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Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Troisième

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Instruction pour satisfère Leurs Majestez sur le contenu de la dépesche, comme s'ensuyt:

Que, le xxe du passé, la Royne d'Angleterre se monstroit bien disposée envers Leurs Très Chrestiennes Majestez et envers leurs présens affères, avec bonne affection à la paix de leur royaume, et d'estre preste, pour l'amour d'eulx, de condescendre à des expédiens gracieulx avec la Royne d'Escoce, et me dict l'ung des seigneurs de son conseil qu'elle avoit ung grand contantement de veoir que Leurs dictes Majestez, ny nul de leurs ministres, n'estoient meslez en ces choses du North.

Ung autre des seigneurs du dict conseil, me parlant en affection d'aulcuns aprestz, qu'on faisoit contre la dicte Dame, en un endroict qui, sellon qu'il me le désigna, ne pouvoit estre sinon Flandres, me dict qu'ilz estoient après, de leur costé, à préparer en dilligence ung des plus grandz et des plus braves armemens qu'ilz eussent, longtemps y a, miz en mer, et qu'on cognoistroit que, si l'Angleterre n'estoit pour assaillir ung aultre estat, qu'elle estoit suffisante pour deffandre le sien, et que, continuant ainsy la bonne paix, comme elle faisoit, avecques le Roy et la France, ilz n'avoient que bien peu à craindre le reste de leurs voysins.

Le troisiesme jour après, estantz deux pacquetz, l'un de Mr Norrys et l'aultre du Sr Randolf, arrivez de France et d'Escoce, quasi en mesmes heure, et avec conformité d'ung mesmes advis de certain nombre de gens de guerre, qu'ilz ont mandé que le Roy préparoit d'envoyer en Escoce, qui se debvoient embarquer en Bretaigne, le ıııe de may, et estre conduicts par le Sr Estrocy, la dicte Dame fit incontinent assembler là dessus son conseil, où, du bon estat que les choses monstroient estre deux jours auparavant, elles furent, par la contention des mal affectionnez, soubdain converties en une présente aygreur; et voicy ce que j'entendz qui fut là arresté:

Que Mr Bach, pourvoyeur de la marine, seroit promptement mandé pour lui enjoindre de mettre en ordre et en bon équipage toutz les grandz navyres de guerre de la dicte Dame, affin d'estre prestz dans la fin de mars ou au commencement d'avril, avec trois mil bons hommes dessus, avytaillez pour un moys, affin de servir aulx deux effects; l'ung, de résister aux entreprinses de Flandres, et l'aultre, pour empescher le passaige et la descente des Françoys en Escoce;

Que le comte de Sussex et Raf Sadeller s'en yroient au Nort, et lèveroient six mil hommes, qu'ilz envoyeroient le plus tost qu'ilz pourroient en Escoce, et en prépareraient aultres douze mil pour doubler et tripler les premiers, s'il estoit besoing;

Que ceste mesmes levée pourroit servir à réprimer les esmotions qu'on craignoit au dict pays, et servyroit aussi pour tenir la main forte à l'exécution de justice qu'on y prétendoit fère contre ung nombre de gentishommes, qu'on a trouvez coulpables de la première ellévation;

Que, pour subvenir à telles choses, l'on dresseroit trois estapes de vivres et de monitions pour les pouvoir transporter par mer où le besoing le requerroit, l'une à Londres, l'aultre à Rochestre, et la troisiesme, laquelle j'ay la plus suspecte, à Porsemue, car c'est vis à vis du Havre de Grâce;

Que courriers seraient promptement dépeschez par toutes les provinces avec lettres aulx officiers, pour fère advertissement à ung chacun de se tenir pourveuz d'armes et de chevaulx sellon les ordonnances, et d'estre prestz pour marcher, quand ilz seront mandez;

Que Me Grassein feroit dilligence de trouver promptement cinquante mil livres d'esterlin parmy les merchans pour subvénir au présent besoing de la dicte Dame, oultre et par dessus la somme de quarante cinq mil livres d'esterlin desjà ordonnées pour Allemaigne;

Que les affères de la Royne d'Escoce et les propositions qui se mettoient en avant pour sa restitution, et pour la dellivrance de l'évesque de Roz, son ambassadeur, seroient mises en surcéance et elle ung peu plus resserrée;

Et seroit pareillement surcise la dellibération, en quoi l'on estoit, de pourvoir à la liberté du duc de Norfolc, sur la caution qu'il offroit de deux centz mil livres d'esterlin; et à l'eslargissement de millord de Lomelé; et à rappeler en court et au conseil le comte d'Arondel, et que les dicts seigneurs seroient plus observez et resserrez que auparavant.

Et m'a l'on dict, dont je suys après à le vériffier, qu'il fut aussi là arresté que la dicte Dame se monstreroit plus libéralle et prompte, qu'elle n'avoit faict jusques ici, à accorder secours à ceulx de la Rochelle pour meintenir la guerre en France, affin de divertyr celle toute aparante, qui s'alloit susciter dans ceste isle pour les choses d'Escoce.

Despuys, est survenu ce rencontre en la frontière du North, lequel aulcuns disent n'avoir tant succédé au désadvantaige de millord Dacres, comme le filz de millord de Housdon, qui en a porté les premières nouvelles, l'a publié; et qu'il y est mort plus de deux centz soldatz de la garnyson de Barvich, et qu'il a apareu ung si notable secours, qui venoit d'Escoce au dict Dacres, qu'on a heu assés de doubte d'une surprinse sur Varvich, dont ceulx cy font plus grand dilligence que jamais de haster les ordonnances et provisions dessus dicts.

Quant à l'estat des choses d'Escoce, j'entendz que les comtes Morthon, Mar, Mareschal et millord de Lendzey ayantz, avec leurs complices, relevé en ce qu'ilz ont peu la part du feu comte de Mora, ont transféré toute l'authorité au dict de Morthon, lequel se trouve meintenant dans l'Islebourg, assisté de la faveur de la Royne d'Angleterre; et semble qu'il veut establyr le comte de Lenoz régent au dict pays à la dévotion de la dicte dame;

Que les comtes d'Arguil, d'Onteley, d'Atil et aultres bons subjectz de la Royne d'Escoce, ayantz tenu une assemblée près de Dombertran, où le Sr de Flemy s'est trouvé, ont dellibéré de s'achemyner vers l'Islebourg, pour ordonner, en quelque bonne façon, de l'estat des choses, et qu'ilz veullent que le duc de Chatellerault preigne le gouvernement; et que, pour le commencement, il l'ayt au nom du jeune prince, affin qu'il y interviegne tant moins de contradiction: mais le dict duc, qui est encores prisonnier au chasteau de l'Islebourg, demeure fermement résolu de n'accepter aulcune charge, sinon au nom et sous l'auctorité de la Royne. Il s'espère quelque convocation d'Estatz au dict pays, le ııııe du présent; ce qui s'en entendra, je ne fauldray de le mander à Leurs Majestez. Il semble qu'on n'a trouvé Ledinthon si bon Anglois qu'on cuydoit, et qu'il est tout du dict duc de Chatellerault.

Ceulx qui jugent des dicts affères d'Escoce, et qui désirent la restitution de la Royne au dict pays, et y vouldroient veoir succéder les choses sellon l'intention du Roy, disent que, sans venir à guerre ouverte avecques ceste Royne, il se pourra (avec vingt ou trente mil escuz et deux personnaiges de bonne qualité qui saichent, au nom du Roy, réunyr et accorder les seigneurs du pays, et avec demy douzaine de capitaines pour conduyre leurs gens de guerre, et quelques monitions et armes), fère ung si bon fondement dans ce royaume que les effortz des Anglois n'y pourront en rien prévaloir; mais il fauldroit que cella y passât tout promptement, avant que ceulx cy soyent sur mer.

L'accord des deniers et merchandises d'Espaigne se poursuyt toutjour fort instantment, et pourra bien estre que, quant aulx deniers, il preigne encores quelque tret, pour attandre celle lettre du Roy d'Espaigne, par laquelle il veuille advouher que la somme est à des merchans; mais, quant aulx merchandises, j'estime que cella sera bientost conclud, parce qu'il se dépesche quatre principaulx merchans de ceste ville avec généralle procuration pour en aller, en compaignie du Sr Thomas Fiesque, tretter avec le duc d'Alve à Bruxelles; et doibvent partyr dans ceste sepmayne. Dont le Roy pourra fère incister sur l'ung et sur l'autre de ces deux poincts envers le duc d'Alve, qu'il n'en veuille accommoder les Protestans, ains entretenir et prolonger la matière, au moins jusques après l'esté prochain; dont, de ma part, je travailleray, aultant qu'il me sera possible, d'y fère toutjour naistre quelque difficulté, et il s'y en trouveroit assés du costé mesmes de ceulx cy, n'estoit la craincte qu'ilz ont du Roy sur les choses d'Escoce.

Je suys bien fort pressé par l'ambassadeur d'Espaigne de suplier Leurs Majestez Très Chrestiennes qu'ilz veuillent exclurre aux Anglois le commerce de la France, parce que, nonobstant la suspencion d'entre l'Angleterre et les Pays Bas du Roy son Mestre, ilz ne layssent d'estre accommodez, par le moyen des Françoys, des choses qu'ilz ont besoing d'Espaigne; lesquelles, pour le gain, ilz leur aportent toutjour en abondance, bien que ceulx cy se monstrent aussi difficilles de n'admettre les merchandises d'Espaigne ny de Flandres par deçà, comme l'on le pourroit estre en Espaigne ou en Flandres d'y recepvoir celles d'Angleterre; tant y a qu'avec des moyens cella se conduict, et y a quelcun qui, au nom des Catholiques de ce royaulme, m'est venu prier pour la dicte exclusion de traffic, comme de chose laquelle admèneroit bientost une telle nécessité en ce pays, qu'on s'y eslèveroit contre ceux qui gouvernent; en quoy Sa Majesté considérera ce qui est le plus expédient et le plus utille pour son service, car je crains que par là l'on s'incommoderoit assés pour accommoder aultruy.

Sur la closture de ceste dépesche, le Sr de Garteley est arrivé, qui m'a dict que le secours pour Escoce est desjà tout prest en Bretaigne, dont semble estre fort requis de le haster de partir, affin de prévenir ceux cy, lesquelz sont tous résoluz de getter dehors, avant la fin de ce moys, quinze grandz navyres des premiers prestz pour nous empescher la mer.

Aultre instruction a part.

Ce qui est advenu de nouveau en la frontière entre millord Dacres et millord de Housdon, joinct les façons dont l'on continue de procéder de plus en plus fort rudement contre ces seigneurs qui sont arrestez, et d'observer de près le reste de la noblesse, descouvre assés qu'il y a une grande contrariété dans ce royaume tant sur la religion, et sur le faict de la Royne d'Escoce, et sur les divers tiltres de la succession de la couronne, et sur l'emprisonnement des grandz, que pour ung général malcontantement contre ceulx qui gouvernent.

Et semble que le duc de Norfolc est plus que jamais désiré d'ung chacun, mais il demeure fermement résolu en soy mesmes de ne pourchasser sa liberté par nulle aultre voye que par celle de l'équité de sa cause; en quoy il se persuade d'avoir ung très bon et très asseuré fondement, lequel il ne veult aucunement altérer; mais les aultres seigneurs, qui ne sont si resserrez que luy, sont dellibérez que, si, dans quinze jours, ilz ne se peuvent prévaloir, ou pour le dict duc ou pour eulx; de leurs amys et moyens de court, qu'ilz se résouldront à cercher d'aultres expédians, et m'ont faict remercyer du reffuge et retrette que je leur ay dict que le Roy leur donroyt en son royaume.

Or, se trouvans les comtes de Northomberland et de Vuesmerland et millord Dacres, qui sont trois bien principaulx personnaiges de ce royaume, et quelque nombre de gentilshommes de ce pays avec eulx, meintennant fuytifz en Escoce, toutz bien affectionnez à la Royne d'Escoce et bien fort catholiques; et desirant le duc de Norfolc, de sa part, que les affères de la dicte Dame y soient secouruz, nomméement du costé de France, il est à espérer que, s'il playt au Roy de les favoriser en quelque bonne sorte, non suspecte à ces seigneurs angloys partisans de la dicte Dame, qu'elle et son royaulme pourront estre préservez contre les entreprinses de l'Angleterre à honneur et utillité de la France, et la Royne d'Angleterre et les siens divertys de ne pouvoir tant nuyre, comme ilz font en aultres endroicts, aulx affères du Roy, non sans que Sa Majesté se forme, par ce moyen, ung bon nom, et possible quelque bonne part en l'affection de ceulx de ceste isle.

Le duc d'Alve, à la vérité, a des ambassadeurs escoçoys, et anglois devers luy pour avoir secours, et il a escript par deçà qu'il est tout prest de le bailler, mais que nul de ceulx qui sont venuz ne luy sçayt donner compte du temps, du lieu, de la forme et des condicions qu'ilz veulent avoir le dict secours, et qu'il ne veult advanturer l'honneur et les affères de son Mestre, de mettre en évidence un telle entreprinse, sans y voyr bon fondement. Par ainsy, il sollicite que quelcun des principaulx le vienne trouver pour conclurre avecques luy de toutes les particullaritez du dict secours; et, de tant que le duc de Norfolc a suspect ce qui vient de ce cousté là, il me faict solliciter de haster l'assistance du Roy en faveur de la Royne d'Escoce.

Le comte de Lestre, en une privée conférance qu'avons heu ensemble, m'a dict que la Royne, sa Mestresse, avoit esté naguières pressée par ceulx de son conseil de prendre party, affin de remédier tout à ung coup à plusieurs difficultez qui se présentent en son royaulme, et qu'elle, de son costé, s'estoit monstrée, encores ce coup, aussi dégoustée de mariage, comme toutes les aultres foys qu'on luy en avoit cy devant parlé; mais enfin elle leur avoit respondu que, si pour annuller les divers tiltres qu'on prétend à sa succession, lesquelz mettent en division son royaulme, elle estoit contraincte de se maryer, qu'elle est toute résolue de n'espouser point de ses subjectz.

Je luy ay respondu qu'il sçavoit bien que Leurs Majestez Très Chrestiennes avoient toutjours heu désir que ce fût luy qui tint ce lieu, et que ceste leur bonne vollonté continue encores, dont ne failloit sinon qu'il regardât comment les y employer; que de ma part je luy serviray de bon cueur; que le temps sembloit fère pour luy, parce que tout le royaulme plyoit meintennant au désir de la dicte Dame, et les principaulx qui estaient travaillez concouroient toutz à luy complayre, pourveu qu'il fit quelque chose pour eulx; et la Royne d'Escoce, qui pouvoit assés dans ceste isle, favorisoit ses nopces, s'il favorisoit sa restitution; et quoy qu'il y eust, puysqu'il estoit ainsy advancé en la bonne grâce de la dicte Dame, qu'il advisât de prendre ce premier lieu, et à tout le moins de ne le laysser aller à nul, qui ne luy sache le bon gré de l'y avoir miz.

Il m'a rendu plusieurs bonnes parolles de mercyement, pour les mander de sa part à Leurs Majestez, et, après m'avoir touché ung mot de l'extrême déplaysir, que la Royne, sa Mestresse, avoit du mariage de la Royne d'Escoce avec le duc de Norfolc, il m'a prié qu'en une de mes audiences, je face venir à propos à la dicte Dame que, pour obvier aulx inconvénians où elle et son royaulme pourront tumber par les diverses prétencions de sa succession, qu'ung chacun estime qu'elle feroit bien de se maryer, et que le Roy avoit toutjour desiré que, s'il ne pouvoit pour luy ou les siens avoir ce bien, que au moins, pour évitter la jalouzie de quelque aultre party estrangier, ce fût quelque bien heureulx de ce royaulme qui y parvînt, ce que je ne luy ay reffusé de fère; mais j'attendray là dessus le commandement de Leurs Majestez.

XCIVe DÉPESCHE

—du IXe jour de mars 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Callais, par Olyvier Cambernon.)

Affaires d'Écosse.—Crainte de l'ambassadeur que tous ses efforts ne puissent empêcher la guerre d'éclater.—Son désir de voir donner satisfaction sur les diverses plaintes d'Élisabeth contre la conduite tenue à l'égard des Anglais en France.—Mission du Sr de Garteley.—Arrêt prononcé contre milord de Lomeley.—Nouvelles des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, quant j'ay dépesché le Sr de Sabran devers Vostre Majesté, le ııııe de ce moys, je l'ay instruict, le plus particullièrement que j'ay peu, de l'estat des choses qui se passent icy, lesquelles continuent en l'apareil de guerre, qu'il vous aura dict, de lever toutjours soldatz en ceste ville de Londres et ez envyrons, pour les envoyer au North; et dilligenter l'aprest des navyres; et fère les provisions pour iceulx; et cercher deniers de toutes partz, bien que la malladie, intervenue là dessus, de Mr le comte de Lestre, a donné quelque peu de retardement aulx dellibérations de ce conseil, lequel ne s'est assemblé durant son grand mal, mais à présent il se porte bien; et aussi que toutz en ces choses ne se sont trouvez d'accord en ceste court, néantmoins j'entends qu'on y a résoluement conclud l'entreprinse d'establyr, par toutz les moyens qu'on pourra, le gouvernement d'Escoce ez mains de ceulx qui ont relevé la part du comte de Mora, parce qu'ilz se monstrent fort contraires aulx fuytifz d'Angleterre; et se soubmettent à la protection de ceste Royne; et luy demandent le comte de Lenoz pour régent; qui sont choses qu'elle trouve bonnes, et qui sont conformes à ce qu'elle desire pour tenir le dict royaulme divisé, et avoir toutjour l'une des partz à sa dévotion. Je ne sçay si l'assemblée des Estatz, qu'on attandoit au dict pays le ııııe du présent, aura esté tenue, et si elle aura heu nul effect; il ne s'en dict encores rien, et croy qu'il sera bien tard, quant j'en auray des nouvelles, car l'on tient les passaiges bien fort serrez.

