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Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Troisième

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The Project Gutenberg eBook of Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Troisième

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Title: Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Troisième

Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac

Release date: March 19, 2012 [eBook #39201]

Language: French

Credits: Produced by Robert Connal, Hélène de Mink, and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
file was produced from images generously made available
by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE DE BERTRAND DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNÉLON, TOME TROISIÈME ***

Notes de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

L'abréviation lt signifie livres tournois.

CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUE

DE

BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,
AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575,

PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.

TOME TROISIÈME.
ANNÉES 1570 ET 1571.

PARIS ET LONDRES.


1840.

DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE.

RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

Des Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE,

Conservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.

ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.


PARIS ET LONDRES.


1840.

LA MOTHE FÉNÉLON.

Imprimé par BÉTHONE et PLON, à Paris.

AU-TRÈS-NOBLE
GEORGE HAMILTON GORDON
COMTE D'ABERDEEN.
CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ
PAR
SON TRÈS-DÉVOUÉ ET TRÈS-RECONNAISSAINT SERVITEUR
CHARLES PURTON COOPER.

DÉPÊCHES
DE
LA MOTHE FÉNÉLON.

LXXXIe DÉPESCHE

—du IVe jour de janvier 1570.—

(Envoyée jusques à Callais par Jehan Vollet.)

Audience accordée par la reine d'Angleterre à l'ambassadeur de France.—Désir du roi de rétablir la paix en son royaume.—Satisfaction qu'il éprouve de ce que les troubles du Nord paraissent apaisés en Angleterre.—Protestation d'Élisabeth qu'elle ne désire rien tant que la réunion des églises.—Instances de l'ambassadeur en faveur de Marie Stuart.—Explications sur la conduite qu'il a dû tenir dans cette négociation.—Nouvelles arrivées à Londres sur l'état des affaires des protestans en France.—Nouvelles des troubles du Nord; déroute des comtes de Northumberland et de Westmorland.

Au Roy.

Sire, j'ay faict entendre à la Royne d'Angleterre que, pour la bonne estime que Voz Majestez Très Chrestiennes ont de sa bonne et droicte intention en l'endroit de voz affères et de la tranquillité de vostre royaulme, vous n'avez sitost veu donner ung peu de commancement et ouverture à la paciffication des troubles et guerres d'iceluy, que vous ne m'ayez incontinent commandé de le luy notiffier, affin que, devant toutz les aultres princes vos alliez, elle ayt le plaisir d'entendre que les choses s'acheminent par la voye qu'elle a désiré; et ainsy, luy particullarisant ce qui est advenu à la reddition de Sainct Jehan d'Angely, et les propos que le sieur de La Personne vous a tenuz, avec la vertueuse responce de Vostre Majesté, laquelle elle a vollu curieusement lyre par deux foys, j'ay suivy à luy dire: qu'encor que vous ayez grand occasion de vous rescentir des choses mal passées, du costé de ceulx de la Rochelle, de ce qu'ilz ont mené une très viollante et dangereuse guerre dans vostre royaulme, et y ont introduict les armes et armées estrangières, à la grand ruyne de vos bons subjectz; et qu'il soit maintenant en vostre pouvoir de prendre par force toutes les places qu'ilz tiennent, et de poursuyvre et venir bien à boult du reste qui est encore en campaigne; néantmoins vous aymez mieulx uzer envers eulx de la clémence toutjour accoustumée à vostre couronne, et plus usée de vostre règne, que de nul de toutz voz prédécesseurs, et les regaigner par doulceur, que de les mener à l'extrémité d'ung chastiment, espérant qu'ilz auront tant plus de regrect de leurs deffiances passées, et persévèreront dorsenavant plus constantment en la confiance, fidellité, et amour qu'ils doibvent à Vostre Majesté, leur prince naturel, que moins ils espéroient d'estre jamais receuz en vostre bonne grâce, laquelle néantmoins vous ne leur avez différée d'ung seul moment, aussitost qu'ilz ont offert de s'humilier et de se remettre en vostre obéyssance.

La dicte Dame, d'ung visaige joyeulx, m'a respondu qu'à ceste heure me voyoit elle, et oyoit mes propos, de trop meilleure affection qu'elle n'avoit faict despuys ung an, et qu'elle rendoit grâces à Dieu d'avoir miz au cueur de Voz Majestez Très Chrestiennes, et pareillement en ceulx de vos subjectz, de retourner à ce mutuel bon ordre de vostre bénignité envers eulx et de leur subjection envers vous; qu'elle vous remercye mille et mille foys de luy avoir, ainsy soubdainement et particullièrement, faict entendre en quoy les choses en sont, ès quelles elle vous desire tant de bien et de bonheur que vous les puissiez effectuer à vostre grand advantaige et au repoz de toute la Chrestienté; et que, si son moyen y peult servyr de quelque chose, elle le vous offre de tout son cœur, bien qu'elle ne peult fère que ne porte quelque envye au bonheur de celluy qui a sceu si oportunéement mettre en avant ce sainct et desiré propos, qu'il ayt heu meilleur rencontre que quant, d'aultre foys, elle a entreprins d'en parler; et qu'elle n'a regrect sinon à ce que voz subjectz peuvent monstrer au monde que, pour leur avoir esté viollé vostre propre éedict de la paciffication, tant par attemptatz contre leurs vies, que par contraires lettres contre l'exercisse de leur religion, ilz ayent heu quelque aparante coulleur de prendre les armes; non que pourtant elle aprouve qu'ilz ayent bien faict, car plustost s'en debvoient ils estre allez, et qu'il est tout certain que de quelles persuasions qu'on luy ayt usé, qui n'ont esté petites, sur la justiffication de leur cause, elle ne les a jamais volluz secourir.

Je luy ay répliqué que tout le tort de ceste guerre se manifeste en ce que ceulx de l'aultre party, en leur plus grande résistance, se trouvent vaincuz par vos forces, et sont par vostre clémence surmontez en leur humillité, et que cella vous faict prendre meilleure espérance de voir bientost remiz vostre royaulme en son premier estat et grandeur; adjouxtant, afin de parler de la réunion du sien, que ce que je luy ayt dict de ceste réconcilliation de vos subjectz, Voz Majestez desirent qu'elle le preigne pour ung tesmoignage que, comme vous estes correspondant à son desir sur le bien de vostre royaulme, qu'aussi bien le serez vous sur le bien et paciffication du sien, et sur ce que vous entendrez bientost que ceste eslévation, qui a apparu en son pays du North, est esteinte ainsi que je le vous ay desjà mandé.

La dicte Dame, usant là dessus de beaucoup de mercyementz, m'a fort prié de vous assurer que toute ceste guerre du North est véritablement achevée, et que le comte de Northomberland, se retirant en Ecosse, est tumbé ez mains du comte de Mora; que le comte de Vuesmerland s'en est fouy seul, et abandonné des siens, aux montaignes des frontières; et que plus de cinq cents gentishommes des leurs sont prins, le reste discipé, et plusieurs exécutez; et qu'elle ne prendroit que pour une risée toute ceste entreprinse, tant elle a esté folle et légière, n'estoit qu'il luy faict mal au cueur qu'il s'y soit trouvé meslé ung seul homme de qualité.—«Car jamais subjectz, dict elle, n'eurent moins d'occasion que les siens de mouvoir choses semblables contre leur prince.»

Et luy ayant seulement répliqué ce mot: «c'est qu'il est fort à craindre que, tant que la division de la religion durera, que l'on sera toutz les ans à recommancer,» elle m'a soubdain respondu qu'à la vérité, puisque les Protestans commancent de proposer entre eulx, assavoir s'il y a aucune cause pour laquelle l'on puisse, sellon Dieu et conscience, se soubstraire de l'obéyssance d'ung prince, et le démettre de son estat; ainsy que le Pape, de son costé, déclaire aussi les estats de ceulx, qu'il tient pour scismatiques ou hérétiques, toutz comis et vacquans; elle estime que toutes les couronnes de la Chrestienté sont assez mal asseurées, et que, de sa part, elle ne se montrera jamais opiniastre de ne se conformer aulx aultres princes chrestiens, quant Dieu leur aura mis au cueur de procurer, toutz ensemble, la réunyon de l'esglyze de Dieu.

Après cella, Sire, j'ay mené le propos à parler de la Royne d'Escoce, faisant toutjour instance de sa liberté, bon traictement et restitution. Sur quoy elle m'a dict que Voz Majestez Très Chrestiennes en avez parlé amplement à son ambassadeur, et qu'elle vous prie de considérer que le différand est entre deux princesses qui vous sont parantes, allyées et confédérées; desquelles vous debviez égallement peser leur droict, et n'avoir en tant d'affection celluy de la Royne d'Escoce que ne regardiez à conserver le sien; et qu'elle vous fera remonstrer encores d'aultres choses par son dict ambassadeur, ès quelles elle espère que vous luy ferez favorable responce; et ay cogneu, Sire, que les propos que Voz Majestez ont tenu là dessus au dict ambassadeur ont grandement esmeu la dicte Dame, à laquelle j'ay dict que, puysque vostre intention se trouve conforme aulx continuelles instances que je luy ay faictes icy de vostre part pour la Royne d'Escoce, que je la suplye de déposer à ceste heure le cueur et le courroux qu'elle a contre elle, puysqu'elle s'est justiffiée de toutz ces troubles du North, pour se la randre désormais tant attenue et obligée, qu'elle n'ayt à estre jamais rien tant que toute sienne; et que, pour l'amour de Voz Majestez Très Chrestiennes, qui tant l'en priez, elle veuille aussi faire quelque chose pour son bien, n'estant possible que vous puyssiez laysser de le pourchasser tant que vous la voyez restituée, ce que vous desirez toutesfoys estre sellon son gré et contantement.

Elle m'a promiz là dessus, qu'aussitost qu'une responce, qu'elle attant d'Escoce, sera arrivée, elle ne diffèrera d'ung seul jour d'entendre en l'affaire de la dicte Dame, et y prendre ung si bon expédiant qu'elle espère que vous en serez contant; dont de tout ce qui s'en résouldra elle mettra peyne que vous en soyez adverty: et remettant, Sire, plusieurs aultres choses, que j'ay notées de ses propos, au premier des miens que je vous dépescheray, je bayseray en cest endroict très humblement les mains de Vostre Majesté, et supplieray le Créateur qu'il vous doinct, Sire, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

Ce ıve jour de janvier 1570.

Je crains assés qu'on veuille mettre en avant l'eschange de la Royne d'Escoce et du comte de Northomberland; vray est qu'il ne s'en entend encores rien.

A la Royne.

Madame, je mectz en la lettre, que j'escriptz au Roy, aulcuns propos de la Royne d'Angleterre, touchant ceulx que, par les deux dernières dépesches de Voz Majestez, vous m'avez commandé de luy tenir, sur lesquelz me reste à vous dire, Madame, qu'il semble que ceste princesse et les siens soyent bien ayses, mais diversement, qu'il se face une paciffication en vostre royaulme; elle, affin d'estre exempte de bailler secours à ceulx de la Rochelle, et ne venir à vous faire quelque manifeste offance pour eulx, et mesmes aura plaisir que les choses se facent à votre grand advantaige; et eulx, pour n'ozer meintenant guières presser leur Mestresse de les secourir, ny d'attempter rien qui vous puysse desplayre; mais ilz vouldroient que l'advantaige demeurât à ceulx de l'aultre party, sur la soubmission desquelz, laquelle leur ambassadeur a escripte par deçà, encores que le jeune comte de Mensfelt fût desjà despêché, ilz le font temporiser, affin d'attandre quelle yssue prendra ce que le Sr de La Personne en a commencé de traicter. Et doublant assés que la paciffication ne s'en puysse bien ensuyvre, luy et le Sr de Lombres incistent grandement de fayre résouldre icy quelque secours de pouldres et d'armes, et de quelque nombre de gens de cheval, pour l'envoyer à Mr l'Admyral, s'esforceans de persuader qu'il est encores si fort qu'avec bien peu d'ayde, il se monstrera plus relevé que jamais, et qu'on luy veuille aussi (soubz caution) assister de quelques deniers, pour envoyer au duc de Cazimir, affin de souldoyer des gens de pied, sans lesquelz il n'oze mettre en campaigne les gens de cheval qu'il a toutz prestz; et que d'ailleurs le prince d'Orange, voyant qu'une sienne entreprinse qu'il avoit en Flandres est descouverte, se dellibère de tourner tout son aprest aulx choses de France; lesquelles propositions demeurent encores en suspens; et je metz peyne, en tout évènement, de les retarder ou empescher, aultant qu'il m'est possible.

Quant à ceulx du North, j'ai vollu vérifier si ce que m'en a dict la dicte Dame estoit vray, parce qu'on luy déguyse assés souvent les nouvelles; mais l'on m'a confirmé la route des deux comtes et de toute leur armée, laquelle a esté de quinze mil hommes; dont y en avoit sept mille de pied bien armez, et deux mil de cheval en aussi bon équipaige qu'il s'en peult trouver en Angleterre; et que n'ayantz, pour leur irrésolution et mauvais accord, ozé venir au combat, ilz se sont retirez en la frontière d'entre l'Angleterre et l'Escoce, où celluy de Northomberland et sa femme sont tumbez ez mains d'un armestrang[1], qu'on a estimé le devoir incontinent livrer au comte de Mora; et que celluy de Vuesmerland, en habit déguysé, s'en est fouy au plus haut des montaignes, ayant pour ceste occasion ceste Royne envoyé casser incontinent son armée, et révoquer le comte de Vuarvic. Mais aulcuns estiment que le dict armestrang n'est pour consigner le comte de Northomberland à celluy de Mora, ains plustost pour le relever et pour luy ayder à remettre sus nouvelles forces.

Au reste nul propos n'esmeust tant ceste Royne que quant on luy parle de la Royne d'Escoce, et ce que Voz Majestez en ont dernièrement dict à son ambassadeur a faict beaucoup d'effect envers elle. J'ay bien vollu, pour mon regard, tirer de la propre parole de la dicte Dame ma justiffication de ne luy avoir, sur les affaires de la dicte Royne d'Escoce, ny en nulle autre matière, jamais dict ung seul mot qui l'ayt peu offancer; de quoy elle m'a randu le tesmoignage tout clair et prompt, que non seulement elle n'a trouvé jamais mauvaise, ains très agréable, ma façon de parler, et la substance de toutz mes propos, ainsy que je les luy ay dictz, et qu'elle vous fera expliquer que ce qu'elle a prins à cueur de mon dire est pour luy avoir asseuré que Voz Majestez réputeroient toucher à leurs propres personnes les torts et indignitez qu'on feroit à celle de la Royne d'Escoce; et qu'elle s'estime vous apartenir en si bonne part, qu'elle doibt bien estre tenue en quelque compte et respect envers Voz Majestez aussi bien que la dicte Royne d'Escoce. A quoy je luy ay satisfaict si bien que, prenant rayson en payement, elle a promis d'entrer bientost en quelque expédiant touchant les affaires de la dicte Dame; et m'a prié au reste de vous escripre fort affectueusement que, à ce changement de gouverneur de Bretaigne, il vous playse de commander à celluy qui l'est meintenant, et à son lieutenant, de donner libre et sûr accez aulx Angloix, de leur pouvoir aller demander justice; et que dorsenavant ilz la leur vueillent administrer eulx mesmes, puysqu'il n'est possible qu'ilz la puissent aulcunement avoir des officiers et magistratz du pays, car ses dicts subjectz ne peuvent plus supporter les oltraiges qu'ilz y reçoipvent ordinairement.

Depuis le partement du Sr Chapin, l'on a fait exorter les estrangiers de s'abstenir de tout commerce avec les subjectz du Roy d'Espaigne et de ne couvrir aulcunement leurs trafficqs par lettres, ny soubz noms empruntez d'aultres merchantz; et néantmoins la dicte Dame a vollontairement offert au dict Sr Chapin d'admettre l'ambassadeur d'Espaigne à parler et traicter avecques elle comme auparavant, sur le moindre mot que le Roy d'Espaigne luy en vouldra escripre.

Je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté et prie Dieu, qu'il vous doinct, etc.

Ce ıve jour de janvier 1570.

La Royne d'Angleterre, outre les susdicts propos, m'a très honorablement parlé, et avec aparance de bonne affection, de Voz Majestez et de Monseigneur vostre filz, et qu'elle avoit avec grand playsir ouy, du filz de Mr Norreys, plusieurs actes généreux et de grand vertu du Roy et de mon dict Seigneur, lesquelz elle luy avoit faict réciter plus de deux foys, sellon qu'il disoit les avoir veuz et les avoir aprins de ceulx qui les sçavoient bien.—Ceulx de ce conseil, et mesmement le comte de Lestre, m'ont faict pryer d'octroyer mon passeport au Sr Barnabé, qu'ilz dépeschent, avec commission de ceste Royne, pour aller recouvrer une grande nef vénicienne, chargée de plus de cent cinquante mil escus de merchandize, qu'on envoyoit en ceste ville, laquelle le capitaine Sores a prinse despuys ung mois; affin que, si le dict Barnabé est rencontré par les gallères ou navyres françoys, ilz ne luy facent poinct de mal. Je ne sçay s'il yra poursuyvre le dict Sores jusques à la Rochelle.

LXXXIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de janvier 1570.—

(Envoyée jusques à Callais par homme exprès.)

Ferme persuasion où l'on est en Angleterre que la paix sera conclue en France.—Nouvelles du Nord et de la Flandre.—Meilleur traitement fait à la reine d'Ecosse.—Crainte des Anglais que le roi, délivré de la guerre civile, ne donne assistance aux Espagnols dans les Pays-Bas pour attaquer l'Angleterre.

Au Roy.

Sire, il est venu adviz à la Royne d'Angleterre, par la voye de la mer, que ceulx de la Rochelle tiennent déjà comme pour conclud le propos qu'ilz vous ont faict requérir de la paix; et, par ainsy, que vostre royaulme s'en va hors de troubles, et vous, Sire, en bon trein de remettre sus fort bien et bientost vos affères, sans qu'il aparoisse que, pour toutes ces horribles guerres passées, il vous y soit advenu aulcune diminution, ny en l'estendue de vostre estat, ny en l'affection de vos subjectz, ains plustôt, une augmentation partout de vostre grandeur; de laquelle le fondement, en cette mesmes division, s'est monstré si ferme qu'on a opinion, s'il est une foys bien réuny, que nulles forces humaines le pourront jamais esbranler. Dont ceste Royne et les siens continuent, à ceste heure, de me fère meilleure démonstration que jamais de vouloir persévérer en bonne paix et amytié avec Vostre Majesté; et n'ont encore dépesché le jeune comte de Mensfelt, ny rien respondu au Sr de Lombres, attendans si la fin du dict propos viendra à bonne conclusion, ou bien s'il sera rompu. Et, cependant, est arrivé ung homme d'Allemaigne, lequel, à ce que j'entans, raporte que le Cazimir ne lève pas encores ses reytres, mais qu'il a distribué, ces jours passés, une somme de deniers aulx capitaines, affin d'estre pretz, quant il les mandera; et il parle aussi des praticques et menées du prince d'Orange.

Les choses d'icy ne monstrent, à ceste heure, guières grand mouvement, estantz ceulz du North séparez et rompuz d'eulz mesmes, ainsy que je le vous ay confirmé par mes précédantes du ııııe de ce moys. Il est vray que, de tant que les deux comtes ne sont au pouvoir de la Royne d'Angleterre ny ne sont pour y estre aiséement livrez, parce qu'on dict que celluy de Northomberland est avec milor de Humes et avec le ser de Farmihirst, comme avecques ses amys; et celluy de Vuesmerland, avec le comte d'Arguil, qui le trette bien; la chaleur de leur entreprinse n'est encores réfroydie aulx cueurs des Catholiques, ny en ceulz des malcontantz; lesquelz demeurent d'ailleurs en quelque espérance du duc d'Alve, par la mesme peur et grande souspeçon qu'ilz voyent que la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil se donnent des aprestz qu'il faict, qui leur sont confirmez par plusieurs secrectes lettres qu'arrivent ordinairement à la dicte Dame des Pays Bas; et mesmes l'asseurent que, despuys le retour du marquis de Chetona, le dict duc s'est résolu de vouloir recouvrer, commant que ce soit, ses deniers, et les marchandises d'Espaigne arrestées par deçà, et que, pour y commancer par quelque bout, il a commandé de consigner toutz les biens des Anglois, qui estoient en Anvers, à certains Gènevois qui ont faict ung party de six centz mil escuz avec le Roy d'Espaigne; dont ceulx cy se préparent, avec grand dilligence, au long de la coste qui regarde vers Flandres, pour résister à ses entreprinses. Je prendray garde à quoy, jour par jour, cella s'acheminera, affin de vous en donner toutjour adviz.

Despuys la dernière instance que j'ay faicte à ceste Royne pour la Royne d'Escoce, elle l'a faicte ramener à Tutbery, en la compaignie du comte de Cherosbery seul; s'en estant celluy de Untington allé, qui a esté du tout deschargé de sa garde, et elle remise en ung peu plus de liberté, avec démonstration à monseigneur l'évesque de Roz de quelque faveur davantaige en ceste court, et d'y mieulx recepvoir ses remonstrances, qu'on n'avoit faict toutz ces jours passez. Ce qui nous remect en quelque espérance que nous pourrons bientost (si nouvel accident ne survient) obtenir une ou aultre provision ez affères de la dicte Dame. Sur ce, etc.

Ce xe jour de janvier 1570.

A la Royne.

Madame, ce qui s'espère de la paciffication des troubles de vostre royaulme ne monstre aporter, à ceste heure, tant de soupeçon à la Royne d'Angleterre ny aulx siens, comme il sembloit que, du commancement, ilz eussent très ferme opinion que la fin de nostre guerre seroit ung commancement à eulx d'y entrer. Il est vray qu'ilz ne sont du tout dellivrez de cette peur, craignantz, à ce qu'ilz disent, que l'estroicte intelligence, que le duc d'Alve a avecques Voz Majestez, vous attire de son party contre l'Angleterre; car, aultrement, il leur semble qu'ilz n'ont guières à le craindre, veu le crédict et faveur de ceste Royne en Allemaigne. Et ainsy, ilz vont temporisant avecques luy, sans admettre ny rejecter aussi les termes de l'accord, espérantz qu'ilz se pourront, dans peu de jours, esclarcyr de vostre cousté, pour sçavoir commant mieulx se conduyre du sien; et n'estantz encores bien asseurez si le propos de la paix prendra bonne résolution en France, ilz tiennent leurs dellibérations en suspens, dillayantz la dépesche du jeune comte de Mansfelt, et leur responce au Sr de Lombres; et pareillement de ne toucher aux affères de la Royne d'Escoce, jusques à ce que leur ambassadeur, Mr Norrys, leur ayt mandé la certitude du tout; et n'ont faict plus grand empeschement à ung courrier du duc d'Alve, qui est arrivé depuys cinq jours, que de l'avoir conduict à la court et visité seulement le dessus de ses pacquetz, lesquels, se doutans bien qu'ilz estoient en chiffre, l'ont renvoyé avec les dicts pacquetz bien cloz à Mr l'ambassadeur d'Espaigne, et luy ont ottroyé passeport pour s'en pouvoir retourner de dellà, bien qu'ilz ne layssent pourtant de vivre toutjour en grande deffiance du dict duc. A l'occasion de quoy ilz dressent de grandes forces et ordonnent beaulcoup de gens de cheval, pistoliers, et renforcent les garnysons tout le long de la coste qui regarde les Pays Bas; sur ce, etc.

Ce xe jour de janvier 1570.

LXXXIIIe DÉPESCHE

—du XVe jour de janvier 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Callais par Olivier Cambernon.)

Efforts que l'on fait en Angleterre pour impliquer le duc de Norfolk et la reine d'Écosse dans la révolte du Nord.—Le comte de Northumberland livré dans sa fuite au pouvoir du comte de Murray.—Mission d'Elphinstone en Angleterre.—Proposition émise dans le conseil de demander l'échange du comte de Northumberland contre la reine d'Écosse.—Préparatifs de guerre faits en Allemagne pour soutenir les protestans de France.—Forces redoutables réunies sur mer par les protestans de France et d'Allemagne.—Négociations de l'Angleterre avec les Pays-Bas.—Motifs politiques qui engagent Élisabeth à soutenir les protestans de France; espoir que cependant la paix ne sera pas troublée.

Au Roy.

Sire, il ne se faict, à ceste heure, aulcune plus grande dilligence par deçà, après avoir esteint l'eslévation du North, que de cercher d'où elle est procédée, et qui sont les principaulx, qui ont heu intelligence avec les deux comtes; en quoy s'engendrent plusieurs malcontantemens et malveuillances qui se descouvrent toutz les jours en plusieurs endroictz et villes de ce royaulme, et se continuent jusques à la court; mesmes semble que, des champs où la guerre estoit, elle se soit transférée ez cueurs et affections des hommes, et dict on que de là procède le retardement de la liberté du duc de Norfolc, lequel aultrement estoit en trein de sortir bientost de la Tour pour estre remis en son logis de ceste ville; mais les divisions et compétances de ceulx du conseil l'empeschent, lesquels veulent monstrer qu'ilz concourent toutz contre la cause de l'eslévation, et, encor que nulz manifestement ne le chargent de rien d'icelle, néantmoins les ungs s'efforcent de l'y trouver embrouillé, et les aultres de l'en déclairer exempt; ny n'est moindre leur contention sur le faict de la Royne d'Escoce, soit pour le regard de la dicte entreprinse du North, ou soit pour ses aultres affères, ès quelz ses amys et serviteurs, qu'elle a en ce royaulme, ne se monstrent, pour chose qui soit advenue, moins fermes en sa faveur, ny aussi ses adversaires moins véhémentz contre elle que auparavant. Et cependant le gouverneur de Barvich a envoyé à la Royne d'Angleterre une lettre du comte de Mora, par laquelle, de tant que la dicte Dame ne l'a vollue communiquer à personne et qu'elle a fait semblant d'y avoir trouvé plusieurs vériffications de l'entreprinse du North, quelques ungs des grandz en demeurent en peyne; et bientost après, est arrivé devers elle le ser Nicollas Elphingston, très familier et inthime du dict de Mora, lequel elle a curieusement et avec grand affection ouy, mais ne se publie encores rien de l'occasion de sa venue, si n'est qu'on dict qu'il a aporté la depposition du comte de Northomberland, lequel estant enfin tumbé ez mains du comte de Mora, il l'a faict mettre dans Lochlevin, où la Royne d'Escoce estoit prisonnière; mais je crains que le dict Elphingston ayt charge de renouveller le propos de consigner la Royne d'Escoce au dict de Mora, moyennant les ostages qu'on luy a demandé, ou bien de fère l'eschange d'elle et du dict comte de Northomberland, ce que je sçay avoir esté déjà proposé en ce conseil, ainsy que je l'avois auparavant bien préveu; mais il semble qu'il ne peult aucunement venir au cueur de la Royne d'Angleterre de le debvoir fère, et y a aulcuns des siens qui ne sont pour le consentyr, tant y a que la pouvre princesse et ceulx, qui portons icy son faict, en sommes en grand peyne; mesmement à ceste heure que le comte de Lestre, lequel a accoustumé de procéder d'une plus honneste et généreuse façon envers elle que les aultres du dict conseil, s'en est, pour quelque occasion (et croy que pour les différans de court), allé en sa mayson de Quilingourt, où, toutesfoys, l'on croyt que la Royne d'Angleterre ne le larra longtemps sans le fère revenir.

J'entendz que ung secrétaire du comte Palatin vient d'arriver, lequel fault que soit passé par Flandres (car la navigation de Hembourg et de Hendein est serrée des glaces jusques en mars) ou bien échappé par la France. Il est allé droict à Vuyndesor, et n'ay encores rien peu aprandre de sa commission, si n'est par ung qui l'a observé en passant, qui a comprins de luy qu'il vient pour avoir de l'argent, ou bien lettre de crédit et de responce à certains juifz qui ont promiz de fornir une somme en Allemaigne, et qu'il est tout certain que le Cazimir et le prince d'Orange ont une armée preste pour entrer en France, à ce prochain primtempz; dont le jeune comte de Mensfelt s'est eslargy de dire, qu'aussitost qu'il arrivera en Allemaigne avec la dépesche de ceste princesse, le dict de Cazimir commancera de marcher; ce que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, lequel j'avois hier à disner en mon logis, m'a confirmé, bien qu'il crainct, si le propos de la paix se conclud en France, que tout cella aille tumber sur les bras du duc d'Alve; et, ce pendant, le capitaine Sores a prins une seconde nef vénicienne, plus riche que la première, et faict on compte que la charge des deux vault plus de trois cenz mil escuz, oultre quatre vingtz pièces de bonne artillerye qu'il y a dedans, et oultre les deulx vaysseaulx, qui sont les deux meilleurs de la mer; de quoy toutz les merchans, tant naturelz que estrangiers, de ce royaulme, demeurent fort scandalizez contre Mr le cardinal de Chatillon, et requièrent ceste Royne d'y pourvoir; mais, ou soit qu'elle et les siens n'ayent moyen de le fère, ou bien que, pour s'exempter de prester de l'argent à ceulx de la Rochelle, ilz leur veuillent permettre de se prévaloir de ceste riche et grande prinse, ilz dissimulent et prolongent les remèdes; et est à craindre que le dict Sores, avec tant de bons et grandz vaysseaulx, et bien artillez, qu'il a à ceste heure, et le Sr de Olain, et le bastard de Briderode, qui en ont ung aultre bon nombre, ne tiennent dorsenavant bien fort subjecte ceste estroicte mer, et mesmes qu'ilz ne dressent quelque entreprinse sur vos gallères; bien qu'on m'a dict, Sire, que le dict de Olain est allé jusques en Allemaigne porter soixante mil escuz au prince d'Orange du butin de ses prinses de mer.

Le Sr Thomas de Fiesque poursuyt d'accomoder icy le faict des deniers et merchandises, prinses et arrestées par deçà sur les subjectz du Roy d'Espaigne, au nom des merchans à qui elles appartiennent, proposant que les deniers, qui sont en espèces, et pareillement ceulx qui proviendront des merchandises, demeurent ez mains de ceste Royne jusques à ung entier accord, en ce qu'elle leur permette de les vandre, et qu'elle leur veuille bailler pour respondant la chambre de Londres, de payer le tout à bons termes, après qu'elle s'en sera servye. Sur ce, etc.

Ce xve jour de janvier 1570.

A la Royne.

Madame, le surplus que j'ay à dire à Vostre Majesté, oultre le contenu en la lettre que j'escriptz présentement au Roy, je le réserve à vous mander par le Sr de La Croix, aussitost que l'ung des miens, qui sont par dellà, sera arrivé, et n'adjousteray icy, Madame, si n'est qu'on parle diversement en ce royaulme de la paix qui se trette en France, estantz ceulx des deux religions en contraires espérances là dessus; sçavoir: les Catholiques, que des grandes et notables victoires, que Monseigneur vostre filz a gaignées, ayt à réuscyr ung accord fort advantaigeux pour nostre religion et très honnorable pour le Roy; et les Protestantz, que monsieur l'Admyral s'estant aulcunement reffect, et près d'estre, dans six sepmaines ou deux moys, secouru du prince Cazimir, n'ayt à quicter rien de ce qui apartient à la leur, ny en l'exercisse, ny en l'establissement d'icelle dans le royaulme; et estiment, les ungs et les aultres, que leur propre faict deppend du succez des choses de dellà; dont, encor que la Royne d'Angleterre et les plus modérez d'auprès d'elle dettestent assés les guerres des subjectz, néantmoins, ceulx qui ont plus d'auctorité et de manyement près d'elle, desirans que la part des Catholiques demeure fort oprimée par deçà, condamnent en toutes sortes l'entreprinse de ceulx du North comme inique, et luy coulorent de quelque équité celle de France et luy persuadent, que du maintien d'icelle deppend la seureté de son estat et du tiltre de son royaulme, et de la légitime qualité de sa personne; laquelle aultrement seroit par les Catholiques tenue illégitime. Ce qui faict, Madame, qu'encor que ceste princesse ayt grand regrect à la prinse de ces deux grandes nefz véniciennes, et qu'elle sente que, pour aulcun respect, il tourne au préjudice de sa réputation que, l'une, en partant d'icy, et l'aultre, en y arrivant, ayent esté prinses en la plaige et quasi dans les portz de son royaulme; néantmoins, pour n'incommoder ceulx de la dicte religion, iceulx de son dict conseil la contraignent de différer et dissimuler le remède, que très volontiers elle donroit aulx merchans; et le secrétaire Cecille a assés soubdain respondu à ceulx qui l'en ont sollicité, que ceulx de la Rochelle avoient guerre contre les Véniciens, parce qu'ilz ont preste de l'argent au Roy; et mesmes, aulcuns à ce propos m'ont interrogé si la Royne de Navarre n'estoit pas en actuelle possession de quelque partie de son royaulme, ayant esté proposé en ce conseil, si, comme Princesse Souveraine, elle ne pouvoit pas déclarer une guerre, après l'avoir jugée juste et légitime. Sur quoy, me doubtant bien pourquoy l'on me faisoit ceste demande, j'ay respondu que la dicte Dame n'a rien qui ne soit, ou mouvant de la couronne de France, ou tenu soubz la protection d'icelle, et ainsy n'ont rien gaigné sur moy de cest endroict.

