Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Troisième
Instruction au dict Sr de Sabran de ce qu'il aura à fère entendre à Leurs Majestez, oultre la dépesche:
Que naguières furent miz en dellibération au conseil de la Royne d'Angleterre, elle présente, les trois poinctz qui s'ensuyvent: Le premier, qu'est ce qu'il estoit besoin de fère pour se pourvoir contre le Roy et le Roy d'Espaigne, desquelz l'amytié estoit desjà si suspecte qu'ilz estoient pour se monstrer tous déclairés ennemys, aussytost que l'ung pourrait avoir la paix avecques ses subjectz, et que l'aultre seroit venu à boult des Mores révoltez; le segond est quel ordre de bien maintenir la religion protestante, et effacer la mémoire et le désir de la catholique en tout ce royaume; et le troisiesme, comment procéder si seurement au faict de la Royne d'Escoce et de son royaulme, que tout l'advantaige en demeurast à la dicte Royne d'Angleterre et au sien.
Les adviz furent divers, car, quant au premier poinct, il y en eust qui dirent que n'ayans les deux Roys aulcune juste entreprinse en ce royaulme, comme ilz n'y avoient aussi aulcune juste prétention, il estoit à croyre qu'ilz ne cercheroient que d'estre satisfaictz de quelque offance, es quelles il les falloit honnestement contanter, et par ce moyen les retenir pour amys; les aultres opinèrent qu'il ne se failloit attandre à cella, ains se pourvoir de bonnes et bien fermes ligues avec les princes protestans, qui seroit le vray rempart et maintien de ceste couronne contre leur effort. Au regard du segond, les ungs dirent qu'il estoit bon qu'avec l'exemple de la bonne vie et de la droicture des évesques protestans, il fût uzé de si bons déportemens envers les Catholiques, et les fère jouyr d'ung si paysible repos, qu'ilz n'eussent qu'à se bien contanter du présent estat de la religion, qui avoit cours en ce royaulme, sans essayer, avec le dangier de leurs vies et de leurs biens, d'attempter rien pour remettre la leur; et les aultres, au contraire, que c'estoit par toutes sortes de deffaveur et de craincte qu'il les failloit abattre et tenir réprimez: et sur le troisiesme, du faict de la Royne d'Escoce, parce que la matière estoit fort affectée, il fut seulement dit qu'il failloit, devant toutes choses, regarder à ce qui estoit plus expédiant, ou de retenir ou de délivrer la personne de la dicte Dame; et pour lors n'y eust que des remonstrances bien fort considérément desduictes pour admener, de chacun costé, la dicte Dame à leur opinion, sans qu'on en vînt rien à conclurre.
Peu de jours après, les principaulx de la noblesse avoient si bien disposé la dicte Dame qu'ilz pensoient n'y avoir rien plus près d'estre exécuté que la satisfaction envers les deux Roys et le soulaigement des Catholiques, et la liberté et restitution de la Royne d'Escoce; et de ce dernier, l'évesque de Roz en avoit conceu une si certaine espérance qu'il avoit desjà commancé de proposer des conditions et offres à la Royne d'Angleterre; et l'avoit on asseuré qu'il seroit, le lendemain, introduict vers elle pour en traicter en présence: mais s'estant huict du conseil bandez au contraire, ilz firent le matin venir milord Quiper devers la dicte Dame, garny d'une préméditée remonstrance, par laquelle il luy mit tant de dangiers et d'inconvénians devant les yeulx, et l'irrita si fort sur des livres, que le dict évesque avoit faict imprimer sur la deffense de l'honneur de sa Mestresse et sur les droicts qu'elle a à la succession de ceste couronne, que la dicte Dame, après l'avoir ouy, estima ne pouvoir, en façon du monde, estre plus Royne, si la Royne d'Escoce luy eschapoit; et qu'il falloit qu'avec le temps elle veist les choses d'Angleterre et d'Escoce en meilleure disposition pour elle qu'elles n'estoient, premier que de la délivrer. Et sur ce, les affères de ceste pouvre princesse furent remiz en surcéance, et le dict évesque de Roz resserré, et courriers incontinent dépeschez vers le North pour haster le comte de Sussex à son entreprinse.
A quelques jours de là, j'allay déclairer l'intention du Roy là dessus à la dicte Royne d'Angleterre, aulx propres termes qu'il me l'avoit mandé par sa dépesche du xııe du passé; sur lesquelles elle fit les démonstrations de rescentymens et de courroux, que j'ay mandé par mes lettres du ıııe du présent, mais non en sorte qu'elle ne monstrât bien qu'elle tenoit en grand compte la déclaration du Roy; et comme princesse nourrye à la modération et à beaulcoup de sortes de vertu, me fit les responces qui s'ensuyvent, par lesquelles se pourra juger ce qu'elle avoit lors en son désir; dont cy après s'entendra si elle l'aura en rien changé:
Que le Roy, son bon frère, s'il l'estimoit Princesse Souveraine et légitime, et non accusée d'aulcun mauvais cryme, et estre aussi bien son alliée comme la Royne d'Escoce, laquelle n'estoit mentionnée en nulz trettez, qu'elle n'y fût premier nommée et comprinse, qu'elle s'esbahyssoit comment il voulloit meintennant procéder d'une tant diverse vollonté entre elles deux, et comme il voulloit avoir tant d'esgard à l'une, et si peu à l'aultre, qu'il trouvât bon que toutes les offances de la Royne d'Escoce luy fussent réparées, et nulles des siennes à elle; à qui toutesfoys elles avoient plustost esté commises et en si grand nombre, et tant dommaigeables que tout ce qu'elle cerchoit meintennant de la dicte Royne d'Escoce et des siens n'estoit sinon comme elle pourrait estre satisfaicte du passé et demeurer bien asseurée de l'advenir:
Car, oultre les vielles querelles, il estoit trop vériffié que c'estoit la dicte Royne d'Escoce et l'évesque de Roz qui avoient esmeu les troubles du North, et qui avoient envoyé lettres, messaiges, bagues, argent, et fère offres de grandz sommes et secours aulx comtes de Northomberland et Vuesmerland, pour leur fère prendre les armes; et, après qu'ilz avoient esté deffaictz, elle avoit donné ordre de les fère recepvoir par ceulx qui tiennent son party en Escoce, non comme fugitifz pour garentyr leurs vies, mais comme ennemys, poursuyvans une guerre contre elle, et contre ses bons subjectz, à feu et à sang, et avec tant de cruaulté sur ses frontières qu'elle seroit trop indigne d'avoir royaulme, ny couronne, ny tiltre de Royne, si elle le comportoit;
Qu'en l'entreprinse, qu'elle avoit faicte pour y remédier, elle avoit suivy l'ordre des trettez, sellon lesquelz elle avoit escript et envoyé messagiers exprès, devers les principaulx seigneurs et officiers d'Escoce, pour fère cesser les désordres et avoir réparation de ceulx qui estoient desjà commiz, lesquelz avoient respondu qu'ilz n'y pouvoient donner ordre jusqu'à ce qu'ilz auroient accommodé leurs différandz; et en avoit aussi adverty la Royne d'Escoce, bien qu'elle fût entre ses mains, qui avoit seulement respondu qu'elle n'en pouvoit mais:
Par ainsy, qu'après avoir satisfaict aux trettez, desquelz elle sçavoit bien les termes, et ne les vouloit transgresser; ains, suyvant sa proclamation sur ce faicte, vouloit droictement conserver la paix avec la couronne d'Escoce, et non moins bien tretter les bons Escouçoys, et ceulx qui ne reçoipvent ny accompaignent ses rebelles à luy fère la guerre, que les propres Anglois: elle avoit bien vollu aussi satisfère au debvoir qui l'obligeait à la deffance, tuition et conservation de ses subjectz, et qu'il n'y avoit lieu de penser qu'elle eust une plus grande entreprinse que celle là en Escoce, et, si elle l'y avoit, ce ne seroit à si petites forces qu'elle y entreroit.
Et de la dicte entreprinse, quant le Roy l'entendroit bien à la vérité, elle ne pensoit qu'il vollût condampner rien de ce qui, en semblable occasion de la deffance de ses subjectz, il est très certain qu'il en feroit davantaige; et bien qu'elle n'eust à s'en justiffier qu'à Dieu seul, si avoit elle bien vollu qu'il y intervînt tant de justice qu'elle ne peult estre raysonnablement blâmée de nul; et que le Roy, son bon frère, ny le Roy d'Espaigne, duquel je luy avois faict mencion, ny nul aultre prince du monde ne la garderoient qu'elle n'essayât toutjours tout ce qu'elle verroit et trouveroit, par conseil, estre expédiant de fère pour la deffance de son estat, et qu'elle vouloit bien dire que le debvoir obligeroit plus justement le Roy de luy ayder à repoulser ses injures, que de maintenir celles que injustement la Royne d'Escoce luy faisoit;
Que, quant à la liberté et restablissement de la dicte Dame, encores que le dangier des choses présentes, et l'espreuve des passées, et le peu de seureté qu'on pouvoit prendre de ses promesses, veu ce que son ambassadeur, en parlant d'icelles à Ledinthon avoit dit: Quæ in vinculis aguntur, rata non habebo, et frangenti fidem fides frangatur eidem; et nonobstant aussi que la dicte Dame se fût bien fort efforcée de se déclairer seconde personne de ce royaulme, ce que ne luy estoit loysible de fère; et que son dict ambassadeur, oultre ses aultres mauvais offices, eust freschement publié trois livres en ceste matière, qui touchoient à l'estat et honneur d'elle, et de sa couronne, et de ses conseillers; et qu'en toutes sortes la Royne d'Escoce l'eust si mal traictée, et remué tant de choses pernitieuses en son royaulme, qu'elle eust grand occasion d'estre infinyment irritée contre elle, et de ne recepvoir aulcun expédiant de sa part:
Si, ne reffuzeroit elle toutesfoys d'ouyr et recepvoir les offres et condicions qu'elle ou le Roy luy vouldroient fère, ainsy que desjà la dicte Dame et l'évesque de Roz luy en avoient escript, et luy avoient envoyé des articles assés semblables à d'aultres, que cy devant l'on luy avoit présentez; et le dict évesque luy avoit mandé qu'il avoit à luy proposer encores quelque chose davantaige, de parolle; dont seroit bientost ouy: mais cependant le Roy ne debvoit trouver mauvais qu'elle poursuyvît la vengeance des tortz qu'on luy avoit faictz, et néantmoins me prioit de luy bailler par escript ce que je luy avois proposé de sa part, affin de pouvoir mieulx dellibérer, et luy en fère, puys après, plus clayre responce.
Je luy respondiz seulement qu'elle debvoit prendre de bonne part ceste grande franchise, dont le Roy usoit envers elle, de luy ouvrir ainsy clairement son intention; et que, quant bien il ne luy en eust ainsy parlé, elle n'eust layssé pourtant de penser qu'il estoit de son honneur et de son debvoir, non seulement de le dire, mais de le fère ainsy qu'il le diroit; et que ce n'estoit d'aulcune malle vollonté envers elle, ains d'une notoire obligation envers la Royne d'Escoce, qu'il estoit contrainct d'en user ainsy; et qu'il n'en feroit pas moins pour elle, en vertu de leur commune confédération, si elle et son royaulme estoient en pareille nécessité, car la loy des aliences portoit de subvenir à ceulx des alliez qui sont oprimez, voire contre les aultres propres alliez qui les opriment;
Que le Roy, pour n'en venir là, desiroit qu'elle mesmes, par le conseil de sa propre conscience, ou par celluy de son cueur qu'il estimoit royal et droict, et encores par le conseil de ceulx, qui plus parfaictement ayment son bien et sa grandeur, vollût adviser qu'est ce que de ceste pouvre princesse, sa niepce, elle pouvoit desirer davantaige, de ce qu'elle luy avoit offert; que s'il n'y couroit ung manifeste dangier de sa conscience, ou de son honneur, ou de sa vie, ou de la perte de son estat, il s'asseuroit qu'elle l'accorderoit, et que luy, comme son principal allyé, non seulement le confirmeroit, mais mettroit peyne de le luy faire droictement accomplyr;
Et que je luy voulois bien dire qu'après cecy, si la détention de la dicte Royne d'Escoce continuoit, et l'invasion de son pays ne cessoit, que le Roy demeureroit très justiffié envers Dieu et la dicte Royne d'Angleterre, sa bonne sœur, et envers toutz les siens, comme aussi il s'en justiffieroit envers les aultres roys, et mesmes envers les princes d'Allemaigne, qu'il n'auroit tenu à luy d'obvier au mal qui pourra advenir, si ses tant raysonnables offres, sur la liberté et restitution de sa belle sœur, ne sont acceptées, et qu'il ne luy en debvra estre rien imputé.
AULTRE INSTRUCTION A PART AU DICT Sr DE SABRAN.
La peur que j'ai heu que la déclaration du Roy à la Royne d'Angleterre, pour les affères de la Royne d'Escoce, mit les siens en dangier, m'a tenu en suspens si je la debvois différer, ou non, jusques après estre bien asseuré de la paix; mais, voyant que de demeurer sans fère quelque prompte démonstration, sur ce que l'armée d'Angleterre estoit entrée en Escoce, diminuoit par trop la réputation du Roy, et luy faisoit perdre les bons serviteurs qu'il a icy et au dict pays d'Escoce, je ne l'ay vollue différer; bien ay miz peyne d'user de tout l'artiffice qu'il m'a esté possible pour garder, qu'en aydant les affères de la dicte Royne d'Escoce, je n'aye poinct faict de dommaige à ceulx du Roy; car il est sans doubte qu'ilz se portent mutuelle faveur, et qu'on respecte les ungs pour l'amour des aultres en ceste court.
Et n'a esté sans que aulcuns principaulx seigneurs de ce royaulme, et l'évesque de Roz avec eulx, n'ayent cuydé monstrer un grand signe de malcontantement de ce que le secours de France ne paroissoit desjà en Escoce, et que je ne protestais tout promptement la guerre, puysque les Anglois avoient commancé d'entrer en pays, et y fère toutz actes d'hostillité.
Et disoient, tout hault, qu'il falloit que le Roy cessât d'estre amy ou des Angloys, ou des Escouçoys, car il ne pouvoit meintenir l'amytié avecques les deux, et qu'il debvoit bien considérer que si les seigneurs catholiques de ce royaulme, qui s'estoient asseurez qu'il favoriseroit et secourroit les affères de la Royne d'Escoce et les leurs, quand il seroit besoing, n'eussent tenu la main ferme à la paix d'entre la France et l'Angleterre, qu'il est très certain que ceulx de l'aultre party eussent fait déclairer ouvertement la Royne, leur Mestresse, pour ceulx de la Rochelle, sur la grand instance que les princes protestans d'Allemaigne luy en faisoient.
Disoit davantaige le dict évesque de Roz que, si la Royne, sa Mestresse, vouloit quicter l'alliance de France, il est sans doubte qu'elle et luy seroient en liberté, et toutz les affères d'Escoce se porteroient bien; et qu'il est certain que les choses estoient venues au poinct où l'on les voyoit, d'avoir les comtes du North prins les armes pour la liberté et restitution d'elle, et pour l'advancement de la religion catholique, par l'exortation de nous deux ambassadeurs de France et d'Espaigne; et que meintennant il n'aparoissoit nul secours du costé de noz Maistres; ains ceulx qui, soubz leur confiance, s'estoient déclairés, demeuroient en proye de la Royne d'Angleterre, et ceulx, qui avoient bonne intention de se déclairer, restoient, à ceste heure, bien fort descouraigés et intimidez.
Or, l'office, qu'ilz ont veu que j'ay despuys faict envers la Royne d'Angleterre a beaucoup rabillé cella, et si, a miz tant de doubte au cueur de la dicte Dame et tant de contrariété entre ceulx de son conseil, que, confessans les ungs et les aultres la déclaration du Roy estre très raysonnable, et fondée au debvoir qu'il a aulx deux Roynes de vouloir retenir l'amytié de l'une et subvenir à l'extrême nécessité de l'aultre, il semble que les choses en viendront à quelque modération.
Et ayant le dict évesque de Roz, par aulcuns des siens, faict exorter l'ambassadeur d'Espaigne de concourre avecques moi en ung semblable office, de la part de son Maistre, envers ceste Royne, pour la Royne d'Escoce, il s'est excusé de le fère, disant y avoir assés longtemps qu'il a devers luy une lettre à cest effect de son dict Maistre pour la Royne d'Angleterre, mais qu'il n'a jamais peu avoir audience d'elle, comme, à la vérité, il y a dix sept moys qu'il ne l'a veue, et que de luy fère venir meintennant ung nouveau ambassadeur sur cest affère, puysqu'elle en a renvoyé deux de grande qualité, sans quasi les ouyr, qui estoient envoyez pour les propres affères de son dict Maistre, ny aussi d'entreprendre de parler pour aultruy, jusques à ce qu'on se sera accommodé soy mesmes, le duc d'Alve estime qu'il seroit fort impertinent de le fère. Néantmoins, il donne espérance du contraire, ainsy que ce pourteur le dira à Leurs Majestez.
CVIIe DÉPESCHE
—du XIIIe jour de may 1570.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Oratio d'Almarana.)
Nouvelles de l'invasion des Anglais en Écosse.—Prise du château de Humes, dans lequel ils se sont établis.—Nouvelles d'Allemagne et des Pays-Bas.
Au Roy.
Sire, ce qui est survenu de nouveau au quartier du North et d'Escoce, despuys le vııȷe de ce moys, que je vous ay mandé, par le Sr de Sabran, tout ce que, jusques alors, j'en avois aprins, est que la Royne d'Angleterre, le jour précédant que je luy fisse instance, de vostre part, de ne fère entrer ses forces en Escoce, ou de les retirer, si elles y estoient entrées, avoit desjà mandé au comte de Sussex d'y retourner par la seconde foys, pour y fère le gast; et le dict comte n'avoit failly de se remettre incontinent en campaigne: dont, le xxvȷe et xxvıȷe du passé, il a marché avecques l'armée jusques au chasteau de Humes, lequel délibérant prendre par force, et l'ayant faict recognoistre et aprocher le canon, ceulx qui estoient dedans envyron quatre vingtz hommes, après qu'on a heu seulement tiré trois coups, se sont randuz, bagues saulves, le xxıxe dudict moys: et milord de Scrup qui, en mesmes temps, avoit marché plus avant, a esté encores ceste foys rencontré par les fugitifz anglois, et par aulcuns Escouçoys qui l'ont chargé, et y a heu ung assés aspre combat; mais il s'est retiré avec la perte seulement de huict vingtz des siens, et sans que le dict de Sussex ny luy ayent passé à plus grand exploict. Après avoir layssé deux centz Anglois dans le dict chasteau de Humes, ilz s'en sont retournez, le ıȷe de may, à Barvich, d'où j'entendz, Sire, que icelluy de Sussex a incontinent dépesché un gentilhomme devers la Royne, sa Mestresse, sur divers occasions: sçavoir, sur les difficultez qui se présentoient plus grandes en ceste nouvelle guerre, qu'on ne les pensoit du commancement; sur le peu de confiance qu'elle doibt mettre en ces Escouçoys, qui disent estre de son party; sur avoir suplément de deniers, affin de complyr le nombre d'hommes que porte sa commission, car ceulx qui, jusques à ceste heure, sont entrez en Escoce, n'ont esté guières plus de cinq mil hommes et douze centz chevaulx en tout; et aussi, si la dicte Dame entend de fère razer le dict chasteau ou bien le tenir; et, au reste, à quoy elle veult que son armée s'employe le reste de cest esté.
