← Retour

Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Troisième

16px
100%

CXXXIXe DÉPESCHE

—du XVIe jour d'octobre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Groigniet, mon secrétaire.)

Conditions proposées par Cécil à la reine d'Écosse.—Soulèvement des catholiques dans le pays de Lancastre.—Ordre donné au comte de Derby de se rendre à la cour.—Retour à Londres de sir Charles Havart, amiral de la flotte anglaise.—Mémoire. Opinions diverses sur la durée de la paix en France.—Conférence de l'ambassadeur avec l'ambassadeur d'Espagne.—Ligue du roi d'Espagne avec le pape et les Vénitiens contre les Turcs.—Vives sollicitations pour que le roi consente à en faire partie.—Offres faites par le duc d'Albe à Élisabeth.—Négociations des Écossais avec le duc d'Albe.—Conditions proposées à Marie Stuart, si elle veut obtenir l'appui de l'Espagne.—Détails sur la négociation de Cécil avec Marie Stuart.—Crainte que les Écossais n'acceptent toutes les conditions imposées par l'Angleterre.

Au Roy.

Sire, ayant le Sr de Vassal couru une si dangereuse fortune, en voulant repasser la mer, que le naufrage de luy, et de ceulx qui estoient en son mesme navyre, a esté tenu pour vériffié en ceste ville, il n'est pas à croyre combien je me suys resjouy, quant, oultre l'espérance des hommes, il a pleu à Dieu de le saulver et le fère retourner sauf à Callais, avec les lettres et dépesches de Vostre Majesté, où il est encores attandant le vent; mais j'espère qu'il sera bientost icy, et qu'il me rendra instruict de l'intention de Vostre Majesté, laquelle je mettray peyne, Sire, en ce qu'il sera besoing de la notiffier à la Royne d'Angleterre, de la luy fère bien entendre, et de fère, par toutz les moyens, persuasions et instances, qu'il me sera possible, qu'elle y veuille conformer la sienne.

Le secrétaire Cecille et son adjoinct sont arrivez avec l'évesque de Roz, le premier de ce mois, devers la Royne d'Escoce, à laquelle ilz ont présenté, avec grand respect et révérance, une lettre, que la Royne d'Angleterre luy a escripte, laquelle avoit le commancement fort rigoureux et plein d'une recordation de beaucoup d'offances qu'elle reprochoit à la dicte Dame; mais que, pour en abolyr la mémoire, elle luy dépeschoit ces deux siens confidans conseillers, pour préparer le chemyn d'ung bon tretté d'amytié entre elles deux; et n'y a heu aultre chose que cella pour le premier jour, sinon l'humayne et favorable réception, que la dicte Dame leur a faicte. Mais, le lendemain, estans entrez en conférance, elle leur a respondu, à chacun poinct de la dicte lettre, avec tant de fondement de rayson et avec tant de modestie qu'ilz ont monstré de demeurer très bien satisfaictz; et ayant convenu la dicte Dame, pour son regard, et eulx, pour la Royne d'Angleterre, d'ensepvelir pour jamais les choses mal passées, et de procéder à ung renouvellement de vraye et parfaicte intelligence entre elles, sellon que le debvoir de leur proximité et du commun proffict de l'une et de l'aultre, et de leurs deux royaulmes, le requéroit; ilz luy ont leu les articles de l'instruction, qu'ilz portoient, lesquelz se sont trouvez, pour la pluspart, concerner l'expresse cession et résignation du tiltre de ce royaulme par la dicte Royne d'Escoce au proffict de la dicte Royne d'Angleterre, sans préjudice de la future succession d'icelluy, au cas que la dicte Royne d'Angleterre n'ayt point de lignée:—Que, pour seurté de cella, le Prince d'Escoce doibve estre mené et norry en Angleterre, sans préfiger temps de le randre, sinon au cas que la Royne, sa mère, arrive à morir, ou qu'elle luy veuille résigner sa couronne d'Escoce;—Que gouverneurs luy seront baillez, telz que la Royne d'Angleterre advisera, comme les comtes de Lenoz, de Mar ou aultres;—Que trois comtes et trois lordz Escoçoys viendront estre ostaiges, l'espace de trois ans, en ce royaulme, pour la seurté des choses qui seront promises;—Que trois chasteaulx, sçavoir: Humes, Fascastel et encores ung aultre, en Gallovaye ou Quinter, demeureront, pour le dict temps, ez mains de la Royne d'Angleterre;—Que, sans le consantement d'icelle ou de la pluspart de la noblesse d'Escoce, la dicte Royne d'Escoce ne se maryera;—Que ligue sera faicte entre elles et leurs deux royaumes;— Que, au cas que nul prince estrangier, sans ocasion à luy raysonnablement donnée, entrepreigne d'assaillyr ce royaulme, la dicte Royne d'Escoce sera tenue de le secourir d'hommes et de navyres, aulx despens toutesfoys de la Royne d'Angleterre;—Que le murtre du feu Roy d'Escoce et celluy du comte de Mora seront punys;—Que le comte de Northomberland et aultres fuytifz d'Angleterre seront randuz;—Et que, au cas que la dicte Royne d'Escoce meuve à jamais pleinte ny querelle du tiltre de ce royaulme, ny assiste à nul aultre, qui la veuille mouvoir en quelque façon que ce soit contre la dicte Dame, qu'elle demeurera privée de la future succession d'icelluy. Et avoient d'aultres articles, concernans la seurté des subjectz d'Escoce, lesquelz ilz n'ont encores monstrez, mais ilz ont fort incisté d'avoir promptement la responce sur ceulx cy.

Je ne sçay si la Royne d'Escoce l'a encores faicte, seulement j'ay entendu qu'ung pacquet du dict secrétaire arriva, sabmedy au soir, à la Royne d'Angleterre, et que, tout incontinent, elle assembla son conseil; et le lendemain matin, le courrier fut renvoyé avecques responce.

Aulcuns amys de la dicte Royne d'Escoce m'ont faict advertyr qu'elle est au plus grand dangier, où encores elle ayt poinct esté, à cause de la sublévation qui se descouvre estre toute formée au pays de Lenclastre, de laquelle on luy attribue l'ocasion, aussi bien que de celle passée du North; et que pourtant, elle et nous, qui soubstenons icy son faict, debvons condescendre à ce que la Royne d'Angleterre luy vouldra demander, et luy complayre du tout, pourveu qu'elle puysse avoir sa liberté; et ne fère difficulté de luy accorder le Prince d'Escoce, pour quelque temps, avec honnestes condicions. Aultres de ses amys conseillent le contraire: qu'elle peut bien accorder hardyment toutes choses raysonnables à la Royne d'Angleterre, mais non de luy bailler son filz, ny ostaiges, ny places; mais plustost qu'elle mesmes offre de demeurer en Angleterre pour asseurance de ce qu'elle promettra. Je sçay, à la vérité, qu'on tient de très dangereux conseilz sur la personne de ceste princesse, pour l'opinion qu'on a qu'elle ayt trop bonne part en ce royaulme, et que, quant elle sera du tout ostée, que pareillement sa querelle sera du tout esteincte, se persuadant que, ny les Escouçoys, ny les Anglois, ses partisans, ny mesmes Vostre Majesté ne se soucyeront guières, puys après, de la relever. Et est incroyable combien la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil sont esmeuz pour les choses du dict pays de Lenclastre, sans toutesfoys en fère grand démonstration; car les ayant vollues remédier par la voye de la justice, envoyant par dellà ung procureur fiscal, ilz ont veu que cella ne suffizoit, et que plusieurs ouvertement se déclairoient substrectz de l'obéyssance et jurisdiction de la Royne d'Angleterre, jusques à ce qu'elle se seroit jettée hors de l'interdict de l'esglize catholique: dont elle a mandé au comte Dherby, principal seigneur de tout le dict pays, de la venir trouver, par prétexte de vouloir assembler toutz ceulx de son conseil, dont il est l'ung des principaulx, affin de pourvoir à l'estat de ce royaume; et qu'il veuille mener ses enfans avec luy, pour monstrer qu'ilz ne sont coulpables d'aulcunes choses qu'on leur a vollu imposer. L'on ne sçayt encores si le dict comte vouldra obéyr; tant y a, Sire, que je vous ay bien vollu envoyer le susdict adviz de la Royne d'Escoce, par homme exprès, affin qu'il vous playse m'y commander vostre vollonté; et cependant je verray ceste princesse pour l'adoulcyr et modérer, le plus qu'il me sera possible, sur icelluy, et pour la fère passer oultre au tretté encommancé.