Cependant la Royne d'Angleterre est entrée en grand deffiance sur ce que Mr Norrys son ambassadeur luy a escript que Voz Majestez Très Chrestiennes luy ont tenu quelque propos fort exprès sur les affères de la Royne d'Escoce et de son royaulme; duquel je n'ay encores entendu le particullier, sinon qu'on m'a dict que la dicte Dame en est fort fâchée, joinct que, par le mesmes pacquet, le dict ambassadeur luy a envoyé ung discours, imprimé à Paris, sur les troubles de son royaulme, qui ne parle à l'advantaige d'elle ny de ceulx qui gouvernent ses affères; et d'abondant elle a sceu qu'un homme de son dict ambassadeur a esté naguyères arresté à Amiens, et que son pacquet, qu'elle luy avoit baillé à porter, luy a esté osté; desquelles choses il n'est pas à croyre combien elle s'en trouve offancée, et combien les siens en sont mutinez, jusques à dire qu'il vauldroit mieulx venir à une guerre déclairée, et que leur ambassadeur s'en retornât, et que je me retirasse, que d'user de tels déportemens; dont, de tant que je les ay fort asseurez que la publication du dict discours, ny la détention du pacquet ny du messagier, ne sont aulcunement procédées du vouloir ny commandement de Voz Majestez, je vous suplie très humblement, Sire, qu'il vous playse luy en fère donner quelque satisfaction, comme d'accidens que vous n'aviez ny préveuz, ny pensez, et luy fère aussi satisfère sur une pleinte, qu'elle m'a faicte renouveller, de certains pescheurs de Dièpe et aultres de dellà, qui abusent en la coste de deçà de leur forme de pescher et de leurs filetz contre l'ordonnance du pays, affin de ne mesler si petites choses avec les plus grandes, qu'avez à démesler ensemble.

Le Sr de Garteley s'en est revenu très contant en toutes sortes de Voz Majestez; il a heu congé de passer en Escoce, mais non d'aller veoir la Royne sa Mestresse, à laquelle toutesfoys nous avons trouvé moyen de fère entendre tout l'effect de son voyage, de quoy je m'asseure qu'elle aura receu grande consolation.

Millord de Lomellé a heu ampliation de son arrest, luy ayant esté permiz d'aller demeurer avec le comte d'Arondel son beau père à Noncich, et de pouvoir jouyr de l'air et de l'esbat des champs deux mil à l'entour, ce qui donne espérance de veoir bientost quelque modération ez affères de ces seigneurs.

Les depputez de Flandres, estantz prestz à partir, ont trouvé quelque deffectuosité en leurs charges et pouvoirs qui les a retardez huict jours, mais j'entendz qu'ilz s'acheminent demain, et le Sr Thomas Fiesque avec eulx, avec opinion de pouvoir accorder facilement le faict des merchandises, mais difficilement celluy des deniers. Sur ce, etc.

Ce ıxe jour de mars 1570.

XCVe DÉPESCHE

—duXIIIIe jour de mars 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Contentement de la reine d'Angleterre au sujet de la satisfaction qui lui a été donnée sur l'une de ses plaintes.—Impossibilité de connaître quelles sont ses véritables intentions à l'égard de la France.—Continuation des apprêts maritimes et des préparatifs contre l'Écosse.—Nécessité de prendre des mesures pour empêcher le capitaine Sores de continuer ses courses sur mer.—Départ des députés envoyés dans le Pays-Bas pour traiter des différends de l'Angleterre avec l'Espagne.

Au Roy.

Sire, le jour d'après ma précédante dépesche, laquelle est du ıxe du présent, j'ay receu celle de Vostre Majesté du xxıe du passé, en laquelle j'ay trouvé l'honneste satisfaction qu'il vous a pleu donner à la Royne d'Angleterre sur celle de ces trois pleinctes que je vous ay mandé qu'elle avoit le plus à cueur, qui est du discours des troubles de son royaulme imprimé à Paris; de laquelle satisfaction, despuys que Mr Norrys luy en a donné adviz, elle et les siens ont monstré qu'ilz n'estoient plus si offancez comme auparavant: ce qui me sera ung argument, la première foys que j'yray trouver la dicte Dame, de la prier qu'elle veuille user de pareille sincérité et correspondance d'ung bon cueur envers Voz Majestez Très Chrestiennes, comme par cest acte vous luy avez monstré que vous l'avez clair et droict, et entièrement bien disposé envers elle; et luy continueray la mesmes instance, que je luy ay ordinairement faicte, de ne porter ny souffrir estre apporté par les siens aulcun secours ny assistance à ceulx qui troublent vostre royaulme, et qu'il n'est possible qu'ilz en puissent tirer d'Angleterre, sans qu'elle tumbe en l'infraction des trettez et en une manifeste ropture de la paix.

Plusieurs parlent diversement de l'intention de la dicte Dame sur le présent estat de voz affères; les ungs, qu'elle l'a bonne et qu'elle incite à la paix ceulx de la Rochelle; les aultres, au contraire, qu'elle l'a très mauvaise et qu'elle les sollicite à la guerre. Vostre Majesté pourra assés juger ce qui en est par la condicion de ceulx qui m'en ont donné les adviz, desquelz je réserve vous mander les noms, et la façon des propos qu'ilz en ont tenu, par l'ung des miens que je dépescheray bientost devers Vostre Majesté.

Je n'ay encores rien entendu de l'effect de l'assemblée que les seigneurs d'Escoce debvoient tenir à l'Islebourg, le ııııe de ce moys, ny s'ilz ont prins nul bon expédiant entre eulx sur l'ordre et gouvernement du pays. Bien m'a l'on dict que le comte de Morthon et le sir Randolf ont escript à ceste Royne, que, si elle ne faict bientost aparoistre son assistance par dellà, que toutz les Escouçoys cryeront France et que le nom de Vostre Majesté y est bien ouy et bien receu, et qu'ilz demandent d'avoir leur Royne; par ainsy, que le jeune prince s'en va déboutté de l'authorité, et du nom de Roy qu'on luy a attribué, si elle n'y remédye. Dont quelcun m'a adverty que la dicte Dame y a envoyé en dilligence six mil lt d'esterlin, c'est vingt mil escuz, et que le comte de Sussex, lequel a esté mallade trois sepmaines en ceste court, mais à présent se porte bien, partyra du premier jour pour s'aller présenter sur la frontière d'Escoce, avec quatre mil hommes de pied et douze centz chevaulx, lesquelz sont desjà bien avant; et ce, principallement parce que de la dicte frontière, despuys que millord Dacres s'y est retiré, l'on a faict cinq ou six courses en celle d'Angleterre, et brullé des villaiges, et admené plusieurs prisonniers: dont le dict Dacres a esté déclairé traistre et rebelle.

J'entendz que les seigneurs de ce conseil ont fait dépescher cinq ou six centz lettres missives à des particuliers, gentishommes du North, pour les prier de se pourvoir en toute dilligence de quelques hommes, et d'armes, et de chevaulx, chacun le mieulx et le plus advantaigeusement qu'il pourra, oultre l'obligation de l'ordonnance, affin de fère promptement ung bien relevé service à la Royne leur Mestresse, sellon l'expécialle fiance qu'elle a en eulx. Et en ceste ville de Londres l'on lève de nouveau cinq centz harquebouziers pour les mettre sur les cinq navyres premier pretz, qu'on dellibère getter dehors dans huict jours; et en prépare l'on aultres dix pour les getter, à la my apvril, dont l'argent pour les avitailler est desjà dellivré au pourvoyeur de la marine, et ne cesse l'on d'aprester aussi toutz les aultres pour estre prestz à l'entrée de l'esté.

Je viens d'estre adverty que quatre vaysseaulx du cappitaine Sores ont de rechef investy ung aultre navyre vénicien, qui partoit de ce royaulme chargé de draps, et qu'ilz l'ont prins; et, encor qu'il ne soit si riche que les premiers, il y a néantmoins pour cinquante mil escuz de merchandise, oultre l'artillerye et le vaysseau, qui est des meilleurs qui se puissent trouver; et semble, Sire, qu'il est expédiant que Vostre Majesté se dellibère de pourvoir à ces grandz désordres de la mer, en quoy pourra estre que ceste princesse concourra d'y ayder de son cousté, s'il vous playt que je luy en face instance.

Les depputez, qui vont devers le duc d'Alve, sont partys despuys devant hier, et croy qu'ilz passent aujourduy la mer. J'entendz que, oultre la commission qu'ilz portent ouvertement par escript, il leur en a esté baillé une à part, pour entrer, s'ilz peuvent, en ung général accord de toutes choses; et le Sr Thomas Fiesque, qui m'est venu dire adieu, m'en a touché quelque mot, et qu'il espère avoir charge de retourner bientost pour cest effect par deçà. Aulcuns pensent qu'il s'y trouvera beaulcoup de difficultez; ce que je croyrois, n'estoit qu'il semble que le Roy d'Espaigne sent si fort la prinse qu'on dict que le roy d'Argel a faicte de la ville de Tunis[3], et crainct tant que ce soit ung commancement d'attirer les entreprinses du Turc en ces quartiers là, qu'il sera bien ayse d'accommoder gracieusement ceste querelle qu'il a avecques ceulx-cy. Sur ce, etc. Ce xıve jour de mars 1570.

XCVIe DÉPESCHE

—du XIXe jour de mars 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Nouvelles de la Rochelle et d'Allemagne.—État des affaires du Nord.—Succès remporté par les révoltés d'Irlande.—Nouvelles de la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, il n'y a que quatre jours qu'ung navyre de la Rochelle est arrivé, dedans lequel sont venuz aulcuns françoys qui ont esté incontinent devers Mr le cardinal de Chatillon à Chin; et luy, à ce que j'entendz, despuys avoir parlé à eulx, a faict démonstration en ceste court, de désirer plus la paix que de l'espérer; et sont arrivez aussi, dans le mesmes vaysseau, sèze allemans qui s'en retournent en leur pays assés mal contantz. Cependant le dict sieur cardinal a envoyé solliciter la subvention des esglizes protestantes de ce royaulme, avec grand instance d'avoir promptement celle que les estrangiers ont offerte, de laquelle il a desjà retiré quelque somme; mais celle des Flamens, qui est la plus grande, ne luy est venue entière comme il pensoit, parce qu'ilz l'avoient accordée principallement pour le prince d'Orange, en intention qu'il descendît en Flandres; dont, voyantz à ceste heure que c'est pour la guerre de France, aulcuns reffuzent de payer, et m'a esté raporté que aus dicts Flamens est venu ung adviz d'Allemaigne que le dict prince a bien des forces, mais qu'il ne les peult bonnement employer durant la guerre de France, sinon en la Franche Comté, sur le chemyn du secours qui va trouver monsieur l'Admyral, affin de ne s'esloigner les ungs des aultres; et m'a l'on asseuré que, le neufvième de ce moys, ung facteur du sir Grassein a esté dépesché en Hembourg, pour aller donner ordre aulx deniers, qui doibvent estre payez en Allemaigne sur le crédit des merchans de ceste ville. Ung homme du comte Pallatin est freschement arrivé, et encores, despuys luy, ung capitaine itallien nommé Roc, lequel, quatre moys a, avoit esté dépesché en Allemaigne, mais je n'ay sceu encores au vray ce qu'ilz raportent.

Le comte de Sussex est sur son partement pour aller au North, et les quatre mil hommes de pied et douze centz chevaulx, qu'il doibt mener, sont desjà devant. L'on a tenu plusieurs assemblées de conseil sur sa dépesche, dont bientost se pourra entendre quelque chose de ce qu'y aura esté résolu. Il semble que des cinq cens harquebouziers qu'on levoit de nouveau en ceste ville, l'on n'en fornyra encores les navyres, et qu'ilz seront envoyez en Irlande, où j'entendz que les saulvaiges ont donné une estrette aulx gens de Millord de Sydenay; mais ceulx cy le tiennent fort caché.

J'ay obtenu enfin de la Royne d'Angleterre de pouvoir envoyer les lettres de Voz Majestez, que Mr de Montlouet m'avoit laissées, à la Royne d'Escoce, par un secrétaire de Mr l'évesque de Roz qui les luy à dellivrées bien clozes en ses mains, en présence du comte de Cherosbery; et la dicte Dame a envoyé la response, laquelle est encores devers le secrétaire Cecille, qui ne la dellivrera jusques à ce que le dict sieur évesque de Roz ayt esté ouy et examiné, lequel pour cest effect a esté mené despuys devant hyer à la court, soubz la garde de six serviteurs de l'évesque de Londres; et la dicte Royne d'Escoce a trouvé moyen de me fère tenir en chiffre le petit mémoire cy encloz[4], où Vostre Majesté verra ce qu'elle continue de vous requérir. Elle se porte bien de sa santé, mais craint bien fort d'estre remise ez mains du comte de Huntinthon ou du visconte de Harifort, desquelz deux elle se craint comme de ses grandz ennemiz. Nous espérons avoir en brief quelque certitude des choses d'Escoce. Sur ce, etc.

Ce xıxe jour de mars 1570.

Par postille à la lettre précédente.

Le comte de Pembrot morut hyer en ceste court; l'on ne dict encores qui sera son successeur en l'estat de Grand Mestre, mais cy devant à esté parlé du comte de Betfort.

XCVIIe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour de mars 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassa.)

Détails circonstanciés d'audience.—Bonnes dispositions d'Élisabeth envers le roi.—Explication donnée par l'ambassadeur sur les articles proposés pour la pacification.—Nouvelle insistance de la part de la reine pour que sa médiation soit acceptée.—Sollicitations faites par l'ambassadeur en faveur de Marie Stuart.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle est résolue à porter ses armes en Écosse pour y chercher les révoltés du Nord qui s'y sont réfugiés.—Avertissement lui est donné par l'ambassadeur que si les Anglais entraient en Écosse, le roi considérerait cet acte comme une rupture des traités.—Offre qu'il fait de la médiation de la France pour apaiser tous les différends d'Écosse.—Avis secrètement donné par Élisabeth d'une levée d'armes en Allemagne contre la France.—Mémoire. Résolutions prises dans le conseil tant à l'égard des troubles du Nord que des affaires d'Écosse.—Nouvelles de ce pays.—Mémoire secret. Avis donné par le duc d'Albe au sujet du traité de paix qui se prépare en France.—Opinion de l'ambassadeur que la reine d'Angleterre desire sincèrement la pacification.—Propositions faites séparément et secrètement à l'ambassadeur par Cécil et par Leicester.—Avis secret sur le dessein arrêté par le comte d'Arundel et milord de Lomeley de reprendre, même en recourant aux armes, l'exécution de leur projet pour rétablir la religion catholique en Angleterre, et Marie Stuart en Écosse.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, ceste saincte sepmaine, devers la Royne d'Angleterre pour luy fère veoir que le bon ordre, que Vostre Majesté avoit miz de deffandre, pour l'amour d'elle, la publication du discours des troubles de son royaulme imprimé à Paris, luy debvoit estre ung bien asseuré tesmoignage de vostre droicte intention envers elle, et que, prenant par là toute asseurance de vous trouver toutjour franc, clair et bien disposé à ne favoriser les entreprises de ceulx qui vouldroient troubler son estat, qui mesmes ne vouliez souffrir leurs escriptz, que de mesmes elle cessât, et fît cesser ses subjectz de ne porter aulcune faveur à ceulx qui troubloient le vostre; et qu'au surplus, j'estois bien ayse que ce qu'on luy avoit raporté du serviteur de Mr Norrys, qu'on l'eust arresté à Amyens, et qu'on luy eust osté les pacquetz de la dicte Dame, ne fût vray, affin de n'estre si offancée de ces deux choses, comme, par le propos de son principal secrétaire, il sembloit qu'elle les print à cueur; luy récitant les dicts propos en la façon que par mes précédantes je les ay mandez; et que je luy voulois respondre de ma vye pour Voz Très Chrestiennes Majestez que, despuys la paix, il n'estoit en cella, ny en nulle aultre chose, rien procédé de vostre vouloir et commandement, par où vous eussiez jamais prétandu qu'elle deubt estre offancée; et que, pour mon regard, je serois à trop grand regrect une seulle heure en ce royaulme, après que j'aurois tant soit peu commancé de cognoistre que je ne luy seroys plus agréable; et que je suplieroys très humblement Vostre Majesté d'y envoyer ung aultre; mais ne lairroys pourtant de me plaindre meintennant à elle du tort qu'on avoit naguières faict à ung mien secrétaire, qui portoit vostre pacquet, de luy avoir osté son argent à Douvres, la priant de m'en fère rayson.