Sur toutes lesquelles choses l'on m'a dict que, sabmedy dernier, luy a esté seulement respondu, que la dicte Dame luy gratiffie grandement le bon debvoir qu'il a faict en ce voyage pour son service, et qu'elle est après à donner ordre qu'il luy soit bientost envoyé argent et toutes aultres provisions qui luy font besoing; qu'elle n'est encores bien résolue du chasteau de Humes qu'est ce qu'elle en fera, mais qu'il advise cependant de bien entretenir la garnyson qu'il y a mise; et qu'il ne se haste de lever plus grand nombre de gens de guerre, mais qu'il dispose si bien ceulx qu'il a avecques luy le long de la frontière pour la garde d'icelle, qu'on n'y puisse plus retourner fère les courses, pilleryes et brullement, que par cydevant l'on a faict; et ne luy ordonne rien davantaige. Je ne sçay si, cy après, elle luy commandera de rentrer encores pour la troisième foys en Escoce.
Il est quelques nouvelles que milord de Herys a mandé au dict de Sussex que ses mauvais déportemens contraindroient enfin les Escouçoys, à leur grand regrect, d'avoir la guerre à la Royne, sa Mestresse; et que s'il ne cessoit d'entreprendre en leur pays, que non seulement ilz se mettraient en debvoir, avec le secours des Françoys qu'ilz attandoient d'heure en heure, de l'aller combattre, mais aussi d'entrer et venir bruller plus en avant en Angleterre qu'il n'a faict en Escoce; et dict on que le dict de Herys et le duc de Chastellerault, entendans que les comtes de Mar et de Glanquerne s'estoient assemblez avec le comte de Morthon à Lislebourg, pour s'aller joindre aulx Angloys, se sont venuz loger avec bonnes forces sur une rivière, et leur ont empesché le passaige. J'espère que par ces difficultez, et par la déclaration que Vostre Majesté a faicte fère à la Royne d'Angleterre, elle se layssera ramener à quelque meilleure rayson. Le comte de Lenoz, à ce que j'entendz, est demeuré mallade à Barvich, et le sir Randolf l'y est venu trouver. Je ne sçay encores s'ilz auront mandement de retourner à Lislebourg.
La flotte des draps a heu si bon vent qu'elle peult estre meintennant arrivée à Hembourg, et, au retour des navyres, qui la sont allés conduyre, nous pourrons entendre quelque nouvelle d'Allemaigne. Cella m'a l'on confirmé que les lettres de crédit, que ceulx de la nouvelle religion ont obtenues icy, y ont esté apportées pour être forny de dellà, jusques à cent cinquante mil escuz, s'il est besoing, ou si les draps peuvent avoir bonne vante; et que cependant les premiers cinquante mil escuz, ottroyez despuys le mois de janvier dernier, seront en toutes sortes payez contant. L'on espère du premier jour la conclusion de l'accord sur les deniers et merchandises, qui ont esté mutuellement arrestées icy en Flandres, et ne pensent les Anglois qu'il y puisse plus intervenir aulcune difficulté pour l'empescher. Il est vray que l'ambassadeur d'Espaigne m'a dict que les choses n'en sont encores si près. Sur ce, etc.
Ce xıııe jour de may 1570.
CVIIIe DÉPESCHE
—du XVIIe jour de may 1570.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par le Magnifique Donato.)
Changement survenu dans les résolutions de la reine d'Angleterre, qui hésite à poursuivre avec vigueur la guerre d'Écosse.—Espoir de l'ambassadeur qu'elle va consentir enfin au rétablissement de Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse, de la Rochelle et des Pays-Bas.
Au Roy.
Sire, ce n'est sans une très grande difficulté, mais non aussi sans beaucoup d'estime de vostre réputation, qu'il se commance à manifester quelque effect du bon office, que m'avez commandé de fère icy pour la Royne d'Escoce; et ne sera encores, comme j'espère, sans quelque accommodement de voz affères, s'il peult estre conduict à sa perfection. Il est vray, Sire, qu'il est venu en temps que le feu estoit le plus allumé, et que la Royne d'Angleterre se sentoit extrêmement offancée, et que son armée estoit desjà entrée en Escoce; à l'occasion de quoy le dict office a trouvé de l'obstacle et de l'empeschement davantaige à estre bien receu. Néantmoins il a esté proposé tel, et en tel façon, et sur tel rencontre que voycy, Sire, ce que despuys s'en est ensuyvy:
Que la Royne d'Angleterre n'a poursuyvy la guerre d'Escoce de la mesme ardeur qu'elle l'avoit commancée, ainsy que mes précédantes vous l'ont tesmoigné; qu'elle est entrée en ung grand doubte de son entreprinse, puysqu'elle vous y voyt opposant, et semble bien, que desjà elle commance de quicter l'obstinée résolution, qu'on luy avoit faict prendre, d'en venir à boult par la force, pour dorsenavant s'y conduyre par ung plus modéré expédiant; que les seigneurs de son conseil en sont entrez en une grande contention et en manifeste contradiction entre eulx; que ceulx du bon party ont reprins cueur, qui est d'aultant diminué aulx autres; finalement, que la dicte Dame monstre de vouloir meintennant beaulcoup plus entendre à la restitution qu'à la ruyne de la Royne d'Escoce; et en sont les choses si avant qu'elles doibvent estre débattues à plain fondz, et déterminées, à Amthoncourt, mercredy prochain, que le conseil y sera pour cest effect assemblé, et monstrent les malveuillans de reffouyr assés la lice, dont les amys se disposent, de tant plus gaillardement, à bien deffandre la cause qu'ilz voyent, Sire, que avez desjà commance de la prendre à cueur, et qu'ilz ont grand confiance que vous la favoriserez de mesmes en tout ce qu'elle aura besoing, cy après, d'estre aydée de parolle, ou des démonstrations, ou des bons effectz de Vostre Majesté: car sans cella ilz despèreroient non seulement de vaincre, mais de pouvoir soubstenir les effortz et l'impétuosité des aultres.
Je ne sçay encores, Sire, que me promettre, ny que vous debvoir fère espérer de l'yssue de ce conseil, veu l'instabilité que j'ay veue et souvant esprouvée de ceulx qui en sont, et veu les artiffices de ceulx qui plus possèdent ceste princesse; lesquelz luy ont desjà formé mil préjudices dans son esprit contre la Royne d'Escoce. Néantmoins, de tant qu'on m'a adverty assés en général, et sans grande expéciffication, qu'elle veult, en toutes sortes, prandre expédiant avecques sa cousine, et veoir comme elle pourra tretter seurement avec elle des poinctz qui s'ensuyvent: sçavoir; du tiltre de ceste couronne, d'une ligue et de la religion; je vous suplie très humblement, Sire, me commander comme j'auray à me conduyre sur toutz les trois; s'il convient que j'y intervienne au nom de Vostre Majesté; et aussi comme, et en quelz termes il vous plairra que, au cas que on veuille interrompre ou prolonger la matière, je poursuyve l'instance, que j'ay desjà commancée, pour luy donner l'accomplyment que convient à l'honneur de la parolle et déclaration de Vostre Majesté.
J'entendz que le lair de Granges, cappitaine du chasteau de Lislebourg, a esté essayé, par argent et par grandz promesses, de vouloir prendre le party de la Royne d'Angleterre, mais il a fermement respondu qu'il sera fidelle jusques à la mort à sa Mestresse; et dict on que, despuys que l'armée d'Angleterre a heu faict les deux courses dans l'Escoce, le comte de Morthon et ses adhérans ont esté proclamés traystres, et rebelles, et autheurs d'avoir introduict les ennemys dans leur pays.
Barnabé est revenu despuys trois jours de la Rochelle, lequel monstre, par ses propos, qu'il a esté jusques au camp des princes. Il confirme bien fort que la paix se fera, et que Mr l'Admyral la désire; de quoy aulcuns icy mal affectionnez monstrent n'en estre guières contantz. Ung des gens du prince d'Orange, après avoir toutz ces jours faict de grandes sollicitations en ceste court, se prépare de partir pour Allemaigne. Je ne sçay encores avec quelles expéditions il y va. L'on dict, touchant les différans des Pays Bas, qu'il y a desjà des articles accordez sur le faict des deniers et merchandises, et que bientost doibvent venir des commissaires flamans par deçà, pour conclurre le tout. Sur ce, etc.
Ce xvııe jour de may 1570.
En fermant la présente l'on m'est venu advertyr que l'abbé de Domfermelin est arrivé, je ne sçay si cella traversera ce qui est bien commancé pour la Royne d'Escoce.
CIXe DÉPESCHE
—du XXIIe jour de may 1570.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Le Tourne.)
Propositions faites à l'évêque de Ross par le conseil d'Angleterre pour la restitution de Marie Stuart.—Déclaration de l'évéque sur les conditions qui lui sont offertes.—Mission de l'abbé de Dunfermline en Angleterre.—Nouvelles d'Écosse.—Doutes sur la conclusion de la paix en France; continuation des emprunts pour la Rochelle.—État de la négociation dans les Pays-Bas.
Au Roy.
Sire, le jour que le conseil de la Royne d'Angleterre a esté assemblé pour dellibérer, devant elle, s'il estoit expédiant ou non qu'elle entendît à la liberté et restitution de la Royne d'Escoce, de tant que desjà la dicte Dame estoit aulcunement bien disposée d'y entendre, les malveuillans n'ont peu empescher que la conclusion ne soit venue à ce que l'évesque de Roz seroit incontinent mandé pour adviser, avec luy, comment et à quelles conditions il s'y pourroit moyenner ung bon accommodement, qui peult estre à l'honneur et à la seurté de la Royne d'Angleterre, et au commun repoz des deux royaulmes. Sur quoy, estant le dict sieur évesque appellé, l'on luy a proposé les trois poinctz; desquelz, en mes précédantes du xvıȷe de ce moys, je vous ay faict mencion: du tiltre de ce royaulme, d'une ligue et de l'establissement de la nouvelle religion; et y a esté adjouxté celluy que je vous avois auparavant mandé, de rendre les rebelles; et encores ung cinquiesme, d'abstenir de tout exploict de guerre entre les deux pays pendant que aulcuns depputez d'Escoce pourront venir par deçà pour tretter de ces choses. Mais ce en quoy l'on a le plus incisté au dict sieur évesque a esté des pleiges et seurtez que sa Mestresse pourra bailler pour l'accomplissement de ce qu'elle promettra; et si elle sera poinct contante de mettre son filz et aucuns principaux personnaiges d'Escoce, comme le duc de Chastellerault, ou ses enfans, ou bien d'aultres seigneurs, et quelques forteresses ez mains de la Royne d'Angleterre; et aussi si vous, Sire, vouldrez poinct donner parolle et bailler ostaiges pour l'entretennement du tretté qui s'en fera, parce que principallement la dicte Dame desire que vous y soyez comprins, affin de s'asseurer de la paix avec Vostre Majesté.
Le dict sieur évesque leur a respondu, en général et bien fort saigement sellon sa coustume, qu'ilz debvoient demeurer très fermement et bien persuadez de l'affection et intention de la Royne, sa Mestresse, qu'elle n'en a nulle plus grande, ny plus certaine dans son cueur, que de donner à la Royne d'Angleterre, et à toute la noblesse de son royaulme, le plus grand contantement d'elle et la plus grande satisfaction sur ses affères qu'il luy sera possible, et qu'ilz ne veuillent aulcunement doubter qu'elle ne condescende très libérallement à tout ce que la dicte Royne, sa bonne sœur, et eulx estimeront estre honneste et raysonnable de luy demander; et, quant aulx particullaritez, qu'ilz venoient de luy desduyre, de tant que les unes estoient en la puyssance de sa dicte Mestresse et les aultres non, et que aulcunes sembloient estre assés aysées, les aultres très difficiles, il les requéroit, en premier lieu, de luy ottroyer sa liberté, et, après la liberté, d'en aller conférer avec sa dicte Mestresse, et puys, permission à elle d'envoyer devers les Estatz de son royaulme, affin de leur communiquer et leur fère bien recepvoir le tout, sans lesquelz rien ne pouvoit estre bien légitimement arresté là dessus.
Voilà, Sire, l'ouverture qui a esté desjà faicte en cest affère, sur lequel en celle partie qui deppend de Vostre Majesté, et toutes en doibvent assés dépendre, il vous plairra me commander comment j'auray à m'y conduyre, ayant cependant proposé d'ayder, en tout ce qu'il me sera possible, l'advancement de la matière, et vous advertyr souvent de ce qui, jour par jour, s'y fera, et puys sur la conclusion d'icelle suyvre, le plus près que je pourray, ce que Vostre Majesté m'aura mandé estre de son intention, et convenable à l'honneur de sa couronne et utilité de son service. Le dict sieur évesque, ouy l'abbé de Domfermelin, a esté appellé, mais je ne sçay encores ce qu'il a proposé, ny ce qu'il pourra avoir obtenu, seulement l'on m'a dict qu'il a fort incisté d'avoir de l'argent. Or, Sire, j'ay sceu d'ailleurs que sur ce que les comtes de Morthon, de Mar et de Glancarve, ont mandé au comte de Sussex, qu'il leur vollût promptement envoyer ung nombre de gens de guerre, affin de conserver l'authorité du jeune Roy, premier que tout le pays se fût remiz à l'obéyssance de la Royne d'Escoce, sa mère, parce que le duc de Chastellerault, pour y trouver moins de difficulté, s'efforceoyt de fère publier que toutes choses eussent à s'administrer dorsenavant au nom et par l'authorité d'elle, durant la minorité de son filz, il a esté mandé au dict de Sussex qu'il ayt à leur envoyer, tout incontinent, deux mille des meilleurs et mieulx choysiz soldatz de l'armée, soubz la conduicte du capitaine Drury, mareschal de Barvich; non que sur ceste dellibération n'y ayt heu beaucoup de débat dans ce conseil, mais enfin il a esté résolu que ce ne seroit violler ny enfraindre la paix aulx Escouçoys que d'envoyer du secours à leur Roy, et qu'il falloit ainsy tenir les choses divisées de dellà jusques à ce qu'elles seroient composées, icy, avec la Royne d'Escoce.
J'estime, Sire, que cest affère marchera de mesmes que la paix de vostre royaulme, car si l'on vous voyt démeslé de la guerre de voz subjectz, ne fault doubter qu'on ne condescende plus ayséement icy aulx choses justes et raysonnables que vous vouldrez demander; mais il semble qu'ilz tiennent pour assés doubteuse la conclusion de la dicte paix, à cause d'ung discours qui a esté envoyé de la Rochelle sur la négociation de Mr de Biron avec Messieurs les Princes; et n'ont ceulx de la nouvelle religion, pour le propos de la dicte paix, layssé de se pourvoir du plus de crédit de deniers en Allemaigne qu'ilz ont peu; et desjà y ont envoyé les lettres, ny ne cessent d'y entretenir leurs pratiques aussi vifves comme si la guerre se debvoit encores longuement continuer.
Ceste princesse trouve assés de difficulté à lever l'emprunct de trois mil privés scelz qu'elle a naguières imposez, et n'entreprend d'user de grand contraincte en l'exaction d'iceulx, de peur de quelque nouvelle eslévation. L'on attand l'arrivée de deux commissaires, des quatre qui estoient allez en Flandres, lesquelz viennent pour tretter d'aulcuns particulliers faicts qu'on leur a miz en avant, pour en sçavoir l'intention de leur Mestresse. Ung chacun espère qu'ilz s'accommoderont quant aulx deniers et merchandises arrestées, mais que néantmoins le libre commerce d'entre les deux pays demeurera encores en suspend à cause de certaines difficultez de la religion et de la jurisdiction, dont ne se peuvent bien accorder. Sur ce, etc.
Ce xxııe jour de may 1570.
CXe DÉPESCHE
—du XXVIIe jour de may 1570.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Bordillon.)
Discussions dans le conseil d'Angleterre.—Résolution qui a été prise d'éviter la guerre avec la France.—Mise en liberté de l'évêque de Ross.—Audience.—Communication donnée à Élisabeth de l'état des négociations sur la paix en France.—Vive insistance de l'ambassadeur pour obtenir que les Anglais se retirent d'Écosse, et que Marie Stuart soit rendue à la liberté.—Nécessité où se trouve le roi de prendre les armes pour défendre les Écossais.—Explication donnée par Élisabeth des motifs qui ont dû la forcer à envahir l'Écosse.—Résolution du conseil.—Accord touchant l'Écosse. Traité conclu, sauf la ratification du roi, entre l'ambassadeur et la reine d'Angleterre, contenant les conditions sous lesquelles la reine consent à retirer son armée d'Écosse, et à négocier la restitution de Marie Stuart.
Au Roy.
Sire, despuys la déclaration que Vostre Majesté m'a commandé de fère à la Royne d'Angleterre touchant la Royne d'Escoce et son royaulme, je n'ay cessé de la presser bien fort qu'elle y vollût prendre ung présent expédiant, et voyant que desjà je l'y trouvois ung peu disposée, j'ay instantment sollicité les amys de ne laysser réfroydir la matière; lesquels ont tant faict que, nonobstant l'audacieuse opposition des adversayres, dont les ungs ne se sont peu tenir d'user de parolles insolentes, et les aultres se sont expressément absentez pour y cuyder mettre du retardement, le conseil a esté tenu là dessus; auquel, entre aultres choses, j'entendz qu'il a esté résolu, par l'opinion de la dicte Dame, plus que par celle de nul des siens, qu'il falloit en toutes sortes éviter d'avoir la guerre avec Vostre Majesté; et qu'ayant bien cogneu par mes propos qu'indubitablement l'on y viendroit, et que mesmes les Françoys seroient bientost en Escoce, si son armée passoit plus avant en pays, et s'il n'estoit bientost prins quelque expédiant sur les affères de la Royne d'Escoce, qu'elle vouloit que, tout présentement, l'on y advisât.
Sur quoy, ceulx qui nous sont contraires n'ont failly de luy remonstrer que, pour estre le propos de la paix de vostre royaulme plus près d'estre rompu que conclud, vous n'aviez garde d'envoyer meintennant en Escoce les gens qui feroient bien besoing à vostre propre défance; et que, si vous entrepreniez d'y en envoyer, ainsi que je le donnois entendre, qu'il failloit qu'elle fît sortir ses navyres, qui sont toutz pretz, en mer, pour vous empescher, et qu'ilz ne voyent qu'il y eust encores nulle occasion qui la deubt divertyr de la première dellibération.
Les amys, au contraire, prenans fondement sur ce qu'il falloit évitter d'avoir la guerre avec Vostre Majesté, ont asseuré, par la cognoissance qu'ilz ont des choses de France, que les Françoys ne fauldroient d'entrer en Escoce, si vous entendiez, Sire, que les Anglois y prinsent pied; et que, de jetter leurs navyres dehors, il fauldroit, s'ilz rencontroient la flotte françoyse, qu'ilz la combatissent, et que la guerre se commenceroit trop plus ouvertement en ceste sorte contre la France, que quant les Françoys seroient descendu en Escoce, lesquelz ne seroient lors prins que pour auxiliaires: mais que le meilleur estoit qu'elle commençât de tretter avec l'évesque de Roz et avec moy de quelque bon accommodement là dessus.