J'entendz que sire Charles Havard a raporté à la dicte Dame ung grand contantement du debvoir, qu'il a faict envers la Royne d'Espaigne, et des honnestes propos, que la dicte Royne d'Espaigne l'a enchargé de dire à la dicte Dame de sa part, ayant accepté, avec toute affection, le présent qu'elle luy a envoyé, et ayant faict donner une chayne de mil ducatz au dict Havart, et une aultre ung peu moindre à son vis admyral, et encores dix aultres chaynes aulx capitaines des dix navyres. Sur ce, etc.

Ce xvıe jour d'octobre 1570.

POUR FAIRE ENTENDRE A LEURS MAJESTEZ oultre ce dessus:

Que, par aulcunes lettres, que la Royne de Navarre et Messieurs les Princes, ses filz et nepveu, et Mr l'Admiral ont escriptes par deçà, et par des parolles et démonstrations, dont Mr le cardinal de Chatillon a usé, en prenant congé de ceste court, la Royne d'Angleterre et les siens demeurent assez persuadez que la paix de France sera de durée.

Et y sont confirmez davantaige par la réputation, qui court, que le Roy a prinz une ferme résolution de vouloir que, en cest endroict. et toutz aultres, où sa parolle interviendra, qu'elle ayt à estre très certaine et véritable, et que la Royne et Monseigneur, frère du Roy, interposent, par une bonne intelligence, si fermement leur conseil et authorité à cella, qu'il n'est en la main de nul aultre de le pouvoir rompre.

Et a raporté le Sr de Valsingan, qu'encor que le mariage des deux filles de l'Empereur avec le Roy et le Roy d'Espaigne, et l'intelligence que ung chacun présumoit demeurer toutjour secrecte entre la Royne et Mr le cardinal de Lorrayne, et l'authorité de Monseigneur, frère du Roy, lequel après avoir mené la guerre et heu plusieurs victoires contre ceux de la nouvelle religion, ne comporteroit jamais qu'ilz demeurassent dans le royaulme, fussent trois occasions qu'aulcuns remarquoient pour réputer la paix fort douteuse; néanmoins ilz jugeroient, à ceste heure, que c'estoit par la vraye et parfaite intelligence de la Royne, et de Monseigneur, et de Mr le cardinal de Lorrayne, et de toutz les Princes avecques le Roy, que la dicte paix se randroit plus ferme et plus estable; et que mesmes le conseiller Cavaignes luy avoit dict qu'il s'en promettoit une bien longue continuation, et en plus d'advantaiges pour eulx que les articles ne portoient.

Ce qui a remiz en réputation les affères du Roy en ce royaulme, et croy que de mesmes ilz en sont relevez ailleurs, car l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, despuys la première foys qu'il me raporta le jugement, que le duc d'Alve faisoit de la dicte paix, comme s'il l'estimoit pleyne de dangier pour la Chrestienté, il dict meintennant qu'il ne faict doubte que le Roy et son prudent conseil ne l'ayent cogneue nécessaire, et qu'il faut que Sa Majesté Très Chrestienne la rande utille, et luy face produyre, non seulement pour luy et pour son royaulme, mais aussi pour ses voysins et pour toute la Chrestienté, ung vray repos.

Et s'est le dict ambassadeur curieusement enquiz à moy de deux choses: l'une, si je sçavois que Mr le cardinal de Chatillon eust parlé en ceste court de tranférer meintennant la guerre, qui est achevée en France, au pays de Flandres; et de cella il a vollu que j'en aye sondé le dict Sr cardinal, quant il est venu en mon logis, lequel m'a tout franchement respondu, qu'il pourrait estre qu'il en eust parlé comme d'ung commun souhait, que toutz ceulx de sa religion y avoient; mais non qu'il en vit l'entreprinse bien preste; et j'en ay satisfaict le dict ambassadeur.

Et l'aultre chose, qu'il m'a demandée, est si j'avois entendu pourquoy le Roy avoit faict renforcer la garnyson de Péronne, de St Quintin et des aultres villes de Picardie, et changé celle de Callais, monstrant que le duc d'Alve en avoit prins quelque souspeçon; à quoy je luy ay respondu que le Roy n'avoit en cella que renvoyé les garnysons en leurs lieux accoustumés, car l'on les en avoit tirez, durant la guerre, pour s'en servir au camp, et que meintennant il distribuoit en ses frontières ses gens de guerre pour plus sollager son royaume et pour ne demeurer pourtant désarmé.

Et, en la mesmes conférance, icelluy sieur ambassadeur, me magniffiant grandement la ligue[14] qui a esté faicte entre le Pape, le Roy Catholique, son Maistre, et les Véniciens contre le Turc, m'a dict que le Roy, son Maistre, s'estimoit estre miz hors par icelle de tout le dangier de la guerre du dict Turc, et qu'il n'avoit qu'à contribuer seulement au secours accordé, dont se trouvoit fort adélivré pour mettre bientost fin à la guerre des Mores, et pour entendre aulx choses de Flandres, d'Allemaigne et du costé de deçà;

Que le dict ambassadeur pensoit que l'Empereur enfin entreroit en la dicte ligue, comme il en avoit une fort grande vollonté, mais il desiroit le fère par aprobation de la diette, affin d'obliger les estatz d'Allemaigne à la contribution et au secours de la dicte guerre.

Et a adjouxté que, si le Roy Très Chrestien y vouloit entrer et quicter la pratique du Turc, retirant son ambassadeur qu'il a près de luy, qu'il s'aquerroit ung grand nom et une grande louange envers le Siège Apostolique et envers toute la Chrestienté; et, quant il ne bailleroit que quatre gallères de secours, que son nom et la réputation de la couronne de France y en vauldroient cent.

Je luy ay respondu que ceste ligue estoit faicte pour la conservation des estatz, qui estoient exposez aulx entreprinses du Turc, et que l'Empereur avoit rayson d'y entrer pour l'ocasion des siens, aussi bien que le Pape et le Roy, son Maistre, et les Véniciens, car toutz ensemble y estoient bien fort intéressez, et leurs dicts estatz y couroient de grandz dangiers; mais que Dieu avoit constitué le Roy et son royaulme en lieu, qui estoit tout gardé des incursions du Turc; par ainsy qu'il n'avoit à fère ligue deffencive contre celluy qui ne l'assailloit, ny le pouvoit assaillir; et seroit en vain consommer ses forces et ses deniers pour aultruy, et entrer en une guerre non nécessaire; mais que je croyois bien que, quant toutz les princes chrestiens conviendroient en une entreprinse de ruyner l'Empire du Turc et amplier la Chrestienté, et que le Roy y verroit quelque bon fondement, que ce seroit luy le premier qui y employeroit sa propre personne et ses forces, aussi bien qu'avoient faict ses prédécesseurs.

