard, d’un couteau ou de tout autre instrument tranchant; mais je craindrais que la vue du sang ne vous fît une trop grande impression. Je vais vous donner une autre preuve de mon pouvoir surnaturel. Et j’exécutai mon fameux tour du clou dans l’œil.

L’effet de cette scène ne fut pas tel que je m’y attendais; l’opération était à peine terminée qu’une des demoiselles de la maison, sous l’émotion qu’elle éprouva, se trouva mal et tomba sans connaissance. La soirée fut troublée, comme on le pense bien, et craignant quelques récriminations, je m’esquivai sans mot dire, jurant qu’on ne me prendrait plus à de semblables exhibitions.

Voici toutefois l’explication du tour:

On peut, sans la moindre sensation douloureuse, introduire dans le coin de l’œil, près du réservoir lacrymal, entre la paupière inférieure et le globe, un petit clou cylindrique en plomb ou en argent, d’une longueur d’un centimètre et demi environ sur deux à trois millimètres de diamètre; et chose bizarre, une fois ce morceau de métal introduit, on ne s’aperçoit pas le moins du monde de sa présence. Pour le faire sortir, il suffit de presser avec le bout du doigt en remontant vers le coin de l’œil.

Veut-on ajouter du prestige à l’expérience, on s’y prend de la manière suivante:

On met secrètement à l’avance un de ces petits clous dans l’œil gauche et un autre dans la bouche. Cette préparation faite, on se présente pour exécuter le tour.

On introduit alors ostensiblement un clou dans l’œil droit, puis, en pressant sur la chair avec le bout du doigt, on feint de le faire passer à travers la naissance du nez dans l’œil gauche, d’où l’on retire celui qui y a été mis secrètement à l’avance. On remet ensuite ce dernier dans le même œil, et en jouant la même comédie, le clou semble passer successivement dans la bouche, d’où l’on sort celui qui y avait été mis, puis dans l’œil droit d’où l’on retire celui qui y avait été primitivement introduit.

Cela fait, on va à l’écart se débarrasser du clou qui reste dans l’œil gauche.

Mais revenons au dernier tour des Aïssaoua, qui consiste à marcher sur un fer rouge, et à se passer la langue sur une plaque rougie à blanc.

L’Aïssaoua qui marche sur du fer rouge ne fait rien de surprenant, si l’on considère les conditions dans lesquelles ce tour est exécuté.

Il passe vivement le talon en glissant sur le fer. Or, les Arabes de basse classe qui marchent tous sans chaussure, ont le dessous du pied aussi dur que le sabot d’un cheval; cette partie cornée seule grille sans occasionner la moindre douleur.

Et d’ailleurs, le hasard ne peut-il pas avoir enseigné aux Aïssaoua certaines précautions qui étaient connues de plus d’un jongleur européen, avant que le docteur Sementini n’en constatât l’emploi et ne les révélât au public? Ceci nous servira à expliquer de la manière la plus simple le tour le plus intéressant des prestidigitateurs arabes, celui qu’on regarde comme le plus étonnant, le plus merveilleux, l’application de la langue sur un fer rouge.

Citons d’abord quelques hauts faits de nos faiseurs de tours, et l’on pourra juger que, même sous le rapport du merveilleux, les sectaires d’Aïssa sont bien en arrière dans leurs prétendus miracles.

Au mois de février 1677, un Anglais, nommé Richardson, vint à Paris et y donna des représentations très curieuses, qui prouvaient, disait-il, son incombustibilité.

On le vit faire rôtir un morceau de viande sur sa langue, allumer un charbon dans sa bouche avec un soufflet, empoigner une barre de fer rouge avec la main ou la tenir entre ses dents.

Le valet de cet Anglais publia le secret de son maître, et on peut le voir dans le Journal des Savants (1677, première édition, page 41, et deuxième édition, 1860, pages 24, 147, 252).

En 1809, un Espagnol nommé Léonetto, se montra à Paris. Il maniait aussi impunément une barre de fer rouge, la passait sur ses cheveux, mettait les talons dessus, buvait de l’huile bouillante, plongeait ses doigts dans du plomb fondu, en mettait un peu sur sa langue, après quoi il portait un fer rouge sur cet organe.

 

Cet homme extraordinaire fixa l’attention du professeur Sementini, qui dès lors s’attacha à l’étudier.

Ce savant remarqua que la langue de l’incombustible était recouverte d’une couche grisâtre; cette découverte le porta à tenter quelques essais sur lui-même. Il découvrit qu’une friction faite avec une solution d’alun, évaporée jusqu’à ce qu’elle devînt spongieuse, rendait la peau insensible à l’action de la chaleur du fer rouge; il frotta de plus avec du savon les parties du corps rendues insensibles, et elles devinrent inattaquables à ce point que les poils mêmes n’étaient pas brûlés.

Satisfait de ces recherches, le physicien enduisit sa langue de savon et d’une solution d’alun, et le fer rouge ne lui fit éprouver aucune sensation.

La langue ainsi préparée pouvait recevoir de l’huile bouillante, qui se refroidissait et pouvait ensuite être avalée.

M. Sementini reconnut également que le plomb fondu dont se servait Leonetto n’était autre que le métal d’Arcet, fusible à la température de l’eau bouillante[27]. (Voir pour plus de détails la Notice historique de M. Julia de Fontenelle, page 161, Manuel des Sorciers, Roret.)

On pourrait trouver dans ces manipulations une explication satisfaisante de la prétendue incombustibilité des Aïssaoua; toutefois, je vais citer encore un fait qui m’est personnel et dont on tirera cette conséquence, qu’il n’est pas nécessaire d’être inspiré d’Allah ou d’Aïssa pour jouer avec des métaux incandescents.

Lisant un jour le Cosmos, revue scientifique, j’y vis le compte rendu d’un ouvrage intitulé: Etude sur les corps à l’état sphéroïdal, par M. Boutigny (d’Evreux). Le rédacteur de ce journal, M. l’abbé Moigno, citait quelques passages les plus intéressants de l’ouvrage, parmi lesquels était le fait suivant:

«Cowlet ayant pris l’initiative, nous avons coupé (c’est M. Boutigny qui parle) les jets de fonte avec les doigts. Nous avons plongé les mains dans les moules et dans les creusets remplis de la fonte qui venait de couler d’un Wilkinson, et dont le rayonnement était insupportable, même à une grande distance. Nous avons varié les expériences pendant plus de deux heures. Mme Cowlet, qui y assistait, permit à sa fille, enfant de huit à dix ans, de mettre la main dans un creuset plein de fonte incandescente; cet essai fut fait impunément.»

Vu le caractère du savant abbé et celui du célèbre physicien, auteur de l’ouvrage, il n’était pas permis de douter; cependant, je dois le dire, ce fait me paraissait tellement impossible, que mon esprit se refusait à l’accepter, et pour croire, ainsi que saint Thomas, je voulais voir.