Laquelle opinion ayant prévalu, l'évesque de Roz a esté, le deuxiesme jour après, appellé, avec lequel ceulx de ce conseil ont entamé les choses que je vous ay escriptes le xxıȷe de ce moys; et despuys, sa liberté luy a esté ottroyée: bien que la dicte Dame ne luy a encores permiz de parler à elle. Et par mesme moyen elle avoit advisé que je serois mandé, mais les adversaires l'en divertirent, sur quelque poinct de réputation, qu'ilz lui représentoient, qu'il valloit mieux attandre l'ocasion que je y vinse de moy mesmes; et luy célébrèrent cependant bien fort la ropture de la paix, et mesmes firent que, sur la confirmation de ce que Mr Norrys en avoit escript, Mr le cardinal de Chatillon fut convyé en court, qui disna avec la dicte Dame; mais le lendemain je vins devers elle, et ne volluz, pour aulcuns respectz, lui monstrer les articles que Vostre Majesté m'avoit envoyez des dernières offres faictes aulx depputez, mais pour luy oster l'opinion que le propos de la dicte paix fût rompu, et pour remédier les choses qui pressoient en Escoce, je luy diz que, vous ayant la Royne de Navarre et les Princes, ses filz et nepveu, faict fère des supplications et requestes plus amples que ne portoient les premiers articles que leur aviez accordez, et ayant Vostre Majesté miz en considération les infinys maulx que vostre royaulme, despuys dix ans, a quasi continuellement souffertz par les horribles guerres, que ces troubles ont produicts; que, pour obvier à plus grandz inconvénians, vous aviez bien vollu condescendre à la pluspart de leurs dictes requestes, et me commandiez de luy dire que vous vous estiez de tant plus eslargy envers eulx, que vous vouliez qu'il aparust au monde, et nomméement à la dicte Dame, comme aussi Dieu vous estoit tesmoing, que vous n'aviez nulle chose plus à cueur que de réunyr toutz voz subjectz en bonne amytié, et esgallement trestoutz les conserver; et qu'en ce que leur aviez ottroyé de nouveau y avoit tant de quoy se contanter pour l'exercisse de leur religion, pour l'accommodement de leurs affères, et pour la seureté de leurs personnes, sans aparance aulcune de deffiance à jamais, que vous ne pensiez qu'ilz se peussent tant oublyer qu'aussitost que messieurs de Biron et de Malassize le leur auront faict entendre, qu'ilz ne l'acceptent; qui sont deux de vostre conseil que Vostre Majesté a renvoyé devers eulx pour en sçavoir la résolution; et que faisant, de rechef, ung bien exprès office de mercyement envers elle pour la bonne affection qu'elle a monstré avoir à la paciffication de vostre royaulme, je la requisse, de vostre part, de deux choses, lesquelles elle estoit tenue de vous accorder: la première, que, si par ces grandes et plus que raysonnables offres, il advenoyt qu'il ne fût besoing que Vostre Majesté lui donnast la peyne de se travailler à les leur fère recepvoir, ains que d'eulx mesmes ilz se disposent d'humblement les accepter, qu'il luy playse néantmoins vous garder bien entière ceste sienne bonne vollonté, laquelle, ou soit que vous ayez la paix, ou qu'il vous faille continuer la guerre, vous l'estimerez très utille, ainsy que l'avez toutjour estimée très honnorable pour vous; la seconde, que, s'ilz estoient si obstinez qu'ilz ne s'en vollussent aulcunement contanter, ains vollussent persévérer en leur viollente entreprinse, qu'elle veuille ainsy juger d'eulx comme de gens qui aspirent, et néantmoins sont bien loing d'abattre l'authorité de leur Roy et prince naturel; et qu'elle les veuille tout aussitost déclairer non seulement indignes de sa faveur et protection, mais très dignes qu'ilz soyent poursuyviz et réprimez par les justes armes et d'elle et de toutz les honnorables princes qui vivent aujourd'huy au monde.
La dicte Dame, d'ung visaige fort joyeulx et contant, après plusieurs mercyemens de la privée communication, que luy faisiez de voz affères, m'a dict que les choses, à ce qu'elle voyoit, estoient en meilleurs termes qu'on ne le luy avoit dict, et qu'elle desiroit toutjour que la fin s'en ensuyvyst sellon le bien et repos de vostre royaulme; et qu'elle pensoit bien qu'il pouvoit y avoir des considérations que, possible, Vostre Majesté estimoit toucher et à sa réputation, et au debvoir de ses subjectz, qu'ilz acceptassent d'eulx mesmes vos offres, sans y estre induictz par la persuasion de nul autre prince, ce qu'elle sera très ayse qu'il puisse ainsy advenir; mais si, d'advanture, il y intervient aulcune difficulté, qu'elle vous réservera toutjour ceste vollonté et affection qu'elle vous a offerte pour s'y employer à toutes les heures, que vous cognoistrez qu'il en sera besoing, avec aultant de désir de vous y conserver les avantaiges, qui vous sont deuz, comme si elle avoit l'honneur que vous fussiez son propre filz.
Sur lequel propos je l'ay layssée assés discourir, et estant peu à peu venue d'elle mesmes à parler de la bonne affection que vous monstrez luy porter, j'ay suyvy à luy dire que c'est ce qui vous faisoit plus de mal au cueur, qu'estant vostre dellibération de persévérer constantment en son amytié, vous ne pouviez toutesfoys estre jamais bien ouy d'elle sur les affères de la Royne d'Escoce, et que vous vouliez bien dire que c'estoit, par grand force et à vostre très grand regrect, que vous estiez contrainct d'avoir là dessus différant avec elle, et que vous estiez hors de toute coulpe de l'altération qui en pourroit venir entre vous, et des maulx qui s'en pourroient ensuyvre au monde; qu'ayant Vostre Majesté, despuys l'aultre foys que j'avois parlé à la dicte Dame, entendu ce qui avoit succédé en Escoce, vous me commandiez de luy dire que, désormais, vous aviez, de vostre part, satisfaict à toutz les debvoirs et paysibles offices, en quoy vous pouviez estre obligé envers son amytié; d'avoir premièrement exorté la Royne d'Escoce de luy donner tout le contantement d'elle et toute la satisfaction sur ses affères, et luy réparer, à son pouvoir, toutes les affères qu'elle luy pourroit redemander; et puys à elle, de vouloir condescendre à telles raysonnables condicions envers la dicte Dame, pour sa liberté et restitution, comme elle mesmes pourroit juger estre honorables, advantaigeuses et bien seures pour elle et pour sa couronne, non toutesfoys esloignées de l'honnesteté et modération qui doibt estre gardée entre telles princesses, avec offre que vous les feriez accomplyr; dont estimiez que, non seulement il vous estoit meintennant faict tort d'estre rejetté et reffuzé là dessus, mais encores grand injure, de ce que, sans respect de voz offres et remonstrances, elle avoit commencé de procéder par la force, de fère le gast, de brusler, de raser les maysons des gentishommes et usé de toutes voyes d'hostillité dans l'Escoce; que pourtant, oultre ce que je luy avois dict, par voz lettres du xıȷe d'avril, je n'obliasse rien de ce que je verroys par voz présentes, du ıııȷe de may, estre de vostre intention de prier et exorter la dicte Dame qu'au nom de vostre commune amytié, et de la paix, alliance et confédération d'entre Voz Majestez et vos couronnes, elle vollust retirer ses forces hors du dict pays et n'en y plus envoyer; et que je vous résolusse promptement de ce qu'en aurez à espérer, et en quelle vollonté je pouvois cognoistre qu'elle estoit meintennant envers la liberté et restitution de la Royne d'Escoce, parce que, allantz ses affères de mal en piz, vous commandez de cognoistre qu'il vous falloit désormais prendre les dilays, dont l'on luy usoit, pour manifestes reffuz; et que vous me tanciez bien fort de quoy je vous avois longuement entretenu sur les bonnes parolles de la dicte Dame; et qu'en lieu de la modération que je vous avois promiz d'elle envers la Royne d'Escoce, vous voyez qu'il n'avoit succédé qu'ung grand commancement de guerre; que meintennant elle me mettoit encores en une plus grand peyne commant vous pouvoir satisfaire sur ce que, de nouveau, j'avois entendu qu'elle avoit envoyé deux mille harquebouziers au comte de Morthon jusques à Lislebourg; en quoy je la prioys de considérer que, puysqu'elle avoit ainsy baillé son secours aulx ennemys de la Royne d'Escoce, avec lesquelz elle n'a nulle confédération, que vous estimeriez vous estre beaucoup plus loysible de bailler le vostre aulx amys de la dicte Dame, laquelle vous estoit très estroictement alyée; et que je ne sçavois si desjà il y avoit des compaignies embarquées, et que pourtant je luy voulois bien fère, de rechef, la mesmes instance que dessus de vouloir retirer ses dictes forces affin de ne vous contraindre d'user de plus grandz, extraordinaires et violantz remèdes, que vous ne vouliez essayer en choses qu'ussiez jamais à démeller avec elle.
La dicte Dame, se trouvant en grand perplexité de ce propos, m'a respondu que, despuys ma précédante audience, elle avoit toutjour estimé que son armée seroit retirée à Barvyc, et me pouvoit jurer que de ceste segonde entreprinse il n'y avoit que vingt quatre heures qu'elle en avoit receu l'advis par le comte de Sussex; qui luy mandoit qu'il avoit esté contrainct d'en user ainsy, parce que le duc de Chastellerault avoit retiré les rebelles d'Angleterre, et les avoit introduictz au propre conseil d'Escoce, et ne luy avoit jamais vollu fère aulcune bonne responce, ou de les randre, ou de les habandonner; et que pourtant vous, Sire, ne debviez trouver mauvais qu'elle poursuyvît par dellà une entreprinse qui touchoit tant à son honneur.
Je luy ay toutjour grandement incisté de retirer ses dictes forces, et qu'au reste elle poursuyvyst la reddition de ses dicts rebelles par une aultre meilleure sorte de quelque honneste traicté avec la dicte Royne d'Escoce; sur quoy elle m'a bien dict beaucoup de bonnes parolles, mais non qu'elle ne l'ayt ainsy lors vollu accorder: de quoy estant sur l'heure entré en conférence avec les seigneurs de son conseil, avec remonstrance des inconvénians qui s'en pourroit eusuyvre, j'ay esté, le jour après, contremandé de la dicte Dame pour me trouver de rechef avec eulx; avec lesquelz j'ay enfin arresté les choses que Vostre Majesté verra par ung mémoire à part, lesquelles m'ont esté après confirmées par la dicte Dame; et Vostre Majesté aussi, s'il luy playt, les confirmera: et je mettray peyne qu'il en sorte quelque bon effect, bien que j'entendz, Sire, que, nonobstant cella, la dicte Dame a ordonné sortir promptement six de ses grandz navyres, avec douze centz hommes dessus, pour garder la mer; par ce, à mon adviz, que son ambassadeur l'a certainement advertye qu'il y a des gens toutz prestz en Bretaigne pour passer en Escoce; et elle vouldroit bien que ceste démonstration les retînt. Sur ce, etc. Ce xxvııe jour de may 1570.
CERTEIN ACCORD FAICT AVEC LA ROYNE D'ANGLETERRE et avec les seigneurs de son conseille touchant les choses d'Escoce, du dict jour.
L'ambassadeur de France a dict à la Royne d'Angleterre que le Roy, son Maistre, la prie et l'exorte, au nom de leur commune amytié et de la bonne paix, alliance et confédération, qui est entre eulx et leurs couronnes, qu'elle veuille retirer ses forces hors d'Escoce, et n'en y envoyer plus d'aultres; et que le Roy, son dict Maistre, luy commande de le résouldre promptement en quoy il en doibt demourer, et en quoy il doibt demeurer de l'intention qu'il peult cognoistre qu'a meintennant la dicte Royne d'Angleterre vers la liberté et restitution de la Royne d'Escoce, parce que, voyant aller les affères de la dicte Dame toujours de mal en piz, il commance désormais de prendre les dilays, qu'on use vers elle, pour manifestes reffuz;
Et que nul ne doibt trouver estrange, s'il prend ainsy à cueur ceste matière; car il y va, d'ung costé, de la conservation de l'amytié de la dicte Royne d'Angleterre, sa bonne sœur, qui est une chose qu'il estime estre de grande conséquence pour luy et d'une grande importance pour son royaulme; et, de l'aultre, de la protection et deffance de la Royne d'Escoce, sa belle sœur, de laquelle il n'y a celluy qui ne voye combien il touche à sa réputation et à l'honneur de sa couronne, et combien il est abstraint par grandes obligations de nullement l'abandonner.
Sur quoy la dicte Royne d'Angleterre, ayant faict aucunes responces sur l'heure au dict ambassadeur, elle luy a, le jour d'après, faict dire par les seigneurs de son conseil, et encores despuys elle mesmes le luy a confirmé de sa parolle, que, pour satisfère au désir du Roy, son bon frère, elle trouve bon qu'il soit envoyé ung gentilhomme de qualité devers le duc de Chastellerault et devers ces aultres seigneurs Escouçoys, qui tiennent le party de la Royne d'Escoce, pour leur dire que, s'ilz veulent rendre les fugitifz d'Angleterre ou bien les habandonner, ou bien les retenir pour en rendre tel compte, comme sera porté par le tretté qui se fera entre elle et la Royne d'Escoce, qu'elle est contante de retirer toutes ses forces hors du dict pays d'Escoce;
Et, en ce que le dict duc de Chastellerault et les siens, et pareillement le comte de Morthon et ceulx de son party, se désarmeront d'ung costé et d'aultre, et que toute hostillité cessera dans le dict pays et entre les deux royaulmes d'Angleterre et d'Escoce;
A la charge aussi que, si le Roy, avant que ces choses soient acomplyes, avoit de sa part desjà envoyé ou faict passer de ses forces en Escoce, la dicte Dame ne veult estre tenue d'observer ce dessus, sinon que le dict Roy Très Chrestien les vollût révoquer, auquel cas elle révoquera pareillement les siens;
Et que Mr l'évesque de Roz nommera à Me Cecille le gentilhomme que la Royne, sa Mestresse, vouldra, pour cest effect, envoyer en Escoce, affin de luy bailler saufconduict, et en donner adviz à Mr le comte de Sussex, devers lequel il passera, et auquel sieur comte la dicte Royne d'Angleterre mandera d'acomplyr ceste sienne intention, aussitost qu'il aura sceu celle du susdict duc de Chastellerault;
Et que, par le dict ambassadeur de France et par l'évesque de Roz, seront baillées au gentilhomme qui yra en Escoce leurs lettres, servans à l'accomplissement de cest affère.
Et, quant à la liberté et restitution de la dicte Royne d'Escoce, la dicte Royne d'Angleterre promect que, aussitost qu'elle aura receu la responce, que la dicte Royne d'Escoce luy vouldra fère sur les choses, qui naguières ont été trettées par son ambassadeur, l'évesque de Roz, avec les seigneurs de ce conseil, qu'elle y procédera avec tant de dilligence qu'elle veult bien que le Roy Très Chrestien, son bon frère, demeure juge que plus dilligentment il n'y pourroit estre procédé; et ainsy l'a elle confirmé et asseuré au dict sieur ambassadeur, en parolle de Royne et de princesse chrestienne pleyne de foy et de toute vérité;
Que, suyvant les choses susdictes le dict ambassadeur escripra au Roy, son Seigneur, de ne vouloir envoyer de ses forces en Escoce, ou, s'il y en avoit desjà envoyé quelques unes, qu'il les veuille tout incontinent révoquer.
CXIe DÉPESCHE
—du Ier jour de juing 1570.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Efforts de l'abbé de Dunfermline pour arrêter l'exécution du traité conclu.—Nouvelles d'Écosse.—Armemens faits en Angleterre.—Exécution des Northon à Londres.—Espoir que le duc de Norfolk sera bientôt rendu à la liberté.—Nouvelles de la Rochelle et des Pays-Bas.
Au Roy.
Sire, ceulx qui sont promptz de nuyre toutjour à la Royne d'Escoce, voyantz que la négociation que je faisois pour elle commançoyt de succéder, se sont esforcez d'introduyre l'abbé de Domfermelin pour m'y donner empeschement; lequel, n'ayant aporté qu'une simple lettre à la Royne d'Angleterre pour créance, ni pour toute aultre sienne instruction qu'ung seul blanc de ceulx qui l'ont envoyé, affin d'estre remply icy par l'adviz de deux de ce conseil, il a vifvement incisté à la dicte Dame, que, suyvant sa vertueuse dellibération et ses promesses, elle vollût recepvoir le jeune Roy d'Escoce en sa protection et le deffandre de la main meurtrière, qui naguières a faict mourir le père, et bientost après l'oncle; et que meintennant elle veuille, par son authorité ou par ses forces, fère aprouver les décrectz qui, durant le gouvernement du dict oncle, ont esté faictz, tant en faveur du dict jeune Roy que pour l'establissement de la nouvelle religion en son royaulme; et qu'à cest effect elle envoye réprimer les Amilthons, lesquels s'esforcent d'infirmer deux si bonnes causes, et sont proprement ceulx qui ont receu ses rebelles; et qu'au contraire elle haste son secours à ceulx qui soubstiennent l'une et l'aultre, qui n'ont onques consenty de les recepvoir; et que beaucoup d'honneur et de réputation à elle, grande seureté à son estat et couronne, perpétuel establissement en la religion par toute ceste isle, et ung très grand proffict et accommodement en toutz ses affères s'en ensuyvra, sans que, en l'exécution d'une si glorieuse et utille entreprinse, il s'y voye aulcun dangier, et bien fort peu de difficulté. Nonobstant lesquelz artiffices, la dicte Dame n'a layssé de fère confirmer, par le marquis de Norampton et par le comte de Lestre, à l'évesque de Roz, les mesmes choses qu'elle m'avoit accordées et qui estoient arrestées entre nous; dont sommes après à les effectuer. Et cependant est arrivée la responce de la Royne d'Escoce, sur les ouvertures que ceulx de ce conseil avoient naguières faictes au dict évesque, lequel a demandé là dessus audience de la dicte Royne d'Angleterre, qui ne la luy a reffuzée; et aussitost que j'auray entendu ce qu'y sera tretté, je ne fauldray d'en donner adviz à Vostre Majesté.
J'entendz que les Anglois, qu'on a envoyez au comte de Morthon, sont arrivez à Lislebourg sans aulcun rencontre et qu'ilz se tiennent là sans fère grandz actes d'hostillité, et que le chasteau de Lislebourg ne respond rien à la ville, seulement les lairs de Granges et Ledinthon se tiennent dedans avec quelques aultres Escouçoys, qu'ilz y ont miz de renfort; que le duc de Chastellerault est à Glasco, avec bonne troupe des siens, lequel soubstient fermement l'authorité de la Royne, sa Mestresse; et que les comtes d'Arguil et d'Honteley s'en sont retournez pour s'establyr de mesmes en leurs quartiers. Quant à l'aprest des six navyres de ceste Royne, il se continue, et de deux davantaige, qui sont huict en tout des plus grandz, pour les fère sortir en mer du premier jour avec deux mil hommes, si ne trouvons moyen de les arrester; mais j'y feray tout ce qu'il me sera possible.
Vendredy dernier estantz trois gentishommes de bonne qualité du North, qui s'apelloient les Northons, condampnez à mort comme coulpables de la dernière ellévation, ainsy qu'on les tiroit de la Tour pour les mener au suplice, le secrétaire Cecille survint en dilligence, qui fyt surceoyr l'exécution, et parla à eux, et estime l'on qu'il espéroit trouver en leur dernière déposition quelque vériffication contre la Royne d'Escoce, et contre le duc de Norfolc, mais ilz n'ont rien dict: et le lendemain les deux ont esté exécutez. Il semble qu'il se commance d'ouvrir des expédians pour la liberté du dict duc, auquel trois de ce conseil sont desjà ordonnez pour aller après demain parler à luy; et son filz aysné, le comte de Sureth, est arrivé despuys huict jours, qui est venu trouver le comte d'Arondel son grand père maternel. Quelcun a bien osé entreprendre d'aposer sur la porte de l'évesque de Londres une bulle du Pape[6] contre la Royne d'Angleterre, mais on l'a incontinent ostée, et faict on grand dilligence de descouvrir d'où elle est venue; mais pour donner entendre au peuple que c'est quelque aultre chose, l'on a imprimé un aultre placart.
