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Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Troisième

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INSTRUCTION AU DICT Sr DE SABRAN des choses qu'il fault fère entendre à Leurs Majestés, oultre les lettres:

Que la Royne d'Angleterre est bien fort sollicitée d'interrompre la paix de France par aulcuns, qui luy font acroyre, qu'aussitost que le Roy l'aura conclue, il se ressouviendra des mauvais déportemens, dont les Anglois, durant ceste guerre, ont usé, par mer et par terre, à la Rochelle, icy, et en Allemaigne, contre luy; ce qui n'est toutesfoys leur principalle craincte, ains qu'avec la dicte paix s'en ensuyve l'accomodement des affères de la Royne d'Escoce, laquelle ilz cerchent de ruyner, pour préférer à son tiltre, de la succession de ceste couronne, ses aultres compétiteurs qui y prétendent.

Mais comme la dicte Royne parle toutjour en fort bonne façon de la dicte paix, aulcuns m'ont asseuré que, à bon escient, elle la desire, et qu'elle vouldroit en toutes sortes que la querelle des subjectz fût bien esteincte au proffict et advantaige du Roy, ny les affères d'Escoce ne la peuvent mouvoir au contraire, parce qu'elle veult, commant que soit, sortir d'iceulx; et seulement elle crainct que le Roy et le Roy d'Espaigne s'accordent à sa ruyne, car aultrement elle estime bien que, se concluant la paix en France, le Roy recepvra en grâce ceulx de ses subjectz, qui ont senty quelque faveur et support d'elle, et que ceulx là seront toutjour moyen que la dicte paix soit aussi entretenue entre la France et l'Angleterre.

Et la cause de luy fère ainsy souspeçonner, que l'intelligence des deux Roys soit à son dommaige, procède de la bulle; car ne peult croyre que, sans leur consentement, le Pape l'ayt ozé expédier ainsy rigoureuse contre elle comme elle est; joinct que le duc d'Alve se tient à ceste heure trop plus ferme sur l'accord des prinses qu'il ne faisoit, et a monstré une très grande anymosité contre les Anglois par une ordonnance, qu'il a faicte tout de nouveau publier contre eulx; et si, voyent les dicts Anglois qu'il se pourvoyt de beaulcoup plus de forces par mer et par terre, qu'il ne leur semble estre besoing pour la réception ou conduicte de la Royne d'Espaigne; ce qui leur donne occasion de croyre qu'il ayt quelque entreprinse sur ce royaulme; entendans mesmement que le Roy d'Espaigne est fort à bout de ses Mores, et que toutz les Catholiques, qui s'absentent d'icy, vont à recours à luy.

A l'occasion de quoy j'ay prins, entre deux, l'oportunité de fère recepvoir, le mieulx que j'ay peu, à la dicte Dame les honnestes expédians et moyens, que le Roy luy a offertz, sur ce qu'ilz peuvent avoir à démesler l'ung avecques l'aultre; dont semble que enfin elle se lairra conduyre à quelque rayson, et m'a l'on asseuré que, en l'endroit des Françoys, Allemans et Flamans, de la nouvelle religion, qui sont icy, elle a faict, despuys cinq ou six jours, des démonstrations assés expresses qu'elle desiroit la paix de France; et pareillement a monstré, touchant les choses d'Escoce, qu'elle vouloit contanter le Roy; et a commandé à ceulx de son conseil de me donner satisfaction sur les choses raysonnables que je leur pourray demander pour les subjectz de Sa Majesté.

Non que, pour tout cella, je cognoisse que ceulx du dict conseil, qui portent le faict de la religion nouvelle, aillent en rien plus froidz ny plus remiz que de coustume, ny que les principaulx agentz, qui sont icy pour ceste cause, intermettent une seule sollicitation ny dilligence vers eulx, ny à tenir souvant conseil avecques les ministres, pour envoyer lettres et messaigiers de toutz costez et pour recouvrer pollices de crédit pour Allemaigne, ensemble pour pourvoir, par mer et par terre, à tout ce qu'ilz pensent estre besoing pour continuer la guerre, me venans confirmez de plus en plus les adviz, que j'ay desjà mandez, qu'il s'apreste ung nouveau secours d'Allemans pour eulx, et qu'ilz préparent une descente par mer en quelque lieu de Normandie, Picardie ou Bretaigne; dont je crains bien que ung des serviteurs de Mr de Norrys, nommé Harcourt, qui est Françoys, lequel a esté naguières dépesché d'icy vers son maistre, ayt heu commission de passer pour cest effect plus avant jusques en Allemaigne, ou jusques au camp des Princes.

Néantmoins la démonstration de la dicte Dame est, pour ceste heure, de vouloir trop plus entretenir l'espérance des Catholiques en son royaume que d'essayer de la leur rompre, ny de les mettre en aulcune souspeçon des Protestans, ayant par son garde des sceaux, en l'audience du dernier jour du terme passé, faict dire à l'assemblée qu'elle avoit ung très grand regret de veoir que ses subjectz catholiques se monstrassent intimidez pour leur religion, ny qu'il y en eust qui, pour cause d'icelle, s'absentassent, comme ilz faisoient, de son royaulme; et qu'elle les vouloit toutz admonester de bon cueur de déposer ceste peur, et de prendre telle asseurance d'elle, qu'elle n'innoveroit ny permettroit estre innové rien des ordonnances sur ce establyes par ses Parlementz et Estatz, soubz lesquelles son royaulme avoit desjà vescu plusieurs ans en grand repos, et qu'elle n'entendoit en façon du monde que les Catholiques fussent forcez en leurs consciences.

Dont despuys, la dicte Dame, entendant qu'on avoit rigoureusement examiné et tenu assés estroict le sir Jehan Cornouaille, jadis conseiller de la Royne Marie, et trois aultres personnaiges d'assés bonne qualité, qu'on avoit envoyé à la Tour pour estre cognuz affectionnez catholiques, elle s'en est asprement prinse à ceulx qui l'avoient osé fère; et, pour leur fère plus de honte, elle a ottroyé que le dict Cornouaille puysse venir luy baiser la main, pour le renvoyer libre en sa mayson, et a commandé que les aultres soyent tirez de la Tour.

Et, encor qu'on luy ayt vollu imprimer beaucoup de nouvelles souspeçons du comte d'Arondel, de milord Lomeley, du viscomte de Montégu et d'aulcuns aultres seigneurs réputez catholiques, qui, pour ceste cause, s'estoient tenuz retirez, elle n'a layssé de les envoyer quérir avecques faveur; et n'a rejetté les propos que eulx mesmes et d'aultres luy ont meu sur la liberté du duc de Norfolc, nonobstant que, ez quartiers de son duché, ayent esté naguières surprins deux gentishommes, assés familiers et serviteurs de sa mayson, qui pratiquoient de soublever le peuple et se saysir du chasteau de Farlin, qui est la principalle forteresse du pays.

Et semble que le dict duc seroit desjà délivré, sans la compétance où en sont le comte de Lestre et le secrétaire Cecille, lesquelz veulent chacun en avoir tout le gré, et estime l'on que le comte soit marry de ce que n'ayant peu conduyre ce faict avant son partement, il ayt trouvé, à son retour, que le dict Cecille l'avoit bien fort advancé, lequel, à ce que j'entendz, a tenu un tel moyen vers sa Mestresse: c'est de luy avoir persuadé qu'elle debvoit concéder l'eslargissement du dict duc, s'il luy déclaroit par une lettre, escripte et signée de sa main, qu'il confessoit l'avoir offancée en ce que, sans son sceu, il avoit presté l'oreille au mariage de la Royne d'Escoce, bien qu'il eust toutjours estimé que c'estoit pour la seurté d'elle et pour le repoz de son royaulme, mais puysqu'elle n'estimoit qu'il fût ainsy, et qu'il s'apercevoit à ceste heure qu'il estoit assés aultrement, il s'en despartoit entièrement et pour jamais, et promettoit de n'entendre à cestuy, ny à nul aultre mariage, en sa vie, que ce ne fût avec le congé et bonne grâce de la dicte Dame: lequel expédiant je croy qui sera suyvy.

Estant ce dessus escript, j'ay heu adviz comme un pacquet du docteur Mont, agent pour ceste Royne en Allemaigne, estoit arrivé, dez hyer au soyr, par lequel il mande que le Pape faict bien fort presser l'Empereur de commancer la diette et de procéder à la privation et désauthorisation des trois ellecteurs laycs, pour substituer trois princes catholiques à leur lieu; sçavoir: l'archiduc Ferdinand, le duc de Bavière et le duc de Bronsouyc; mais que, se trouvans les aultres accompaignés de dix ou douze mil chevaulx, et le dict Empereur seulement de douze ou quinze centz, il faict grand difficulté de se trouver à la dicte diette.

Et que, par lettres du comte Pallatin venues en mesmes pacquet, le dict sieur comte escript que le Pape s'esforce de troubler l'Allemaigne, ainsy qu'il a troublé le royaulme de France; et que Dieu lui est tesmoing que, de sa part, il desire la tranquillité et le repoz de la Chrestienté et singulièrement du dict royaume, en ce toutesfoys que la paix s'y puisse fère estable et à la seurté de sa religion, aultrement il promect qu'il ne sera rien obmiz de ce qui sera besoing pour réprimer ceulx qui la veulent empescher. Il semble que, sur ceste altération d'Allemaigne, le dict Pallatin s'employeroit assés vollontiers à procurer la dicte paix, dont le Roy pourra essayer de se prévaloir de leurs mesmes divisions, et je mettray peyne de fère sonder icy, parmi les Protestans, s'ilz sentent que d'icelles leur vienne nul retardement ou changement en leurs affères; car j'estime bien qu'on attandra de veoir que pourra produyre ceste diette, qui est si suspecte aux princes protestans, premier qu'ilz se divertissent à nulles aultres entreprinses, et cella donra quelque loysir à Sa Majesté.

DIRA DAVANTAIGE, DE MA PART, A LEURS MAJESTEZ:

Que ne sachant comme la Royne d'Angleterre eust peu prandre ce que Leurs Majestez me commandoient de luy dire, touchant la ligue d'entre la Royne d'Escoce et elle, comme le Roy estoit contant d'y entrer, j'ay estimé que, pour réserver tout l'advantaige à Leurs Majestez, et obvier qu'on n'y puisse rien calompnier, que j'en debvois parler en la façon que j'ay faict:

C'est que j'ay dict à la dicte Dame qu'ayant le Roy entendu les trois poinctz, ausquelz s'estoit restreinct tout le premier pourparlé d'entre les seigneurs du conseil d'Angleterre et l'évesque de Roz; sçavoir: de la religion, du tiltre de ceste couronne et de la ligue; que, quant au premier, de la religion, estant desjà certain ordre receu là dessus en Escoce, lequel la Royne n'a jamais enfrainct, il vouloit tant seulement prier à ceste heure la dicte Dame de ne fère force ny viollance à la conscience de la dicte Royne d'Escoce, ny innover rien en ceste matière qui peult admener plus d'altération au monde qu'il n'en y a:

Et du segond, qui est le tiltre de la couronne d'Angleterre, qu'il desiroit que la dicte Royne d'Escoce luy en fît toute la cession et transport, qu'elle et son conseil estimeroient luy estre besoing pour sa perpetuelle seurté et pour ceulx qui pourroient provenir d'elle:

Au regard du troisiesme, qui concerne la ligue, qu'il ne seroit marry qu'elle se fît entre elles, pourveu que ce ne fût contre luy, ny au préjudice des aultres ligues qu'il a avec la dicte Royne d'Angleterre et son royaume, et pareillement avec la Royne d'Escoce et le sien; et layssay là dessus amplement discourir la dicte Dame et estendre ses responces, sans l'interrompre de rien, ainsy que je l'ay desjà mandé.

Mais reprenant, puys après, le propos, je luy diz que, ayant considéré de moy mesmes combien il sourdoit à toute heure de grandes espines et de nouvelles difficultez en ce faict de la restitution de la Royne d'Escoce, à cause qu'on la luy proposoit toutjours fort suspecte du costé de France, j'avois suplié le Roy de vouloir luy mesmes intervenir en la ligue deffencive, qui se feroit entre elles deux, affin qu'en lieu de se deffyer de luy, elle en print dorsenavant toute asseurance et seurté; et que le Roy m'avoit respondu qu'il le vouldroit bien, mais qu'il ne voyoit pas le moyen commant cella se pourroit fère; toutesfoys, si je le voyois icy sur le lieu, qu'il s'en remettait bien à moy de passer oultre;

Et que je pensoys qu'il avoit regardé à la jalouzie, que les aultres princes en pourroient prendre, et possible encores à la diversité de la religion; dont, de tant qu'il ne m'avoit commandé d'en déclairer si avant à la dicte Dame, et que néantmoins c'estoit chose que je ne pouvois effectuer sans elle, je prenois sa parolle pour garant que le propos seroit réservé et ne passeroit plus avant qu'entre nous deux, ou bien, si elle en vouloit communiquer à son conseil, qu'elle me promettait de ne dire jamais que cella fût procédé de moy.

La dicte Dame, ayant très agréable le dict propos, lequel a esté cause que tout l'affère est retourné en bons termes, et néantmoins, estant marrye que je y allois si réservé, me demanda, trois ou quatre foys, si j'avois poinct pensé nul bon moyen en cella. Je ne luy volluz soubdain respondre, affin de luy en laysser à elle mesmes mettre quelcun en avant; mais enfin je luy diz que celluy que je voyois le plus honeste estoit que la Royne d'Escoce le requist, et que le Roy, pour le bien et considération d'elle, auroit plus grande ocasion d'y entendre: et n'en est encores la chose plus avant.

CXXe DÉPESCHE

—du IXe jour de juillet 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Dièpe par Me Allexandre.)

Arrivée de Mr de Poigny en Angleterre.—Affaires d'Écosse et d'Allemagne.—Nouvelles apportées de la Rochelle; combat de Sainte-Gemme près Luçon.—Déclaration du duc d'Albe que les préparatifs maritimes faits dans les Pays-Bas n'ont d'autre but que d'assurer la conduite en Espagne de la nouvelle reine.

Au Roy.

Sire, estant Mr de Poigny arrivé le ıııȷe de ce moys en ceste ville de Londres, j'ay envoyé, le jour d'après, fère entendre sa venue à la Royne d'Angleterre, et la prier de nous donner audience, laquelle la nous a prolongée jusques aujourduy, dimenche, que nous l'allons trouver à Otland, assés incertains que pourra réuscyr de son voyage; car il semble que la dicte Dame ayt escript à son ambassadeur par dellà qu'il s'estoit trop advancé de vous requérir de l'envoyer, et que desjà il s'est excusé de n'avoir onques pensé de vous parler de telle chose. Et encores est advenu que les Escouçoys ont freschement couru et pillé le bestial en la frontière d'Angleterre, à l'ocasion de quoy le comte de Sussex, non seulement n'a séparé son armée, mais a faict grande instance qu'il luy fût permiz de rentrer encores une foys en Escoce, et a retenu pour ceste occasion quelques jours davantaige à Auvyc le sir de Leviston, que nous envoyons en Escoce. Toutesfoys l'on nous asseure qu'il est meintennant passé; dont n'estant encores les choses qu'en assés bons termes, nous incisterons, aultant qu'il nous sera possible, qu'elles soyent effectuées ainsy qu'on a commancé de les tretter.

Et cependant, Sire, je diray à Vostre Majesté qu'il y a quelque aparance, parmy ceulx de la nouvelle religion qui sont icy, que la nouvelle, qu'ilz ont despuys trois jours d'Allemaigne, leur jette l'espérance de leur secours ung peu plus loing qu'ilz ne pensoyent, entendans comme l'assemblée de Heldelberc s'est séparée; et que le duc Auguste, estant allé devers l'Empereur, luy a parlé en si bonne sorte de l'ocasion qui le pressoit de s'en retourner chez luy, que non seulement l'Empereur le luy a permiz, mais ne luy a reffuzé son excuse, de ne se pouvoir sitost trouver à la diette; et que despuys, le comte Pallatin l'est semblablement allé saluer, qui luy a offert d'intervenir luy mesmes à icelle diette, si les aultres princes y viennent; et que, contre l'opinion qu'on avoit que, pour craincte de ceste assemblée de Heldelberc, le dict Empereur ne passeroit oultre, l'on mande qu'il est arrivé le xvıııe de juing à Espire, accompaigné seulement, oultre ceulx de sa court, du duc Jehan Georges Pallatin, qui monstre de vouloir asprement quereller une quarte part du Pallatinat; et que le dict Empereur est allé descendre à l'esglize principalle, au grand contantement des Catholiques, se descouvrant de plus en plus que icelle diette est principallement indicte pour procéder contre les trois ellecteurs protestans, desquelz n'ayant leur dignité prins aultre origine ny fondement que de l'authorité du Pape, par la bulle jadis sur ce expédiée, il semble n'estre sans rayson que, par la mesmes authorité, puysqu'ilz s'en sont substraictz, joinct celle de l'Empereur, ilz en puissent meintennant estre fort légitimement privez; non que les dicts de la religion se tiennent pour cella moins asseurez que devant d'avoir leur secours, ains plus, à ceste heure qu'ilz disent que, parce que les dits princes ont descouvert ceste entreprinse, ilz se veulent plus évertuer, qu'ilz n'ont encores jamais faict, pour la deffense de la religion; bien pensent qu'affin qu'ilz se puissent mieulx opposer à tout ce qui se pourroit décretter contre eulx, ils vouldront retenir les forces dans le pays jusques à la fin d'icelle diette; et aussi que n'ayantz les draps de ceste dernière flotte d'Angleterre heu encores assés bonne vante en Hembourg, leurs lettres de crédit, qui sont assignées là dessus, n'ont peu estre si tost employées; et le payement est retardé d'ung moys: mais ilz n'intermettent cependant aulcune poursuyte ny dilligence en cella, mesmes qu'on leur a escript que les deniers, pour la levée de Vostre Majesté, sont desjà arrivez par dellà.

Et j'entendz, Sire, que jeudy dernier, arriva ung soldat de la Rochelle, qui magniffie bien fort quelque routte que les Huguenotz ont donnée aulx capitaines La Rivière et Puygaillart près de Lusson[10], où est demeuré, à ce qu'il dict, plus de cinq centz des nostres sur la place, et dix sept capitaines avec plus de deux centz aultres prisonniers; et, sellon les lettres que le dict soldat a apportées, lesquelles ont esté veues en ceste court, le comte de La Roche Foucault, qui estoit party pour s'aller joindre au camp des Princes, s'en est retourné d'Angoulesme, à cause de la blessure du Sr de La Noue, de qui l'on n'espère guyères la guéryson, affin de ne laysser la Rochelle et le pays sans gouverneur; et que le dict sieur comte est après à mettre aulx champs envyron cinq mil hommes de pied et cinq centz chevaulx, avec trois pièces d'artillerye, pour aller reprendre Xainctes, et de là marcher en Brouaige; et que le capitaine Sores estant adverty que deux très riches flottes revenoient des Indes, l'une pour Espaigne, et l'aultre pour Portugal, qui doibvent arriver à ce moys d'aoust, est allé essayer s'il en pourra piller quelque une, ayant, comme il semble, pour ceste occasion remiz l'entreprinse de leur descente, dont vous ay ci devant escript, jusques à son retour; et cependant les vaysseaulx du prince d'Orange et ceulx de quelques pirates françoys, qu'ilz nomment le capitaine Joly, du Mur, Bouville et aultres, ont combattu, vendredy dernier, dans ceste mer estroicte, une flotte de douze grandes ourques, lesquelles, soubz la conserve de deux aultres grandz navyres de guerre, passoient de Flandres en Espaigne, et ont prins l'admyralle et une aultre des plus riches.

Le duc d'Alve a fait déclairer icy par l'ambassadeur d'Espaigne que l'armement, qu'il prépare en Flandres, n'est pour aultre effect que pour conduyre la Royne, sa Mestresse, devers le Roy son mary, avec l'apareil qui convient à une si grande princesse comme elle est, pour le dangier des pirates; ce que j'estime, qu'il a fait expressément pour garder que les Anglois n'arment de leur costé; car ilz ne pourroient, puys après, se tenir qu'ilz n'allassent se présenter en mer au passaige de la dicte Dame, en dangier qu'il y peult survenir quelque accident, ce qu'il veult bien évytter; et a mandé que ceulx qu'il a faict depputer sur le différant des merchandises, sont desjà partys pour venir par deçà. Sur ce, etc.

Ce xıxe jour de juillet 1570.

CXXIe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de juillet 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Dièpe par Jehan Girault.)

Audience accordée par la reine d'Angleterre à Mr de Poigny, envoyé vers elle pour négocier la mise en liberté de Marie Stuart, et son rétablissement.—Nouvelles d'Écosse.—Insistance de l'ambassadeur pour qu'Élisabeth refuse toute protection aux protestans de France, s'ils ne consentent pas à accepter les conditions offertes par le roi.

Au Roy.

Sire, nous avons esté, despuys quatre jours en çà, trouver la Royne d'Angleterre à Otland, laquelle a monstré de recepvoir, avec playsir, les lettres et recommendations, que Voz Majestez lui ont faictes présenter par Mr de Poigny, et l'a receu à luy mesmes bien fort favorablement; dont, après aulcuns bien honnestes propos, de l'ayse qu'elle avoit d'entendre de voz bonnes nouvelles et vostre retour en bonne santé vers les quartiers qui sont plus près d'icy, elle a commancé de lyre assés hault voz lettres; sur lesquelles monstrant de s'esbahyr de l'occasion que luy mandiez du voyage du dict Sr de Poigny, que ce fût à l'instance de son ambassadeur, elle nous a dict, tout clairement, qu'elle n'avoit point donné ceste charge à son ambassadeur, ainsy qu'il se pourroit bien vériffier par la minute des lettres que, despuys deux moys, elle lui avoit escriptes: et le Secrétaire Cecille, lequel elle a appellé là dessus, n'a failly de le confirmer de mesmes.

Puys, elle a suyvy à dire qu'il estoit advenu l'ung de deux; ou qu'on avoit équivoqué sur ce qu'elle avoit accordé que la Royne d'Escoce et moy peussions envoyer ung gentilhomme jusques en Escoce pour voir comme les armes s'y poseraient, et comme elle feroit retirer ses forces hors du pays, ainsy que, pour cest effect, le sir de Leviston estoit desjà par dellà, mais non de fère venir exprès ung gentilhomme de France; ou bien qu'il y avoit de l'artiffice; mais, d'où que peult venir la faulte, elle n'estoit que heureuse, puysqu'elle luy estoit moyen de pouvoir mieulx entendre l'estat et bonne disposition de Voz Majestez.

A quoy ayantz vifvement incisté qu'il n'y avoit, ny pouvoit avoir, nul mescompte ny artiffice de vostre costé, le dict Sr de Poigny a allégué qu'il avoit veu son dict ambassadeur estre longtemps en l'audience avec Voz Majestez à vous discourir et monstrer plusieurs papiers; et que, au sortir de là, vous luy aviez commandé de s'en venir, qui ne pouvoit estre, sans que le dict ambassadeur l'eust ainsi requis. Et a poursuyvy de réciter à la dicte Dame bien particulièrement tout le contenu de sa charge, en si bonne et gracieuse façon, qu'elle a monstré d'en avoir tout contantement.

Il est vray, Sire, qu'elle a commancé de respondre par une plaincte, qu'elle nous a faicte, de l'affection que Vostre Majesté monstre de se souvenir trop plus de la Royne d'Escoce et de ses affères que des bons tours de bonne sœur et vraye amie, qu'elle vous a monstrez en ces troubles de vostre royaulme; mais que pourtant elle ne veult laysser, sur la considération qu'avez heue de n'envoyer voz forces en Escoce, de vous en randre ung bien fort grand mercy, et non moindre pour l'amour de vous que pour l'amour d'elle mesmes, car l'honneur est égal à toutz deux; et qu'au reste, encores qu'on dye que les femmes ont toutjours des responces et deffaictes toutes prestes, qu'elle n'en usera en cest endroict, ains prendra temps pour bien consulter l'affère, affin de nous donner, par après, plus grande satisfaction.