Je me décidai à aller trouver M. Boutigny; je lui fis part de mon désir de voir une expérience aussi intéressante, en omettant toutefois d’exprimer le moindre doute sur sa réussite.

Le savant m’accueillit avec bonté, et me proposa de répéter le phénomène devant moi, et de me faire laver les mains dans de la fonte incandescente.

La proposition était attrayante, scientifiquement parlant; mais, d’un autre côté, j’avais bien quelques craintes que le lecteur appréciera, je le pense. Il y allait, en cas d’erreur, de la carbonisation de mes deux mains, pour lesquelles je devais avoir d’autant plus de soins qu’elles avaient été pour moi des instruments précieux. J’hésitai donc à répondre.

—Est-ce que vous n’avez pas confiance en moi, me dit M. Boutigny?

—Si, Monsieur, si, j’ai beaucoup de confiance, mais...

—Mais.... vous avez peur, avouez-le, interrompit en riant le physicien. Eh bien! pour vous tranquilliser, je tâterai la température du liquide avant que vous n’y plongiez les mains.

—Et quel est donc à peu près le degré de température de la fonte liquide?

—Seize cents degrés environ.

—Seize cents degrés! m’écriai-je, que cette expérience doit être belle! Je me décide.

Au jour indiqué par M. Boutigny, nous nous rendîmes à la Villette, à la fonderie de M. Davidson, auquel il avait demandé l’autorisation de faire son expérience.

En entrant dans ce vaste établissement, je fus vivement impressionné. Le bruit infernal produit par les immenses souffleries; les flammes s’échappant des fourneaux; des laves étincelantes transportées par de puissantes machines et coulant à flots dans d’immenses creusets; des ouvriers secs et nerveux, noircis par la fumée et le charbon; tout cet ensemble enfin d’hommes et de choses présentait un aspect fantastique et solennel.

Le chef d’atelier vint à nous et nous indiqua le fourneau, vers lequel nous devions nous diriger pour notre expérience.

En attendant qu’on donnât passage au jet de fonte, nous restâmes quelques instants debout et silencieux près de la fournaise, puis nous entamâmes la conversation suivante qui, certes, n’était pas propre à me rassurer.

—Il faut que ce soit vous, me dit M. Boutigny, pour que je répète cette expérience que je n’aime point faire. Je vous avoue que, bien que je sois sûr du résultat, j’éprouve toujours une émotion dont je ne puis me défendre.

—S’il en est ainsi, répondis-je, allons-nous en; je vous crois sur parole.

—Non, non; je tiens à vous montrer ce curieux phénomène. Ah ça! ajouta le savant physicien, voyons vos mains.

Il les prit dans les siennes.

—Diable! dit-il, elles sont bien sèches pour notre expérience[28].

—Vous croyez?

—Certainement.

—Alors, c’est dangereux?

—Cela pourrait l’être.

—Dans ce cas, sortons d’ici, dis-je en me dirigeant vers la porte.

—Ce serait maintenant dommage, reprit mon compagnon en me retenant. Tenez, trempez vos mains dans ce seau d’eau, essuyez-les bien, et votre peau conservera autant d’humidité qu’il est nécessaire[29].

Il faut savoir que pour la réussite de cette merveilleuse expérience, il n’y a d’autre condition à observer que celle d’avoir les mains légèrement moites. Je regrette de ne pouvoir donner des explications sur le principe du phénomène qui se produit dans cette circonstance, car il me faudrait pour cela de longs chapitres. Je renvoie à l’ouvrage de M. Boutigny. Il suffira de dire que le métal en fusion est tenu à distance de la peau par une force répulsive, qui lui oppose une barrière infranchissable.

J’avais à peine terminé d’essuyer mes mains, que sous les coups d’une lourde barre de fer, le fourneau s’ouvrit et donna passage à un jet de fonte de la grosseur du bras. Des étincelles volèrent de tous côtés, comme un feu d’artifice.

—Attendons quelques instants, dit M. Boutigny, que la fonte s’épure; il serait peu prudent de faire notre expérience en ce moment.

Cinq minutes après, la source de feu cessa de bouillonner et de lancer des scories; elle devint même si limpide et si brillante, qu’elle nous brûlait les yeux à la distance de quelques pas.

Tout-à-coup mon compagnon s’approche vivement du fourneau, enfourche en quelque sorte le jet métallique, et sans plus de façon, se lave les mains avec de la fonte liquide, comme si c’eût été de l’eau tiède.

Je ne ferai pas le brave; j’avoue qu’à cet instant le cœur me battait à rompre ma poitrine, et pourtant lorsque M. Boutigny eut terminé sa fantastique ablution, je m’avançai à mon tour avec une détermination qui attestait une certaine force de volonté. J’imitai les mouvements de mon professeur; je barbotai littéralement dans la lave brûlante, et dans la joie que m’inspirait cette merveilleuse opération, je pris une poignée de fonte que je lançai en l’air, et qui retomba en pluie de feu sur le sol.

L’impression que j’éprouvai en touchant ce fer en fusion ne peut être comparée qu’à celle que j’aurais ressentie en touchant du velours de soie liquide, si je puis m’exprimer ainsi. C’est, du reste, un toucher très délicat et très agréable.

Je demande maintenant ce que sont les plaques de fer rouge des Aïssaoua auprès de la haute température à laquelle mes mains venaient d’être soumises?

Les vieux et les nouveaux miracles des incombustibles se trouvent donc expliqués par l’expérience du savant physicien qui, lui, n’a aucune prétention aux tours de force, et n’apprécie ces phénomènes qu’en raison des lois immuables en vertu desquelles ils s’accomplissent.

FIN.

PROGRAMME GÉNÉRAL

DES

EXPÉRIENCES INVENTÉES ET EXÉCUTÉES

PENDANT LE COURS DE MES REPRÉSENTATIONS

LA BOUTEILLE INÉPUISABLE.

Ce tour est un des plus brillants que j’aie jamais exécutés. Il est toujours très chaleureusement applaudi.

Je me présente en scène ayant en main une petite bouteille remplie de vin de Bordeaux. Je la vide complètement en versant son contenu dans des verres et je la rince ensuite avec un peu d’eau, en ayant soin de la bien faire égoutter.

Ce préambule terminé, je m’avance au milieu des spectateurs et, tenant toujours la bouteille renversée, je leur offre d’en faire sortir toute liqueur qu’ils pourront désirer.

Ma proposition est généralement accueillie avec une grande faveur. De tous côtés des demandes me sont aussitôt faites par des gens aussi désireux de s’assurer de la réalité du tour que de la qualité des liqueurs.

Ces liqueurs sont aussitôt fournies que demandées. Il n’en est aucune, spiritueuse ou aromatique, de quelque pays qu’elle puisse être, qui ne soit versée avec la plus grande libéralité.