Laquelle rayson le dict ambassadeur a monstré d'aprouver, et a adjouxté que possible n'estoit on pas trop loing d'une si grande et vertueuse délibération; et puys a continué me dire que les Anglois, pour ne pouvoir bien entendre toutz les secretz de la dicte ligue, la tenoient pour fort suspecte, comme, à la vérité, j'ay sceu qu'iceulx Anglois discourent entre eulx, qu'ayant le Pape passé si avant que d'avoir ouvertement interdit cette Royne et son royaulme, et estant le Roy d'Espaigne fort offancé des dicts Anglois, et les Véniciens assés mal contantz des prinses et déprédations de l'année passée, qu'il est à croire qu'on n'a dressé ceste ligue dans Rome, sans y incérer quelque article bien exprès contre l'Angleterre, et que le général de la mer qui a esté créé par icelle, qui est don Juan d'Austria, aspire bien fort à l'entreprinse.

Néantmoins, le duc d'Alve entretient les dicts Anglois en une si ferme opinion de l'amytié du Roy, son Maistre, qu'ilz s'en tiennent trop plus que bien asseurez; et semble que, ny luy de son costé, ny eulx du leur, ne s'ennuyent de laysser encores les choses en suspens, sans aultrement les esclarcyr, parce que le temporiser vient à propos pour chacun, bien que possible non guières pour les Mestres ny pour leurs estatz, mais pour ceulx qui les manyent; et m'a l'on asseuré que le dict duc a offert à ceste Royne de luy envoyer dix mil hommes de guerre, pour la servyr en ses affères, qu'elle pourroit avoir dans son royaulme, ou bien contre l'Escoce, si elle en a besoing: mais qu'elle n'a accepté ny l'ung ny l'aultré, ny ne demeure pour cella trop dellivrée du souspeçon qu'elle s'est conceue du dict duc.

J'entendz que milord de Sethon, estant arrivé en Envers, a soubdain envoyé demander audience à icelluy duc jusques à Bergues, lequel s'est excusé de la luy pouvoir si tost bailler, pour estre fort empesché à l'embarquement de la Royne, sa Mestresse; dont le dict de Sethon, ne voulant prolonger les matières, luy a envoyé incontinent les lettres des seigneurs d'Escoce et une coppie de son instruction, mais le duc ne s'est hasté pour cella de luy rien respondre, ains l'a remiz à quant il seroit en Envers, que le conseil du pays y seroit assemblé; et cependant il l'a faict convyer à dyner par le marquis de Chetona, où le secrétaire Courteville s'est trouvé, avec lesquelz il a heu grand conférance; et despuys il a envoyé icy demander qu'est ce qu'il aura à respondre, si le dict duc requéroit d'avoir la Royne d'Escoce entre ses mains, ou qu'elle y veuille mettre le Prince d'Escoce son filz; s'il inciste qu'elle ne se marye sans le conseil du Roy Catholique, et qu'elle veuille entrer en ligue avecques luy, sans exception d'aulcune aultre ligue; s'il demande avoir quelques portz et places au pays, pour la retrette de ceux qu'il y envoyera; et finallement, s'il requiert que la réduction de la religion catholique soit faicte en tout le royaulme, et que l'aultre en soit chassée, et toutz ceulx qui en sont.

En quoy semble que le dict de Courteville ayt desjà touché toutz ces poinctz au dict de Sethon, et, quoy que soit, on m'a bien baillé pour chose asseurée que maistre Jehan Amelthon, qui a résidé despuys quinze moys, ordinairement, près du dict duc d'Alve, a esté naguières envoyé par icelluy duc avec deux aultres gentishommes, ung italien et ung espaignol, jusques en Escoce, pour recognoistre quelque commode descente; et que le dict Amelthon leur a monstre les ports et villes de Montroz et Abredin.

Quant, après plusieurs miennes instances et de Mr l'évesque de Roz, la Royne d'Angleterre eust, à la fin de septembre, commandé au secrétaire Cecille, et à maistre Mildmay, d'aller devers |a Royne d'Escoce, elle ne se peult tenir de jetter quelques motz de jalouzie des perfections de sa cousine, demandant au dict secrétaire, s'il se lairroit point gaigner à elle, comme les aultres, qui l'avoient veue; dont il tomba en ung merveilleux doubte que le voyage luy fût pernicieux, et escripvit dez lors à ung sien amy qu'il s'en excuseroit, s'il luy estoit possible, ce qui donna à penser, estant incontinent après devenu mallade, qu'il le contrafaisoit, mesmes qu'il ne se sentoit estre bien vollu de la dicte Royne d'Escoce, et n'estimoit pouvoir raporter honneur de ceste négociation; tant y a que, ne voulant qu'ung aultre l'eust, il dellibéra de veincre toutz ces doubtes et difficultez, mais, premier que de partir, affin d'oster toute souspeçon à sa Mestresse, il dressa les articles de son instruction, ainsy durs qu'ils sont contenuz en la lettre du Roy, et les communica à la dicte Dame, qui les aprouva, et puys au conseil, où quelques ungs luy remonstrèrent qu'il seroit bon de les modérer, affin qu'ilz ne malcontentassent par trop ceste princesse, et qu'ilz fussent aprouvez des aultres princes; mais il respondit qu'on luy layssât manyer cest affère, lequel il entendoit très bien, et le conduyroit à bonne fin, à l'honneur de sa Mestresse et de son royaulme; et qu'il feroit que la Royne d'Escoce et les princes, ses allyez, ne seroient que bien ayses d'en passer par là. Tant y a qu'estant sur le lieu, Mr de Roz m'a mandé qu'il monstre d'avoir une grande vollonté de conclurre le tretté, et qu'il espère que le retour du Sr de Valsingan, sur lequel l'on luy avoit faict une dépesche, seroit cause de luy fère modérer les dures condicions de sa première instruction.

Et m'a le dict sieur évesque mandé davantaige que creinct que les seigneurs escossois, partisans de sa Mestresse, commençant de n'espérer guières nul secours de France, condescendront à telles condicions de tretté qu'on leur vouldra imposer; et que quelques ungs sont desjà après à s'acommoder à l'authorité du comte de Lenoz; ny l'arrivée du Sr de Vayrac ne les a peu tant confirmer qu'ilz veuillent demeurer davantaige en doubte, ny mettre plus en hazard leurs vies et leurs biens.

Tant y a que le lair de Granges, cappitaine de Lislebourg, a mandé que, s'il playt au Roy fère descendre mille harquebuziers seulement ez quartiers, du Nord d'Escoce, qu'il rechassera le dict de Lenoz et les Anglois plus loing que Barvich, et réduyra la ville de Lislebourg à l'obéissance de la Royne sa Mestresse, et qu'il ne sera plus parlé que de l'alliance de France en tout le royaulme d'Escoce.

CXLe DÉPESCHE

—du XVIIe jour d'octobre 1570.—

(Envoyée exprès par ung des miens, jusques à Calais.)

Communication officielle des articles proposés à Marie Stuart.—Nécessité de remontrer à la reine d'Angleterre qu'elle ne peut enlever à la France l'alliance de l'Écosse.

Au Roy.