L'on commance, despuys ma dernière audience, d'avoir quelque meilleure espérance de la conclusion de la paix de vostre royaulme qu'on ne faisoit; et aussi ung certain messagier, qui est naguière venu de la Rochelle, semble le confirmer, bien qu'on dict qu'il a esté long temps en mer. Je mettray peyne d'entendre ce qu'on publiera de la dépesche qu'il aporte, et d'une aultre qui est freschement arrivée du comte Pallatin, pour vous donner adviz de toutes deux par mes premières. Les depputez de ceste ville, qui sont revenuz de Flandres, ont esté desjà ouys de leur Royne, et puys en son conseil; ilz ont remonstré les difficultez qui s'offrent encores sur le faict de ces deniers et merchandises arrestées, et a esté remiz de leur fère responce d'icy à huict jours, à cause des affères d'Escoce; ce qui me faict juger que, sellon qu'ilz pourront accommoder les ungs, ilz vouldront reigler les aultres. Tant y a qu'ilz pensent que, pour le bon succez que le Roy d'Espaigne commance d'avoir contre les Mores, le duc d'Alve se rend meintennant plus difficile à cest accord. Sur ce, etc. Ce ıer jour de juing 1570.
CXIIe DÉPESCHE
—du Ve jour de juing 1570.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Nycolas de Le Poille.)
Hésitation du conseil d'Angleterre à assurer l'exécution du traité conclu.—Résolution prise par la reine de le maintenir.—Audience accordée par Élisabeth à l'évêque de Ross.
Au Roi.
Sire, premier que le comte de Sussex ayt sceu, ou au moins premier qu'il ayt peu fère sçavoir au capitaine Drury à Lislebourg, l'accord d'entre la Royne d'Angleterre et moy, touchant retirer les Anglois hors d'Escoce, icelluy Drury avoit desjà envoyé sommer le duc de Chastellerault et ceulx de son party, qui estoient au siège de Glasco, de luy randre les fugitifz d'Angleterre, ou bien de les habandonner, et surtout de luy donner parolle de ne recepvoir aulcuns estrangiers dans le pays. A quoy luy estant baillé pour responce par le secrétaire Ledinthon, qui eut charge de la luy fère, qu'ilz n'estoient prestz ny de randre les fugitifz, ny de reffuzer aulcun secours estrangier, ains, si les Françoys ne venoient bientost que luy mesmes les yroit quéryr, le dict Drury avec ses Anglois, et le comte de Morthon avec un nombre d'Escouçoys du contraire party, ont marché jusques au dict Glasco, là, où ne les ayant le dict duc attanduz, ilz ont estimé qu'ilz pourroient exécuter d'aultres plus grandes entreprinses, s'ilz passoient plus avant vers Dombertran. Mais estant, sur ce poinct, arrivé au dict de Sussex l'advertissement de l'accord, il l'a incontinent envoyé notiffier au dict Drury, affîn d'arrester son progrès; et néantmoins parce que, par une dépesche du mesme jour, il a escrit à sa Mestresse que les siens avoient commancé de bien fère à Glasco, et que despuys ilz s'estoient acheminez à Dombertrand, et qu'en mesmes temps ce que je vous ay mandé, Sire, de la bulle du Pape estoit advenu, et aussi que de France l'on mandoit y avoir plus grande aparance de guerre que de paix, la dicte Dame a cuydé délaysser toutz nos bons propos d'accord pour retourner à celluy, qu'elle avoit auparavant, de continuer la guerre en Escoce; mais j'avois desjà sa promesse si expresse du contraire, et le fondement avoit esté miz si bon aulx bonnes dellibérations; que les mauvais n'ont peu, pour ce coup, remettre sur les mauvaises, dont avons tant faict qu'il a esté résolument escript au dict de Sussex d'acomplyr icelluy accord, quant de l'aultre costé l'on l'accomplyra. Bien luy a esté mandé qu'il ayt à entretenir toutjours ses troupes en estat de la frontière, de peur de la descente des Françoys, comme de mesmes a esté ordonné icy que, pour encores, les grandz navyres ne partent point, mais que, pour la mesmes peur du passaige des Françoys, l'on les tiegne toutz prestz à la voyle; et les seigneurs de ce conseil ont mandé à l'évesque de Roz et à moy qu'on avoit desjà bien advancé de satisfère de leur part aulx choses promises, et qu'à nous touchoit meintennant de dilligenter l'exécution du surplus.
Cependant le dict évesque a esté admiz à la présance de la dicte Dame, laquelle toutesfoys ne l'a receu sinon cérémonieusement et assés sévèrement, en présence de ceulx de son conseil, à cause des souspeçons auparavant conceues contre luy; mais après qu'en se purgeant fort honnorablement, il a heu tout librement confessé qu'il avoit une seule foys, et non plus, ouy ung messaige du comte de Northomberland, qui luy offroit de mettre la Royne sa Mestresse en liberté, et de la ramener en son royaulme, pourveu qu'on luy fornyst de l'argent, auquel il avoit respondu que sa Mestresse ne vouloit partir d'Angleterre sans le gré et bonne grâce de la Royne sa bonne sœur, ny elle n'avoit point d'argent pour luy envoyer; et qu'il a eu offert qu'au cas qu'il se peult jamais vériffier nulle aultre pratique contre luy avec ceulx du North, qu'il renonçoyt à toutz ses privilèges d'ambassadeur, d'évesque, et d'estrangier, et de son saufconduict, pour se soubzmettre aulx extrêmes punitions des plus rigoureuses loix de ce royaulme, la dicte Dame a monstré qu'elle en demeuroit satisfaicte; et l'ayant tiré à part, a receu fort humainement de ses mains les lettres que la Royne d'Escoce luy escripvoit, et a commancé de tretter privéement et fort familièrement sur icelles avec luy, de sorte que, se raportant ceste négociation aulx miennes trois précédantes, ung chacun juge que la chose s'en va si bien acheminée, qu'il s'en peult espérer ung assés prochain et assés bon succez.
Je mettray peyne, Sire, de vous expéciffier par mes premières les poinctz et particullaritez où l'on en est meintennant, et adjouxteray seulement icy que les seigneurs du dict conseil sont en ceste ville pour adviser de quelque expédiant avecques les marchantz, touchant l'accommodement des différandz des Pays Bas; et aussi pour veoir comme il faudra procéder sur le faict de la bulle du Pape, ayant esté l'adviz d'aulcuns qu'on debvoit purger et examiner par sèrement là dessus les principaulx Catholiques de ce royaulme, et procéder tout incontinent contre ceulx qui se trouveront ou coulpables, ou attainctz du faict, par la rigueur des loix mareschalles[7], qui portent condempnation de mort sans figure de procès; mais j'entendz que la prudence de la dicte Dame ne leur a acquiescé, laquelle ne s'est vollue esloigner des conseilz des modérez, qui la persuadent de n'offancer les Catholiques qui luy sont obéyssantz. Sur ce, etc.
Ce ve jour de juing 1570.
CXIIIe DÉPESCHE
—du XIe jour de juing 1570.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)
L'Évêque de Ross mis en entière liberté.—Négociation pour le rétablissement de Marie Stuart; conditions proposées par Élisabeth.—Espoir de l'ambassadeur que le traité pourra se conclure prochainement, et demande d'instruction à ce sujet.—Même espoir que la liberté sera bientôt rendue au duc de Norfolk; chefs d'accusation sur lesquels il a été tenu de s'expliquer.—Affaires des Pays-Bas; grand armement fait en Angleterre, où l'on craint une entreprise de la part du duc d'Albe.—Mémoire. Conditions que l'on dit être offertes par la reine de Navarre pour la pacification de France.—Affaires d'Écosse.—État de la négociation dans les Pays-Bas.—Sollicitations faites auprès d'Élisabeth pour obtenir la liberté du duc de Norfolk.—Mémoire secret. Détails circonstanciés de toutes les discussions qui ont déterminé le conseil d'Angleterre à se déclarer pour le maintien de la paix avec la France.—Intrigue de ceux du parti contraire, afin d'empêcher cette décision.
Au Roy.
Sire, pour s'aquitter la Royne d'Angleterre de la parolle, qu'elle m'avoit donnée, qu'aussitost qu'elle auroit receu une responce, qu'elle attandoit de la Royne d'Escoce, elle procèderoit au faict de sa restitution avec tant de dilligence, que Vostre Majesté jugeroit qu'avec plus grande ne se pourroit fère, elle a desjà fort amplement traitté, avec Mr l'évesque de Roz, des moyens et expédians qu'elle veult estre suyviz en cella, et des seuretez et condicions qu'elle désire luy estre gardées. A quoy le sieur évesque ne luy a contradict en rien, ny ne luy a rien reffuzé; mais luy ayant monstre les choses qui en cella se pourroient trouver facilles ou difficiles, elle a monstré de ne se restraindre tant aulx plus difficiles, qu'elle ne se veuille bien accommoder à celles qui seront en la puyssance de la Royne d'Escoce d'acomplyr; et ainsy elle a ottroyé au dict sieur évesque sa pleyne liberté, avec licence d'aller conférer librement avec sa Mestresse; lequel desjà l'est allée trouver, et a emporté ung bien ample saufconduict pour envoyer les sires de Leviston ou de Bethon en Escoce, affin d'exécuter ce qui a esté arresté, entre la dicte Dame et moy, de retirer les siens hors du pays.
J'estime, Sire, que le dict évesque de Roz aura escript toute sa dernière négociation à Mr l'archevesque de Glasco pour la fère entendre à Vostre Majesté, qui sera cause que je ne vous toucheray icy les particularitez d'icelle sinon en ce qu'il a semblé que la dicte Dame vouloit fort incister d'avoir le Prince d'Escoce en ses mains; et qu'il fût envoyé par Vostre Majesté aulcuns des parans de la Royne d'Escoce à estre icy quelque temps ostaiges, pour l'observance des choses qui seront promises; et que la ligue se conclût offancive et deffancive entre l'Angleterre et l'Escoce. Mais j'espère, Sire, qu'elle se contantera à moins; et affin que aulcune longueur n'y puysse venir de nostre costé, le dict sieur évesque m'a très expressément requis de suplier très humblement Vostre Majesté qu'il vous playse m'envoyer, par ce mesme gentilhomme présent porteur, ung pouvoir ample pour assister en vostre nom au traitté qui se fera; lequel, pendant que les choses se monstrent en assés bonne disposition, il estime estre très nécessaire de conclurre sans délay, ou aultrement il y courra ung manifeste dangier d'en perdre pour jamais l'occasion. Mais, par mesme moyen, il sera vostre bon playsir, Sire, de m'envoyer une particulière instruction des poinctz où vous desirez que cest affère se réduise pour vostre service, affin que vostre intention soit (s'il m'est possible) toute la règle de ce qui s'y fera.
Les affères du duc de Norfolc semblent prendre ung mesme acheminement que ceulx de la Royne d'Escoce, car la Royne, sa Mestresse, a enfin envoyé deux de son conseil parler à luy, qui ne luy ont touché que cinq poinctz; sçavoir: celluy de son mariage avec la Royne d'Escoce, comme est ce qu'il l'avoit ozé pratiquer sans le sceu de sa Mestresse; celluy d'une lettre qu'il avoit escripte au comte de Mora, où il disoit avoir passé si avant au mariage qu'il ne pouvoit avec son honneur et conscience s'en retirer; le troizième, s'il ne s'en vouloit point despartyr maintennant, sans jamais y entendre, sinon avec le congé de la dicte Royne sa Mestresse; le quatriesme estoit de la religion, comme souffroit il que toutz ses principaulx officiers et serviteurs fussent ou déclairez ou suspectz Catholiques; et le cinquiesme, quelle seurté vouloit il donner à la Royne sa Mestresse de luy demeurer à jamais fidelle et obéyssant subject et serviteur. A toutes lesquelles choses j'entendz qu'il a si bien et sagement respondu que la dicte Dame en est assés satisfaicte; et s'espère qu'il sera remiz, du premier jour, en sa mayson de ceste ville, mais encores soubz quelque garde, pour quelques jours.
L'espérance de la paix de vostre royaulme ayde grandement à l'advancement des affères de l'ung et de l'aultre, et estime l'on que, succédant icelle, tout yra bien pour eulx; mais aussi, si elle ne se conclud, aulcuns ont opinion que cecy n'aura esté qu'une aparance pour pouvoir passer l'esté sans trouble, et qu'ilz tremperont encores cest yver en leurs accoustumées prysons.
J'entendz que le duc d'Alve mène ceulx cy d'ung grand artiffice sur l'accord de leurs différantz; car, d'ung costé, il les brave bien fort, et les adoulcit encores plus de l'aultre, et leur donne de grandes espérances de la bonne affection que son Maistre a d'accommoder, mieulx que jamais, leur trafficqz en toutz ses pays; bien que, entendant la Royne d'Angleterre qu'aulcuns de ses fugitifz sont passez devers le dict duc, et d'aultres sont allez en Espaigne, et qu'on lève maintennant des gens de guerre en Flandres, elle souspeçonne que c'est plustost contre elle que pour la réception de la Royne d'Espaigne, comme l'on en faict le semblant; et, à ceste cause, elle a commandé de mettre encores en ordre quatorze de ses grandz navyres, oultre ceulx qui sont desjà pretz. Sur ce, etc.
Ce xıe jour de juing 1570.
Instruction Au Sr de Vassal de ce qu'il fault fère entendre à Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres:
Qu'après que la Royne de Navarre, en apvril dernier, eust expédié devers le Roy les Srs de Telligny et de Beauvoys, lorsqu'ilz venoient du camp des Princes, et avec eux le Sr de La Chassetière pour adjoinct, elle fit une dépesche par deçà, laquelle a esté si longtemps sur mer, qu'elle n'est arrivée que despuys huict ou dix jours: et par icelle semble qu'on ayt cogneu que la dicte Dame inclinoit à la paix;
Et que par le dict La Chassetière elle ayt faict dire à part au Roy et à la Royne qu'il ne tiendroit à elle que la dicte paix ne se fît, et qu'elle suplioit Leurs Majestez de vouloir ottroyer à ceulx de la nouvelle religion l'éedict de l'an LXVII, qu'ilz apellent l'éedict de Chartres, et encores ung presche davantaige en la prévosté de Paris, et qu'avec cella elle s'esforceroit de les fère contanter et de conclurre la dicte paix;
Qu'aulcuns icy ont esté bien ayses de ceste disposition de la dicte Dame, comme advenue contre leur espérance, car pensoient que les ministres la tiendroient la plus destornée de ce désir qu'ilz pourroient. Aultres ont estimé qu'elle s'est trop hastée de parler d'icelluy éedict de Chartres, lequel ilz disent estre fort dangereux et de nulle seureté; et qu'il eust toutjours esté assés à temps de le requérir, car les menées de court ne permettent qu'on accorde jamais les choses ainsy qu'on les demande; ou bien attendre que le Roy l'eust offert de luy mesmes, et que eulx l'eussent lors tout librement et avec humilité receu de la pure concession et ottroy de Sa Majesté;
Que despuys, ne venant de France sinon toutjours nouvelles de continuation de guerre, et comme le Roy reffuzoit de rendre les offices et bénéfices à ceulx de la dicte religion, et de ne payer leurs reytres, Mr le cardinal de Chastillon, désespérant assez, pour ceste cause, de la paix, a sollicité plus vifvement que jamais les choses qui pouvoient servyr à se maintenir et à maintenir ceulx de son party en réputation par deçà, et à se procurer toutjours nouveaulx crédictz en Allemaigne.
A quoy semble que l'ayt davantaige confirmé de fère la venue d'ung aultre messagier, qui a esté dépesché de la Rochelle après le retour des depputez; lequel a aporté une forme d'articles, lesquelz à la vérité je n'ay pas veuz, mais l'on m'a dict qu'ilz contiennent que le Roy ottroye pour seureté à ceulx de la nouvelle religion la Rochelle, Sanxerre et Montauban, plus vingt quatre villes pour leur exercisse, lesquelles il nommera après la confection de la paix; que les haultz justiciers pourront fère prescher pour eulx, leurs subjectz, et ceulx qui y pourront assister; les gentishommes, qui ont moyenne justice, auront aussi presche pour eulx et leur famille seulement; que la vendition des biens eclésiastiques faicte par les Princes sera cassée; les offices de ceulx de la dicte religion demeureront vanduz; et que les Princes payeront et renvoyeront leurs reytres; et m'a l'on dict que desjà l'on a envoyé les dicts articles en Allemaigne avec des additions au marge, qui contiennent les raysons pourqnoy on ne les peult ainsy accepter.
Ung Allemand, qui naguières est arrivé de la part du comte Pallatin pour donner compte à la Royne d'Angleterre de l'estat des choses de delà, nomméement de ce qui se présume de la diette et des nopces du prince Cazimir son filz, dict que, parce que les levées du Roy en Allemaigne ne passent en avant, celles des aultres demeurent aussi en suspens, mais qu'au reste elles se tiennent prestes pour le besoing, et que le prince d'Orange s'est retiré pour quelques jours en l'estat d'une sienne parente, attandant les nopces du dict Cazimir, auxquelles il espère de pouvoir radresser ses affères; et que Mr de Lizy ayant passé par Helderberc, où il a séjourné ung jour ou deux, après avoir heu quelque petite conférance avec le dict Sr Pallatin, a prins le chemin de Genève avec une troupe de gentishommes Françoys qui vont trouver le camp des Princes.
Desquelles apparances de guerre, parce que ceulx cy voyent qu'elles ne font poinct cesser les propos qui se mènent de la paix, et qu'il se trouve encores des difficultez sur l'accord des différandz des Pays Bas, ilz deviennent assez irrésoluz comme debvoir procéder ez choses d'Escoce, et craignent bien fort que, de les poursuyvre davantaige, la paix de France et la victoire du Roy d'Espaigne sur les Mores[8] ne se convertissent en une guerre sur eulx; ce qui les faict plus vollontiers incliner aulx remonstrances que je leur fays là dessus. Et encores que le temps et l'ocasion pressent bien fort de pourvoir aulx affères d'Escoce, ou aultrement ilz vont incliner à la part des Anglois, sans que les Anglois y facent plus grand effort, le mesme temps et la mesme ocasion néantmoins semblent se monstrer bien à propos au Roy pour pouvoir meintennant conserver, sans grand coust et quasi par moyens paysibles, ce que sa couronne a heu toutjour d'alliance et d'authorité au dict pays; et croy que mal ayséement une aultre foys y pourra il, sans viollance et possible sans une grande guerre et à grandz fraiz et difficulté, y remédier.
Les souspeçons ne sont légiers à ceulx cy, du costé du Roy d'Espaigne, parce que deux des principaulx hommes d'Irlande sont allez à recours à luy, et luy sont allez offrir accez, entrée et obéyssance pour la protection de la religion catholique en leur pays; et pareillement aulcuns des principaulx fugitifz Anglois, qui s'estoient retirez en Escoce, sont passez devers le duc d'Alve. A l'ocasion de quoy, le comte de Lestre a, despuys dix jours, faict fère une plaincte à Mr l'ambassadeur d'Espaigne de ce qu'on recepvoit les rebelles de ce royaulme en Flandres; et il a respondu qu'il n'en sçavoit rien, mais qu'il ne fesoit double qu'ilz ne fussent bien receuz ez terres du Roy Catholique, puysqu'ilz estaient chassez pour estre Catholiques, mais que ce ne seroit pour y mener rien par armes contre la Royne d'Angleterre.