Sur lesquelles choses la dicte Dame m'a respondu qu'elle n'avoit rien sceu du petit discours imprimé à Paris, parce, à son adviz, que Cecille ne luy avoit vollu donner l'ennuy de luy en parler, mais ne layssoit pourtant de vous avoir grande obligation de l'avoir deffandu, dont vous en remercyoit de bon cueur; et puysque luy aviez monstré ce bon tesmoignage de vostre droicte intention en ses affères, qu'elle correspondroit de mesmes aulx vostres de ne pourter aulcune faveur à ceulx de la Rochelle, ny souffrir que les siens leur en portassent; et encor que aulcuns luy incrèpent le désir qu'elle a à la paix de vostre royaulme, comme ung désir qui admènera la guerre au sien, qu'elle n'en veult rien croyre, ny ne veult cesser de la desirer; qu'elle estoit bien ayse que l'homme de son ambassadeur et ses pacquetz n'eussent esté arrestez, bien qu'il avoit esté unze jours sans qu'on sceût de ses nouvelles; que pour le regard de ma négociation, je ne vollusse aulcunement doubter qu'elle ne luy fût bien fort agréable; et usa de toute l'expression qu'il est possible pour me le donner ainsy à cognoistre; et que j'avois bien veu en quelle peyne elle avoit esté pour mes pacquetz perduz; dont me feroit fère si bonne rayson meintennant de l'argent de mon secrétaire, que j'en demeureroys contant.

Et, en toutes sortes, sa responce a esté si honneste que, l'en ayant remercyée, j'ay suyvy à luy dire que j'avois d'aultres choses à luy faire entendre, lesquelles je la supplioys prendre la peyne elle mesmes de les lyre aulx propres termes que Vostre Majesté me les mandoit, qui estoient si bons que je n'y voullois rien adjouxter, ny rien diminuer; et ainsy, luy ay monstré celle partie de vostre lettre du ıııe du présent, dont vous renvoye l'extraict, laquelle elle a leue bien fort curieusement; et puys ay adjouxté que vous expliquiez là dedans si à clair vostre intention, que je n'avois à y fère aultre office envers elle que de bien recuillyr ce que, pour satisfère à trois choses principallement, il luy plairroit de m'y respondre: la première, quelle opinion elle avoit des honnestes condicions que vous offriez à vos subjectz; la segonde, quelle elle l'auroit de voz subjectz, s'ilz estoient si durs et si obstinés de ne les accepter; et la troysiesme, si, en ce cas de leur obstiné reffuz, elle non seulement les exclurra de sa faveur et de celle de son royaulme, mais si elle ne se unyra pas avec Vostre Majesté pour réprimer leur témérité et le pernicieulx exemple qu'ilz s'esforcent de relever au monde contre l'authorité des princes souverains: car, quant à la levée qu'on disoit se fère en Allemaigne pour elle, et aulx deniers qu'on dict encores qui s'y espèrent et d'aultres qui s'espèrent aussi à la Rochelle d'elle et de son royaulme contre vous, je ne la vouloys suplier, sinon de vous en esclarcyr si bien une foys qu'il ne vous en peult plus rester aulcun doubte.

La dicte Dame, après m'avoir par beaulcoup de bonnes parolles et en plusieurs façons donné à cognoistre qu'elle avoit ung très grand contantement de ceste confiance, que vous monstriez avoir d'elle sur la paciffication de vostre royaulme, m'a respondu qu'elle vouloit très fermement croyre que le contenu ez articles, que je luy avois dernièrement monstrez, estoit proprement ce que vostre Majesté avoit intention d'accorder et meintenir de bonne foy à ses subjectz pour parvenir à une bonne paciffication, et qu'elle me diroit de rechef le mesmes qu'allors, que, si eulx de leur costé ne monstroient rayson suffizante pourquoy ilz ne puyssent avec cella vivre soubz vostre authorité, leur conscience saulve, et leurs vyes asseurées, que non seulement elle ne les vouldra favoriser, ains les réputera pour traistres et rebelles, dignes d'estre chassez de tout le monde; et que si, pour entendre à quoy ilz se pourroient arrester, il vous playsoit luy donner congé qu'elle s'en meslât, qu'elle y procèderoit avec aultant de considération de l'authorité qui vous est deuhe sur voz subjectz, comme s'il estoit question de saulver la sienne sur les siens; et que si, par voz lettres, je cognoissoys que vous l'eussiez agréable, qu'elle s'y employeroit tout incontinent.

Je luy ay respondu que je ne pouvois ny voulois m'advancer à rien de plus que ce qu'elle venoit de lyre; car n'en avois aultre commandement, dont tornasmes relyre le dict extret de la lettre mot à mot; puys, me pria que je vous vollusse asseurer de la continuation de sa bonne vollonté et grande affection à la paix de vostre royaulme, et que s'il vous playsoit qu'elle s'en meslât, qu'elle envoyeroit devers Vostre Majesté, ou bien là où il seroit besoing, ung personnaige de qualité correspondante à ung si grand négoce, comme elle estime cestuy cy, pour y besoigner, ainsy que vous adviseriez, ou bien tretteroit icy avec Mr le cardinal de Chatillon; lequel elle cognoissoit très desireux de la paix, et l'avoit toutjours cogneu très respectueulx à Voz Très Chrestiennes Majestez; et qu'elle estimoit qu'il ne vous pourroit revenir qu'à honneur, comme elle mettroit bien peyne qu'il vous revînt à proffict, qu'elle s'employât envers ceulx de sa religion à les exorter qu'ilz se veuillent contanter des offres de leur prince et seigneur, ou bien de suplier Vostre Majesté d'eslargir ung peu sa grâce envers eulx; et qu'elle sçayt bien que le différer en cecy sera pour vous rendre en brief la dicte paciffication beaucoup plus malaysée, encor qu'elle peult bien asseurer que, en Allemaigne, ny à la Rochelle, il n'est allé, ny yra rien, de sa part, qui soit contre Vostre Majesté.

Je luy ay grandement loué ceste sienne bonne intention, avec promesse de la vous fère bien entendre, et qu'elle se pouvoit asseurer que la paix de France seroit la paix d'Angleterre; et que, si l'occasion de ceste guerre, laquelle faisoit toutjour mal passer quelque chose entre voz deux royaulmes et voz communs subjectz, estoit ostée; et que d'ailleurs elle vollût donner quelque accommodement aulx affères de la Royne d'Escoce, elle se pouvoit asseurer que nul prince ny princesse de la terre n'auroit son règne plus estably ny reposé que seroit le sien; et que Vostre Majesté avoit acepté l'offre qu'elle faisoit de vouloir entendre à quelque bon expédiant entre elles deux, si vous le leur métiez en avant; que vous aviez estimé, si les propres offres de la Royne d'Escoce ne luy sembloient suffizantes, que c'estoit à elle d'en adviser de plus grandes, et que, si elles n'estoient par trop disraysonnables, vous croyés fermement, que la dicte Dame les accorderoit, et que vous, comme son principal allié, non seulement les confirmeriez, mais métriez peyne de les luy fère accomplyr.

Elle a répliqué que la Royne d'Escoce n'avoit jamais parlé que en général, et qu'il failloit venir aulx choses particullières, dont, s'il luy en estoit miz en avant quelques unes, que pour l'honneur de Vostre Majesté elle les suyvroit; ayant néantmoins à se pleindre encores de nouveau de la dicte Royne d'Escoce, qu'estant, ainsy qu'elle est, entre ses mains, elle n'avoit toutesfoys layssé, par ceulx qui tiennent son party en Escoce, de fère retirer ses fuytifz; et que, en toutes sortes, elle estoit résolue de chastier et poursuyvre ses dicts fuytifz, et ceulx qui les soubstiennent, me signiffiant aulcunement qu'elle entreprendroit de fère entrer des forces dans le pays.

Je luy ay respondu qu'elle advisât de ne contrevenir aulx trettez, et que, s'il luy plaisoit de mettre en liberté l'évesque de Roz, luy et moy adviserions de luy ouvrir des moyens pour esteindre toutz ces différantz d'entre elles deux et leurs deux royaulmes.

«Il n'est pas, dict elle, tant prisonnier qu'il ne puysse tretter par lettres avecques sa Mestresse, et n'est retenu que pro formâ pour quelque démonstration contre la pratique qu'il a meue avec ceulx du North; mais bientost il sera en liberté.» Et ainsy gracieusement s'est achevée ceste audience, laquelle je vous ay bien vollu ainsy au long réciter, Sire, affin que l'intention de la dicte Dame vous soit mieulx cogneue, et remectz les aultres choses au Sr de Vassal, présent porteur, auquel je vous supplie très humblement donner foy: et sur ce, etc.

Ce xxvııe jour de mars 1570.

A la Royne.

Chiffre.—[Madame, je n'ay peu contanter l'homme, duquel je vous ay naguière escript par mon secrétaire, de la responce que mon dict secrétaire m'a raportée, bien que je la lui aye baillée en la façon que ce mien gentilhomme vous dira; par lequel il vous plairra, Madame, me mander comment je l'en debvray résouldre, car il me presse bien fort de le fère, et si, a des considérations telles qu'il ne peult penser que ne le debviez accepter. Au reste, Madame, la Royne d'Angleterre, pour me tenir la promesse qu'elle m'avoit faicte de m'advertyr des choses qu'elle entendroit se fère en Allemaigne contre Voz Majestez, m'a dict que, dans trois sepmaines, ceulx de la religion doibvent envoyer gens exprès devers les princes protestans pour résouldre l'entreprinse de France, si la paix ne sort à effect; et que pourtant elle seroit bien ayse de pouvoir ayder à la conclurre bientost; de quoy je vous ay bien vollu fère ce mot et le vous escripre ainsy à part, parce que la dicte Dame m'a dict qu'elle m'en advertissoit soubz sacrement de confession, en ce temps de caresme, affin que je ne la nommasse pas; car, si les aultres se plaignoient qu'elle m'eust donné cest adviz, elle serait contraincte de dire qu'elle ne m'en avoit point parlé; et bien que ce ne soit ung faict de grand importance, je ne vouldrois toutesfoys l'avoir mise en peyne de me désadvouher.] Sur ce, etc.

Ce xxvııe jour de mars 1570.

Oultre les susdictes lettres, le dict Sr de Vassal pourra dire à Leurs Majestez:

Qu'il a esté naguières remonstré à la Royne d'Angleterre qu'elle et son royaulme estoient pour tumber en ung prochain inconvéniant, pour la multitude des difficultez, ès quelles elle se trouvoit embroillée avecques le Roy, avecques le Roy d'Espaigne, avecques la Royne d'Escoce, avec les Irlandoys, et avec les naturelz de ce royaulme, qui sont prisonniers, fuytifz, ou mal contantz, si elle s'opinyastroit de les vouloir toutes en ung temps surmonter par la force ou par la despence; dont, induicte par le conseil des plus modérez d'auprès d'elle, avoit advisé d'y procéder par les gracieux expédians qui s'ensuyvent:

En premier lieu, pour le regard du Roy, que, pour effacer la mémoire des choses qui pourroient avoir mal passé contre luy du costé de ce royaulme, despuys ses derniers troubles, elle s'employeroit tout ouvertement de luy procurer une paix tant advantaigeuse et honnorable avecques ses subjectz, qu'elle le se randroit bienveuillant, et luy offriroit au reste quelque honneste accommodement ez affères de la Royne d'Escoce; dont, par ces deux poinctz, elle se conserveroit la paix avecques luy;

Que, du costé du Roy d'Espaigne, elle envoyeroit des depputez en Flandres, ainsi qu'on luy en faisoit encores lors grande instance, affin d'accorder les différans des prinses, et que ces mesmes depputez essayeroient d'entrer plus avant en matière pour voir s'ilz pourroient parvenir à ung général accord de toutes aultres choses.

Au regard de la Royne d'Escoce, qu'elle luy escriproit une bonne lettre, et que, jouxte ce qu'elle m'avoit naguières promis, elle l'exorteroit de mettre en avant quelques bons et honnestes expédians entre elles deux, et luy promettroit d'y entendre et les recepvoir de bon cueur.

Quant aulx choses d'Irlande et de ce royaulme, qu'elle rapelleroit gracieusement aulcuns des seigneurs qui sont les moins offancez, et par le moyen de ceulx là, elle essayeroit de radoulcyr les aultres et les remettre en leurs degrez et estatz; et puys, avec l'unyon et conformité de leurs bons conseilz, et de leur ayde, elle pourroit ayséement remettre les choses en ung paysible et bien asseuré estat; dont luy fut sur ce proposé une forme de rémission pour les fuytifz, et la comtesse de Vuesmerland s'aprocha en ceste ville pour poursuyvre le rapel de son mary.

Suyvant laquelle délibération, parce que ceulx qui vouldroient le trouble n'eurent de quoy suffizamment la débattre, aulcunes des dictes choses ont esté despuys commencées, aultres ont esté en aparance accomplyes, mais nulles n'ont sorty à bon effect; ains les ont ces gens là tornées en aultre et quasi contraire sens de ce qu'on espéroit.

Car, touchant la paix de France, estant la dicte Dame sur le poinct d'envoyer ung personnaige de grande qualité devers le Roy pour ayder à la conclurre, ilz ne luy ont pas ozé oster ce sien honneste desir, parce qu'ilz ont pensé que la dicte paix se pourroit conclurre de deçà comme dellà, et possible à leur dommaige; mais ilz luy ont bien persuadé, qu'ayant la dicte Dame esté mal ouye, la première foys qu'elle s'est offerte d'en parler, qu'elle debvoit meintennant attendre que le Roy l'en pryât, ce qui se raporte au propos qu'elle m'en a tenu en ceste audience.

Et des choses de Flandres, ilz luy ont persuadé de deffandre aulx depputez, qui alloient par dellà, de ne s'ingérer à rien davantaige qu'au simple faict, duquel la dicte Dame estoit maintennant recerchée, qui estoit des merchandises; aultrement ce seroit faire amande honnorable au duc d'Alve; et que pourtant leur commission debvoit estre leue publicquement en présence du Sr Thomas de Fiesque; et à icelle adjouxté la restriction de ne parler ny tretter d'aultre chose que des merchandises d'Angleterre, et de pouvoir simplement accorder que personnaiges de semblable qualité puissent venir par deçà pour tretter de celles d'Espaigne, ce qui a esté ainsy faict.

Et pour l'importance des affères d'Escoce, affin que la dicte Dame ne s'obligeât trop par ses lettres à la Royne d'Escoce sa cousine, le secrétaire Cecille les a escriptes et a contrefaict la main de sa Mestresse, avec plusieurs parolles de consolation et de commémoration des bénéfices passez, mais tellement couchées qu'on ne peut comprendre où va son intention; toutesfoys la Royne d'Escoce ne laysse d'y respondre.

Quant à radoulcyr et rappeller les seigneurs mal contantz, l'on a, à la vérité, miz en plus grande mais non en entière liberté millord de Lomellé; et le comte d'Arondel, qui estoit, plus de six sepmaines a, sur le poinct d'estre rappelé, demeure encores confiné en sa mayson de Noncich, et n'y a nulle apparance de la liberté du duc. Par ainsy la noblesse reste aussi mal satisfaicte que auparavant, et le comte de Pembroc, qui estoit ung médiateur en cella, est naguières trespassé.

Or, sur la grande instance que le sir Randolf, despuys qu'il est en Escoce, a toutjours faicte à la dicte Dame, de vouloir, par les meilleurs et plus promptz moyens qu'elle pourroit, assister ces seigneurs de dellà, qui veulent dépendre d'elle, lesquelz, pour establyr l'authorité du petit prince, et oster celle de la Royne d'Escoce, demandent avoir le comte de Lenoz pour régent, ou aultrement, que la part de la Royne d'Escoce va prévaloir dans le pays; la matière en a esté avec grande contention débattue entre ceulx de ce conseil, qui enfin ont miz en considération que le dict comte de Lenoz estoit suspect de la religion catholique, et qu'il n'estoit de suffisance ny d'expériance pour conduyre, à l'intention de la dicte Dame, les grandz affères qui se présentent meintenant en Escoce; ains seroit pour y aporter plus de retardement que d'advancement: par ainsy, ont résolu qu'on se déporteroit de plus luy pourchasser la charge ny la régence du dict pays, et que, estant le comte de Sussex desjà dépesché, avec tout ample pouvoir, au pays du North, il luy seroit encores commis cest affère d'Escoce, car c'estoit tout vers ung mesmes quartier.

Dont, à sa commission des choses du dict pays du North, laquelle portoit de marcher seulement jusques à la frontière d'Escoce, avec quatre mil hommes de pied et douze centz chevaulx; et de faire procéder au jugement des coulpables de la première ellévation et exécuter les condampnez, et poursuyvre par deffault les absentz, confisquer leurs biens et prendre possession d'iceulx au nom de la dicte Dame, et en vendre ce qu'il pourroit; a esté adjouxté qu'il pourra lever jusques à dix mil hommes, et qu'il procèdera aulx affères d'Escoce tant contre les rebelles qui s'y sont retirez que au faict de l'estat; qu'il marchera en pays, s'il est besoing, et ainsy que l'occasion s'en présentera; et qu'il pourvoirra surtout que nulz Françoys ny Espaignolz, ny aultres estrangiers preignent pied par dellà; et, pour cest effect, ordonné luy estre forny contant xx mil lt d'esterlin, c'est lxvıı mil trois centz escuz, et que, dans six sepmaines, il luy en sera envoyé aultant. Despuys, la dicte Dame m'a résoluement déclaré qu'elle envoyera poursuyvre et chastier ses fuytifz et ceulx qui les soubstiennent, jusques dans l'Escoce.