Et ainsy, Sire, nous sommes attandans qu'est ce qu'elle trouvera par son conseil qu'elle nous debvra dire; et, de tant qu'elle nous a touché de l'armement, qu'elle dict estre encores tout prest en Bretaigne, contre l'asseurance que je luy avois donnée que vous l'aviez contremandé, et aussi de quelque personnaige qu'avez freschement dépesché par mer en Escoce; et que, parmy cella, elle nous a ramentu plusieurs offances que la Royne d'Escoce, à ce qu'elle dict, luy a faictes, avec grande deffiance d'elle et de Mr le cardinal de Lorrayne, je ne vois pas que nous soyons encores bien prez de conclurre quelque bon marché entre elles. Tant y a que comme il n'a esté, à mon adviz, rien oublyé de ce qui se pouvoit desduyre en ceste première remonstrance, nous ne dellibérons d'estre moins pressantz en la segonde. Ce poinct, au moins, nous demeure gaigné despuys dix jours, que l'armée de la dicte Dame, suyvant ce que je vous ay cy devant mandé, est entièrement cassée, et ne reste nulles aultres forces en la frontière du North que la garnison acoustumée de Barvich et celle qu'on a layssé dans les deux chasteaux de Humes et Fascastel. Il est vray que, dedans Barvych, demeure ung bien fort grand appareil de guerre, qu'on y avoit desjà préparé pour la généralle entreprinse d'Escoce, et l'armée peult, en bien peu de jours, estre rassemblée. Je ne sçay si le comte de Lenoz aura de mesmes obéy à ce que je vous ay mandé, Sire, qu'on luy avoit escript de se retirer au dict Barvych et de licentier les trois centz Escouçoys qu'on entretenoit près de luy; car, sellon les dernières nouvelles qui sont venues de dellà, il s'entend que le dict de Lenoz estoit encores à Esterlin, le xxvȷe du passé, avec les comtes de Morthon et de Mar, créez lieuctenans du jeune Roy son petit filz, jusques au dixième de ce moys; auquel jour toutz ceulx de ceste faction se debvoient trouver à Lislebourg pour mettre quelque résolution en leurs affères. Ilz ont esté en termes de porter le dict jeune Roy au dict Lislebourg affin qu'avec sa présence ilz peussent recouvrer le chasteau, mais le lair de Granges a respondu que le dict Prince y seroit le bien venu; néantmoins qu'il vouloit demeurer le plus fort dedans, attandant que la Royne sa mère et luy fussent d'accord comme ilz entendroient qu'il en usast. Cependant la dicte Dame a envoyé confirmer à sa dévotion le dict de Granges, et ses aultres bons serviteurs de dellà, par le dict sir de Leviston, qui leur a apporté, de par elle, trois mil escuz, de la somme que je luy ay naguières fornye, affin qu'ilz ayent de quoy se pourvoir des choses qui sont nécessaires pour la garde du dict chasteau de Lislebourg et de celluy de Dombertrand.

Sur la fin de nostre audience, Sire, j'ay faict mencion à la dicte Dame de l'estat auquel sont encores les affères de vostre royaulme, et comme Vostre Majesté, ayant donné ung clair tesmoignage au monde de sa bonne intention à réunyr toutz ses subjectz, et esgallement les conserver, et d'avoir concédé à ceulx, qui se sont ellevez, une si grande satisfaction, pour leur religion et pour leurs affères, et encores pour la seurté de leur personnes, qu'il ne leur reste plus aulcune excuse de ne debvoir poser les armes, ny de quoy pouvoir alléguer à la dicte Dame, ny aulx aultres princes protestans, que vous pourchassiez d'exterminer leur religion, puysque permettez qu'elle ayt cours et exercisse en vostre royaulme; qu'elle veuille donques croyre que vous ne cerchez en ceste guerre que le seul recouvrement de l'obéyssance qu'ilz vous doibvent; et que leur entreprinse, s'ilz passent oultre, ne peult estre dressé que contre vostre estat et authorité; et que n'estantz naiz au pareilh degré d'honneur de Voz Majestez, il est sans doubte que, s'ilz pouvoient avoir quelque advantaige sur vous, que eulx et leurs semblables entreprendroient de fère le mesmes, par toutz les aultres estatz de la Chrestienté, pour y abattre l'authorité et esteindre le sang royal des princes souverains; dont la priez que, s'ilz diffèrent ou reffuzent d'accepter vos honnestes offres, qu'elle les veuille tout aussitost priver de toute faveur et retraicte en ses portz et pays, et employer ses bons moyens, icy et en Allemaigne, et vers les princes protestantz, desquelz ilz attandent leur secours, et partout où elle pourra, par mer et par terre, qu'ilz ne puissent exécuter leurs mauvaises et violantes intentions.

A quoy la dicte Dame m'a respondu que je luy estois tesmoing, que, entre ses meilleurs desirs, elle avoit toutjours heu bien expécial celluy de la paix de vostre royaulme, et qu'elle espéroit que voz subjectz ne se diffameroient tant que de la rejetter, si les condicions estoient telles que je disoys; et que d'autresfoys elle m'avoit dict qu'elle vouloit réserver une oreille aulx raysons que les aultres pourroient alléguer, lesquelz, si n'en avoient de si bonnes qu'ilz se peussent bien excuser de l'obéyssance et déposition d'armes que Vostre Majesté leur demande, qu'elle les tiendroit puys après pour rebelles; et qu'elle croyt que leur longueur vient de ce que les exemples du passé leur font peur; comme encore elle pense que, quant Dieu vous aura donné la paix, l'on ne cessera, avant deux ans, de vous pousser à la guerre, pour oster ceste religion, et mesmes à vous anymer contre ce royaulme comme contre ung coin de terre qui sert de retrette aulx Protestans; ains qu'elle sçayt bien qu'on a vollu imprimer au cueur de Monsieur d'aspirer par ce moyen à quelque couronne, mais qu'elle espère que vostre prudence et la sienne, et vostre modération, résisteront à si mauvais et pernicieulx conseilz; et, quant aulx choses d'Allemaigne, qu'elle m'a naguières adverty de ce que l'Empereur luy en avoit escript, et bientost elle attand lettres de dellà, desquelles elle me fera part, c'est en substance, Sire, ce qui s'est passé en la dicte audience. Sur ce, etc.

Ce xıve jour de juillet 1570.

Tout présentement viennent d'arriver les commissaires de Flandres, que le duc d'Alve a envoyez pour venir visiter les prinses et en fère l'évaluation. Et semble que l'espérance de liberté est prolongée au duc de Norfolc encores pour trois moys.

CXXIIe DÉPESCHE

—du XIXe jour de juillet 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience accordée à Mr de Poigny et à l'ambassadeur.—Refus de la reine d'Angleterre de laisser passer Mr de Poigny en Écosse.—Consentement qu'elle lui accorde de se rendre auprès de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, la Royne d'Angleterre nous a prolongé six jours entiers sa responce, et, le septiesme, elle nous a mandé venir à Otland pour la nous fère, qui y sommes arrivez sur le poinct qu'elle estoit preste d'en desloger, à cause que, la nuict précédante, quelques ungs y estoient mortz si soubdainement qu'on eust souspeçonné que ce fût de peste. Néantmoins s'estans ceulx de son conseil incontinent assemblez, Mr de Poigny et moy avons esté premièrement introduictz vers eulx, et ilz nous ont faict entendre par milor Chamberlan ce qui s'en suyt:

Que la Royne, leur Mestresse, ne voulant aulcunement contradire la parolle de Vostre Majesté, en ce que mandiez avoir dépesché Mr de Poigny vers elle, sur l'instance que son ambassadeur vous en avoit faicte, elle a estimé avoir occasion de vous en remercyer, comme elle faict de bon cueur; mais qu'elle vous prie, Sire, de croyre que son ambassadeur n'a poinct heu ceste charge; et, quant à celle, qu'avez donnée au dict Sr de Poigny, d'assister par deçà au tretté qui se fera entre elle et la Royne d'Escoce, encor que ce soit chose apartenant à elles deux, où nul aultre qu'elles et leurs subjectz n'ont que voir, et où l'arbitrage ny l'authorité de nul aultre prince n'est requise, néantmoins elle est contante que, luy ou moy, ou toutz deux ensemble, interveignons pour Vostre Majesté en ce qui s'y fera, comme en ung acte qu'elle veult vous estre tout clair et cogneu; et au regard d'aller visiter la Royne d'Escoce, qu'ilz layssoient à la Royne, leur Mestresse, d'en tretter avecques nous; mais, quant à passer plus avant jusques en Escoce, de tant que cella leur sembloit debvoir plus aporter d'empeschement que de proffict au tretté, et possible engendrer de grandes difficultez en tout l'affère, comme desjà ung pareil exemple les en avoit faictz saiges, qu'ilz avoient tout librement dict à la dicte Dame, qu'il n'estoit besoing qu'elle l'y layssât passer; à cause de quoy ilz prioient Vostre Majesté de trouver bon que, pour n'interrompre ung si bon œuvre, il se déportast entièrement d'y aller.

A quoy ayant le dict Sr de Poigny fort particullièrement et bien respondu, et s'estant principallement arresté à ne debvoir estre aulcunement empesché de passer en Escoce, par des raysons très aparantes, qu'il leur a sagement et fort vifvement remonstrées; et y ayant aussi fort fermement incisté de ma part, avec prière qu'ilz le vollussent acompagnier d'ung aultre gentilhomme des leurs pour pouvoir esclayrer ses actions, affin de n'en prendre point de deffiance, nous les avons fort pressez de n'uzer en chose de si petite importance, laquelle n'estoit que pour leur proffict, d'aulcun reffuz qui vous peult ou mal contanter, ou préjudicier à la liberté des trettez.

Sur quoy iceulx seigneurs, ayantz de rechef miz l'affère en dellibération, nous ont, par le secrétaire Cecille, présens toutz les aultres, faict dire que, considéré que en ceste cause les personnes qui y interviennent sont Vostre Majesté, la Royne leur Mestresse et la Royne d'Escoce, sçavoir: les deux comme principalles en intérest, et Vous, Sire, comme allyé fort estroit à l'une, et en bonne amytié avecques l'aultre; et que la matière touche principallement à leur Mestresse comme invahye en son tiltre, et au nom, armes et enseignes de son estat, par la Royne d'Escoce; laquelle n'a jamais vollu, quelque dilligence qu'on en ayt sceu fère, aprouver le tretté sur ce faict avec ses depputez, bien que légitimement authorisez du feu Roy son mary, vostre frère, non sans indignité de ceste couronne: considéré aussi que ceulx, qui tiennent son party en Escoce, non seulement ont retiré les rebelles d'Angleterre, ains se sont joinctz avec eulx pour venir assaillyr ce royaulme, et que, nonobstant tout cella, ainsy que les choses estoient en termes de quelque modération entre le comte de Sussex et les Escossoys, au moys d'apvril dernier, survenant là dessus ung gentilhomme françoys, tout fut interrompu, et commancèrent incontinent ceulx du dict party de la Royne d'Escoce de tumultuer et de devenir si insolantz, que le dict de Sussex fut contrainct de exploicter ses forces contre eulx; et encores tout freschement le sir de Leviston n'a esté sitost par dellà que ceulx de la frontière d'Escoce n'ayent incontinent entreprins de courre et piller celle d'Angleterre: considéré aussi que le dict sir de Leviston sera en brief de retour avec les aultres depputez du royaulme, lesquelz, si ne sont desjà partys, sont si près de le fère, que le mieulx qu'adviendroit au dict Sr de Poigny seroit ou de les faillyr en chemyn, ou de les rencontrer en lieu, d'où possible ilz ne vouldroient passer plus avant, jusques à ce que sa légation fût entendue de ceulx qui les envoyent, qui seroit d'aultant retarder la besoigne; joinct que; tant plus nous incisterions au dict voyage, plus nous le leur rendrions suspect, et leur donrions à penser que Vostre Majesté ne l'auroit commandé, ny pour satisfère à leur ambassadeur, ny pour l'utillité de leur Mestresse, ainsy que nous nous esforcions de le leur persuader; ilz percistoient, en ce qu'ilz avoient desjà conseillé à la dicte dame, qu'il n'estoit aulcunement expédiant que le dict Sr de Poigny passât oultre. Bien nous vouloient, quant au reste, donner seurté pour elle qu'aussitost que les dicts seigneurs escouçoys seroient arrivez, elle sera preste de procéder sur les affères d'entre la Royne d'Escoce et elle, sellon le tretté qui en a desjà esté commancé avecques moy, et dont j'en ay mis quelque forme en escript, et d'entendre à la restitution de la dicte Dame, aultant, qu'avec son honneur et sa seureté, elle le pourra fère.

Et sont demeurez si fermes en cella que, ne pouvant gaigner rien davantaige avec eulx, nous sommes allez trouver leur Mestresse; et elle nous a tenu le mesmes langaige, adjouxtant seulement, pour le regard de l'indignité et moquerie, que nous alléguions estre en cest empeschement du voyage du dict Sr de Poigny en Escoce, puysqu'il estoit si avant, qu'elle prenoit en sa charge d'en contanter Vostre Majesté; mais, quant à aller devers la Royne d'Escoce, s'il me sembloit que d'une telle visite, après les occasions que je sçavois bien qu'elle luy avoit données de beaucoup d'offances, et sur l'opinion qu'on pourroit prendre que ce fût par craincte ou par menaces qu'elle l'ottroyoit, il n'en peult advenir de préjudice à sa réputation, ny aulcun intérest à votre commune amytié, qu'elle estoit contente de le permettre.

Sur quoy je l'ay priée de prendre de bonne part l'honneste office que Vous, Sire, faisiez envers vostre belle sœur, et qu'elle layssât aux mal affectionnez, d'y donner telle interprétation qu'ilz vouldroient, car ce ne pourroit jamais estre qu'à la louange de sa bonté, et vertu, et encores à son honneur et proffict. Et ainsy, Sire, elle a donné saufconduict au dict Sr de Poigny d'aller trouver la dicte Dame; chose que nous n'espérions guyères et laquelle monstre desjà debvoir estre de beaucoup de moment pour vostre service, en ce royaulme et en celluy d'Escoce. Et avant s'acheminer, le dict Sr de Poigny a advisé de donner entier compte de toute sa négociation à Voz Majestez, ainsy qu'il vous plairra le voyr par ses lettres, ne voulant, Sire, pour quelques aultres empeschemens, qui commancent de paroistre tout de nouveau en cest affère, venantz de lieu d'où moins vous l'attandiez, laysser d'espérer que la paix de vostre royaulme ne soit pour bientost vuyder ceste, et encor d'aultres plus grandes difficultez; ainsy que ceste Royne n'a vollu finir l'audience sans monstrer une conjouyssance du bon espoir qu'elle dict avoir d'icelle, et que ce luy sera aultant de joye, de santé et de bon portement, si elle en peult bientost entendre la conclusion. Sur ce, etc. Ce xıxe jour de juillet 1570.

A la Royne.

Madame, nous n'avons peu, pour ce coup, obtenir rien de mieulx en la négociation de Mr de Poigny que de luy permettre qu'il puysse aller visiter la Royne d'Escoce de la part de Voz Majestez; qui n'est si peu, Madame, qu'on ne le tienne icy en beaucoup, et que la réputation de vostre couronne n'en semble estre en quelque chose relevée, et qu'on ne commance de bien espérer de tout le reste. Nous avions, avant aller à ceste segonde audience, heu advertissement de certaynes traverses, que la communication du Sr dom Francès avec Mr de Norrys vous y faict, qui a esté cause que j'ai, avec le plus de véhémence et d'affection que j'ay peu, touché à la Royne d'Angleterre les poinctz qui la doibvent asseurer de vostre amytié, et ceulx qui la luy peuvent rendre utille et pleyne de confiance, et le mesmes aulx seigneurs de son conseil; dont le comte de Lestre et le secrétaire Cecille m'ont despuys recerché de plus estroicte conférance avec eulx; et Mr de Roz a raporté d'elle, et d'eulx, plus amples promesses sur l'advancement de toutz les affères de sa Mestresse; ainsy que plus en particullier je le vous manderay, dans quatre ou cinq jours, que je dépescheray ung des miens devers Vostre Majesté. Et vous diray cependant, Madame, que le dict Sr Norrys a mandé qu'il y avoit grand apparance que la paix succèderoit bientost, ce qui faict monstrer ceulx cy en meilleure disposition vers toutes les choses de vostre service. Ilz sont après à jetter cinq grandz nayyres avec mil hommes dehors, avitaillez pour deux moys, par prétexte d'aller réprimer les pirates, mais c'est pour le souspeçon qu'ilz se donnent de l'armement du duc d'Alve; auquel toutesfoys ceste Royne a naguières, par persuasion du dict Sr Norrys, escript une lettre pleyne d'affection, affin de prendre asseurance de luy, et luy en donner tout aultant d'elle, touchant le passaige de la Royne d'Espaigne. J'entendz qu'il est arrivé plusieurs lettres d'Allemaigne, et entre autres du comte Pallatin, qui semble inviter ceste princesse à desirer la paix de France. Sur ce, etc.

Ce xıxe jour de juillet 1570.

CXXIIIe DÉPESCHE

—du XXVe jour de juillet 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrétaire.)

Délibération du conseil sur la mise en liberté du duc de Norfolk.—Dispositions prises par Élisabeth pour apaiser les troubles de son royaume.—Préparatifs maritimes et militaires dont on doit se défier en France, malgré les assurances de paix et d'amitié données par la reine, et la bonne volonté qu'elle montre à l'égard de Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse et d'Allemagne.—Mémoire général sur les affaires d'Angleterre.—Détail des mesures prises en Angleterre pour se défendre contre toute agression.—Bonnes dispositions montrées en faveur de Marie Stuart et du duc de Norfolk.—Mémoire secret. Intrigues de l'Espagne en Angleterre pour traverser tous les projets de la France.—Mission secrète de don Francès d'Alava.—Désir du cardinal de Chatillon de voir la pacification s'établir en France; conditions auxquelles les protestans offrent de se soumettre.

Au Roy.

Sire, aujourduy, et tout demain, la Royne d'Angleterre sera en la mayson du comte de Betford, à xx mil d'icy, où elle a mandé venir son garde des sceaulx et ses aultres principaulx conseillers pour dellibérer de la liberté du duc de Norfolc; de laquelle l'on luy donne grande espérance qu'il la pourra obtenir bientost, à tout le moins d'estre remiz en sa mayson. Et de là, la dicte Dame veult continuer son progrez, sans toutesfoys esloigner guières plus que de trente mil la ville de Londres vers Suffoc, Norfolc et Sussex, affin d'appayser ces trois pays, qui sont voysins d'ici, lesquels ont monstré d'estre disposez à quelque nouveaulté; et elle espère de modérer par sa présence l'affection des hommes, et fère exploicter la justice contre ceulx qui sont prins, et abattre toute l'intelligence qu'on luy faict acroyre que les estrangiers ont en ces quartiers là; et, par mesme moyen, pourvoir à la seureté de ses portz tout le long d'icelle frontière, ainsy que, à grande dilligence, elle les faict fortiffier, à cause qu'ilz sont exposez vers Holande et Zélande; d'où elle crainct les entreprinses du duc d'Alve, nonobstant que dom Francès d'Alava ayt, à ce qu'on dict, remiz elle et luy à traicter amyablement et par lettres bien gracieuses l'ung avec l'aultre, et que le dict duc luy ayt freschement envoyé des depputez sur le faict des prinses; mais ces démonstrations ne la peuvent tant asseurer, comme les aultres apparances de la sublévation, qu'elle a senty en son pays, et le raport qu'on luy faict, qu'en l'armement de Flandres se prépare d'embarquer trois mil chevaulx, grand nombre de gens de pied, force artillerye, pouldres, pionniers, monitions et tout aultre appareil de guerre, la mettent en deffiance. De quoy est advenu que la dicte Dame, despuys six jours, a faict arrester toutz les navyres tant estrangiers que aultres, qui sont par deçà, et serrer les passaiges, et envoyé son admiral à Gelingan et le long de la Tamise pour ordonner une armée de mer, du plus grand nombre de vaysseaulx et de maryniers qu'il luy sera possible, affin de l'avoir preste à tout momant, quant il sera besoing; et commande aussi qu'on tienne deux mil chevaulx et huict mil hommes de pied toutz pretz. Dont je suys après, Sire, de regarder si cest appareil se feroict poinct à quelque aultre fin contre vostre service; mais, encore que je n'en descouvre rien, je vous suplie néantmoins, Sire, très humblement que cecy vous serve d'ung adviz pour ne laysser à l'arbitre des Anglois rien du vostre, qui ne soit pourveu contre les entreprinses qu'ilz y pourroient fère; car vostre royaulme est ouvert et exposé à toutes injures, tant que cette guerre durera.

Je veulx toutesfoys bien asseurer Vostre Majesté que ceste Royne et les siens m'ont, despuys dix jours, tenu des propos plus exprès de la confirmation d'amytié entre Voz Majestez, et de la persévérance de paix entre voz deux royaulmes, qu'ilz n'avoient faict despuys que je suys en ceste charge; ny Mr de Roz, ny moy, ny toutz ceulx qui portons icy le faict de la Royne d'Ecosse, n'avons jamais mieulx espéré de la restitution d'elle que meintennant; mais il ne se fault arrester aux parolles ny aparances de ceulx cy, ains se donner garde d'eulx, puysqu'ilz se mettent en armes. La dicte Royne d'Escoce aura un singulier playsir, et une fort grande consolation, d'estre visitée par Mr de Poigny de la part de Voz Majestez, et ne vous sçaurois exprimer, Sire, combien ung chacun estime que cella luy sera ung commancement de bonheur et ung advancement au reste de toutz ses affères, ès quelz l'on nous promect toutjours une prompte expédition, aussitost que les depputez d'Escoce seront arrivez; mais je crains qu'ilz soyent retardez pour l'occasion d'une assemblée, que ceulx du party du jeune Prince se vouloient esforcer de tenir à Lislebourg, le xe de ce moys, pour y créer ung régent; à quoy le duc de Chastellerault et le comte de Honteley délibéroient de s'oposer, et à cest effect s'estoient acheminez avecques bonnes forces vers le dict Lislebourg. L'opinion, que ceulx cy ont, que la paix se doibve conclurre en vostre royaulme les faict monstrer mieulx disposez aulx choses d'Escoce, et si d'avanture elle succède, je pense qu'ilz passeront oultre à les accommoder.

J'entendz que les nouvelles d'Allemaigne sont que l'Empereur n'advance guières rien en la diette, et que les seulz ecclésiastiques le sont venuz trouver; qu'il semble que les princes protestans, pour empescher qu'il ne puisse fère créer son filz roi des Romains, se veulent servyr d'une ancienne observance de l'Empire, que jamais la dignité d'Empereur n'a passé successivement que jusques à cinq d'une mesme famille, et qu'il est à présent le cinquiesme Empereur de la maison d'Autriche, à quoy les princes éclésiastiques ne monstrent guières contradire pour ne laysser aller cest estat héréditayre; que le comte Pallatin est aproché une lieue près d'Espire accompaigné seulement de quatre centz chevaulx, offrant de se trouver à l'assemblée, si les aultres ellecteurs y viennent; que le reste de la trouppe de Heldelberc est entièrement séparée, parce que l'Empereur a faict entendre au dict Pallatin et au duc Auguste que, s'ilz se tenoient ainsy accompaignez, qu'il manderoit aulx aultres princes de l'Empire de s'accompaigner de mesmes, en le venant trouver; qu'il semble que le secours, pour ceulx de la nouvelle religion en France, est de quelques jours retardé pour attandre que produira ceste diette, et aussi pour l'espérance, qu'on a, que la paix se doibve conclurre; que le susdict comte Pallatin a exorté ceste Royne et les siens, et pareillement le cardinal de Chastillon, de procurer la dicte paix; qu'il a esté reffuzé au duc de Bronsouyc de fère une levée aulx terres de l'évesque de Munster, et que vers le dict Munster se sussitent les mesmes sectes qu'on y a d'aultres foys veues; que les deniers pour ceulx de la nouvelle religion en Hembourg seront prestz à fornyr dans la fin de ce moys; qu'il y a quelque apparance que le voyage de la Royne d'Espaigne sera retardé, et qu'elle ne passera point par Flandres, ains yra prendre ung aultre chemin, et que, à cause de cella, l'on estime que le duc d'Alve commancera de réduyre bientost son armement à ung moindre équipage, qui ne soit que pour combattre seulement les vaysseaulx du prince d'Orange, lesquelz, en la prinse qu'ilz ont faicte de deux grandz navyres de conserve, qui alloient conduire une flotte vers Espaigne, et d'ung vaysseau de la dicte flotte, ilz ont jetté en mer toutz les Espaignolz, qui estoient dessus; et despuys le Sr de Galeace Fregose qui est icy, et ung aultre gentilhomme, qui se dict escuyer du prince d'Orange, ont esté faictz cappitaines des dicts deux grandz navyres de conserve, lesquelz ilz rabillent en dilligence pour s'aller incontinent joindre aulx aultres. Sur ce, etc. Ce xxve jour de juillet 1570.