Or, en ce qui concerne les différandz des Pays Bas, il a esté bien près d'y mettre ung bon accord, car le duc d'Alve en a faict toutes les démonstrations du monde; et en mesme temps est advenu par des intelligences, que la Royne d'Angleterre a en Flandres, qu'on luy a faict veoir la coppie d'une lettre que le Roy d'Espaigne escripvoit au dict duc, par laquelle il luy mandoit de regaigner, par toutz les moyens qu'il pourroit, l'amytié de la Royne d'Angleterre et des Anglois; dont ilz estiment que la difficulté, qu'il sentoit lors en la guerre des Mores, le faisoit parler ainsy, et qu'à ceste heure ayant quelque bon succez en icelle, il se veult tenir plus ferme sur la restitution des prinses.
Sur laquelle restitution icelluy duc, à l'arrivée des dicts commissaires, leur a dict que la demande, qu'ilz estoient venuz fère des biens des Anglois, estoit très raysonnable; mais que celle des subjectz du Roy, son Maistre, qui demandoient pareillement d'avoir les leurs, n'avoit moins de rayson, et qu'il failloit venir à une mutuelle satisfaction des deux costez. Et néantmoins, s'estant puys après laissé aller à des expédiantz qui revenoient assés à son proffict, et qui donnoient grand espérance d'ung accord, il s'en est despuys desparty par ung adviz, qu'on luy a envoyé de deçà, d'ung aultre proffict plus grand d'envyron cent cinquante mil escuz, s'il retient les biens des Anglois; lesquelz biens il a desjà, pour ceste ocasion, faictz remettre de nouveau soubz sa main, ou bien les deniers qui sont provenuz de la vante d'iceulx; et meintennant l'on est après à fère quelque évaluation des ungs et des aultres, pour veoir si l'on pourra venir à quelque compensation.
Ceulx qui ont esté les plus contraires à la Royne d'Escoce et à ses affères commancent, à ceste heure, de se fère de feste et de luy promettre toute faveur et secours; et le mesmes est du duc de Norfolc, car ceulx qui ont esté ses plus mortelz ennemys se gettent à genoulx devant la Royne, leur Mestresse, pour la suplier pour luy; et bien qu'en cella y puisse avoir de la simulation, pour plustost prolonger que pour désir d'ayder ses affères, ilz semblent néantmoins estre resduictz à ung poinct que, si quelque nouveau accidant ou quelque grand malheur ne survient, ilz seront pour estre bientost accommodez.
AULTRE INSTRUCTION A PART:
Que ce qui plus me fait incister icy aulx choses d'Escoce, et en solliciter pareillement Leurs Très Chrestiennes Majestez, est qu'il ne peult revenir que à une merveilleuse diminution de leur estime et grandeur, de se laysser ainsy arracher comme par force la Royne d'Escoce et les Escouçoys de leur protection; et de souffrir que la Royne d'Angleterre leur emporte de leur temps ceste alliance, qui a esté conservée huict centz ans à la couronne de France, et laquelle assés souvant luy a esté très utille, et quelquefoys bien fort nécessaire.
Et je considère que, de s'y opposer meintennant par Leurs Majestez, ce n'est les mettre en nouvelle guerre, ains plustost divertir celle qui leur pourroit venir d'icy; ny mettre le Roy en grandz frays de ses deniers, ains empescher que les Anglois n'envoyent les leurs en Allemaigne contre luy; ny l'attacher à de grandes difficultez, car la seule démonstration de vouloir envoyer mille harquebouziers en Escoce, ou le passaige d'iceulx seulement, rendra ceste entreprinse achevée sans aulcunement venir aulx mains, de tant qu'ung chacun juge que la Royne d'Angleterre ne les sentyra sitost joinctz aulx Escouçoys partisans pour leur Royne, lesquels à présent sont les plus fortz, qu'elle ne viegne à telle composition qu'on vouldra; et si, ne demeurera que plus ferme en la paix, joinct que je n'ay faict ceste instance, sinon après que, par la conférance de ceulx qui entendent bien l'estat de ce royaulme, j'ay comprins que c'estoit jouer à boule veue.
Et puys, je voy que ceulx qui ont persévéré jusques icy en l'affection du Roy, s'ilz ne sont entretenuz de quelque bon espoir, voyre de quelque démonstration de son présent secours, comme de celluy seul entre les princes chrestiens, qui justement et légitimement peult mouvoir ses armes en ceste cause, ilz se vont sans aulcun doubte jetter ez braz du Roy d'Espaigne, et bien que ce ne soit aultant de droict, comme ez braz du Roy, ilz ont néantmoins desjà leurs messagiers devers luy, et à ceulx là est desjà faicte promesse de secours; mesme le duc d'Alve leur donne entendre qu'il est si prest qu'il ne reste sinon que la Royne d'Escoce envoye son pouvoir et consantement pour l'acepter.
Et de ce, la dicte Dame a naguières receu ses lettres ou bien celles de son Maistre, car je ne sçay encores duquel des deux; tant y a qu'on l'asseure fort que, en toutes sortes, elle sera assistée et aydée à sa restitution par le Roy Catholique, lequel cependant l'exorte de se réserver libre de son mariage, et de ne s'obliger à nul, sinon avec l'adviz et bon conseil qu'il luy en donnera.
Néantmoins commanceans les affères d'Escoce de s'acheminer par la gracieuse voye de la négociation, que Leurs Majestez m'ont commandé de fère, j'espère qu'elles succéderont assez sellon leur désir, sans y fère aultre effort ny despence; mais à toutes advantures, parce que la malice des ennemys, et la faulte de cueur des amys, et la jalouzie de ceste Royne contre sa cousine sont choses que j'ay toutjour fort suspectes, je désire que Leurs Majestez voyent à clair quel a esté et quel est le cours de ceste affère, affin qu'ilz puyssent juger quant, et commant, et en quelle sorte il y pourra fère bon.
Après que j'ay heu, par deux foys, résoluement déclairée à la Royne d'Angleterre qu'elle ne pouvoit, sans contravention des trettez, envoyer ses forces en Escoce, et que pourtant elle debvoit accepter les honnestes condicions et offres que la Royne d'Escoce luy faisoit, par le moyen desquelles elle obtiendroit, mieulx que par la force et sans aulcune despence, ce qu'elle prétandoit, et si, auroit conservé l'amytié du Roy, la dicte Dame a demeuré quelques jours fort incertaine comme elle en uzeroit; dont aulcuns des siens, craignantz le changement de sa dellibération, ont trouvé moyen, il y a envyron quinze jours, de luy fère signer une lettre au comte de Sussex pour le fère passer si avant en l'entreprise qu'on ne s'en peult plus retirer.
De quoy m'ayant esté donné adviz, et estant bien informé que la dicte lettre avoit esté substraicte, j'envoyay incontinent solliciter ceulx, qui avoient bonne affection en ceste cause, de le fère entendre à la dicte Dame, et de convaincre vers elle ceulx qui avoient ozé entreprendre ung tel faict, et qui la vouloient, contre toute rayson, mettre en guerre avecques le Roy.
Ce que ayant bien oportunéement sceu fère, ilz ont si bien irrité la dicte Dame qu'elle a monstré d'en estre fort courroucée, et qu'en toutes sortes elle vouloit sortir par quelque aultre meilleur moyen hors de cest affère; dont, assignant jour à ceulx de son conseil d'en venir délibérer devant elle, les ungs, pour rompre le coup, ont trouvé bon de s'absenter en ceste ville par prétexte du terme de la justice, et les aultres, ne pouvant contradire à cella, y sont venuz aussi pour le mesme prétexte, mais en effect ce a esté pour fère des assemblées séparéement avec les partisans et amys, pour voir comme ilz pourroient, de chascun costé, advancer leur intention et retarder d'aultant celle des aultres.
Et enfin milord Quiper, qui est chef de la partie contraire, après avoir bien consulté avecques les siens, avoit, au partir de ceste ville, délibéré de s'en aller en la contrée pour allonger et interrompre la matière; mais le comte d'Arondel le prévint en son propre logis, et le somma de se trouver, le ııȷe jour après, devers la Royne leur Mestresse pour résouldre cestuy et aultres très urgentz affères, «qui ne pouvoient, disoit il, sans mettre la dicte Dame et son royaume en grand dangier, estre plus prolongez.»
Icelluy Quiper, en grand collère, luy respondit qu'il ne délibéroit de retourner en court, qu'il ne fût plus de trois foys fort expressément appellé, veu que la Royne tenoit si peu de compte d'observer les choses une foys arrestées, et qu'elle mesprisoit à ceste heure ses conseilz, et ne recepvoit plus sinon ceulx qui luy estoient très dommaigeables, ès quelz il ne vouloit en façon du monde intervenir.
Le comte répliqua que à la charge qu'il avoit ne convenoit bien de gouverner ainsy ce royaulme par collère, car c'estoit par rayson et justice qu'il le debvoit modérer, et qu'il se sçauroit aussi bien courroucer que luy s'il vouloit; mais qu'il prévoyoit ung si grand inconvéniant d'une généralle sublévation en ce royaulme et de tant de guerres avecques les estrangiers, qu'il ne pouvoit pour son debvoir différer plus longtemps d'en avertyr sa Mestresse, et qu'il falloit que luy, comme son premier conseiller, s'y trouvast présent pour en dellibérer, ce que, s'il reffuzoit de fère, qu'il fût asseuré qu'il luy seroit reproché; et que, absent ou présant, il ne lairroit de bien chanter les vespres au secrétaire Cecille, car ce n'estoit que d'eulx deux que procédoit le retardement de toutz les affères de ce royaume. Cella fut lors cause que le dict Quiper s'estant ung peu remiz, et estant le propos venu à plus gracieulx termes entre eulx, ilz se promirent l'ung à l'aultre de se trouver, le cinquiesme jour après, à Amptoncourt.
Pendant laquelle assignation, le secrétaire Cecille fit tout ce qu'il peult pour destourner la dicte Dame de son bon propos, et luy oza bien dire assés licentieusement, présent le comte de Lestre, qu'elle s'en alloit habandonnée de ses meilleurs serviteurs, puysqu'elle se vouloit ainsy précipiter d'elle mesmes en ung manifeste et trop certain péril de sa propre personne et estat par la restitution et dellivrance de la Royne d'Escose.
A quoy, en collère, elle luy demanda comme il cognoissoit cella, car jusques à ceste heure, elle n'avoit ouy nulle rayson de luy là dessus qui ne fût playne de passion et de hayne, et comme il ne respondoit rien, le comte de Lestre dict: «Voyez, Madame, quel homme est le secrétaire, car se trouvant hier avec nous tous à Londres, il asseura qu'il vous donroit conseil de restituer la Royne d'Escoce, et meintennant il parle en toute aultre façon.»—«Ainsy, respondit elle, me raporte il plusieurs choses assés souvant de vostre part, qui puys après est tout le contraire. Quoyqu'il y ayt, maistre Secretary, dict elle, je veulx sortyr hors de cest affère et entendre à ce que le Roy me mande, et ne m'en arrester plus à vous aultres frères en Christ.»
Sur cella, m'estant arrivée la dépesche du Roy du ıııȷe de may, il a esté le plus à propos du monde que j'aye faict ceste troisième recharge, du xxıȷe du dict moys, à la dicte Dame, comme je luy ay desjà mandé, par laquelle voyantz les adversayres qu'elle se layssoit conduyre à la rayson, et que desjà elle m'accordoit de retirer ses forces hors d'Escoce et de procéder à la restitution de la Royne sa cousine; après que j'en ay heu aussi parlé au conseil, ilz ont préparé l'ung d'entre eulx pour venir, en présence des aultres, tenir le merveilleux et bien insolant propos qui s'ensuyt;
C'est de dire à la dicte Dame «qu'elle estoit estrangement pipée et trompée en ceste affère, car il estoit désormais trop clair que ceulx, de qui elle commançoyt de suyvre le conseil, estoient toutz gens partiaulx et bandez contre elle en faveur de la Royne d'Escoce, et qu'il n'y avoit rien plus aparant et vraysemblable; que les propos de moy ambassadeur estoient emprumptez, ou de Mr le cardinal de Lorrayne qui m'avoit mandé d'ainsy parler, ou de la Royne d'Escoce qui m'en avoit prié; et que, veu les affères que le Roy avoit chez luy, il n'estoit pour mander et encores moins pour fère ce que je disoys; et que desjà l'on avoit passé si avant aulx choses d'Escoce qu'il n'estoit plus temps de s'en retirer, ny la dicte Dame ne pourroit désormais, sans dangier et sans perdre trop de réputation, rappeller ses forces de Lislebourg; mais que, si elle poursuyvoit son entreprinse, il estoit trop évidant que l'Escoce s'en alloit conquise, et les Escouçoys toutz renduz ses subjectz et tributaires, et son authorité establye au dict pays, et sa religion à jamais confirmée par toute l'isle;
»Que ce qu'il disoit estoit ung bon et droict conseil, et ce qu'on alléguoit au contraire estoit tout faulx et suspect, et qu'il vouloit mourir pour une si digne querelle, laquelle convenoit à la grandeur et dignité de la couronne d'Angleterre, non de se mouvoir ainsy ny de changer de délibération pour les parolles d'un ambassadeur, comme il sembloit que la dicte Dame vouloit fère, et que le Roy, Henry VIIIe, n'eust pas lasché prinse, ainsy que honteusement et misérablement l'on le conseilloit à elle de le fère; et qu'il offrait, au cas que, pour l'amour de la Royne d'Escoce, les Françoys passassent de deçà, que luy mesmes luy yroit trancher la teste, s'il playsoit à la Royne luy en bailler la commission, s'atachant particullièrement au comte de Lestre comme pour le taxer qu'il ne se monstroit fidelle en cest endroict à sa Mestresse.»
Le comte luy a respondu «que ces propos estoient d'ung homme indigne d'estre au conseil de la Royne, et que, de sa part, il l'avoit conseillée droictement sellon conscience et honneur, et sellon qu'il estoit dellibéré de vivre et mourir en l'opinion qu'il luy avoit donnée, et mesmes à maintenir, contre quiconques vouldroit dire le contraire, qu'il ne luy avoit rien dict qui ne fût digne d'ung très bon et très fidelle conseiller, serviteur et subject; et puysqu'ilz en venoient là, qu'ilz fissent tout le piz qu'ilz pourroient de leur costé, et que la dicte Dame regardât quel party elle vouldroit prandre, car luy et plusieurs aultres estoient résoluz de persévérer à jamais en leur délibération.»
La dicte Dame, se trouvant en perplexité, a respondu en collère au premier qui avoit parlé, «que ses conseilz estoient toutjour semblables à luy mesmes, qui ne luy en avoit jamais donné que de témérayres et dangereux, et que, tant s'en falloit qu'elle vollût avoir ung aultre royaulme au pris qu'il disoit de la vie de sa cousine, qu'elle aymeroit mieulx avoir perdu le sien que de l'avoir consenty; et qu'il n'entreprint sur sa teste de tenir jamais plus un tel langaige, et qu'au reste eulx toutz mettoient ses affères, et elle, et son estat, en grand dangier, de se porter ainsy tant contraires et opposans en leurs opinions.»
Sur cella, après quelque peu de silence, le comte d'Arondel a commancé de dire «que la collère, ny la passion, ny la hayne ou amytié, qu'on pouvoit avoir à la Royne d'Escoce, ne les debvoit mouvoir de donner conseilz précipitez ni dangereux à leur Mestresse, ny de venir à nulle contention entre eulx, ains procéder en tout par prudence et modération; et que luy vouloit, en présence d'elle et de son conseil, librement dire qu'il estoit trop clair qu'en l'entreprinse d'ayder une partie des Escouçoys qui estoient désobéyssantz, ou qui avoient quel autre prétexte que ce fût contre leur Royne Souverayne, ne pouvoit avoir rien de seurté, ny d'équité, ny de proffict, ny rien aultre chose que force difficultez, force despences, une très mauvaise estime des gens de bien, une grande offance des aultres princes, et une très certaine ouverture de plusieurs guerres, que la dicte Dame et son royaulme n'estoient pour pouvoir soubstenir;
«Que c'estoit mal juger des parolles miennes, qu'elles fussent empruntées, car jusques icy l'on les avoit trouvées conformes à celles du Roy Mon Seigneur, et leur mesmes ambassadeur par ses lettres les avoit souvant confirmées; et qu'on n'avoit encores veu, quant ung ambassadeur d'ung si grand prince avoit résoluement dict ouy ou non, qu'il se trouvât puys après aultrement; car seroit exemple fort nouveau, qu'ung ambassadeur se mît en dangier d'estre désadvouhé, et n'en fauldroit plus envoyer si l'on en venoit là; par ainsy, qu'ayant esté mon dire clair et exprès, il n'y avoit point de doubte qu'il ne fût procédé du commandement et de l'intention du Roy Mon Seigneur;
»Qu'il n'y auroit ny honte, ny dangier, de se retirer de ceste entreprinse d'Escoce; de honte, parce que cella se feroit sur l'instance et prière d'ung grand Roy pour conserver la paix et les trettez, lequel promettoit non seulement de n'attempter rien de son costé, mais d'accomplir toutes choses à l'advantaige de la Royne; et encores moins de dangier, car ne seroit mal aysé de ramener les gens qui estoient à Lislebourg jusques à Barvich, sans qu'on en perdit pas ung;
»Que possible le Roy Henry VIIIe n'eust pas vollu lascher prinse, mais de son temps l'Angleterre estoit en meilleure disposition et mieulx unye que meintennant, et si l'avoit il merveilleusement espuysée et ruynée pour les guerres de France; ès quelles toutesfoys il n'avoit jamais ozé rien entreprendre qu'il n'eust ung Empereur pour compaignon, là où tant s'en failloit qu'on peult fère meintennant estat du Roy Catholique, son filz, que au contraire l'on l'avoit bien fort offancé, et si enfin les entreprinses du Roy Henry en France estoient tornées à rien; que pourtant la dicte Dame advisât de prendre l'expédiant qui plus luy pouvoit admener de paix et de seurté en son royaulme, qui plus luy pouvoit confirmer l'amytié des aultres princes, et qui plus pouvoit justiffier la droicture de ses intentions envers Dieu et les hommes.»
A ceste opinion ayant celluy du conseil, qui est le plus homme de guerre, adjouxté qu'il se offroit d'aller luy mesmes retirer les Anglois, qui estoient à Lislebourg, en si bonne sorte que, sans aulcun dangier et à l'honneur de la Royne, il les reconduyroit toutz à Barvich, il fut conclud qu'on advertiroit incontinent le comte de Sussex de l'accord d'entre la dicte Dame et moy, pour donner ordre qu'on n'eust à fère nulle entreprinse davantaige dans l'Escoce.
Mais, le lendemain, survint ung inconvéniant qui cuyda tout gaster, car ayant l'évesque de Roz escript une fort courtoyse lettre au comte de Lestre pour obtenir de la Royne qu'elle luy vollût donner audience, affin d'avoir confirmation de sa bouche des choses que je luy avois dict qu'elle accordoit, pour les pouvoir, plus seurement escripre; elle ne se peult tenir qu'elle ne dict au dict comte que la lettre l'arguoit de souspeçon, qu'on luy imposoit, d'avoir trop prins à cueur le party de la Royne d'Escoce: laquelle parolle le piqua si fort qu'après s'estre plainct de ce qu'elle vouloit ainsy tourner l'honnesteté de la lettre à son trop grand préjudice, il luy dict: «qu'il ne luy avoit jamais donné occasion de penser aultrement de luy que comme d'ung sien bon conseiller, qui a toutes les obligations du monde de ne luy estre jamais aultre que son très obéissant et très fidelle serviteur;
«Que, en ce qu'il luy conseilloit de la Royne d'Escoce, il croyoit, comme en Dieu, que consistoit tout son repos et sa principalle seurté, et que de fère le contraire estoit sa ruyne et destruction, et qu'il ne changerait jamais d'adviz, estant en elle de suyvre lequel qu'elle vouldroit; mais que, pour ne luy donner aulcun souspeçon de luy, il se privoit désormais fort vollontiers de n'entrer plus en son conseil.» Et ainsy s'en partit pour lors, et s'en vint à Londres, bien que, incontinent après, la dicte Dame luy envoya, et au marquis de Norampton, une commission pour parler au dict évesque de Roz, affin dé luy confirmer les choses qu'il desiroit, car pour encores elle ne le vouloit admettre en sa présence; toutesfois cella a esté rabillé despuys, et le dict comte mesmes a faict parler le dict évesque à la dicte Dame.