J'ay receu l'acte de mainlevée, qui a esté faicte à Roan, des biens des Anglois, de laquelle ceste Royne et les siens se sont fort contentez, et ont, de leur part, desjà procédé de mesmes à la restitution des biens que les Françoys ont peu monstrer leur apartenir par deçà, et continuent encores toutz les jours de leur faire justice. Ilz se plaignent seulement de Bretaigne, et suplient Vostre Majesté d'y donner ordre. Il me semble qu'en toutes sortes, ceste Royne et le général de son royaulme veulent persévérer en bonne paix, et ouverte amytié, avecques Voz Majestez Très Chrestiennes; mais que, en particullier, aulcuns passionnez feront toutjour, soubz main, tout ce qu'ilz pourront, et icy, et en Allemaigne, pour ceulx de la Rochelle, et feroient davantaige si, avec vostre authorité, je ne mettois peyne de les empescher. Sur ce, etc.

Ce xve jour de janvier 1570.

LXXXIVe DÉPESCHE

—du XXIe jour de janvier 1570.—

(Envoyée exprès jusgues à Callais par Letorne, estant le sieur de La Croix tumbé malade, dont il est allé à Dieu.)

Intrigues à la cour de Londres; rivalités entre Leicester et Cécil.—Nombreuses exécutions faites par le comte de Sussex à la suite de la révolte du Nord.—Modération du comte de Warwick à l'égard des insurgés qui sont tombés en son pouvoir.—On croit que les Ecossais aideront le comte de Westmorland à rentrer en Angleterre.—Négociation d'Elphinstone.—Crainte que l'on doit avoir en France du côté d'Allemagne.—Sollicitation faite auprès de la reine d'Écosse par le comte de Huntingdon pour qu'elle consente à se marier avec Leicester.—Clauses d'un traité qui lui est proposé pour son rétablissement.—Préparatifs faits par le prince d'Orange contre les Pays-Bas.—Avis donné au roi de divers bruits que l'on fait courir à Londres sur les mésintelligences qui se seraient élevées à la cour de France.—Mémoire secret. Soupçons élevés contre le duc de Norfolk, le duc d'Albe, la reine d'Écosse, et l'ambassadeur de France au sujet de la révolte du Nord.—Menées du duc d'Albe en Angleterre.—Déclaration d'Élisabeth que la reine d'Écosse a formé le projet de s'emparer de la couronne d'Angleterre pour réduire le royaume à la religion catholique.—Proposition faite par l'ambassadeur d'Espagne au roi de France de former une ligue pour rétablir Marie Stuart sur le trône d'Écosse, et la religion catholique en Angleterre.—Conduite qu'a dû tenir l'ambassadeur de France à cet égard.—Projets que l'on doit supposer à l'Espagne.

Au Roy.

Sire, pour l'occasion des troubles du North, la Royne d'Angleterre, au commancement de ceste année, a advisé d'augmenter son conseil d'ung nombre de personnaiges miz à sa dévotion, lesquelz elle a pourveuz d'aulcuns offices qui vacquoient de longtemps, qui ont lieu en son dict conseil, comme est le contrerolleur, trézorier, vychambrelan, et aultres de sa mayson; en quoy la contention n'a esté petite en sa court, entre ceulx qui aspiroient à cella, ou pour eulx mesmes ou pour y en mettre de leur faction, ou bien pour empescher qu'il n'y en entrât plus grand nombre; et est advenu, par le moyen du comte de Lestre, que le sire Jacques Croft a esté faict contrerolleur, bien qu'on ayt cryé qu'il estoit papiste; mais, possible, l'y a t on admiz plus vollontiers pour estre auculnement estimé ennemy du duc de Norfolc, et le Sr de Frocmarthon, qui y prétandoit grandement, a esté du tout descheu pour ceste foys, demeurant comme banny de court; et semble que, pour ces contentions, le comte de Lestre se soyt despuys absenté, et qu'entre luy et le secrétaire Cecille, lequel est en plus grand crédict que jamais, y ayt beaulcoup de simulté, et que néantmoins il ne sera longtemps sans revenir.

Le comte de Sussex poursuyt de fère de grandes exécutions à Durhem et Artelpoul, et aultres lieux de son gouvernement, sur ceulx qui avoient prins les armes, ayant desjà faict pendre, outre ceulx du commun, bien cent personnaiges de qualité, baillifz, connestables ou officiers, et pareillement les prestres qui estoient avec eulx, nomméement le Sr Thomas Plumbeth, estimé homme fort sçavant et de bonne vie, et pense l'on qu'il se monstre aussi véhément, pour effacer le souspeçon qu'on a heu de luy; et, au contraire, le comte de Vuarvich s'y porte fort modestement, lequel a envoyé supplier la Royne d'octroyer rémission à ces pouvres gens, ce que, en partie, elle a concédé; et l'admyral Clinton est demouré encores à Vuodderby, avec mil hommes, pour contenir le pays, et pour empescher que le comte de Vuesmerland, avec l'assistance des Escossoys, ne puisse rentrer en armes en Angleterre, ce que l'on crainct assés qu'il face, parce qu'il est avec le ler de Farnihyrst, affectionné serviteur de la Royne d'Escoce, et que les aultres principaulx de l'entreprinse sont avecques d'aultres seigneurs escossoys, leurs amiz, de ce mesme party; et que aulcuns se sont acheminez à Dumbertran. Le seul comte de Northomberland a esté prins et livré au comte de Mora, qui l'a incontinent faict mettre dans Lochlevyn; et a soubdain dépesché devers ceste Royne le Sr Elphiston, son familier, lequel, à ce que j'entendz, raporte plusieurs choses de la depposition du dict de Northomberland, et plusieurs aultres, pour fère acroyre que la Royne d'Escoce et l'évesque de Roz ont induict le dict de Northomberland de prendre les armes; à quoy semble qu'on n'adjoute grand foy: et, d'abondant, monstre excuser le dict de Mora de ne pouvoir, en bonne conscience, ny sellon son honneur, ny encores sellon les loix du royaulme d'Escoce, rendre icelluy comte, mais par mesme moyen, il faict instance à la Royne d'Angleterre de luy prester, pour chose fort importante au bien des deux royaulmes, une somme d'argent; et tout ainsi qu'on luy donne l'espérance qu'il en pourra avoir, il la donne, encores plus grande, que le dict de Northomberland pourra estre randu, et espère davantaige qu'en le rendant, il se pourra aussi tretter de randre au dict de Mora la Royne d'Escoce: dont il prépare de s'en retourner en grand dilligence devers luy.

Cependant, Sire, nous ne serons paresseulx de luy préparer toutz les obstacles qu'il nous sera possible, et pareillement au secrétaire du comte Pallatin, lequel demande en général assistance de deniers, affin de lever gens pour les secours et deffance de la nouvelle relligion en France, et pour fère une descente contre le duc d'Alve en Flandres; dont aulcuns estiment qu'il ne s'en retournera sans quelque provision, tant y a qu'il ne luy a esté encores respondu sellon son desir. Néantmoins, je vous supplie très humblement, Sire, de fère soigneusement prendre garde aulx mouvemens d'Allemaigne; car l'on tient icy pour chose fort certayne qu'il y a armée preste, et qu'elle n'est pour aller en Flandres, ny pour s'adresser ailleurs qu'en France, tant que la guerre y durera, et que le Sr d'Olain a porté au prince d'Orange plus de six vingtz mil escuz, oultre que les bagues de la Royne de Navarre sont en Allemaigne, et les nefz véniciennes, riches de trois centz mil escus, sont desjà arrivées à la Rochelle; et quant bien ceste Royne ne vouldra rien débourcer, les esglizes protestantes de son royaulme ne lairront pourtant d'y envoyer quelque notable subvention, comme celle de l'année passée, qui fut de cent mil escuz, ny la dicte Dame, quant bien ne le vouldroit, ne le pourra contredire, tant le feu de cette matière est, à ceste heure, ardemment espriz en ce royaulme comme je croy qu'il est de mesmes ailleurs.

La Royne d'Escosse est meintennant à Tutbery, accompagnée seulement du comte de Cherosbery et des siens, qui luy octroyent plus de liberté qu'ilz ne souloyent; elle se porte bien, et encores que plusieurs choses se soyent opposées aulx espérances que nous avions de ses affères, il nous en reste quelques aultres qui, possible, viendront à bon effect; et j'ay desjà quelque adviz que ceux de son party en Escosse prétendent de se mettre bientost en campaigne, remectant, Sire, au Sr de La Croix de vous faire entendre aulcunes aultres particullaritez, sur lesquelles je vous supplie très humblement luy donner foy. Sur ce, etc.

Ce xxıe jour de janvier 1570.

A la Royne.

Madame, par le contenu de la lettre que j'escriptz au Roy, et par l'instruction que j'ay baillée au Sr de La Croix, je fays entendre à Vostre Majesté les principalles choses, qui me semblent regarder meintenant icy l'intérest des vostres; et ne vous diray davantaige, Madame, si n'est que le comte de Huntington, pendant qu'il a esté à la garde de la Royne d'Escosse, l'a si souvant sollicitée de se départir du propos du duc de Norfolc, pour entendre à celluy du comte de Lestre son beau frère, que, pour ne se pouvoir la dicte Dame excuser de quelque responce, elle luy a dict que, pour ceste heure, elle n'avoit rien moins à penser qu'à se marier, et qu'aussi le comte de Lestre avoit bien toute aultre prétencion, avec ce que, si elle contradisoit meintennant au desir de ces seigneurs, qui luy avoient si expressément escript en faveur du duc, elle craignoit fort de les irriter et offancer, et que le comte de Lestre mesmes, qui en estoit l'ung, prendroit une fort mauvaise opinion d'elle. De quoy l'aultre ne se contantant, et la pressant de luy fère une plus particullière responce, elle, enfin, luy a dict tout rondement, que, si la Royne d'Angleterre et les siens, lesquelz luy avoient proposé le duc, ne trouvoient bon que le propos passât en avant, qu'elle estoit toute résolue de n'espouser jamais Anglois. Sur ce il s'est advancé de dire qu'elle faisoit fort bien, car aussi tout ce royaulme inclinoyt à ce desir, et qu'il voyoit que, nonobstant toutz empeschemens, avant ne fût deux ans, elle et le duc seroient maryés ensemble. Puys luy a parlé fort expressément de quatre choses; la première, de tretter conjoinctement, entre l'Angleterre et l'Escosse, de l'establissement de la nouvelle religion; la segonde, de fère une bien seure et perpétuelle ligue entre les deux royaulmes; la troisiesme, de consentyr que, par décrect de parlement, ce royaulme soit, après elle, toutjour transféré aulx mâles plus prochains de la couronne, parce que le dict de Huntington vient de l'estoc d'iceulx; et la quatriesme, que Voz Majestez Très Chrestiennes veuillez depputter aulcuns pour assister, de vostre part, icy, aulx choses qui seront proposées, entre la dicte Dame et ses subjectz, sur la restitution d'elle, et sur le faict du feu Roy d'Escoce son mary. Et a adjouxté que monsieur le cardinal de Lorrayne feroit bien, comme prochain parant, d'intervenir au jugement d'une si grande cause.

Nous sommes après pour sçavoir d'où sont parvenus ces propos, et semble que le dict comte de Lestre ne les advouhe, et que mesmes il pense que la Royne d'Angleterre sera fort courroucée contre le dict Huntington, quant elle les saura, et que tout cella est party de l'invention du secrétaire Cecille. La dicte Royne d'Escoce a tiré ung adviz du dict de Huntington, que le prince d'Orange praticque de fère descendre dix mil Anglois en Flandres, et qu'avec cella, et ce qu'il prépare en Allemaigne, joinct l'intelligence du pays, il espère d'en chasser le duc d'Alve et les Espaignols, ce qui a esté notiffié à l'ambassadeur d'Espaigne. Sur ce, etc.

Ce xxıe jour de janvier 1570.

Aultre lettre a la Royne

(du dict jour, écrite en chiffres).

Madame, parce qu'on publie, icy, à mon grand regrect, qu'il n'y a bon accord entre le Roy et Monsieur, son frère, voz enfantz, et que douze des principalles citez de France s'opposent à ce que Voz Majestez ne puissent aulcunement accommoder, par voye de paciffication, les guerres de vostre royaulme; qui sont deux choses dont Vostre Majesté auroit, de la première, le plus extrême desplaisir, et nous, le plus notable dommaige qui nous pourroit onques advenir; et la segonde seroit pour torner à une fort pernicieuse conséquence contre l'auctorité du Roy, et droictement contre la vostre; mesmes qu'on m'a dict qu'en quelques endroictz du monde l'on faict desjà des desseings là dessus, et que ceste Royne m'en pourra possible toucher quelque mot, je vous suplie très humblement, Madame, me commander ce que j'auray à luy en respondre, ensemble à plusieurs seigneurs de ce royaulme, et mesmement aulx Catholiques, qui envoyent souvant m'en interroger, lesquelz demeurent toutz esbahys et desconfortez de ce que, sept sepmaines a, je n'ay nulles nouvelles de Voz Majestez; ausquelz toutesfoys j'ay bien desjà desnyé l'une et l'aultre de ces nouvelles, comme les tenant toutes deux fort faulces, et sur ce, etc.

MÉMOIRE ET INSTRUCTION de ce que le Sr de La Croix a à dire à Leurs Majestez, oultre le contenu de la dépesche.

De ces troubles du North, qu'encor qu'ilz ayent esté bientost apaysez, néantmoins, parce que, en mesme temps, s'est descouvert qu'en Norfolc l'on avoit entreprins de se saysir des armes, qui estoient ez maysons du duc de Norfolc, et de contraindre le sire Henry Hemart, son frère, d'estre chef d'une troupe de douze mil hommes qui se tenoient prestz pour marcher droict à la Tour de Londres, affin de tirer icelluy duc de pryson; et que, en Galles, les choses ne se monstroient guières plus paysibles, ceste Royne est demeurée en plusieurs doubtes et deffiances de ses subjectz.

Ce qui luy est augmenté par l'opinion, qu'elle a, que l'intelligence du duc d'Alve y soit bien avant meslée, sellon que, par l'examen d'aulcuns du North, qui ont esté exécutez, et de la depposition du comte de Northomberland, laquelle celluy de Mora a envoyée, il semble que cella luy ayt esté confirmé.

En laquelle depposition, oultre que le dict de Northomberland charge les plus grandz de ce royaulme, l'on dict qu'il affirme, qu'ainsy que luy et le comte de Vuesmerland furent en campaigne, l'ambassadeur d'Espaigne et l'évesque de Roz envoyèrent devers eulx ung homme exprès, avec lettres, pour les conforter à leur entreprinse, et leur promettre un prochain secours du duc d'Alve, et pareillement de France, s'ilz se saysyssoient de quelque port.

Duquel acte de l'évesque de Roz la dicte Dame a prins argument que la Royne d'Escoce, sa Mestresse, a bien peu estre mellée en cella, et par conséquent moy à cause d'elle; car, aultrement, elle n'a aulcune conjecture que je m'en soys entremiz, ny que deçà ny dellà la mer il y ayt esté mené aulcune pratique au nom du Roy; et le dict acte n'est suffizant pour luy en fère prendre guières grande opinion, parce qu'il ne se trouve que j'aye rien escript, ny mesmes que j'aye dict une parolle, ny heu aulcune conférance, avec personne qu'elle ayt occasion de souspeçonner.

Elle reçoit assés souvant lettres d'aulcuns siens secrectz serviteurs, qui sont en Flandres, qui l'advertissent que le duc d'Alve prépare des entreprinses contre ce royaulme; et que la plus part de la noblesse d'Angleterre sont de son party; et que plusieurs d'icelle ont desjà receu force escuz au soleil de luy; dont j'entends que milord de Coban, depuys naguières, a envoyé quatre des dictes lettres tout à la foys en ceste court, les deux signées de noms supposez et les aultres non signées lesquelles estant leues; au conseil auquel s'est trouvé le comte de Pembrot, toutz les Protestantz ont incontinent jetté les yeux sur luy, et il a fort hardyment répondu que ceulx qui escripvoient telles lettres estoient toutz meschantz d'accuser ainsy en général la noblesse d'un royaulme, et, s'ilz avoient cueur ny valleur, ilz debvoient nommer ceulx qui ont prinz ces escuz et se nommer eulx mesmes pour le leur maintenir, mais que ce n'estoient que menteries, et que, quant la Royne, sa Mestresse, aura ses subjectz bien uniz, les effortz du duc d'Alve luy seront bien aysés à repousser.

Pour l'occasion de ces advertissements, l'on dict que la dicte Dame et ceulx de son conseil ont advisé de dresser une grand milice, d'envyron quatre vingtz dix mil hommes de pied et trente mil chevaulx en trois endroictz de ce royaulme; sçavoir: trente mil hommes de pied et dix mil chevaulx du costé de France vers le Ouest; aultant en Suffoc, Norfolc et Germue, qui regarde le pays de Flandres; et le tiers restant vers le costé du North contre l'Escoce; de quoy l'on asseure que les rolles et descriptions sont desjà bien avancez, et que surtout l'on s'esforce de dresser grand nombre de pistolliers, et mettre à cheval beaulcoup plus d'hommes qu'on n'a oncques faict de nul aultre règne.