INSTRUCTION DES CHOSES
qu'il fault fère entendre à Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres:

Qu'il semble que, par l'examen des gentishommes qui ont esté prins en Norfolc, l'on a descouvert que l'assemblée, qu'ilz prétandoient de fère le jour de St Jehan au dict pays, n'estoit pour chasser les estrangiers, ainsy qu'ilz le donnoient à entendre, ains pour commancer une généralle ellévation en ce royaulme, tendans à trois fins: l'une, de changer l'estat du gouvernement; l'aultre, de recouvrer l'exercice de la religion catholique; et la tierce, de tirer le duc de Norfolc hors de prison: sur lesquelz trois poinctz se trouve qu'ilz avoient desjà minuté une proclamation pour l'envoyer publier partout.

Et cella, avec la bulle qui est formelle contre ceste Royne, et avec ung escript qui a despuys couru, encores plus formel, contre aulcuns de ses conseillers, (et nomméement contre Quiper, Cecille, le chancellier du domayne et le chancellier des comptes, et dont la conclusion d'icelluy est que la communauté du royaulme, quoyque coste, veult avoir la religion catholique), met ceulx cy en une indubitable opinion qu'il y a une grande conjuration desjà dressée dans le pays;

Et qu'elle est fomentée par le Roy et le Roy d'Espaigne, sans le consentement desquelz le Pape, comme ilz disent, n'eust jamais osé expédier une bulle si rigoureuse comme il a faict; joinct que l'armement qu'ilz entendoient se préparer en Bretaigne pour colleur de secourir les Escouçoys, et l'apareil du duc d'Alve, trop plus grand qu'il ne sembloit estre requis pour le passaige de la Royne d'Espaigne, leur a faict croyre, jusques icy, que tout cella se dressoit contre eulx en faveur des Catholiques de ce royaulme.

Dont, pour y remédier, ilz ont, en premier lieu, expédié une ordonnance fort furieuse, du dernier du moys passé, contre les porteurs de bulles et semeurs de ces libelles; laquelle porte commission d'apréhender les autheurs d'iceulx, si fère se peult, affin de les punir et de descouvrir par eulx qu'est ce qu'il y a de plus caché en leurs déllibérations.

Après, ilz ont dépesché trente cinq lettres aulx trente cinq comtes de ce royaulme, pour mander aulx officiers qu'ilz ayent à fère enroller promptement en chacune d'icelles, sellon sa portée, ung nombre d'hommes, jusques à cinquante mil en tout, tant de pied que de cheval, et à iceulx bailler cappitaines, lieutenantz, enseignes, tabourins et trompettes, et leur ordonner une paye par an d'envyron trois escuz à chacun, et ung peu plus aulx capitaines; dont les deniers se prendront sur le plat pays, avec commandement de fère monstres par tout ce moys, et le continuer puys après de quartier en quartier, et qu'on ayt à les exercer principallement à la haquebutte;

Et ont ordonné à l'admyral Clynton de dresser ung estat, par lequel il puysse mettre en mer, toutes les foys que la Royne, sa Mestresse, le commandera, cinquante bons navyres de guerre avec douze mil hommes dessus, maryniers et soldatz, et que l'avitaillement en tout aultre appareil en soit prest et tout dressé ez lieux qu'il cognoistra en estre besoing;

Faisans leur compte de combattre les ennemys en mer, premier que de leur permettre nulle descente par deçà, avec opinion que, quant tout le monde aura bien conjuré contre eulx, qu'ilz pourront avec ceste provision ayséement se deffandre:

Car jugent que, s'ilz gaignent une bataille navalle, ilz pourront bien garder qu'on n'aproche, puys après, leur coste, et, s'ilz demeurent égaulx, qu'encores empescheront ilz qu'on n'y puysse descendre;

Et si, d'avanture, ilz perdent, que ce ne pourra estre sans avoir tant rompu les ennemys qu'ilz seront contrainctz de s'en retourner pour se reffère; que si, à toute extrémité, il advient que les ennemys facent quelque descente, qu'allors les cinquante mil hommes se trouveront prestz pour les combattre au désembarquement.

Lequel apareil inthimide grandement les Catholiques, lesquelz si l'esté se passe sans qu'il aparoise quelque confort pour eulx, ne s'attandent de moins que d'estre fort rigoureusement trettez l'yver prochain; car ilz voyent que leurs adversayres, lesquelz ont la Royne, l'authorité et la force en leurs mains, commancent desjà de les menacer, et monstrent de n'attandre sinon que le temps les asseure contre les entreprinses des estrangiers pour y mettre la main.

Et avoient les dicts Catholiques prins pour mauvais signe la longueur que ceulx de ce conseil usoient ez affères de la Royne d'Escoce, et en ceulx du duc de Norfolc; vers lesquelz, à cause de ces rescentes deffiances, ilz voyoient qu'ilz alloient changeant toutes leurs premières bonnes dellibérations, car ilz remettoient de commancer le tretté avec l'ambassadeur de la dicte Dame jusques à la venue des depputez d'Escoce; et sur ceulx du duc, ilz luy avoient faict dire, le xıȷe de ce moys, que, pour aulcunes occasions, qui estoient fort considérables, la Royne, sa Mestresse, estoit conseillée de ne luy ottroyer sa liberté jusques après la St Michel, qui monstre bien qu'ilz ne vouloient que gaigner temps; et cependant ilz travailloient de se liguer davantaige avec les princes protestans.

Et n'avoit esté sans apparance que les dicts Catholiques eussent fondé grande espérance en l'apareil du duc d'Alve, et possible encores quelque peu en cellui qu'ilz entendoient estre prest en Bretaigne, mais la venue des depputez de Flandres la leur oste de ce costé là; et l'opinion, qu'ilz ont, que la guerre doibve continuer en France la leur fait perdre de l'aultre.

Cella surtout les descoraige qu'ayantz, jusques à ceste heure, pensé que le Roy d'Espaigne et ses ministres procèderaient de bonne intelligence avecques le Roy sur les affères de la Royne d'Escoce, qui sont conjoinctz avec ceulx de la religion catholique en ce royaulme, ainsy que je m'en estois quelquefoys prévalu; et comme aussi nulle aultre chose n'avoit, tant que ceste cy, retenu ceulx de ce conseil en quelque crainte, il s'est meintennant descouvert qu'il va tout aultrement, et que dom Francès d'Alava a tenu de telz propos à Mr Norrys, (ainsy que le dict Norrys l'a escript par ses dernières lettres, arrivées à sa Mestresse, pendant que Mr de Poigny et moy attendions sa responce,) que aulcuns, qui en ont heu assés tost la communication, m'ont tout incontinent adverty que, à l'ocasion d'iceulx, nous serions fort mal responduz; et que toutz les affères, où le Roy Très Chrestien pouvoit avoir intérestz par deçà, en demeureroient fort traversez.

Qui a esté cause que, en l'audience ensuyvant, je me suys eslargy, premièrement vers les seigneurs de ce conseil, parce que, d'arrivée, nous avons esté introduictz vers eulx, et puys envers la dicte Dame, en toutz les plus francz et ouvertz propos, que j'ay estimé les pouvoir confirmer en l'amytié du Roy, et à bien espérer d'icelle, sans toutesfoys toucher ung seul mot ni du Roy d'Espaigne, ny de ses ministres; et est advenu, sur noz remonstrances, que l'on nous a accordé une partie de ce que nous demandions, et qu'on nous a faict, sur le reste, assés meilleure responce que l'on n'espéroit, ainsy que je l'ay mandé par mes précédantes.

Et bien qu'à la grande instance de Madame de Lenoz, l'on eust auparavant envoyé par mer vers le North un nombre d'armes, de pouldres et d'argent, pour les fère tenir au comte de Lenoz en Escoce, j'ay sceu néantmoins que, despuys cella, la Royne d'Angleterre a dict à la dicte dame de Lenoz qu'elle estoit résolue de remettre la Royne d'Escoce en son royaulme, sur les offres qu'elle et le Roy luy faysoient, qui estoient telles qu'avec son honneur elle ne les pouvoit reffuzer. A quoy la dicte dame de Lenoz ayant respondu que la dicte Royne d'Escoce n'en observeroit rien, la Royne luy a répliqué que si feroit, parce qu'elle l'y obligeroit à peyne d'estre privée de la succession de ce royaulme, si elle y contrevenoit, car aultrement elle ne luy en vouloit fère tort; et n'a la dicte dame de Lenoz peu gaigner rien davantaige, encore qu'elle ayt très instantment priée la dicte Dame que, si elle persévérait en ceste vollonté, il luy pleût de mander à son mary qu'il s'en retornât.

Et le secrétaire Cecille m'a mandé que je croye fermement qu'il ne sera miz aulcun retardement ez affères de la Royne d'Escoce, et qu'il ne cerche, de sa part, que la seurté de sa Mestresse, laquelle estant mortelle, et n'y ayant, après elle, nul plus prochain au droict de ceste couronne que la Royne d'Escoce, qu'il ne luy sera, ny meintennant, ny à l'advenir, jamais contraire; et le mesmes a il confirmé à l'évesque de Roz, avec lequel il est desjà entré si avant en matière qu'ilz sont quasi d'accord de toutz les poinctz, qui sembloient estre les plus différantz.

Encores, monstrent les affaires du duc de Norfolc qu'ilz pourront aussi mieulx réuscyr que la responce du xıȷe du présent ne le luy faisoit espérer, et que la Royne permettra qu'ilz soient, dans trois ou quatre jours, miz en dellibération pour après estre procédé à sa liberté, sellon qu'ung chacun dict qu'il demeure fort deschargé et justiffié de toutes les choses qu'on luy pourrait imputer.

Je veulx bien advouher que je ne cognois rien de plus exprès en ceulx cy que leur simulation, ny rien de plus certain que leur inconstance; par ainsy, je ne puys fère grand fondement sur chose qu'ilz disent, ny qu'ilz promettent. Néantmoins ilz peuvent incliner de nostre costé, aussi bien que d'ung aultre, et j'estime qu'il n'est que bon de les y tenir bien disposez, si l'on peult, affin de se prévaloir de la paix qu'on a avec eulx, et évitter les inconvénians et incommoditez qui pourroient advenir, s'ilz se despartoient du tout de nostre intelligence.

AULTRE INSTRUCTION A PART POUR DIRE A LEURS MAJESTEZ:

Que, jusques à ceste heure, la Royne d'Angleterre et ses conseillers protestans avoient esté retenuz d'une grande craincte, et les seigneurs, et gens de bien catholiques, conduictz de grande espérance sur le faict de la Royne d'Escoce, et sur toutz les affères de ceste isle, par l'opinion qu'ilz avoient que le Roy d'Espaigne et le duc d'Alve seraient toutjour en bonne intelligence avec le Roy.

Et n'estoit peu de consolation aus dicts Catholiques de veoir en quelle peyne les dicts Protestans vivoient pour ne sçavoir si la bulle estoit expédiée, ou du propre mouvement du Pape, ou bien par la réquisition du Roy, ou bien à l'instance du Roy d'Espaigne: car ilz disoient que si c'estoit seulement du Pape, ce n'estoit chose de moment; si c'estoit du Roy seul, encor croyoient ilz que Mr le cardinal de Lorrayne l'auroit procuré, sans que pour cella le Roy se vollût trop haster de rien entreprendre; mais, si c'estoit par le commun consentement du Roy et du Roy d'Espaigne, ilz tenoient pour indubitable que l'entreprinse de ceste isle estoit desjà jurée entre eulx.

En quoy, pour en avoir quelque lumyère, ilz cerchoient de toutz costez s'il se trouveroit que moy, ou Mr l'ambassadeur d'Espaigne, eussions tenu la main à la fère notiffier et publier par deçà, mais il semble qu'ilz n'ont rien trouvé contre moy, sinon qu'il leur est venu un adviz d'Itallie, par la voye de Flandre, comme la dicte bulle a esté expédiée à l'instance de l'ambassadeur de France, qui est à Rome, et que l'ambassadeur du Roy Catholique par dellà n'a faict que y prester son consentement, comme à chose apartenant de si près à la religion catholique qu'il ne luy a esté loysible de la contradire; dont leur semble que j'en debvois estre participant, mais je croy qu'à ceste heure ilz en demeurent toutz esclarcy.

Et, quant à l'ambassadeur d'Espaigne, parce que Me Felton, lequel est accusé d'avoir affiché la dicte bulle, a confessé, estant sur la question, que le prestre espaignol du dict sieur ambassadeur la luy avoit baillée; qui, pour ceste occasion, s'est despuys absenté, car il estoit commandé de le prandre, quelque part qu'il pourroit estre trouvé, jusques en sa chambre; non seulement l'on en a chargé le dict sieur ambassadeur, ains aussi luy impute l'on les aultres libelles, qui ont couru en ce royaume, contre le garde des sceaux et Cecille, et contre quelques aultres du conseil; mais ne pouvant son prestre estre trouvé, l'on ne sçayt commant procéder contre luy.

Et n'ont layssé pour cella les Catholiques de s'entretenir toutjour en l'espérance de la faveur du Roy son Maistre et du duc d'Alve, pour les affères de la Royne d'Escoce et de la religion catholique; de sorte que le dict Felton a bien ozé dire tout hardyment qu'il y avoit trente mil hommes de valleur en Angleterre, dont les six mil estoient gentishommes, et vingt cinq milordz parmy, qui estoient toutz prestz d'exposer leurs vies pour la mesmes querelle, qu'ilz le vouloient fère mourir à luy.

Mais, despuys quelques jours, iceulx Catholiques non seulement se sont retirez de ceste espérance, ains sont entrez en grand frayeur d'estre descouvertz qu'ilz l'ayent heue, parce qu'ilz estiment que le dict sieur ambassadeur ayt communiqué toutes choses au Sr dom Francès d'Alava, lequel ilz tiennent aujourduy pour trop plus grand serviteur de la Royne d'Angleterre que de son Maistre; car Mr Norrys a escript qu'il luy a promiz de disposer si bien les affères de la dicte Dame vers le Roy, son dict Maistre, et vers le duc d'Alve, qu'elle n'a garde de recepvoir aulcun mal ny dommaige d'eulx, et que hardyment elle ne preigne peur des démonstrations et préparatifz du dict duc, car il la veult bien asseurer qu'il n'a aulcun commandement de luy nuyre, ny d'attampter, pour quelque occasion que ce soit, rien par armes contre elle; et qu'au reste le dict dom Francès luy a descouvert que c'est Mr le Nonce, qui est en France, qui a envoyé icy la bulle à l'ambassadeur d'Espaigne pour la publier.

Duquel acte du dict dom Francès plusieurs seigneurs et gens de bien de ce royaulme se sont fort escandalizez, et les aulcuns se sont confirmés en une opinion, laquelle ilz avoient desjà conceue, que les ministres du Roy d'Espaigne vont procurant vers ceulx cy, et partout où ilz peuvent, la continuation de la guerre de France; et que, voyantz le faict de la Royne d'Escoce, de laquelle ilz s'estoient desjà promiz et l'aliance, et le filz, et le royaulme, et le tiltre d'Angleterre, se conduire meintennant au nom et soubz la faveur du Roy, qu'ilz le veulent traverser; et qu'ilz sont jalouz de ce que aulcuns seigneurs de ce royaulme se monstrent bien affectionnez à Leurs Très Chrestiennes Majestez, qui est ung propos qu'on m'a tenu, présent Mr de Poigny, auquel je réserve d'en fère entendre le surplus à Leurs Majestez, à son retour; et adjouxteray seulement icy une preuve, que le duc d'Alve nous a donné de son intention en ce [qu'ayant le Pape envoyé, par la banque d'Anvers, douze mil escuz, pour les gentishommes fuytifz d'Angleterre, il a conseillé qu'on ne leur envoye ny tout, ny partie de la somme, tant qu'ilz seront en Escoce, et par ce moyen il a interrompu le dict secours.

Il est bien certain que, jouxte ceste communication grande d'entre dom Francès et le dict Sr Norrys, ceste Royne a naguières escript une bonne lettre au Roy d'Espaigne, laquelle le dict dom Francès a prins en sa charge de la luy fère tenir, et une aultre au duc d'Alve, par laquelle elle l'exorte de vouloir entretenir l'alliance d'entre ceste couronne et la mayson de Bourgoigne, comme, de sa part, elle la veult entièrement conserver: et, quant aulx prinses, qu'elle est preste d'y satisfère de sa part, en ce qu'il s'y veuille disposer de la sienne, et qu'il veuille depputer des personnaiges propres pour en accorder, qui ne soyent de ceulx qui veulent troubler ce royaume, ainsy que l'ambassadeur, icy résidant, et ceulx, qui cy devant y ont esté envoyé, se sont esforcez de le fère; et que de l'apareil qu'elle entend qu'il faict bien grand par mer, il ne veuille rien attampter en ses portz, car elle offre toute faveur et seur accez en iceulx à la Royne d'Espaigne et à ceulx de sa troupe: tant y a que l'ambassadeur d'Espaigne, nonobstant tout cella, ne laysse d'estre bien fort offancé contre dom Francès, de ce qu'il a parlé de la bulle, et desjà il en a escript au duc d'Alve.

J'ay faict sonder, par interposée personne, Mr le cardinal de Chatillon et le Sr de Lumbres quel desir ilz avoient à la paix et à transférer la guerre hors de France; et voycy ce qui m'a esté raporté des propos du dict sieur Cardinal: qu'il desire infinyement la dicte paix, espérant par icelle jouyr de la bonne grâce de Leurs Majestez et de six vingtz mil lt de rante en France, en lieu de mille pouvrettez et indignitez, qu'il s'esforce de supporter, le plus dignement qu'il peult, en Angleterre;

Que se souvenant que le Roy, et la Royne, et Monsieur, pour fermeté de l'aultre dernière paix, luy firent l'honneur de luy en donner leur promesse de leurs propres mains dans la sienne, et que ceulx, qui la leur ont faicte rompre, sont ceulx mesmes avec qui ilz ont à conclurre meintennant ceste cy, les cheveulx luy en dressent de frayeur;

Que le Roy a la paix très ferme et bien asseurée, toutes les foys qu'il luy playrra, à bon esciant, que ceulx de la religion puyssent vivre, en conscience et honneur, soubz la faveur de sa protection, en son royaulme;

Que, de transférer la guerre ailleurs, c'est ce que son frère, Monsieur l'Admyral, a toutjour desiré, mais de le fère meintennant, et laysser ceulx, qui sont de leur mesmes religion, estre cependant massacrez, murdriz et ruinez en leurs maysons, en France, par ceulx qui ont la justice et l'authorité et les forces à la main, ilz sont entièrement tout résoluz du contraire;

Que, si le Roy les veult recepvoir en sa bonne grâce, et leur ottroyer la dicte paix et seurté qu'ilz luy demandent, comme à ses bons subjectz, et qu'il se veuille servyr de son frère et de luy, ilz ont en main de quoy luy fère le plus grand et le plus notable service, que sa couronne ny nul de ses prédécesseurs ayent receu de deux centz ans en cà;

Qu'il cognoist bien que les Anglois ne cerchent de fère rien pour la religion en ceste guerre, ains de travailler la France, et qu'il crainct bien que, se faisant la paix, l'on ne le layrra sortir, de trois moys après, de ce royaulme.

Quant au susdict de Lumbres, lequel s'intitulle ambassadeur de toutz les princes protestans vers ceste Royne, l'on m'a dict qu'il desire aussi bien fort la paix de France, et vouldroit que la guerre fût desjà transférée aulx Pays Bas, et n'eust tenu à luy que la descente, que ceulx de la Rochelle dellibéroient de fère en quelque port de Normandie ou Picardie, si Sores ne fût allé sur la route des Indes, ne se fût faicte en Olande: et desjà luy et beaucoup de ceulx de son pays font estat, par ceste paix, de se retirer en France, car semble qu'il y ayt mutuelle obligation entre les Françoys et Flamans, qui sont de ceste religion, de se subvenir les ungs aulx aultres, et de ne cesser, qu'ilz ne soyent toutz remiz en leur maysons pour y pouvoir vivre en seurté avec l'exercice de leur religion.

Aulcuns Françoys de la dicte religion, qui sont icy, ne prennent nul party, attandans la dicte paix; ou bien, si elle ne succède, ilz dellibèrent de recourir à la grâce et clémence de Sa Majesté.

CXXIVe DÉPESCHE

—du XXXe jour de juillet 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Crainte des Anglais qu'une ligue générale n'ait été formée contre eux.—Résolution du conseil de rendre la liberté au duc de Norfolk, et de lever une forte armée navale.—Armement de la flotte.—Mission de Me Figuillem dans les Pays-Bas.—Déclaration faite à l'ambassadeur que l'armement de la flotte n'a d'autre objet que de rendre les honneurs à la reine d'Espagne sur son passage, et de se tenir en défense contre les entreprises que pourrait tenter le duc d'Albe.

Au Roy.

Sire, s'estant la Royne d'Angleterre aperceue que le mal de son pied empyroit par le travail de son progrez, encore qu'elle n'allât qu'en coche, elle s'est arrestée à Cheyneys, qui est celle mayson du comte de Betfort, où je vous ay mandé, par mes dernières, qu'elle debvoit demeurer tout le xxve et xxvıe de ce moys; mais elle y a séjourné davantaige, et n'en bougera encores de quelques jours. Ceulx de son conseil se sont assemblez au dict lieu pour prendre quelque bon ordre sur aulcunes choses qu'ilz ont veu estre aultres, ou bien avoir aultre événement, qu'ilz ne pensoient; premièrement, sur la détention du duc de Norfolc, par laquelle, au lieu d'en avoir assoupy et retardé les troubles de ce royaulme, ilz cognoissent meintennant que c'est par là qu'ilz les ont advancez et faict naistre, car auparavant il n'y en avoit point; et sur la guerre d'Irlande, laquelle ilz cuydoient desjà achevée, ilz ont nouvelles que, despuys naguyères, l'on s'y est bien battu, et que ceulx du party de la Royne, leur Mestresse, ont heu du pyre, et que mesmes les saulvaiges monstrent de vouloir passer oultre, et qu'ilz attandent du secours d'ailleurs; aussi sur le faict de la Royne d'Escoce, duquel, parce que Vostre Majesté le porte et le favorise, ilz voyent que toutz leurs affères d'Escoce en succèdent si mal qu'ilz sont bien en peyne commant le remédier; pareillement sur leurs différans des Pays Bas, lesquelz viennent meintennant à leur estre de tant plus suspectz, que, par le pardon général publié en Envers par le duc d'Alve, à vestemens blancz[11], le xvıe de ce moys, où l'on leur faict acroyre que le prince d'Orange est comprins, et qu'on a randu ses biens à ses enfans; et aussi par l'accord des Mores en Espaigne[12], ilz estiment que les affères du Roy d'Espaigne demeurent si establys en ses pays qu'il n'a rien plus à fère meintennant que se rescentyr de l'injure, qu'ilz luy ont faicte et à ses subjectz, ainsy que le duc d'Alve semble d'en avoir l'apareil tout prest; et encores sur la paix de vostre royaulme, laquelle, de tant qu'ilz la tiennent desjà comme conclue, sans qu'ilz s'en soyent meslez, ilz craignent que Vostre Majesté se veuille de mesmes conduyre meintennant en icelle vers eulx, comme ilz se sont assés mal déportez vers vous durant la guerre; mais principallement sur la division et mal contantement de leurs propres subjectz, d'où ilz prévoyent que, s'il n'y est, devant toutes aultres choses, pourveu, ce sera de là que leur viendront les plus dangereuses guerres et les plus grandes difficultez dont, de tant que la Royne leur Mestresse s'oppose toutjour bien fort aulx moyens, qu'on luy met en avant, qui tendent ou à la guerre ou à la despence; après avoir bien longuement débattu toutes ces matières, ilz luy ont enfin conseillé que, d'ung costé, elle veuille mettre le duc de Norfolc hors de pryson, et que, par sa liberté et par l'ayde qu'il luy pourra fère, elle se tirera ayséement hors des plus apparans dangiers; et dresser, de l'aultre, tout promptement une bonne armée de mer, qui serviroit de remédier à tout le reste, sans regarder de si près à la despence, qu'elle y pourra fère, qu'elle ne regarde encores plus à la conservation de son estat et à l'honneur et grandeur de sa couronne.