La distribution ne se termine que lorsque le spectateur, craignant de ne pouvoir consommer tout ce qui sortirait de la bouteille, et trouvant aussi que plus il ferait prolonger l’expérience, moins sa raison pourrait lui rendre des comptes, se détermine enfin à cesser ses demandes.

Pour terminer ce tour d’une manière saisissante, en donnant une preuve de la libéralité inépuisable de ma bouteille, je prends un grand verre à boire pouvant contenir au moins la moitié du flacon, et je l’emplis jusqu’aux bords avec une liqueur qui m’est encore demandée.

La Bouteille inépuisable a été représentée pour la première fois à mon théâtre le 1er décembre 1847.

L’ORANGER FANTASTIQUE.

Cette pièce mécanique était précédée de plusieurs tours d’escamotage qui motivaient son introduction sur la scène.

J’empruntais le mouchoir d’une dame; j’en faisais une boule que je mettais à côté d’un œuf, d’un citron et d’une orange rangés sur ma table.

Je faisais ensuite passer ces quatre objets les uns dans les autres, et lorsqu’enfin ils étaient tous réunis dans l’orange, je me servais de ce fruit pour composer une liqueur fantastique.

Pour cela, je pressais l’orange entre mes mains, et je la réduisais de grosseur en la montrant de temps à autre sous ses différentes formes, et je finissais par en faire une poudre que je faisais passer dans un flacon où il y avait de l’esprit de vin.

On m’apportait alors un oranger dépourvu de fleurs et de fruits. Je versais dans un petit vase un peu de la liqueur que je venais de préparer; j’y mettais le feu; je le plaçais au-dessous de l’arbuste, et aussitôt que l’émanation atteignait le feuillage, on le voyait se charger de fleurs.

Sur un coup de ma baguette, ces fleurs étaient remplacées par des fruits que je distribuais aux spectateurs.

Une seule orange était restée sur l’arbre; je lui ordonnais de s’ouvrir en quatre parties, et l’on apercevait à l’intérieur le mouchoir qui m’avait été confié. Deux papillons battant des ailes le prenaient par les angles et le déployaient en s’élevant en l’air.

Ce tour est de ma création.

LA PÊCHE MERVEILLEUSE.

On se rappelle le tour chinois intitulé par Philippe: Le Bassin de Neptune. J’ai dit que le prestidigitateur du bazar Bonne-Nouvelle, à l’exemple des habitants du Céleste-Empire, s’était revêtu d’une robe nécessaire à l’exécution du tour. J’ai dit aussi ma répulsion pour tout vêtement en dehors de nos usages. Il devait donc sembler impossible de me voir jamais reproduire cette merveilleuse expérience, lorsqu’un jour, on vit sur mes affiches l’annonce d’un tour intitulé: la Pêche miraculeuse.

Ce n’était pas autre chose que le tour chinois que je me proposais d’exécuter, mais dans des conditions beaucoup plus difficiles.

J’arrivais en scène ayant en main un pied de guéridon qui se terminait par une pointe aiguë. Je le posais devant moi, et près des spectateurs.

Je me saisissais d’un châle que j’étalais en tous sens, et que je secouais avec force afin de bien prouver qu’il ne contenait rien.

—Voici d’abord comment on doit prendre et poser son épervier. Je ramassais les plis du châle et je le jetais sur mon épaule. Figurez-vous maintenant, Messieurs, que la pointe de ce pied de guéridon soit un étang, je sais qu’il faut se faire une grande illusion pour cela, mais enfin admettez cette fable pour un instant. Dans cette circonstance, on s’approche silencieusement de l’étang, on lance son épervier comme cela sur l’endroit où l’on suppose trouver du poisson, on le relève, et l’on montre, ainsi que je le fais maintenant, une pêche vraiment merveilleuse.

A cet instant, un bocal beaucoup plus grand que celui de Philippe, contenant d’énormes poissons rouges, apparaissait en équilibre sur la pointe du guéridon, et lorsqu’on voulait l’enlever de cet endroit, il était impossible de le bouger de place sans répandre de l’eau.

LA PENDULE AÉRIENNE.

Parmi les expériences que je présentai au public en 1847, ma pendule fut une de celles qui produisirent le plus d’effet, et même maintenant que l’on suppose à tort ou à raison que l’électricité y joue un certain rôle, on ne peut se dispenser de l’admirer.

Il y a certains spectateurs qui vont aux séances de prestidigitation, moins pour jouir des illusions que pour faire parade d’une perspicacité très souvent douteuse. Pour ceux-là, l’expérience de la Pendule aérienne est vite expliquée: c’est de l’électricité. C’est plutôt fait.

Mais pour l’observateur consciencieux, pour le savant, pour le connaisseur enfin, il est très difficile de se prononcer sur ce sujet, parce qu’ils savent que pour qu’un effet électro-magnétique se produise, il ne suffit pas d’un courant électrique, il faut encore des appareils matériels qui représentent un certain volume. Ainsi dans le télégraphe même le plus simple, ce sont des roues dentées, un électro-aimant, une palette, des leviers, des supports, etc.

Dans ma pendule aérienne on ne voyait rien de tout cela; il n’y avait qu’un cadran de cristal transparent, au milieu duquel était une aiguille.

Ce cadran était suspendu par de légers cordons et complétement isolé, ce qui n’empêchait pas que l’aiguille tournait à droite et à gauche, s’arrêtait ou reprenait sa marche à la volonté des spectateurs.

Un timbre également en cristal, suspendu en dessous, sonnait l’heure que marquait la pendule, ou bien encore celle qu’on lui désignait. Ces objets, avant et après l’expérience, étaient présentés au public pour être examinés.

Pour terminer, je remettais à un spectateur un cordon auquel tenait le crochet; il y suspendait le timbre et le faisait sonner à son commandement.

LA SECONDE VUE,

Ou la Clochette Mystérieuse.

L’expérience représentée par la gravure ci-contre est un perfectionnement apporté à la Seconde vue, que j’ai décrite au commencement de ce volume. Les résultats sont exactement les mêmes; le principe seul est changé.

Au lieu de faire à mon fils cette question: «Dites ce que je tiens à la main?» à chaque objet qui m’était remis, je frappais un coup sur une petite clochette, et malgré cette uniformité du signal, l’enfant dépeignait l’objet comme si l’eût eu sous les yeux.

Mais ce qui pouvait intriguer les intrépides scrutateurs de mes secrets, c’est que peu d’instants après, je mettais la clochette de côté, et bien que j’observasse le silence le plus complet, tous les objets présentés n’en étaient pas moins immédiatement désignés par l’enfant.