Tout cest ordre est conduict par ceulx de la nouvelle religion, lesquelz, pour l'occasion des victoires du Roy et des batailles que Monsieur, son frère, a gaignées, et des préparatifs du duc d'Alve, et de ce qu'il leur semble qu'il se va trop establissant en Flandres, aussi pour la réduction du nouveau roy et du royaulme de Suède à la religion catholique, et pour le mouvement des Catholiques de ce pays, ilz sont entrez en grandes délibérations, et ont tenu plusieurs conseils comme ilz pourront conserver et maintenir leur nouvelle religion.

Et, bien que ceste Royne n'est d'elle mesme mal affectionnée à la partie des Catholiques, ains seroit pour requérir fort vollontiers la réunyon de l'esglize et ne s'opposer guières à ce qu'elle se fît par ung bon concille; néantmoins les Protestans la retiennent par une véhémente persuasion qu'ilz lui ont donné de la perte de son estat, si elle n'est toujours opposante à l'authorité de l'esglize romaine.

Ce que je conjecture par le propos qui s'ensuyt, lequel elle m'a naguières tenu, c'est qu'elle dict avoir deux grandes occasions de regarder de bien prez au faict de la Royne d'Escoce; l'une, parce que la dicte Dame ne s'est pas attribuée le tiltre de ce royaulme sans une bien profonde dellibération, et sans une fort grande opinion de son droict; l'autre, qu'elle voyt bien que la dicte Dame se veult prévaloir de la division de la religion, et cerche de s'insinuer par là ez cueurs de la noblesse d'Angleterre, et que desjà plusieurs briefz du Pape ont été interceuz, par lesquelz il déclare absoulz ceulx qui cy devant ont obéi à elle, bien que illégitime et scismatique, pourveu qu'ilz veuillent dorsenavant recevoir la Royne d'Escoce pour leur Dame et Princesse. Et a adjouxté qu'on se trompoit bien en cella; car, encor que le feu Roy, son père, eust espousé la Royne, sa mère, à la religion protestante, il a toutesfoys obtenu le rescript du Pape là dessus; par laquelle persuasion des dictz briefz, que je croy estre chose supposée, les Protestants retiennent bien fort le cueur de ceste princesse contre les Catholiques et contre la Royne d'Escosse, bien que j'ay miz peyne de luy en diminuer l'opinion tant que j'ay peu.

Chiffre. [Le premier jour de ceste année 1570, et le xe ensuyvant, monsieur l'ambassadeur d'Espaigne et moy avons esté en conférance en mon logis sur l'estat des choses de ce royaulme, et avons considéré que, puysque les Catholiques n'ont heu le cueur de s'ozer prévaloir de la première prinse d'armes qu'ilz avoient faicte avec une assemblée de quinze mil hommes, où y en avoit bon nombre de pied et de cheval bien armez et en bon équipage, et avec ung assés heureux commancement, sans que les Protestans fussent préparez ny pourveus pour leur résister, qu'il sera bien mal aysé, qu'à ceste heure qu'ilz les ont comme advertys, ilz puissent rien plus entreprendre; et qu'estant, au reste, le duc de Norfolc prisonnier, le comte d'Arondel fort réfroydy, celluy de Pembrot retourné à la court pour servir à ses amys, et conserver ses estatz et les estatz de ses enfans, milor de Lomelé encores en arrest et toutz les Catholiques en général fort inthimidez, qu'il est dangier que les Protestans, qui sont seulz en authorité, viegnent à tumultuer plus que jamais, et mener leurs pratiques, icy et en Allemaigne, et pareillement leurs entreprinses par mer et par terre, plus ouvertement qu'ilz n'ont encores fayct. Dont le dict ambassadeur, après que nous avons heu accordé l'ung à l'aultre ce que chacun de nous avons peu sentir que les dictz Protestans menoient contre l'intérest de nos Mestres, il m'a dit que le sien et pareillement le duc d'Alve avoient une très grande affection que ce royaulme fust réduict à la religion catholique, parce qu'on ne peult espérer que oltraiges et indignitez d'icelluy, tant qu'il demeurera entaché de ceste nouvelle religion; et, de tant qu'il s'asseuroit que le Roy, Mon Seigneur, avoit le semblable desir, il me prioyt fort affectueusement de lui persuader qu'il voulût escripre promptement une lettre au Roy Catholique, son beau frère, par laquelle il luy mît en avant la commune entreprinse d'entre eulx deulx contre l'Angleterre pour la restitution de la Royne d'Escosse, seulement, comme pour cause juste et apartenant proprement à Sa Majesté Très Chrestienne, et en laquelle il le pryât d'y vouloir employer ses forces; ce que le dict ambassadeur asseuroit que le dict Roy, son Mestre, accorderoit de fère plus vollontiers qu'il n'en seroit requis, et qu'après cella, les deux ensemble tinsent leur armement prest pour l'heure que nous, qui sommes sur les lieux, leur manderons; car, si les choses d'Angleterre n'étoient prinses sur le poinct qu'elles se présentent, elles estoient si soubdaines qu'on les perdoit incontinent;

Et que j'advertisse aussi Leurs Majestez Très Chrestiennes d'envoyer promptement devers le comte de Mora, pour le garder de ne randre les comtes de Northomberland et Vuesmerland à la Royne d'Angleterre; et que, pour la confédération que la France a non tant avec la Royne d'Escosse que avec sa couronne et avec toutz les Escossoys, ilz le voloient bien admonester de son debvoir en ce qui se offre, affin qu'il ne face ce tort à l'honneur de ce royaulme, où les dictz comtes ont heu leur reffuge, que de les randre au mandement des Anglois; et que mesmes, pour estre les biens et estats de toutz deux en la terre débattable, ou en celle de la conqueste faicte sur l'Escosse, qu'il se présente occasion, par leur moyen, de la recouvrer.

Ces mesmes choses m'a il faict despuys remonstrer par l'évesque de Roz, lequel toutesfoys ne les a prinses, pour luy mesmes, en suffisant payement de ce que, au nom de sa Mestresse, il a pryé le dict Sr ambassadeur de fère meintenant descendre en Escosse le secours de quatre mil hommes, et cent mil escuz, que le duc d'Alve a mandé avoir toutz prestz pour envoyer aulx deux comtes, s'ilz eussent peu meintenir encores quinze jours les armes; et qu'à cest effect, elle fera passer quelques seigneurs d'Escosse devers le dict duc pour adviser avecques luy de leur descente et réception dans le pays, et, si besoing est, elle envoyera un gentilhomme jusques au Roy d'Espaigne pour avoir son commandement; en quoy le dict ambassadeur a seulement promiz d'en escripre, mais qu'il failloit que, de mon costé, je fisse en dilligence ce qu'il m'avoit dict, et que surtout l'on fût bien advisé de ne toucher entre Leurs Très Chrestienne et Catholique Majestez ung seul mot du faict de la nouvelle religion de peur de mouvoir les Allemans.]

Je n'ay monstré aux dictz sieurs ambassadeur et de Roz que toute bonne affection en ce qu'ilz m'ont proposé, sinon que je leur ay allégué aulcunes difficultez pour les présentes guerres de France, et que, pour le dangier des pacquetz, j'estimois qu'il seroit meilleur que le duc d'Alve envoyât sur le lieu tretter par quelq'un des siens ou bien par Dom Francès [le faict de l'entreprinse contre l'Angleterre] que non que le Roy en escripvît au Roy, son Maistre; et que, d'empescher la reddition des deux comtes, de tant que celluy de Mora s'est monstré trop adversaire de la Royne d'Escosse, mal vollontiers le Roy le vouldra requérir, ny de cella ny d'aultre chose, sans toutesfoys que je leur aye reffuzé, ny accordé aussi d'en rien escripre à Leurs Majestez; vray est qu'auparavant il avoit esté desjà donné tout l'ordre qu'on avoit peu [pour envoyer empescher en Escosse que les deux comtes ne soyent rendus].

L'ambassadeur d'Espaigne a très bonne affection à la religion catholique, et procède fort droictement en tout ce qui est pour l'advancement d'icelle; il fault considérer aussi qu'il peult bien en ces choses estre aultant esmeu du desir qu'il sçayt que le Roy, son Maistre, a de recouvrer l'argent et merchandises de ses subjectz, prinses et arrestées par deçà, et de se vanger des offances receues en cella, et pareillement de celles que le duc d'Alve se sent en particullier fort picqué, pour les indignitez usées à luy mesmes et à ceulx qui sont venuz de sa part, que non de l'intérest de la couronne d'Escosse, ny pour vouloir diminuer la grandeur de celle d'Angleterre, qui est alliée de la maison de Bourgogne; ou bien qu'il cognoist que, si ceste Royne sent que le Roy conviegne avec le Roy d'Espaigne contre elle, qu'elle sera plus facille de se réconcillier avec le duc d'Alve, dont Leurs Majestez Très Chrestiennes adviseront ce qui sera le plus expédiant pour leur service.

Il est bien certain que, despuys le commancement des différans des Pays Bas, et lors mesmement que le Sr d'Assoleville et puys le Sr Chapin Vitelly sont passez de deçà, que ceste princesse m'a toutjour faict sonder de quelle intention le Roy et la Royne seroient en son endroict, affin de s'accommoder avec celle des parties qu'elle cognoistra luy estre de meilleure disposition; de quoy ayant heu cognoissance, et encores quelque adviz, je me suys conduict de telle façon envers elle, que luy donnant bonne espérance du costé de France, sans luy parler toutesfoys qu'en très bonne et advantaigeuse façon des choses d'Espaigne, je l'ay retenue en quelque dévotion envers Leurs Très Chrestiennes Majestez, et je croy qu'elle s'est de tant monstrée plus difficille et contraire au duc d'Alve.

Davantaige conférans le dict sieur ambassadeur et moy noz adviz sur la négociation que faict le secrétaire du comte Pallatin en ceste court, il nous a esté raporté à toutz deux qu'il poursuyt argent affin de lever gens en Allemaigne, tant pour envoyer au secours de ceulx de la nouvelle religion en France, que pour fère une descente contre le duc d'Alve aulx Pays Bas; et de tant que le Sr de Lombres, flamant, qui a esté envoyé icy par ceulx de la Rochelle, sollicite vifvement ce fait au nom du prince d'Orange, le dict ambassadeur l'a pour plus suspect, et me presse pour cela fort vifvement que nous veuillons [induyre conjoinctement noz deux Maistres d'entreprendre promptement quelque chose contre ce royaulme], bien que, à propos du dict prince d'Orange, il m'a dict qu'il sçavoit que ce qu'il préparoit en Allemaigne estoit pour retourner en France. Sur quoy luy ayant respondu qu'il n'avoit receu aucune offance du Roy pour le debvoir fère, il m'a seulement demandé si le Roy ne lui avoit pas confisqué son estat qu'il a en France; à quoy je lui ay respondu que ce n'estoit chose qu'il dût tenir en tant, pour en commancer une guerre, quant bien le Roy le luy auroit confisqué: et, là dessus, il m'a faict ung discours comme si l'Allemaigne n'estoit pour plus luy consentyr de retourner à main armée aulx Pays Bas, mais bien de procurer son retour en ses biens par le pardon et bonne grâce du Roy son Seigneur.

LXXXVe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour de janvier 1570.—

(Envoyée jusques à Callais exprès par Pierre Bordillon.)

Arrivée de Mr de Montlouet à Londres.—Mission dont il est chargé pour l'Écosse; état des affaires dans ce pays.—Projets du comte de Westmorland, qui prépare une nouvelle prise d'armes.—Avantage remporté en Irlande par mylord Sidney.—Espoir d'Élisabeth que les différends avec les Pays-Bas pourront s'arranger à l'avantage de l'Angleterre.—Préparatifs du duc Casimir qui se dispose à entrer en campagne.—Efforts de l'ambassadeur pour empêcher que des secours d'argent soient donnés aux protestans de la Rochelle.—Réclamation de la république de Venise afin d'obtenir la restitution des prises faites par le capitaine Sores.

Au Roy.

Sire, je n'avois rien entendu de la venue de Mr de Montlouet, quant, le xxe de ce moys, il m'a esté mandé de ceste court qu'il avoit desjà passé la mer, et qu'il estoit à Douvres; au quel lieu l'on l'a arresté deux jours et demy, sans luy permettre de passer plus avant; et croy que c'est le filz de Mr Norrys qui, ayant passé avecques luy, et laissé madame de Norrys sa mère à Boulloigne, a advisé les officiers de fère ceste difficulté, afin qu'il eust loysir d'en advertir la Royne sa Mestresse, laquelle a mandé tout aussitost qu'on le laissât venir, monstrant d'estre marrye qu'on l'eust aulcunement retardé. Par ainsy, Sire, il est arrivé en ceste ville le xxıııe, et, le lendemain xııve, nous avons envoyé à Hamptoncourt, où la dicte Dame est à présent, pour demander son audience; laquelle elle nous a incontinent accourdée au xxvıe; mais ceulx de son conseil, qui avoient à se trouver toute ceste sepmaine en ceste ville pour l'ouverture du terme de la justice, la luy ont faicte prolonger jusques à dimanche prochain, qui sera le xxıxe; et semble, Sire, que monsieur Norrys ayt donné adviz à la dicte Dame que le voyage du dict Sr de Montlouet est pour les affères de la Royne d'Escoce, dont elle s'est desjà préparée, ainsy que j'entendz, de la responce qu'elle luy doibt fère; et je doubte assés qu'elle luy veuille accorder de passeport pour aller en Escoce; car, oultre que l'ordinaire souspeçon et jalouzie qu'elle a de l'auctorité de Vostre Majesté en ce pays là luy administre assez inventions pour y trouver toujour quelque excuse, il luy semblera, à ceste heure, qu'elle en ayt une fort aparante pour les troubles naguières suscitez en son pays du North, et pour la retrette qu'ont faict les chefz et autheurs d'iceulx avec leur cavallerye vers ces quartiers de terres débattables d'entre les deux royaulmes; où, à la vérité, l'on dict que le comte de Vuesmerland se va refaysant, et assemblant une trouppe, qui ne sera moindre de quatre mille chevaulx anglois ou escouçoys, lesquels il pourra joindre toutes les foys qu'il vouldra, en moins de quatre jours; et le comte de Northomberland n'est mal tretté du lord de Lochlevyn, qui, encor qu'il soit beau frère du comte de Mora, ne monstre le vouloir randre à la Royne d'Angleterre. Néantmoins, ayant le dict Sr de Montlouet et moy desjà heu communication avec monsieur l'évesque de Roz, nous n'obmettrons rien de tout ce qui se pourra dire et fère, au nom de Vostre Majesté, envers ceste Royne, pour la liberté, restitution et advancement de la Royne d'Escoce, et pour avoir permission de l'aller veoir, et puys de parfère son voyage.

Il est certain que la retrette des comtes de Northomberland et de Vuesmerland n'a tant apaysé les troubles du North, que la dicte Royne d'Angleterre et les siens ne craignent bien fort qu'il se fasse encores une reprinse d'armes, non seulement au mesmes pays du North, où l'exécution de tant de pouvres hommes, qu'on y faict mourir, ne faict qu'endurcyr et aigrir davantage les aultres, mais aussi en plusieurs endroictz de ce royaulme; et que, si ceulx qui se sont retirez en Escoce retournent, la seconde entreprinse sera trop plus dangereuse que la première. Il est vray que ce pendant la dicte Dame se trouve dellivrée de deux aultres grands soucys, l'ung du costé de l'Irlande, et l'aultre des Pays Bas; car milord Sideney luy a mandé qu'en une course, qu'il a faicte sur les saulvaiges au plus fort de l'hyver, lorsqu'ilz s'en doubtoient le moins, il a reprins vingt huict lieux fortz sur eulx, et a ramené de prisonniers cent soixante des plus principaulx des leurs, de sorte qu'il se promect une briefve et fort heureuse yssue de toutz les affères de dellà. Et de Flandres la dicte Dame estime avoir ung bien asseuré adviz que les aprestz du duc d'Alve contre ce royaulme se vont réfroydissant, et vont estre remiz en ung aultre temps; ce qui lui semble estre davantaige confirmé par la dilligence que les Srs Espinola et Fiesque font icy d'accommoder le faict des deniers et merchandises d'Espaigne, bien fort à l'advantaige de la dicte Dame.