Sire, vous ayant escript, du jour de hier, assés amplement toutes choses de deçà, ceste cy n'est que pour dire à Vostre Majesté comme, ce matin, Mr l'évesque de Roz m'a envoyé, en grand dilligence, les articles[15] que les depputez de la Royne d'Angleterre ont baillez à la Royne d'Escoce, sa Mestresse, me priant de lui envoyer, tout incontinent, le messagier avec ma responce et mon adviz là dessus; et que je veuille considérer que le moindre dilay ou empeschement, qui puysse intervenir en cest affère, est ung extrême détriment à sa dicte Mestresse; mais qu'il mettra peyne d'entretenir la matière en suspens, jusques à ce que ma response arrive, et qu'il est tout certain, si l'on fault ceste foys de conclurre quelque chose, que la dicte Dame et ses affères, et ceulx de son royaulme, demeurent déplorez et hors de tout remède pour jamais. Sur quoy, Sire, j'ay esté en grand peyne, car le faict me semble d'un costé si important, que je ne me doibz ingérer de rien dellibérer ny respondre sur icelluy, sans exprès commandement de Vostre Majesté, et, de l'autre, je voys ceste pouvre princesse en si dangereux estast, que le moindre retardement peult admener une extrême ruyne sur elle et sur son royaulme; dont, en telle extrémité, j'ay prins expédiant de respondre premièrement au dict sieur évesque, en la meilleur façon que j'ay peu, sellon le peu de loysir qu'il m'a donné d'y penser, et d'envoyer tout aussitost à Vostre Majesté les dicts articles et ma dicte responce, affin qu'il vous playse, en mesmes dilligence, me remander vostre bon commandement; lequel je mettray peyne, aultant qu'il me sera possible, d'exactement accomplyr; et j'espère qu'on ne s'opiniastrera du tout à toutes les conditions des dicts articles, ayant desjà faict office, là où j'ay cogneu en estre besoing, pour les fère modérer; et je sçay que ce que Voz Majestez en ont fermement et vertueusement mandé, par le Sr de Valsingan, à ceste Royne, en fera bien rabattre quelque chose. Tant y a que Vostre Majesté verra s'il seroit bon que, faisant appeller l'ambassadeur d'Angleterre en sa présence, et luy monstrant d'estre bien ayse de la continuation du tretté, vous lui faysiez tout clairement entendre que vous ne pourriez tout ensemble meintenir l'amytié avecques la Royne, sa Mestresse, et veoir qu'elle s'esforçât de vous soubstraire l'alliance d'Escoce; et que, de tant que vous avez entendu que ceulx, qui dressent le tretté, y aspirent, que vous l'avez bien vollu exorter d'advertyr sa Mestresse qu'elle se veuille déporter d'entreprendre une telle offance contre vous; laquelle vous ne pourriez comporter, attandu mesmement que vous n'avez désiré ny procuré que tout bon accord entre elle et la Royne d'Escoce, et bonne paix entre leurs deux royaumes, pourvu que ce ne soit au préjudice de vostre dicte alliance. Sur ce, etc.

Ce xvııe jour d'octobre 1570.

CXLIe DÉPESCHE

—du XXVe jour d'octobre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Assurances réciproques d'amitié.—Consolidation de la paix en France.—Plainte du roi contre la dernière invasion du comte de Sussex en Écosse.—Vive insistance de l'ambassadeur pour qu'il soit procédé à la restitution de Marie Stuart, sous des conditions honorables pour la France.—Plaintes d'Élisabeth contre la reine d'Écosse.—Instance de l'ambassadeur afin qu'une résolution définitive soit prise sans retard.—Protestation d'Élisabeth qu'elle ne veut plus retenir Marie Stuart en Angleterre.

Au Roy.

Sire, je n'ay receu jusques au xvııȷe du présent, la dépesche de Vostre Majesté, du xxvȷe du passé, car le Sr de Vassal, qui me l'aportoit, oultre la première tourmente, que je vous ay mandé qu'il avoit soufferte, il a, par trois fois, despuys, s'esforceant de passer de deçà, toutjour esté rejetté en la coste de dellà, et a esté si travaillé de la mer, que d'une fiebvre quarte, qu'il avoit auparavant, il est tumbé en une continue, qui l'a contrainct de demeurer du tout à Callais, d'où il m'a envoyé le pacquet; sur lequel, Sire, ayant veu, le xxe de ce moys, la Royne d'Angleterre, j'ay estimé luy debvoir fère entendre le retardement d'icelluy, et comme beaucoup plustost qu'à ceste heure, vous m'avez commandé que je l'allasse trouver, affin de luy randre, de vostre part, le plus exprès et le plus grand mercys, qu'il me seroit possible, pour la tant prompte et ouverte conjouyssance, qu'elle avoit usé vers vous sur la paix de vostre royaulme; et qu'ayant prévenu en cella toutz les aultres princes, voz alliez, vous demeuriez très fermement persuadé que, plus que toutz eulx, elle vous avoit véritablement desiré ce bien, et l'establissement de voz affères; dont la priez de regarder en quoy elle se vouldroit meintennant prévaloir de vous et de vostre présente paix; car vous métriez peyne de la luy randre aultant utille, comme elle avoit monstré de l'avoir toutjour très agréable; et que me commandiez, au reste, de n'obmettre rien qui peult servir à luy fère bien cognoistre vostre bonne affection et celle de la Royne, vostre mère, en cest endroict; mais que je n'entreprendrois de luy en dire davantaige, parce que Voz Majestez s'estoient mieulx sceu explicquer, par leur propre parolle, au Sr de Valsingan, que je ne le sçaurois fère sur vostre lettre: et comme il avoit dignement représanté l'intention d'elle à Voz Majestez par dellà, qu'ainsy espérois je que, à son retour, il se seroit très bien acquité de luy fère bien entendre les vostres, et toutz les bons propos que luy avez tenuz de la parfaicte amytié, en laquelle dellibériez persévérer avec elle et son royaume. Et suyviz, Sire, à luy toucher quelques motz du bon et asseuré establissement, que prènent les choses de la paix en vostre royaulme, affin qu'elle ne donnast foy à certaine lettre, que je sçavois qu'on luy avoit monstrée de quelcun de vostre court, qui a escript à ung seigneur de ce royaulme, en langaige françois et lettre françoyse fort proprement, sans toutesfoys se soubsigner, sinon par parrafe, qu'il voyoit que les troubles alloient recommancer plus fort que devant, en vostre royaulme, à cause de plusieurs désordres et viollances qu'on fesoit à ceulx de la religion; et que Messieurs les Princes avoient envoyé fère des remonstrances là dessus à Vostre Majesté, qui leur aviez rendu de fort bonnes responces; et aviez soubdain dépesché lettres pour y pourvoir, mais l'on n'y avoit vollu obéyr; dont ilz avoient renvoyé vous en fère nouvelle pleinte; et vous aviez de rechef escript que justice en fût dilligemment faicte, mais que l'on avoit contempné et mesprisé vos lettres, ce qui leur faisoit penser qu'il y avoit quelque très dangereuse entreprinse couverte contre ceulx de la dicte religion; dont les dicts Princes s'estoient retirez mal contans à la Rochelle, non sans avoir desjà adverty leurs amys en Allemaigne. De laquelle nouvelle l'on me vouloit bien asseurer que la dicte Dame et ceulx de son conseil seroient pour changer beaucoup de leurs premières dellibérations, mesmement en l'endroict de la Royne d'Escoce, si je ne mettois peyne de luy persuader le contraire.

Ce qui m'a faict estendre plus avant le propos, lequel seroit long à mettre icy; mais elle a monstré de l'avoir bien fort agréable, et m'a respondu que le dict sieur de Valsingan avoit trouvé les parolles, dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy avoient usé sur la conjoyssance de la paix, si pleynes d'honneur et si dignes, qu'il n'avoit osé entreprendre de plus particullièrement les luy exprimer que de l'asseurer que de plus dignes n'en pouvoient estre proférées de nulz princes de la terre; et que, sur ce que je luy en disoys meintennant, elle remercyoit infinyement Voz Majestez d'avoir vollu ainsy pénétrer en son cueur, pour y bien cognoistre l'affection, qu'elle a, trop plus certaine et vraye, que nul de toutz vos allyez, à la dicte paix de vostre royaulme; et que, tout ainsy qu'elle a cy devant prié Dieu de la vous donner, que ainsy, à ceste heure, que vous l'avez, elle le prie de la vous conserver si entière que nulz plus obéyssantz ny plus fidelles subjectz à leur prince que les vostres, ny nul meilleur prince que Vostre Majesté à eulx, se puyssent trouver en tout le monde.