L'on faict aller fort secrètes et fort déguysées les nouvelles qui viennent du dict pays d'Escoce; néantmoins l'on m'a dict que le duc de Chastellerault, et les comtes d'Arguil, d'Honteley, d'Atil et toutz les principaulx du pays estoient à l'Islebourg au commencement de mars, et les comtes de Northomberland, de Vuesmerland et aultres fuytifz d'Angleterre avec eulx; qu'ilz estoient après à tenir une assemblée d'Estatz, remise du ıııȷe au xe du dict moys, pour regarder à ce qu'ilz auroient à fère pour la restitution de leur Royne; que cependant ilz avoient faict proclamer par tout le pays l'authorité de la dicte Dame; que, parce que le comte de Mar faisoit difficulté de se joindre à eulx, ilz avoient proposé de marcher en armes vers Esterlin pour le dessaysir du gouvernement du petit prince; que despuys il s'estoit rallyé avecques eulx; qu'on ne sçavoit qu'estoit devenu le comte de Morthon, et sembloit qu'il se fût retiré en Angleterre; que quelques navyres, avec gens de guerre, avoient apparu au North d'Escoce, dont aulcuns disoient que c'estoit le secours de Flandres, que le frère du comte d'Honteley admenoit, les aultres disoient que c'estoit le comte de Bodouel qui venoit de Danemarc, avec quelques gens qu'il avoit ramassez.

Seconde Instruction a Part Au Dict Sieur de Vassal.

L'ambassadeur d'Espaigne m'a dict, despuys huict jours, que le duc d'Alve luy avoit escript deux notables considérations qu'il avoit mandées au Roy par le mesmes gentilhomme, que Sa Majesté luy avoit expressément dépesché pour avoir son conseil sur la paix de son royaulme; la première, que d'octroyer liberté de conscience ou exercisse de religion à ses subjectz, de tant que c'estoit pure matière éclésiastique, il ne s'en debvoit entremettre aulcunement, ains le remettre du tout au Pape; la seconde, que de pardonner aulx ellevez, il le trouvoit bon, pour le désir qu'il avoit à la paix de France, si cella en estoit le moyen, mais en lieu d'establyr ses affères, ce seroient eulx qui les establyroient et se fortiffieroient par la dicte paix, et guetteroient le temps de reprendre les armes à leur advantaige, lorsqu'ilz cuyderont mieux emporter la couronne; par ainsy qu'il estoit nécessaire qu'il y mit meintennant une entière fin:

Que le dict ambassadeur trouvoit ce conseil fort prudent, et que le Roy, suyvant icelluy, se debvoit résouldre à la guerre, non de donner souvant des batailles, car c'estoit trop hazarder l'estat, mais de myner les ennemys à la longue, et qu'aussi bien la paix n'estoit près d'estre faicte, parce qu'ung de ses amys de ce conseil l'avoit adverty que la Royne d'Angleterre avoit promiz au cardinal de Chatillon de secourir l'Admyral, son frère, de deux centz mil escuz; et que le dict cardinal luy avoit obligé sa foy, et celle de son dict frère, qu'ilz ne permettroient qu'en nulles conditions la dicte paix se conclûd.

Je luy ay respondu, quant au premier, que le duc d'Alve estoit ung si prudent et si entier et modéré seigneur qu'il ne faudroit de conformer toutjours ses adviz sur les affères de France à celluy de Leurs Majestez Très Chrestiennes, et des saiges seigneurs de leur sang, et de leur conseil, qui les entendoient très bien et sçavoient comme il les failloit manyer, et qui auroient toutjours le soing qu'il ne s'y fît, pour paix ny pour guerre, rien qui ne fût sellon Dieu, à l'honneur du Roy et repos de la Chrestienté:

Et quant à l'aultre, de l'obligation du cardinal à la Royne d'Angleterre, que je le prioys de vériffier davantaige ce qu'on luy en avoit dict, et où, et commant se feroit le payement des deux centz mil escuz.

Mais voulant, de ma part, descouvrir si cella estoit vray, car, quant à la promesse des deniers, j'en avois desjà quelque adviz, mais non de ceste obligation du cardinal, ny d'une si malle volonté de ceste Royne, j'ay, par une interposée personne, faict toucher la matière au comte de Lestre et au secrétaire Cecille, desquelz deux se comprend toute l'intention de la dicte Dame, et l'ung et l'aultre ont monstré que eulx et leur Mestresse desiroient la paix; dont, oultre la conjecture des propos, que je sçay qu'ilz en ont tenu à celluy par qui je les ay faictz sonder et à d'aultres, voycy ceulx que Cecille a dictz à ung mien gentilhomme tout exprès pour me les raporter:

Que, par les adviz de Mr Norrys et par aultres conjectures, il cognoissoit que la paix demeurait d'estre faicte en France, parce que le Roy n'y vouloit permettre l'exercisse de la religion, et que ceulx de la Rochelle ne combattoient ny pour terres, ny pour empyres, ny pour aultre chose quelconque que pour cella; dont il s'advanceroit de dire un mot, que possible l'on ne l'estimeroit sage de me l'avoir mandé, que, s'il plaisoit au Roy leur ottroyer le dict exercisse en leurs maysons, il pensoit fermement qu'il conclurroit quant au reste la paix, tout ainsy qu'il la vouldroit; et que, s'il avoit agréable que la Royne, sa Mestresse, s'y employât, laquelle y pouvoit possible aultant que prince ny princesse de la terre, qu'elle le feroit aultant à l'honneur et advantaige de Leurs Majestez Très Chrestiennes, et à la tranquillité de leur royaulme, comme si c'estoit pour elle mesmes.

Le comte de Lestre, par ung gentilhomme italien catholique, qui est commun amy entre luy et moy, m'a mandé que la dicte Dame estoit bien disposée à la dicte paix, et qu'il estoit d'adviz que, comme de moy mesmes, je l'en misse en propos, la première foys que je parleroys à elle, pour l'exorter de tenir la main à ce qu'on la pût conclurre à l'advantaige du Roy, et que les subjectz eussent à se contenter de ce que leur prince leur pourrait, avec son honneur, ottroyer, sans en vouloir tirer davantaige par la force; et que je luy remonstrasse que la paix de France serait la paix d'Angleterre, voyre de toute la Chrestienté, et luy toucher à ce propos le restablissement de la Royne d'Escoce; et comme, par l'accomplissement de ces deux choses, si elle s'y vouloit bien employer, elle pourrait régner très paysiblement en son royaulme:

Que, de sa part, il y tiendrait la main, comme très obligé de desirer le bien du Roy et de son royaulme, et que, touchant la dicte paix, il sçavoit que le cardinal de Chatillon y avoit une extrême affection, et que la noblesse de ce royaulme la desiroit, et desiroit tout ensemble l'accommodement des affères de la Royne d'Escoce, comme deux choses d'où dépendoit le repos et la seurté de leur Royne et de son royaulme; et que Cecille, pour estre ennemy conjuré de la Royne d'Escoce, et pour la frustrer de la légitime succession qu'elle prétend à ce royaulme, affin d'y establyr ung roy de sa main, et ellever ceulx de Erfort à la couronne, lesquelz il nourryt en ceste espérance, comme ses pupilles, en sa mayson, empeschoit que la dicte Dame ne peult bien user de sa bonne intention en nulle de ces deux choses, la tenant comme enchantée sur l'éguillon de la jalouzie, qu'il luy propose toutjours de la dicte Royne d'Escoce.

Mais, qu'après que j'en auroys encores une foys parlé à la Royne, sa Mestresse, si elle venoit à luy en toucher ung seul mot, il s'ingèreroit de luy représenter franchement le debvoir à quoy, l'honneur, la foy et la conscience la tiènent obligée envers le Roy et envers la Royne d'Escoce pour l'entretennement des trettez; et comme, en leur satisfaisant en ce qui seroit de rayson, et s'asseurant par ce moyen de la paix de France et d'Escoce, elle demeureroit très asseurée et establye contre les dangiers et entreprinses de toutes les aultres partz du monde; et, au contraire, si, pour ne se porter bien envers le Roy sur ceste paix, ny envers la Royne d'Escoce sur sa restitution, elle venoit à tumber en guerre de ces deux costez, à ceste heure qu'elle ne sçavoit comme elle estoit avec le Roy d'Espaigne, et que ses subjectz estoient divisez, dont possible une partie seroit contre elle, il est sans doute qu'elle seroit en ung très grand dangier.

Et ne craindroit de luy remonstrer que, nonobstant le mal qu'elle pouvoit vouloir au cardinal de Lorrayne, elle avoit à considérer qu'il estoit d'une mayson grande, et de nouveau plus allyée que jamais à celle de France, et qu'en estant yssue la Royne d'Escoce de par sa mère, monsieur et madame de Lorrayne ne permettroient qu'elle fût habandonnée du Roy, oultre les aultres notoires obligations d'entre les couronnes de France et d'Escoce:

Qu'il n'eust tant tardé de remonstrer cecy à sa Mestresse, sans ce que Cecille le guettoit pour le désarçonner, ainsy qu'il avoit désarçonné les aultres principaulx du conseil, par prétexte de la Royne d'Escoce; et qu'il tenoit ceulx qui y estoient de reste encores toutz bandez contre luy, ne se souscyant de hasarder sa Mestresse, son estat et toutes aultres choses, pour establyr la fortune des dicts de Erfort, et qu'ayant luy à suyvre celle de sa Mestresse, il luy vouloit remonstrer le dangier où elle estoit, encore qu'il en deubt estre ruyné.

Despuys, trouvant que l'intention du Roy estoit conforme à celle du dict comte, j'ay parlé à la Royne d'Angleterre en la forme que je le mande à Sa Majesté, et le dict comte monstre à présent d'estre si affectionné à la matière qu'il désire fère luy mesmes le voyage devers le Roy avec grand opinion, voyre asseurance, qu'il ne s'en retournera sans que la paix soit conclue; sans que les affères de la Royne d'Escoce soyent accommodez; et sans que l'amytié d'entre le Roy et sa Mestresse soit bien estroictement confirmée.

Ainsy, par les propos de ces deux, se peult conjecturer la division qui est entre ceulx de ce conseil, et comme, en ce qui concerne la France, encor que toutz monstrent d'y désirer la paix et de vouloir que leur Mestresse s'y employe de si bonne façon que le Roy luy en sache gré, c'est néantmoins diversement; car Cecille et les siens ne veulent qu'il se parle des affères de la Royne d'Escoce, et le dict comte et ceulx de son party desirent qu'ilz soient par mesmes moyen accommodez, dont, pour avoir quelcun qui luy fasse espaule au dict conseil pour fortiffier son opinion, il est fort après à solliciter le retour du comte d'Arondel, qui n'est amy du dict Cecille, et tout contraire à ceulx de Erfort.

Chiffre. [Et à propos du dict comte d'Arondel, luy et millord de Lomellé m'ont envoyé remercyer de mes bons offices et démonstrations envers eulx, et que, si les choses ne prennent icy meilleur trein pour eulx, ilz sont pour accepter la faveur du Roy à se retirer soubs sa protection en France, et le dict de Lomellé y mener sa femme;

Que, pour le présent, il faut qu'ilz attendent veoir que deviendront les promesses de leurs amys, et leurs moyens et espérances de court; car l'on leur a mandé qu'ilz sont sur le poinct d'estre rappelez en leur auctorité accoustumé, laquelle s'ilz ont une foys reprinse, ilz jurent de ne s'en laysser plus dépossèder et de la retenir, ou par leur droict, ou par la force, contre quiconque leur y vouldra fère tort;

Et, si ce paysible moyen d'y retourner ne leur succède dans peu de jours, qu'ilz en essayeront quelque aultre plus viollent, car desirent, comment que soit, pourvoir aulx désordres de ce royaulme, et au faict de la Royne d'Escoce, et aulx affères du duc de Norfolc, et encores plus expressément s'ilz peuvent, quant ilz en auront le moyen, au restablissement de la religion catholique; pour lesquelles quatre choses ilz veulent tout hazarder.

Et disent que l'importance de cecy gyt principalement en deux poinctz; l'ung est que le dict duc veuille bien employer les moyens, qu'il a dans ce royaulme, pour se mettre en liberté, pour fère prendre les armes à ceulx de son party, et pour empescher au conseil les dellibérations de ses adversayres:

L'aultre poinct, que ceulx du North, qui se sont retirés en Escoce, soyent secouruz; car est sans doubte, s'ilz se peuvent remettre en campaigne, et marcher en çà, que ceulx de leur intelligence se déclaireront et les repcevront avecques faveur aux meilleurs endroictz d'Angleterre, et se joindront à eulx en grand nombre;

Et que le bon succez de toutes choses deppend de ce dernier, sans lequel il semble que le premier ne sera essayé, non que miz à exécution; car le dict duc de Norfolc ne veult rien mouvoir de luy mesmes de peur d'empyrer sa cause.]

XCVIIIe DÉPESCHE

—du dernier jour de mars 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le nepveu du Sr Acerbo.)

Modération des mesures adoptées par la reine d'Angleterre.—Mise en liberté du comte d'Arundel, qui est reçu en grâce par Élisabeth.—Promesse faite à l'évêque de Ross que sa détention va cesser.—Préparatifs d'une expédition qui doit être dirigée vers le Nord.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, les dernières lettres que je vous ay escriptes et l'instruction que j'ay baillée au Sr de Vassal, qui les vous a aportées, vous auront donné assés ample notice de ce qui estoit advenu de plus principal en ce royaulme, jusques à la datte d'icelles, laquelle est du lendemain de Pasques. Meintennant j'ay à dire à Vostre Majesté que les festes se sont passées bien paysiblement en ceste court, sans qu'il y soit survenu aulcune chose de nouveau, par où ceste Royne et les siens ayent monstré d'en estre esmeuz davantaige; et toute expédition d'affères a cessé, s'estans la pluspart des seigneurs de ce conseil absentez en leurs maysons pour y fère la solempnité; et a l'on espéré que les choses, desquelles l'on craignoit debvoir le plus advenir de mouvement en ce royaulme, comme sont celles de ces seigneurs mal contantz, celles de la Royne d'Escoce et celles de la religion, seroient bientost réduictes à quelque modération, ayant la dicte Dame faict une soubdaine faveur au comte d'Arondel de l'admettre à luy venir bayser les mains, le jour du Jeudy sainct, avec une gracieuse satisfaction de ce qu'elle luy avoit faict sentyr son courroux sur le faict du mariage du duc de Norfolc avecques la Royne d'Escoce, parce qu'on l'avoit asseurée que c'estoit luy qui en estoit l'autheur: de quoy il s'est excusé, et qu'il n'avoit esté que en la compaignie de ceulx qui en avoient parlé comme de chose qu'ilz estimoient convenable au service d'elle, et au bien et repoz de son royaulme, et en laquelle ilz n'avoient jamais entendu qu'on y deubt procéder, sinon avec son bon congé et consentement; et que, de sa part, il ne seroit jamais trouvé aultre que son très fidelle subject et très loyal à sa couronne. Et ainsy luy ayant dès lors randue sa pleyne liberté, il s'en retourna pour quelques jours en sa mayson de Noncich, avec promesse de revenir en brief trouver la dicte Dame pour résider près d'elle, autant qu'il luy plairoit le commander; et à l'évesque de Roz fut donnée parolle qu'il seroit eslargy dans trois jours, mais despuys luy fut mandé que par ung mesmes moyen, après les festes, la dicte Dame le feroit mettre en liberté, et luy permettroit de venir tretter avec elle des affères de sa Mestresse; et aulx Catholiques n'a esté usé d'aulcune rigueur ny recerche à ces Pasques; mais aulcuns pensent que toute ceste gracieuse démonstration se faict pour gaigner le temps, et pour amortyr les entreprinses qu'on crainct devoir estre cest esté.

Aultres ont opinion que, à bon escient, l'on veult accommoder les affères, et plustost plyer ung peu que venir au dangier de rompre, dont le temps nous fera veoir ce qui en sera; tant y a que le comte de Sussex marche toutjours vers le North, avec quatre mil hommes de pied et douze centz chevaulx, et que l'admyral Clinton est après à lever encores (à ce qu'on dict) des gens de pied et de cheval vers son pays de Linconscher pour s'aller joindre à luy; et a l'on tiré, ces jours passez, de la Tour trente chariotz d'armes et de monitions, et créé des cappitaines de pionnyers pour leur envoyer; ce qui donne à penser, avec d'aultres adviz précédans, qu'on a intention de dresser camp, et d'entrer en Escoce; vray est que la sayson ne semble propre pour commencer encores ceste guerre, jusques à la fin d'aoust, car jusques alors ne se trouvera vivres au dict pays du North ny en toute la frontière d'Escoce.

L'on continue de dire que les seigneurs Escouçoys font aller toutes choses dans leur pays à l'advantaige de la Royne, leur Mestresse, et qu'ilz ont faict proclamer son auctorité, et qu'il ne reste des grands du royaulme que quatre que toutz ne soyent pour elle. L'on dict qu'ilz ont encores remiz jusques au premier jour de may la tenue de leurs Estatz. Sur ce, etc.

Ce xxxıe jour de mars 1570.

XCIXe DÉPESCHE

—du IIIIe jour d'apvril 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Cambernon.)