J’imitais aussi certains phénomènes produits par quelques sujets magnétisés. Je lui couvrais les yeux d’un épais bandeau, et sans prononcer une parole, je lui remettais entre les mains un verre plein d’eau; le liquide prenait sous ses lèvres le goût d’un autre liquide quelconque sur lequel un spectateur avait fixé sa pensée, quelque bizarre que fût ce choix.

Toujours sans que je lui parlasse, je lui faisais porter un bouquet à une dame qu’un spectateur avait secrètement désignée, ou bien il exécutait un ordre qui m’était confié à voix basse, tel que celui-ci:

Aller prendre une tabatière dans la poche d’une personne désignée; en ôter une prise de tabac pour la porter ensuite dans le porte-monnaie d’une autre personne.

LE FOULARD AUX SURPRISES.

Un principe fondamental de la prestidigitation, c’est de produire de grands effets avec de petites causes; autrement dit, il faut produire, avec de petits objets, des objets d’un gros volume.

Qu’y-a-t-il d’étonnant en effet de faire sortir d’une boîte à double fond ce qui peut y être contenu? La difficulté consiste uniquement dans l’ingéniosité de l’appareil, et tout le mérite revient à l’ébéniste ou au ferblantier qui a fabriqué la boîte.

Mais le foulard aux surprises est un tour qui ne pouvait laisser croire à aucune combinaison mécanique, parce que l’instrument qui devait produire des objets si volumineux pouvait être réduit à de bien petites proportions.

Ce foulard était confié par un spectateur. Aussitôt que je l’avais entre les mains, je le pressais, l’étirais et le retournais en tous sens pour prouver qu’il ne contenait rien, puis, le prenant par le milieu, je le secouais et j’en faisais sortir un plumet. En retournant le foulard du côté opposé, j’en retirais un second, un troisième, un quatrième plumet et jusqu’à un panache de tambour-major. Enfin une véritable pluie de plumets venait couvrir la scène.

Ces subtilités étaient le préambule d’un tour beaucoup plus surprenant encore, et qu’on pourrait appeler à plusieurs titres le bouquet de l’expérience.

Je m’approchais des spectateurs, et après avoir une dernière fois bien secoué et retourné le foulard de tous côtés, j’en faisais sortir une énorme corbeille de fleurs que je distribuais aux dames.

Ce tour faisait partie des expériences annoncées sur ma première affiche.

LA SUSPENSION ÉTHÉRÉENNE.

Dans l’année 1847, on se le rappelle, il n’était question que de l’éther et de ses merveilleuses applications. J’eus alors l’idée d’user à mon profit l’engouement du public pour en faire un à-propos qui eut un succès prodigieux.

—Messieurs, disais-je avec le sérieux d’un professeur de la Sorbonne, je viens de découvrir dans l’éther une nouvelle propriété merveilleuse.

Lorsque cette liqueur est à son plus haut degré de concentration, si on la fait respirer à un être vivant, le corps du patient devient en peu d’instants aussi léger qu’un ballon.

Cette exposition terminée, je procédais à l’expérience. Je plaçais trois tabourets sur un banc de bois. Mon fils montait sur celui du milieu, et je lui faisais étendre les bras, que je soutenais en l’air au moyen de deux cannes qui reposaient chacune sur un tabouret.

Je mettais alors simplement sous le nez de l’enfant un flacon vide que je débouchais avec soin, mais dans la coulisse on jetait de l’éther sur une pelle de fer très chaude, afin que la vapeur s’en répandît dans la salle. Mon fils s’endormait aussitôt, et ses pieds, devenus plus légers, commençaient à quitter le tabouret.

Jugeant alors l’opération réussie, je retirais le tabouret de manière que l’enfant ne se trouvait plus soutenu que par les deux cannes.

Cet étrange équilibre excitait déjà dans le public une grande surprise. Elle augmentait encore lorsqu’on me voyait retirer l’une des deux cannes et le tabouret qui la soutenait; et enfin elle arrivait à son comble, lorsqu’après avoir élevé avec le petit doigt mon fils jusqu’à la position horizontale, je le laissais ainsi endormi dans l’espace, et que pour narguer les lois de la gravitation, j’ôtais encore les pieds du banc qui se trouvait sous cet édifice impossible, tel que le représente la gravure ci-dessus.

La première représentation eut lieu le 10 octobre 1849.

LA GUIRLANDE DE FLEURS.

Ce tour était très compliqué et formait à son dénouement un très joli tableau.

J’empruntais deux mouchoirs et trois montres; j’en faisais un paquet que je mettais dans une sorte de pistolet-tromblon, et j’y joignais trois cartes choisies dans un jeu par un des spectateurs. Pendant ce temps, on apportait une guirlande de fleurs que l’on suspendait à de petits rubans placés au milieu de la scène.

J’annonçais alors que ces fleurs allaient me servir de point de mire, et que lorsque je ferais feu de ce côté, les montres, les mouchoirs et les cartes iraient se grouper autour d’elles.

En effet, lorsque le coup partait les cartes apparaissaient sur la guirlande, les montres en dessous et les mouchoirs pendaient sur le côté.

(Un erratum à signaler sur le dessin ci-dessus, c’est que le graveur a oublié d’y mettre les mouchoirs).

Au commencement du tour, bien que je n’eusse besoin que de deux mouchoirs, j’en empruntais trois, parce que j’en gardais un pour faire un autre tour sous forme d’intermède, dans le but d’allonger cette petite scène qui, sans cela, eût été beaucoup trop courte.

Je mettais de l’esprit de vin sur ce mouchoir, je l’enflammais et je montrais les ravages du feu en passant mon bras par un énorme trou. Puis sous le prétexte de me servir de ce principe des homœopathes: similia similibus curantur, je versais encore de l’esprit de vin sur le linge brûlé, je l’enflammais de nouveau, et en frappant seulement avec la main sur le mouchoir incendié, je le faisais reparaître dans son état primitif.

Le tour de la guirlande a été représenté pour la première fois le 18 janvier 1850.

LE CARTON DE ROBERT-HOUDIN.

La plus simple des lois naturelles veut que le contenant soit plus grand que le contenu; ici c’est le contraire. On peut donc appeler ce tour impossibilité réalisée.

En effet, j’apportais sous mon bras un carton à dessin qui n’avait pas plus d’un centimètre d’épaisseur et je le posais sur de légers tréteaux placés dans le plus complet isolement au milieu de la scène; puis j’en retirais successivement:

1º Une collection de gravures;

2º Deux charmants chapeaux de dame garnis de fleurs et de rubans, aussi frais que s’ils sortaient à l’instant même des mains de la modiste;

3º Quatre tourterelles vivantes;

4º Trois énormes casseroles en cuivre remplies, l’une de haricots, l’autre d’un feu ardent, et la troisième d’eau bouillante.

5º Une grande cage remplie d’oiseaux voltigeant de bâtons en bâtons[30].