Les adviz des aprestz et mouvemens d'Allemaigne continuent en ce que, sans aulcun doubte, le duc de Cazimir sera en campaigne avec cinq mil chevaulx et huict mil hommes de pied, à la fin de febvrier ou au commencement de mars; et que desjà le payement de ses gens pour deux moys est consigné, et que le troisiesme moys se payera le jour qu'il commencera de marcher. L'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, a ung non guières dissemblable adviz, disant ouvertement que c'est pour entrer en France. Néantmoins, son parler monstre qu'il crainct assés que ce soit pour descendre en Flandres, de tant que le prince d'Orange s'entremect beaulcoup de l'entreprinse, et qu'il a esté devers le comte Pallatin à Heldelberc, et puys en poste jusques en Saxe devers le duc Auguste; dont le duc d'Alve a mandé haster la levée que luy faict le duc de Bronsouyc, affin de garnyr tout à temps le Luxembourg de bonnes forces. Tant y a qu'ayant monsieur de Lizy naguières escript que, nonobstant les grandes difficultez qu'il avoit trouvées aux princes protestans, ilz l'avoient enfin asseuré du secours qu'il leur avoit requis, il est à croyre que leur premier effort se fera en France pour ceulx de la Rochelle. Le secrétaire du comte Pallatin, et ceulx qui sont icy pour le prince d'Orange et pour les dicts de la Rochelle, n'ont encore heu résolue responce de ce conseil sur le prest des deniers qu'ilz demandent, et ceste Royne s'en excuse bien fort; mais ceulx qui ont auctorité près d'elle trouvent moyen que son crédit et celluy de son royaulme y peuvent estre de telle façon employez, sans qu'il luy coste rien, que desjà les aultres s'asseurent de tirer de cest endroict cinquante mil escuz; mais ilz incistent à plus grand somme jusques à cent cinquante mille, non sans espérance de l'obtenir, pourveu qu'il n'y aille rien de la bource de la dicte Dame; et ceulx qui mesurent les finances, dont l'on peult avoir quelque notice qu'ilz pourront fère estat ceste année, disent que c'est de cinq à six centz mil escuz. Je mettray peyne de les empescher de ce costé le plus qu'il me sera possible.

Les Seigneurs Magniffiques de la Seigneurie de Venize, qui sont icy, ont obtenu lettres de ceste Royne fort expresses à la Royne de Navarre pour le recouvrement de leurs vaysseaulx et merchandises, et m'ont prié de bailler mon passeport à l'ung d'entre eulx, qui les est allé présenter, affin que si, pour le temps, il estoit contrainct de relascher en France, ou qu'il fût rencontré par aulcuns navyres de guerres de Vostre Majesté en la mer, il puisse tesmoigner de la juste occasion de son voyage au dict lieu de la Rochelle. Sur ce, etc.

Ce xxvıııe jour de janvier 1570.

LXXXVIe DÉPESCHE

—du IIe jour de febvrier 1570.—

(Envoyée par Guillaume de La Porte exprès jusques à Calais.)

Audience accordée par la reine d'Angleterre à Mr de Montlouet et à l'ambassadeur.—Reproche fait par Élisabeth à la reine d'Écosse d'avoir favorisé la révolte du Nord.—Crainte qu'il ne soit permis à Mr de Montlouet ni d'accomplir sa mission vers Marie Stuart, ni de se rendre en Écosse.—Nouvelle de la mort du comte de Murray; mesures prises par Élisabeth pour conserver son influence en Écosse, malgré cet évènement.—Vives instances faites par les protestans de France pour obtenir en Angleterre des secours d'hommes et d'argent.

Au Roy.

Sire, deux jours après ma précédante dépesche, laquelle est du xxvııe du passé, nous avons esté à Hamptoncourt devers la Royne d'Angleterre, à laquelle Mr de Montlouet a présenté voz lettres et reccomendations, et luy a d'une fort bonne et agréable façon récitté le contenu de sa charge, sans rien obmettre de ce qui a esté requis pour dignement luy porter la parolle, et la créance de Voz Majestez, et pour luy faire bien expressément entendre vostre intention sur le faict de la Royne d'Escoce: en quoy la dicte Dame a monstré que la matière luy estoit de bien grande conséquence, mais qu'elle n'estoit encores en guières de disposition d'y entendre pour des occasions, qu'elle a faict semblant d'avoir descouvertes de nouveau contre la Royne d'Escoce et contre l'évesque de Roz, d'aulcunes leurs menées avec le comte de Northomberland sur les derniers troubles du North; et n'a toutesfoys layssé de donner des responses pleynes à la vérité d'indignation envers la dicte Royne d'Escoce, mais de quelque respect envers Voz Majestez Très Chrestiennes, et s'est réservée d'en bailler, dans trois ou quatre jours, de plus amples après qu'elle aura heu le loysir d'y penser.

Le dict sieur de Montlouet luy a faict des remonstrances et réplicques, fort convenables à ce propos, avec instance de luy permettre de visiter la dicte Dame de vostre part, et de passer, puys après, jusques à ses subjectz, pour aulcunes bonnes occasions que Voz Majestez le dépeschent devers elle et devers eulx. A quoy j'ay adjouté ce que j'ay estimé convenir à ceste négociation, sellon celle que j'ay assés continuée jusques icy de ce faict, et sellon les advertissemens du dict Sr évesque de Roz; mais la dicte Dame a remis de respondre au tout, après qu'elle y aura pensé.

Cependant elle a couppé assés court le dict propos, comme si elle s'en trouvoit pressée, pour demander curieusement des nouvelles de Voz Majestez et de celles de la paix. A quoy le dict Sr de Montlouet luy a amplement satisfaict; dont, des propos qu'elle luy a tenuz et de ses responses, et pareillement de ce qu'elle luy a dict sur le faict de la fille de Made de Mouy et sur ce que Mr de La Meilleraye vous avoit escript des désordres qui continuent encores en la mer, je laisse au dict Sr de Montlouet de le vous fère bientost entendre par luy mesmes, s'il ne va plus avant; ainsy qu'il semble qu'à grand difficulté le luy vouldra l'on permettre, ou bien de le vous escripre, si, d'advanture, il accomplit son voyage.

Et seulement adjouxteray icy, Sire, ce que la dicte Dame nous a dict de la mort du comte de Mora, comme en passant par une rue, en la ville de Lithquo, il a esté tué d'ung coup de pistollé, avec quatre balles au travers du corps, par le fils du chérif du dict lieu, lequel est des Amelthons, qui s'est despuys saulvé[2]. Duquel coup la dicte Dame n'a peu dissimuler le regrect qu'elle y avoit, ce qui la nous a (sellon mon adviz) randue moins bien disposée en ceste première audience, sentant possible debvoir advenir beaulcoup de mutation de ceste mort ez choses d'Escoce, et, possible, beaucoup en celles de toute l'isle; dont a dépesché en dilligence le Sr Randol par dellà pour deux occasions principallement; l'une, affin de solliciter l'eslection d'ung aultre régent, qui soit de mesmes disposition envers elle qu'estoit le dict de Mora; et l'aultre, pour empescher que le comte de Northomberland ne soit mis en liberté sur ce changement, et fère beaulcoup d'offres et promesses là dessus.

Ung certain capitaine alleman, nommé Oulfan d'Arnac, est despuys naguières arrivé de la Rochelle; par la venue duquel le jeune comte de Mensfelt haste son partement; et toutz deux sont pretz de s'embarquer pour passer en Allemaigne, affin de se trouver bientost avec le Cazimir; lequel ilz cuydent se debvoir, dans peu de jours, mettre en campaigne; et cependant la subvention des esglizes protestantes de ce royaulme commence à se lever ainsy que je l'avois desjà préveu, et possible que par mes premières, je vous pourray mander combien elle se montera. Sur ce, etc.

Ce ııe jour de febvrier 1570.

A la Royne.

Madame, ayant la Royne d'Angleterre remiz à fère, d'icy à quatre jours, responce à Mr de Montlouet et à moy sur les choses qu'il luy a proposées de la part de Voz Majestez, il n'y auroit guières lieu de vous dépescher ce pacquet jusques alors, n'estoit la nouvelle qui cependant est survenue de la mort du comte de Mora; laquelle je ne vous veulx aulcunement retarder, pour l'aparance qu'il y a que d'icelle ayt à naistre bientost beaulcoup de nouvelletez en Escoce, et possible assés de mutation ez choses de ce royaulme, où ce coup se faict desjà tant sentyr, qu'il semble qu'en la court, et par tout le pays, ung chacun en soit bien fort esmeu; et n'a la dicte Royne d'Angleterre, après l'avoir sceu, différé que bien peu d'heures de dépescher Randolf en Escoce, pour fère en toutes sortes qu'on y substitue ung aultre régent, qui soit pour persévérer aulx mesmes trettez qu'elle avoit avecques le deffunct, avec offres d'argent et de forces pour meintenir l'authorité de celluy qui le sera, et pour empescher que aulcuns estrangiers puissent estre appellez contre luy dans le pays; dont aulcuns estiment que le frère du dict de Mora tiendra meintenant ce lieu. En quoy Vostre Majesté considèrera, au cas que Mr de Montlouet n'ayt permission de passer jusques en Escosse par terre, s'il sera expédiant d'y dépescher ung aultre par mer, qui y puisse arriver avant que les choses y soient establyes à la dévotion des adversaires de la dicte Royne d'Escoce. L'on a adviz icy que Dombertrand a esté avitaillé par deux navyres françoys, dont ne fault doubter que le party de la dicte Dame ne s'en trouve grandement confirmé dans le pays, et je sçay qu'il en faict grand mal au cueur à plusieurs en ceste court. Sur ce, etc.

Ce ııe jour de febvrier 1570.

LXXXVIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de febvrier 1570.—

(Envoyée par Mr de Montlouet s'en retornant devers le Roy.)

Nouvelle audience accordée à Mr de Montlouet.—Refus fait par Élisabeth de lui donner passage.—Motifs qui ont dû l'engager à prendre ce parti.—Arrestation de l'évêque de Ross.—Protestation de la reine d'Angleterre qu'elle veut se maintenir en paix avec le roi, et qu'elle ne donnera aucun secours à ceux de la Rochelle.—Préparatifs faits en Angleterre contre l'Écosse.—Nécessité d'envoyer sans retard, par mer, un député en Écosse, et de ne rien négliger pour arrêter l'exécution des projets des Anglais.—Note remise à Mr de Montlouet sur l'état général des affaires d'Angleterre et d'Écosse.

Au Roy.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre, au boult de huict jours, faict entendre à Mr de Montlouet et à moy, avec quelque aparat, en présence de unze seigneurs de son conseil, touchant les affères de la Royne d'Escoce, que de laysser passer le dict Sr de Montlouet jusques au lieu où est la dicte Dame, et puys de là en Escoce, elle ne le pouvoit meintennant en façon du monde consentyr, pour des occasions, lesquelles, si eussent esté bien sceues, lorsqu'il fut dépesché, elle s'assure que Vostre Majesté ne luy eust donné charge d'y aller; et que de la seurté de la dicte Dame Vostre Majesté pouvoit croyre que, quand la dicte Royne d'Escoce auroit bien machiné de la fère tuer à elle d'ung coup de haquebutte, elle pourtant ne consentyroit jamais qu'on touchât ny à sa vie, ny à sa personne; et que de son bon trettement elle le luy fesoit fère tel et à telz frays qu'elle sçayt que l'Escoce ne seroit pour y fornyr de mesmes. Au regard de sa plus grande liberté et restitution à sa couronne, qu'encor qu'elle n'eust à rendre compte qu'à Dieu seul de ses actions en cella, elle néantmoins les vous feroit entendre par son ambassadeur, ou par ung gentilhomme exprès, avec espérance, que vous les trouverez si équitables, que dorsenavant vous ne seriez tant pour la dicte Royne d'Escoce, que vous ne fussiez aussi pour elle; et de tout ce que, avec ung bien long et préparé discours et avec plusieurs démonstrations, elle a desduict là dessus, le dict Sr de Montlouet le saura trop mieulx représanter à Voz Majestez que je ne le vous sçaurois escripre, vous pouvant asseurer, Sire, qu'il a si vifvement répliqué et tant fermement incisté à la dicte Dame sur toutz les poinctz de l'instruction, que Vostre Majesté luy avoit baillée, qu'il ne s'y peult rien desirer davantaige. Et j'ay adjouxté ce que j'ay peu de plus exprès pour la presser de luy fère meilleure responce; mais le mariage du duc de Norfolc et l'ellévation du North lui sont deux offances si rescentes, lesquelles elle impute à la dicte Dame, et la mort du comte de Mora les luy a tant rafreschies, que nulle sorte d'apareil y peult encores estre bonne; mesmes, sur ce dernier courroux de la mort du comte de Mora, elle a faict resserrer l'évesque de Roz ez mains de l'évesque de Londres, qui sont deux fort différantz personnages, en meurs et en religion, l'ung de l'autre; dont semble qu'il fault qu'avec le temps vienne le remède de ce mal.

Je laisse au dict Sr de Montlouet de vous dire le contantement que la dicte Royne d'Angleterre à monstré avoir de ce que Voz Majestez Très Chrestiennes se sont vollues conjouyr avecques elle sur la paciffication des troubles de son royaulme, et les bonnes parolles qu'elle a dictes en cella, qui toutjour en use de fort bonnes ez choses qui luy sont proposées de Voz Majestez, sinon en ce qu'on luy touche de la Royne d'Escoce; et vous dira pareillement les promesses, qu'elle nous a faictes, de n'assister en aulcune sorte à ceulx de la Rochelle contre Vostre Majesté et sur ce, etc.

Ce xe jour de febvrier 1570.

A la Royne.

Madame, il n'a tenu ny à soing, ny à dilligence, ny à fère bien dignement et expressément entendre, par Mr de Montlouet, à la Royne d'Angleterre les choses de sa charge, ny encores à les avoir bien préparées et sollicitées par Mr de Roz et par moy, aultant qu'il nous a esté possible, que le dict Sr de Montlouet ne raporte une meilleure responce qu'il ne faict sur les affères de la Royne d'Escoce; mais le mariage du duc de Norfolc et l'ellévation du North y font ung très grand obstacle et, possible, y en faict davantaige la mort, naguières survenue, du comte de Mora; laquelle la dicte dame et ceulx de son conseil, qui sont protestantz, monstroient de la prendre plus à cueur que nul aultre accident qui leur eust peu advenir, et sont après à fère plusieurs grandz et nouveaulx desseings là dessus; dont desjà ont mandé renforcer bien fort la garnyson de Barvich, et crains assés qu'ilz veuillent dresser, du premier jour, armée pour l'envoyer par dellà, comme j'en ay quelque sentyment; laquelle survenant en la division, où est à croyre que ce royaulme se trouve meintennant, elle sera pour y fère des effectz, qui seront, par avanture, dommaigables à l'advenir; dont je perciste en ce que, par mes précédantes, j'ay escript que, ne voulant ceste Royne permettre que le Roy et Vous y puissiez envoyer quelqu'un des vostres par terre, qu'il sera bon que y dépeschiez promptement ung personnaige de bonne qualité par mer, qui soit pour moyenner et establyr, avec vostre auctorité, une bonne concorde entre les seigneurs du pays; et les bien disposer de résister aux estrangiers, et y relever le nom de leur Royne; en quoy semble aussi, si Voz Majestez n'y peuvent pour ceste heure envoyer forces, qu'il sera fort à propos que envoyez au moins quelques capitaines, et gens d'entendement et de valleur, qui les saichent bien conduyre. Sur ce, etc.

Ce xe jour de febvrier 1570.

Ce qui s'ensuit a esté baillé à Mr de Montlouet pour luy servyr de mémoyre.

De la communicquation que Mr de Montlouet et moy avons heu ensemble, touchant ses deux instructions, il se pourra servyr de l'ordre d'icelles comme d'ung mémoire, pour tout ce que je luy ay dict sur ung chacun article, affin d'en satisfère Leurs Majestez.

Et l'extraict de la lettre, que j'escriptz au Roy, s'il luy playt de l'emporter, sera pour nous conformer l'ung à l'aultre ez choses que la Royne d'Angleterre nous a respondues sur le faict de la Royne d'Escoce.

De la continuation de la paix;—Il pourra dire que la Royne d'Angleterre monstre d'y vouloir persévérer, et semble que ceulx de la Rochelle ne tireront d'elle aulcun manifeste secours; mais ne fault doubter que, par moyens secrects et soubz aultres prétextes, les siens ne les accomodent, par mer et en Allemaigne, aultant que, sans mettre leur Mestresse à la guerre, ilz le pourront fère.

Le jeune comte de Mensfelt est desjà embarqué, lequel anticipe de deux moys son partement, parce que, par ung navyre venu du North, l'on a sceu que ceste année la mer n'a point gelé; et va descendre en Hendein, dont s'estime qu'à son arrivée en Allemaigne, avec les responces et lettres de crédict d'icy, le Cazimir et le prince d'Orange se mettront incontinent en campaigne. Les dictes lettres, à ce qu'on dict, sont pour trente mil livres esterlin en tout, c'est cent mil escuz, ce que je n'ay encores bien vériffié.

De l'estat des affères de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc;—J'ay monstré à Mr de Montlouet aulcunes petites lettres, qui tesmoignent ce qui en est, et ce qu'ung chacun d'eulx espère particullièrement pour soy, et ce que l'ung espère pour l'aultre.