Retour du comte d'Arundel à la cour.—Prolongation de la captivité de l'évêque de Ross.—Affaires d'Écosse.—Bon accueil fait par le duc d'Albe aux députés d'Angleterre.—Nouvelles d'Allemagne.

Au Roy.

Sire, retournans après ces festes les seigneurs de ce conseil en ceste court, le comte d'Arondel y est arrivé des premiers, auquel la Royne sa Mestresse a faict beaulcoup de faveur, monstrant prendre toute confiance de luy; dont semble qu'il ne reffuzera de se laysser introduyre de rechef aulx affères, mais ce sera possible plus pour servyr à la liberté du duc de Norfolc, son beau filz, et aulx affères de la Royne d'Escoce, ausquelz il a toutjour porté bonne affection, que pour ambicion qu'il ayt; car le présent manyement de l'estat ne semble aller aucunement sellon qu'il le vouldroit.

Je suys bien marry qu'en leurs premières dellibérations, iceulx seigneurs du conseil, après leur dict retour, ayent changé ce qu'ilz avoient auparavant ordonné pour l'évesque de Roz, de luy donner sa liberté incontinent après Pasques, et qu'il seroit admiz à parler à la Royne leur Mestresse; là où meintennant on luy faict dire qu'il ayt encores pacience, et qu'elle n'est bien résolue quant, ny commant, elle la luy pourra donner. Il semble que le sir Randolf ayt donné adviz à la dicte Dame que ceulx, qui ont relevé le party du comte de Mora en Escoce, ont desjà dépesché l'abbé de Domfermelin et Nicollas Elphiston pour venir tretter, avecques elle et avec les seigneurs de son conseil, de toutes choses de dellà; et que possible elle y veult avoir pourveu, premier que d'eslargyr le dict sieur évesque, de peur qu'il ne luy traverse ses desseings. Et de ce, Sire, que je vous avois cy devant mandé, que le voyage du comte de Lenoz estoit interrompu, les dicts du conseil ont changé d'opinion à cause d'une lettre que les comtes de Mar et de Glencarve, et les lordz Lendzay, Semple, Ruthunen et Drunquhassil ont escripte au dict de Lenoz, qu'il veuille venir en dilligence prendre la régence du pays, affin de conserver l'authorité au jeune prince son petit filz, et haster le secours que la Royne d'Angleterre leur a promiz; de tant mesmement que les fuytifz de son royaulme non seulement se sont joinctz aulx Amelthons en faveur de la Royne d'Escoce, mais publient aussi qu'ilz n'attendent, d'heure en heure, que l'arrivée du renfort qui leur doibt venir de France et de Flandres. Sur quoi, de tant que iceulx du conseil ont senty que le comte de Morthon, duquel ilz espéroient beaucoup, n'estoit bien vollu ny de la noblesse ny du peuple d'Escoce, et que mesmes il n'estoit soubsigné en la dicte lettre avec les aultres, ce qui monstroit de n'estre bien d'accord avec eulx, par ainsy qu'ilz ne pouvoient fère aulcun bon fondement sur luy, ilz ont advisé de laysser aller, plus par nécessité que par ellection, le dict de Lenoz par dellà; réservant néantmoins la charge principalle du tout au comte de Sussex, et ne fornyssant à icelluy de Lenoz que, comme pour fère le voyage, envyron trois mil cinq centz escuz. Vray est que la comtesse, sa femme, a engaigé ses bagues et sa vaysselle d'argent pour luy fère plus grand somme; et cependant l'on a dépesché, coup sur coup, force courriers devers le comte de Sussex, ne sçay encores à quelles fins; car le bruyt est que les frontières ne sont plus tant pressées comme elles estoient par les fuytifz; mais je pense que c'est pour le haster vers l'Escoce, me confirmant toutjour en l'opinion qu'ilz le feront entrer dans le pays avecques forces, et mesmes que, pour pourvoir à la faulte des vivres qu'on pourroit avoir par dellà, j'entendz qu'on faict grand provision de farines, partout icy autour, pour les y envoyer par mer: ce que je mettray peyne de vériffier, et de vous donner de cella, et d'aultres choses, ung plus exprès et un plus certain adviz par mes premières. Je ne cesse cependant de fère, au nom de Voz Majestez Très Chrestiennes, toutz les meilleurs et plus exprès offices que je puys pour les affères de la dicte Royne d'Escoce, mais je ne sçay que espérer d'iceulx en un si grand changement et variation, comme l'on m'y use ordinairement, sinon que je croy qu'ilz se rangeront enfin d'eulx mesmes, ou qu'ilz ruyneront ceulx qui les vouldront ruyner.

Icy court ung bruyt que le duc d'Alve a vingt six grands navyres prestz à mettre sur mer, avec nombre d'hommes de guerre, et de monitions, mais ne se dict à quel effect; néantmoins, cella met ceulx cy en assés de souspeçon, lesquelz ne layssent pourtant de solliciter par leurs depputez l'accord des différans des Pays Bas; et leur a fort pleu que le duc d'Alve les ayt ainsi bien receuz comme il a faict avec grand faveur; et que, à Bruges et en Envers où ilz ont passé, l'on les ayt caressez et trettez en amys; et que les officiers les ayent visitez et leur ayent envoyé présens; et que desjà le dict duc ayt depputé personnaige de sa part pour tretter avec eulx; dont s'espère qu'ilz s'accommoderont, comme, à la vérité, pour avoir les ungs et les aultres où entendre assés en d'aultres choses, il semble que tant plus vollontiers ilz vouldront sortyr de celles cy.

Il se parle d'ung grand emprunct que ceste princesse propose de fère tout de nouveau; dont suys après à descouvrir si c'est pour recepvoir les deniers icy ou en Hembourg, et semble bien que les propos et pratiques de la dicte Dame et des siens en Allemaigne demeurent en mesmes suspens que faict la paix de France; et n'ay point sceu qu'il soit venu, de tout le moys passé, aultres nouvelles de dellà, si n'est de la diette du xxııe de may à Espyre, et de l'aprest des deux Roynes, filles de l'Empereur, pour aller en France et en Espaigne; et du faict du prince d'Orange, duquel l'on parle diversement, car les ungs disent qu'il sçayt où prendre gens et argent pour fère une grande entreprinse et que la faveur des princes protestans ne luy manquera: aultres asseurent, et mesmement l'ambassadeur d'Espaigne, qu'il n'a ny gens, ny argent, ny moyen de rien entreprendre, et qu'il a perdu toute sa réputation envers les dicts princes protestans. Sur ce, etc.

Ce ıve jour d'apvril 1570.

Ce DÉPESCHE

—du IXe jour d'apvril 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Rossel et Christofle.)

État des forces levées pour le Nord, et sans doute destinées à entrer en Écosse.—Nouvelles de Marie Stuart.—Sommes importantes réunies par Élisabeth.

Au Roy.

Sire, l'occasion pour laquelle la Royne d'Angleterre a dépesché, despuys huict jours, plusieurs courriers vers son pays du North, ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes du ıııȷe du présent, est, sellon que j'entendz, pour mander aux trouppes et compagnies de gens de guerre, qu'on a levées en ces quartiers là, de se randre toutes ensemble à Yorc le xııe de ce moys; et au comte de Sussex qu'il leur face fère incontinent la monstre, et qu'il les face acheminer à si bonnes journées qu'il puysse avoir son armée toute preste à Barvyc, le premier jour de may; laquelle les ungs disent debvoir estre de dix mil hommes de pied et cinq mil chevaulx, les aultres de la moytié moins des ungs et des aultres, ce que, pour encores, je croy estre le plus certain, mais qu'il a bien commission de lever l'aultre plus grand nombre, s'il est besoing. Il ne se dict encores ouvertement qu'il doibve entrer en Escoce, mais il se tient pour résolu qu'il le fera, si les seigneurs du pays, entre cy et là, ne se trouvent d'accord, ce que la dicte dame crainct assés; auquel cas, elle regardera ung peu de plus près comme elle devra poursuyvre l'entreprinse, et possible adviendra cependant que de l'avoir seulement entamée, elle leur aura donné plus prompte occasion de se réunyr. Il est bien certain que ses fuytifz ayant ainsy couru, de jour et de nuict, comme ilz ont faict, la frontière de deçà, et pillé et brullé les villaiges, et enmené force prisonniers, luy donnent occasion d'y envoyer des forces pour leur résister; mais elle dict que non seulement elle les veult chastier, mais qu'elle veult chastier ceulx qui les ont retirez; ce qui s'adresse principallement aulx Escouçoys: car l'on m'a asseuré, quant aux dictes frontières, que, despuys quelques jours, elles se trouvent assés paysibles, par l'ordre que les Escouçoys mesmes y ont miz; et que les principaulx chefz des fuytifz sont après à trouver moyen de passer en France ou en Flandres, ce qui debvroit fère abstenir la dicte Dame de son entreprinse; mais je crains que ce sera cella qui l'y convyera davantaige pour luy sembler moins difficile, et pour vouloir en toutes sortes establir les choses d'Escoce, si elle peult, à sa dévotion.

Et fault estimer, Sire, que son desseing au dict pays ne peult estre petit, veu le nombre de canons de batterye, de couleuvrines, de monitions, d'armes et de vivres qu'elle y envoye. La Royne d'Escoce luy a naguières escript là dessus, mais l'évesque de Roz, qui est encores en arrest, ny moi, n'avons peu entendre du contenu en sa lettre que ce qui concerne seulement sa santé: qu'elle se porte bien, qu'elle se loue du bon trettement du comte de Cherosbery, et qu'elle trouve bon qu'il la conduyse en une aultre sienne mayson pour changer d'air et pour avoir plus grande commodité des vivres. L'on attend l'arrivée de l'abbé de Domfermelin, et le comte de Lenoz est desjà party, duquel l'on ne se peult si bien asseurer qu'on ne voye encores plusieurs difficultez en son voyage, et se parle de quelque marché sur le comte de Northomberland, que ceste Royne donnera quatre mil lt d'esterlin pour lui estre livré entre ses mains, par où semble qu'il soit encores dans le chasteau de Lochlevyn; et, à la vérité, Sire, je n'ay peu encores avoir assés de certitude des choses de dellà, car les passaiges sont trop serrez, et ce qui en vient en ceste court est tenu bien fort secrect, ou bien l'on le baille tant au contraire de ce qui est que je n'y donne poinct de foy. J'espère que par d'aultres moyens, que nous avons essayez, il nous en viendra bientost quelque notice.

Quant à l'emprunct, dont en mes précédantes je vous ay faict mention, j'entendz que la dicte Dame a fait expédier mil ve lettres de son privé scel, la moindre de cinquante lt d'esterlin, et la pluspart de cent, aulx particulliers bien aysez de son royaulme pour luy estre forny par chacun sa cothe part en ceste ville de Londres, dans le prochain moys de may; dont faict estat qu'il montera à la somme de cent cinquante mil lt d'esterlin, qui est cinq centz mil escuz. L'on commance de préparer une flotte de draps pour Hembourg et deux navyres de guerre pour la conduyre aulx despens des merchans; mais plusieurs estiment que ce sera pour aller en Envers, et que les depputez conclurront quelque chose sur ces différans, affin de pouvoir continuer leur mutuel traffic comme auparavant. Ceulx cy demeurent en grand suspens sur la longueur du tretté de paix de Vostre Majesté, et semble, Sire, qu'ilz en désirent et qu'ilz en craignent tout ensemble la conclusion pour des considérations et respectz, qui sont assés divers, dont je suys après d'en vériffier ce que desjà l'on m'en a dict, affin de vous rendre plus claire leur intention. Sur ce, etc.

Ce ıxe jour d'apvril 1570.

CIe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'apvril 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Le Tourne.)

Continuation des préparatifs militaires contre l'Écosse.—Inquiétude des Anglais sur la négociation des affaires de Flandre.—Détail des nouvelles arrivées en Angleterre sur l'état de la guerre civile en France, et les entreprises faites par les protestans.

Au Roy.

Sire, ce que j'ay aprins de l'expédition de l'armée que la Royne d'Angleterre envoye vers le North, despuys les dernières nouvelles que j'en ay escriptes à Vostre Majesté du ıxe du présent, est que le comte de Sussex, en marchant en là, a assemblé six mil hommes, tant de pied que de cheval, à Duram, dont il en eust heu davantaige, s'il n'eut renvoyé ceux des gens de cheval qui n'estoient protestans; mais n'a regardé de si près aulx gens de pied, et, avec ceste troupe, il dellibère s'acheminer vers Barvyc, non qu'il ayt encores toutes choses si bien prestes qu'il s'y puisse randre le dernier de ce moys, comme il luy a esté mandé, ny qu'il puisse, devant le xve du prochain, entrer en Escoce. Et de tant qu'on publyoit par dellà que la dicte armée seroit de dix mil hommes de pied et cinq mil chevaulx, quelcun m'a dict que ceulx du party contraire de la Royne d'Escoce ont mandé qu'il suffiroit, pour ceste heure, de fère entrer la moictié des dictes forces dans le pays, à cause qu'on ne trouverait assés de vivres pour tant de gens et de chevaulx; et qu'avec cella le petit prince pourroit estre facilement enlevé sans aulcun empeschement, pourveu que le reste se tînt sur la frontière pour venir au secours, si besoing estoit. L'on m'a confirmé qu'il est venu adviz bien certain à ceste Royne de l'arrivée d'ung ambassadeur de Vostre Majesté par dellà, et adjouxte l'on qu'il a conduict dans Dombertran six mil harquebouzes et trois mil corseletz, et qu'il faict une grande dilligence de réunyr et mettre les seigneurs du pays en bon accord, leur promettant l'assistance et secours de Vostre Majesté; et que les fuytifz d'Angleterre qui estoient près de s'en aller par mer, se sont arrestez; bien que quelcun m'a dict que le comte de Northomberland a trouvé moyen d'eschapper de Lochlevyn, et qu'il s'est retiré en Flandres. Il est vray, Sire, que jamais nouvelles ne furent baillées plus diverses que celles qui viennent de ce quartier là, parce que la matière est affectée de plusieurs, qui les publient sellon qu'ilz y ont différante affection. L'abbé de Domfermelin n'est encores arrivé. Le comte de Lenoz poursuyt son voyage, et la liberté est promise dans trois jours à l'évesque de Roz.

Ceulx cy ont si grand désir que les depputez, qu'ilz ont envoyé en Flandres, facent quelque bon accord, que, pour garder que l'ambassadeur d'Espaigne ou aultres de deçà n'escripvent chose qui y puisse donner empeschement, ilz ont ung grand aguet sur toutes les dépesches qu'on y faict, et n'en layssent passer une seulle qui ne soit visitée. J'entendz qu'il est arrivé quelcun, assés freschement, de la Rochelle qui publie que les princes de Navarre et de Condé sont en Languedoc ez envyrons de Thoulouze, qui pillent, brullent et ruynent tout ce qui deppend des habitans de la dicte ville et non d'ailleurs; qu'ilz ont leur armée plus forte et en meilleur équipaige que jamais; qu'ilz font toutz les jours amaz d'argent et de gens, et mesmes de bandolliers, desquelz ilz ont desjà ung bon nombre, des plus mauvais garçons de la montaigne; que Mr de Biron est encores avec eulx pour tretter de la paix, mais parce qu'il ne propose nulles condicions raysonnables, l'on commence à souspeçonner qu'il n'a esté envoyé pour dire rien de particullier, mais pour espyer leurs forces et recognoistre l'estat de leur armée; qu'ilz ont d'aultres forces bien gaillardes à la Charité, qui courent ordinairement jusques à Bourges et à Orléans, et deux mil hommes de pied et cinq centz chevaulx à la Rochelle, avec lesquelles le Sr de La Noue tient tout le pays subject; qu'ilz ont reprins Maran et aultres lieux, nomméement Oulonne qui leur tenoit les vivres serrez, et qu'à présent ilz en recouvrent abondantment de toutes partz; et que Vostre Majesté estoit toujours à Angiers, sans argent et sans grand moyen d'en recouvrer. Lesquelles nouvelles aulcuns de ce conseil les magniffient, et les font encores courir plus amples affin d'intimider davantaige les Catholiques de ce pays. Néantmoins l'on m'a dict que la Royne, leur Mestresse, continue toutjour au mesmes désir que je vous ay cy devant mandé de la paix de vostre royaulme. Sur ce, etc.

Ce xıııe jour d'apvril 1570.

CIIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour d'apvril 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Jos, mon secrétaire.)

Détail de ce qui s'est passé en Écosse après le meurtre du comte de Murray.—Assemblée des états à Lislebourg.—Espoir du rétablissement des affaires de Marie Stuart, si son parti est promptement secouru par la France.—Nouvelles de la Rochelle et de Flandre.—Nécessité de faire la paix en France, et de s'opposer avec vigueur aux projets de l'Angleterre sur l'Écosse.—Conséquences désastreuses qu'aurait pour la France la réunion de l'Écosse à l'Angleterre.—Avis secret donné à Catherine de Médicis.—Mémoire. Résolutions arrêtées dans le conseil d'Angleterre.—Dessein que l'on suppose au roi d'attaquer l'Angleterre aussitôt après la pacification.—Projet imputé au cardinal de Lorraine de vouloir faire périr Élisabeth et Cécil par le poison.—Dissensions causées dans le conseil par la rivalité des enfans de Hereford et de Marie Stuart, comme héritiers présomptifs de la couronne d'Angleterre.—Mémoire secret. Communications confidentielles venues des Pays-Bas sur les projets de mariage des filles de l'empereur avec le roi de France et le roi d'Espagne, et de Madame, sœur du roi, avec le roi de Portugal.—Desseins secrets du duc d'Albe.