6º Enfin, après que le carton avait été fermé une dernière fois, mon plus jeune fils, le héros de la suspension éthéréenne, soulevait le couvercle, montrait au public sa tête souriante et sortait aussi de cette étroite prison.

L’IMPRESSION INSTANTANÉE,

Ou la communication des couleurs par la volonté.

Je présentais au public plusieurs flacons remplis de diverses couleurs, et j’annonçais que, par un procédé nouveau, je pouvais faire passer des liquides colorés à travers un faible ruban de soie, à quelque distance que ce fût.

Je mettais alors au milieu des spectateurs un petit pupitre sur lequel j’étendais un linge.

Messieurs, disais-je, voici un cachet communiquant par un léger cordon à cette bouteille qui est pleine d’une liqueur rouge; veuillez essayer d’en imprimer l’empreinte en pressant sur l’étoffe.

Un des spectateurs essayait, mais en vain; l’étoffe restait entièrement blanche.

—Pour faire passer le liquide jusque dans le cachet, ajoutais-je avec un grand sérieux, il manque une formalité; il faut que j’en donne le commandement. Je le fais en ce moment. Essayez maintenant, je vous prie.

En effet, le nom gravé sur le cachet s’imprimait en beaux caractères rouges; mais sitôt que je donnais un ordre contraire, on avait beau appliquer le cachet, le liquide ne passait plus.

Je prenais ensuite un autre flacon contenant du bleu, j’y attachais le ruban par une de ses extrémités, et afin qu’on fût bien assuré qu’il n’y avait aucune préparation dans le cachet, je priais un spectateur d’attacher une clé à l’autre bout du ruban. Ces conditions remplies et le commandement en étant donné, on pouvait écrire sur le linge avec la clé comme si c’eût été un pinceau.

Je terminais cette expérience en faisant subitement changer un bouquet de roses blanches en roses d’un rouge très vif.

LE COFFRE TRANSPARENT,

Ou les Pièces voyageuses.

Ce tour avait pour but de montrer avec quelle facilité je pouvais faire passer invisiblement des pièces de monnaie d’un endroit à un autre.

J’empruntais huit pièces de cinq francs que je faisais marquer avec beaucoup de soin par les spectateurs, puis je les mettais ostensiblement dans un vase en cristal que je tenais à la main.

Je posais un autre vase sur une table à l’extrémité de ma scène et j’annonçais qu’en frappant avec ma baguette sur celui où se trouvaient les pièces, une d’elles en sortirait à chaque coup pour passer dans le verre vide.

Effectivement, au son que ma baguette produisait sur le cristal, une pièce en sortait pour passer dans l’autre vase, et l’on en entendait le son argentin.

Au lieu de faire passer la huitième comme les autres, je la sortais du vase et je la remettais entre les mains d’une dame, en la priant de bien la serrer pour l’empêcher de s’échapper.

Mais à l’instant où frappant sur la cloche, je disais: partez, la pièce emprisonnée sortait de la main et on l’entendait rejoindre ses compagnes.

Pour terminer l’expérience d’une manière concluante, je suspendais à de minces cordons de soie accrochés au plafond, un coffre de cristal transparent. Je le faisais balancer dans l’espace et lorsqu’il se trouvait à son plus grand éloignement de la scène, j’y envoyais les pièces que l’on voyait parfaitement arriver dedans.

A chacune de ces expériences, l’identité des pièces était constatée.

Représenté pour la première fois le 4 septembre 1849.

LE GARDE-FRANÇAISE,

Ou la Colonne au gant.

On apportait sur une table un petit automate revêtu du costume de Garde-Française: il portait un mousquet et se tenait au port d’arme prêt à recevoir un commandement.

En automate bien appris, il commençait par saluer respectueusement l’assemblée, et après s’être débarrassé de son arme, il envoyait de la main droite quelques baisers aux jeunes enfants qu’il apercevait dans la salle.

J’empruntais à plusieurs dames de l’assemblée quatre bagues et un gant blanc, j’en faisais un paquet et je le mettais dans le petit fusil que j’avais préalablement chargé et amorcé.

—Tenez, disais-je à mon Garde-française, je vous rends votre arme contenant un gant et quatre bagues; montrez maintenant votre adresse, en envoyant tous ces objets sur ce point de mire. Je lui montrais une colonne en cristal qui se trouvait sur une autre table.

L’automate mettait en joue, posait le doigt sur la gâchette, visait et, au signal que je lui en donnais, faisait feu. Les objets contenus dans le fusil étaient projetés sur la colonne, et le gant, gonflé comme s’il eût été porté par une main invisible se dressait sur le sommet du cristal, étalant à chacun de ses doigts une des bagues qui m’avaient été confiées.

Je variais quelquefois l’expérience. Je mettais dans le fusil une seule bague et deux cartes choisies secrètement par des spectateurs. L’automate dirigeait son arme vers un vase de fleurs que je lui indiquais, et lorsqu’il faisait feu, un petit amour sortait du milieu des roses en battant des ailes et portait à la main une torche allumée au bas de laquelle la bague était accrochée. Quant aux deux cartes, elles avaient dévié de leur chemin et s’étaient fixées sur ma poitrine.

LE PATISSIER DU PALAIS-ROYAL.

Voyez ce charmant petit automate; à l’appel de son maître il vient sur le seuil de sa porte, et, fournisseur aussi poli que pâtissier habile, il salue et attend les commandes de sa clientèle. Des brioches chaudes et sortant du four, des gâteaux de toute espèces, des sirops, des liqueurs, des glaces, etc., sont aussitôt apportés par lui que commandés par les spectateurs, et quand il a satisfait à toutes les demandes, il aide son maître dans ses tours d’escamotage.

Une dame, par exemple, a-t-elle mis secrètement sa bague dans une petite boîte qu’elle ferme à clé et qu’elle garde entre ses mains? à l’instant même le pâtissier lui apporte une brioche dans laquelle se trouve la bague qui vient de disparaître de la boîte.

Voici une autre preuve de son intelligence.

Une pièce d’or lui est remise dans une petite corbeille par un spectateur, qui lui dit ce qu’il doit prendre sur cette pièce en francs et centimes. Il s’enferme chez lui, et quelque compliqué que soit son compte, il fait son calcul et rapporte en monnaie le reste de la somme.

Enfin une loterie comique est tirée, et c’est encore le pâtissier qui est chargé de la distribution des lots.

Aussi intéressante par sa complication que par la gaîté qu’elle apportait parmi les spectateurs, cette pièce était la mieux goûtée de mes expériences et terminait toujours brillamment ma séance.

Le pâtissier du Palais-Royal a été représenté pour la première fois à l’ouverture de mon théâtre.

DIAVOLO ANTONIO,

Le Voltigeur au Trapèze.

J’avais donné à cet automate le nom de Diavolo Antonio, célèbre acrobate, dont j’avais cherché à imiter les périlleux exercices. Seulement l’original était un homme, et la copie n’avait que la taille et les traits d’un enfant.