Et a poursuyvy aulcunes particullaritez qui sembloient bien extraictes de la susdicte lettre; mais je y ay respondu en façon qu'elle m'a semblé demeurer bien édiffiée des choses de vostre royaume; et puys j'ay adjouxté que le Sr de Valsingan, à mon adviz, n'avoit failly de luy dire ce que Vostre Majesté me commandoit de luy représanter encores une foys, c'est que vous aviez esté bien fort escandalisé du dernier exploict du comte de Sussex en Escoce, et que une seule chose vous avoit contanté, que ses deux ambassadeurs, et moy pareillement par mes lettres, vous avions asseuré que cella estoit advenu sans son sceu et sans son commandement; en quoy vous la vouliez donc très expressément prier de fère quelque réparation ou démonstration là dessus, par où les Escouçoys peussent cognoistre que son intention, aussi bien que la vostre, avoit esté d'abstenir de toute voye d'hostillité, et de remettre toutz leurs différans à ung bon tretté d'accord, ainsy que, sur la parolle d'elle, vous les en aviez asseurez, et aviez différé de leur bailler vostre secours; et qu'au reste vous aviez heu ung singulier playsir d'entendre qu'elle eust envoyé ses depputez devers la Royne d'Escoce pour commancer de procéder au tretté; et que Vous, Sire, et la Royne, chacun séparément, en voz lettres, me commandiez de la prier et conjurer, au nom de l'amytié, que luy portez, qu'elle vous fît meintennant cognoistre combien elle vouloit satisfère aulx choses, qu'elle vous a faictes espérer, et que assés souvant elle vous a promises, pour la liberté et restitution de la Royne d'Escoce, et de tourner son cueur à ne vous vouloir ny offancer ny mescontanter en cella, ains correspondre à ce que, pour le seul respect de son amytié, et non d'aultre chose, vous desiriez qu'on ne vînt aulx viollantz remèdes, dont l'on vous recherchoit très instantment d'y user; et que plusieurs raysons, lesquelles vous luy aviez desjà faictes entendre, pressoient vostre honneur et vostre debvoir, et l'honneur de vostre couronne, de n'abandonner, en façon du monde, ny la liberté, ny la restitution de ceste pouvre princesse, vostre belle sœur, ny mesmes les affères de ceulx qui soubstiennent son party en Escoce, quant bien elle n'y seroit plus, et de n'y espargner nul moyen, ny pouvoir, que Dieu vous ayt donné en ce monde; dont desiriez infinyement que le dict tretté sortît à effect, et que, par icelluy, elle demeurast contante et bien satisfaicte de tout ce qu'elle pouvoit honnestement et honnorablement demander à la Royne d'Escoce, pourveu que ce ne fût contre sa consience, ny contre sa dignité, ny contre son estat, ny au préjudice des trettez, que vous avez avec l'Angleterre, ny derrogeant à vostre alliance avec les Escouçoys; car, au reste, vous vouliez, de bon cueur, estre garant de toutes les choses qui seroient promises et accordées par le tretté.

Auquel propos, qui a esté avec attention, mais non sans passion, fort dilligemment escouté de la dicte Dame, elle m'a respondu qu'elle s'esbahyssoit grandement, comme Voz Majestez Très Chrestiennes avez tant à cueur la Royne d'Escoce, que ne vollussiez avoir aulcune considération aulx grandes offances, qu'elle luy a faictes: premièrement, de luy inpugner sa condicion pour la fère déclairer illégitime; puys de s'estre attribuée le titre de son royaulme; et finallement, d'avoir esmeu ses propres subjectz contre elle; et que ce eust bien esté assés à Voz Majestez de l'avoir faict admonester une foys d'y procéder, sellon que l'honneur et debvoir l'y pouvoit convyer, sans luy en fère si souvant répéter les instances, comme, à toutes les audiences, je ne faillois de les luy renouveller; et que, puysque j'en avois esmeu le propos, elle me vouloit bien dire que ung pacquet d'une dame d'Escosse luy estoit, despuys deux jours, tumbé entre mains, dedans lequel elle avoit trouvé une enseigne d'or, en laquelle estoit engravé ung lyon avec les armes d'Escoce, soubstenuz de deux cornes, et ung liépart avec les armes d'Angleterre, lequel le lyon dessiroit, et ung mot en Anglois qui dict: ainsy abattra le Lyon Escouçoys le Liépart Anglois; et puys une lettre d'une dame, qui se soubsigne Flemy, laquelle mande à milord de Leviston, de présenter la dicte enseigne à la Royne d'Escoce, sa bonne Mestresse, laquelle en entendra bien la signiffication, qui est celle propre qu'elles ont souvant devisée et desirée entre elles; et que cella, avec plusieurs aultres occasions, la randoient de plus en plus offancée contre la dicte Dame.

A quoy j'ay répliqué que, si elle considéroit en quelle bonne sorte et modeste façon vous l'aviez toutjour faicte requérir sur les affaires de la dicte Royne d'Escoce, elle se réputeroit vous en avoir de l'obligation, et non qu'elle s'en tînt mal contante, comme j'espérois que le temps le luy feroit quelquefoys cognoistre; et que, si elle y eust vollu entendre la première foys, nous en fussions à ceste heure aulx mercyemens, et non plus aulx tant répétées instances; et qu'au reste je ne faysois doubte que plusieurs en Angleterre, et plusieurs en Escoce, ne cerchassent, par le moyen d'elle, de ruyner la Royne d'Escoce, et plusieurs aussi, par la Royne d'Escoce, de la ruyner à elle, s'ilz pouvoient; mais qu'elles feroient bien de s'accorder ensemble à la propre ruyne d'eulx, et à leur confusion; et que c'estoit à elle de cercher meintennant ou sa vengeance, ou sa seureté, en cest affère; et si c'estoit sa vengeance, qu'elle considérât les dangereuses conséquences qui en pouvoient advenir, et combien elle s'aquerroit par là l'indignation de toutz les aultres princes, et la hayne généralle des habitans de ceste isle et de presque toute la Chrestienté; si, sa seureté, que Vostre Majesté concourroit à la luy fère trouver telle, comme elle la pourroit désirer.

A quoy la dicte Dame, avec affection, m'a prié de vous escripre que, pour l'honneur de Vostre Majesté, et non pour aultre respect du monde, elle a commancé d'envoyer ses depputez, et de procéder, envers la Royne d'Escoce, en une façon que nul aultre prince, ny princesse offancée comme elle, ne l'eust jamais faict, et qu'elle se contraindra à toutes les conditions, qu'il luy sera possible, pour remettre la dicte Dame, par la voye du tretté, le plus honnorablement qu'elle pourra, en son royaulme; et, quant elle ne le pourra en ceste façon, qu'encor vous donne elle parolle de la renvoyer, commant que soit, à ceulx qui tiennent son party en son pays, car ne la veult plus retenir en son royaulme; et que, par ainsy, elle espère vous satisfère si bien que vous n'aurez plus occasion de vous quereller de ce faict, ny de luy en fère plus parler. Qui sont, Sire, les principaulx poinctz qui ont esté desduictz en ceste audience. Sur ce, etc. Ce xxve jour d'octobre 1570.

CXLIIe DÉPESCHE

—du XXXe jour d'octobre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne, le postillon.)

Négociation concernant Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse.—Avis que le duc d'Albe demande à quitter le gouvernement des Pays-Bas.—Affaires d'Allemagne.—Ligue contre les Turcs.

Au Roy.