Sur laquelle leur résolution s'estant la dicte Dame assés collérée contre ceulx, qui l'avoient faicte estre jusques icy trop rigoureuse contre le dict duc, leur a respondu qu'elle estoit contante de prendre bientost ung bon expédiant avecques luy, qui ne viendroit toutesfoys ny d'aulcun d'eulx, ny de toutz ensemble, et dont il n'en auroit à remercyer que elle seule; et quant à dresser une armée, qu'elle ne se vouloit opposer à leur conseil, mais seulement les prier qu'ilz advisassent de n'entreprendre rien qui ne fût bien nécessaire, et qui ne la mist en plus de peyne qu'elle n'est. Dont, tout sur l'heure, les commissions ont esté dépeschées, telles que j'ay cy devant mandées à Vostre Majesté: de dresser une armée royalle de toutz les grandz navyres de la dicte Dame et de bon nombre d'aultres vaisseaulx particulliers, et de lever quatre mil maryniers, et tenir prestz huict mil hommes de pied et deux mil chevaulx; dont, quant aulx navyres et hommes pour mettre dessus, qui sont maryniers et soldatz tout ensemble, cella s'exécute en toute dilligence; et, dans le xe du prochain, j'entendz qu'il sortyra en mer sept grandz navyres des premiers prestz, les meilleurs à la voyle, avec douze centz hommes dessus, et les aultres suyvront après, à la mesure qu'on les aura fornys d'hommes et de vivres; car, ilz ont desjà tout leur aultre apareil et fornyment. Mais, quant aulx huict mil hommes de pied et deux mil chevaulx, l'on ne se haste encores de les fère marcher.

Or, en ce mesmes conseil, a esté advisé de renvoyer devers le duc d'Alve maistre Fyguillem, bourgeois de ceste ville, l'ung des commissaires des prinses, par prétexte de luy aporter une honneste responce sur l'accord de leur différandz, comme ceste Royne le prye d'y vouloir entendre en quelque bonne sorte, et qu'elle est contante de reffère le nombre des merchandises et tout ce qui en est dépéry et descheu, despuys le premier inventoire qui en fut faict; ce que n'estant encores aprochant de la satisfaction, parce que le dict inventoire ne contient guières bien le tiers des dictes merchandises, ny que celle moindre partie des deniers qui estoit ez quaysses merquées pour le Roy d'Espaigne, j'ay bien pensé qu'il n'y alloit que pour descouvrir l'intention du dict duc, et à quoy tandoit son armement, et quelles pratiques menoient les Anglois catholiques, qui ont naguières passé d'Escoce et d'icy devers luy. Tant y a, Sire, que, nonobstant cest argument, lequel m'a bien faict juger qu'en leur faict y avoit plus de peur que d'entreprinse, voyant néantmoins que leur appareil estoit tel qu'il le falloit avoir suspect, mesmes que nul ne me sçavoit asseurer au vray de l'occasion d'icelluy, et qu'ilz ne cessoient de tretter toutjour d'accord avec le duc d'Alve, j'ay pensé qu'il estoit expédiant de les fère parler; dont ay suplié la dicte Dame et iceulx seigneurs de son conseil que, de tant que j'avois à vous donner adviz de leur armement, il leur pleust m'advertyr comme ilz desiroient que je le vous escripvisse, affin d'évitter que, pour la jalouzie que vous en pourriez avoir, vous ne leur en fissiez prendre une aultre en vous armant de vostre costé.

A quoy ilz m'ont respondu que je sçavois bien que le duc d'Alve faisoit une bien fort grande armée de mer, et encor qu'il leur eust notiffié par l'ambassadeur de son Maistre, qui est icy, et encores faict dire à Mr Norrys par celluy qui est en France, que c'estoit seulement pour conduyre la Royne d'Espaigne et non pour occasion quelconque, d'où ilz deussent prendre tant soit peu de deffiance de luy, que néantmoins la dicte Dame luy avoit bien vollu dépescher ung messaigier pour l'advertyr qu'elle estoit dellibérée de mettre aussi ses navyres en mer, avec sept ou huict mil hommes dessus, pour accompaigner la dicte Royne d'Espaigne, sa bonne sœur, tout le long de la mer de son royaulme, avec commandement à son admyral, lequel yroit luy mesmes en l'armée, de la recepvoir, honnorer et bien tretter en toutz ses portz et hâvres, où luy viendrait à playsir de descendre et prendre terre: dont me prioient d'asseurer Vostre Majesté que, sur leur vie et honneur, il n'y avoit aultre chose; et que le dict sieur Admyral ne bougeroit que la responce du dict duc ne fût arrivée. Bien me vouloient dire que aulcuns de leurs rebelles trettoient en secrect et ouvertement avecques le dict duc, et que les Escossoys se vantoient aussi qu'ilz auroient bientost ung secours de Flandres; dont se vouloient trouver prestz à tout besoing.

Voylà, Sire, ce qu'ilz m'ont dict, et en quelle façon ils se sont descouvertz de la légation du susdict Figuillem, qu'ilz avoient toutjour tenue fort secrecte; et comme, soubz démonstrations honnestes, ilz se pourvoyent contre les malles intentions les ungs des aultres. Je observeray le progrez de leurs actions, du plus près que je pourray, pour vous en donner toutjour les plus seurs adviz qu'il me sera possible; et sur ce, etc. Ce xxxe jour de juillet 1570.

CXXVe DÉPESCHE

—du VIe jour d'aoust 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Mr de Poigny.)

Visite de Mr de Poigny à la reine d'Écosse.—Audience de congé lui est donnée par la reine d'Angleterre.—Heureux effet de son voyage.—Meilleur traitement fait à Marie Stuart et au duc de Norfolk, à qui il est permis de sortir de la Tour pour être gardé chez lui.—Remontrances de l'ambassadeur à Élisabeth sur les nouvelles entreprises faites contre l'Écosse.—Excuses données par la reine.—Résolution prise de signifier le traité aux deux partis en Écosse.—Continuation des armemens maritimes en Angleterre.—Déclaration du duc d'Albe à Me Fuyguillem envoyé vers lui par Élisabeth.—Arrivée à Londres d'un député de la Rochelle.

Au Roy.

Sire, après que Mr de Poigny a heu satisfaict à la visite, que Vostre Majesté luy avoit commandé vers la Royne d'Escoce, par l'espace de quatre jours, qu'il luy a esté permiz d'estre auprès d'elle, avec ung infiny contantement et très grande satisfaction de la dicte Dame, il s'en est retourné par deçà; et estant icy, nous avons ensemble considéré que, puisqu'il estoit contrainct de se déporter du surplus de son voyage en Escoce, parce que la Royne d'Angleterre ne le trouvoit bon, et que les commissaires escossoys n'estoient point arrivez, qu'il estoit expédiant qu'il ne temporisât plus en ce lieu; dont sommes allez, le ıııȷe du présent, trouver la dicte Dame à Cheyneys, où elle est encores. A laquelle le dict Sr de Poigny a faict entendre, bien à propos, les choses qu'il avoit veues et aprinses de l'estat de la Royne d'Escoce, et de sa santé, et aussi de son estroicte garde, et d'aulcunes aultres particullaritez de ses affères, luy incistant bien fort de luy vouloir ottroyer ung peu plus de liberté qu'elle n'a; et luy ayant au reste ramentu de rechef les principaulx poinctz de sa charge, avec offre de passer encor en Escoce, s'il estoit besoing, pour disposer ces seigneurs de dellà à la continuation du tretté, la dicte Dame luy a faict plusieurs diverses responces ès quelles, sans luy reffuzer ny accorder aussi tout ce qu'il demandoit, sinon touchant aller en Escoce, qu'elle luy a bien ouvertement dényé, elle a monstré, au reste, qu'elle vouloit beaucoup defférer à Vostre Majesté; et, après qu'avec de bien honnestes répliques, il a heu tiré d'aultres secondes et meilleures responces de la dicte Dame, il a prins congé d'elle. Dont, de tant, Sire, que Vostre Majesté entendra mieulx au long et par ordre de luy, que ne feroit par ma lettre, tout ce qui s'est passé en son audience, et ce qu'il y a proposé, ensemble ce qu'il y a obtenu, et ce que la dicte Dame l'a prié de vous dire, je me déporteray de vous en toucher icy plus avant, si n'est pour vous dire, Sire, qu'encor qu'il ne vous raporte résolution de toutes choses, son voyage ne laisse pourtant d'estre et bien utille, et heureux, puisque par icelluy est advenu que ceste Royne a commancé de se modérer tant envers la Royne d'Escoce qu'elle l'a layssée visiter de vostre part et luy a eslargy ung peu sa liberté; et qu'en mesmes temps le duc de Norfolc, qui estoit en pryson, a esté remiz en sa mayson, bien que ce soit encores soubz quelque garde; qui sont tout présaiges de quelques bon succez ez aultres affères de la dicte Dame.

Or de ma part, Sire, ayant heu à remercyer la dicte Dame de la déclaration qu'elle m'avoit mandé fère, que son armement n'estoit aulcunement dressé ny contre Vostre Majesté, ny contre vostre royaulme, et de ce qu'elle avoit monstré se resjouyr infinyement de la nouvelle, que je luy avois faict entendre, qu'on tenoit en France la paix pour faicte; et que sur le dict armement elle m'a heu confirmé le mesmes, adjouxtant que c'estoit le duc d'Alve et non Vostre Majesté qui avoit à se doubter d'icelluy, et qu'avec plusieurs parolles, et par tout aultre semblant, elle a exprimé ung très grand désir à la dicte paix, et luy tarder beaucoup que je la luy puysse bien asseurer de vostre part, j'ay tiré le propos à luy parler des choses que nous avions entendu d'Escoce: comme pour empescher l'effect de l'accord, qui estoit tant bien commancé, l'on avoit trouvé moyen de retarder Mr de Leviston (qui l'alloit notiffier aulx seigneurs d'Escoce) vingt deux jours en la frontière de deçà, et despuys, estant passé en celle de dellà, les adversaires de la Royne d'Escoce ne permettoient qu'il passât oultre pour acomplyr sa légation; que cependant le comte de Sussex avoit envoyé solliciter ceulx du party de la Royne d'Escoce de poser les armes, d'abandonner les rebelles angloys, de ne recepvoir les estrangiers, et de casser les proclamations, qu'ilz avoient faicte de l'authorité de leur Royne, pour remettre le faict du gouvernement du pays en tel estat que le comte de Mora l'avoit layssé; et que, pendant que la dicte Dame se prenoit bien asprement à la Royne d'Escoce de ce que ses fuytifz trouvoient faveur et retrette en son pays, c'estoient les mauvais subjectz de la Royne d'Escoce qui avoient relevé une forme d'authorité, en tiltre de régent, contre et au préjudice d'icelle en son royaulme, soubz l'adveu et protection des lettres de la dicte Royne d'Angleterre, qui avoient esté leues publiquement en l'assemblée, y assistant maistre Randolf et son agent par dellà; et que le comte de Lenoz, à présent créé régent, se vantoit qu'il auroit tout secours d'elle pour estre meintenu en ceste sienne nouvelle authorité, et que mesmes le comte de Sussex, en sa faveur, rentreroit de rechef avecques forces en Escoce, et que l'armée de mer de la dicte Dame seroit bientost devant Dombertran pour l'assiéger; dont, de tant que, sur ce que je vous avois escript et asseuré du contraire, vous aviez contremandé voz forces, qui estoient toutes prestes en Bretaigne, et vous estiez venu de toutz ces différantz à ung tretté d'accord, duquel ne voyez à présent sortyr nul effect, je ne pouvois, pour ma justification envers Vostre Majesté, que recourir à la promesse, qu'elle m'avoit faict fère là dessus par les seigneurs de son conseil, laquelle elle m'avoit despuys confirmée en parolle de Royne et de Princesse chrestienne, pleyne de foy et de vérité; et, suyvant icelle, la suplyer de vouloir demeurer aulx bons termes du dict tretté et icelluy paraschever, ou bien me dire quelle satisfaction elle pensoit que j'en debvois donner à Vostre Majesté.

La dicte Dame, se voyant fort pressée de ce propos, et voyant que j'estois adverty de toutes les pratiques qui se menoient en Escoce, s'est efforcée de leur donner le meilleur lustre qu'elle a peu, alléguant que ceulx du party de la Royne d'Escoce, pour avoir de rechef rentré en la frontière d'Angleterre, et avoir dressé avec milor Dacres une bien dangereuse entreprinse sur icelle, si le comte de Sussex ne l'eust descouverte, et pour avoir, en proclamant l'authorité de la Royne d'Escoce, déclairé ceulx de l'aultre party rebelles, avoient commancé les premiers de donner occasion à elle de se départyr du dict traicté, dont estoit délibérée de ne souffrir plus leurs attemptatz et de remédier à leurs mauvaises entreprinses.

Je luy ay répliqué que Vostre Majesté ny la Royne d'Escoce n'aviez rien innové de vostre part, et qu'on ne pouvoit prétendre que ceulx du party de la Royne d'Escoce eussent aussi peu violler le tretté jusques à ce qu'il leur auroit esté légitimement notiffié; par ainsy, que je incistois toutjour à l'entretennement et continuation d'icelluy.

Enfin la dicte Dame, laquelle faict grand fondement de sa parolle jusques à me dire que si je la trouve jamais manquer d'icelle, je la veuille estimer indigne que je face jamais plus nul office de vostre ambassadeur vers elle, et les seigneurs de son conseil, ausquelz j'ay aussi faict la mesme remonstrance, m'ont accordé qu'il sera donné moyen à Mr de Leviston, ou bien à quelque aultre, qui sera présentement dépesché d'icy, de pouvoir aller seurement jusques vers le duc de Chastellerault, et vers les aultres seigneurs du party de la Royne d'Escoce, pour leur signiffier l'accord encommancé, et les sommer d'envoyer des depputez pour le continuer et parfaire.

Cependant, Sire, la dicte Dame continue toutjour son armement en fort grand dilligence, et n'en remect rien pour chose que le duc d'Alve luy ayt respondu, lequel aussi, à ce que j'entendz, a parlé ung peu bien ferme à maistre Fuyguillem, depputé de la dicte Dame, lequel est revenu despuys trois jours: c'est qu'il luy a dict qu'il préparoit son armée de mer pour conduyre seurement la Royne, sa Mestresse, en Espagne, et que rien n'en estoit dressé contre les amys et confédérez de son Maistre, mais bien pour se deffandre et se venger des injures de ses ennemys; et quant à la pleincte qu'il faysoit que l'ambassadeur d'Espaigne, icy résidant, avoit donné des saufconduictz aulz rebelles d'Angleterre pour passer en Flandres; que le Roy, son Maistre, le chastieroit s'il avait mal faict, mais que, pour un rebelle anglois qu'il y avoit en Flandres, il y en avoit cinq centz flamans en Angleterre: au regard de se contanter de l'accord des merchandises sellon l'inventoire qui en avoit esté faict, qu'il vouloit de sa part rendre aulx Anglois tout entièrement ce qu'il leur avoit faict saysir et arrester, et qu'ainsy entendoit il qu'il fût de mesmes satisfaict aulx subjectz de son Maistre. Bien m'a l'on dict qu'il a usé à part d'aultres parolles gracieuses au dict Fuyguillem, qui les mect en plus grande espérance d'accord que jamais.

Il est arrivé, despuys lundy dernier, ung des superintendans des finances de la Rochelle, nommé le présidant des comptes de Bretaigne, lequel on dict estre principallement venu pour trois choses; l'une, pour adviser le moyen de desdommaiger la Royne d'Angleterre et les siens des trèze ourques de merchandises d'Espaigne, qui furent, dès le commencement, menées des portz de ce royaulme à la Rochelle, et fère pour cella, ou pour recouvrer nouveaulx deniers, pour du sel et du vin, quelque nouveau contract entre eulx; la seconde, pour consulter avec Mr le cardinal de Chatillon des articles de la paix, et les notiffier, de la part de la Royne de Navarre, à ceste Royne; la tierce, pour aporter à la dicte Dame quelques adviz et pacquetz qui la concernent, lesquelz ilz ont surprins quelque part. Sur ce, etc. Ce vıe jour d'aoust 1570.

CXXVIe DÉPESCHE

—du XIe jour d'aoust 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Forces de l'armée navale que l'Angleterre vient de mettre en mer.—Crainte qu'Élisabeth, rassurée contre toute attaque de la part du duc d'Albe, n'emploie cet armement à une entreprise sur l'Écosse.—État des négociations au sujet de l'Écosse et de Marie Stuart.—Conclusion de la paix en France.—Nouvelles de la Rochelle et d'Allemagne.—Exécution de Felton à Londres; continuation des exécutions dans le Norfolk.

Au Roy.

Sire, sellon la bonne communication que j'ay faicte à Mr de Poigny, pendant qu'avons esté ensemble, de toutes choses de deçà, dont j'ay peu avoir quelque notice, j'espère qu'il aura donné bon compte à Vostre Majesté non seulement de celles là qui s'y mènent ouvertement, mais aussi d'aulcunes qui se présument, lesquelles ne sont encores qu'en discours; et pareillement de l'estat où sont demeurées celles de la Royne d'Escoce, de façon que je n'auray à toucher icy, sinon de ce qui a succédé despuys son partement; qui est, Sire, que la Royne d'Angleterre a faict donner une si grand presse à son armée de mer qu'on l'a rendue toute preste à sortyr, dans le xxe du présent, en nombre de xxıx de ses grandz navires, bien artillez et bien garnys de toutes monitions de guerre, et avitaillez pour trois mois, avec cinq mil cinq centz hommes dessus et son admyral en personne pour y commander, oultre ung nombre d'aultres vaysseaulx, que le comte de Betfort faict équiper en guerre au pays d'Ouest, qui doibvent sortir, soubz la conduicte de Haquens, et trèze navyres des Françoys et des Flamans, de la nouvelle religion, qui sont attendans en l'isle d'Ouyc. Quelcung est revenu de la mer sur un batteau légier, qui raporte avoir veu, sur la coste de Flandres, envyron cinquante quatre voyles desjà hors des portz, ce qui faict davantaige haster ceulx cy en leur entreprinse; et les seigneurs de ce conseil ont envoyé signiffier, par deux aldremans de Londres, à Mr l'ambassadeur d'Espaigne qu'il les veuille venir trouver, à St Auban, à xx mil d'icy, affin de conférer ensemble; mais ne saichant comme ilz vouldroient user vers luy, il est en doubte s'il yra.

Je ne descouvre point encores, Sire, que la dicte Dame ayt à nul aultre effect entreprins cest armement que pour le souspeçon du duc d'Alve, et croy, à la vérité, que cella seul en est la première ocasion; mais, à ceste heure, qu'elle a faicte la despense, et que le duc luy a en plusieurs sortes déclairé qu'il ne veult rien entreprendre contre elle, et aussi n'y a il nul aparance quelconque qu'il soit pour le fère, ny qu'il divertisse ailleurs son armée qu'à la conduicte de la Royne, sa Mestresse, tant qu'elle soit du tout descendue en Espaigne, je crains que la dicte Royne d'Angleterre employe cependant la sienne contre l'Escoce; car de la dresser contre la France je n'en ay ny indice ny sentyment, mais quelcun m'a bien dict qu'on la conseille de se saysir de Dombarre, et m'a l'on donné adviz qu'elle a mandé de nouveau au comte de Sussex de tenir mil cinq centz harquebouziers, six centz corseletz et quatre centz chevaulx, toutz prestz en la frontière, qui est argument qu'elle espèreroit, par ce secours de terre, facilliter l'entreprinse à son armée de mer; et que, par mesmes moyen, elle satisferoit au comte de Lenoz, lequel luy ayant demandé une grande provision de deniers pour souldoyer des Escossoys près de luy, elle luy a respondu qu'elle ayme mieulx employer son argent à souldoyer des siens que non d'en acquérryr des estrangiers; néantmoins j'entendz qu'on l'a tant pressée qu'enfin elle luy a envoyé trois mil lt d'esterlin, qui est dix mil escuz. De cecy, Sire, et d'aulcunes conditions assés dures, que la dicte Dame a naguières proposées, bien qu'en ryant, à Mr l'évesque de Roz, de vouloir pour sa seurté, en restituant sa cousine, avoir des ostaiges d'elle, et le Prince son filz, et le chasteau de Dombertran; et luy ayant le dict sieur évesque respondu que mal ayséement se pourroit tout cella fère, je crains que la dicte Dame se veuille pourvoir, de bonne heure, d'aulcuns aultres moyens bien contraires à celluy du tretté, que nous avons commancé; mais, nonobstant ceste démonstration, nous ne layssons de luy incister toutjour qu'elle doibt demeurer aulx bons termes du tretté, et icelluy paraschever, sellon qu'elle mesmes a prié Mr de Poigny de vous asseurer, Sire, que, si la Royne d'Escoce luy faict de bien honnestes et honnorables offres, qu'elle procèdera très honnorablement envers elle; et, suyvant cella, elle nous a despuys baillé ses lettres pour fère passer sans difficulté milord de Leviston jusques là où le duc de Chastellerault et les aultres seigneurs du party de la Royne d'Escoce sont assemblez, affin de leur notiffier l'accord encommancé, et les sommer d'envoyer des depputez pour ayder à le conclurre; et, par mesmes dépesche, nous avons adverty les dicts seigneurs de se donner garde des entreprinses de deçà. Ceulx qui portent icy bonne affection à la Royne d'Escoce estiment, Sire, qu'il importe beaucoup que, en parlant à l'ambassadeur d'Angleterre, et par aultres démonstrations en Bretaigne, Vostre Majesté face toutjour cognoistre qu'elle desire secourir et remédier les affères de la dicte Dame.

J'entendz que Mr Norrys a escript, du ııȷe du présent, que la paix estoit desjà conclue dez le premier[13], et qu'il restoit rien plus à accorder que quelque formalité sur le désarmer et sur reconduyre les reytres hors de vostre royaulme, ce qui faict regarder à plusieurs icy, si Vostre Majesté vouldra incister plus fort, à ceste heure, au restablissement des choses d'Escoce, et s'il en pourra bien sortyr du différant entre la France et l'Angleterre; mais je leur en oste l'opinion le plus que je puys.

Le présidant venu de la Rochelle est allé desjà une foys jusques à ceste court, et m'a l'on dict que, à cause des adviz et des lettres interceptés, qu'il disoit aporter concernant ceste princesse, elle l'a vollu ouyr, mais bien fort en secrect. Les depputez aussi des princes d'Allemaigne ont esté ouys une foys, et puys se sont retirez à Londres. Il semble que leur négociation demeure en quelque suspens par le retour d'ung Oynfild, qui vient freschement d'Allemaigne, l'y ayant, dez le moy de may, ceste princesse envoyé pour tretter d'aulcunes choses fort secrectement avec les dicts princes, et mesmes a heu grande communication avec l'évesque de Colloigne. La dicte Dame commance de n'avoir plus si suspecte la diette d'Espire comme l'on la luy faisoit, puisque le comte Pallatin y intervient. L'on dict que ung agent du jeune duc des Deux Ponts est venu poursuyvre icy, contre ceulx de la Rochelle, le payement d'environ quarante mil escuz, qui furent trouvez ez coffres du feu duc, son père; lesquelz monsieur l'Admyral print, avec obligation de la Royne de Navarre et des principaulx de l'armée, qu'ilz seroient acquittez contantz en Angeterre. Maistre Felton a esté, despuys trois jours, exécuté devant icelle mesme porte de l'évesque de Londres, où il avoit affiché la bulle, ayant soubstenu toutjour fort opinyastrément que l'interdict du Pape sur ceste Royne est juste et juridique. L'on continue aussi les exécutions en Norfolc. La dicte Dame poursuyt son progrez vers Oxfort, et a vollu que je soys sorty de Londres, à cause de la peste, pour pouvoir plus librement négocier avec elle. De quoi, Sire, et du desloignement de sa court, je crains demeurer moins bien adverty de beaucoup de choses au villaige que je n'étois à la ville, mais j'y mettray toutjour la meilleure dilligence que je pourray. Sur ce, etc. Ce xıe jour d'aoust 1570.

J'ay faict courir après ce pacquet, qui estoit desjà dépesché dez le matin, pour y adjouxter la réception de voz lettres du ıııȷe du présent, qui m'ont esté rendues par mon secrétaire, avec la bonne et desirée nouvelle de la paix; sur laquelle, après avoir remercyé Dieu, et, de rechef, de tout mon cueur très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, j'en yray demain fère la conjoyssance à ceste Royne, laquelle, à ce que j'entendz, dépesche ung gentilhomme en France, mais ne sçay encores sur quelle occasion.

CXXVIIe DÉPESCHE

—du XIIIIe jour d'aoust 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais, par Bordillon.)

Résolution prise par la reine d'Angleterre d'envoyer Walsingham en France.

Au Roy.