J’apportais mon jeune artiste de bois entre mes bras, comme je l’eusse fait pour un être vivant, je le posais sur le bâton d’un trapèze, et là je lui adressais quelques questions auxquelles il répondait par des signes de tête.

—Vous ne craignez pas de tomber?

—Non.

—Etes-vous bien disposé à faire vos exercices?

—Oui.

Alors, aux premières mesures de l’orchestre, il saluait gracieusement les spectateurs, en se tournant vers toutes les parties de la salle, puis se suspendant par les bras, et suivant la mesure de la musique, il se faisait balancer avec une vigueur extrême.

Venait ensuite un instant de repos, pendant lequel il fumait sa pipe, après quoi il exécutait des tours de force sur le trapèze, tels que de se soulever à la force des bras et de se tenir la tête en bas, tandis qu’il exécutait avec les jambes des évolutions télégraphiques.

Pour prouver que son existence mécanique était en lui-même, mon petit Diavolo abandonnait la corde avec ses mains, se pendait par les pieds, et quittait bientôt entièrement le trapèze.

Cet automate a paru pour la première fois sur mon théâtre le 1er octobre 1849.

LE VASE ENCHANTÉ,

Ou le Génie des Roses.

Au commencement de cette petite scène, qui tenait de la féerie, on apercevait sur une table placée au milieu de ma scène, un vase étrusque orné de pierreries, d’un travail et d’un goût exquis. Il était surmonté de branches et de feuilles de rosier.

Je priais une dame de choisir une carte dans un jeu et de l’enfermer dans une petite boîte que je lui présentais. Aussitôt la carte sortait de la boîte, revenait entre mes mains et se trouvait remplacée par un charmant canari.

J’enfermais ce petit oiseau dans une cage.

—Mesdames, disais-je ensuite, ce serin est tellement obéissant, que lorsque je vais lui en donner l’ordre, il sortira à travers les barreaux de sa cage pour aller se percher sur le bouquet qui couronne ce vase. Afin de le mieux attirer, je vais faire pousser des fleurs sur ce feuillage.

J’étendais alors ma baguette sur le rosier et l’on voyait apparaître de petits boutons qui grossissaient à vue d’œil, s’épanouissaient insensiblement, et devenaient de magnifiques roses.

Ce prestige ne s’était pas plus tôt accompli, que le serin disparaissait de la cage et se montrait sur le sommet du rosier en gazouillant de toute la force de son gosier.

Là, selon le désir des spectateurs, il chantait tel air qu’on lui désignait. Lorsque chacun avait entendu le morceau de son choix, le musicien s’envolait, et rentrait dans la coulisse.

Pour terminer cette charmante scène, le vase s’ouvrait en plusieurs parties, formait un élégant kiosque dans lequel un Indien exécutait, avec la plus rare perfection, sur une corde raide, des danses acrobatiques.

LA CORNE D’ABONDANCE.

Parmi les modifications que j’avais apportées aux séances des prestidigitateurs qui m’avaient précédé, j’ai signalé, dans le cours de cet ouvrage, le genre de cadeaux que j’offrais au public comme souvenir de mes séances.

Comte et ses émules faisaient des distributions de jouets d’enfants et de sucreries qui se trouvaient invariablement dans un chapeau. Je pensai qu’il était peu convenable d’offrir des éventails, des fleurs et des bonbons, en les faisant sortir d’une source qui n’était pas toujours d’une propreté irréprochable, et pour obvier à cet inconvénient, j’inventai la corne d’abondance.

Je présentais au public une sorte de grand cornet qui s’ouvrait en deux parties, afin qu’on pût mieux en visiter l’intérieur, puis dès qu’il était refermé, j’en retirais des bonbons et des fleurs.

C’est aussi de ce cornet que je faisais sortir des journaux comiques, des albums, des quadrilles illustrés, etc.

Je m’étais exercé à lancer ces différents objets avec une sûreté de direction telle qu’ils arrivaient immanquablement aux personnes même les plus éloignées de ma scène.

Cette distribution, ainsi que celle de la bouteille inépuisable, produisait dans la salle une animation des plus plaisantes. C’était à qui posséderait un de ces cadeaux, et l’on m’adressait de tous côtés des supplications télégraphiques auxquelles je me faisais un devoir de répondre.

TABLE.

Pages.

Introduction dans la demeure de l’auteur

I

Préface

1

CHAP. Ier. Un horloger raccommodeur de soufflets.—Intérieur d’artiste.—Les leçons du colonel Bernard.—L’ambition paternelle.—Premiers travaux mécaniques.—Ah! si j’avais un rat!—L’industrie d’un prisonnier.—L’abbé Larivière.—Une parole d’honneur.—Adieu mes chers outils!

5

CHAP. II. Un badaud de province.—Le docteur Carlosbach, escamoteur et professeur de mystification.—Le sac au sable, le coup de l’étrier.—Je suis clerc de notaire, les minutes me paraissent bien longues.—Un petit automate.—Protestation respectueuse.—Je monte en grade dans la basoche.—Une machine de la force... d’un portier.—Les canaris acrobates.—Remontrance de Me Roger.—Mon père se décide à me laisser suivre ma vocation

15

CHAP. III. Le cousin Robert.—L’événement le plus important de ma vie.—Comment on devient sorcier.—Mon premier escamotage.—Fiasco complet.—Perfectibilité de la vue et du toucher.—Curieux exercice de prestidigitation.—Monsieur Noriet.—Une action plus ingénieuse que délicate.—Je suis empoisonné.—Un trait de folie

31

CHAP. IV. Je reviens à la vie.—Un étrange médecin.—Torrini et Antonio: un escamoteur et un mélomane.—Les confidences d’un meurtrier.—Une maison roulante.—La foire d’Angers.—Une salle de spectacle portative.—J’assiste pour la première fois à une séance de prestidigitation.—Le coup de piquet de l’aveugle.—Une redoutable concurrence.—Le signor Castelli mange un homme vivant

45

CHAP. V. Confidences d’Antonio.—Comment on peut provoquer les applaudissements et les ovations du public.—Le comte de ...., banquiste.—Je répare un automate.—Atelier de mécanicien dans une voiture.—Vie nomade: heureuse existence.—Leçons de Torrini; ses principes sur l’escamotage.—Un grec du grand monde, victime de son escroquerie.—L’escamoteur Comus.—Duel aux coups de piquet.—Torrini est proclamé vainqueur.—Révélations.—Nouvelle catastrophe.—Pauvre Torrini!