Au Roy.

Sire, jusques à ceste heure, je n'ay peu mander rien de bien certain à Vostre Majesté du costé d'Escoce, à cause que la Royne d'Angleterre, sentant les diverses affections que les siens portent aulx choses de dellà, a miz bon ordre qu'il n'en puisse venir nouvelles sinon à elle, et de tenir icelles bien secrettes; mais ung des moyens que nous avons essayé pour en sçavoir a réuscy; par lequel une lettre est arrivée à la Royne d'Escoce, du xıxe de mars, d'ung de ses bons subjectz qui luy escript, que bientost après que le comte de Mora a esté tué, ceulx de son party se sont efforcez de tenir une assemblée à Lislebourg, le vııe de febvrier, pour establyr de rechef la forme du gouvernement à leur poste, au nom du petit prince. A quoy aulcuns d'entre eulx, mesmes qui estoient desjà retournez en leur première bonne affection vers leur Royne, aydez du desir du peuple qui demandoit la convocation généralle des Estatz, y ont donné empeschement, estant par le layr de Granges, et sir Jammes Baffour formée une opposition, laquelle n'a esté de peu de moment: car par là l'on a cogneu que le chasteau de Lislebourg, duquel le dict de Granges est capitaine tenoit pour la dicte Dame et que les choses avoient esté conduites en façon que dès lors une assemblée généralle fut publiée, au ıııȷe de mars ensuyvant, au mesmes lieu de Lislebourg, en laquelle la pluspart de la noblesse s'estoit trouvée, réservé aulcuns des Amilthons pour la souspeçon du murtre du dict de Mora, et réservé le comte d'Arguil, qui n'avoit passé plus avant que Glasco, et que les deux partz ne s'estoient pourtant guières meslée l'une avecques l'aultre; ains avoient tenu leurs assemblées séparées, sinon quelquefoys que les amys et partisans de la Royne avoient condescendu de convenir avec aucuns des aultres en la maison du secrétaire Ledinthon, qui estoit mallade, pour tretter de certaines particullaritez; et qu'enfin n'y avoit esté faicte plus grande détermination, que de assigner une aultre nouvelle assemblée au mesmes lieu, au premier jour de may prochain, de laquelle assemblée à venir les bons serviteurs de la dicte Dame ne pouvoient prendre aulcune bonne espérance, s'il n'aparoissoit premier pour elle quelque bonne faveur et assistance par dellà, ou de France, ou de Flandres, ainsy que ceulx qui estoient demeurez fermes en la foy et obéyssance de la dicte Dame, l'avoient toutjour espéré: car ceulx du contraire party s'asseuroient d'estre favorisez et secouruz, dans le temps, par la Royne d'Angleterre et d'hommes, et d'argent, pour maintenir l'authorité du jeune Roy et la religion nouvelle dans le pays, ainsy que Randolf, son ambassadeur, les en asseuroit; et qu'il estoit bien vray que le comte d'Atil, milord de Humes, le ler de Granges, le secrétaire Ledinthon, et plusieurs aultres qui avoient esté du contraire party, se déclaroient meintennant estre de celluy de la dicte Royne d'Escoce; et le dict Ledinthon pratiquoit encores d'y admener le comte de Morthon, avec lequel il en estoit bien avant en termes; et que les fuytifz d'Angleterre estoient aussi toutz déclairez pour elle et pour la religion catholique, mesmes le comte de Northomberland, qui avoit commancé de tretter de son rappel avec le dict Randolf pour sortyr de pryson, avoit, par la persuasion du dict Ledinthon, demeuré ferme en son premier propos, de sorte que les aultres restoient bien foybles dans le pays; mais qu'il estoit certain que les deniers et les forces d'Angleterre les relèveroient et leur mettroient toutes choses en leur main, si quelque aultre main bien forte ne s'y trouvoit opposante pour la dicte Royne d'Escoce; et contenoit aussi la dicte lettre que l'abbé de Domfermelin estoit dépesché par ceulx du contraire party devers ceste Royne, et que les aultres avoit advisé d'envoyer conjoinctement Robert Melin devers elle, pour la prier de moyenner par son authorité une bonne réconciliation dans le pays et en oster la division, affin que les estrangiers n'y fussent par les ungs ou par les aultres appellez, au grand détriment de la paix et du commun repos des deux royaumes.

Lesquelles susdictes nouvelles, Sire, nous tenons pour plus vrayes, que nulles aultres qu'on nous ayt encores raportées; et sur icelles la Royne d'Escoce m'a prié de fère aulcuns offices envers la Royne d'Angleterre, pour l'exorter à l'entretennement des trettez, et de ne rien attempter par son armée au préjudice d'iceulx, ce que j'ay desjà faict, et y incisteray encores bien fermement; et que je veuille aussi fère entendre de sa part à Vostre Majesté qu'elle et son royaulme, qui sont l'ung et l'aultre de vostre alliance, pourront estre facillement remédiez à ceste heure par le secours qu'il vous a pleu luy accorder, pourveu qu'il vienne promptement, sellon que les choses sont encores en fort bonne disposition; de quoy elle vous supplie très humblement, mais que si vostre dict secours luy deffault, qu'il adviendra deux grandz inconvénians, qui vous seront non guières moins dommageables qu'à elle; l'ung, que les affères siens et de ses subjectz, qui sont proprement vostres et ceulx de la religion catholique, recepvront ung préjudice et détriment perpétuel dans son pays; l'aultre, que, pour se rachapter de la pryson où elle est et recouvrer son estat et sa liberté, elle sera contraincte de mettre le prince d'Escoce, son filz, ez mains des Anglois.

Voylà, Sire, quand aulx affères de ceste pouvre princesse, qui sont si pressez par la dilligence que ceste Royne faict de haster toutjour son armée vers l'Escoce, qu'on pense que dans deux moys elle aura achevé son entreprinse, et n'est sans soupeçon qu'elle veuille fortiffier Dombarre, ou Aymontz, ou quelque aultre lieu dans le pays, veu les pyonniers qu'elle y envoye.

Au surplus, Sire, certainz petitz discours qu'on a envoyés imprimez de la Rochelle font aulcunement mal espérer ceulx cy de la conclusion de la paix de vostre royaulme. Néantmoins la Royne d'Angleterre monstre toutjour de la desirer, bien que quelcun m'a dict que si elle estoit déjà faicte, que la dicte Dame yroit plus retenue ez choses d'Escoce, et n'y procèderoit sinon ainsi que vous le vouldriez, mais qu'elle pense, durant le pourparlé d'icelle, avoir exécuté ce qu'elle prétend. Il semble par aulcuns propos qu'on m'a raporté du Sr de Lombres que les pratiques du prince d'Orange en Allemaigne ne sont mortes et que bientost il s'en manifestera quelque chose; dont les Flamans, qui sont icy, desireroient la paix de France, affin que la guerre fût transférée en leur pays. Sur ce, etc.

Ce xvıııe jour d'apvril 1570.

A la Royne.

Madame, estant les choses d'Escoce en l'estat que je les mande en la lettre du Roy, et ceulx cy sur le poinct de les aller par armes réduyre à leur dévotion, plusieurs gens de bien sont, avec grand desir, attandans quel ordre Voz Majestez Très Chrestiennes y mettront pour les remédier, et me viennent souvent alléguer qu'il pourra venir beaucoup de diminution à vostre grandeur, si vous layssez aller en proye aulx Anglois la Royne d'Escoce, et son royaume, et la religion catholique de son pays; car, oultre qu'il yra assés en cella de la réputation de vostre couronne, ilz disent qu'en la présente guerre de vostre royaulme, la réduction de toute ceste isle au pouvoir de ceulx cy et l'entière réunyon d'icelle à leur religion nouvelle sera ung très grand apuy de deniers, de munitions et aultres moyens à ceulx de la Rochelle et aulx Allemans, qui les favorisent, en dangier que ceste Royne, par après, entrepreigne elle mesmes ouvertement la guerre avec eulx, et davantaige qu'à l'advenir, se trouvans les Anglois hors de toute souspeçon de l'Escoce, laquelle s'est toutjour trouvée preste pour nous contre leurs entreprinses, mesmes l'ayant mise de leur costé, qu'ilz ne vous meuvent une perpétuelle guerre, pour leurs prétencions; ou bien que, par quelque mariage ou par aultre accession, ilz aillent joindre toute ceste isle à la grandeur de quelque aultre, parce qu'ilz craignent naturellement la vostre, qui vous sera de grand préjudice.

Sur quoy je leur répondz, Madame, que les choses d'Escoce ne sont si foibles d'elles mesmes, ny si mal apuyées de Voz Majestez Très Chrestiennes que les Anglois les puissent ayséement plyer; et, quant bien ilz se seroient prévaluz de l'oportunité de ce temps, auquel ilz vous voyent fort empeschez aulx guerres de vostre royaume, que néantmoins vennant la paix, comme Voz Majestez ne sont loing de l'avoir, que vous radresserez bien ayséement le tout; et que l'Escoce ne sera jamais à eulx, que quand ilz la cuyderont bien tenir. Je considère assés, Madame, que la Royne d'Angleterre entreprend d'une grande affection ce faict d'Escoce, et que les ennemys et malveillans, que la Royne sa cousine a dans son propre royaulme et dans cestuy cy, l'y persuadent si fort, qu'il est très difficile de l'arrester; néantmoins, je vous suplie très humblement, Madame, me commander par ce mien secrétaire ce que j'auray à dire ou fère là dessus envers la dicte Royne d'Angleterre, oultre l'office que je luy ay desjà faict; car je ne fauldray d'ung seul poinct de très humblement vous y obéyr. Sur ce, etc.

Ce xvıııe jour d'apvril 1570.

Aultre lettre a part a la Royne.

Madame, j'ay donné charge à ce mien secrétaire de vous bailler ce mot, à part, pour avoir meilleur moyen de compter à Vostre Majesté la façon, dont l'on a usé, pour fère venir en mes mains le propre original de cest escript, qu'il vous baillera en forme d'une lettre qu'on m'adressoit; où trouverez, Madame, ung conseil[5], lequel je vous suplie très humblement ne communiquer, du commancement, sinon au Roy et à Monseigneur, voz enfans, et puis à quelcun de voz plus expéciaulx et saiges serviteurs, qui, possible, vous ouvrira l'expédiant comme vous vous en pourrez servyr. Il vous pourra, par advanture, estre venu ung semblable adviz d'ailleurs, mais je vous puys bien jurer, Madame, avecques vérité, que je ne sçay ny ne puys penser d'où cestuy cy est procédé. Cella considérè je bien que, par icelluy, il y pourroit cy après avoir moins d'ellévation dans vostre royaulme et aussi moins de moyen d'oster ce qu'y auriez une foys introduict. Sur ce, etc.

Instruction de ce que mon dict secrétaire aura à dire à Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres:

Que les choses de ce royaulme s'entretiennent encores en quelque apparence de repos, non d'elles mesmes, car tout est plein de malcontantement, mais par la dilligence de ceux qui sont en authorité; lesquelz font ce qu'ilz peuvent pour gaigner le temps, mais non pour remédier du tout au mal; car semble plustost qu'ilz le vont norrissant pour le fère cy après devenir plus grand.

Ilz s'esforcent de passer cest esté sans troubles par le moyen de l'armée, qu'ilz ont faicte dresser à leur Mestresse vers le North par prétexte des choses d'Escoce, et d'aller contre les fuytifz; en quoy ilz exécuteront, sans faulte, ce qu'ilz pourront; mais il n'y a assés de deniers en repos pour entreprendre choses si utilles, sans ce qu'on estime que la mesme armée se trouvera preste et en estat contre l'ellévation, qu'on crainct bien fort debvoir advenir avant la racolte.

Et à ceste force ilz ont adjouxté l'artiffice, car, pour donner quelque satisfaction aulx principaulx de la noblesse, affin qu'ilz ne se meuvent, et pour leur fère prendre espérance d'ung meilleur estat des choses, ilz ont rappellé en court et au conseil le comte d'Arondel, et ont miz en pleyne liberté millord de Lomelley, et ont donné espérance au duc de Norfolc d'estre en brief eslargy hors de la Tour, soubz quelque garde en sa mayson qu'il a à Londres, et que mesmes se pourra ottroyer une forme de pardon au comte de Northomberland et aultres chefz des fuytifz, pour remettre toutes choses en bonne unyon.

Mais il adviendra, possible, que l'artiffice produyra ung aultre effect que le simulé, parce que ceste princesse n'a le cueur ny l'intention esloignée de celle de sa noblesse, n'y n'est mal affectionnée à ses subjectz catholiques, pour lesquelz elle résiste assés souvant aulx conseilz, que leurs adversaires luy donnent contre eulx, affin qu'avec les ungs et les aultres elle puisse passer son règne en paix.

Et semble bien que les seigneurs catholiques seront pour tenir dorsenavant leur partie bien ferme et rellevée, de tant que le comte de Lestre se monstre entièrement pour eulx, ayant esté luy le moyen de les fère eslargir et rappeller; et il descouvre qu'il a assés d'aisne au secrétaire Cecille, pour cause de ceulx de Herfort, lesquelz le dict Cecille cherche, par toutz moyens, de les ellever à ceste couronne au préjudice du dict comte et des aultres seigneurs, qui estiment qu'il ne leur va de moins que leurs testes et de la ruyne de leurs maysons, s'ilz y parviennent.

Mais le dict Cecille, oultre ce qu'il tient meintennant sa Mestresse assés bien disposée envers les dicts de Herfort, pour la grand jalouzie qu'il luy imprime toutjour de la royne d'Escoce; de laquelle le tiltre seul précède celluy de Herfort en la succession de ce royaulme, il y bande aussi toute la part des Protestans et mesmes les évesques et officiers, et toutz ceulx qui sont en quelque authorité, et pensoit bien y avoir aussi conduict le dict comte de Lestre par le moyen de la dicte religion, et par beaulcoup d'asseurances et promesses qu'il luy avoit faictes; mais j'entendz que, lundy dernier, estantz huict les plus protestans de ce conseil assemblez, en la mayson du comte de Belfort aulx champs, pour dellibérer de ce qu'ilz avoient à fère pour la légitimation des dicts de Herfort, et pour advancer leur tiltre, ilz se plaignirent grandement du dict comte de Lestre, de ce qu'ayant faict rapeller le comte d'Arondel au conseil, il avoit préparé ung grand obstacle à leur entreprinse.

Et le dangier est que la Royne d'Angleterre (de laquelle la vollonté et disposition peult beaulcoup en cella) se mette toute de ce party pour les grandes impressions, qu'on luy donne, qu'elle est en dangier de son estat et de sa propre vie, si elle n'oste et l'estat et la vie à sa cousine.

Car, oultre les propos qu'on luy a dict que Monseigneur, frère du Roy, avoit tenuz, lesquelz j'ay naguières escriptz à mon dict seigneur, j'entendz qu'on luy faict acroyre que Mr le cardinal de Lorraine sollicite, à ceste heure, ardentment la paix en France, pour avoir plus de moyen de dresser une entreprinse contre l'Angleterre en faveur de la Royne d'Escoce, sa niepce; et que, pour y pouvoir à moindres fraiz conduyre son intention, et y trouver moins de difficulté, qu'il a convenu avec ung Itallien, dont le nom et le visaige, disent ilz, sont cognuz, de fère empoysonner la dicte Royne d'Angleterre et le secrétaire Cecille, et que les plus grands de France inclinent à fère la guerre par deçà.

Et la met on en souspeçon que le Roy d'Espaigne sera pour concourre facillement à l'entreprinse, pour revenche de l'injure de ses deniers, et des prinses de mer que ceulx cy ont faictes sur ses subjectz; et mesmes l'on s'esforce de luy en monstrer desjà quelque indice par l'interprétation d'une dépesche, que j'entendz qu'on a intercepté, de Mr de Forquevaulx, et envoyée par deçà; en laquelle, après ung propos de trois mariages, il faict mencion du grand amaz de gens, et d'argent, et des préparatifs, par mer et par terre, que le Roy d'Espaigne faict, avec aulcunes particullaritez de plus estroicte intelligence avec Leurs Majestez Très Chrestiennes. Ce que n'estimans ceulx cy que cella puysse estre pour résister seulement aulx Mores, ilz veulent inférer que c'est contre eulx.

A quoy l'on m'a dict qu'ilz sont davantaige confirmez par une lettre, qu'on a escripte de la Rochelle à la dicte Dame, en laquelle l'on l'a prié que, si le Roy vient à offrir des condicions de paix à la Royne de Navarre, et aulx princes ses filz et ses nepveux, et aultres de leur party, qui soyent raisonnables, comme Sa Majesté monstre s'en aprocher, qu'elle trouve bon qu'elles soyent aceptées; car ne les pourront bonnement reffuzer, sans se monstrer mauvais subjectz, et que la noblesse désire grandement satisfère au Roy; aussi qu'on voyt bien qu'elle et les princes d'Allemaigne sont longs et tardifz à les secourir, et néantmoins adjouxtent beaucoup de grandz mercyemens et offres à la dicte Dame, et la prient qu'elle veuille bien pourvoir à la seurté de ses affères, parce qu'il semble qu'on projecte desjà de grandes entreprinses contre elle et son estat, en faveur de la Royne d'Escoce.