Et pareillement ce qu'elle, pour son regard, espère du secours de Flandres, et l'instance qu'elle en faict, et ce que luy espère de celluy de France, et comme il presse de le haster.

L'estat des choses d'Escoce.—Ledinthon et milor Herys, hors de pryson, ont relevé avec les principaulx de la noblesse le nom et tiltre de leur Royne.—Le duc de Chastellerault encores prisonnier.—Le comte de Morthon et Lendzey ont juré la vengeance de la mort du comte de Mora.—S'entend que le comte de Northomberland est en liberté. Celluy de Vuesmerland a couru jusques sur quelque garnyson d'Angleterre et l'a surprinse.

La Royne d'Angleterre semble vouloir préparer une armée. Je n'ay poinct argument que ce soit contre la France, sinon par aulcuns adviz de l'année passée que une descente d'Anglois en Picardie doibt concourir, quant le Cazimir conduyra son armée vers ce quartier là, ayant promiz de s'employer à la reconqueste de Callays pour la dicte Dame; à quoy, à toutes advantures, Leurs Majestez feront prendre garde.

La plus grand opinion est que ce sera pour aller en Escoce, affin d'y establyr le comte de Morthon régent, ou bien fère intervenir le comte de Lenoz au gouvernement de l'estat, et de la personne du prince son petit filz; et le maintenir comme son subject en ce sien droict, par toutz les moyens qu'elle pourra, ou bien pour se saysir, si elle peult, du dict petit prince et le transporter en Angleterre; et, possible, pour y fère quelque conqueste; et, en monstrant de vouloir appeller à la succession de son royaulme le dict petit prince, se saysir cependant des deux, le tout par prétexte d'aller contre ses rebelles du North, qui se sont retirez au dict pays.

La détention de l'évesque de Roz et des aultres seigneurs catholiques porte grand empeschement à ma négociation de la liberté et eslargissement; desquelz ne se parle ung seul mot.

Des différandz des Pays Bas, et ce que Espinola et Fiesque en trettent d'ung costé, et ce que l'ambassadeur et Anthoneda en trettent de l'aultre, pareillement ce que Cecille cerche d'en fère mettre en avant par le Sr Ridolfy, et la remonstrance que j'ay faict au dict ambassadeur pour empescher l'accord des deniers.

Du Sr Chapin Vitel.

De ce que Leguens a mandé.

De fère administrer justice en Bretaigne aulx Angloys.

Au cas que la Royne d'Escoce se veuille retirer en France, me mander si Leurs Majestez l'auront agréable, et qu'est ce que j'auray à fère, si elle entreprend de passer en Flandres.

Parler à Monsieur le duc de la pleincte que ceulx ci font qu'on retarde par trop à Paris les passeportz à leur ambassadeur.

LXXXVIIIe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de febvrier 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais, par Olyvier Cambernon.)

Efforts faits en Angleterre pour obtenir le consentement de l'Espagne, afin de disposer des deniers saisis et déposés à la Tour.—Intérêt du roi à l'empêcher pour que cet argent ne serve pas à faire des levées d'hommes contre la France.—Affaires d'Écosse.

Au Roy.

Sire, les choses que Mr de Montlouet a vues, et entendues icy, et celles dont nous avons heu communication ensemble, il les sçaura si bien représenter à Voz Majestez, que je n'entreprendray de vous en toucher icy ung seul mot; seulement je vous diray, Sire, touchant celles qui sont venues à ma cognoissance, despuys qu'il est party, que le voyage qu'il sçayt que Mr le cardinal de Chatillon a faict à Hamptoncourt, le jour de caresme prenant, a esté pour deux occasions; l'une, pour prier la Royne d'Angleterre de permettre à Rouvrey, lequel par fortune de temps est arrivé mallade et blessé à Grènezé, qu'il y puisse demeurer quelque moys pour se guéryr, nonobstant l'estroicte deffance qu'il y a de n'y souffrir aulcun estrangier, ce qu'il a facillement obtenu; et l'aultre occasion est pour très instemment prier la dicte Dame, avec les ambassadeurs des princes protestans, et avec ceulx, qui naguières sont venuz de la Rochelle, qu'elle veuille acquiter, à ce prochain mars, certaine portion d'ung sien debte qu'elle a promiz de payer en Allemaigne, affin qu'ilz s'en puyssent ayder à fère leurs levées, prenant sur eulx la dicte portion du principal avec les intérestz pro rata. Mais à cecy la dicte Dame a respondu qu'elle avoit meintenant tant d'affères en son royaume, qu'elle estoit pour entrer plus tost en nouveaulx empruntz que de payer les vieulx debtes, et qu'il n'estoit possible qu'elle entendît à faire aulcun payement, si elle ne s'aydoit des deniers d'Espaigne, ausquelz elle n'avoit encores touché, attendant qu'il s'y fît quelque bon accord. Sur quoy, se trouvant que Espinola et Fiesque avoient miz en avant une composition au nom des merchans, de laysser les dicts deniers à la dicte Dame, jusques à l'entier accord des différans des Pays Bas, à intérest de dix pour cent pour l'advenir, sans payer rien du passé, et baillant seulement la chambre de Londres et mestre Grassein pour respondans, tant du principal que des dictz intérestz, il se faict une extrême sollicitation que cella s'effectue; et je inciste, de tout ce qu'il m'est possible envers l'ambassadeur d'Espaigne, qu'il le veuille empescher, luy remonstrant que ce sera accommoder d'aultant ceulx qui vous mènent la guerre en vostre royaulme, lesquelz se prévauldront de ces deniers; et il sçayt combien il y court un grand préjudice pour son Mestre: à quoy il m'a promis de fère tout ce qu'il pourra pour l'interrompre, mais il creinct que Albornoz, secrétaire du duc d'Alve, tienne la main à cella pour l'amytié qu'il a avec les dicts Espinola et Fiesque, ou pour avoir receu d'eulx un présent de douze ou quinze mil escuz, ainsy qu'on dict qu'ilz en offrent icy ung aultre de cinquante mil escuz au comte de Lestre et de vingt mil à Cecille. Mais je ne puys croyre que les dicts Espinola, Fiesque et Albornoz mènent ung tel faict, qui touche grandement l'intérest du Roy d'Espaigne, duquel ilz sont subjectz, et bien fort sa réputation et celle du duc d'Alve, pareillement l'offance de son ambassadeur, icy résidant, et des aultres deux ambassadeurs qui, à diverses foys, y ont esté envoyez, ensemble celle qui a esté faicte à leurs navyres, à leurs subjectz et merchandises, sans que le dict Roy Catholique et le duc d'Alve y soient consentans. Et j'ay freschement heu adviz, assés conforme à ce que j'ay dict au dict Sr de Montlouet, que l'on est après de tirer le Roy d'Espaigne hors de l'obligation des merchans, et du risque des dicts deniers; et qu'avec cella, il dissimulera pour ceste foys tout le reste, dont semble estre fort requis, Sire, que Vostre Majesté face instamment requérir le dict duc d'Alve de ne souffrir que les dicts deniers soyent ainsy délayssez à la dicte Dame par la composition des merchans; car, s'il s'y oppose, la dicte Dame n'y ozera toucher, et, aultrement, il est tout certain qu'il en sera envoyé une partie en Allemaigne pour fère les levées; vous suppliant très humblement, Sire, me pardonner, si je vous oze dire que, au poinct où vous et vos affères se retrouvent meintenant, une telle chose n'est aulcunement tollérable au dict duc d'Alve.

Au surplus, il semble que ceste Royne et les siens se veuillent bientost résouldre à l'entreprinse des choses d'Escoce; car ils sont toutz les jours à consulter là dessus, dont je mettray peyne de descouvrir, aultant qu'il me sera possible, leurs dellibérations, et de fère que les partisans de la Royne d'Escoce par dellà en soyent advertys; et suys toutjours d'adviz, Sire, que debvez envoyer promptement ung ou deux personnaiges de bonne qualité par dellà pour confirmer le pays à vostre dévotion, ainsy que ceulx cy y dépeschent de leur part aulcuns de leur conseil, pour le disposer, s'ilz peuvent, à la leur; et cependant j'ay advyz qu'ilz ont mandé armer promptement deux grandz navyres à Bristo, et mettre cent cinquante bons hommes dessus, pour surprendre les deux navyres françoys qui sont allez avitailler Dombertran, ainsy qu'ilz s'en retourneront. A quoy Vostre Majesté advisera du remède qui s'y pourra donner. Sur ce, etc.

Ce xıııe jour de febvrier 1570.

LXXXIXe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de febvrier 1570.—

(Envoyée par Joz, mon secrétaire, exprès jusques à la court.)

Nécessité de se prémunir en France contre l'expédition qui se prépare en Allemagne.—Secours d'argent et de munitions que l'on se dispose à envoyer d'Angleterre à la Rochelle.—État des affaires en Écosse après le meurtre du comte de Murray.—Armement fait à Londres que l'on pourrait craindre de voir diriger contre Calais.—Divisions qui se continuent entre les seigneurs d'Angleterre.—Offre faite au roi de la part d'un seigneur anglais.—Mémoire sur les affaires générales d'Angleterre et d'Écosse.—Regret éprouvé par Élisabeth de la mort de Murray.—Dispositions prises en Angleterre pour mettre le royaume en état de défense, et fournir de l'argent aux protestants de France.

Au Roy.

Sire, ayant miz peyne de vériffier l'adviz que, par mes précédantes, du xıııe du présent, je vous ay mandé touchant certains deniers, qu'on presse la Royne d'Angleterre de fornyr en Allemaigne sur l'acquit de ses debtes, afin que les princes protestans s'en puyssent accommoder au payement de leurs levées, je tiens pour asseuré, (nonobstant que la dicte Dame et les siens facent démonstration toute au contraire, et que Mr l'ambassadeur d'Espaigne, qui n'a moins suspect en cest endroict ce qui s'en pourchasse au nom du prince d'Orange, que moy la sollicitation de ceulx de la Rochelle, n'en ayt encores rien descouvert,) que néantmoins la chose est desjà toute conclue, ainsy que j'ay baillé, par instruction, à ce mien secrétaire, de le fère particullièrement entendre à Voz Majestez; et semble, Sire, que ne debvez plus demeurer sur le doubte si les Allemans descendront ou non, mais vous préparer comme pour leur résister et pour leur empescher l'entrée de vostre royaulme; à laquelle dellibération, de fornyr deniers, j'entans que la dicte Dame a beaulcoup résisté, comme celle qui ne s'en vouloit auculnement despourvoir; mais elle n'a sceu comment enfin s'excuser de n'acquicter son debte et fère tout ensemble playsir à ses amys, sans qu'il luy coste que la seule advance de l'argent qu'elle doibt, dont elle demeure quiete; et néantmoins luy sera dans quelques moys rembourcé. J'ay d'ailleurs envoyé soigneusement enquérir, par les portz de ce royaulme, s'il y auroit aulcun congé, ou permission, d'enlever pouldres et monitions pour la Rochelle; et m'a l'on raporté qu'à la vérité il n'y a nulle expresse permission de cella, mais qu'aulcuns merchans ont bien achapté secrectement des bledz et des chairs en ce pays, et ont faict venir de Nuremberg, de Hembourg et d'Anvers, des pouldres, des armes, des beuffles et choses semblables pour les envoyer à la Rochelle, afin de faire leur profict; à quoy j'essaye bien de les empêcher, mais ils nyent que ce soit pour la Rochelle; néantmoins j'ay adverty ceulx de ce conseil que Vostre Majesté déclairera de bonne prinse tous les vaysseaulx qu'on trouvera retournans du dict lieu. Les choses d'Escoce se racontent en diverses façons, mais l'on tient pour la plus vraye que le comte de Morthon s'est vollu ingérer au gouvernement du pays en qualité de régent; et que plusieurs des grandz s'y sont opposés, et ont si bien relevé le nom de leur Royne que son auctorité y est pour ceste heure la plus recogneue; et que le duc de Chatellerault est encores prisonnier et resserré davantaige pour la souspeçon du murtre du comte de Mora; que Ledinthon est hors de pryson; que les principaulx des deux factions ont convenu de laysser courir, pour ceste heure, le seul exercisse de la religion nouvelle dans le pays, et que pour l'establissement des affères l'on assemblera les Estatz, où s'espère que le retour et restablissement de leur Royne sera requiz.

J'entans que ceulx cy arment plus de vaysseaulx que les deux que j'ay mandé par mes précédantes, tout au long de la coste d'ouest, pour garder que nulz navyres estrangiers puissent aller ny venir en Escoce, espéciallement à Dombertran. Sur ce, etc.

Ce xvııe jour de febvrier 1570.

Je viens, tout à ceste heure, d'estre adverty que ceulx cy sont après à ordonner ung grand armement des navyres de guerre de ceste Royne et aultres de ce royaume, pour une grande entreprinse, qu'ilz veulent exécuter avec intelligence du prince d'Orange, qui les doibt ayder de ses vaysseaulx qu'il a en mer, sous la charge du Sr de Olain et du bastard de Briderode; et espèrent aussi se prévaloir de ceulx de la Rochelle. Aulcuns soupeçonnent que ce soit sur Callais, dont j'ay réouvert le pacquet pour y adjouxter cest article, encor que je ne l'aye plus avant vériffié. J'ay aussi présentement receu les deux dépesches de Vostre Majesté, du xxvııe du passé et du sixiesme d'estuy cy, par un mesme courrier, sur lesquelles je verray bientost ceste Royne, et ne changeray rien pour la venue d'icelles en ceste dépesche.

A la Royne.

Chiffre.—[Madame, la division continue toutjour en ce royaume, et le malcontantement croyt de plus en plus ez cueurs des principaulx et des Catholiques, parce que les gouverneurs, qui sont des moindres et toutz protestans, procèdent insolentement contre eulx; dont ne peult estre que bientost l'altération ne s'en monstre bien grande, et que la cause de la religion, celle de la Royne d'Escoce, celle des seigneurs prisonniers, et encores celle de l'incertaine succession de ce royaulme, qui ont chacune leurs partisans, ne produyse de divers effectz; en quoy je mettray peyne de tenir le nom du Roy le plus relevé que je pourray, et qu'il n'y en ayt point de plus respecté que le sien.

X.... m'est venu trouver, sur les dix heures de nuict, pour me dire que, s'il playt au Roy de le recepvoir, il passera très vollontiers à son service, avec une si bonne entreprinse en main que, quant Sa Majesté la vouldra exécuter, il la trouvera très utille pour sa grandeur, adjouxtant plusieurs occasions de son malcontantement et de celluy des principaulx seigneurs de ce royaulme. Sur quoy, ne saichant s'il venoit pour m'essayer, j'ay respondu que je ne sçavois que le Roy eust aultre intention que fort bonne à l'entretennement de la paix avec la Royne d'Angleterre et avec son royaulme; mais, parce que toutes ses prétencions et desirs ne me pouvoient estre cognuz, je ne fauldrois de l'advertir de ce qu'il me disoit, et qu'il pouvoit bien considérer que Sa Majesté avoit à se douloir, aussi bien que luy, de ceulx qui gouvernoient en ce royaume; et qu'à ceste occasion il le pourroit bien accepter et l'employer à s'en revencher ensemble; dont il m'a dict qu'il viendra, dans quelque temps, sçavoir la responce que Vostre Majesté m'aura faicte]. Sur ce, etc.

Ce xvııe jour de febvrier 1570.

Instruction au Sr de Jos de ce qu'il aura à dire à Leurs Majestez, oultre le contenu de la dépesche.

Ainsy que la Royne d'Angleterre estoit après à esteindre les troubles du North, et à pourvoir qu'ilz ne se peussent plus rallumer; et qu'elle faisoit estat, que d'Escoce, d'où elle heut heu le plus à se doubter, ne luy viendroit que toute faveur et assistance, tant que le comte de Mora y commanderoit, mesmes qu'il tenoit le comte de Northumberland en ses mains; et ne cerchoit sinon comme elle et luy pourroient concourre en ung mesme intérest contre la restitution de la Royne d'Escoce; il n'est pas à croire combien la dicte Dame a vifvement senty la mort du dict de Mora.

Pour laquelle, s'estant enfermée dans sa chambre, elle a escryé, avecques larmes, qu'elle avoit perdu le meilleur et le plus utille amy, qu'elle eut au monde, pour l'ayder à se meintenir et conserver en repos, et en a prins ung si grand ennuy que le comte de Lestre a esté contrainct de luy dire, qu'elle faisoit tort à sa grandeur de monstrer que sa seurté et celle de son estat eussent à dépendre d'ung homme seul.

Et parce que l'avitaillement de Dombertran, la venue de Mr de Montlouet, quelque course du comte de Vuesmerland sur la frontière, et la retrette d'aulcuns Anglois en Escoce, sont advenues en mesme temps, la dicte Dame et ceulx de son conseil sont entrez en grand opinion que les Catholiques de ce pays, avec l'intelligence des estrangiers, ayent mené ceste practique, et qu'il y ayt bien d'aultres entreprinses en campaigne.