Sire, le retour des depputez de la Royne d'Angleterre ne nous faict que bien espérer du tretté, qu'ilz ont encommancé avec la Royne d'Escoce, de laquelle, et des responces qu'elle leur a faictes, semble qu'ilz ayent miz peyne d'en fère prendre beaucoup de contantement à leur Mestresse, et qu'enfin le tretté se conclurra; lequel se fût desjà advancé de dresser, avant la venue des depputez d'Escoce, si la malladie de milord Quiper ne fût survenue, laquelle est cause qu'on s'est résolu d'attandre qu'ilz soient arrivez; et que cependant icelluy Quiper pourra estre guéry. Je mettray peyne, Sire, d'entendre par Mr de Roz, aussitost qu'il sera de retour en ce lieu, les susdictes responces de la Royne d'Escose, affin de les vous mander; et vous manderay, par mesmes moyen, ce que j'auray aprins d'une dépesche, qui vient d'arriver du comte de Lenoz, laquelle aulcuns présument estre pour certaine surcéance d'armes, qui doibt estre accordée pour deux mois en Escoce. Et j'entens que le gentilhomme, qui l'a apportée, dict que le duc de Chastellerault, et ceulx du party de la Royne d'Escoce, s'opiniastrent de vouloir tenir une assemblée, sur le faict de l'estat du pays, nonobstant la dépesche de leurs depputez par decà; et que le Sr de Flemy est sorty en armes de Dombertran pour se saysir des lieux plus prochains de sa place, affin d'y dresser des logis et estables, comme pour y recepvoir la gent et cavallerie qu'il attand bientost de France; laquelle persuasion, avec le raport que le cappitaine Comberon faict de la ferme affection, en quoy il a trouvé Voz Majestez vers les choses d'Escoce, pourront aulcunement servyr à l'advancement du dict tretté.

Et y eust pareillement servy assés le doubte, auquel la Royne d'Angleterre demeuroit du retour de l'armée, qui est allé conduyre la Royne d'Espaigne, si elle n'eust receu ung adviz, (qui est assés semblable à ung aultre, que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, en a, bien qu'il dict ne le tenir du duc d'Alve), que la dicte armée est réservée pour ramener en Flandres la princesse de Portugal, affin d'y estre régente, et le duc de Medina Celi, qu'elle admeyne pour y estre cappitaine général et superintendant des affères soubz elle; et qu'avec la mesmes armée le dict duc s'en retournera, puis après, en Espaigne, et que, despuys l'embarquement de sa Mestresse, icelluy duc a encores dépesché ung des siens, en dilligence, devers le Roy son Maistre, pour fère, en toutes sortes, résouldre son congé,[16] remonstrant son eage et son indisposition; et qu'il a remiz le pays en ung si bon et si paysible estat, et si hors de toute souspeçon de guerre, qu'on ne doibt plus rien craindre de ce costé, ayant faict exécuter les principaulx chefz de la cédition, et ruyné si bien toutz les moyens et la réputation du prince d'Orange, qu'il n'ose plus sortyr de Nausau; qu'il a miz ung si bon nombre des principaulx princes d'Allemaigne en la pencion de son Maistre, que les aultres ne luy pourront nuyre; qu'il a accreu ses revenuz de Flandres de douze centz mil escuz par an; qu'il a aschevé la forteresse d'Envers; ordonné celle de Vallenciennes; estably les évesques; confirmé la noblesse; réduict les loix, coustumes et ordonnances; et si bien pourveu à toutes choses au dict pays, qu'il ne reste qu'à y entretenir le bon ordre qu'il y layssera; et que mesmes il a acheminé en si bonne façon ce qu'il avoit à démesler avecques les Anglois, qu'on vit en une doulce surcéance avec eulx, avec grande espérance d'un fort prochain et entier accord. Lequel adviz semble que la dicte Dame tienne pour assés véritable, et quoy que ce soit, elle a fait ramener en leur arcenal accoustumé de Gelingan les dix navyres qu'elle avoit envoyez convoyer la Royne d'Espaigne, et a faict licencier les gens et mariniers qui estoient dessus, et faict cesser toutz ses aultres aprestz et apareilz de mer.

Le sire Henry Coban escript d'Espire qu'il sera respondu sur les choses qu'il a proposées à l'Empereur, incontinent après que les nopces de la princesse Élizabeth seront faictes, et j'entans que, à la vérité, il a renouvellé le propos du mariage de l'archiduc Charles, mais l'on ne l'a suyvy ainsy chauldement qu'il espéroit. D'aultres lettres sont venues d'Allemaigne, qui font mencion de certein différant, qui cuyda arriver à Heldelberc, devant l'Empereur, entre Jehan Georges Pallatin et Jehan Guilhaume de Saxe, sur leur précédance, à qui seroit premier assiz au festin, de sorte qu'ilz furent prestz de mettre la main aulx armes; mais l'Empereur assembla soubdein les principaulx, qui estoient près de luy, et prononcea pour le dict Georges, remonstrant si bien la rayson à l'aultre, que la chose se passa gracieusement; et que le comte Pallatin avoit instamment prié l'impératrix et la princesse sa fille, qu'elles vollussent accompaigner l'Empereur en sa mayson de Heldelberc; mais la dicte Dame s'en estoit excusée en une façon si résolue de n'y vouloir aulcunement aller, que le dict Pallatin en estoit demeuré assés mal contant; que l'Empereur avoit une grande affection d'entrer en la ligue contre le Turc, et qu'il estoit après à persuader le Vayvaulde de renoncer à l'alliance et à la souverayneté d'icelluy, et de luy deffandre l'entrée de la Transilvanie, luy promettant, s'il perdoit, pour ceste occasion, rien de son estat qu'il le récompenseroit en Bohesme; et qu'on avoit opinion, s'il pouvoit conduyre le dict Vayvaulde à cella, que les Estats de l'Empyre luy consentiroient vollontiers d'entrer en la dicte ligue, et s'obligeraient à luy bailler deniers et secours pour icelle, bien qu'on souspeçonnoit assés que, n'ayantz les Vénitiens esté secouruz à propos de ceulx de la susdicte ligue, ils cercheront d'accommoder leurs affères et de procurer en toutes sortes par deniers, ou bien en accordant quelque tribut sur Chipre, de fère paix avec le dict Turc; au moyen de quoy ceste ligue demeureroit, puys après, assés froide, et bien fort foible. Sur ce, etc. Ce xxxe jour d'octobre 1570.

CXLIIIe DÉPESCHE

—du IXe jour de novembre 1570.—

(Envoyée à la court par Mr le secrétaire de L'Aubespine.)

Audience.—Vives plaintes de la reine contre la réception faite par le roi à Mr de Norris, son ambassadeur, et contre la déclaration du roi en faveur de la reine d'Écosse.—Nécessité où se trouve le roi de réclamer la liberté de Marie Stuart.—Protestation qu'il ne veut pas rompre la paix.—Communication officielle du mariage du roi.—Compliment de la reine sur cette union.—Lettre secrète à la reine-mère sur la proposition du mariage de la reine d'Angleterre avec le duc d'Anjou.—Mémoire. Bruits répandus en Angleterre et en Allemagne que la pacification de France n'est point sérieuse, et qu'elle cache quelque secret dessein du roi.—Détails particuliers concernant la négociation avec la reine d'Écosse.—Rapprochement entre l'Angleterre et l'Espagne.—Plainte de Walsingham au sujet de l'accueil que lui a fait le roi dans son audience de congé.

Au Roy.

Sire, estant, sabmedy dernier, avec la Royne d'Angleterre pour luy fère part de la dépesche, que Mr de L'Aubespine m'a apportée, et des aultres choses qu'il m'a sagement faictes entendre de l'intention de Vostre Majesté, j'avois advisé de luy commancer quelque gracieulx propos de vostre mariage, ainsy qu'on m'avoit adverty que je me gardasse bien de luy user d'aulcune rigoureuse démonstration, si je ne voulois donner aulx ennemys de la Royne d'Escoce l'entier gain de leur cause, et advancer grandement les affères d'Espaigne, pour d'aultaut deffavoriser toutz ceulx de France en son endroict; et que c'estoit à l'occasion de certaine deffaveur, que son ambassadeur luy avoit mandé qu'il avoit naguières receu de Vostre Majesté, meslée de quelque menace contre elle mesmes, sur les affères de la Royne d'Escoce, de quoy elle estoit fort offancée; et que noz ennemys s'esforceroient d'y semer encores du verre, pour randre la playe incurable; par ainsy, qu'il estoit besoing que je radoulcisse le faict.