Desquelz adviz aulcuns icy ont heu de quoy manifester si ouvertement leur malice, qu'ilz ont ozé dire deux choses à la dicte Dame; l'une, que si elle n'empeschoit la paix de France, qu'elle aurait certainement la guerre en Angleterre; et l'aultre, que jusques à ce qu'elle aura faict arracher du tout une si malle plante, comme est la Royne d'Escoce, qu'elle ne verra jamais bien, ny repos, en ceste isle.

Ce que m'ayant esté raporté, j'ay miz peyne, par d'aultres plus modérez personnaiges, de luy fère si bien diminuer ceste opinion qu'elle monstre, quant à la paix de France, qu'elle y a toutjour fort bonne affection, mais qu'elle desire infinyement luy estre donné moyen de s'y employer, affin de pouvoir gaigner la bienveuillance du Roy, et se confirmer en paix et amitié avecques luy; et, quant à la Royne d'Escoce, qu'elle est bien disposée envers sa personne et sa vie, comme je croy qu'elle n'y a heu jamais mauvaise intention, et que mesme elle goutte aulcunement sa restitution, et ne la rejecte plus tant qu'elle souloit; mais elle prétend à quelque entreprinse en Escoce, qui est cogneue de peu de gens, laquelle elle pense avoir exécutée plustost qu'on luy en puysse, ny de France, ny de Flandres, donner empeschement; et que le tout sera faict dans deux moys, pendant lesquelz je ne fays doubte qu'elle ne vollût que Leurs Très Chrestienne et Catholique Majestez fussent ailleurs bien fort empeschées.

Aultre mémoire a part.

En la dépesche d'Espaigne, dont, en l'aultre mémoire, est faicte mention, qui a esté intercepté, j'entendz que Mr de Forquevaulx escripvoit à la Royne que l'ambassadeur de l'Empereur l'avoit prié de fère entendre au Roy comme son Maistre, pour l'affection qu'il avoit de veoir effectuer les mariages de ses filles avec les deux Roys, desiroit que, du premier jour, il y fût procédé sans plus le dilayer;

Qu'il avoit dellibéré d'envoyer les deux Roynes ensemble, par la mer, de Gênes à Marseille, avec la moindre compaignie et le moins d'officiers qu'il pourroit, s'asseurant qu'elles en amasseroient assés en chemyn;

Que l'ambassadeur de Portugal l'avoit asseuré que le party de Madame, sœur du Roy, playsoit grandement au jeune Roy, son Maistre, et aulx deux douarières ses mère et ayeulle, et n'y avoit que ce seul différant, qu'elles vouloient que le tout se fît par le bon adviz et conseil du Roy d'Espaigne; et les Estatz de Portugal, au contraire, s'estimoient assés suffizans pour cella, sans y embesoigner aulcunement le dict Roy:

Mandoit avoir entendu que le dict Roy de Portugal estoit subject à ses opinions, et ne vouloit guières croyre conseil et qu'il n'avoit près de luy que jeunes gens;

Que les médecins et phisiciens ne l'estimoient de longue vie, pour quelque defflussion de cerveau qu'il avoit, et que les ungs conseilloient qu'on le maryât bientost affin de la divertyr et pour avoir lignée; les aultres que le mariage luy abrègeroit ses jours;

Que, quoy que ce fût, venant le dict jeune Roy à mourir, celluy qui luy debvoit succéder, par le commun consentement des Estatz, espouseroit la veufve; par ainsy que, en toutes sortes, Madame seroit longuement Royne:

Que le Roy d'Espaigne s'estoit acheminé à Courdova pour aller tenir ses cours de Castille, et pour s'aprocher de l'entreprinse contre les Mores, priant icelluy ambassadeur Leurs Majestez Très Chrestiennes de luy donner moyen de le pouvoir suyvre, et leur touchoit ung mot de sa révocation;

Que le Roy d'Espaigne faisoit tel amaz de gens et d'argent, et ung si grand aprest par mer et par terre, qu'il estoit aysé à veoir qu'il tendoit à de plus grandes entreprinses que de se deffandre des Mores;

Que s'il playsoit à la Royne d'avoir une entrevue avecques luy à Marseille; que le dict ambassadeur espéroit de l'y pouvoir facillement induyre, parce qu'il l'y trouvoit fort bien disposé, pourveu que cella fût tenu fort secrect, et quasi communiqué à nul, de peur des traverses qu'on y mettroit pour la jalouzie que plusieurs en auroient.

De laquelle lettre ceste Royne et les siens ont prins beaucoup de souspeçon, et sont, à ceste heure, tant plus desireux de raccommoder leur différans avec le Roy d'Espaigne, comme ilz en poursuyvent dilligentment l'accord, par leur depputez, qu'ilz ont à cest effect envoyé en Flandres; lesquelz, à ce que j'entendz, ont mandé qu'ilz en espèrent une bonne yssue.

Et semble que le duc d'Alve, en une façon ou aultre, y condescendra, sellon qu'on m'a dict qu'il désire bien fort esteindre ceste querelle, ainsy qu'il estime avoir si bien vaincue celle du prince d'Orange, et ensepvelye celle des Gueux, qu'elles ne se pourront, l'une ny l'aultre, jamais plus ressuciter;

Et qu'à ceste heure, il a bien fort grande affection d'aller en Espaigne, comme pour triumfer des choses qu'il a bien faictes, et bien saigement et vaillamment conduictes en Flandres, d'y avoir conservé la religion catholique, et estinct l'hérésie; d'avoir saulvé l'estat, et quasi l'avoir conquiz et estably de nouveau au Roy son Maistre, qui auparavant n'en estoit guières bien le maistre; et le luy avoir soubmiz à y pouvoir imposer tribut, comme il vouldra, là où auparavant l'on y souloit ordinairement contradire; et avoir augmenté le revenu jusques à deux millions d'or toutz les ans, qui à peyne en valloit la moytié:

Et, avec l'honneur de ces choses, retourner près de son Maistre, où la jalouzie du prince d'Enoly le tire, et près de sa femme et des siens, qui l'appellent par dellà, à la venue de la nouvelle Royne, pour se trouver à l'establissement et à la mutation de diverses choses, qui lors se pourront ordonner, mais principallement pour mettre le gouvernement de Flandres ez mains de Dom Fadrique, son filz aisné:

A quoy il a grand affection, luy ayant pour cest effect baillé tiltre et merque nouveaulx de cappitaine général des Espaignolz et gardes, ce qu'il n'estime toutesfoys pouvoir bien obtenir, s'il n'est présent avec son Maistre;

Et que, pour n'estre son dict retour empesché par la querelle d'Angleterre, qu'il la vuydera, et qu'au reste procurera, avant son partement, que la consulte et distribution des biens confisqués en Flandres se face, affin qu'il puisse entrer en possession de Brada ou d'Ostrante, ou de quelque aultre bien bon estat, que son Maistre luy donnera; et desireroit bien fort que son dict Maistre remit une partie de la dicte consulte à fère à luy, affin de pouvoir gratiffier et récompenser ceulx qui l'ont suyvy.

Toutes lesquelles choses m'ont esté dictes du dict duc par aulcuns, qui les peuvent aulcunement sçavoir, et qui les font paroistre estre vraysemblables.

CIIIe DÉPESCHE

—du XXIIIe jour d'apvril 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Publication faite en Angleterre de la prise d'armes contre l'Écosse.—Préparatifs de défense faits par les Écossais.—Nouvelles difficultés survenues dans la négociation avec les Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, persévérant la Royne d'Angleterre en sa dellibération d'envoyer des forces en Escoce, elle a faict, despuys trois jours, publier l'occasion de son entreprinse avec le prétexte et colleur, que Vostre Majesté verra par la teneur de sa proclamation; et a mandé au comte de Sussex qu'avec les troupes, qu'il a assemblées à Yorc et à Durem, il ayt toutjour à s'acheminer à Neufcastel, et qu'il temporise là jusques à tant qu'il ayt receu les monitions qu'elle a ordonné luy estre envoyées, lesquelles y pourront arriver envyron la fin de ce moys. Cependant, Sire, luy ayant le dict comte de Sussex naguière escript que, pour la nouvelle de sa venue, les Escouçoys prenoient de toutes partz les armes, avec intention de courre sus à ceulx qui parloient d'introduyre les Anglois dans le pays; et que desjà milor Herys estoit aproché avec quelques forces pour luy deffandre les frontières, ceulx qui ont icy la matière bien affectée ont conseillé à la dicte Dame de luy respondre que, sellon sa plus ample commission, il ayt à doubler promptement ses forces pour poursuyvre son voyage; à quoy elle a faict assés de difficulté, voyant que l'entreprinse se monstroit à ceste heure plus grande et plus difficille, et de trop plus grand coust qu'on ne la luy faisoit du commancement, tant y a qu'à leur persuasion elle le luy a mandé; et néantmoins l'on pense qu'il trouvera assés de résistance par dellà.

L'on commence à sentyr qu'il y aura assés de difficulté en l'accord des différans des Pays Bas, parce qu'on offre par dellà de restablyr toutes choses jusques à la valleur d'une maille; et demande l'on qu'il soit faict le semblable de ce costé, et mesmes que de ce qui aura esté substraict, emporté, ou qui se trouvera aultrement dépéry, des merchandises des subjectz du Roy d'Espaigne, parce que cella est advenu par la coulpe des Anglois, que le tout soit réparé par eux, en quoy très difficilement ilz veulent entendre. Néantmoins il y a très grande affection de chacun costé d'en sortyr. Sur ce, etc.

Ce xxıııe jour d'apvril 1570.

CIVe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour d'apvril 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Gerin Marchant.)

État des partis en Écosse.—Arrivée d'un ambassadeur de France dans ce pays avec un secours d'hommes.—Débats entre les seigneurs écossais pour la régence.—Vives sollicitations des ennemis de Marie Stuart pour presser l'entrée de l'armée anglaise.—Départ de la flotte pour Hambourg, et envoi des sommes levées en Angleterre pour l'Allemagne.

Au Roy.

Sire, après que j'auray, dimanche prochain, faict entendre à la Royne d'Angleterre les louables et vertueux propos qui sont contenuz en vostre dépesche du xıȷe de ce moys, laquelle le Sr de Vassal m'a randue le xxıııȷe, je vous informeray bien particullièrement de l'intention, en quoy je l'auray trouvée sur les choses que je luy proposeray de vostre part; et cependant je diray à Vostre Majesté, touchant celles d'Escoce, que l'arrivée de vostre ambassadeur par dellà, et ce qu'on dict qu'avec luy sont arrivez à Dombertran cinq cens harquebouziers françoys et assés d'armes pour armer encores deux mil hommes, faict aultrement penser à ceulx cy de l'entreprinse qu'ilz ont au dict pays, que quant ilz l'ont premièrement délibérée; mesmes qu'ayantz les principaulx seigneurs d'Escoce desjà heu conférance avec luy au lieu de Donquel, l'on asseure qu'ilz ont prins, par les lettres et bonnes offres de Vostre Majesté, une bonne résolution; sçavoir, ceulx qui estoient demeurez en la foy de leur Royne d'y persévérer constantment, et ceulx qui se portoient neutres de se déclairer pour elle; tellement que tous ensemble se sont despuys acheminez à Lislebourg: d'où les adversayres, avec l'ambassadeur de ceste Royne, se sont aussitost despartys; et que, illec, ilz ont faict proclamer, le xııe de ce moys, l'authorité de leur Royne, là où millord de Granges a déclairé qu'il tenoit le chasteau de Lislebourg pour elle; et le duc de Chastellerault, lequel n'est encores eslargy du dict chasteau, pour quelque occasion bien considérable, s'est aussi déclairé du costé de la dicte Dame; et, bien que le comte de Mar n'ayt du tout faict le semblable, il a promiz néantmoins de ne délivrer, en façon du monde, le jeune prince aulx Anglois, et dict davantaige qu'il ne le délivrera pas aussi aulx Françoys, ny aulx Espaignolz, ny mesmes aulx Escoussoys. Et, par ainsy, les choses ont commancé de prandre quelque train, pour le bien des affères de la dicte Royne d'Escoce, à l'advantaige et réputation de Vostre Majesté. Mais, Sire, voycy l'ordre qu'on me dict que ceulx de l'aultre party ont tenu pour y donner empeschement; c'est qu'ilz se sont incontinent assemblez au lieu de Domfermelin, où ilz ont résolu deux choses; l'une, de fère tout sur l'heure aprocher le comte de Lenoz, qui est à Barwich, pour se porter pour régent de la personne et estat de son petit filz à la faveur de l'armée de la Royne d'Angleterre qui est en campaigne; l'aultre, d'accorder et signer les articles de l'instruction qu'ilz ont baillée à l'abbé de Domfermelin de tout ce qu'il vient dire, requérir et offrir de leur part à ceste Royne.

Sur quoy l'on m'a donné adviz fort secrect, mais de bon lieu, que celle partie des dictes forces qui s'est trouvée plus advancée, et la garnyson de Barwich, en nombre de quatre mil hommes de pied et quinze centz chevaulx en tout et huict pièces de campaigne, ont desjà marché oultre les frontières pour favoriser le dict de Lenoz, et qu'il a esté mandé au comte de Sussex de parfère promptement sa levée de dix mil hommes de pied et quatre mil chevaulx, et que le susdict Domfermelin arrivera icy dans deux ou trois jours. L'on estime que les aultres seigneurs Escouçoys envoyeront millord de Sethon ou millord Boyt devers la dicte Dame pour l'effect que je vous ay cy devant mandé; mais je ne laysse pour tout cella d'espérer encores bien des affères de la royne d'Escoce.

La flotte pour Hembourg est déjà chargée, et commance d'avaller contrebas la Tamise. Elle est d'envyron cinquante voylles et n'y a que deux grandz navires de ceste Royne ordonnez pour les conduyre, mais il y en a aultres trois équipez en guerre soubz la charge de Haquens, qui y vont, le tout aulx despens des merchans; et, soubz ceste mesmes conserve, partent aussi les munitions qu'on envoye au North parce que c'est tout une mesme routte. J'entendz que desjà les lettres d'eschange, pour le parfornissement de cent cinquante mil escuz cy devant ordonnez pour Allemaigne, sont expédiées, et qu'elles vont avecques ceste flotte, oultre soixante mil escuz en espèces, cuillys sur les esglizes des Flamans qui sont en ce royaulme, que le Sr de Lombres envoye au prince d'Orange; et luy eust envoyé plus grand somme sans ce que, à mon instance, la Royne d'Angleterre a deffandu de ne fère aulcune cuillette de deniers, pour ce prétandu prétexte de la deffance de la religion, sur ses subjectz, lesquelz s'y monstrent assés vollontaires.

Ceulx cy font tout ce qu'ilz peuvent, de leur costé, pour parvenir à quelque accord sur les différans des Pays Bas, et en sont toutjour en bonne espérance. Sur ce, etc.

Ce xxvııe jour d'apvril 1570.

CVe DÉPESCHE

—du IIIe jour de may 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Antoine Grimault.)

Audience.—Déclarations faites par l'ambassadeur, au nom du roi, tant au sujet de la pacification de France que des affaires d'Écosse.—Irritation causée à la reine d'Angleterre par la déclaration touchant l'Écosse, qui renferme une menace de guerre.—Nouvelles de l'entreprise des Anglais sur l'Écosse, où ils sont entrés en armes.

Au Roy.

Sire, prévoyant que la Royne d'Angleterre n'auroit guières agréable les deux poinctz, que j'avois à luy proposer de la dépesche de Vostre Majesté du xııe du passé, en ce que vous n'acceptiez son offre d'intervenir à la paciffication de vostre royaulme, et que vous luy touchiez vifvement le faict de la Royne d'Escoce, j'ay miz peyne, Sire, de luy dire l'ung et l'aultre en la plus gracieuse façon que j'ay peu; et m'a bien semblé, quant au premier, qu'elle en est demeurée assés satisfaicte, par ce mesmement que j'ay monstré que Vostre Majesté acceptoit plustost qu'il ne reffuzoit son offre, mais de tant que l'affère, par la venue des depputez des princes, estoit sur sa conclusion sans qu'il fût besoing d'entrer en nouveaulx trettez, ainsy qu'ilz avoient toutjour dict qu'ilz ne vouloient aulcunement capituller avec leur Souverain Seigneur, vous estimiez que cella seroit bientost faict ou failly, par ainsy, que vous en donriez incontinent adviz à la dicte Dame; de laquelle vous requériez cependant de vouloir demeurer en son bon et honneste desir, qu'elle monstroit avoir vers vous et vers voz présens affères, avec asseurance que, en pareille ou meilleure occasion, du bien des siens vous luy feriez paroistre par effect que vous luy correspondiez en ung semblable debvoir de vostre bonne et mutuelle amytié envers elle.

A quoy la dicte Dame m'a respondu que ce luy estoit ung singulier playsir de veoir que Vostre Majesté eust prins son intention en la bonne part, que vous l'avoit offerte, de s'employer aultant droictement à la conservation de vostre grandeur et authorité sur voz subjectz comme si c'estoit pour sa propre cause; et que la satisfaction que vous luy donniez là dessus estoit si grande, que c'estoit à elle meintennant de vous en remercyer et à prier Dieu pour le bon succez et ferme establissement de vos dicts affères et de la paix que vous desirez en vostre royaulme, avec plusieurs aultres parolles, dont aulcunes, à la vérité, touchoient les difficultez qui pouvoient encores rester en cella, et d'aultres exprimoient son affection d'y estre employée: toutes néantmoins bien fort honnestes et pleynes de grande démonstration d'amytié.