Sire, il y a trois jours que la Royne d'Angleterre avoit dépesché le Sr de Valsingan pour aller fère aulcuns offices vers Vostre Majesté, et pour les fère en une façon, si la paix estoit faicte, et en une aultre, s'il trouvoit qu'elle fût encores à fère; dont, à ceste heure, que j'ay envoyé demander audience à la dicte Dame pour la luy aller annoncer, toute bien faicte et bien conclue, elle m'a mandé que je seray le très bien venu avec ceste très bonne nouvelle, et qu'elle a desjà expédié ung sien gentilhomme en France pour vous en aller fère la conjouyssance de sa part; en quoy je vous suplie très humblement, Sire, lui agréer, et gratiffier en toutes sortes ceste sienne bonne et prompte démonstration, ainsy qu'elle s'atend bien que, pour avoir toutjour ouvertement déclairé qu'elle la desiroit, et pour s'estre offerte de s'employer à la fère, et mesmes pour avoir, durant la guerre, rejetté toutes les persuasions qu'on luy a données de se déclairer de l'aultre party, et avoir encores, sur le pourparlé de paix, procédé en sorte qu'elle veult bien estre veue d'avoir aydé en quelque chose à la conclurre, elle se répute avoir grandement mérité de vostre amytié. Et j'entendz, Sire, que, par mesmes moyen, elle vous fera tenir quelque propos du faict d'Escoce, estant le dict de Valsingan principallement envoyé pour notter et comprendre, aultant qu'il luy sera possible, à quoy, après ceste paix, va l'intention de Vostre Majesté, tant sur les choses qui ont passé du costé de ce royaume durant la guerre, que pour voir en quoy vous persévérez touchant celles du dict pays d'Escoce et touchant la Royne d'Escoce, vostre belle sœur; dont j'estime, Sire, que le plus de faveur et de grattiffication que pourrez monstrer sur celles premières, et plus de fermeté et persévérance ez aultres, sera ce qui plus donra d'accommodement à vostre service et plus de réputation à voz affères de deçà. Icelluy Valsingan est tenu icy pour bien habille homme, fort affectionné à la nouvelle religion, et très confidant du secrétaire Cecille; qui va desjà fère ung commencement d'essay en la charge que, à mon adviz, l'on luy a désignée d'ambassadeur ordinaire vers Vostre Majesté après Mr Norrys. Sur ce, etc.

Ce xıve jour d'aoust 1570.

CXXVIIIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour d'aoust 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par l'homme du Sr de Valsingan.)

Audience.—Communication officielle donnée par l'ambassadeur à Élisabeth de la conclusion de la paix en France.—Contentement manifesté par la reine de cette nouvelle.—Vives démonstrations en faveur du roi.—Promesse de la reine de hâter la conclusion du traité avec Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, le jour de la my aoust, j'ay esté porter la certitude de la paix de vostre royaulme à la Royne d'Angleterre, à Penleparc, qui est trente deux mil loing de Londres; laquelle a monstré non seulement de la bien recepvoir, mais d'en vouloir caresser et honorer la nouvelle, ayant faict parer sa court, et estant elle mesmes parée et merveilleusement bien en poinct; et m'a, à l'arrivée et au retour, faict mieulx recueillyr et accompaigner que de coustume, et encores me reconvoyer par des gentilshommes exprès une grand partie du chemyn, de sorte qu'elle et les seigneurs de son conseil, vers lesquelz j'ay faict aussi la conjoyssance de vostre part, n'ont rien obmiz de ce qui se peult monstrer d'extérieur pour donner entendre qu'ilz ont ung très grand plésir de cet accord. Mais, pour descouvrir quelque chose de l'intérieur, j'ay dict à la dicte Dame, en luy présentant les lettres et recommandations de Voz Majestez, que Dieu vous avoit faict la grâce de vous donner la paix avecques voz subjectz; et qu'aussitost que vous l'aviez peu conclurre vous luy en aviez faict la première part, affin de luy advancer, devant les aultres princes, voz alliez et confédérez, l'ayse et le playsir que vous estimiez qu'elle en recepvroit, parce que, plus que nul de tous eulx, elle avoit toutjour monstré de la desirer, et mesmes de se vouloir employer à la fère; dont cecy luy estoit ung très asseuré tesmoignage que vous n'en avez miz rien en oubly, et que vous luy rendrez la tranquillité de vostre royaulme aultant utille, comme elle avoit toutjour faict paroistre qu'elle l'auroit très agréable.

La dicte Dame, usant de toutes les démonstrations d'ayse et de contantement qu'il est possible, m'a respondu qu'elle ne pouvoit assés à son gré vous remercyer de la faveur, que luy aviez faicte, de luy advancer ceste bonne nouvelle de vostre paix, ny assés s'en conjouyr avecques Voz Majestez; et que n'ayant heu moindre desir que vous mesmes de la voir bien succéder, ainsy que sa conscience l'en faisoit, à ceste heure, estre bien fort contente, et que la certitude s'en pouvoit encores vériffier par lettres et tesmoings, elle ozoit bien esgaller l'ayse qu'elle recepvoit d'en entendre la conclusion, à celluy que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Messieurs vos frères, voyre quel que soit de voz propres subjectz, en pouviez avoir; ce que estant bien conféré avec le peu de desir que vous sçavez que les aultres princes en avoient, elle vous layssoit à juger si une première conjouyssance ne lui en estoit pas deuhe, et pourtant que vous ne doubtissiez qu'elle ne la receust avec trop plus d'abondance de playsir et d'affection, qu'elle ne le pouvoit, par parolle ny par nulle aultre démonstration, bien exprimer; seulement elle prioyt Dieu de la vous fère, et à voz subjectz, très longuement et heureusement jouyr; et qu'encor qu'on luy eust vollu imprimer que vostre paix luy seroit ung commancement de guerre, et que vous vous layrriez aisément aller à l'instigation, que ses ennemys vous feroient, de la luy commancer sinon directement, au moins par moyens indirectz de la Royne d'Escoce, qu'elle ne le se vouloit toutesfoys persuader; et vous pryoit, de tant que vous estiez sur le poinct de vous former une inpression d'amytié ou d'ayne pour l'advenir, que vous vollussiez retenir elle et son royaulme, qui ne sont pas des plus grandz mais non aussi des moindres, au mesmes degré d'amytié qu'elle veult droictement persévérer vers vous et le vostre; et que, ayant auparavant proposé de vous dépescher le Sr de Valsingan, affin qu'il servyst à quelque bon effect entour la conclusion de la dicte paix, elle l'y feroit encores plus vollontiers passer, à ceste heure qu'elle estoit conclue, pour non seulement vous en aller fère la conjoyssance, mais vous remercyer infinyement de celle que vous luy en aviez desjà faicte.

Je n'ay failly là dessus, Sire, d'user des meilleurs et plus convenables propos, que j'ay peu, pour mettre la dicte Dame en grande confiance de Vostre Majesté et de vostre royaulme; et, après avoir touché quelque mot du commandement, que me feziez, d'avancer toutjour les affères de la Royne d'Escoce; à quoy elle m'a respondu en très bonne façon et avec nouvelle promesse d'y procéder du premier jour, sellon qu'elle avoit bonnes nouvelles que les seigneurs escossoys des deux costez s'y vouloient disposer, elle m'a licencié avec tant de bonnes paroles et démonstrations de son contantement, et de vouloir donner toute satisfaction à Vostre Majesté, que je craindrois d'en diminuer la meilleure part, si je m'esforcoys de le vous vouloir davantaige exprimer: dont la layrray à tant jusques à la prochaine dépesche d'ung des miens, que j'envoyeray bientost devers Vostre Majesté, par lequel je vous feray amplement entendre toutes aultres choses. Et seulement, Sire, j'adjouxteray à ce pacquect la lettre, que la dicte Dame vous escript, oultre celles qu'elle a baillé au dict Valsingan pour Voz Majestez, lequel est desjà dépesché, et avecques luy le sir Henry Coban pour aller saluer, de la part de ceste Royne, la Royne d'Espaigne au Pays Bas; et croy qu'il passera jusques à Espire devers l'Empereur. Sur ce, etc.

Ce xvııȷe jour d'aoust 1570.

A la Royne.

Madame, j'obmetz, tout à esciant, d'escripre à Voz Majestez par ceste dépesche beaucoup de propos, qui ont esté tenuz entre la Royne d'Angleterre et moy en ceste dernière audience, pour les vous mander cy après plus expressément par ung des miens; et suffira, s'il vous playt, Madame, que, en ceste cy, je vous dye, sur la nouvelle que j'ay annoncée à la Royne d'Angleterre de la paix de vostre royaulme, qu'il ne se peult exprimer ung plus grand ayse que celluy que, en parolle et en semblant, elle a monstré d'en recepvoir; et croy que, sans la crainte des choses d'Escoce, que son cueur aussi s'y conformeroit. J'entendz qu'elle a prins quelque souspeçon de ce que les depputez des Princes n'ont faict rien entendre de ceste dernière conclusion à son ambassadeur, comme ilz avoient faict les aultresfoys; au moins n'en avoit il encores rien escript à la dicte Dame, quant j'ay esté devers elle, laquelle en estoit mal contante; et discouroient quelques ungs là dessus qu'il y pourroit bien rester encores quelque difficulté: tant y a que les choses d'icy ne layssent pourtant de prendre aultre forme, sur ce que je leur en ay desjà dict, mesmes en l'endroict de l'ambassadeur d'Espaigne, auquel aultrement l'on estoit prest de fère piz que jamais. J'espère qu'il en réuscyra aussi de l'utillité à vostre service. Sur ce, etc.

Ce xvııȷe jour d'aoust 1570.

CXXIXe DÉPESCHE

—du XXIe jour d'aoust 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Guilliaume Beroudier.)

Rapport de ce que l'ambassadeur a pu savoir des instructions données à Walsingham.—Conclusion définitive de la paix de France.—Instance de l'ambassadeur pour que le roi se prononce avec fermeté sur les affaires d'Écosse.—Effet produit en Angleterre par l'assurance que la paix est définitivement signée en France.

Au Roy.

Sire, ceste bien asseurée confirmation de la paix, qui m'est venue par les lettres de Vostre Majesté du xıe du présent, avec les articles d'icelle, qu'il vous a pleu par mesme moyen m'envoyer, ont miz la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil hors de tout doubte qu'elle ne soit à présent bien conclue et arrestée; car, parce que Mr Norrys leur avoit escript que, de vostre costé, Sire, elle estoit bien signée, mais qu'elle restoit à signer par Messieurs les Princes et Admyral, et que Mr le cardinal de Chatillon n'en avoit encores nulles nouvelles, aussi que de dellà l'on mandoit que aulcuns s'y opposoient, et que le parlement de Paris ne la vouloit en façon du monde recepvoir, plusieurs ont estimé que la matière estoit encores bien acrochée; et le Sr de Valsingan mesmes, quant il m'est venu dire adieu, n'a sceu tenir son langaige si mesuré qu'il n'ayt assés monstré qu'il estoit dépesché sur telle opinion. Et j'ay despuys entendu que, l'ayant la dicte Dame faict arrester, lorsque je la suys allé trouver, jusques après qu'elle m'auroit ouy, aussitost qu'elle a comprins par mon récyt que les depputez estoient de rechef renvoyez avec les dicts articles vers les Princes, elle l'a soudain faict partyr, sur la mesme dépesche qu'elle luy avoit desjà baillée, luy mandant qu'il n'estoit besoing d'y rien changer.

Or, Sire, ce que j'ay peu descouvrir de sa charge est qu'ayant ceste princesse l'esprit fort agité de tant de deffiances, que je vous ay cy devant mandées, et se trouvant mal satisfaicte de ce que ceste dernière conclusion de paix s'est menée si estroictement que son ambassadeur a souspeçonné y debvoir avoir des conventions qui la touchoient, puysqu'on les luy tenoit secrectes, elle a advisé d'envoyer cestuy cy tout exprès par dellà affin que, trettant avec ceulx de l'ung et l'aultre party, il puysse juger de quelle disposition, après la dicte paix, se trouvera Vostre Majesté et vostre royaume vers elle et le sien, avec commandement d'accommoder son parler à l'estat où il verra que les choses seront, et de se conduyre néantmoins en ce qu'il aura à négocier avec ceulx de la nouvelle religion, sellon certain règlement qui a esté arresté avec les depputez, qui sont icy, des princes d'Allemaigne, et dont l'ung d'eulx est allé avecques luy; et de mesler, à ce que j'entendz, parmy l'aparance d'exorter ceulx de la dicte religion à vostre obéyssance, qu'ilz veuillent bien regarder à l'establissement de ce qui leur sera promiz pour l'exercice d'icelle et pour l'establissement de la paix, et que, en ces deux choses, elle et les dicts princes ne sont pour les habandonner jamais, comme ilz ont encores tout présentement et auront toutjour toutes choses bien prestes pour les secourir; leur remonstrant aussi qu'ilz n'ont assés bien faict leur debvoir d'avoir obmiz, en l'instruction qu'ilz ont donnée à leurs depputez pour fère ce tretté, laquelle a esté envoyée icy de la Rochelle, et traduicte incontinent en anglois et imprimée à Londres, de n'y avoir faict quelque honnorable mencion d'elle et du bon reffuge qu'ilz ont trouvé en son royaulme, avec d'aultres particularitez que je suys bien ayse qu'elles n'arrivent qu'après la paix faicte; car possible n'eussent elles de guières servy à la conclurre.

Et au regard de Vostre Majesté, j'entans, Sire, que sa commission porte que, au cas qu'il trouve les choses non encores bien accordées, qu'il vous offre toutz les moyens et offices, qui seront cognuz pouvoir procéder d'elle, pour vous ayder à les accorder avec vostre grandeur, réputation et advantaige; mais s'il trouve la paix desjà conclue, ainsy que, grâces à Dieu, elle l'est, qu'il vous en face la meilleure et plus expresse conjoyssance qu'il pourra, et qu'il vous exorte, Sire, à l'entretennement et observance d'icelle, avec offre de tout ce qui est en la puyssance de la dicte Dame pour vous assister contre ceulx qui la vous vouldroient traverser ou empescher; et vous prier, au reste, de ne vous laysser jamais persuader du contraire, car vous ayant elle jusques icy gardé ce respect d'avoir rejetté toutes les très véhémentes persuasions qu'on luy a données de se déclairer contre vous, elle proteste que, par cy après, elle ne le pourra plus fère; et que, si vous entreprenez la guerre contre la religion d'où elle est, qu'elle employera toutes ses forces, son estat et sa couronne à la deffance, faveur et protection d'icelle; et qu'elle entrera en la ligue des princes protestans contre Vostre Majesté, ainsy qu'ilz ont encores icy à ceste heure leurs ambassadeurs pour l'en solliciter; et avec charge aussi au dict Valsingan de vous fère entendre, de la part de la dicte Dame, touchant la Royne d'Escoce, qu'elle ne luy veult aulcun mal, ny veult en façon du monde procurer sa ruyne, que seulement elle cerche de s'asseurer des guerres et dangiers, qui luy ont esté toutjour imminentz du costé d'elle et de son royaulme, chose qu'elle estime que ne debvez trouver mauvaise; et qu'encores, pour l'amour de Vostre Majesté, sera elle contante d'user si honorablement vers la dicte Dame, que ung chacun jugera qu'elle luy aura la plus grande de toutes les obligations, qu'elle ayt jamais heue à personne de ce monde.

Qui est tout ce, Sire, que j'ay aprins de la dépesche du dict Valsingan, et ne sçay encores s'il y a heu rien de plus ou de moins, ou de changé despuys; dont je suplie très humblement Vostre Majesté de gratiffier si bien à la dicte Dame ses bonnes parolles que ses intentions en puyssent toutjour devenir meilleures, car aussi estime elle vous avoir beaucoup obligé de ne vous avoir faict sentyr tant de mal et d'empeschement, de son costé, comme l'on l'a bien incitée et conseillée de vous en fère.

Au regard, Sire, des choses d'Escoce, encores que la dicte Dame ayt, de rechef, très expressément donné parolle à Mr de Roz de procéder au tretté, aussitost que les depputez d'Escoce seront arrivez, car plustost n'y veult elle nullement entendre; néantmoins, de tant que je suys seurement adverty que le comte de Sussex, lequel a encores des forces en la frontière, et le secrétaire Cecille mènent des pratiques, et croy que [c'est] sans le sceu de la dicte Dame, pour tirer la matière en longueur et pour fère rentrer de rechef les Anglois en Escoce au secours du party du régent, qui se trouve le plus foible; il sera le bon playsir de Vostre Majesté d'en parler en telle sorte aulx ambassadeurs de la dicte Dame qu'ilz cognoissent que vous incistez, Sire, très fermement à la continuation et accomplissement du tretté et à l'entretennement de ce qui en est desjà arresté; ou autrement que vous n'estes pour manquer de secours à ceulx de voz allyés qui ont recours à vostre protection, et faveur. Et sur ce, etc.

Ce xxıe jour d'aoust 1570.

A la Royne.

Madame, ce peu de temps qui a passé, despuys la première nouvelle de la conclusion de la paix, laquelle Voz Majestez m'escripvoient du ıııȷe du présent, jusques à la confirmation que j'en ay présentement reçeue, qui n'est que six jours entre deux, nous a donné à dicerner ceulx qui desirent icy véritablement la paix de vostre royaulme, et l'establissement de vos affères, d'avec ceulx qui n'en cerchent que le perpétuel trouble et la diminution de vostre grandeur; et n'en est l'affection de la religion aulcunement la reigle, car plusieurs catholiques et plusieurs protestans meslez ensemble, bien que par divers respectz, monstrent d'en estre très marrys, et de mesmes plusieurs des deux partys s'en réjouyssent conjoinctement; mais ceulx sur toutz, ès quelz gist toute l'espérance de la religion catholique en ce royaulme, en font une très solemnelle resjouyssance, et desirent la conservation de vostre couronne, et croyent et espèrent que d'icelle a de procéder la réunyon de l'esglize et le restablissement de la religion catholique en ceste mesmes isle, aussi bien qu'en tout le reste de la Chrestienté, par les moyens que Dieu vous inspirera, plus qu'aulx aultres princes chrestiens, puysque à vous, plus qu'à eulx toutz, il vous a faict sentyr combien en est dangereuse et pleyne de toutz maulx la division.

Les Huguenotz, qui estoient par deçà, commancent de n'y estre plus si bien veuz qu'ilz souloient, et n'y peuvent désormais vivre sans soupeçon. J'entendz que ceulx, qui estoient pirates, se vont peu à peu retirant, et Clément Joly, ayant réduict tout son équipage à deux bons navyres, s'en va avec Haquens, qui dresse une flotte pour retourner aulx Indes. Ceulx cy ont desjà miz dehors six de leurs grandz navyres, soubz la conduicte de maistre Charles Havart, filz de milord Chamberlan, lequel commandera en l'armée parce que l'admyral est mallade, et y en mettront encores quatre dans ceste sepmayne, mais ilz ne donnent grand presse aulx aultres vingt navyres, parce qu'ilz ont adviz que l'apareil du duc d'Alve ne peult estre prest, jusques envyron la St Michel, bien qu'ilz sçavent qu'il est allé desjà recuillyr la Royne, sa Mestresse, à Nimegen. Maistre Henry Coban s'apreste toutjour pour l'aller saluer, de la part de ceste Royne, et avecques luy s'en retourne par dellà le mesmes merchant depputé sur le faict des merchandises, nommé Fuiguillem, qui en est naguières revenu; et sur ce, etc. Ce xxıe jour d'aoust 1570.

CXXXe DÉPESCHE

—du XXVIe jour d'aoust 1570.—

(Envoyée jusques à la court par La Bresle, chevaulcheur.)

Assurance de l'ambassadeur que l'armement des Anglais n'est pas dirigé contre Calais.—Recommandation qu'il fait de se prémunir néanmoins en France contre toute surprise.—Instance de la reine d'Écosse pour obtenir du roi un secours efficace; sa conviction qu'Élisabeth ne veut pas lui rendre la liberté.—Nouvelles des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, je n'ay trouvé nouveau l'adviz, qu'on vous a donné, de l'entreprinse de ceulx cy sur Callais, car je pense en avoir mandé quasi aultant à Vostre Majesté par le Sr de Sabran, sur le commancement de juillet, et vous avoir dez lors particullarisé quant, commant, et en quel lieu, ilz avoient proposé de fère leur descente, mais que bientost après ilz avoient changé de dellibération, parce qu'ilz avoient jugé que ce seroit attacher une grosse guerre, de laquelle ilz n'avoient ny rien de bien prest pour la commancer, ny nul moyen de la meintenir, sinon par noz troubles, lesquelz ilz voyoient desjà incliner à la paix; et aussi qu'il m'advint lors de toucher ung mot à quelcun des leurs de ce que j'en avois senty, et en mesmes temps Mr de Gordan saysyt des armes qu'on pourtoit à Callais, dont estimèrent que le tout estoit descouvert, de sorte que leur présent armement ne monstre qu'il soit à nul aultre effect que pour tenir la mer, sans pouvoir mettre gens en terre, ainsi que, pour en esclarcyr davantaige Vostre Majesté, je renvoye ce mesmes courryer pour vous en aporter l'estat, tel que je l'ay peu recouvrer, duquel encores il s'en fault beaucoup qu'il soit ainsy bien prest, comme le dict estat le porte; et ne le pourront avoir si soubdain faict plus grand, ny levé les gens de guerre que n'en soyons, de quelques jours devant, advertys. Néantmoins, Sire, ayant premièrement descouvert qu'ilz ont heu intention de tenter quelque chose sur le brullant desir de recouvrer Callais, et les voyant à ceste heure (bien que pour aultres fins) estre en armes, j'ay adverty Mr de Gordan, et les aultres gouverneurs de vostre frontière, de se tenir sur leurs gardes; et ay suplié Vostre Majesté, comme je la suplie encore très humblement, de leur mander de rechef qu'ilz ayent à se monstrer si préparez et pourveuz qu'ilz facent perdre à ceulx cy toute l'ocasion et la vollonté, qu'ilz pourroient avoir, d'y rien entreprendre.

La Royne d'Escoce renvoye ung serviteur du Sr Douglas en France, auquel elle a commiz une dépesche pour Vostre Majesté; et croy, Sire, qu'elle vous persuade de tout son pouvoir, que, touchant sa liberté et restitution, vous ne vous en veuillez plus attandre à ce que la Royne d'Angleterre vous en fera dire ou promettre, car elle pense avoir assés d'aparans argumens pour juger que l'intention de ceulx, qui guydent les conseilz de la dicte Dame, n'est aulcunement d'y entendre, ains de s'opiniastrer, de plus en plus, à sa détention et à luy fère perdre son estat; ainsy que, despuys le commancement du tretté, ilz ont, soubz main, faict créer le comte de Lenoz régent en Escoce, et se préparent à ceste heure d'y envoyer gens, argent et tout aultre secours pour le maintenir; en quoy la dicte Dame me prie que, quoyque ceulx cy me puissent dorsenavant alléguer, je ne vous veuille plus entretenir en aulcune espérance du dict tretté; ains que je vous suplye très humblement, Sire, d'aller au devant de la malle entreprinse qu'ilz ont sur elle, premier qu'ilz l'ayent du tout ruynée, et premier qu'ilz ayent achevé de vous oster une telle allyée, et l'alliance, et les allyez que vous avez en elle, son royaulme et ses subjectz. Dont semble bien, Sire, que, ayant Vostre Majesté porté jusques icy, par voz vertueuses parolles et bonnes démonstrations, beaucoup de faveur aulx affères de la dicte Dame, lors mesmes que les vostres sentoyent plus d'empeschement, que, grâces à Dieu, ilz ne font à ceste heure, s'il vous playt d'en user meintennant de semblables, ou ung peu de plus expresses, et les fère sonner au Sr de Valsingan, avant qu'il s'en retourne, qu'elles seront de bien fort grand moment pour meintenir la cause de la dicte Dame, jusques à ce que y puyssiez, à bon esciant, adjouxter les effectz. Mais affin, Sire, que voyez plus clayrement quel il y fera, je vous manderay, du premier jour, par le Sr de Vassal, le plus particulièrement que je pourray, l'estat de toutes choses d'icy, et ce que la Royne d'Angleterre m'aura respondu sur le faict de son armement; laquelle je vays présentement trouver.

Et ne vous diray davantage, Sire, sinon que le jeune Coban s'apreste toutjour pour passer en Flandres, et ne me suys trompé du jugement, que j'ay faict, qu'il yra jusques à Espire, dont je mettray peine d'entendre quelque chose de sa commission. La nouvelle de la paix de vostre royaulme a esté utille à l'ambassadeur d'Espaigne; car, oultre qu'elle est cause qu'on ne l'a resserré, l'on luy a despuys faict beaucoup de favorables démonstrations. Il est vray qu'on a envoyé surprendre, jusques dans le port de Bergues en Flandres, le docteur Estory et ung maistre Parquer, toutz deux Anglois catholiques, qui estoient là depputez par le duc d'Alve sur la visite des merchandises d'Angleterre pour les confisquer, et les a l'on transportez par deçà, et tout incontinent miz dans la Tour de Londres; en quoy l'on a manifestement viollé la franchise des Pays Bas, chose qu'on ne peult croyre que le duc d'Alve puisse aulcunement dissimuler. Sur ce, etc.