65

CHAP. VI. Torrini me raconte son histoire.—Perfidie du chevalier Pinetti.—Un escamoteur par vengeance.—Course au succès entre deux magiciens.—Mort de Pinetti.—Séance devant le pape Pie VII.—Le chronomètre du cardinal M***.—Douze cents francs sacrifiés pour l’exécution d’un tour.—Antonio et Antonia.—La plus amère des mystifications.—Constantinople

84

CHAP. VII. Suite de l’histoire de Torrini.—Le Grand-Turc lui fait demander une séance.—Un tour merveilleux.—Le corps d’un jeune page coupé en deux.—Compatissante protestation du Sérail.—Agréable surprise.—Retour en France.—Un spectateur tue le fils de Torrini pendant une séance.—Folie: Décadence.—Ma première représentation.—Fâcheux accident pour mes débuts.—Je reviens dans ma famille

115

CHAP. VIII. Des Acteurs prodiges.—J’arrive à Paris.—Mon mariage.—Comte.—Etudes sur le public.—Un habile directeur.—Les billets roses.—Un style musqué.—Le Roi de tous les cœurs.—Ventriloquie.—Les mystificateurs injustifiés.—Le père Roujol.—Jules de Rovère.—Origine du mot prestidigitateur

131

CHAP. IX. Les automates célèbres.—Une mouche d’airain.—L’homme artificiel.—Albert-le-Grand et saint Thomas-d’Aquin.—Vaucanson; son canard; son joueur de flûte; curieux détails.—L’automate joueur d’échecs; épisode intéressant.—Catherine II et M. de Kempelen.—Je répare le Componium.—Succès inespéré

153

CHAP. X. Les supputations d’un inventeur.—Cent mille francs par an pour une écritoire.—Déception.—Mes nouveaux automates.—Le premier physicien de France; décadence.—Le choriste philosophe.—Bosco.—Le jeu des gobelets.—Une exécution capitale.—Résurrection des suppliciés.—Erreur de tête.—Le serin récompensé.—Une admiration rentrée.—Mes revers de fortune.—Un mécanicien cuisinier

178

CHAP. XI. Le pot-au-feu de l’artiste.—Invention d’un automate écrivain-dessinateur.—Séquestration volontaire.—Une modeste villa.—Les inconvénients d’une spécialité.—Deux Augustes visiteurs.—L’emblême de la fidélité.—Naïvetés d’un maçon érudit.—Le gosier d’un rossignol mécanique.—Les Tiou et les rrrrrrrrouit.—Sept mille francs en faisant de la limaille

193

CHAP. XII. Un grec habile.—Ses confidences.—Le Pigeon cousu d’or.—Tricheries dévoilées.—Un magnifique truc!—Le génie inventif d’un confiseur.—Le prestidigitateur Philippe.—Ses débuts comiques.—Description de sa séance.—Exposition de 1844.—Le Roi et sa famille visitent mes automates

215

CHAP. XIII. Projets de réformes.—Construction d’un théâtre au Palais-Royal.—Formalités.—Répétition générale.—Singulier effet de ma séance.—Le plus grand et le plus petit théâtre de Paris.—Tribulations.—Première représentation.—Panique.—Découragement.—Un prophète infaillible. Réhabilitation.—Succès

239

CHAP. XIV. Etudes nouvelles.—Un journal comique.—Invention de la seconde vue.—Curieux exercices.—Un spectateur enthousiaste.—Danger de passer pour Sorcier.—Un sacrilége ou la mort.—Art de se débarrasser des importuns.—Une touche électrique.—Une représentation au théâtre du Vaudeville.—Tout ce qu’il faut pour lutter contre les incrédules.—Quelques détails intéressants

258

CHAP. XV. Petits malheurs du bonheur.—Inconvénients d’un théâtre trop petit.—Invasion de ma salle. Représentation gratuite.—Un public consciencieux.—Plaisant escamotage d’un bonnet de soie noire.—Séance au château de Saint-Cloud.—La cassette de Cagliostro.—Vacances.—Etudes bizarres

281

CHAP. XVI. Nouvelles expériences.—La Suspension éthéréenne, etc.—Séance à l’Odéon.—Un double accroc.—La protection d’un entrepreneur de succès.—1848.—Les théâtres aux abois.—Je quitte Paris pour Londres.—Le directeur Mitchell.—La publicité anglaise.—Le grand Wizard.—Les moules à beurre servant à la réclame.—Affiches singulières.—Concours public pour le meilleur calembour

298

CHAP. XVII. Le théâtre Saint-James.—Invasion de l’Angleterre par les artistes français.—Une fête patronnée par la reine.—Le Diplomate et le Prestidigitateur.—Une Recette de 75,000 francs.—Séance à Manchester.—Les spectateurs au carcan.—Wat à capital curaçao.—Montagne humaine.—Cataclysme.—Représentation au palais de Buckingham.—Un repas de Sorciers

316

CHAP. XVIII. Un régisseur optimiste.—Trois spectateurs dans une salle.—Une collation magique.—Le public de Colchester et les noisettes.—Retour en France.—Je cède mon théâtre. Voyage d’adieu.—Retraite à Saint-Gervais.—Pronostic d’un Académicien

344

CHAP. XIX. VOYAGE EN ALGÉRIE.—Convocation des chefs de tribus.—Fêtes.—Représentation devant les Arabes.—Enervation d’un Kabyle.—Invulnérabilité.—Escamotage d’un Maure.—Panique et fuite des spectateurs.—Réconciliation.—La secte des Aïssaoua.—Leurs prétendus miracles.—Excursion dans l’intérieur de l’Algérie.—La demeure d’un Bach-Agha.—Repas comique.—Une soirée de hauts dignitaires Arabes.—Mystification d’un Marabout.—L’Arabe sous sa tente, etc. etc.—Retour en France.—Conclusion

356

Un cours de miracles.—S’enfoncer un poignard dans la joue;—Manger des feuilles de figuier de Barbarie;—Se mettre le ventre sur le côté tranchant d’un sabre;—Jouer avec des serpents;—Se frapper le bras, en faire jaillir du sang, et le guérir instantanément;—Manger du verre pilé;—Avaler des cailloux, des tessons de bouteille, etc.;—Marcher sur du fer rouge, et se passer la langue sur une plaque rougie à blanc

406

Gravures et description des expériences

421
FIN DE LA TABLE.

Imp. Lechene, à Blois.