Et mesme l'on s'esforce de randre suspect à la dicte Dame le propos de la paix de France, comme si, la faisant, l'on debvoit incontinent luy déclairer la guerre; ce que toutesfoys elle ne se veult ayséement persuader, et pourtant ne peult laysser de la desirer, pourveu qu'il ne s'y conclue rien contre elle, ny trop au désadvantaige de sa religion; affin qu'elle demeure deschargée de tant de demandes et importunités qu'on luy faict pour l'entretennement de ceste guerre.

Mais parce qu'aulcuns luy remonstrent que des exploicts de ceste année a de résulter l'establissement ou la ruine de sa dicte religion, et pareillement le repos ou l'altération de son estat, car ilz conjoignent l'ung avecques l'aultre, j'entendz que la dicte Dame et ceulx de son conseil ont desjà résolu la plus part des choses qu'ilz estiment estre besoing d'y pourvoir, desquelles j'ay sceu en premier lieu:

Qu'ilz ordonnent de continuer la description des forces, que j'ay cy devant mandées, de quatre vingtz dix mil hommes de pied et trente mil chevaux, en trois endroictz de ce royaulme; et que la charge en sera principallement commise aulx Protestans, et qu'on regardera de si près aux Catholiques, qu'on ne leur permettra de se trouver plus de six ensemble, sur peyne de pryson: que les seigneurs, qui sont dettenuz, seront resserrez davantaige, et sera continué d'enquérir contre eulx, mesme a esté parlé de convoquer ung parlement pour trois occasions seulement; l'une, pour avoir deniers; et l'aultre, pour déclairer criminels de lèze majesté ceulx qui se sont ellevez, et leurs adhérans, affin de procéder à leur confiscation; et la troisième, pour confirmer les décrectz de leur religion. Mais de peur que le dict parlement ne veuille toucher à d'aultres choses, il n'est encores résolu de le convoquer; et est, en toutes sortes, si rigoureusement procédé contre les dicts Catholiques, qu'ilz vivent en grand frayeur, dont les Protestans, qui ont toute l'auctorité, pensent que par ce moyen ilz les pourront contenir.

Pour le regard des choses d'Escoce, ayantz faict passer le mareschal de Barvich, et ung capitaine de la mesme garnyson, au dict pays, incontinent qu'on a entendu l'inconvéniant du dict de Mora, affin de relever le party qu'il tenoit, ilz y ont despuys envoyé Randof, et sont après à y dépescher encores Raf Sadeller qui est du conseil, avec lettres à huict principaulx du pays et créance de leur offrir hommes et argent au nom de ceste Royne; et ont donné charge au comte de Sussex de doubler la garnyson de Barvich, dont il emporte commission d'y mettre promptement cinq centz hommes, et trois centz chevaulx de renfort; et, à cest effect, luy a esté baillé douze capitaines de la suyte de ceste court, estimans que la dicte garnyson de Barvich, ainsy renforcée, laquelle sera de mil harquebouziers et six centz chevaulx, avec l'ayde du gardien de la frontière, suffira contre les courses de Vuesmerland, jusques à ce que cest esté, ou plus tost, ils auront dressé armée pour aller courre l'Escoce, affin d'y establyr les choses à leur dévotion, estant l'opinion d'aulcuns qu'ilz se saysiront, s'ilz peuvent, du petit prince du pays; et qu'ayantz la mère et le filz en leurs mains, il leur sera aysé de annuller le tiltre que la mayson d'Escoce prétend à la succession de ce royaulme.

Et ne deffault qui persuade à ceste princesse qu'affin qu'elle ne soit, ny par le costé de France, ny de Flandres, empeschée en ses affères de deçà, qu'elle doibt accommoder les princes protestans en leurs entreprinses de dellà, et leur donner moyen qu'ilz se puissent prévaloir d'aulcuns deniers de ce royaulme, pourveu qu'elle n'en desbource rien; dont j'entens qu'après s'en être quelque temps fort excusée, enfin elle a condescendu de dire à ceulx de son conseil qu'ilz advisent comment cella se pourra fère; dont desjà ont résolu que la dicte Dame payera, dans le moys d'apvril, une partie de ses debtes en Allemaigne, laquelle iceulx princes prendront des mains de ses créditeurs; et encor que les deniers reviegnent toutz à son acquit, ilz luy seront néantmoins remboursez, la moictié des prinses, et l'aultre moictié par les esglizes protestantes de ce royaulme; lesquelles, à ce qu'on dict, ont accordé de bailler quatre vingtz mil escuz dans huict moys, ainsy que de mesmes les aultres esglizes protestantes de France, de Flandres, d'Allemaigne, des Suisses, d'Itallie, et mesmes disent d'Espaigne, contribuent à ceste guerre: dont l'on faict compte que la contribution de toutes ensemble, comprins les dix mil escuz de ceste cy, monte envyron trente mil escuz toutz les moys.

Mais la difficulté est en ce que, sans mettre la main aux deniers d'Espaigne, la dicte Dame ne peut, ny veult payer aulcune portion de ses debtes, ceste année, en Allemaigne, affin de ne se desfornyr d'argent; et ce qui a esté cause de quoy Espinola et Fiesque ont esté mieux ouys sur les offres qu'ilz ont faictes, au nom des merchans Espaignolz et Gènevoys, de laysser les dicts deniers à la dicte Dame, ainsy que je l'ay mandé par mes précédantes. Et j'ay advis qu'on tient cella pour si accommodé, que desjà est ordonné à Me Grassein d'en distribuer quarante cinq mil livres d'esterlin aulx merchans de ceste ville, c'est cent cinquante mil escuz, pour les fornyr, à ce prochain apvril, en Allemaigne, aux dits créditeurs de ceste Royne et vingt mil lt aussi d'esterlin, c'est soixante douze mil escuz, ordonnez pour les affères d'Escoce.

Reste seulement que la dicte Dame demande aus dicts Espinola et Fiesque ung mot de lettre du Roy d'Espaigne, par lequel il advouhe que les dicts deniers sont des merchans, et non siens; ce que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est ici, me promect que son Mestre ne le fera jamais. Aultres estiment que, pour sortyr hors de l'obligation et du risque des dicts deniers envers les merchantz, qu'il ne reffusera de le fère; aultres disent que, ores qu'il ne le face, qu'on ne lairra pourtant d'accorder des dicts deniers avecques les merchans, et s'en ayder en Allemaigne; néantmoins, il sera toutjour bon d'incister au duc d'Alve qu'il empesche le dict accord:

Car il est desjà nouvelles que Quillegrey sera dépesché pour aller porter les lettres de police du dict payement, et pour aller faire semblables offices, ceste année, qu'il fit la précédente envers les princes protestans; dont s'estime, qu'à son arrivée par dellà, plus qu'à celle du jeune comte de Mensfelt, les dicts princes s'esmouveront et commenceront de marcher; et que le dict de Mensfelt n'a emporté que quelques lettres d'acquit, pour vingt mil livres d'esterlin, qui avoient esté desjà prinses sur les bagues de la Royne de Navarre. Par ainsy, il fault fère estat que l'armée de Cazimir yra au secours de ceulx de la Rochelle.

Il semble qu'on ayt vollu imprimer quelque peur à ceste princesse du duc de Olstein, luy donnant entendre qu'il a esté devers le duc d'Alve à Bruxelles pour tretter quelque entreprinse contre elle, et qu'il faict une levée de gens de pied et de cheval vers Hembourg et Osterelan, de quoy elle a certain adviz, et que le duc Ery de Bronzouye a aussi la sienne toute preste; dont, encor que le dict duc d'Alve monstre que son principal prétexte soit pour résister aulx entreprinses du prince d'Orange, néantmoins la jalousie qu'elle s'est donnée de cella, et possible le desir de favoriser les affères du dict prince d'Orange, et les choses advenues par la mort du comte de Mora sont cause dont elle se laysse ainsy aller à la forniture de deniers en Allemaigne; aulcuns estiment tout le contraire du duc d'Olstein, qu'il est pour le dict prince d'Orange, bien m'a l'on dict qu'il y a desjà trois ans que ceste Royne a osté de son estat le dict de Olstein lequel souloit être son pencionnaire.

XCe DÉPESCHE

—du XXIIe jour de febvrier 1570.—

(Envoyée par Hamberlin, chevaulcheur d'escuerye, jusques à la court.)

Audience accordée à l'ambassadeur; communication faite à Élisabeth de l'état des négociations en France pour arriver à la pacification.—Conditions proposées par le roi.—Offre faite par la reine d'Angleterre de sa médiation.—Nouvelle assurance qu'elle n'a donné aucun secours aux protestans de France.—Affaires de la reine d'Écosse.—Élisabeth propose d'accepter la médiation du roi pour ses différends avec Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, pour faire entendre à la Royne d'Angleterre ce qui a passé avec les depputez de la Royne de Navarre, des princes de Navarre, de Condé, et des aultres de leur party, qui vous ont très humblement requiz la paix, je luy ay récité les mesmes bons et bien convenables propos de vostre lettre du vıe du présent, avec ung peu d'expression de l'incroyable débonnaireté et infinye clémence qu'il vous playt user envers eulx, sur toutes les offances, ruynes et dommaiges, que vous et vostre royaulme avez receu de leur ellévation et de leur prinse d'armes; et que si la dicte Dame veult considérer les grâces et concessions que vous leur offrez, je m'asseure qu'elle les estimera, sinon excessives, à tout le moins telles que de plus grandes vous ne leur en pouvez bonnement concéder, sinon que pour les contanter à eulx seulz, Vostre Majesté se vollût par trop se malcontanter soy mesmes, et offancer vos aultres bons subjectz catholiques, qui sont de vostre party, qui ont toutjour suyvy vos intentions, n'ont onques contradict à icelles, ont combattu avecques vous et pour vous, et n'ont rien espargné du leur pour vous secourir; et pareillement offancer bonne partie du reste des Chrestiens, espéciallement les princes, vos alliez et confédérez, qui monstrent avoir intérest en ceste cause pour la religion catholique et pour la souveraine auctorité, qu'ilz desirent estre, l'une et l'aultre, bien conservées en vostre royaulme, comme en ung siège principal de la Chrestienté, en quoy, en lieu qu'ilz vous penseroient avoir regaigné pour bien veuillant et favorable prince, il est à croyre qu'ilz vous trouveroient à jamais offancé, irrité et bien fort ulcéré contre eulx.

La dicte Dame, d'ung visaige bien fort joyeulx et contant, après plusieurs bien bonnes parolles du mercyement, qu'elle m'a prié de vous fère, pour une tant favorable communication du pourparlé de paix avec vos subjectz, a curieusement vollu lire les articles d'icelluy, et j'ay miz peyne de les lui fère trouver plus que raysonnables de vostre costé; et que, si ceulx de l'aultre part se monstrent tant sans rayson qu'ilz ne les acceptent, que Vostre Majesté la prie de les tenir dorsenavant pour ceulx qui ne sont meuz d'aulcun desir de religion, ains d'une pure ambicion d'occuper l'authorité souveraine s'ilz pouvoient; et que, pour le debvoir de l'alliance et bonne amytié, qui est entre Vostre Majesté et la dicte Dame et voz deux couronnes, elle les veuille à jamais exclurre de sa protection, faveur et secours, et nomméement de l'assistance de deniers qu'ilz se vantent debvoir avoir ceste année d'elle ou de son royaulme; et, comme ennemye conjurée contre eulx, se veuille unyr avec Vostre Majesté pour les réprimer, et pour vous ayder de reconquérir sur eulx les droictz souverains, qu'ilz s'esforcent [d'usurper], et donner exemple aux aultres subjectz d'ozer, par prétexte de religion, entreprendre d'usurper sur leurs vrays et naturelz princes et seigneurs.

A quoy elle m'a respondu qu'elle ne doubte aulcunement que, en Vostre Majesté et en celle de la Royne, ne soit le mesmes bon desir que les dicts articles monstrent pour la réunyon et réconcilliation de voz subjectz, et comme elle le loue infinyement, ainsy vous prie elle de croyre qu'elle a grand affection de la veoir bien effectuée; et que, si ceulx de la Rochelle ont de quoy pouvoir, sans contraincte de leur conscience, vivre soubz vostre auctorité, en paix et bonne seurté de leurs vyes et de leurs personnes, elle ne voyt commant ilz le puyssent, ny doibvent reffuzer; dont, si pour la conclusion d'ung si bon œuvre, au cas qu'il y intervienne aulcune difficulté, il vous playt qu'elle s'y employe, elle le fera droictement à l'advantaige deu à Voz Majestez, comme si c'estoit pour le sien propre; et quant à secours, elle peult jurer devant Dieu qu'il n'en est procédé d'elle, ny en argent, ny en aultre chose, dont ilz se puyssent raysonnablement vanter qu'elle leur en ayt baillé contre vous, et qu'elle n'ozeroit jamais lever les yeulx pour me regarder, si, après tant de parolles et de promesses qu'elle m'a faictes vous escripre là dessus, elle venoit meintenant à leur en donner.

J'ay esté en doubte, Sire, comment uzer de ce, qu'en lieu que je l'ay requise de leur estre ennemye, s'ilz n'acceptent les condicions de paix, elle s'est offerte d'en composer les difficultez; dont, sans en rien acepter, je l'ay seulement remercyée, au nom de Voz Majestez, et que je ne fauldrois de le vous escripre, et ay poursuyvy que j'espérois que la mesme responce conviendroit à ce que j'avoys à luy requérir très instantment de vostre part, qu'elle vous vollût tout ouvertement signiffier si une levée de huict mil reystres, qu'on vous a mandé que le duc d'Olstein et le comte d'Endein font pour elle en Allemaigne, est en faveur de ceulx de la Rochelle, ainsy qu'on le vous veult persuader, et qu'il vous semble bien que la dicte Dame doibt ceste franche et claire déclaration à la bonne amytié, que Voz Majestez Très Chrestiennes luy portent, et que le cueur ne vous peult dire que vous ayez en ce temps à espérer actes si ennemys et si contraires du costé de la dicte Dame.

Elle m'a respondu, de fort bonne façon, que Mr Norrys luy a touché ce particullier par ses lettres, et que par lui mesmes elle vous y fera satisfère: cependant me vouloit bien asseurer qu'elle ne faict point fère la dicte levée, et qu'elle ne veult jamais estre estimée Royne, s'il se trouve aultrement; et a passé oultre à me dire qu'il se parle bien de quelque levée à venir, mais qu'elle ne sçayt encores ce qui en est; et, quand elle l'entendra, s'il y a rien contre Vostre Majesté, elle me le fera notiffier.

Je croy que la dicte Dame m'a respondu assés sellon la vérité et sellon son intention en ces deux choses; mais je mettray peyne de mieulx les vériffier, et sur ce, etc.

Ce xxııe jour de febvrier 1570.

A LA ROYNE.

Madame, ayant envoyé me condouloir à Mr le comte de Lestre du peu de satisfaction que la Royne, sa Mestresse, a vollu donner à Voz Majestez Très Chrestiennes, par Mr de Montlouet sur les affères de la Royne d'Escoce, il m'a mandé que je debvois excuser la dicte Dame sur les espouvantables conseilz qu'on luy donnoit, de la subversion de sa couronne et de son estat, si elle ne procédoit encores plus rigoureusement contre elle, ce qui n'estoit aulcunement sellon son cueur; et que, n'ozant de luy mesmes se ingérer de luy en parler, si je luy en voulois escripre une lettre à part, il la feroit si oportunément veoir à la dicte Dame qu'il espéroit que les affères de la dicte Royne d'Escoce s'en porteroient mieulx. Je luy ay escript aulcun peu de motz, lesquelz il luy a monstrez, et elle m'a faict cognoistre, en ma dernière audience, qu'elle les avoit bénignement receuz; lesquelz ont heu tant d'effect qu'elle m'a offert d'elle mesmes que, s'il playt à Voz Majestez mettre en avant ung moyen ou expédiant entre elles deux, qui soit honneste et non préjudiciable à elle ny à sa couronne, ny contraire à son honneur et conscience, qu'elle y entendra très vollontiers; et ainsy m'a elle, une et deux foys, prié de vous le mander. Dont je mettray peyne, Madame, d'entendre là dessus le désir de la dicte Royne d'Escoce, et le conseil, s'il m'est possible, de Mr l'évesque de Roz, lequel est encores bien resserré, pour en user le plus oportunément que je pourray. Cependant il plairra à Voz Majestez m'en commander ung mot par une lettre que je puysse monstrer, et sur ce, etc.

Ce xxııe jour de febvrier 1570.

XCIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour de febvrier 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Callais par Lepecoc.)