Ce xxvıe jour d'aoust 1570.

CXXXIe DÉPESCHE

—du Ve jour de septembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Audience.—Plainte de l'ambassadeur au nom du roi, qui est averti que l'armement de la flotte d'Angleterre est destiné à une entreprise sur Calais.—Vive protestation de la reine qu'elle n'a jamais eu un pareil projet, et qu'elle n'a d'autre intention que de repousser les attaques, qui pourraient être dirigées contre elle.—Demande d'explications sur les armemens faits en Bretagne.—Débat sur les délais apportés à la conclusion du traité concernant Marie Stuart.—Nouvelle invasion des Anglais en Écosse. Mémoire. Discussions des Anglais sur la paix de France.—Leur crainte qu'une ligue générale ait été formée contre eux.—Changement de conduite d'Élisabeth à l'égard de l'ambassadeur d'Espagne.—Dispositions prises pour éviter une attaque de la part du duc d'Albe.—Résolution de faire sortir la flotte pour rendre honneur à la reine d'Espagne, et se tenir prête au besoin à livrer bataille.—Négociations d'Élisabeth en Allemagne.—Nouvelles de la diète.—Mémoire secret. Assurance donnée parle duc de Norfolk, depuis sa mise en liberté, qu'il reste dévoué à la reine d'Écosse.—Nécessité d'imposer à la reine d'Angleterre un délai, dans lequel le traité avec Marie Stuart devra être conclu.—Utilité de faire quelque changement dans la garnison de Calais.—Projet d'une entreprise du roi d'Espagne sur l'Angleterre: insistance faite auprès de Marie Stuart pour qu'elle s'abandonne entièrement au duc d'Albe du soin de sa restitution.—Disposition d'Élisabeth à renouer la négociation de son mariage avec l'archiduc Charles.—Avis d'une correspondance entretenue avec l'Angleterre par quelqu'un qui approche le duc d'Anjou.—Nouvelles répandues à Londres sur les projets du roi.

Au Roy.

Sire, estant la Royne d'Angleterre en une mayson esquartée dans les boys, à quarante cinq mil de Londres, qui s'apelle Vuynck, elle m'a mandé dire que, si l'affère dont j'avois à luy parler estoit hasté, je vinsse prendre ma part de l'incommodité du lieu où elle estoit; mais, si ce n'estoit chose pressée, qu'elle me prioyt d'attandre jusques au vııȷe jour ensuyvant, qu'elle se randroit près d'Oxfort, en la mayson de Mr de Norrys, qui seroit plus commode. Et comme elle a entendu que je ne vouloys temporiser, et que j'estois desjà prez du dict Vuynck, elle a envoyé trois gentishommes pour me conduyre, non en la mayson où elle estoit, mais en une fueillée, qui lui estoit préparée pour tirer de l'arbaleste aulx dains dedans les toilles; auquel lieu elle est venue bientost après, grandement accompaignée, où m'ayant, avant descendre du coche, et après en estre descendue, fort favorablement receu, premier qu'elle se soit divertye à la chasse, m'a demandé des nouvelles de Voz Majestez.

Et parce qu'on m'avoit dict que le Sr de Vualsingan, touchant son voyage en France, luy avoit escript qu'il trouvoit le monde par dellà mal contant de la paix, je luy ay bien vollu dire, Sire, que Vostre Majesté estoit venue à Paris en sa court de parlement pour y fère bien recepvoir les articles de la dicte paix, lesquelz y avoient esté acceptez avec ung grand consentz de tout ce sénat, et que de là vous en estiez allé randre grâce à Dieu en la grand esglize de Nostre Dame, et solemniser la feste de la my aoust; et que, le soir, estiez allé prendre le souper en l'hostel de ville, pour mieulx establyr le repoz entre ce grand peuple, lequel a accoustumé de servyr d'exemple aulx autres villes voysines; et que vous estiez après à regarder principallement à deux choses: l'une, de bailler argent aulx reytres et estrangiers, au premier jour de septembre, affin de les chasser eulx, et le trouble et malheur, hors de vostre royaulme; et l'aultre estoit de jouyr heureusement de ceste paix, premièrement avec voz subjectz, et puys avec les princes voz voysins, allyez et confédérez, chose qui estoit bien conforme à ce qu'elle m'avoit prié dernièrement de vous escripre: (que vous vollussiez conserver l'amytié des princes voz voysins, comme je la pouvois bien asseurer que vous la vouliez conserver droicte et entière envers elle, aultant qu'avec nul prince de vostre alliance); mais qu'il y avoit ung aultre ambassadeur, lequel je ne cognoissois point, qui vous avoit advisé, Sire, de penser tout aultrement d'elle en vostre endroict, et qu'elle avoit fermement résolu de vous fère bientost la guerre; dont je remercyois Dieu que la vigillance de celluy là m'eust relevé de la plus notable infamye, où gentilhomme eust peu tomber, d'avoir miz mon Roy, Mon Seigneur, et ses affères en ung manifeste dangier, s'il ne vous eust advisé d'y prendre garde, et de vous bien deffandre du costé, duquel je m'esforçoys de vous persuader que vous seriez le moins assailly; bien que je ne demeurois sans coulpe de m'estre layssé endormyr par ses bonnes parolles, sur ce que m'aviez commandé d'avoir les yeulx plus ouvertz, qui estoit l'observance et l'entretennement des trettez.

Sur quoy la dicte Dame, pleyne d'esbahyssement, m'a demandé qui ce pouvoit estre, et que l'infamye tumberoit plus sur elle que sur moy, et qu'elle espéroit de nous en descharger si bien toutz deux que la honte en demeureroit à celluy qui la nous vouloit fère.

J'ay suyvy à luy dire que je luy en communiquerois, au long et au plain, tout ce que Vostre Majesté m'en escripvoit, affin de procéder ainsy clairement vers elle, comme j'avoys faict jusques icy, et comme je la suplyois de ne me contraindre d'en user aultrement; car, pour ne le sçavoir fère, et pour ne mettre, par ma sotise, voz affères en dangier, j'aymois trop mieulx d'estre révoqué, et qu'elle me renvoyât d'où j'estois venu.

Dont, luy ayant baillé là dessus la lettre de Vostre Majesté, avec l'adviz du vııȷe du passé, elle a leu très curieusement l'ung et l'aultre; et puys, sans avoir guières pensé, m'a dict qu'elle me feroit en cella une responce franche et pleyne de vérité: c'est qu'elle prioyt Vostre Majesté de croyre que l'adviz estoit tout entièrement faulx, et que, en son armement, elle n'avoit aultre entreprise que celle, qu'elle m'avoit faict escripre par ceulx de son conseil, et despuys confirmée de sa propre parolle, qui est celle, Sire, que je vous ay desjà escripte; et que, quant il se trouveroit aultrement, elle vouloit que vous la tinssiez pour descheue du rang de Vostre Majesté, où Dieu l'a constituée Royne légitime et Princesse chrestienne. Il est vray que chose semblable, ou peu différante, luy pouvoit avoir esté offerte, mais non de six mois en ça. A quoy elle vouhe à Dieu qu'elle n'a jamais vollu entendre, et ne le fera, soubz tant de bonnes parolles de paix et d'amytié, comme elle m'a prié vous asseurer de sa part; et qu'elle vouloit bien dire aussi qu'ayant Vostre Majesté procédé en bonne façon vers elle sur les affères de la Royne d'Escoce, qu'elle ne vouldroit que bien user vers vous, et achever droictement le tretté qui est là dessus commancé; mais que si, pour l'ocasion de la dicte Dame, laquelle vous sçavez qu'elle luy tient beaucoup de tort, vous la vouliez ennuyer, (ainsy que le comte de Betfort luy avoit escript despuys deux heures, du pays d'Ouest, que Vostre Majesté avoit douze navyres toutz prestz et garnys de toutes monitions de guerre à St Malo, pour les passer en Escoce, et n'attandoit on plus que les gens de guerre pour les mettre dessus; et que, d'abondant, vous aviez faict arrester en Bretaigne toutz les navyres anglois comme en temps de guerre,) qu'elle s'esforceroit de vous fère tout le pis qu'elle pourroit.

Je répliquay, Sire, que je mettrois peyne de vous fère bien entendre sa responce touchant le faict de Callays; et je la prioys de vous en fère dire aultant par son ambassadeur, affin que peussiez cognoistre que ce que je vous en escriprois procédoit de son intention, ce qu'elle m'accorda; et, quant au reste, je la pouvois asseurer que je ne sçavois rien de l'apareil de St Malo, mais que je mettrois toutjours ma vie pour la seurté de la parolle, que vous luy aviez promise: tant y a que je la suplioys ne trouver mauvais, si, pour n'estre faulx ny desloyal à Vostre Majesté, je vous escripvois, touchant le faict d'Escoce, qu'elle nous remettoit à un tretté, duquel je n'espérois ny fin ny commancement: car elle n'y vouloit procéder jusques à ce que les depputez des seigneurs d'Escoce seroient arrivez, et le comte de Sussex empeschoit qu'ilz ne se peussent assembler pour en eslire quelques ungs; et que la création de ce régent, lequel avoit tout incontinent faict pendre trente trois bons serviteurs de la Royne d'Escoce, et les aultres rolles qui se jouoyent entre le dict comte de Sussex et les ennemys de la dicte Dame par dellà, me faisoient veoir qu'on ne tendoit à rien moins que à la paciffication.

A cella la dicte Dame m'a respondu qu'il n'y avoit nul tort de sa part ny des siens, et qu'elle est toute résolue de procéder au dict tretté, et n'attand sinon une responce de la Royne d'Escoce, laquelle l'évesque de Roz luy doibt porter dans deux jours, pour, incontinent après, envoyer deux de son conseil devers elle affin de tretter ouvertement de tout ce qu'elles ont à démesler ensemble; et que j'asseure Vostre Majesté que, s'il y a nul des siens qui veuille traverser le dict tretté, qu'elle l'en fera amèrement repentyr. Et m'ayant la dicte Dame tenu plusieurs aultres fort gracieulx propos, tant du présent des haquenées qu'elle vous veult fère, que de ce qu'elle a envoyé saluer la Royne d'Espaigne et l'Empereur, estant venue l'heure de la chasse, elle print l'arbaleste, et tua six daims, dont me fit faveur de m'en donner bonne part; et au prendre congé, me pria très instantment de vous donner toute satisfaction d'elle sur le faict du dict Callais, et luy procurer pareille satisfaction de Vostre Majesté sur ce qu'on luy a dict de St Malo. Sur ce, etc. Ce ve jour de septembre 1570.

Sur la closture de la présente, est venu adviz comme le comte de Sussex est rentré en Escoce, ainsy que luy mesmes l'a escript. Nous sommes après, icy, d'en demander réparation, et Vostre Majesté y pourvoirra, s'il luy playt, par dellà.

OULTRE LE CONTENU DES LETTRES, le dict Sr de Vassal dira, de ma part, à Leurs Majestez:

Qu'on juge icy diversement de la paix de France, car les ungs disent que le Roy l'a faicte ainsy que monsieur l'Admyral l'a vollue, luy laissant, après l'avoir veincu, plus d'exercice de sa religion qu'il n'avoit auparavant, et toulz les estatz et villes qu'il a demandé: les aultres, au contraire, disent que le dict sieur Admyral s'est layssé aller aulx promesses du Roy, et qu'il s'est condescendu aulx plus honteuses et dommaigeables condicions de paix qu'il se pouvoit fère, ayant layssé perdre les principalles esglizes, que ceulx de sa religion eussent ez bonnes villes du royaulme, pour se contanter de quelques meschantz faulxbourgs; et d'avoir soubmiz, de rechef, eulx et leurs biens aulx parlemens, lesquelz leur sont capitalz ennemys; et d'avoir accordé au Roy le quint de leur revenu pour payer les reytres, dont beaucoup de Catholiques et de Protestans estrangiers, et mesmement ceulx, qui n'ayment ny la grandeur ny l'establissement du Roy, arguent par là qu'il y doibt avoir quelque secrecte convention contre les estatz voysins; et descouvrent qu'en leur cueur ilz sont marrys de la paix de France, et qu'ilz la craignent.

Mais d'aultres plus modérez, qui en désirent la conservation, jugent tout librement que nul moyen plus heureux, ny plus prudent, ny plus conjoinct d'honneur avec proffict, se pouvoit trouver au monde, que cestuy cy de la paciffication; par laquelle le Roy a regaigné l'obéyssance de ses subjectz, et eulx la bonne grâce sienne, et toutz ensemble chassé le trouble et le malheur hors du royaume.

Et, à ce propos, la Royne d'Angleterre m'a dict que quelquefoys ung prince pouvoit bien avoir fort bon droict sur un estat, qui pourtant ne le jouyssoit pas, et que, hormiz le titre, il estoit toutjour en peyne ou d'en conquerre ou d'en deffandre tout le reste; et par ainsy que le Roy a conquiz, par ceste paix, le plus beau royaulme de tout le monde; lequel auparavant il ne possédoit pas, et dont nul aultre que le sien n'eust peu si longtemps suporter les maulx de la division, sinon avec la mutation ou avec la ruyne entière de l'estat, dont elle le conseille de ne le mettre plus en hazard.

Néantmoins monstrans aulcuns des principaulx du conseil de la dicte Dame qu'ilz craignent meintennant la dicte paix, ilz donnent à cognoistre qu'ilz ne la desiroient pas; et mesmes ung, qui sçayt assés de leurs secretz, a raporté qu'ilz ont dict que, si leur entreprinse de Picardie n'eust point esté descouverte, et que je n'en eusse rien senty, ou bien que monsieur l'Admyral eust peu conduyre son armée vers la frontière du dict pays de Picardye ou Normandie, ilz luy eussent bien donné moyen d'évitter l'honteuse paix qu'il a faicte.

Et despuys la conclusion d'icelle, ceulx de ce pays n'usent de si familière conversation avec les Françoys de leur mesmes religion, comme ilz faisoient auparavant, et ne leur layssent nulz marinyers anglois dans leurs vaysseaulx, bien qu'ilz n'en ayent quasi point d'aultres; et seulement vers Mr le cardinal de Chastillon ilz monstrent luy porter encores quelque honneur et respect, pour l'obliger davantaige à estre ministre de conserver la paix entre ces deux royaulmes.

Et, encor que de certains propos qu'on leur a faict acroyre, qui ont esté naguières tenuz près du Roy, au préjudice de ce royaulme; et de la rescente mémoire de la bulle, avec la division qu'ilz voyent croistre toutjour parmy leurs subjectz; et de certaine coppie de lettre qu'ilz pensent avoir recouvert, que le duc d'Alve a escripte à Monsieur, frère du Roy, pour l'inciter, à ce qu'ilz disent, contre eulx; et de l'advertissement, qu'ilz ont, que le dict duc pourchasse, envers l'Empereur, de fère mettre en arrest toutes les merchandises d'Angleterre, qui sont en Hembourg, pour la réparation des prinses, que les Anglois ont faictes en mer sur les subjectz de son Maistre, la dicte Dame et les seigneurs de son conseil soyent entrez en de bien grandz et divers pensements, néantmoins ilz n'en ont esté guières esmeuz jusques à la nouvelle de la paix; mais lorsqu'ilz ont veu qu'elle estoit conclue à l'honneur et advantaige du Roy, ilz n'ont heu rien plus hasté que de consulter et dellibérer, tout incontinent, comme ilz se pourroyent munyr contre l'orage, qu'ilz craignent leur advenir; en quoy ilz ont pensé qu'ilz le pourroient divertyr par gracieuses négociations et bonnes parolles, bien que possible esloignées de ce qu'ilz ont en intention.

Et ont commancé de dépescher premier devers le Roy le Sr de Vualsingan pour la conjouyssance de la paix, et pour luy donner bonne espérance des affères de la Royne d'Escoce, avec le surplus de sa commission, sellon que je l'ay mandé, en la sorte que je l'ay peu descouvrir; bien que la dicte paix leur semble formidable parce qu'ilz n'ont esté appellez à la fère, et que les principaulx, qui guident les conseilz de la dicte Dame, s'opinyastrent, de plus en plus, à la détention de la Royne d'Escoce, et à interrompre le tretté encommancé, pour fère de rechef rentrer les Anglois en Escoce, ainsy que l'empeschement qu'on a donné à Mr de Leviston en la frontière, pour créer cependant le comte de Lenoz régent, et la forme de procéder du comte de Sussex contre ceulx du party de la Royne d'Escoce, le tesmoignent; dont le Roy me commandera s'il sera expédiant que je tire de la dicte Royne d'Angleterre une résolue responce sur le dict affère.

Et pour le regard du Roy d'Espaigne, ayans eulx pensé de tretter plus mal que jamais son ambassadeur, et luy ayant mandé par ung sien secrétaire que la Royne d'Angleterre ne le tenoit plus pour ambassadeur, et faict dire par deulx aldremans qu'il s'en vînt trouver ceulx du conseil à St Aulban, à XL mil de Londres, où j'ay sceu despuys qu'ilz avoient faict préparer ung logis pour le resserrer; l'asseurance de la paix n'est si tost arrivée qu'on n'ayt changé de toute aultre façon en son endroict, l'envoyant visiter avec bonnes parolles et offres d'accord sur les différans; et luy ont envoyé Haquens pour se justiffier de ce qu'on luy avoit rapporté qu'il dressoit une flotte pour aller aux Indes, qui l'a asseuré qu'il n'en estoit rien, et qu'il n'avoit intention de naviguer en lieu d'où le Roy, son Mestre, peult estre offancé. Ilz ont envoyé Fuyguillem devers le duc d'Alve, et ont dépesché le jeune Coban devers la Royne d'Espaigne, avec les plus expresses parolles et les meilleures démonstrations d'amytié, dont ilz se sont peu adviser.

Et néantmoins, ne se trouvans bien satisfaictz de la responce, que le duc d'Alve leur a faicte touchant son armement, parce qu'il a faict mencion qu'il estoit dressé contre les ennemys, ilz ont résolu de se présenter en mer, quant la dicte Dame passera, et de disposer leurs grands navyres, en sorte qu'ilz luy gaignent le vent, (ainsi qu'ilz disent qu'ilz ont cinq ventz qui leur servent et qui leur donnent l'advantaige,) et en ceste sorte la saluer et luy monstrer toutz signes d'amytié; mais s'il n'est prins en ceste sorte de l'aultre part, et qu'ilz ne ressaluent, et ne rendent les mesmes signes d'amytié et d'amayner, avec la soumission requise, que, à la moindre mauvaise démonstration qu'ilz feront, ceulx cy se tiendront pour provoquez, et attacheront le combat. Et y a grande apparance que, si la dicte Dame est contraincte, par quelque occasion de temps, de relascher par deçà, qu'elle ne s'en pourra partyr quant elle vouldra, bien qu'on luy fera tout l'honneur et bon trettement qu'il sera possible; et monstrent ceulx cy estre toutz advertys de l'apareil du duc d'Alve et de celluy d'Espaigne, mais ne craindre l'ung ni l'aultre; et ont donné charge par tout le pays d'user de signalz pour courir aulx portz, au cas que l'on y aborde, affin d'en demeurer les maistres.

Et ont donné charge au susdict jeune Coban, après qu'il aura visité la Royne d'Espaigne, de passer oultre devers l'Empereur, avec lettres, parolles et offres de grande amytié et de grande intelligence en son endroict; et pour l'exorter de demeurer en bonne unyon avec les princes de l'Empyre; et luy donner compte des différans des Pays Bas; et aussi, à ce que j'entendz, quelque peu des choses d'Escoce; mais surtout de le prier qu'il n'ordonne rien en Hembourg contre les Anglois, ny contre leurs merchandises; et, affin de le disposer mieulx vers elle, que icelluy Coban luy remettra en termes, avec affection, le propos du mariage avec l'archiduc son frère, bien que nul se peult persuader qu'elle ayt intention de l'effectuer.

Et cependant, en l'endroict du dict Empereur et des aultres princes catholiques, elle faict valoir et se sert de ceste légation des princes protestans, qui ont encores icy leurs ambassadeurs; et je les ay faict fort observer, et ay trouvé que entre eulx y a ung docteur, qui a seul la charge de toute la négociation, et porte seul la parolle, sans en rien conférer aulx aultres, personnaige si secret et réservé, qu'on ne peult tirer ung seul mot de luy: seulement l'on m'a adverty qu'il a porté une lettre à la dicte Dame, soubsignée de plusieurs princes, sçavoir; des trois ellecteurs Pallatin, de Saxe, Brandebourg, les premiers des lansgraves, après et succecifvement d'aultres, jusques à douze des principaulx d'Allemaigne; réservé cellui de Vitemberg, qui a accepté, à ce qu'on dict, pencion du Roy d'Espaigne, et qu'en la dicte lettre est faicte mencion de ce que le Roy leur a escript de la paix, et la responce qu'ilz luy ont faicte, et qu'ilz exortent la dicte Dame d'espérer toutjour bien d'eulx, et de s'asseurer que toutz ensemble luy demeureront bien unys en affection et intelligence, ainsy qu'ilz le luy ont promiz; et qu'ilz n'obmettront rien de ce qui sera requiz pour l'establissement de leur religion, et pour la seurté des princes, peuples et estatz, qui l'ont receue; et que, sur la dicte lettre, il a heu quatre foys conférance, à part, avec la dicte Dame, laquelle, à mon adviz, l'entretiendra jusques après avoir heu responce des aultres princes, car elle ne se veult vollontiers obliger à nulle ligue, et ne le fera sinon bien contraincte, de tant que les plus grandz frays en auroient à tumber sur sa bourse.

Ce qui s'entend icy de la diette est que les trois ellecteurs ont fort suspecte la proposition, que l'Empereur y a faicte, parce qu'il leur semble qu'elle tend à leur oster l'authorité des armes, et de ne pouvoir fère levées de gens de guerre en Allemaigne, et de diminuer la grandeur de celluy de Saxe, par prétexte de relever celle de ses cousins; et que le dict Empereur finira la dicte diette par tout le moys d'octobre, pour s'en retourner avant l'yver à Vienne, non sans en avoir premièrement indicté une aultre; et qu'encores qu'il n'ayt, pour ceste foys, procédé à la création du roy des Romains, il a néantmoins si bien dressé la pratique, que, pourveu qu'il puysse gaigner les trois eclésiastiques, dont ne se deffye plus que de celluy de Colloigne, il espère qu'il le pourra effectuer, en baillant le tiltre de roy de Bohème à ung tiers pour avoir ceste voix davantaige aulx suffrages; et n'y obstera plus que le reiglement de la bulle dorée de n'admettre tant d'Empereurs d'une mesmes famille, mais le Pape y dispensera; et semble bien que, cella advenant, l'on procédera aussi à la privation du Pallatin, car l'on a opinion que, celluy là séparé des trois, les aultres deux demeureront bien foybles, et que le plus grand soing, qu'ayt à présent le Roy d'Espaigne, est de fère créer son nepveu roy des Romains pour la conservation de ses Pays Bas et de ses estatz d'Itallye, et qu'il n'espargne peyne, ny argent, ny nul de toulz les moyens dont il se peult adviser, pour l'effectuer.

DIRA D'ABONDANT, A PART, A LEURS MAJESTEZ:

Que le duc de Norfolc, despuys estre hors de la Tour, m'a envoyé remercyer des bons offices, qu'il a sentys de ma bonne vollonté durant sa pryson, lesquelz luy ont esté d'un singulier espoir et très grande consolation; et s'asseurant que cella est procédé du commandement de Leurs Majestez Très Chrestiennes, il m'a prié de leur en bayser très humblement les mains de sa part, et de les asseurer qu'après sa Mestresse, il leur demeure très dévot et fidelle serviteur plus qu'à nul prince de la terre, et qu'il leur recommande toutjour la cause de la Royne d'Escoce, pour la restitution de laquelle il veult mettre sa personne, sa vie et son bien.

Il suplie néantmoins Leurs Majestez que l'expécial propos de sa dévotion et affection, vers leur service et vers la Royne d'Escoce, ne passe plus avant que entre Leurs dictes Majestez et Monseigneur, pour le dangier qu'il y a que, s'il estoit sceu de deux endroictz, lesquelz j'ay expéciffiez au Sr de Vassal, il ne luy en advint beaucoup de mal; bien desire qu'en ce que Leurs Majestez vouldront parler en leur conseil des gens de bien et principaulx de ce royaulme, qui desirent la continuation de la paix, et l'entretennement des trettez d'entre la France et l'Angleterre, et la restitution de la Royne d'Escoce, qu'ilz luy facent l'honneur de le nommer toutjour des premiers.