Mais la dicte Dame me prévint, car aussitost que j'entray en sa chambre privée, elle s'advança de me dire qu'elle me recepvoit mieulx que son ambassadeur ne l'avoit esté en sa dernière audience en France, me remonstrant la façon dont Vostre Majesté avoit parlé à luy; de laquelle disoit estre de tant plus marrye que deux aultres gentishommes anglois, qui n'avoient jamais plus veu vostre court, luy avoient raporté, premier que son ambassadeur luy en eust rien escript, qu'elle ny ses messagiers n'estoient guières prisez ny respectez en France.

Sur quoy l'ayant escoutée paciemment, je luy respondiz que je n'avois rien entendu de cest affère, et que je sçavois, et estois bon tesmoing, que Vostre Majesté avoit toutjours bien receu, avecques beaucoup d'honneur et faveur, ses ambassadeurs, et toutz les propos qu'ilz vous avoient toutjours tenuz de sa part, aultant que de nul aultre prince ny princesse de la terre; ce qui me faisoit croyre que l'ocasion n'estoit meintennant procédée de Vostre Majesté; et j'en comprenois quelque chose parce qu'elle-mesmes disoit que vous aviez la botte, quant son ambassadeur arriva, et que vous luy aviez demandé comme est ce qu'il venoit à telle heure; et qu'au reste, elle debvoit interpréter à bien la franchise de vostre parler sur les affères de la Royne d'Escoce; mesmes que s'estant la dicte négociation continuée despuys par lettres, vous m'aviez envoyé la coppie de celle, que vous aviez escripte à son ambassadeur; laquelle je trouvois fort honnorable, et bien conforme à tout ce qui pouvoit convenir à l'entretennement de vostre commune amytié.

Elle me répliqua qu'elle ne sçavoit que penser de la dicte réponse par escript, et s'esbahyssoit assés comme Vostre Majesté y avoit vollu adjouxter de sa main, me priant de la luy monstrer, si je l'avois présente, affin que la débatissions ensemble, dont la luy ayant monstrée, elle me dict, par deux foys, qu'elle n'estoit semblable à celle qu'elle avoit desjà veue; et que néantmoins elle trouvoit en ceste cy cella bien dur, que vous disiez vouloir secourir la Royne d'Escoce en ceste sienne nécessité, et procurer sa liberté par toutz les moyens que Dieu avoit miz en vostre puyssance; et qu'estant la dicte Royne d'Escoce entre ses mains, vous infériez par là que si elle ne la restituoit par le tretté, que vous luy dénonciez desjà la guerre.

Sur quoy je luy desduysis les raysons, par lesquelles Vostre Majesté ne pouvoit moins dire que cella, ny moins fère que ce que vous en disiez; et quant elle vouldroit, d'un cœur non ulcéré, considérer l'estat de cest affère, que non seulement elle ne se tiendroit pour offancée, ains cognoistroit vous avoir beaucoup d'obligation de l'honneste et modeste façon, dont vous y aviez procédé; et que, nonobstant les lettres de son dict ambassadeur, suyvant les honnorables propos et honnestes démonstrations de contantement, dont elle vous avoit usé touchant vostre mariage, lorsque luy en aviez premièrement escript l'accord, vous me commandiez de luy dire en quoy en estoient meintennant les choses; qui espériez que son playsir augmenteroit de sçavoir qu'elles fussent ainsy bien advancées qu'elles estoient, et prestes de recepvoir ung bien prochain et bien heureulx accomplissement; et luy particularisay le voyage de Mr le comte de Retz à Espire, affin d'apporter les pouvoirs à l'archiduc Ferdinand, pour espouser, au nom de Vostre Majesté, la princesse Élizabeth sa niepce, et comme la cérémonye s'en debvoit célébrer, le xve du passé, par l'archevesque de Mayance, et puys s'acheminer la dicte Dame, le xxıııȷe du dict moys, grandement accompaignée, en France; et que Monseigneur, frère de Vostre Majesté, et Madame de Lorrayne, vostre sœur, estoient desjà vers la frontière pour la recepvoir et pour la mener fère sa première entrée à Mézières, où toute sa mayson luy seroit présentée, et de là à Compiegne, auquel lieu Voz Majestez préparoient desjà ce qui convenoit à un si solempnel et si royal mariage, pour le xve du présent; et puys l'on conduyroit la dicte Dame à St Deniz pour la sacrer et couronner Royne de France; et se parloit de l'entrée à Paris au premier jour de l'an, quant messieurs les mareschaulx et aultres principaulx seigneurs, qu'aviez envoyez, pour establir, sans dilay ny excuse, vostre éedict par toutes les provinces de vostre royaume, pourroient estre de retour; et que, comme Vostre Majesté et la dicte Royne d'Angleterre aviez accoustumé d'agréer, l'ung à l'aultre, la communication de voz bonnes fortunes et prospéritez, que vous luy aviez bien vollu fère part de ceste cy, pour l'asseurer que ceste vostre nouvelle alliance n'estoit pour diminuer, ains pour fortiffier et augmenter davantaige celle que vous avez, et en laquelle vous voulez bien persévérer, avec elle; et que je croyois que vous seriez bien ayse d'entendre qu'elle fust en ces mesmes termes, où à présent vous trouviez, fort allègre et bien disposé, affin que mutuellement vous vous peussiez conjoyr de son contantement, comme vous vous asseuriez qu'elle se resjouyssoit bien fort du vostre.

La dicte Dame, avec abondance de playsir, me respondit que cest agréable propos effaçoit beaucoup la dolleur qu'elle avoit pris de l'aultre, et qu'elle vous randoit le plus exprès grand mercys qu'elle pouvoit de la communication, qu'il vous playsoit luy fère, de chose si privée, et apartenant de si près à vostre personne, comme est vostre mariage; et qu'elle n'avoit pas pensé que les choses fussent si près de leur accomplissement, car eust préparé d'y envoyer de ses gentishommes pour y assister; et qu'il semble qu'encor que les espousailles du Roy d'Espaigne ayent précédé, que néantmoins voz nopces seront plustost consommées, et qu'elle vouldroit de bon cueur pouvoir estre à la feste; car monstreroit à tout le monde qu'elle se resjouyt plus véritablement de vostre prospérité et contantement, qu'il ne luy est possible de l'exprimer par parolle; que, touchant le premier propos concernant son ambassadeur, elle me prioit de vous en mander le mal qu'elle en avoit sur le cueur, et qu'elle espéroit que vous luy en donriez quelque satisfaction, qui la guériroyt, et luy osteroit tout l'empeschement, qu'elle avoit, de ne se pouvoir tant resjouyr de ce segond propos du mariage comme elle desireroit de le fère; que, touchant le dict segond propos, elle vouloit prier Dieu de bényre l'espoux, et l'espousée, et les nopces, avec toute la postérité qui en viendroit, laquelle se pourroit dire estre de la plus royalle et noble extraction de la terre; et que, touchant la Royne d'Escoce, qu'elle avoit trouvé les responces, qu'elle avoit faictes à ses depputez, fort honorables, dont n'estoient guières loing d'accord entre elles; et que les depputez d'Escoce seroient bientost icy, pour y procéder du premier jour, comme il luy tardoit, plus qu'à nul aultre de ce monde, que cella prînt bientost une bonne fin; et, au regard de ce que je luy avois touché de la pleincte de ceulx de Roan, qu'elle y feroit dilligemment regarder par ceulx de son conseil, affin de vous donner, en l'endroict de ceulx là, occasion de fère bien tretter toutz ses subjectz en France, comme elle désire qu'ilz y continuent leur traffic.

Et y a heu plusieurs aultres privez discours entre la dicte Dame et moy; lesquelz je remetz, avec plusieurs aultres choses, à Mr de L'Aubespine pour les vous fère entendre, de la mesmes suffizance, qu'il m'a très dignement raporté celles que Vostre Majesté luy avoit donné charge de me dire, et vous présentera les recommendations de la Royne d'Angleterre, comme elle l'a enchargé de ce fère. Sur ce, etc. Ce ıxe jour de novembre 1570.