Opinion générale répandue en Angleterre que la paix sera prochainement conclue en France.—État des affaires en Flandre.—Incertitude sur les nouvelles d'Écosse; nécessité d'envoyer un prompt secours dans ce pays.—Réclamation des Anglais contre la conduite qui est tenue à leur égard en Bretagne.—Vives instances de Marie Stuart pour obtenir un secours de France.

Au Roy.

Sire, après avoir, le xxe de ce moys, amplement discouru à la Royne d'Angleterre en quel estat estoient demourées les choses avec les depputez de la Rochelle, lorsque Vostre Majesté m'a commandé de luy en parler, et que la dicte Dame m'eust prié de luy laysser le mémoire des condicions que vous leur offriez, lesquelles elle ne fit semblant de les trouver que bien fort raysonnables, et qu'elle ne voyoit plus aulcune difficulté en cella, sinon possible ung peu de l'asseurance, à cause de l'infraction des précédantz traittez, elle manda, le jour d'après, Mr le cardinal de Chatillon pour les luy communiquer; et ne sçay encores, Sire, ce qui en fut débattu entre eulx, sinon qu'on m'a adverty que le dict Sr cardinal dict que la Royne de Navarre, plus de douze jours auparavant, luy en avoit en substance mandé le contenu, à la mesure que les depputez, durant le pourparlé, le luy escripvoient, et qu'il faisoit grand difficulté que la paix se peult conclure là dessus, qu'il ne leur fût en quelque chose mieulx satisfaict, et en quelque aultre plus seurement pourveu. Je mettray peyne de sçavoir si la dicte Dame a trouvé fondement en sa dicte difficulté, veu qu'elle m'a dict que ses plus sçavantz prescheurs maintenoient, par tesmoignages de l'escripture saincte, que nulle eslévation contre son prince, ny mesmes pour la conscience, peult estre juste ny raysonnable.

Il semble qu'on ayt icy assés d'opinion que la paix se conclurra, et néantmoins je n'entendz qu'on révoque l'ordonnance des deniers pour Allemaigne, bien qu'aulcuns estiment que les levées de gens de guerre sont retardées pour attandre quelle fin le dict traitté prendra; et se parle beaulcoup plus, à ceste heure, des aprestz du prince d'Orange que de ceulx de Cazimir, et qu'encores que en Flandres ne s'en face aulcun semblant, que néantmoins le duc d'Alve ne laysse de pourvoir secrectement à ses affères; dont ceulx cy ont quelque adviz de ses aprestz, et mesmes tiennent pour assés suspectz ceulx qu'ilz entendent qu'il faict pour la mer, qui ne peuvent, ce leur semble, estre dressez contre le dict prince; et par ainsy, doubtent que ce soit contre eulx, mais ilz monstrent de ne les craindre guières. La composition des deniers et merchandises, arrestées par deçà sur les subjectz du Roy d'Espaigne, se poursuyt toutjours. Il est vray qu'il semble qu'on attand la responce d'une dépesche, que le duc d'Alve, après le retour du Sr Chapin en Flandres, a faicte au Roy son Mestre sur ceste affère, qui n'est encores venue.

Je ne puys avoir certitude des présentes choses d'Escoce, et semble que le Sr Randolf mesmes, qui est sur le lieu de la part de ceste Royne, ne peult comprendre quelles elles sont, et qu'il en escript confuzément. Le comte de Lenoz se prépare toutjours pour y aller; mais il creinct quelque malle adventure par dellà, et n'ayant la dicte Royne d'Escoce faulte d'adviz en ses propres affères, elle nous a faict tenir celluy que je vous envoye duquel nous mettrons peyne d'en avoir plus grande vériffication; et d'aultant qu'avec icelluy vous verrez, Sire, l'instance qu'elle me prie de vous fère pour son secours, il ne sera besoing de le vous exprimer davantaige, si n'est pour vous dire, Sire, que peu d'ayde à ce commancement vous pourra espargner les frays d'ung grand secours, que possible cy après vous y vouldriez avoir envoyé; lequel, ou n'y pourra lors passer, ou n'y viendra jamais assés à temps. Je ne sçay si, suyvant mes précédantes lettres, ceste Royne vouldra entendre à quelque bon expédiant avec la dicte Royne d'Escoce, elle m'a faict démonstration d'y estre assez bien disposée; mais la dicte Royne d'Escoce a trop d'ennemys en ceste court.

La dicte Royne d'Angleterre m'a faict dellivrer trois Françoys qui estoient prisonniers à Colchester, et m'accorde ordinairement, et fort libérallement, les provisions de justice que je luy demande pour voz subjectz. Il est vray que ceulx de son conseil m'ont faict escripre par le juge de l'admyraulté que, s'il n'est faict rayson à trois Anglois, qui vont pourchasser la restitution de leurs biens à Granville en Bretaigne, qui leur a esté deux et trois foys desnyée, que les Bretons ne s'esbahyssent plus s'ilz n'ont dellivrance des biens qui leur seront prins ou arrestez par deçà; vous supliant, Sire, mander au Sr de La Roche, cappitaine du dict Granville, qu'il les leur face dellivrer, et que dorsenavant Vostre Majesté commande estre mieulx pourveu à l'administration de la justice aux dicts Anglois en Bretaigne, qu'ilz disent qu'ilz n'y en ont heu jusques icy; et sur ce, etc.

Ce xxvıe jour de febvrier 1570.

Sur la fin de la présente m'est venu advis qu'il y a heu rencontre, sur la frontière du North, entre millord Dacres, qui se retirait en Escoce avec quelque troupe, et milord de Housdon gouverneur de Barvich, qui l'a vollu empescher.

Extraict de la lettre de la Royne d'Escoce à Mr l'évesque de Roz, son ambassadeur.

J'ay receu, par ce pourteur, la lettre que m'avez escripte du vıe du présent, et suys fort marrye de vostre emprysonnement, à ceste heure que mes affères ont grand besoing de vous, sur le poinct qu'on m'a dict que le Roy a accordé d'envoyer deux mil hommes en Escoce; je vous prie, sollicitez Mr l'ambassadeur de fère instance à son Mestre qu'il les veuille haster, et advertissez l'arsevesque de Glasco et Rollet, de faire le mesme par dellà. Je vouldrois bien entendre quel secours nous aurons de Flandres. Je crains qu'il sera assés petit, et qu'il viendra bien tard; car j'entends que desjà la Royne d'Angleterre faict lever une armée de douze mil hommes en ce pays, et en veult envoyer, du premier jour, trois mil en Escoce, et puys après, y fère acheminer le reste par mer et par terre, avec intention, comme on dict, d'avoir, ou par moyen, ou par force, mon filz en ses mains, et puys après disposer de ma vie. Mais, si Dieu m'est favorable, comme je n'en doubte poinct, je ne crains poinct cella; néantmoins, je vous prie très affectueusement de le nottifier aulx ambassadeurs, affin que, s'ilz m'ayment et ayment mes affères, qu'ilz procurent de fère envoyer en dilligence le secours en Escoce. Il est bruict que le Roy d'Espaigne est fort mallade, et que le Roy a aultant à fère dedans son royaulme comme auparavant, et qu'il n'a peu fère la paix avecques ses subjectz, dont vous prie m'en faire entendre la vérité.

Extraict d'aultre lettre escripte par la dicte Royne d'Escoce à Jehan Cobert, secrétaire de Mr de Roz, du xıııe febvrier 1570.

Jehan Cobert, si vostre mestre est si estroictement gardé qu'il ne puisse vaquer à mes affères, ne faillez de trouver quelque moyen de me donner toutjours adviz des occurrences, le plus souvent que vous pourrez. Faictes mon excuse à Mr l'ambassadeur de France, si je ne luy escriptz par ce pourteur, car je ne m'ose fyer en luy; supliez le de parler à la Royne pour vostre mestre; et luy dictes que c'est Huntington qui, par malice, a procuré son emprisonnement; car luy mesmes m'a dict qu'il se vengeroit de luy. Priez le aussi, en mon nom, de solliciter le Roy, son Mestre, comme je le mande en l'aultre lettre, de haster le secours; car il peult veoir le grand dangier en quoy mon royaulme et mon filz et moy sommes.

XCIIe DÉPESCHE.

—du dernier jour de febvrier 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Callais, par le sire Crespin de Chaumont.)

Détails circonstanciés de la rencontre qui a eu lieu entre milord Dacre et milord Houston; défaite de milord Dacre qui a été forcé de se réfugier en Écosse.

Au Roy.

Sire, au fondz de la lettre que j'ay escripte, le xxvıe du présent à Vostre Majesté, j'ay faict mention d'ung rencontre naguières advenu vers la frontière du North, du costé d'Escoce, entre millord Dacres et millord de Housdon, subjectz de ce royaulme, de quoy la confirmation est despuys arrivée, qui se racompte ainsy: c'est que ayant la Royne d'Angleterre, pour aulcuns soupeçons du dict millord Dacres, et parce qu'il différoit de venir devers elle, mandé à millord Housdon de l'aller surprendre, le plus secrectement qu'il le pourroit fère, en une sienne mayson, où il s'estoit retiré douze mil près l'Escoce; icelluy Dacres, ayant descouvert l'entreprinse, le jour auparavant qu'elle deust estre exécutée, par l'interception d'aulcunes lettres, où il vit que desjà le dict de Housdon avoit mandé à millord Scrup se trouver en certain lieu avec deux mil hommes, et qu'il s'y rendroit à heure déterminée avec mil chevaulx et cinq centz harquebouziers de la garnyson de Barvich, pour l'aller assiéger, il fit dilligence d'en advertyr incontinent ceux qui estoient en la frontière d'Escoce; et, de sa part, il déliberra d'assembler ce qu'il pourroit des siens pour aller combattre l'une des deux troupes, avant qu'elles se peussent joindre. Et ainsy, en une nuict, il mict ensemble trois mil hommes, et, le matin, alla rencontrer ceulx qui estoient sortys de Barvich, et présenta la bataille au susdict de Housdon; lequel, se trouvant avoir de meilleures gens et mieulx équipés que luy, bien que en moindre nombre, se résolut de le combattre, et néantmoins fit semblant de se retirer, affin d'attirer l'autre en ung lieu estroict, où avec l'harquebouzerye il le deffyt, et luy tua quatre centz des siens, et en print cent ou six vingtz de prisonniers. Et à peine se fût saulvé le dict Dacres mesmes, sans ce qu'il se descouvrit quelques gens de cheval, en compaignie, qui lui venoient au secours, à la faveur desquelz il se retira, avec tout le reste, en Escoce. Quoy qu'il y ayt, Sire, et que ce récit, qui vient de la court, soit à l'advantaige de ceste Royne, elle et ceulx de son conseil sont bien fort marrys de la retrette du dict Dacres, qui est, après le duc de Norfolc, ung des plus principaulz hommes de ce royaulme. Et sur ce, etc.

Du dernier jour de febvrier 1570.

XCIIIe DÉPESCHE

—du IIIIe jour de mars 1570.—

(Envoyée jusques à la court, par le Sr de Sabran.)

Irritation causée à Londres par la nouvelle de l'expédition préparée en France pour porter des secours en Écosse.—Effet produit par cette nouvelle sur la reine d'Angleterre, dont elle change tout-à-coup les dispositions à l'égard de la France.—Résolution d'Élisabeth de porter ses armes en Écosse, et de secourir ouvertement les protestants de la Rochelle.—Mémoire: détails des préparatifs faits sur mer en Angleterre pour empêcher le secours de France d'arriver en Écosse.—Affaires de l'Écosse et des Pays-Bas.—Demande faite par l'Espagne que le commerce avec l'Angleterre soit interdit en France.—Mémoire secret: dispositions des seigneurs anglais, qui sont poursuivis en justice, à soutenir les efforts de la France.—Vives instances du duc de Norfolk pour que la reine d'Écosse soit promptement secourue.—Proposition faite par l'ambassadeur à Leicester d'appuyer de tout le crédit de la France son mariage avec Élisabeth; sous la condition de la restitution de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, je n'avois poinct esté encore plus favorablement ouy de la Royne d'Angleterre, et n'avois point receu d'elle meilleures responces sur les choses, que je luy ay ordinairement proposées de vostre part, despuys que suys par deçà, que en ceste dernière audience du xxe du passé, ny les seigneurs de son conseil ne m'avoient plus privéement traicté, ny ne s'estoient monstrez plus favorables à me parler des affères de ce royaulme que ceste dernière foys; de sorte que je m'en retournay assés satisfaict, et au moins avec quelque opinion que les choses seroient pour aller de bien en mieulx entre Voz Majestez et voz deux royaulmes; mesmes qu'ung du dict conseil passa si avant de me dire que, pour quelques occasions ès quelles la France n'estoit poinct meslée, j'entendrois bientost parler d'ung armement que, longtemps y a, l'Angleterre n'en avoit gecté ny de plus grand, ny de plus brave sur mer; et qu'il ne failloit que j'en prinsse aulcun souspeçon, car tant s'en failloit que ce fût contre Vostre Majesté, qu'il n'y auroit rien qui ne fût à vostre bon commandement: et oultre cella, la dicte Dame me tint lors toutz propos fort bons sur les affères de la Royne d'Escoce, et sur la bonne disposition, en quoy elle estoit, d'entendre à quelque bon expédiant avec elle, s'il playsoit à Vostre Majesté de le mettre en avant.

Par lesquelles choses j'estimay, Sire, que les plus modérez d'auprès de ceste princesse eussent gaigné ung grand poinct envers elle, mesmes que je sceuz, avant que partir de là, que le comte d'Arondel avoit esté mandé en court pour le desir que la dicte Dame monstroit avoir de regarder, avec son conseil et avec sa noblesse, les moyens qu'il luy falloit tenir, tant envers les princes ses voysins que envers ses subjectz, pour maintenir la paix dehors et dedans son royaulme. De quoy les passionnez, qui ont le crédit, monstroient n'estre aulcunement contantz: et voycy, Sire, ce que, deux jours après, leur est venu en main pour divertir le bon cours de ces affères, et pour altérer les choses plus que jamais, c'est que, par les lettres de Mr Norrys et par celles du Sr Randolf, qui en mesme jour sont arrivées de France et d'Escoce, du xxııe du passé, ilz ont eu adviz que Vostre Majesté préparoit d'envoyer ung nombre de gens de guerre en Escoce, qui se doibvent embarquer en Bretaigne le ıııe jour de may prochain; ce qui leur a donné de quoy si bien irriter la dicte Dame et ceulx de son dict conseil que, toutes aultres choses délayssées, ilz se sont miz après à consulter et dellibérer comme ilz pourront empescher ou prévenir ceste vostre entreprinse; dont j'ay baillé une instruction au Sr de Sabran de tout ce que, pour ceste heure, j'ay peu descouvrir de leurs préparatifz et aprestz en cella, ensemble du présent estat des aultres choses de deçà, auquel me remectant, je prieray, etc.

Ce ıve jour de mars 1570.

A la Royne.

Madame, ce n'est de mon gré que je donne à Vostre Majesté des adviz, qui quelques foys sont bien contraires et divers à ceulx que auparavant je vous ay mandez; mais le changement et la contrariété, qui sont assés ordinaires en ceulx de ceste court, me contraignent d'en user ainsy; dont Vostre Majesté, s'il luy playt, m'en excusera sur le soing que j'ay de luy mander leurs actions et dellibérations, ainsi clairement et par le menu, comme, jour par jour, je les puys aprendre et descouvrir. Il n'y a que huict jours que ceste princesse se monstroit bien disposée envers Voz Très Chrestiennes Majestez, et de ne cercher rien tant que de vous contenter et complaire en ce qui luy estoit proposé de vostre part, et de vouloir vivre en grand paix et repos en son royaulme, chose fort sellon sa naturelle inclination; mais, aussitost qu'on luy a raporté qu'il se préparoit en France des gens de guerre pour passer en Escoce, il n'est pas à croyre combien la grande jalousie de sa cousine, laquelle s'est représentée en cella, luy a soubdain faict changer son premier bon propos; et comme, en lieu d'aller par moyens paysibles, ainsy qu'elle disoit, ez choses d'Escoce, elle a proposé meintennant d'y procéder par les armes. La dicte Dame estoit lors après à espargner l'argent, meintennant elle ne parle que d'en despendre; elle cerchoit de payer et à ceste heure d'emprumpter; elle disoit vouloir regaigner par douceur ses subjectz, meintennant elle faict resserrer plus que auparavant ceulx qui sont en prison; et crainctz assés, Madame, que l'affection, qu'elle disoit avoir à la pacification de vostre royaulme, se soit desjà changée à ung contraire désir de vous y nourryr les troubles, si elle peult, comme desjà l'on m'a dict qu'elle est pour se monstrer plus libéralle à promettre secours et assistance à ceulx de la Rochelle, qu'elle n'a faict jusques icy. Je la verray sur la première occasion de quelque dépesche de Voz Majestez, et mettray peyne de notter les particullaritez de ses propos, affin de fère quelque jugement de ses dellibérations. Sur ce, etc.

Ce ıve jour de mars 1570.

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