Leurs Majestez ont veu de quelle façon j'ay procédé ez affères de la Royne d'Escoce, et parce qu'il semble adviz à la dicte Dame que je me repose trop sur les parolles de la Royne d'Angleterre, et que par icelles je pourrois interrompre le bon secours qu'elle attend du Roy, elle m'a escript: dont Leurs Majestez, s'il leur playt, orront là dessus le dict Sr de Vassal, et me manderont par luy comme j'en auray à user, et si le Roy trouvera bon que, de sa part, je face instance à la Royne d'Angleterre de restablyr, dans ung moys, la Royne d'Escoce en son estat par la voye du tretté, en s'acommodant entre elles mesmes de leurs différans, ou bien luy bailler son secours pour estre remise; et, à faulte de ce fère, que la dicte Royne d'Angleterre trouve bon que le Roy luy baille le sien, soubz bonne seurté qu'il ne portera aulcun dommaige ny à la Royne d'Angleterre, ny à son royaulme, ny n'usera par mer, ny par terre, vers elle, ny vers les Anglois, sinon comme avec bons amys, allyez et confédérez, pourveu qu'ilz facent de mesmes.

Au regard de l'adviz, qu'on a donné au Roy, de l'entreprinse de Callais, je pense avoir toutjour mandé à Sa Majesté ce qui en a esté ordinairement proposé à ceste Royne et à son conseil, despuys que je suys par deçà, et les choses n'en sont pas passées plus avant. Il est vray que milord Coban, despuys le xve d'aoust, a faict entendre à la dicte Dame que, si elle veult entretenir quelques compaignies, l'espace de deux ou trois moys, toutes prestes, en la coste de deçà, qu'il a promesse d'aulcuns, qui habitent dans la ville et territoire de Callais, lesquelz ont desjà prins argent de luy, de les mettre d'emblée dedans la dicte ville, et de surprendre Mr de Gordan, et de le luy randre prysonnier entre ses mains. A quoy la dicte Dame a respondu que son advertissement venoit tard, de tant que la paix estoit desjà conclue en France; et qu'il fauldroit rompre toutz les trettez et commancer, à ceste heure, qui est bien hors de sayson, une grosse guerre; en quoy je suplie très humblement Sa Majesté de regarder s'il sera bon que la garnyson du dict Callais soit changée, puisque les choses en sont en cest estat.

Touchant l'intention, que le Roy d'Espaigne a sur les choses de ceste isle, il se descouvre, de plus en plus, qu'il dellibère d'y fère quelquefoys ung essay, quant il en aura le moyen; car il a mandé à son ambassadeur qu'il entretienne les plus vifves qu'il pourra, les bonnes intelligences qu'il a dans le pays, et que, quant bien on le vouldroit renvoyer, qu'il ne bouge en façon du monde de sa charge, jusques à ce que tous les différans de ces prinses soyent vuydez; et, quant au faict de la Royne d'Escoce, que le duc d'Alve a commandement résolu de la secourir, mais ne dict en quelle façon; seulement le dict ambassadeur inciste qu'elle se veuille mettre ez mains du dict duc, et que, sans doubte, il pourvoirra à ses affères et à sa restitution.

La Royne d'Angleterre, vivant en très grand deffiance du Roy d'Espaigne, et en peu de confiance du Roy, a mandé à l'Empereur que, si l'archiduc Charles veult passer en Angleterre, qu'il y sera le très bien venu, et que n'estant demeuré la conclusion de leur mariage que sur le différand de la religion, elle espère que ses peuples luy accorderont l'exercice de la catholique à luy et à sa mayson très vollontiers, en contemplation de ce mariage. Et à quoy que aille ce jeu, car quelques ungs l'extiment plein de tromperie, la dicte Dame commance de publier qu'elle assemblera bientost ung parlement pour cest effect; et, en la dernière audience, elle m'a dict qu'elle n'avoit nul aultre regrect, sinon de n'avoir pensé à sa postérité, et comme je luy respondiz qu'il y avoit encores assés temps: «Je crains, dict elle, que mon temps ayt emporté la vollonté à ceulx qui y eussent vollu prétendre.»

Il y a ung certain personnaige prez de Leurs Majestez et de Monseigneur, qui escript assés souvent au secrétaire Cecille par aultre voye que celle de Mr Norrys, et naguières luy a envoyé deux lettres, lesquelles le Sr Espinolla et Fortivy luy ont baillées, par où il s'esforce merveilleusement de broiller les matières par deçà, et aigrir ceste princesse, et la mettre en grand deffiance du Roy; mais le plus souvant il luy représente des motz et des propos, qu'il dict que Monsieur a tenuz contre elle, tant en sa chambre que en ses repas: et, en toutes sortes, celluy là se monstre si malicieulx que ung Anglois, qui a communication des dictes lettres, lequel n'ayme pas beaucoup la France, mais ne vouldroit pourtant que la guerre se print entre les deux royaumes, m'en a faict toucher assés expressément ung mot, affin que j'advertisse Leurs Majestez, mesmement Monsieur, de fère observer qui peult estre celluy qui faict ung si mauvais office près d'eulx. Il ne se soubscript guières aux lettres, seulement il s'est une foys soubsigné Emanuel. Il y a en son cachet ung lyon rampant, et compose assés souvent ses lettres, partie en itallien, partie en françoys, et partie en latin. Il avoit mandé cy devant plusieurs choses, lesquelles, ayant esté trouvées manteuses, on n'y adjouxte grand foy; mais, despuys trois moys, ayant faict entendre à Mr Norrys que Leurs Majestez le feroient appeller pour luy tenir ung tel et ung tel propos, et estant ainsy advenu, il a fort regaigné son crédit.

Il a esté escript une lestre de ceste court en la contrée, dont les chefz m'ont esté raportez: c'est que la paix de France a esté conclue au préjudice et pour aller faire la guerre aulx Pays Bas; que le Roy ne prétend plus espouser la fille de l'Empereur, ains la sœur du Prince de Navarre, et donner Madame, sa sœur, en mariage au dict Prince de Navarre, ayant pour cest effect interrompu le propos du Roy de Portugal, et que Mr de Guyse avoit prétandu d'espouser Ma dicte Dame, sœur du Roy: à quoy Mr le cardinal de Lorrayne luy tenoit la main, dont toutz deux en sont mal veuz à la court.

CXXXIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de septembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Maladie de l'ambassadeur.—Mission de sir Henri Coban auprès de la reine d'Espagne et du duc d'Albe.—Continuation des armemens en Angleterre.—Troisième invasion du comte de Sussex en Écosse; changement apporté dans ses résolutions par la nouvelle de la paix de France.—Demande d'une réparation pour cette dernière atteinte portée aux traités.

Au Roy.

Sire, despuys mes précédantes, lesquelles sont du cinquiesme du présent, je n'ay point sorty de mon logis à cause d'une grosse fiebvre, qui m'avoit desjà surprins, quant j'allay trouver la Royne d'Angleterre à Vuynck, et ce voyage là me l'augmenta bien fort, parce que je le fiz par ung bien mauvais temps, de sorte qu'il ne m'a esté possible de me ravoyr jusques à ceste heure, que, grâces à Dieu, je commence à me trouver mieulx, et pourray continuer le service de Vostre Majesté comme auparavant; et si, ne l'ay tant intermiz, durant mon mal, que je n'aye toutjour heu soing de m'enquérir comme alloient les affères en ceste cour; d'où l'on m'a raporté, Sire, qu'on y est fort attendant de sçavoir quelle aura esté la négociation du Sr Vualsingan devers Vostre Majesté, ainsy que le sir Henry Coban a desjà mandé, touchant la sienne de Flandres, qu'il a esté bien veu du duc d'Alve, et bien fort gracieusement receu de la Royne d'Espaigne, et qu'elle a monstré tenir grand compte du messaige qu'il luy a faict de la part de la Royne d'Angleterre, sa Mestresse, et luy a grandement gratiffié non seulement les bonnes parolles et offres, que la dicte Royne d'Angleterre luy a mandées, mais encores le voyage qu'elle luy a commandé fère devers l'Empereur, son père; dont, pour ceste occasion, elle l'a tant plustost licencié avec faveur et avec ung présent d'une chayne de quatre centz escuz. Il a mandé aussi la belle distribution et consulte, qui a esté faicte, de beaucoup de bienfaictz aulx seigneurs de Flandres, à l'arrivée de la dicte Dame; ce que l'on estime qui confirmera grandement le pays à la dévotion du Roy, son mary, et d'elle.

Ceulx cy cependant se hastent de getter dix grands navyres dehors, et maistre Charles Havart, qui a charge d'y commander, est passé, despuys trois jours, en ceste ville avec les capitaines et gentishommes qui le vont accompaigner. L'on dit que, parce que le duc d'Alve a miz douze navyres en mer pour la conserve de la pescherie, que ceulx cy se veulent trouver en esgalles forces dans ce canal.

Le comte de Betfort est encores au pays d'Ouest, où a semblé, du commancement, qu'il n'eust esté envoyé que pour dresser certayne flotte, de laquelle je vous ay desjà mandé que Haquens se préparoit pour la conduyre aulx Indes; mais s'en estant despuys le dict Haquens venu excuser envers l'ambassadeur d'Espaigne, et l'asseurer qu'il n'a point pensé en la dicte entreprinse, et ne cessant pourtant le dict Betfort de fère toutjour armer et équiper vaysseaulx au dict quartier d'Ouest, je ne puys fère que je ne suplie très humblement Vostre Majesté d'en fère donner adviz aulx gouverneurs de voz portz et places de dessus ceste mer; et je mettray peyne d'en fère aussi advertir en Escoce, car, pour ceste heure, je ne puys descouvrir rien de plus particullier de la dicte entreprinse; seulement, Sire, par un nouvel adviz qu'on m'a donné, je me confirme en l'opinion, que je vous ay desjà mandée, qu'il est expédiant de changer quelque partie de la garnyson de Callays sellon que Mr de Gordan estimera qu'il se debvra fère, en la vertu et vigilance duquel ceulx cy cognoissent bien que conciste grandement la conservation de ceste place.

Le comte de Sussex a escript freschement une lettre au comte de Lestre, en laquelle il s'esforce de fère trouver bon son dernier exploict en Escoce, encores qu'il l'ayt exécuté sans le commandement de ceste Royne ni de ceulx de son conseil, alléguant qu'il a estimé importer beaucoup à l'honneur de la couronne d'Angleterre, et bien fort à sa propre réputation, de ne laysser inpuny ung seul de ceulx qui ont retiré et soubstenu les rebelles de ce royaulme; et qu'à la vérité, il se soucye bien fort peu que la Royne d'Escoce et les siens se trouvent offancez, pourveu qu'il ayt bien servy à la Royne, sa Mestresse; mais qu'il a entendu que la paix est conclue en France, sans que la dicte Royne, sa Mestresse, y soit comprinse, ny sans qu'elle s'y soit entremise si avant qu'on ayt grand occasion de luy en sçavoir grâce; par ainsy qu'il crainct que Vostre Majesté tourne meintennant ses entreprinses aulx choses d'Escoce, et qu'il luy semble que la Royne, sa Mestresse, les doibt accommoder, le plustost qu'il luy sera possible, avec la Royne d'Escoce, et la restituer par ses propres moyens, sans attandre que les estrangiers y mettent la main. Qui est desjà, Sire, bon commancement de veoir réprimé, par l'establissement de la paix et de vos affères, le cueur de cestuy cy, qui monstroit de l'avoir merveilleusement obstiné; et le réprimera aussi, comme j'espère, à plusieurs aultres, qui se débordoient, à cause des troubles de vostre royaulme, en plusieurs audacieuses entreprinses contre vostre grandeur.

Or n'ayant, Sire, pour mon indisposition, peu aller trouver la Royne d'Angleterre, affin de me plaindre du dict comte de Sussex; et estant aussi Mr de Roz conseillé de n'y aller point, toutz deux avons escript à la dicte Dame et aulx seigneurs de son conseil, et, pour mon regard, je leur ay demandé, au nom de Vostre Majesté, que rayson et réparation soit faicte des choses attamptées au préjudice du tretté, et que la dicte Dame me veuille mander quelle satisfaction j'auray à donner à Vostre Majesté de ceste dernière expédition du dict de Sussex, et en quelle intention elle demeure du susdict tretté; dont l'on m'a desjà adverty qu'il me sera faict une bien fort bonne responce, aussitost que le secrétaire Cecille se trouvera ung peu mieulx; lequel, pour quelque indisposition, n'a ozé, il y a plus de six jours, venir en la présence de la Royne, sa Mestresse; et maistre Mildmay a esté envoyé quéryr en dilligence, affin que le dict Cecille et luy, et Mr l'évesque de Roz s'acheminent incontinent devers la Royne d'Escoce. Sur ce, etc. Ce xe jour de septembre 1570.

Je viens d'estre adverty que le sire Guilhemme Stuart est présantement arrivé d'Escoce, de la part du comte de Lenoz; je croy que c'est pour mettre quelques mauvais partys en avant: nous prendrons garde à sa négociation.

CXXXIIIe DÉPESCHE

—du XVe jour de septembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Me Lavaur Féron.)

Sortie en mer d'une partie de la flotte anglaise.—Explications données par Élisabeth sur la récente expédition du comte de Sussex en Écosse.—Nécessité de se montrer prêt en France à porter secours aux Écossais.—Message du cardinal de Chatillon à l'ambassadeur.

Au Roy.

Sire, lundy dernier, xıe de ce moys, le sire Charles Havart est sorty en mer avec dix grandz navyres seulement de ceste Royne et envyron trois mil cinq centz hommes dessus, envitaillez pour deux moys, dont les huict centz sont harquebouziers; le surplus de l'armement se va entretennant en petitz appareilz, sans y donner trop grand haste: dont semble qu'on se contantera d'honnorer le passaige de la Royne d'Espaigne de ce nombre de dix vaysseaulx, sans en mettre davantaige dehors; et qu'on tiendra le reste de l'armée preste pour ung besoing, si d'avanture quelque ocasion survenoit, comme, à la vérité, ceulx cy ne se peuvent fyer ny aulx parolles ny aulx démonstrations du duc d'Alve. Néantmoins ilz ont, despuys la paix de vostre royaulme, changé de dellibération touchant les choses d'Espaigne, car ayant proposé, commant que ce fût, de renvoyer ou bien de resserrer estroictement l'ambassadeur d'Espaigne, j'entendz qu'ilz ont meintennant résolu en ce conseil de ne parler plus de cella, et que la Royne d'Angleterre se layssera conduyre à luy permettre de continuer son office vers elle, si son Maistre le requiert; bien qu'elle ne le peult avoir guières agréable parce qu'elle estime qu'il a dict et faict aulcunes choses directement contre elle et contre l'estat de son pays.

Au regard de ce que j'avois escript à la dicte Dame, et aulx seigneurs de son conseil, de me fère rayson et réparation du dernier exploict, que les Anglois ont faict en Escoce, la dicte Dame m'a mandé que je ne vouldray estre si inique juge que de condampner l'une des parties sans l'ouyr; et que je n'imputeray la coulpe de ce faict au comte de Sussex son lieuctenant, quant j'entendray que milord Herys et aultres, de la frontière d'Escoce, sont venuz accompaigner en armes les rebelles de ce royaume pour courre et piller de rechef la frontière d'Angleterre, et fère de telles insolances qu'ilz ont donné de très grandes occasions au dict de Sussex de leur courre sus; choses toutesfoys qu'elle m'asseure estre advenu sans son commandement et sans l'ordonnance de son conseil, et en laquelle le dict de Sussex a procédé de luy mesmes, mais avec telle modération qu'il n'a touché qu'à ceulx qui l'avoient provoqué, dont le dommaige n'est pas grand, et il s'est desjà retiré; et elle luy a mandé qu'il ne passe plus oultre, parce qu'elle est résolue de pourvoir par le tretté à toutz ces différans, qu'elle a avec la Royne d'Escoce et son royaulme, ainsy que desjà elle a ordonnée à maistre Mildmay et au secrétaire Cecille d'aller, pour cest effect, devers la dicte Dame; et, en ce qu'il semble que je me voulois atacher à sa parolle et promesse, qu'elle me veult bien dire que je n'ay heu nulle occasion et ne l'auray jamais de me plaindre qu'elle ne me l'ayt toutjour randue véritable, me priant de vous donner là dessus, Sire, ceste mesmes satisfaction de l'expédition de son lieuctenant, affin que Vostre Majesté ne la preigne en pire part qu'elle n'est. Qui est tout ce que la dicte Dame et ceulx de son conseil ont respondu à ce que je leur avois escript.

Or, Sire, il semble bien par aulcunes coppies de lettres, que j'ay veues du dict de Sussex, et par ce que Mr le comte de Lestre m'en a faict entendre, que ceste entreprinse est advenue sans le sceu de la dicte Dame, et qu'elle n'en est guières contante; tant y a qu'on ne désadvouhe pour cella le dict de Sussex, lequel a son garant en court, et il a cependant porté beaucoup de dommaige d'avoir abattu sept ou huict maysons nobles et faict le gast partout où il a passé dans le pays. L'aparance est que ceste princesse veult en toutes sortes passer oultre au dict tretté, meue de l'apréhention du dangier, où il luy semble qu'aultrement elle va tumber, lequel les ennemys de la Royne d'Escoce n'ont de quoy le luy pouvoir meintennant effacer; mais ilz la font opiniastrer à des condicions trop dures, comme d'avoir le Prince d'Escoce entre ses mains, quelque place et des ostaiges; dont ceulx, qui entendent bien les affères, estiment que, pour les bien effectuer, il est requis que la dicte Dame sente vostre secours en Escoce, ou au moins si prest d'y passer qu'elle ne le craigne moins que s'il estoit desjà par dellà.

Je n'ay encores peu savoir quelle est la commission du sire Guilhaume Stuard, lequel le comte de Lenoz a envoyé; bien m'a l'on dict qu'il asseure que les seigneurs d'Escoce ont desjà ordonné quelques depputez pour venir icy, mais nous incisterons qu'on passe oultre sans les attandre. Sur ce, etc. Ce xve jour de septembre 1570.

Ainsy que je fermoys la présente, Mr le cardinal de Chatillon m'a envoyé visiter et dire qu'il avoit esté se conjouyr de la paix avecques la Royne d'Angleterre, et que bientost il retournera prendre congé d'elle pour aller trouver Voz Majestez; mais qu'avant partyr il ne fauldra de me venir saluer, comme ambassadeur de son Roy et Maistre, et prendre le diner en mon logis; et qu'il desiroit bien entendre, comme procédoient les choses de la dicte paix en France, parce que plusieurs attandoient de le sçavoir pour s'y retirer. J'ay respondu qu'il y avoit assés longtemps que je n'avois point heu de dépesche, mais que je sçavois bien que Voz Majestez donnoient bon ordre que la paix prînt establissement et durée, dont vous plairra me commander comme j'auray à me gouverner et conduyre envers le dict Sr cardinal et aultres Françoys qui sont par deçà.

CXXXIVe DÉPESCHE

—du XIXe jour de septembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)

Nouvelles de la flotte.—Négociation avec l'Espagne.—Affaires d'Écosse.—Incertitude où sont les protestans français de savoir s'ils peuvent rentrer en France.—Nouvelles d'Allemagne.

Au Roy.

Sire, estans sortys les dix navyres de la Royne d'Angleterre soubz la conduicte de sire Charles Havart, ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes, ilz se tiennent meintennant parez en la coste de deçà, attandans que la flotte de Flandres se mette à la voyle, et demeurent ceulx cy assés persuadez que le passaige de la Royne d'Espaigne sera paysible, sans rien attempter en nul de leurs portz; mais ilz craignent grandement qu'estant arrivée par dellà, le retour de l'armée ne soit à leur dommaige, et qu'on n'y embarque des Hespaignolz pour fère quelque descente en Irlande, ou bien ez quartiers du North d'Escoce, ou en quelque aultre endroict de ceste isle, attandu mesmement que milord de Sethon et ung frère du Sr de Ledinthon sont passez en Flandres, et qu'on dict que le comte de Vuesmerland et la comtesse de Northomberland sont arrivez devers le duc d'Alve, et que plusieurs fuytifz de ce royaulme sont en l'armée, qui va conduyre la Royne d'Espaigne; dont a esté miz icy ung nouvel ordre de tenir si pretz les aultres grandz navyres de ceste Royne qu'il n'y puysse avoir une seule heure de retardement, quant ilz seront commandez de sortyr, et ordonné d'augmenter les vivres, qui y sont nécessaires pour quelque moys davantaige; bien que la dicte Dame et les seigneurs de son conseil se contantent bien fort des bonnes responces, que le dict duc d'Alve a faictes au jeune Coban, en ce mesmement que, luy ayant faict pleincte de l'ambassadeur d'Espaigne, de ce qu'il avoit dédeigné de venir devers iceulx seigneurs du conseil, et qu'à ce moyen l'accord de leurs différans avoit esté retardé, il luy a respondu que l'ambassadeur avoit quelque rayson de n'avoir vollu complayre du tout à ce que les dicts du conseil luy avoient mandé, parce qu'ilz avoient usé de trop dures formalitez envers luy, et ne l'avoient, il y a tantost deux ans, tretté ny recogneu pour ambassadeur, et mesmes ceste foys avoient envoyé des aldremans devers luy comme s'il eust esté crimineulx; néantmoins qu'il luy escriproit de ne fère plus de difficulté de convenir avec eulx, toutes les foys qu'ilz le feroient appeller pour tretter des affères d'entre le Roy, son Maistre, et la Royne d'Angleterre; et ainsy l'a escript le dict duc au dict ambassadeur, de sorte qu'ilz vont, de chacun costé, cerchant les moyens de renouer leurs affères et d'acommoder leurs différans.

La malladie du secrétaire Cecille a donné quelque retardement aulx affères de la Royne d'Escoce; néantmoins l'on avoit desjà ordonné à sire Quainols de s'aprester pour aller avec Me Mildmay devers la dicte Dame, mais se trouvant le dict secrétaire Cecille meintennant ung peu mieulx, le voyage luy est réservé; et cependant milor de Sussex a escript que les seigneurs escouçoys, du party de la Royne d'Escoce, ont tenu une grande assemblée sur les choses que nous leur avions mandées par milor de Leviston, et qu'ilz y ont prins une résolution, laquelle ilz envoyent fère entendre à la Royne d'Angleterre par le dict mesmes Leviston et par aultres leurs depputez, lesquelz il attandoit du premier jour en la frontière pour leur bailler saufconduict de passer plus avant. Et mande néantmoins le dict de Sussex que, en Escoce, l'on ne s'attend guières d'avoir secours de France; tant y a qu'on m'a dict que madame de Norrys s'est pleincte grandement à la Royne sa Mestresse de ce que le dict de Sussex est rentré en Escoce, parce qu'ayant son mary asseuré Vostre Majesté que cella ne se feroit point, elle craint que ne vous en preigniez meintennant à luy, et que ne le faciez arrester et resserrer.

Les Françoys, qui sont icy, se préparent pour retourner toutz en leurs maysons: il est vray qu'entendans qu'à Roan, à Dieppe, à Callais, et en quelques aultres endroictz, l'on faict difficulté de les recepvoir, il y en a quelques ungs qui demeurent en suspens, dont envoyent devers moy pour sçavoir comme ilz en auront à user; et je leur répond que je n'ay pas de plus expresse déclaration de vostre intention là dessus que celle qui est contenue par vostre éedict, et que, de ma part, je ne voy qu'ilz ayent nulle occasion de doubter. Je ne sçay si cella sera occasion que Mr le cardinal de Chatillon prendra le chemin de la Rochelle pour voir, de là en hors, comme il se pourra asseurer de l'establissement de la dicte paix. Mr le vydame, à ce que j'entendz, part dans deux jours et va passer ou à la Rye, ou à Callais; et, de tant, Sire, qu'on donne entendre à aulcuns merchans voz subjectz, qui poursuyvent encores icy la restitution de leurs biens, que tout le faict des déprédations est remiz par vostre éedict, il vous plairra me commander ce que je leur en auray à respondre, affin qu'ilz ne facent dorsenavant la poursuyte en vain.