Ceste tant grande division de court, laquelle est encores plus grande dans le royaulme, est cause dont, pour ne laysser intéresser le Roy ny sa couronne d'une si ancienne alliance, j'ay ainsy entreprins de m'oposer à ceulx de ce conseil qui s'esforcent de la luy oster, qui ne sont personnaiges guières principaulx, ny bien fort authorizez, pour me joindre aulx aultres qui font tout ce qu'ilz peuvent pour la luy conserver, qui sont les premiers et plus nobles de ce royaulme, et d'en escripre ainsy que j'ay faict à Leurs Majestez.
CXIVe DÉPESCHE
—du XVIe jour de juing 1570.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Vollet.)
Nouvelle irritation d'Élisabeth contre l'évêque de Ross, Marie Stuart et le duc de Norfolk.—Changement opéré dans les résolutions de la reine d'Angleterre.—Nouvelles d'Écosse, où le traité conclu par l'ambassadeur a commencé à recevoir son exécution.—Mesures prises contre ceux qui répandraient les bulles du pape en Angleterre.—Affaires d'Allemagne.—Propositions que doit faire le pape à la diète de Spire.—Messager envoyé à Londres par l'amiral Coligni.—Motifs qui ont changé les résolutions d'Élisabeth.
Au Roy.
Sire, il n'y avoit guières plus de deux heures que le Sr de Vassal estoit party, pour vous aporter ma dépesche du xıe du présent, quand le Sr de Sabran est arrivé avec celle de Vostre Majesté du dernier du passé, sur laquelle m'ayant la Royne d'Angleterre assigné audience à demain, je mettray peyne, Sire, de fère, s'il m'est possible, qu'elle veuille bien conformer son intention à ce que me mandez estre de la vostre; et de luy oster, si je puys, une nouvelle offance, que, despuys huict jours, elle a conservé contre l'évesque de Ross avec tant d'indignation qu'elle jure de ne le vouloir jamais veoir, ainsy que le Sr de Vassal vous l'aura peu dire, chose que je crains assés que me sera bien difficile de remédier, et qui pourra possible retarder beaucoup les affères de la Royne d'Escoce; mesmement que ceulx, qui nous sont contraires, ont heu desjà de quoy fère de là ung mauvais office contre elle, c'est de changer la pluspart des bonnes dellibérations qui avoient esté faictes sur les choses du Nord et d'Escoce; et ont aussi miz tant de traverse à la liberté du duc de Norfolc, qu'il semble qu'elle soit meintennant bien fort retardée, ny ceulx qui veulent bien à la Royne d'Escoce et au dict duc n'ont peu mieulx, pour ce coup, que de céder ung peu au courroux de leur Mestresse; dont le comte de Lestre s'est absenté pour douze ou quinze jours en sa maison de Quilingourt, et le comte d'Arondel s'en est venu en ceste ville. Et cependant noz affères dorment, sinon en tant que noz ennemys les vont réveillant pour les fère eschapper; mais j'espère qu'après le retour du dict évesque et de ces seigneurs, nous y donrons telle presse qu'il nous y serra baillé une bonne ou bien une mauvaise résolution.
J'entendz que la dicte Royne d'Angleterre a heu si grand désir de contanter Vostre Majesté, sur ce qu'elle m'avoit promiz de révoquer ses gens de Lislebourg, que, l'ayant, incontinent après ma précédante audience, mandé au comte de Sussex, il les a heu retirez premier qu'on luy ayt peu fère nul contraire mandement; de sorte que Drury, avec ses quatorze centz hommes, car plus grand nombre n'en avoit il mené par dellà, a esté de retour à Barvyc le ıııȷe de ce moys: j'en sçauray demain par la dicte Dame encores mieulx la certitude, et pareillement si elle aura poinct retiré sa garnyson de Humes et de Fascastel. L'on dict que le comte de Lenoz est arrivé à Lislebourg, et que ceulx du party du jeune Prince, son petit filz, l'ont associé au gouvernement; néantmoins que le duc de Chastellerault et les trois comtes d'Honteley, d'Arguil et d'Athel, lesquelz ont, dez le xe de may, soubzsigné à l'authorité de la Royne d'Escoce, et qui se portent toutz quatre conjointement lieutenants d'elle, avec l'aprobation du reste de la noblesse et du pays, commancent de réduyre toutes choses bien fort à leur dévotion.
Cependant l'on se trouve icy en grand perplexité et en plusieurs difficultez, pour la bulle dont vous ay cy devant escript, et en ont ceulx de ce conseil miz la matière en délibération; mais ne s'en pouvans bien accorder, ilz ont faict une grande assemblée des plus sçavans de ce royaulme pour veoir comme il y fauldroit procéder; et m'a l'on dict qu'il est résolu que ceulx, qui auront ozé, ou qui auzeront cy après, entreprendre d'aficher bulles, proclamations, placartz ou aultres telles choses si expresses contre la Royne, en lieux publicz, seront attainctz et convaincuz de lèze majesté, et les aultres qui s'en trouveront seulement saisis, n'encourront pas du tout si grand crime, mais ilz n'évitteront pourtant l'indignation du prince; et semble bien que, à l'ocasion de la dicte bulle, les Catholiques sont plus durement traittez, et qu'on a plus grand aguet à les observer de près qu'on n'avoit auparavant; mesmes le dict évesque de Roz a senty que cella est venu ung peu hors de temps pour sa Mestresse.
L'escuyer du prince d'Orange arriva icy la sepmaine passée, sur les navyres qui revenoient de conduyre la flotte de Hembourg; qui a aporté lettres de son maistre à ceste Royne, et au comte de Lestre, et au secrétaire Cecille, et encores d'aultres lettres à la dicte Dame de son agent qui est en Allemaigne, en datte ces dernières du xxvȷe de may; qui contiennent divers adviz, premièrement, que la diette a esté prolongée du xxıȷe de may au xxıȷe de juing, et que le Pape a fort conjuré l'Empereur de s'y trouver, qui aultrement s'en vouloit fort excuser, et ce, pour deux considérations, que Sa Saincteté a heues, dont l'une se publie assés, qui est pour mettre en avant ung décrect qu'il ne soit désormais plus loysible aulx Allemans d'aller travailler les estatz des aultres princes chrestiens, par prétexte de secourir leurs subjectz pour la cause de la religion; et l'aultre, laquelle on tient secrecte, est pour fère passer ung aultre décrect contre les comte Pallatin et duc de Vitemberg, et contre quelconques princes, ou aultres, qui se seroient despartys et séparez des deux religions receues en l'Empire: sçavoir, la Catholique et celle de la confession d'Auguste, affin de les priver non seulement de l'eslection, dignitez, charges, estatz et aultres leurs prééminances, mais y en subroger tout incontinent d'aultres, et les exclurre eulx, pour jamais, de la paix publicque d'Allemaigne. Ce qu'ayant le duc Auguste descouvert, et craignant que la présente désauthorisation et ruyne de ces princes ne fût puys après celle de luy mesmes, a vollu interrompre la dicte diette; mais ne le pouvant fère, les dictes lettres portent que, par prétexte de conduyre sa fille en son mesnaige, il s'est accompaigné du Lansgrave et de huict ou neuf mil chevaulx, pour s'opposer aulx décrectz, et qu'ung chacun juge, puysqu'il s'en vient ainsy à Heldelberg, qu'il se trouvera sans faulte à la dicte diette et que mal ayséement s'achèvera elle sans quelque tumulte, puysque luy et les aultres princes se vont ainsy acompaignant; qu'il s'estimoit que le Cazimir, incontinent après la dicte diette, ou bien plustost, s'achemineroit avec ses reytres au secours des Princes et de l'Admyral de France; que le duc Jehan Guillaume de Saxe avoit donné pour Vostre Majesté le alliguet[9] à ses gens pour les fère marcher par tout le moys de may; et qu'il avoit dict aulx aultres princes protestantz que ce qu'il en faisoit n'estoit que pour se maintenir en crédit vers Vostre Majesté, et en la pancion que vous luy donnez; laquelle luy faisoit bien besoing pour s'entretenir, mais qu'il ne nuyroit en façon du monde à ceulx de la nouvelle religion; et qu'au reste, l'on se resjouyssoit bien fort en Allemaigne de ce que le Roy d'Espaigne s'estoit modéré vers les Flamans de leur avoir ottroyé ung pardon général par où l'on espéroit que les Pays Bas se maintiendroient en paix; et est l'on icy après à dépescher le dict escuyer pour s'en retourner devers son maistre.
Mr l'Amyral a trouvé moyen de fère passer jusques icy en grand dilligence devers Mr le cardinal de Chatillon ung messagier, qui n'a point aporté de lettres, mais seulement créance de bouche; de laquelle je n'ay encores entendu le contenu, sinon que on m'a dict que c'est pour les choses d'Allemaigne, et si n'ay rien sceu du dict homme jusques à ce qu'il a esté renvoyé, car n'a esté arresté que deux jours icy, et s'en retourne, à ce qu'on dict, par Paris soubz quelque passeport emprumpté.
Ce xvıe jour de juing 1570.
A la Royne.
Madame, de ce que Mr l'évesque de Roz, deux jours après que la Royne d'Angleterre luy eust ottroyé sa liberté, a esté trouvé partant de nuit avec le comte de Southanton, jeune seigneur catholique; et de ce qu'on se persuade que la bulle du Pape n'a esté expédiée sans le consentement de Voz Majestez Très Chrestiennes et du Roy d'Espaigne; et qu'en mesmes temps milord de Morlay, principal seigneur d'Angleterre, beau filz du comte Derby, estant appellé en ceste court n'y est vollu venir, ains est passé delà la mer à Doncquerque; plusieurs choses en ce royaume monstrent tendre à quelque altération, mesmes que, pour les dicts accidentz, icelluy comte de Soutanthon a esté mandé et aussitôt miz en arrest ez mains du capitaine de la garde; et maistre Cormuaille, ancien conseiller, et plusieurs aultres Catholiques ont esté examinez et aulcuns d'eux miz en la Tour; et le duc de Norfolc, qui attandoit quelque eslargissement, a esté resserré. Dont je crains aussi que les affères de la Royne d'Escoce, qui commançoient de s'acheminer, en soient de mesmes bien fort esloignez et retardez, mais je feray, pour le regard de ce dernier, le mieulx que je pourray envers la dicte Dame pour la fère passer, oultre en ce qu'elle m'a commancé d'accorder: et j'espère, Madame, que j'en descouvriray demain assés son intention, bien que, pour l'absence du comte de Lestre, ny elle ne vouldra m'en donner sa résolution, ny moy cercher de l'avoir, si je sentz qu'il n'y face bon. Sur ce, etc.
Ce xvıe jour de juing 1570.
CXVe DÉPESCHE
—du XIXe jour de juing 1570.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Jacques Tauriel.)
Détails d'audience.—Changement de conduite de la reine d'Angleterre.—Ses plaintes contre le pape.—Sa colère contre Marie Stuart et l'évêque de Ross.—Insistance de l'ambassadeur pour que le traité touchant l'Écosse reçoive son exécution.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle va donner les ordres nécessaires à l'effet de faire retirer ses troupes, et qu'elle consent à traiter de la restitution de Marie Stuart.—Motifs secrets qui font agir la reine d'Angleterre.—Nouvelles des protestans de France; leur désir d'en venir prochainement à une bataille décisive.
Au Roy.
Sire, il n'est advenu sinon, ainsy que je l'avois pencé, que je trouverois à ceste heure la Royne d'Angleterre aultrement disposée que lorsque je parlay à elle, le xxe du passé, non toutesfoys ez choses qui sont particullières de Vostre Majesté, car en celles là m'a elle respondu comme les aultres foys; c'est de desirer toutjour la paix de vostre royaulme et que son ambassadeur luy puisse bientost mander la conclusion d'icelle, estant bien marrye qu'on la va ainsy prolongeant; et qu'elle vouldroit bien sçavoir si tout ce que les aultres, de leur costé, disent que Vostre Majesté leur a offert est vray; et, quoy que soit, que, comme Chrestienne, elle desire que vous les accommodiez en leur religion, et, comme Royne, qu'ilz vous randent entièrement ce qu'ilz doibvent à vostre authorité.
A quoy je luy ay satisfaict, sellon que la lettre de Vostre Majesté, du dernier du passé, m'a baillé ample argument de respondre au tout, avec ung sommaire récit de l'estat de votre armée, soubz la conduicte de Mr le mareschal de Cossé, et des exploictz que Mr le mareschal de Danville a faictz du costé du Languedoc; ce qui n'a esté sans parler des aprestz d'Allemaigne et des nopces du Cazimir, par manière toutesfoys de me demander ce que j'en sçavois: et je n'ai obmiz de mencionner aussi les levées du duc Jehan Guillaume de Saxe et de Bronsouyc, comme elles commançoient de bransler pour Vostre Majesté.
Et a la dicte Dame faict venir, par deux foys, à propos de me dire que l'Empereur luy a naguières escript avec aultant d'abondance, d'affection et de bienveuillance, comme au contraire le Pape s'est esforcé de luy donner ung bien mauvais salut par une sienne bulle, en laquelle il l'appelle flagiciorum serva; mais que c'est chose de quoy elle ne se soucye guières, sinon qu'elle pense que tant d'estranges et insolantz désordres, qu'on voyt advenir, présagent bientost la fin du monde; et, avec un rire extraordinaire, m'a compté la façon dont mylord de Morlay, estant désembarqué à Donquerque, a demandé de parler au bourgemestre de la ville, se faisant ung des plus avancez et des plus illustres seigneurs d'Angleterre.
Et se sont jusques là toutz noz propos passez bien fort gracieusement; mais, quant c'est venu à toucher du faict de la Royne d'Escoce, il est bien mal aysé, Sire, que je vous puisse dire en combien de façons la dicte Dame a monstré qu'on l'avoit de nouveau exaspérée et aigrie contre elle et contre l'évesque de Roz; car luy ayant seulement suyvy la teneur de voz lettres avec les honnestes satisfactions qui y sont, elle, en commémorant ses bienfaictz vers sa cousine, m'a récité les offances vieilles et nouvelles qu'elle a receu d'elle et de ses ministres, et qu'elles luy estoient si griefves que, si elle les eust tenues aussi vériffiées, il y a ung moys, comme elle faict meintennant, elle n'eust heu garde d'entrer en nul tretté des affères de la dicte Dame avec moy; et qu'elle entendoit que, nonobstant le dict tretté, Vostre Majesté faisoit embarquer quelques gens en Bretaigne pour envoyer à Dombertrand, ce qu'elle remettoit bien à vostre discrétion, et vouldroit qu'il fût vray, car ne fauldroit plus parler d'accord; toutesfoys qu'elle pence que c'est parce que je vous ay mandé l'acheminement de ces harquebuziers, que le comte de Sussex avoit envoyez au comte de Morthon, en quoy je eusse bien faict de ne me haster de le vous escripre sans en parler à elle ou à son secrétaire, qui m'eussent faict entendre que ce n'estoit aulcunement pour se mesler des droictz du royaulme entre la Royne d'Escoce et son filz, mais pour s'opposer à ceulx qui favorisoient et recepvoient ses rebelles, et pour donner ayde à ceulx qui les vouloient chasser; que, en ce que je lui avois dict que les Escouçoys estoient après à vous sommer de leur envoyer secours par vertu de voz alliances, qu'elle croyoit bien que Ledinthon, qui avoit esté le plus traystre de toutz à sa Mestresse, conseilloit meintennant de ce fère, mais qu'elle pense que Vostre Majesté n'escoutera de si meschantz subjectz que ceulx là, et ne vouldra pour eulx oublyer une si rescente preuve d'amytié, comme est celle qu'elle vous a monstrée ez présentes guerres de vostre royaulme, d'avoir rejecté toutes les persuasions qu'on luy a faictes, et toutes les occasions qu'on luy a offertes, d'y pouvoir fort incommoder voz affères, et porter ung grand proffict aulx siens; que, de ce que son ambassadeur vous avoit requiz de n'envoyer voz forces en Escoce avec l'asseurance qu'elle n'y envoyeroit point les siennes, que je croye fermement que tout ce qu'elle vous aura mandé ou qu'elle vous mandera par luy, elle l'acomplyra, mais qu'il fault considérer la distance des lieux, et qu'il n'est possible de si tost exécuter une parolle comme elle est dicte; qu'elle remercye Vostre Majesté du commandement que m'avez faict de ne m'espargner d'aller jusques vers la Royne d'Escoce, s'il est besoing, pour l'exorter qu'elle luy veuille fère d'honnestes offres, et icelles acomplyr et inviolablement observer; qu'elle ne fait doubte qu'elle ne promette assés, mais qu'elle ne tiendra jamais; et que l'évesque de Roz est desjà allé devers elle pour luy parler, qui me relèvera de ceste peyne, duquel toutesfoys elle ne peult plus espérer aulcun bon office, et que hardyment la Royne d'Escoce envoye ung aultre ministre, car celluy là ne parlera jamais plus à elle.
De toutz lesquelz propoz de la dicte Dame, plains de courroux, voyant que je ne pouvois recuillyr rien de certain, je luy ai demandé s'il luy playsoit point accomplyr les deux choses, qu'elle m'avoit naguières promises; de procéder dilligentment à la restitution de la Royne d'Escoce et de retirer ses forces hors de son pays.
La dicte Dame, intermélant plusieurs aultres propos, m'a enfin respondu que, pour l'honneur de Vostre Majesté, elle continuera et paraschèvera le tretté avec la dicte Dame aussitost qu'elle luy aura faict entendre son intention sur ce que l'évesque de Roz luy aura dict; me touchant, en passant, que d'aultres foys elle luy avoit escript que, s'il n'estoit trouvé bon de la remettre avec magnifficence et aparat en son pays, qu'elle estoit contante qu'on l'envoyât privéement comme une qui retournoit aulx siens; en quoy elle a toutjours vollu pourvoir que ce fût avec seureté de sa vie: et quant à retirer ses forces, que je donne toute asseurance à Vostre Majesté que, suyvant sa promesse, le comte de Sussex les a desjà révoquées à Barvych, hormiz quelque peu de gens, qu'il a miz à la garde de deux chasteaux; lesquelz elle ne dellibère randre, qu'elle ne soit satisfaicte des outraiges que luy ont faict ceulx à qui ilz apartiennent.
A cella je luy ay répliqué que ce ne seroit retirer ses forces que de laysser garnyson dans deux chasteaulx, et que je la pouvois asseurer que Vostre Majesté ne s'armeroit jamais pour maintenir les rebelles d'Angleterre, ainsy qu'elle, de son costé, disoit ne s'armer aussi contre les droictz de la Royne d'Escoce: néantmoins de tant que ceste alliance d'Escoce, qui a duré neuf centz ans à vostre couronne, vous abstreinct d'assister meintennant l'auctorité de la Royne d'Escoce, vostre belle sœur, contre ses propres rebelles; et y voulant elle, en mesmes temps, poursuyvre les siens, qu'enfin vous viendriez aulx armes et à la guerre entre vous contre votre propre vouloir et intention; et que vous aviez trop plus de rayson de mettre garnyson dans Dombertrand que elle d'en tenir dans Humes et Fascastel.