Mais, quant c'est venu à l'aultre poinct, du faict de la Royne d'Escoce, bien que je ne le luy aye baillé, sinon avec les mesmes termes par lesquelz Votre Majesté monstre de vouloir, jusques à l'extrémité du debvoir, constamment persévérer en son amytié et en la paix, elle néantmoins en a heu le cueur si atteinct qu'elle n'a peu, ny en son visaige, ny en sa parolle, dissimuler l'ennuy qu'elle en recepvoit: dont, après aulcuns peu de motz assés incertains, tantost de l'esbahyssement d'ung tel propos, tantost de ce que Vostre Majesté estoit mal informée du faict: ayant là dessus appellé ceulx de son conseil, qui estoient dans la chambre, elle leur a dict que je venois de luy fère une bien estrange proposition, de la part de Vostre Majesté, et qu'elle me vouloit bien prier de la leur exposer tout de mesmes, affin qu'ilz en demeurassent mieulx instruictz. Ce que ne luy voulant reffuzer, je l'ay de tant plus vollontiers faict et avec plus d'expression de toutes les particullaritez de Vostre lettre, que je sçavois que l'armée de la dicte Dame estoit desjà entrée en Escoce, et qu'il y'en avoit là présens de ceulx qui l'avoient conseillé; lesquelz je desiroys bien qu'ilz en demeurassent confuz: et y en avoit aussi, qui n'attandoient qu'une semblable occasion, pour avoir de quoy luy parler librement du faict de la Royne d'Escoce. Dont leur ay récité, tout à plain, vostre intention, et ay miz peyne de leur monstrer qu'elle n'estoit moins fondée en toute justice, que remplye de grande magnanimité.

A quoy nul d'entre eulx n'a rien respondu, sinon le marquis de Norampthon aulcun peu de motz sur l'aprobation de l'entreprinse d'Escoce. Mais la dicte Dame, (après m'avoir dict, ung peu en collère, que Vostre Majesté avoit faict comme le bon médecin, qui, ayant à bailler des pillules bien amaires à son mallade, en faisait tout le dessus de sucre, et qu'ainsy, vostre premier propos du mercyement avoit esté bien fort gracieulx et doulx, mais celluy d'après estoit bien fort amer et piquant,) a commancé de me desduyre amplement l'occasion et justiffication de son entreprinse en Escoce; et croy qu'avec les mesmes démonstrations, que luy avoient faict ceulx qui la luy ont conseillée, en termes assés véhémentz, mais toutesfoys bien fort honnorables en l'endroict de Vostre Majesté; qui, en somme, tendent à trois poinctz: l'ung, à vous fère veoir qu'il n'y avoit que droict et rayson, en ce qu'elle faisoit et qu'elle vouloit fère, vers la Royne d'Escoce et vers son royaulme; le second, que nul ne debvoit trouver mauvais que justement elle poursuyvît de vanger les injures, que injustement l'on avoit faictes à elle et à ses subjectz; et le troisiesme, que, nonobstant tout cella, et sans s'arrester à tant de véhémentes ou bien vériffiées, occasions de malcontantement, à quoy la dicte Royne d'Escoce et son ambassadeur, et ceulx de ses subjectz qui tiennent pour elle, l'avoient extrêmement provoquée, elle ne lairroit de recepvoir les condicions qu'elle luy offriroit sur l'accommodement de ses affères, ou bien que Vostre Majesté luy feroit offrir pour elle; ains se disposerait tout présentement d'y entendre: mesmes que luy en ayant desjà la dicte Dame escript une lettre et son ambassadeur une aultre, lequel luy avoit d'abondant mandé qu'il s'estoit encores réservé d'aultres choses, pour les luy dire en présence, elle me promettoit, qu'il seroit bientost ouy, me priant au reste de luy vouloir bailler par escript ce que je luy avois proposé de vostre part, affin d'en pouvoir mieulx dellibérer, et vous y fère plus claire et plus ample responce; comme je pense, Sire, qu'elle fera par son ambassadeur.

Et parce qu'il seroit long de réciter icy toutz les propos de la dicte Dame et ceulx que je luy ay responduz, je remetz de les vous mander en ma prochaine dépesche, par ung des miens, que je dépescheray exprès devers Vostre Majesté, avec d'aultres choses, lesquelles avecques ceulx cy vous feront prendre quelque jugement des intentions de la dicte Dame. Cependant j'ay à dire à Vostre Majesté que le comte de Sussex, sire Jehan Fauster, et milor Scrup, estans entrez par trois divers endroictz en Escoce, y ont allumé des semblables feuz, que aulcuns Escouçoys, avec les fuytifz d'Angleterre, avoient auparavant allumez en la frontière de deçà, non sans que ceulx cy y ayent toutjour crainct quelque rencontre: comme il est nouvelles que le dict Scrup et sa trouppe y ont esté fort bien battuz. L'artillerye et les munitions qu'on leur envoye sont desjà hors de ceste rivière, et m'a l'on dict qu'on a adjouxté à icelles mille litz avec leurs matalas et paillasses, comme pour accommoder deux mil soldatz dans quelque place; et de tant que la dicte Royne d'Angleterre, parmy son discours, m'a dict qu'elle n'estoit si sotte qu'elle ne cognût bien que toute l'affection, que Vostre Majesté et la France ont aulx Escouçoys, n'estoit pour proffict ny pour commodité qu'on peult tirer d'eulx, mais seulement pour nuyre à l'Angleterre; et que Dombertran avoit toutjour esté le port et l'entrée des Françoys et des estrangiers dans ceste isle pour troubler le pays; (et que d'ailleurs la dicte Dame a donné la grâce à ung Escouçoys, qui avoit esté prins au North, lequel luy a baillé le pourtraict du chasteau de Lislebourg), il y a quelque souspeçon qu'elle veuille assiéger l'une des dictes places, ou bien y en fortiffier quelque aultre dans le pays pour y entretenir garnyson. Et viens d'estre adverty, Sire, qu'elle faict mettre promptement en mer quatre de ses grandz navyres et une gallère, avec commandement de tenir les aultres bien fort prestz; dont, de tout ce qui succèdera de nouveau, je mettray peyne de vous en advertir le plus promptement que me sera possible. Sur ce, etc.

Ce ıııe jour de may 1570.

CVIe DÉPESCHE

—du VIIIe jour de may 1570.—

(Envoyée jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Vifs débats dans le conseil d'Angleterre sur le parti à prendre à l'égard de Marie Stuart, et sur la réponse à faire au roi au sujet de l'invasion en Écosse.—Ravages opérés par les Anglais dans ce pays.—Emprunt fait pour la Rochelle.—Négociation des Pays-Bas.—Espoir de l'ambassadeur que la paix ne sera pas rompue.—Mémoire. Détail des opinions émises dans le conseil d'Angleterre.—Réponse faite par Élisabeth à la déclaration du roi touchant l'Écosse.—Insistance de l'ambassadeur sur les motifs qui imposent au roi l'obligation d'exiger que les Anglais se retirent d'Écosse, et que Marie Stuart soit rétablie sur le trône.-Mémoire secret. Motifs particuliers qui ont forcé l'ambassadeur à faire connaître à la reine d'Angleterre la déclaration du roi sur les affaires d'Écosse.

Au Roy.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre prins ce que je luy ay dict, de vostre intention touchant la Royne d'Escoce, en la façon que, par mes précédantes du ıııe de ce moys, je le vous ay mandé, elle a monstré despuys qu'elle tenoit en tant ceste vostre déclaration qu'elle vouloit bien considéréement adviser comme elle auroit à s'y gouverner; dont ayant là dessus assemblé les principaulx de son conseil, ilz ont fort vifvement débattu la matière devant elle, et aulcuns d'eulx luy ont remonstré qu'il n'y avoit nul prince de bon sens au monde, s'il tenoit ung aultre prince entre ses mains, qui se dict compétiteur de sa couronne, comme faisoyt la Royne d'Escoce de celle d'Angleterre, qui le vollust jamais lascher; et qu'il n'y en avoit poinct aussi qui vollust espargner la vie de la dicte Royne d'Escoce, si elle avoit excité en leur estat le trouble et la rébellion des subjectz, qu'elle avoit esmeu en cestuy cy. Les aultres luy ont représanté le contraire, et que la plus grande seureté qu'elle pouvoit prendre pour elle, et pour sa couronne, et pour la paix universelle de ceste isle, estoit de s'employer droictement à la restitution de la dicte Royne d'Escoce, et d'establyr une bien ferme amytié et bonne intelligence entre elles deux et leurs deux royaumes; et en est leur contention venue si avant que, les voyant la dicte Dame desjà aulx grosses parolles, les a priez d'en remettre la dispute à elle, et qu'elle cognoissoit bien que la matière n'estoit sans difficulté: néantmoins leur deffandoit fort expressément de ne parler jamais de chose qui touchât ny à la vie, ny à la personne de la Royne d'Escoce.

Je suis attandant, sire, qu'est ce qui résultera de cette détermination de conseil, et quelle responce la dicte Dame sera conseillée de fère à Vostre Majesté. Cependant j'ay esté adverty que l'exploict du comte de Sussex en Escoce a esté d'entrer en pays par trois endroictz; sçavoir: luy avec le principal de l'armée par Barvich, et sire Jehan Fauster avec la seconde troupe par Carleil, et milord Escrup avec le reste par ung aultre endroict; et que, le xvııe d'apvril, le comte de Sussex a commancé de fère le gast, et mettre le feu à Ware, continuant ainsy jusques à Gadenart, où il a faict miner et pourter par terre la mayson du ler de Farneyrst; et là, le sir Jehan Fauster, ayant aussi miz le feu partout là où il a passé, s'est venu rejoindre à luy; et du dict Gadenart, après l'avoir bruslé, ilz sont allez brusler la ville de Fanic, et ont pareillement miné et rasé la maison du ler de Balchenech; puys, ont passé oultre jusques à Quelso, auquel lieu le ler de Suffort leur est venu offrir pleiges pour satisfaction de ce que l'on luy pouvoit demander; et peu après, milord de Humes y est aussi venu, lequel a parlé au dict comte de Sussex et luy a offert le semblable; mais ny l'ung ny l'aultre n'ont raporté aulcune bonne responce: et ce faict, icelluy Sussex a ramené ses gens, le xxıııȷe du dict moys, à Barvich. Mais, quant à milor Escrup, qui est entré par les marches d'Ouest, les choses ne luy ont succédé de mesmes, car il a esté rencontré par les Escouçoys qui luy ont deffaict la pluspart de ses gens, et dict on que luy mesmes est blessé; et que le comte de Vuesmerland s'est trouvé au combat, qui a cuydé estre prins. Despuys, l'on m'a dict qu'ayant le dict comte de Sussex receu le reste des forces, qui estoient demeurées derrière, délibère de rentrer du premier jour au dict pays et aller assiéger le chasteau de Humes, sinon que, sur ma remonstrance, ceste Royne luy mande de ne passer oultre; tant y a que s'il le faict, je ne pense pas que les Escouçoys ne luy donnent la bataille; mais je ne vous puys mander, Sire, aulcune chose certaine de leur apareil, parce que les passaiges sont tenuz extrêmement serrez.

Il est nouvelles que le duc de Chastellerault est hors de prison, et que ceulx qui tiennent le party de la Royne d'Escoce sont en beaucoup plus grand nombre, et sont les principaulx et les plus fortz du pays. Ceulx qui les favorisent icy, m'ont faict dire que, si la paix se conclud en France, leur affère se pourtera en toutes sortes fort bien, et que ce que j'ay déclairé à ceste Royne ne sera venu que le plus à propos du monde; mais, si la paix ne se faict poinct, qu'ilz craignent beaucoup que les choses n'en aillent que plus mal; et semble, Sire, que aulcuns de ceulx de la Rochelle, qui sont icy, n'espèrent guières qu'elle se puysse fère: mesmes j'ay adviz qu'il a esté mandé en Hembourg de fournir promptement les cinquante mil escuz de la lettre de crédit qui, en janvier dernier, a esté baillée à Mr le cardinal de Chatillon, ainsy que dès lors je le vous ay escript, et que le Sr de Lombres y envoyé présentement une aultre lettre de lx mil lt sterlings pour le prince d'Orange, qui est une somme qu'il a levée sur les esglizes des Flamans protestans résidans par deçà, et que le cardinal de Chatillon et luy sont après à dresser des contractz et des obligations pour fère fornyr encores par dellà cent cinquante mil escuz sur la prochaine flotte qui va au dict Hembourg. En quoy me semble qu'il y aura assés de difficulté, tant y a qu'ilz n'en sont hors d'espérance; et la Royne d'Angleterre, pour recouvrer deniers pour elle, a doublé l'emprunct, dont je vous ay naguières faict mention, jusques au nombre de trois mille privé scelz, desquelz elle espère tirer jusques à six ou sept cens mil escuz.

Elle et les siens monstrent avoir une très grande affection à l'accord des différandz des Pays Bas, et parce qu'il semble que la plus grande difficulté est meintennant à contanter les merchans anglois, l'on m'a dict que le secrétaire Cecille les ayantz assemblez là dessus, et les trouvans ung peu opiniastres, leur a résoluement déclairé que les princes veulent demeurer d'accord, par ainsy qu'ilz advisent entre eulx d'accommoder leurs affères. Sur ce, etc.

Ce vıııe jour de may 1570.

Tout meintennant l'évesque de Roz me vient de mander qu'il a esté appellé, ceste après dinée, pardevant quatre seigneurs de ce conseil; lesquelz, après plusieurs propos, luy ont dict, que si la Royne d'Escoce veult rendre les rebelles d'Angleterre, qui se sont retirez en son royaulme, que cella mouvera grandement la Royne, leur Mestresse, d'avoir son cueur bien disposé envers elle; et n'ont passé plus avant: ce qu'il voyt bien estre une invention des ennemys de sa Mestresse pour retarder toutjour ses affères, es quelz ne luy reste plus aultre espérance, tant que ceux qui sont ici en authorité gouverneront, que celle que la dicte Dame a miz en Vostre Majesté. Et viens d'estre adverty que le comte de Sussex est rentré en Escoce, qu'il a prins le chasteau de Humes, et qu'il a miz garnyson dedans.

A la Royne.

Madame, saichant que la Royne d'Angleterre estoit, tous ces jours, après à dellibérer en son conseil qu'est ce qu'elle auroit à fère ou dire sur ce que je luy avois proposé, de la part de Voz Majestez, en ma dernière audience, et voyant que je ne pouvois plus intervenir à luy fère là dessus nul aultre office, que celluy que j'avois desjà faict; qui, à la vérité, m'avoit bien semblé tel que je l'avois plustost disposée à la modération que à continuer son entreprinse en Escoce, j'ay envoyé ramentevoir par lettre à Mr le comte de Lestre, et par parolle au secrétaire Cecille, les occasions qui ont meu Voz Majestez de luy déclairer ainsy vostre intention; et comme ilz cognoissent assés que c'est ung debvoir, notoirement apartenant à vostre réputation: et à l'honneur de vostre couronne; lequel, quant vous n'en eussiez rien dict, ou que vous eussiez dissimulé de ne vous en soucyer, leur dicte Mestresse et eulx n'eussent layssé pourtant de penser que vous ne le pouviez obmettre; et que partant ilz veuillent, à ceste heure, bien pourvoir, de la part d'elle, qu'il ne soit faict chose qui puisse donner commancement d'altération à ceste tant bonne et mutuelle intelligence, qui rend Voz Majestez et la dicte Dame très utilles amys les ungs aulx aultres, et de laquelle bonne intelligence vous protestiez bien de ne vouloir en façon du monde (sinon contrainct par grande nécessité du debvoir et à trop grand regrect) jamais vous despartyr.

Sur quoy l'ung et l'aultre m'ont mandé de fort bonnes parolles, et telles qu'ilz me font encores reprendre quelque espérance: tant y a, Madame, que des premières responces que la dicte Dame m'a faictes, lesquelles je vous envoye par le Sr de Sabran, il se peult aulcunement bien cognoistre où va son intention. Je ne cognois pas que, pour cella, elle ayt encores changé de désir sur la paciffication de vostre royaume; mais il me semble bien que ceulx de la nouvelle religion, qui sont icy, n'espèrent guières qu'elle se face, lesquelz font toute la dilligence qu'ilz peuvent de recouvrer deniers comme pour continuer la guerre; et j'entendz qu'il vint hyer lettres d'Allemaigne à ceste Royne, par lesquelles l'on luy mande que le duc Hery de Bronsouyc a licencyé, par faulte de payement, la levée qu'il avoit arrestée pour Vostre Majesté; et que le maréchal de Hes, tout aussitost, a commencé d'en dresser une pour luy; et que l'Empereur, estant contrainct de s'en retourner à Vienne pour mettre ordre à une grande ellévation qui s'est sussitée en Austriche pour le faict de la religion, à laquelle semble que le Vayvaude veuille tenir la main, qui a desjà chassé les prestres et pillé les esglizes de ses pays, s'est excusée d'intervenir à la prochaine diette du xxııe de ce moys, laquelle estoit assignée à Spire; et que, si ceulx de la religion avoient deniers, il ne fit jamais si bon en Allemaigne que meintennant. Sur ce, etc.

Ce vıııe jour de may 1570.

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