Il semble que le Sr de Chantonay, escripvant icy à l'ambassadeur d'Espaigne, luy ayt mandé que l'Empereur n'aprouve guières la paix de France, comme ne l'estimant de durée; et que la diette se prolongera beaucoup oultre le moys d'octobre; et que les fianceailles de Vostre Majesté se feront avant la Toutz Sainctz, sans toutesfoys qu'on y attande pour cella la venue de Monseigneur vostre frère, mais plustost celle de monsieur de Lorrayne; et que, estant le comte Pallatin à Espire, il a entendu que ses ministres avoient presché publiquement l'arrianisme à Heldelberc, dont il dellibéroit d'aller réprimer une telle inpiété, mais qu'il fauldroit qu'il corrigeât premier la sienne. Sur ce, etc. Ce xıxe jour de septembre 1570.

CXXXVe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de septembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voie du Sr Acerbo.)

Interruption des armemens.—Mouvement dans le pays de Lancastre.—Négociation de l'évêque de Ross.—Conférence de l'ambassadeur avec le cardinal de Chatillon.—Sollicitations faites auprès de lui par le vidame de Chartres.

Au Roy.

Sire, l'aprest des vingt navyres, que ceulx cy debvoient jetter dehors, après les dix qui sont desjà sortys, se va peu à peu discontinuant, et les a l'on ramenez de l'embouchure de la rivière de Rochestre, où desjà ilz estoient, jusques à leur arcenal accoustumé de Gelingan, ce qui monstre qu'à peyne s'en servyra l'on de ceste année; les aultres dix se tiennent toutjour sur la coste près de Douvres, attandant le passaige de la Royne d'Espaigne, à laquelle le temps ne sert aucunement, et ceulx, qui s'y entendent, disent qu'à peyne luy servira il encores de trois sepmaines; et est venu quelque adviz en ceste court que le Roy d'Espaigne, son mary, luy a mandé que, si l'on voyt que la navigation ne soit bien fort propre et fort seure, qu'elle attande de se mettre sur mer jusques au prochain printemptz, et que possible, entre cy et là, il aura faict dessein de la venir trouver pour visiter ses Pays Bas: ce que possible a donné occasion à la Royne d'Angleterre de fère cesser son armement. Laquelle aussi, comme j'entendz, est tumbée en une grande souspeçon d'une nouvelle ellévation qu'on luy a dict qui se prépare au pays de Lenclastre, où semble qu'elle ayt desjà envoyé gens pour recognoistre que c'est, et des secrettes commissions pour y remédier et apréhender quelques uns.

Cependant il nous est venu des lettres de la Royne d'Escoce, par lesquelles elle mande que les seigneurs d'Escoce, qui sont de son party, luy ont envoyé la déclaration de leur vollonté: laquelle est de fère toutjour ce qu'elle leur commandera, dont Mr l'évesque de Roz est allé devers ceste Royne pour haster sur cella la conclusion du tretté; et j'espère, puysque le secrétaire Cecille est à présent bien guéry, que luy et maistre Mildmay et le dict sieur évesque s'achemineront tout incontinent devers la dicte Royne d'Escoce pour y mettre une bonne fin.

Au surplus, Sire, Mr le cardinal de Chatillon est venu, despuys quatre jours, prendre son diner en mon logis, et m'a dict que, comme vostre très humble subject, il se sentoit tenu, et obligé à vostre service, de ceste visite qu'il faisoit à vostre ambassadeur; et que ce qui l'avoit engardé de la fère, durant les troubles, estoit que vous monstriez lors, Sire, de ne prandre à gré, ains d'avoir quasi en horreur tout ce qui procédoit de ceulx de sa religion; mais à ceste heure qu'il playsoit à Dieu les fère jouyr du bien de vostre grâce, et de celle de la Royne, et de Messeigneurs voz frères, et qu'il vous playsoit les tenir au nombre de voz loyaulx et fidelles subjectz, tout son plus grand soin estoit de vous obéyr et complayre, et prier Dieu pour Voz Majestez et pour Mes dicts Seigneurs voz frères, et fère en sorte que Dieu et le monde cognoissent que la contraincte demeure, qu'il a faicte icy, ne l'a randu moins bon françoys ny moins dévot et fidelle serviteur de vostre grandeur qu'il a esté par cy devant; et qu'il n'a rien oublyé de l'obligation naturelle, ny encores de celle expécialle, qu'il a à Voz Majestez et aulx feuz Roys voz prédécesseurs; que, puys peu de jours, Messieurs les Princes de Navarre et de Condé, et Mr l'Admyral, son frère, ont envoyé ung gentilhomme devers ceste Royne, par lequel ilz luy ont escript à luy de s'en aller à la Rochelle, et qu'ilz s'y rendront le plustost qu'ils pourront, affin de pourvoir à l'accomplissement des choses qu'ilz vous ont promises, lesquelles ne se peuvent bien effectuer sans luy et sans aulcuns principaulx d'entre eulx; lesquelz fault que conviennent ensemble pour admonester les aultres, ainsy qu'il a desjà fort expressément admonesté toutz les ministres, qui estoient icy, premier qu'ilz s'en soyent retournez, de n'excéder en rien qui soit, ny pour quelconque occasion que puisse estre, voz permissions, ny transgresser aulcunement voz deffances; et qu'il est besoing aussi que ce soyent eulx qui, pour donner exemple aulx aultres de contribuer à ce qu'ilz vous ont promiz de payer, se cothisent les premiers bien largement: dont dellibéroit, dans six jours, aller prendre congé de ceste Royne pour s'acheminer puys après à Ampthonne, affin d'y attandre la commodité de son passaige, me priant bien fort de fère entendre ceste sienne dellibération à Vostre Majesté avec plusieurs aultres bons propos, qui seroient trop longs à mettre icy.

Je luy ay respondu, Sire, le mieulx que j'ay peu, sellon que j'ay estimé estre de vostre intention, conforme à la notice que j'en pouvois avoir par vostre éedict, car de plus expécialle je n'en avois poinct; mais je luy ay principallement incisté de vouloir dresser son premier retour en France devers Vostre Majesté, affin de monstrer qu'il a plus de confiance en vostre bonté et parolle que aulx rempartz des places, qu'on a demandées pour seureté.

A quoy il m'a répliqué que ce avoit bien esté son premier desir, mais, puysqu'on luy mandoit de se randre ainsy bientost à la Rochelle, affin de donner forme aulx choses qu'il falloit ordonner, à ce commancement, pour satisfère à Vostre Majesté, et qu'avec très grande incommodité il pourroit fère ce grand tour par terre, qu'il estoit contrainct d'y aller par mer; mais qu'aussitost qu'on auroit pourveu à vostre satisfaction, qu'il vous yroit très humblement bayser les mains, et à la Royne, et à Messeigneurs voz frères, sellon qu'il espéroit que Voz Majestez le luy permettroient, me priant cependant de le vous fère ainsy trouver bon, et que ne veuillez jamais penser de luy que comme d'ung vostre très humble et très obéyssant serviteur.

Le deuxiesme jour après, à l'exemple de luy, Mr le vydame de Chartres, estant prest à partyr, m'est aussi venu visiter avec plusieurs bonnes parolles de l'affection et dévotion, qu'il dict avoir à vostre service, et m'a requis de deux choses: c'est de vous vouloir tesmoigner, par mes premières, que ses déportemenz par deçà n'ont esté en rien contre vostre dict service; et l'aultre, de luy bailler ung mien passeport pour se conduyre, luy, sa femme et son trein, jusques à la Fretté, pour, incontinent après, vous aller très humblement bayser les mains. Je luy ay agréé, en la meilleur façon que j'ay peu, sa bonne intention vers Vostre Majesté, mais j'ay faict plusieurs difficultez sur l'une et l'aultre de ses demandes; et qu'encor que je ne voulois pas nyer que je ne l'eusse faict observer, je ne pouvois toutesfoys vous justiffier en aultre sorte ses actions, parce que toutes ne me pouvoient estre bien cogneues, que de vous dire, Sire, que je ne sçavois pas qu'il en heust faict icy de plus mauvaises contre vostre service que d'y estre venu; et, quant au passeport, que ce seroit préjudicier à la liberté de la paix de luy en bailler. A quoy il m'a répliqué que, pour le regard du premier, il se contentoit bien de ce mien tesmoignage, mais du second, il m'en a tant pressé que j'ai esté contrainct de lui bailler mon dict passeport. Et voylà, Sire, tout ce qui a passé entre les dicts sieurs cardinal et vydame, et moy, dont semble bien que les Anglois n'ont prins grand playsir à ces deux visites; car par icelles ils sont contrainctz de fère quelque meilleur jugement de la réunyon de vostre royaulme qu'ilz ne la pensoient; mais je ne suis point allé randre la pareille à l'ung ny à l'aultre en leur logis, parce que je n'en avois nul ordre de Vostre Majesté. Sur ce, etc.

Ce xııve jour de septembre 1570.

CXXXVIe DÉPESCHE

—du pénultième jour de septembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Campernon.)

Négociation avec les Pays-Bas.—Retard apporté au voyage de la reine d'Espagne.—Résolution d'Élisabeth de procéder à la conclusion du traité avec Marie Stuart.—Mission de Mr de Vérac en Écosse.

Au Roy.

Sire, par le retour du Sr de Sabran je demeure assés esclarcy d'aulcunes choses de vostre intention, lesquelles j'espère que me les ferés plus parfaictement et plus particulièrement entendre, quant le Sr de Vassal me viendra retrouver; et vous diray cependant, Sire, que la Royne d'Angleterre, achevant son progrez de ceste année, arrive aujourduy à Vuyndesor, où elle dellibère fère du séjour, et y attandre le retour des gentishommes, qu'elle a envoyé en France, en Flandres et en Allemaigne, pour, puis après, y assembler son conseil affin de prendre résolution sur les choses qu'ilz raporteront. Les commissaires de Flandres, qui estoient allés visiter les merchandises arrestées ez portz de deçà, dizent qu'ilz y ont trouvé perte et diminution de plus de la moictié; mais, touchant celles qui sont dans Londres, l'on leur a faict acroyre que, si le duc d'Alve veut procéder à ung bon accord de leurs différans, sellon les honnestes offres que la Royne d'Angleterre luy a faictes, qu'on leur en révellera pour plus de cent mil escuz davantaige qu'on ne leur a encores monstrées. A quoy ilz respondent qu'on leur baille premièrement le vray estat d'icelles, affin d'en fère un certain raport au dict duc, et que, puys après, l'on pourra facillement parvenir aulx condicions de l'accord; et veulent, chacun de son costé, gaigner l'advantaige de ce point: dont le différant s'en entretient plus longuement, mais non sans une grande espérance que bientost il s'accommodera: car le duc d'Alve et les principaulx ministres du Roy d'Espaigne, qui sont en Flandres, monstrent n'avoir aulcun plus grand soin que de regaigner l'amytié de la Royne d'Angleterre et de s'esforcer de luy complayre; ce que la dicte Dame, à ce qu'on m'a dict, attribue plus à la paix de vostre royaume que à leur bonne vollonté: et dellibère, de sa part, de suyvre et entretenir cella par les meilleures démonstrations qu'elle pourra, mais non sans qu'elle demeure toutjour en beaucoup de souspeçon et de deffiance, à cause de la retrette de ses subjectz fuytifz, et de la légation d'aulcuns Escossoys devers le dict duc en Flandres. Cependant les dix grandz navires de la dicte Dame demeurent toutjour en la coste de deçà pour honnorer le passaige de la Royne d'Espaigne, non sans qu'elle se repente assés de les avoir si tost faictz jetter dehors, parce que la despance y va grande, et ne se peult juger si le temps pourra encores servyr, de deux moys, à la dicte Royne d'Espaigne. Néantmoins il est venu nouveau mandement à Londres de tenir encores ung nombre de marinyers prestz, comme pour quatre navyres davantaige: je ne sçay encores à quel effect.

Nous avons tant pressé l'advancement des affères de la Royne d'Escoce que le secrétaire Cecille et maistre Mildmay ont esté du tout dépeschez, dez mardy dernier, pour aller devers la dicte Dame, et Mr de Roz avec eulx, où j'espère qu'il se prendra quelque bon ordre pour le restablissement d'elle à sa couronne; mais, de tant que, sur les condicions, qu'on luy propose, plusieurs nous donnent divers conseilz, je ne m'advanceray d'y intervenir, au nom de Vostre Majesté, sans vous avoir faict quelque aultre dépesche plus ample et plus expresse là dessus. Bien me confirme l'on, de plus en plus, Sire, que ceste Royne, veult résoluement entendre à conclurre le tretté, et que cependant elle a mandé au comte de Sussex de casser toutes les compaignies extraordinaires, qu'il avoit levées en la frontière du North. L'arrivée du Sr de Veyrac en Escoce met ceulx cy en quelque jalouzie, mais il ne seroit que bon qu'ilz l'eussent encores plus grande, car je crains bien fort qu'ayant Mr Norrys escript icy que Vostre Majesté est résolue de n'envoyer nulles forces par dellà jusques au printemps, que cella leur face prolonger le tretté, soubz espérance qu'il puysse cependant survenir quelque chose à leur commodité et advantaige. Sur ce, etc.

Ce xxıxe jour de septembre 1570.

CXXXVIIe DÉPESCHE

—du Ve jour d'octobre 1570.—

(Envoyée jusques à Calais par ung qui s'en est allé avec le Sr Frégouse.)

Retour de Walsingham en Angleterre, chargé de faire connaître à la reine la déclaration du roi touchant l'Écosse.—Prochain départ de la reine d'Espagne.—Suspension des affaires politiques à Londres pendant l'absence de Cécil envoyé vers Marie Stuart.—Nouvelles d'Allemagne.

Au Roy.

Sire, j'ay receu, le xxıxe du passé, les lettres qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, du xxıȷe auparavant, par le Sr de Valsingan, qui me les a envoyées passant par Londres, et m'a mandé qu'au retour de randre compte à sa Mestresse de ce qu'il a faict en France, qu'il me viendra voir. Il me semble, Sire, que rien n'a pu venir plus à propos, pour les présens affères de la Royne d'Escoce, que d'avoir Vostre Majesté ainsy fermement et vertueusement parlé, comme avez faict, à l'ambassadeur Mr Norrys et à luy; et dont je ne fauldray de représanter à leur dicte Mestresse voz mesmes propos, telz qu'ilz sont contenuz en vostre lettre, la première foys que je l'yray trouver, ayant estimé qu'il estoit bon, pour aulcuns respectz, de les luy réserver jusques à la venue d'une aultre vostre dépesche, pour luy laysser cependant digérer ce faict sur le récit, que le dict de Valsingan luy fera, des propres paroles et démonstrations qu'il a ouyes et veues de Vostre Majesté, et aussi pour n'interrompre rien en la commission qu'elle a donnée au secrétaire Cecille et à Maistre Mildmay vers la Royne d'Escoce; ausquelz j'ay opinion qu'elle envoyera en dilligence notiffier la déclaration qu'avez faict à ses dicts ambassadeurs, affin qu'ilz ne s'en retournent sans résouldre quelque chose avec elle; ayant plusieurs adviz, de divers lieux, assés certains qu'il tarde infinyement à la dicte Royne d'Angleterre qu'elle puysse, en quelque seure façon qui ayt aparance d'honneur et d'advantaige, se démesler du faict de la dicte Dame, non sans se repentyr de s'en estre si avant entremise. Et est sans doubte que, si l'affère pouvoit tumber en la main de quelque aultre, qui le manyât avec plus de modération que ne faict le secrétaire Cecille, ou que luy mesmes, après avoir veu la Royne d'Escoce, se volust modérer, et ne fère plus, sur des petitz momentz, naistre de si grandes difficultez et longueurs, qu'il a faict jusques icy, que toutz les différans d'entre ces deux Princesses et leurs deux royaulmes se pourroient facilement et bientost accommoder, dont de ma part, Sire, je ne fauldray d'y incister à toute heure; mais la vifve parolle et la démonstration que Vostre Majesté fera d'un prochain secours, attandant qu'il s'ensuyve à bon esciant, s'il est nécessaire, y servyront infinyement.

La dicte Royne d'Angleterre a dépesché ung saufconduict pour les depputez d'Escoce, et a mandé au comte de Sussex de les bien recepvoir et honorer, et qu'il advertisse ceulx du party du régent d'envoyer promptement les leurs. Le susdict de Valsingan a desjà parlé à quelques ungs de ses amys de la continuation de la paix de France comme en doubte, alléguant des occasions qui luy font juger qu'elle aura quelque establyssement, et d'aultres qui lui font croyre qu'elle ne pourra estre de durée; dont de ce qu'il en a dict, et du rapport qu'il en aura faict en ceste cour, je mettray peyne qu'il m'en viegne quelque adviz, affin de le vous mander par mes premières. Il aura encores rencontré Mr le cardinal de Chastillon en ceste dicte court, car son congé luy avoit esté différé jusques à hyer.

L'on estime que la Royne d'Espaigne s'embarquera à ce commancement d'octobre, car, ayant le retour de la lune esté sur un temps propre et qui sert bien à sa navigation, l'on estime qu'il durera assés pour la conduyre jusques en Espaigne; dont s'atand de sçavoir comment et en quelle bonne façon se seront déportez les navyres de la Royne d'Angleterre à la saluer, et la convoyer le long de la coste de ce royaume. Les commissaires de Flandres pourchassent leur congé, mais il semble qu'on le leur prolongera jusques au retour du secrétaire Cecille, car en son absence rien ne se dépesche; et mesmes l'on a remiz, à cause de luy, l'ouverture du terme de la justice jusques au premier de novembre, par prétexte toutesfoys de la peste; laquelle va néantmoins diminuant, et chacun s'en retourne à la ville. Il semble que Henry Coban, qui est allé devers l'Empereur, ayt heu charge de ne presser guières son retour: dont il a cependant renvoyé ung des siens avec une dépesche, de laquelle je n'ay encores bien aprins le contenu, si n'est qu'il semble mander que, ne pouvant l'Empereur fère guières réuscyr aulcune bonne résolution ez choses qu'il a proposées en la diette, qu'il dellibère bientost la rompre; et j'entandz que le comte Pallatin a aussi escript qu'il a quelque opinion que le Pape se soit advancé de créer de luy mesmes, sans attandre la vollonté des ellecteurs, l'archiduc Charles roy des Romains, et que cella sera pour admener beaucoup de trouble en Allemaigne; dont est bruict icy que desjà quelques princes ont esté vers Hembourg, comme pour s'asseurer d'aulcunes levées de gens de guerre. Sur ce, etc.

Ce ve jour d'octobre 1570.

CXXXVIIIe DÉPESCHE

—du Xe jour d'octobre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Troies.)

État de la négociation en faveur de Marie Stuart.—Conduite faite à la reine d'Espagne par la flotte anglaise.—Crainte où l'on est en Angleterre que les hostilités commencent au retour de la flotte espagnole.—Négociation avec les Pays-Bas.—Départ du cardinal de Chatillon pour la Rochelle; mauvais accueil reçu à Dieppe par le vidame de Chartres.—Prise nouvellement faite en mer, malgré la paix, par le capitaine Sores.—Affaires d'Allemagne.

Au Roy.

Sire, rendant le Sr de Valsingan compte à la Royne, sa Mestresse, de la négociation qu'il a faicte en France, j'entendz qu'il luy a faict ung très bon rapport des louables qualitez de Vostre Majesté, de ce que ung chacun vous tient pour prince magnanime, constant, certain et bien fort véritable, et uny par ung grand et naturel amour avec la Royne vostre mère, et avec Monseigneur vostre frère, desquelz il a aussi fort dignement parlé; et que, par la force de leur conseil et la fermeté de voz éedictz, la paix de vostre royaulme a d'estre perdurable, et voz aultres affères à recepvoir beaucoup d'establissement: dont la dicte Dame a de beaucoup davantaige estimé, et heu en plus grand prix, les bonnes parolles de paix et d'amytié, que Vostre Majesté luy a mandées. Et luy ayant le dict de Valsingan, par mesmes moyen, touché le propos, que luy avez tenu, de la restitution de la Royne d'Escoce, vostre belle sœur, avec l'expression de l'affection qu'il a cognu que vous y aviez; et ayant, de ma part, faict fère là dessus, le plus à propos que j'ay peu, ung office par le comte de Lestre, il est advenu que la dicte Dame a tout incontinent dépesché vers le secrétaire Cecille pour l'advertyr qu'il ayt à procéder en si bonne façon vers la Royne d'Escoce, qu'il ne s'en retourne sans conclurre quelque chose avecques elle. Dont, à la première occasion qui me viendra d'aller parler à la dicte Dame, je luy confirmeray ceste sienne vollonté, et n'obmettray rien de ce qui pourra servyr à bien advancer et effectuer le propos, et à establyr pareillement l'amytié d'entre Voz Majestez.

L'on tient que la Royne d'Espaigne est passée, et que les navyres de la Royne l'ont saluée et accompaignée jusques en la coste de Biscaye, et que sire Charles Havart luy a baysé les mains avec ung présent d'ung beau dyamant, que la Royne sa Mestresse luy a envoyé, qui est l'ung de ceulx que le Roy d'Espaigne avoit donnez à la feu Royne Marie, sa sœur, ou à elle, qui sont estimez valoir, l'ung huict mil ducatz, et l'aultre cinq mil; et que la dicte Royne d'Espaigne, de son costé, a faict bailler quatre mil ducatz au dict Havart et aulx siens; mais la vérité et certitude de cecy se sçaura mieulx quant le dict Havart sera de retour, lequel est encores en mer. Tant y a que ces démonstrations, lesquels sont devenues toutes aultres qu'on ne les sembloit préparer du commancement, donnent à cognoistre qu'il n'y a en effect nulle malle vollonté entre les Espaignols et les Anglois, ains qu'ilz cerchent de s'accommoder ensemble en gaignant, aultant qu'il leur sera possible, chacun de son côté, quelque advantaige; dont usent d'artiffice à fère bien espérer ou à intimider l'ung l'aultre en ce qu'ilz peuvent; et semblent néantmoins que les dicts Anglois ne demeurent meintennant sans une grande souspeçon du retour de l'armée d'Espaigne, par ce mesmement qu'on leur a raporté que une partie d'icelle est demeurée toute appareillée, et bon nombre de gens pretz à s'y embarquer en Olande; et qu'ilz sçavent que aulcuns fuytifz et aulcuns Escossoys sont toutjour près du duc d'Alve pour l'inciter à quelque entreprinse par deçà: et à ceste occasion, mècredy dernier, ceste Royne a faict de rechef appeller toutz les officiers de la maryne à Vuyndesor, mais je ne sçay encores ce qu'elle leur a ordonné; et est la dicte Dame après a fère cercher deniers de toutz costez.

Les commissaires de Flandres s'attendent d'avoir demain leur congé, et semble qu'ilz ne s'en retournent guières plus contantz ny mieulx satisfaictz que quant ilz sont venuz; car, oultre la perte et diminution qu'ilz ont trouvé ez merchandises, qui estoient encores en estre, l'on leur a baillé ung compte si désadvantaigeulx de celles qui ont esté vendues par auctorité de justice, tant au priz que aulx fraicz, qu'elles ne reviennent pas au cinquiesme de la juste valleur. Par ainsy l'accord se monstre encores assés difficile à fère, et cependant l'on ne sçayt si le temps, et la longue souspencion du traffic, pourra produyre quelque chose de nouveau entre eulx.

Monsieur le cardinal de Chastillon print congé de ceste court lundy dernier, non sans recepvoir beaucoup de faveur de ceste Royne et plusieurs présens (de haquenées et de chiens de sang) des seigneurs d'auprès d'elle; et s'en est allé à Hamptonne attandre la commodité de son passaige à la Rochelle. Aulcuns demeurent escandalisez des difficultés qu'on a faictes à Mr le vydame de Chartres à Dièpe, mais je rendz quelque rayson là dessus, qui monstrent de les satisfère. Ung agent de Portugal, qui est en ceste ville, dict que le capitaine Sores s'est esforcé de piller de rechef la Madère, et qu'au retour de ceste entreprinse il a prins un des galions du Roy de Portugal venant des Indes, qui estoit demeuré derrière, lequel estoit bien fort riche; de quoy ung chacun monstre icy estre fort offancé d'entendre ung tel acte après la paix, et crainct on que de la Rochelle ayt à sortyr beaucoup de désordre en la mer, s'il n'y est remédié.

J'entans qu'il est arrivé des lettres d'Allemaigne, qui semblent confirmer ce qu'on avoit auparavant escript de la création du roy des Romains par le Pape, jusques avoir envoyé une coppie du brevet, et que ung chacun pense que les princes ellecteurs procèderont à une contraire ellection de leur part; mesmes qu'il semble que l'Empereur face toute démonstration d'avoir ignoré et de n'aprouver aulcunement ceste procédure de Sa Saincteté; et qu'il a esté descouvert qu'on avoit de rechef incidié à la vie du comte Pallatin. Sur ce, etc.

Ce xe jour d'octobre 1570.

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