Elle allors m'a respondu qu'elle ne sçavoit, à la vérité, comment le comte de Sussex en a usé, ny quelles gens il a layssé dans ces chasteaulx; mais que tout cella se pourra accommoder par le tretté, et qu'elle desire bien sçavoir quelle responce Vostre Majesté me fera, et ce que vous aurez respondu à son ambassadeur sur ce qu'elle, a dernièrement tretté avec moy.
Et layssant ainsy ces propos, nous sommes passez à d'aultres plus gracieulx, avec lesquels s'est finye ceste audiance, despuys laquelle m'estant pleinct au secrétaire Cecille de la dicte garnyson des deux chasteaulx, il m'a respondu que ce n'estoit chose de conséquence; car n'y avoit que quarante hommes en l'ung, et vingt en l'aultre; et que le tretté mettroit fin à tout cella; me priant de continuer à fère tousjours bons offices entre Voz Majestez, et qu'il contendra avec moy de les fère encores meilleurs, s'il peult. Sur ce, etc.
Ce xıxe jour de juing 1570.
A la Royne.
Madame, les propos, que Vostre Majesté verra, en la lettre du Roy, que la Royne d'Angleterre m'a tenuz, procèdent, à mon adviz, de l'une de trois occasions et, possible, de toutes trois ensemble: la première, des véhémentes inpressions qu'on luy a données, et qu'on luy donne encores, de ne se debvoir jamais tenir bien asseurée de la Royne d'Escoce, dont aulcuns me disent que, quoy aussi que la dicte Dame me promette, son intention, ny celle des siens, n'est de se despartyr aucunement des premières dellibérations qu'ilz ont faictes sur ceste paouvre princesse et sur son pays, sinon qu'ilz y soyent contrainctz par la force; la seconde, qu'on l'asseure que le capitaine La Roche et le capitaine Puygaillard sont desjà embarquez à Suscivye, avec cinq centz harquebouziers brethons, pour passer en Escoce: ce que la dicte Dame m'a dict le sçavoir bien au vray, mais qu'elle est bien advertye aussi que, le ıxe de ce moys, ils n'estoient encores bougez, et, possible, a elle vollu ainsy braver lorsqu'elle s'est trouvée en plus grand peur; et la troisiesme est qu'on luy a fort magniffié les forces, qui sont en l'armée des Princes de Navarre et de Condé, l'asseurant qu'elles sont suffisantes de travailler assez toutes celles de Voz Majestez, sans qu'en puyssiez envoyer dehors.
Car, voycy, Madame, ce que j'entendz qu'on a miz par escript et monstré à la dicte Royne d'Angleterre et puys publié, de main en main, de la créance qu'a aportée le messagier de Mr l'Amyral. C'est que le dict sieur Amyral fortiffie Roane, pour estre ung lieu très oportun et commode à maintenir la guerre, et y fère son magazin, et pour y retirer ses mallades; et avoir ce passaige de Loyre à son commendement, pour y pouvoir sans difficulté recuillyr les secours d'Allemaigne et incommoder grandement toutz les aultres pays d'alentour; que, oultre qu'il a avec luy les viscomtes, et les troupes de gens de cheval et de pied qui estoient en Gascoigne, qui ne sont petites, il a recuilly en Languedoc ung grand nombre de bien bons soldatz, et que le comte de La Rochefoucault l'est venu trouver avec huict centz chevaulx et deux mil harquebuziers, toutz gens d'eslite; que de la Charité est arrivé dans son camp une troupe de quatorze centz bons hommes, toutz à cheval; que Mr de Lizy y est aussi arrivé d'une aultre part, avec douze centz harquebuziers et cinq centz chevaulx, lesquelz il a recuilliz en revenant d'Allemaigne; et que tout cella ensemble faict la plus brave armée de Françoys qui de longtemps ayt esté veue en France, oultre les reytres qu'il a, qui ne sont guyères diminuez; et qu'il ne désire rien tant que de venir à une journée, laquelle il cerchera de donner bientost par toutz les moyens qu'il luy sera possible; et que l'armée du Roy, que Mr le mareschal de Cossé conduict, est composée de huict mil Suisses nouvellement levez, car des vieulx n'en y a guières plus, et de quatre mil Françoys, d'ung nombre de reytres, qu'on paye à trois mil, qui ne sont que dix huict centz, soubz la charge du jeune comte de Mensfelt, duquel il ne se deffye pas trop, et d'envyron quatre mil chevaulx françoys; et qu'il a esté mandé à Mr le mareschal de Damville de se joindre au sieur mareschal de Cossé, affin de donner la bataille, laquelle néantmoins semble qu'il la vouldra évitter; car s'est logé vers Dun le Roy, et se couvre de la rivière d'Allyé. Lesquelles nouvelles, comme elles mettent en grand suspens les opinions des hommes, aussi suspendent elles les dellibérations des affères; et croy qu'elles retarderont ceulx que nous traictons icy meintennant, attendant ce qui pourra succéder; mesmes que j'entendz que, parmy leurs esglizes, il est desjà ordonné de fère prières et jeunes pour ceste prochaine bataille, tant ilz pensent que les choses en sont prez; et encores que je m'asseure, Madame, que si cecy est vray, Voz Majestez l'auront bien entendu d'ailleurs, toutesfoys, pour l'inportance de l'affère, et pour le dangier qu'aulcuns personnaiges d'honneur et de bien, qui conférons quelquefoys ensemble, avons peur que puysse avenir, je n'ay vollu différer de le vous mander incontinent par ce courrier exprès, avec les responses de la dicte Royne d'Angleterre. Et sur ce, etc.
Ce xıxe jour de juing 1570.
CXVIe DÉPESCHE
—du XXIe jour de juing 1570.—
(Envoyée jusques à la court par Groignet, l'un de mes secrétaires.)
Message de la reine d'Angleterre, afin que le roi soit sur-le-champ averti qu'elle se considérera comme dégagée de sa parole si l'expédition française, destinée à porter des secours en Écosse, sort des ports de Bretagne.—Désir de l'ambassadeur que l'on ajourne cette expédition.—Nouvelles d'Allemagne, où tout se prépare pour donner d'importans secours aux protestans de France.—Lettre secrète à la reine-mère. Dispositions prises par les protestans de France, en Angleterre et en Allemagne, dans le but de continuer la guerre avec vigueur.
Au Roy.
Sire, les responces et adviz, que je vous ay escript despuys trois jours, m'ont semblé estre assez pressez pour les vous debvoir fère sçavoir par ung courrier exprès, comme j'ay faict; et meintennant, Sire, je suys instantment requiz par la Royne d'Angleterre de vous en dépescher encores ung, tout présentement, pour vous notifier ce que, par ung sien secrétaire, nommé maistre Sommer, elle m'a envoyé dire jusques en mon logis: c'est qu'elle avoit bonne souvenance des choses naguières accordées entre elle et moy, touchant la Royne d'Escoce, et qu'elle estoit preste de les acomplyr tant à continuer et paraschever le tretté avecques elle, que à révoquer ses forces hors de son pays, comme desjà elle les avoit faictes retirer à Barvyc; mais que, ayant très certain advertissement comme il s'embarquoyt des compaignies en Bretaigne pour les envoyer de dellà, qu'elle vouloit bien déclairer à Vostre Majesté que, si elles y passoient, elle se tenoit, d'ors et desjà, quicte et deschargée de la promesse qu'elle m'avoit faicte, et qu'elle exploicteroit dans le dict pays par son armée, qui est encores entière et en estat, tout ce qu'elle verroit estre expédiant et à propos pour son service; et qu'elle continueroit de retenir la Royne d'Escoce là où elle est, sans plus entendre à nul tretté avecques elle; et, de tant que cella importoit beaulcoup à vostre commune amytié, à laquelle elle avoit regrect d'y veoir intervenir ceste altération, me prioit que je vous en voulusse promptement advertir par homme exprès, qui peult retourner en dilligence, affin que je l'en peusse résouldre.
Et bien, Sire, que j'aye respondu au dict Somer que j'avois freschement reçeu une responce de Vostre Majesté, laquelle j'yrois aporter à la dicte Dame, et j'espérois qu'elle la contenteroit, il n'a layssé pourtant de percister que je debvois dépescher promptement devers Vostre Majesté; qui est l'occasion du voyage de ce mien secrétaire, par lequel je vous suplieray très humblement, Sire, que, en voz propos à l'ambassadeur d'Angleterre et en voz apretz de Bretaigne, il vous playse monstrer toutjour que vous estes prestz d'entretenir ce qui a esté accordé en vostre nom à la dicte Dame, et de différer l'embarquement et passaige de vostre secours en Escoce, jusques à ce qu'aurez veu ce qui succèdera du tretté qu'elle a commancé avec la Royne vostre belle sœur; et qu'elle veuille achever de retirer la garnyson qui est demeurée dans Humes et Fascastel, comme elle a desjà retiré le principal de ses aultres forces du pays, nonobstant que vous rescentiez beaucoup ce dernier exploict de ses gens, qui ont abattu quatre maysons du duc de Chastellerault et brullé toutz ses villaiges.
Et après, Sire, que j'auray parlé à la dicte Dame sur la bonne responce, que m'avez commandé luy fère par vostre dépesche du xe du présent, je feray entendre ce que j'auray peu comprendre de ses propos, tant sur ce faict de la Royne d'Escoce que sur ce que la dicte Dame peult avoir sceu des choses d'Allemaigne: d'où j'entendz qu'elle a freschement receu lettres, qui lui parlent de l'acheminement de l'Empereur à Espire pour la diette; et comme la Royne d'Espaigne passe oultre vers les Pays Bas, laquelle deux mil chevaulx allemans viennent accompaigner jusques à Nimeguen, où le duc d'Alve la doibt aller recepvoir, et qu'elle meyne deux de ses petitz frères pour les passer en Espaigne, (au lieu des deux aisnez) qui s'en retourneront sur les mesmes vaysseaulx, qui la seront allez conduyre; et que les nopces du Cazimir ont été accomplyes, où se sont trouvez trèze mil chevaulx, lesquelz on tient pour chose asseurée que s'acheminent incontinent en France, au secours de Messieurs les Princes et Amyral; que les trois électeurs laycs se sont liguez ensemble pour s'oposer aulx décrectz qui pourroient estre faictz ou contre leur religion, ou contre les libertez d'Allemaigne; et qu'il semble encores que c'est principallement pour empescher que l'Empereur ne puysse fère créer son filz roy des Romains, non sans quelque esbahyssement commant celluy de Brandebourg s'est joinct à cella, veu qu'il est pensionnaire à six mil escuz par an du Roy d'Espagne, et qu'il s'est toutjours monstré amy et serviteur de la mayson d'Austriche; et que aus dictes nopces du dict Cazimir a appareu quelque désordre de l'ung des deux ducz Jehan de Saxe, Frédéric ou Guillaume, qui sur quelque débat a vollu tuer le comte Pallatin; et que quelque homme Gantoys a esté prins et exécuté pour avoir confessé qu'il estoit venu à la dicte assemblée, pour donner un coup de pistollé au prince d'Orange. De toutes lesquelles nouvelles, Sire, celle de la descente de ces Allemans en votre royaulme me semble considérable, parce qu'il y a grand aparance qu'on l'exécutera, si la paix ne se conclud bientost; et j'en ay icy de grandz indices, et pareillement d'une armée de mer, qui se prépare par ceulx de la nouvelle religion, de bon nombre de vaysseaulx pour fère une descente de deux ou trois mil hommes en quelque lieu de Normandie, Bretaigne ou Guyenne; et ne monstrent qu'ilz espèrent encores, en façon du monde, la dicte paix, bien que, tout à ceste heure, l'on me vient de dire qu'il a esté semé quelque bruict à la bource de ceste ville qu'elle est desjà conclue. Sur ce, etc.
Ce xxıe jour de juing 1570.
A la Royne
(Lettre à part du dict jour.)
Madame, ce n'est tant pour satisfère à la Royne d'Angleterre, que je vous envoyé présentement ce mien secrétaire, comme pour vous aporter ceste mienne lettre à part, par laquelle je veulx bien asseurer Vostre Majesté que, sur la créance du messagier de Mr l'Admyral, duquel je vous ay naguières faict mencion, il a esté tenu, dez dimanche dernier, entre les principaulx, qui sont icy, de la nouvelle religion, Françoys et Flamans, ung conseil bien fort secrect; duquel, à la vérité, je n'ay pas bien descouvert toutes les dellibérations, mais ceulx cy sçay je bien de certain, c'est que, incontinent après la tenue du dict conseil, il a esté dépesché de par eulx, coup sur coup, deux messagiers en Hembourg, pour y aporter les lettres de responce et de crédict, que de longtemps ilz se sont pourveuz icy pour fère leurs payemens en Allemaigne; et que c'est pour fère incontinent marcher leurs nouvelles levées; et qu'ilz sont après à ordonner deux d'entre eulx pour les aller trouver, affin de les conduyre et leur servyr de mareschaulx de camp, jusques à ce qu'ilz seront arrivez en l'armée des Princes; et estiment le nombre des dicts Allemans non moindre que de douze à quinze mil chevaulx; et pour ordonner aussi ung général de mer, d'entre les gentilhommes qui sont icy, pour l'envoyer bientost fère une descente de deux mil cinq centz hommes, en quelque lieu de Normandie ou Bretaigne, où ilz ont intelligence; et que desjà les vaysseaulx, les vivres et tout l'apareilh de l'entreprinse est prest à la Rochelle, où s'yront joindre les vaysseaulx du prince d'Orange, qui sont en ceste coste, et encores deux toutz nouveaulx qu'ung sien serviteur a heu, despuys deux jours, permission d'aller armer et équiper à Amthonne. Et semble qu'il y ayt icy aulcuns gentishommes françoys qui, à regrect, feront ce voyage, et que, si Vostre Majesté les vouloit gratiffier et les retirer au service du Roy, ilz habandonneroient très vollontiers l'aultre party, lequel aultrement ilz sont contrainctz de suyvre; vous suppliant très humblement, Madame, de ottroyer au gentilhomme, pour qui le sieur de Vassal vous aura parlé, la seureté qu'il vous demande, laquelle j'estime que reviendra au proffict de vostre service. Et faictes semblant, Madame, s'il vous playt, que vous n'avez heu ces adviz de moy, aultrement il sera dangier que je ne vous en puysse plus mander, s'ilz cognoissent que j'aye tant de notice de ces affères; car les dicts de la nouvelle religion sont bientost advertys de tout ce que le Roy, et Vous, et Monseigneur, dictes et faictes; et mesmes l'on m'a asseuré que, en France, oultre ceulx de l'aultre party, il y en a aulcuns, lesquelz on ne m'a poinct nommez, qui ne sont point déclairez de leur costé, qui toutesfoys sont respondans de la paye de ces reytres, qui doibvent venir.
Par ainsy, Madame, considérant l'estat des choses, et le peu de confiance que Voz Majestez doibvent mettre en rien qui soit que en Dieu seul, et en vous mesmes; et que la descente du Cazimir vous doibt estre très suspecte, pour l'alliance du duc Auguste, qui ne l'a prins pour son gendre pour sa présente grandeur, ains possible pour celle où il aspire par les troubles des aultres estatz; et que la Royne d'Angleterre ne fauldra d'incliner à leur entreprinse; je ne puys que prier Dieu bien fort dévottement qu'il vous doinct, Madame, à bientost conclurre la paix, et la conclurre telle que la descente des Allemans en soit bien certainement divertye, et Voz Majestez exemptes de toute surprinse, déception et dangier. Et sur ce, etc.
Ce xxıe jour de juing 1570.
Je vous puys asseurer, Madame, que ceulx de la nouvelle religion, qui sont icy, ne s'attendent aucunement à la paix, ains à continuer la guerre; et semble que l'ambiguité et la longueur, dont l'on procède à vous rendre response sur les articles de la dicte paix, n'est que pour gaigner le temps et attandre leur secours.
CXVIIe DÉPESCHE
—du XXVe jour de juing 1570.—
(Envoyée exprès par Jehan Monyer, postillon, jusques à Calais.)
Retard apporté à la désignation d'une audience demandée par l'ambassadeur.—Interrogatoire subi par l'évêque de Ross devant le conseil d'Angleterre.—Conditions arrêtées dans ce conseil au sujet du traité qui peut être conclu avec la reine d'Écosse.—Nouvelles d'Allemagne.—Avis donné au roi d'une entreprise qui se prépare pour opérer une descente en France.
Au Roy.
Sire, affin de mettre la Royne d'Angleterre hors de la peyne, où elle est, de l'aprest qu'on luy a dict que Vostre Majesté faict en Bretaigne pour envoyer des gens en Escoce, je luy ay, dez mardy dernier, envoyé demander audience, pour luy fère veoir vostre bonne responce là dessus en la façon que par voz lettres, du xe de ce moys, il vous playt me le commander; et le secrétaire Cecille, ayant conféré avecques elle, m'a respondu qu'elle ne me la pouvoit si tost ottroyer, à cause qu'elle se trouvoit mal, comme à la vérité elle faict, de sa jambe, mais que je luy pourrois escripre cella mesmes que j'auroys à luy dire. Dont de tant, Sire, qu'on m'a adverty qu'il y a de l'artiffice en cella, pour fère tremper l'évesque de Roz, et pour fère en sorte que la dicte Dame renvoye cependant ses forces en Escoce, et qu'elle face jetter de ses grandz navyres en mer, pour la persuasion qu'on luy donne que, nonobstant voz bons propoz, qu'avez tenuz à son ambassadeur, vous ne lairrez d'envoyer gens par dellà; j'ay escript ce matin à la dicte Dame que, de tant qu'une lettre ne pourroit suffire pour tout ce que j'avois à luy dire, ny me raporter sa responce, et que les propos, que j'avois à luy tenir de vostre part, n'estoient toutz que pour son contantement, que je me garderoys de les employer ny par escript, ny par présence, en actes si contraires, comme seroit d'en travailler sa santé, et que partant j'attendrois fort paciemment et de bon cueur la commodité de sa convalescence; laquelle je prioys Dieu de luy donner bientost et bien parfaicte.
Je ne suis trop marry, Sire, de ce retardement parce que le comte de Lestre et ceulx, qui portent faveur à ceste cause, seront cependant de retour; en l'absence desquelz ayantz les aultres ouy l'évesque de Roz sur le faict, dont on le chargeoit, d'avoir tretté en secret avec le comte de Surampthon, et ayantz vollu aussi tirer de luy ce qu'il aportoit de l'intention de sa Mestresse, sans l'admettre à la présence de la Royne d'Angleterre, après qu'il s'est bien deschargé de l'ung, et qu'il leur a heu remonstré qu'il ne pouvoit fère l'aultre pour aulcunes choses secrectes qu'il ne pouvoit commettre qu'à elle mesmes, ilz se sont desbordez jusques là de luy dire qu'ilz ne se soucyoient pas tant de l'advancement de ceste matière qu'ilz le vollussent presser de la leur proposer; mais, de tant que la Royne d'Escoce et luy, qui est son ministre, et toutz les princes qui parlent pour elle, estoient papistes, et par ainsy ennemys de leur Mestresse et de son estat, qu'ilz tenoient pour très suspect tout ce qui se trettoit de sa restitution; à l'ocasion de quoy il falloit, avant toutes choses, qu'elle et luy fissent profession de la religion réformée, et bien qu'ilz y ayent meslé quelque soubzrire, ce n'a esté toutesfoys sans parolles véhémentes pour essayer s'ilz pourroient gaigner ce point.