Fautes corrigées:

  1. poussant la rorte=> poussant la porte {pg v}
  2. surgit tout à coup dans esprit=> surgit tout à coup dans mon esprit {pg 12}
  3. soulier dans de mes bas=> soulier dans un de mes bas {pg 12}
  4. aussi ne se passsait-il=> aussi ne se passait-il {pg 16}
  5. très habilemement embouchée=> très habilement embouchée {pg 16}
  6. sembla se recueilir=> sembla se recueillir {pg 17}
  7. l’homme de cette affreuse calamnité=> l’homme de cette affreuse calamité {pg 20}
  8. la scène est tranformée=> la scène est transformée {pg 21}
  9. O Carlorsbach=> O Carlosbach {pg 21}
  10. des câhteaux voisins=> des châteaux voisins {pg 21}
  11. mais, plus je résistai=> mais, plus je résistais {pg 27}
  12. j’aillais demander=> j’allais demander {pg 27}
  13. art pourle quel=> art pour lequel {pg 33}
  14. mon irristible penchant=> mon irrésistible penchant {pg 34}
  15. au seul de sa boutique=> au seuil de sa boutique {pg 35}
  16. bonlanger de rentrer=> boulanger de rentrer {pg 36}
  17. de la sience=> de la science {pg 37}
  18. de la prestidigition=> de la prestidigitation {pg 37}
  19. frappe de la falicité=> frappé de la facilité {pg 37}
  20. faire une promade=> faire une promenade {pg 42}
  21. balloté dans une voiture=> ballotté dans une voiture {pg 44}
  22. je ne pus reprimer un mouvement=> je ne pus réprimer un mouvement {pg 48}
  23. un aveu si innatendu=> un aveu si inattendu {pg 50}
  24. complément rétabli=> complétement rétabli {pg 51}
  25. Je vous le dirai vololontiers=> Je vous le dirai volontiers {pg 58}
  26. plus grands théâtres l’Italie=> plus grands théâtres d’Italie {pg 67}
  27. je cédasse pas=> je ne cédasse pas {pg 74}
  28. Les confidences de Zilbermann=> Les confidences de Zilberman {pg 75}
  29. au devant au moi=> au devant de moi {pg 98}
  30. une représentation que dois donner=> une représentation que je dois donner {pg 88}
  31. terme de théâtre, s’apelle=> terme de théâtre, s’appelle {pg 92}
  32. s’apelle le=> s’appelle le {pg 92}
  33. s’intalla dans le théâtre=> s’installa dans le théâtre {pg 97}
  34. C’est ainsi que j’écraisai=> C’est ainsi que j’écrasai {pg 98}
  35. rigeurs extrêmes=> rigueurs extrêmes {pg 98}
  36. nous goutâmes pendant=> nous goûtâmes pendant {pg 115}
  37. mon viel ami=> mon vieil ami {pg 130}
  38. prestiditateur=>prestidigitateur {pg 131}/li>
  39. ma convocation pour=> ma vocation pour {pg 131}
  40. d’une bien petit fortune=> d’une bien petite fortune {pg 132}
  41. montres et des pendule=> montres et des pendules {pg 134}
  42. l’eutrême prudence=> l’extrême prudence {pg 137}
  43. ainsi que celui prestidigitation=> ainsi que celui de prestidigitation {pg 151}
  44. Qus d’actions de grâce=> Que d’actions de grâce {pg 154}
  45. barbotte avec son bec=> barbote avec son bec {pg 157}
  46. qde le lecteur se rassur=> que le lecteur se rassur {pg 160}
  47. snr 80 centimètres=> sur 80 centimètres {pg 163}
  48. qne ses courtisans=> que ses courtisans {pg 168}
  49. le fait de tout ceux=> le fait de tous ceux {pg 179}
  50. de ma petite fortune=> de sa petite fortune {pg 183}
  51. un pigon blanc=> un pigeon blanc {pg 191}
  52. je fis servis=> je fis servir {pg 216}
  53. un constraste=> un contraste {pg 217}
  54. effet de douner un nom=> effet de donner un nom {pg 217}
  55. épanchement famillier=> épanchement familier {pg 217}
  56. tant de grace=> tant de grâce {pg 219}
  57. loin de moi de sur la table=> loin de moi sur la table {pg 221}
  58. eu suivant pour le dix=> en suivant pour le dix {pg 224}
  59. galeries et un amphitéâtre=> galeries et un amphithéâtre {pg 231}
  60. compâtissait à la douleur=> compatissait à la douleur {pg 228}
  61. la plus importance de toutes=> la plus importante de toutes {pg 240}
  62. je tremblais comme un fant=> je tremblais comme un enfant {pg 247}
  63. ce mal n’était rien comparaison=> ce mal n’était rien en comparaison {pg 254}
  64. une ces dispositions=> une de ces dispositions {pg 262}
  65. de la suprise=> de la surprise {pg 265}
  66. le pallier du théâtre=> le palier du théâtre {pg 274}
  67. sur le devant la scène=> sur le devant de la scène {pg 274}
  68. signes auquels on peut=> signes auxquels on peut {pg 279}
  69. j’eus réelment=> j’eus réellement {pg 294}
  70. dont les effet=> dont les effets {pg 299}
  71. aux appplaudissements qui=> aux applaudissements qui {pg 303}
  72. bouteillle inépuisable=> bouteille inépuisable {pg 312}
  73. les dames patronesses=> les dames patronnesses {pg 324}
  74. féérique=> féerique {pg 325}
  75. jettasse=> jetasse {pg 325}
  76. et l’afflence était=> et l’affluence était {pg 326}
  77. demander une réprésentation=> demander une représentation {pg 338}
  78. la plus haute distiction=> la plus haute distinction {pg 340}
  79. Mou régisseur=> Mon régisseur {pg 346}
  80. mon établisssement=> mon établissement {pg 353}
  81. Wiesbaden, Hombourg=> Wiesbaden, Hambourg {pg 353}
  82. Retour en Ffance=> Retour en France {pg 356}
  83. répondit que le Gouvernenement=> répondit que le Gouvernement {pg 360}
  84. malheureureux offret=> malheureux coffret {pg 368}
  85. face a face=> face à face {pg 373}
  86. et et ensuite=> et ensuite {pg 374}
  87. adresssant à chacun=> adressant à chacun {pg 374}
  88. marque d’approbabation=> marque d’approbation {pg 375}
  89. pour nos étonner=> pour nous étonner {pg 378}
  90. notre bachelier ès-ciences=> notre bachelier ès-sciences {pg 382}
  91. sur la tapis=> sur le tapis {pg 386}
  92. Bon-Allem a deviné=> Bou-Allem a deviné {pg 387}
  93. à à se débarrasser=> à se débarrasser {pg 388}
  94. Tu n’a rien=> Tu n’as rien {pg 392}
  95. marmotaient des prières=> marmottaient des prières {pg 394}
  96. Quant la stéarine fut=> Quand la stéarine fut {pg 394}
  97. parmi lequels était=> parmi lesquels était {pg 410}
  98. J’ai dit que le prestigitateur=> J’ai dit que le prestidigitateur
  99. pièces de monaie=> pièces de monnaie
  100. l’idendité des pièces=> l’identité des pièces
  101. sur un autre table=> sur une autre table
  102. sur la gachette=> sur la gâchette
  103. Seulement l’orinal=> Seulement l’original
  104. Le prestigitateur Philippe=> Le prestidigitateur Philippe
  105. le guérir instanténément=> le guérir instantanément

Chargement de la publicité...