En quoy le dict sieur évesque a usé de saiges responces, qui seroient longues à mettre icy; mais cependant j'ay descouvert, Sire, comme ne pouvant ceulx cy vaincre le désir, que leur Mestresse a de sortyr de cest affère, qu'ilz se sont dellibérez de se tenir fermes et résoluz aux condicions qui s'ensuyvent: Que la religion protestante soit establye et confirmée en Escoce; que la Royne d'Escoce se doibve obliger, par sèrement solemnel, et fère obliger les siens, qu'elle n'entendra jamais à nul party de mariage, sans l'exprès consantement de la Royne d'Angleterre; qu'elle chassera les rebelles anglois, qui se sont retirez en son pays, sans jamais plus en recepvoir, et que désormais ilz seront randuz mutuellement par l'ung prince à l'aultre sans contradict; qu'elle cèdera à la Royne d'Angleterre, et aulx descendans qui procéderont d'elle, tout le droict et tiltre qu'elle prétend à ceste couronne; qu'elle déclairera, d'ors et desjà, pour son successeur à celle d'Escoce et à ses droictz prétanduz de ceste cy son filz le Prince d'Escoce; que le dict Prince sera mené pour être nourry en Angleterre soubz quelque promesse, que la dicte Royne d'Angleterre fera, de le déclairer pareillement son successeur immédiat après elle, au cas qu'elle n'eust point d'enfans; que ligue sera faicte, offencive et deffencive, entre les deux roynes et leurs royaulmes à jamais, à laquelle sera donné lieu à Vostre Majesté d'y pouvoir entrer si bon vous semble, mais soubz des condicions que je n'ay encores peu bien sçavoir quelles elles sont; qu'il ne sera loysible d'introduyre nul estrangier en armes, d'où qu'ilz soient, dans le pays, ny par quelque couleur ou prétexte que ce puisse estre; et, finalement, que Vostre Majesté baillera ostaiges, à estre icy quelque temps, pour la seureté des choses susdictes.
Je n'ay encores, Sire, donné cest adviz à l'évesque de Roz, lequel aussi n'a pas heu loysir de me conférer les offres qu'il aporte de sa Mestresse; mais Vostre Majesté, s'il luy playt, me commandera de bonne heure sa bonne vollonté là dessus, affin que je me trouve bien préparé d'icelle, quant il en sera temps; car j'espère que nos amys vaincront l'opiniastreté de noz ennemys de ne demeurer trop fermes sur si dures condicions comme seroient toutes celles icy ensemble.
Au surplus, Sire, il se continue fort que ceste nuée d'Allemans des nopces du Cazimir yra estre ung orage en vostre royaulme au secours des Princes et de l'Amyral, ayant le comte Pallatin escript par deçà que en la dicte assemblée ne seroit rien obmiz de ce qui apartiendroit au secours de leur religion en France; duquel secours, pour l'incertitude de l'intention du duc Auguste, les déterminations n'avoient peu prendre aulcune bonne résolution jusques à ceste heure; qu'il avoit déclairé que le sien seroit le premier prest, et qu'il l'envoyeroit à ses despens. Et estime l'on que la dicte assemblée des nopces a esté principallement projettée pour estre une contrediette de celle que l'Empereur a assignée à Espire, affin de résouldre, de eulx mesmes et sans le dict Empereur, les affères d'Allemaigne à la dévotion des trois ellecteurs laycs, qui semblent avoir tiré celluy de Colloigne eclésiastique à leur party; et pour ordonner aussi de l'establissement de leur religion en France et en Flandres, mais surtout pour empescher que l'ellection du roy des Romains ne se puisse fère en la personne du filz, ny du frère de l'Empereur, non sans quelque opinion qu'ilz veuillent, entre eulx et de leur propre authorité, nommer le dict Auguste roy des Romains. Et de tant, Sire, que, de jour en jour, me viennent plusieurs indices que ceulx de la nouvelle religion ont une descente en main en quelcun de voz portz ou places de mer de dellà, où ilz prétendent mettre deux mil cinq centz hommes en terre, et qu'à cest effect ilz aprestent ung grand armement à la Rochelle; et que je sçay que les vaysseaulx du prince d'Orange, qui sont en ceste mer estroicte, s'y préparent; aussi que j'entendz qu'ilz sont sur la dellibération s'ilz convyeront les Anglois d'estre de la partie, lesquelz tiennent quatorze grandz navyres et plusieurs aultres vaysseaulx en estat, et grand nombre d'hommes enrollés pour quelque effect; je vous suplye très humblement, Sire, qu'il vous playse advertyr incontinent les gouverneurs de Normandie, Picardie, Bretaigne et Guyenne, car je ne sçay proprement où s'adresse leur entreprinse, qu'ilz ayent à y prendre garde et se préparer si bien qu'ilz ne puissent estre surprins. Sur ce, etc.
Ce xxve jour de juing 1570.
CXVIIIe DÉPESCHE
—du XXIXe jour de juing 1570.—
(Envoyée exprès jusques à Dièpe par Brogle, messagier.)
Audience.—Discussion des affaires d'Écosse.—Promesse de la reine d'arrêter toute hostilité, et d'entendre les propositions de l'évêque de Ross.—Désir manifesté par Élisabeth de voir la paix rétablie en France.—Communication faite par la reine à l'ambassadeur des nouvelles qu'elle a reçues d'Allemagne.
Au Roy.
Sire, s'estant la Royne d'Angleterre assés tost repentye de ne m'avoir, le xxııȷe du présent, ottroyé audience, elle m'a mandé, le deuxième jour après, que je la vinse trouver quant il me plairroit; et se sont, la lettre qu'elle me faisoit escripre là dessus par le secrétaire Cecille et la mienne, que pour cest aultre effect je luy escripvois, laquelle elle a heu bien agréable, rencontrées en chemin, dont je suys allé trouver la dicte Dame le xxvȷe de ce moys à Otlant; où m'ayant faict appeller en sa chambre privée, en laquelle elle estoit en habit de mallade, ayant sa jambe eu repoz, après m'avoir compté de son mal, et faictes ses excuses de ne m'avoir peu si tost ouyr comme je l'avois desiré, je luy ay ramentu les choses cy devant accordées entre nous, et comme je n'avoys failly, suyvant son désir, de dépescher ung homme exprès pour aporter à Vostre Majesté la déclaration que sur icelle elle m'avoit envoyé notiffier par son secrétaire Sommer; laquelle déclaration je luy voulois bien dire que je ne l'avoys peu trouver guières mauvayse, encore qu'il y eust quelque peu de menace, parce qu'il y avoit aussi de la franchise et une vraye démonstration qu'elle faisoit de vouloir évitter toute altération entre Voz Majestez, dont j'espérois que ce qu'elle entendroit meintennant de vostre intention en cella la contanteroit.
Et ainsy, Sire, je luy ay récitté mot à mot le contenu de vostre lettre du xe de ce moys, non sans qu'elle ayt donné une claire cognoissance, sans en rien dissimuler, qu'elle recepvoit ung singulier playsir de ce que je luy disoys; m'ayant tout aussitost prié bien fort expressément de luy en vouloir bailler aultant par escript, affin de le monstrer à quelques ungs de ses conseillers, qui luy disoient qu'elle ne debvoit laysser de procéder et pourvoir aulx affères d'Escoce, tout ainsy que si Vostre Majesté ne luy avoit rien faict promettre par moy, ny luy mesmes rien dict à son ambassadeur: car croyoient que vous n'aviez aulcune vollonté d'en rien observer, ainsy que voz aprestz de Bretaigne, qui ne cessoient pour cella, leur en donnoient assés bon tesmoignage; ce néantmoins qu'elle s'en vouloit reposer en vostre parolle, comme d'ung magnanime Roy et Prince vertueux et saige, qui regardiez à conserver l'amytié des princes voz voysins, entre lesquelz ce seroit elle qui vous randroit la sienne plus parfaicte et accomplye; et qui, oultre le remercyement très grand qu'elle vous fesoit de l'esgard qu'avez heu maintennant à icelle, vous cognoistriez qu'elle ne l'auroit moins ferme en l'observance de ses promesses qu'elle s'asseuroit de la persévérance de la vostre, en celles que vous luy faysiez.
J'ay suyvy, Sire, à luy dire qu'elle trouveroit toutjour toute seurté et vérité en voz parolles et en celles de la Royne vostre mère, et que toutz les jours il luy viendroit nouvelles preuves, que Voz Majestez n'avoient aultre intention que de vivre en grande unyon de paix, et de toute bonne intelligence avecques elle; bien que je luy vollois confesser tout librement que, le lendemain de l'aultre audience qu'elle m'avoit donnée à Amthoncourt, je n'avoys failly de vous fère une dépesche, non pour aigryr ainsy les matières, comme il m'avoit semblé que je l'avois trouvée elle aigrye et changée en peu de jours, (ce que je n'atribuoys aulcunement à elle, ains à d'aultres, qui avoient fort à regrect la bonne unyon de Voz Majestez), mais que je ne vous avois pas vollu celler ce qu'elle m'avoit résoluement dict de vouloir en toutes sortes retenir les deulx chasteaulx de Humes et Fascastel, jusques à ce que ceulx à qui ilz apartiennent eussent satisfaict à l'obligation des frontières; et que meintennant j'avois à la requérir très instantment de deux choses: l'une, que, de tant que Vostre Majesté avoit tant vollu defférer à nostre accord qu'ayant ung armement tout prest pour le secours d'Escoce, et les Escouçoys sur le lieu qui vous requéroient de l'envoyer, et qui vous remonstroient le gast, le bruslement et la démolition de leurs maysons nobles du pays, et la détention de leur Royne en Angleterre; et que, nonobstant tout cella, vous aviez différé et quasi interrompu le dict secours pour luy complayre, qu'elle, de sa part, vollût entièrement retirer ses forces hors du dict pays, comme elle me l'avoit promis, et nomméement celles qu'elle avoit encores dans les deux chasteaulx; la segonde chose estoit qu'ayant Mr l'évesque de Roz aporté toute l'intention et ung ample pouvoir de tretter et conclurre toutes choses avec elle pour sa Mestresse, qu'elle y vollût meintennant procéder, ainsy dilligemment qu'elle vous avoit promiz de le fère, sans plus remettre la matière en longueur.
Sur lesquelles deux choses, Sire, nous avons heu beaucoup de contention, et n'ay, pour le regard de la première, peu obtenir rien de mieulx que ce que la dicte Dame vous prie, Sire, de vouloir laysser les loix de leurs frontières aller leur cours accoustumé, suyvant lequel, le différant des dicts deux chasteaulx et des aultres attemptatz doibvent estre vuydez par les gardiens d'icelles, qui ne fauldront de randre lors les dicts deux chasteaulx, sans que cependant ceulx qui sont dedans facent nul acte d'hostillité, qui estoit une rayson que, quand elle seroit vostre vassalle, vous ne la luy pouviez bonnement reffuzer; et, quant au segond, encor qu'elle eust proposé de ne veoyr jamais l'évesque de Roz pour des occasions, lesquelles il n'avoit peu ny nyer ny excuser, que néantmoins elle me promettoit de l'ouyr dans deux ou trois jours; et qu'aussitost que le sir de Leviston, lequel nous avions dépesché en Escoce, seroit de retour avec les aultres commissaires escouçoys, elle vacqueroit sans aulcune intermission aulx affères de la dicte Dame.
Après lequel propos estimant, Sire, que je ne le debvois pour ceste fois poursuyvre plus avant, la dicte Dame m'a dict d'elle mesmes qu'elle desiroit fort que, la première foys que je retournerois vers elle, je lui peusse aporter la conclusion de la paix de vostre royaulme, estant bien marrye qu'elle alloit ainsy traynant.
Je luy ay respondu que je n'avoys nul plus grand desir que de la pouvoir satisfaire en cella, et que ceste sienne bonne intention obligeoit Vostre Majesté et tout vostre royaulme beaucoup à elle, ne faysant doubte, quant elle y pourroit ayder de quelque chose, qu'elle ne le fyst.
«Il n'y a, respondit elle, nulle œuvre en ce monde où je m'employasse plus vollontiers, ny où je courusse de meilleur cueur, encores que je soys boyteuse, que je ferois à celle là, et que de ce j'en asseurasse Vostre Majesté.»
J'ay là dessus passé oultre à luy dire que je craignois bien que ceste longueur peult admener quelque chose entre deux, et attirer encores possible en vostre royaulme une partie de ces Allemans, qui s'estoient trouvez aux nopces du duc Cazimir; et qu'elle sçavoit bien ce qui en estoit, qui seroit ung bon tour de bonne sœur si elle vous en vouloit advertyr, comme je luy vouloys bien dire que la condicion de la cause et celle de sa qualité, qui estoit Royne, l'obligeoient de le fère, et mesmes d'empescher qu'il ne se préparât rien pour soubstenir l'opiniastretté et obstination de voz subjectz contre vous, qui n'estoit exemple que pernicieulx pour elle mesmes.
Elle m'a respondu qu'elle ne sçavoit pas entièrement tout ce qui en estoit, mais que l'Empereur luy avoit bien escript que, par prétexte du secours de la nouvelle religion en France, il s'estoit faicte une plus grande assemblée à ces nopces du Cazimir, que ne requéroit l'ordre des maryez, et qu'il monstroit par sa lettre qu'il la tenoit fort suspecte pour luy mesmes; adjouxtoit d'aultres gracieulx propos de ce qu'il avoit veu maryer son frère l'archiduc, encor qu'il l'eust d'aultres foys tout dédyé à elle, mais qu'il la prioyt que les dictes nopces ne luy fussent d'aulcune jalouzie, car elles n'empescheroient qu'il ne fût encores tout sien; et que par le propos de la dicte lettre et par plusieurs aultres indices elle croyoit asseuréement qu'il y auroit ung nouveau secours d'Allemans pour ceulx de la Rochelle, si la paix ne succédoit. Et par ce, Sire, qu'il seroit trop long de mettre icy toutz les aultres propoz qu'avons heu en ceste audience, je les remettray à une aultre foys; et adjouxteray seulement ung mot de la réception de vostre dépesche du xıxe de ce moys, par le Sr de Vassal, et du voyage que faictes fère par deçà au Sr de Poigny, lequel nous mettrons peyne de l'aprofitter le mieulx qu'il nous sera possible. Sur ce, etc.
Ce xxıxe jour de juing 1570.
CXIXe DÉPESCHE
—du Ve jour de juillet 1570.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran.)
Résolutions d'Élisabeth de maintenir l'accord fait au sujet de l'Écosse, et d'entrer en négociation sur la restitution de Marie Stuart.—Espoir de la prochaine liberté du duc de Norfolk.—État de la négociation des Pays-Bas.—Mémoire général, sur les affaires d'Angleterre.—Bienveillance montrée par Élisabeth aux seigneurs catholiques.—Condition mise à la liberté du duc de Norfolk.—Mémoire secret. Communication faite par l'ambassadeur à la reine d'Angleterre de la réponse du roi sur les articles proposés pour la restitution de Marie Stuart.
Au Roy.
Sire, pour avoir Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, ainsy vertueusement parlé, comme vous avez, à l'ambassadeur de la Royne d'Angleterre; et pour m'avoir commandé de déclairer icy à elle vostre résolue intention de ne vouloir habandonner aulcunement la Royne d'Escoce, ny les affères de son royaulme; il est advenu que la dicte Dame a cessé d'en poursuyvre plus avant l'entreprinse par la force, et qu'elle s'est condescendue d'en venir au tretté, duquel je vous ay desjà envoyé le commancement. Il est vray, Sire, que, despuys dix jours, l'on luy a si bien faict acroyre que, nonobstant vostre promesse, vous ne larriez d'envoyer des gens en Escoce, que la dicte Dame, changeant de dellibération, avoit desjà mandé au comte de Sussex de rentrer de rechef avec son armée en pays, et d'y saysir toutes les places qu'il pourroit; et à l'amyral Clynton de getter promptement six grandz navyres en mer, non pour aller attaquer la flotte des François au combat de main, laquelle ilz entendoient estre pourveue de deux mil bons harquebouziers, mais pour la mettre à fondz à coups de canon, s'il estoit possible; et mandé davantaige que le sir de Leviston, lequel nous avions dépesché vers le duc de Chastellerault et vers les aultres seigneurs escouçoys, pour leur apporter nostre accord, fût arresté aulx frontières; et qu'au reste elle ne tretteroit ny admettroit jamais plus l'évesque de Roz en sa présence; s'esforceans encores ceulx, qui menoient ceste mauvaise pratique, de me fère retarder mon audience, affin que je ne peusse assés à temps y remédier; dont a esté assés mal aysé, Sire, de retirer la dicte Dame de ceste opinion. Néantmoins, j'ay miz peyne de luy dire et encores de luy bailler par escript, si à propos, la responce de Vostre Majesté du xe du passé, et de l'asseurer tant de la seurté et vérité qu'elle trouveroit toutjour en voz promesses, que, oultre les choses que je vous ay desjà mandé qu'elle m'avoit en présence lors accordées, voicy, Sire, ce que de ceste vostre bonne responce s'en est despuys ensuyvy:
Que la dicte Dame a escript au comte de Sussex de casser son armée et se retirer luy à Yorc, laissant quelques compaignies aulx gardiens des frontières, et une petite garnyson dans Humes et Fascastel; qu'elle a ordonné à son admyral de ne getter nulz navires dehors, ains de fère cesser pour ceste heure tout l'armement et apareil d'iceulx; qu'elle a mandé au comte de Lenoz, qui estoit à Lislebourg, avec trois centz Escouçoys entretenuz aux despens de la dicte Dame, de se retirer à Barvyc; qu'on n'eust à donner aulcun empeschement au sir de Leviston en la frontière, ains de luy laysser librement poursuyvre son voyage; et finalement, suyvant sa promesse, qu'elle a si paciemment ouy l'évesque de Roz, et si favorablement receu des ouvrages, qu'il luy a présentez de la part de sa Mestresse, lesquelz elle mesmes avoit faictz de sa main, qu'il m'a dict n'avoir jamais heu une plus bénigne audience de la dicte Dame ny plus pleyne de satisfaction, qu'il a faict ceste foys, avec promesse que, aussitost que le sir de Leviston et aultres commissaires escouçoys seront arrivez, qu'elle procèdera en toute dilligence aulx affères de la Royne d'Escosse. Et si, semble, Sire, que le duc de Norfolc ayt aussi assés advancé le faict de sa liberté, et qu'il est en termes d'estre bientost remiz en son logis de ceste ville, soubz quelque soubzmission qu'il pourra fère à la dicte Dame.
Au surplus, Sire, de tant qu'il se trouve meintennant beaucoup de diminution et de deschet en la merchandise d'Espaigne, qui a esté arresté par deçà, et que ceulx cy ne la veulent fère bonne, ny veulent pareillement estre tenuz de celle des trèze ourques, que ceulx de la Rochelle en ont emmené pour leur part, il semble que leur accord avec le duc d'Alve n'est près d'estre faict; mesmes que une ordonnance, de nouveau publiée en Flandres contre les Anglois, monstre que le duc en est assés esloigné, bien que par aultres moyens il en faict de plus en plus attaicher la pratique, affin de la faire tumber à son poinct, ainsy qu'on attand là dessus des commissaires de Flandres qui doibvent bientost arriver; et ceulx cy desirent tant d'en sortyr qu'il semble qu'à la fin ils se layrront plyer à ce que le dict duc vouldra, comme desjà la dicte Dame lui a offert cinquante mil escuz du sien; mais la demande passe ung million. Les sollicitations et dilligences de ceulx de la nouvelle religion ne s'intermettent d'une seulle heure, ce qui faict acroyre au monde qu'ilz sçavent très bien que le propos de la paix sera acroché à quelque difficulté, et que la guerre sera encores continuée. Sur ce, etc.
Ce ve jour de juillet 1570.