A la Royne.

Madame, il est venu fort à propos, par l'arrivée de Mr de L'Aubespine, que j'aye heu à parler à la Royne d'Angleterre du contenu de la dépesche, qu'il m'a apportée, de Voz Majestez, du xıxe du passé; suyvant laquelle j'ay adoulcy, par les gracieulx propos du mariage du Roy, le mieulx que j'ay peu, le courroux, que la dicte Dame avoit, du malcontantement, que son ambassadeur, Mr Norrys, luy avoit mandé qu'on luy avoit naguières donné en France, ainsy que, plus au long, je l'escriptz en la lettre du Roy, vous supliant très humblement, Madame, que, la première foys que Voz Majestez verront le dict ambassadeur, elles luy veuillent dire quelque bonne parolle de faveur, et me commander, par vos premières, d'en dire quelque aultre de satisfaction icy à la dicte Dame; car, avec bien peu, j'espère que tout cella se rabillera. Elle a suyvy avecques playsir et a faict longuement durer le propos, que je luy ay commancé, du dict mariage du Roy, et est venue à parler du sien: qu'elle n'avoit faict bien de ne se maryer poinct, mais qu'elle estoit desjà si vieille que nul, de ceulx qui y pourroient prétandre, n'en avoit plus de volonté, et qu'elle n'avoit jamais pensé d'en espouser, qui ne fût de mayson royalle; que l'Empereur avoit bien employé son voyage d'avoir logé ses deux filles aulx deux plus grandz Roys; et qu'elle avoit esté bien ayse de pouvoir honorer celle qui estoit allée en Hespaigne, pour l'amour du père, qui la luy avoit recommandée, et l'avoit priée de favoriser et asseurer son passaige; et que, ayant sceu comme elle estoit arrivée, à saulvement, en Espaigne, elle avoit soubdain dépesché ung homme exprès à Espire pour l'en advertyr; qu'elle s'asseuroit que, là où l'Empereur establyroit son alliance, qu'il procureroit d'y confirmer aussi celle d'Angleterre.

Ausquelles choses je luy ay respondu que Voz Majestez recepvroient grand contantement des honnorables propos, qu'elle tenoit du mariage du Roy, et loueroient fort sa prudente dellibération d'avoir réservé franche sa vollonté pour se maryer, quant il luy plairoit, et que mesmes ce soit avec un royal prince; que, à la vérité, elle avoit favorisé et honnoré grandement le passaige de la Royne d'Espaigne, de laquelle j'entendois qu'elle se contantoit bien fort, par les bonnes parolles et honnestes lettres, que sire Charles Havart luy en avoit raporté; et que j'espérois qu'elle recepvroit encore plus de contantement de la Royne, sa sœur, et se termina pour lors le propos, et toute l'audience, avec beaucoup de plésir et contantement de la dicte Dame; laquelle, demeurant en quelque craincte de la déterminée résolution en quoy elle voyt que Voz Majestez Très Chrestiennes, pour leur honneur, persévèrent de vouloir secourir la Royne d'Escoce, et néantmoins que vous avez désir de conserver son amytié, et ne l'offancer, elle se monstre plus disposée de parachever le tretté; lequel nous poursuyvrons, avec la plus continuelle instance, qu'il nous sera possible, comme la Royne d'Escoce, de son costé, ne pert en cella heure, ny moment. Sur ce, etc.

Ce ıxe jour de novembre 1570.

A la Royne.

(Aultre lettre à part.)

Madame, quant Vostre Majesté me dépescha, présent le Roy et Monseigneur, voz enfans, pour venir en ceste charge, elle me descouvrit ce mesmes désir, dont, à présent, il luy playt me fère mencion par sa petite lettre du xxe du passé[17]; et je vous suplie très humblement, Madame, de croyre que j'ay toutjour, despuys, fort soigneusement regardé s'il y auroit nul moyen de l'effectuer, sans que j'ay esté ny endormy, ny paresseux, de pénétrer, aultant qu'il m'a esté possible, ez affères de deçà et en l'intention de ceux qui les manyent, par des voyes toutesfoys bien esloignées du dict propos, pour voir s'il y auroit rien qui s'y peult bien raporter et accomoder. En quoy, si j'eusse trouvé quelque fondement, je n'eusse différé une seule heure de le vous mander, ny en eusse perdu une aultre à le bien et dilligemment poursuyvre. Mais, Madame, voycy en quoy, pour quel regard que ce soit, en sont meintennant les choses: que la Royne d'Angleterre, quoy qu'elle ayt donné charge au jeune Coban de renouveller, par motz couverts et artificieulx, le propos du mariage de l'archiduc; et que, assés souvant, elle et les siens en jettent d'aultres, bien exprès, touchant Monseigneur vostre filz, ce n'est toutesfoys, quant à l'archiduc, que pour monstrer de vouloir accepter l'alliance de la maison, d'où les deux grandz Roys se sont nouvellement allyez; et rabiller par ce moyen, si elle peult, ses différans avec le Roy d'Espaigne, et fère prendre de là quelque jalouzie à Voz Majestez Très Chrestiennes, comme aussi en fère prendre encores une plus grande au Roy d'Espaigne du propos de Mon dict Seigneur, vostre filz; et s'entretenir, par la réputation de ces deux grandz partys, en plus grande estime envers les siens. Mais le jugement d'ung chacun est conforme à celluy que faict Vostre Majesté, qu'elle ne se soubsmettra jamais à nul mary, ainsy que, d'elle mesmes, elle s'en monstre toutjour assés esloignée; et les siens l'en détournent davantaige, affin de disposer toutjour, ainsy qu'ilz font, d'elle et de son royaulme.

Et ung des principaulx, qui soit auprès d'elle, a naguières dict que, despuys trois moys, le vydame de Chartres a mené une secrecte pratique avec le secrétaire Cecille, pour le mariage de Mon dict Seigneur, vostre filz, avec elle; et qu'il a offert de fère, par ce moyen, advancer le tiltre de ceux de Herfort à ceste couronne, au cas que la dicte Dame ne puysse avoir d'enfans; et que le propos n'a peu estre que bien ouy, pour le regard de Mon dict Seigneur, de presque toute la noblesse; mais que la pluspart d'icelle l'a mal receu et heu fort odieux touchant ceux de Herfort; et qu'il jugeoit que le dict vydame n'y avoit pas grand moyen, mais qu'il avoit advancé cella pour complayre au dict Cecille, sachant l'extrême affection, qu'il a, à ceulx de Herfort; lesquelz sont deux petitz masles, issuz de celle madame Catherine[18], prochaine de ceste couronne, qui est morte dans la Tour. Et n'y a poinct de fille en ce royaulme, petite ny grande, qui prétande à la dicte succession, sinon une sœur de la dicte dame Catherine, qui est bossue, et a espousé un huissier de la salle de présence, ny la Royne d'Angleterre n'a la vollonté d'en adopter pas une; et croy que, quant elle le vouldroit fère, au préjudice de ceulx qui y prétandent droict, qu'elle ne le pourroit effectuer par le parlement, ny mesmes en fère déclairer ung des prétandans, tant les partz sont contraires, et les maysons principalles de ce royaulme opposantes l'une à l'aultre sur ce poinct. De quoy j'estime que le droict de la Royne d'Escoce ne s'en rendra que plus fort, bien qu'il semble qu'un tel faict ne se démeslera, sans beaucoup de débat.

Quelcun m'a dict qu'on a vollu aussi proposer le mariage du Prince de Navarre avec ceste Royne, le faisant le plus riche subject de l'Europe, et allégant quelques droictz, qu'il a nouvellement gaignez, en la chambre impérialle, contre le Roy d'Espaigne, qu'on dict valloir plusieurs millions d'or, mais le propos n'a esté suyvy.

Or, Madame, je ne voys pas qu'il y ayt lieu de mettre, pour ceste heure, rien en avant de nostre costé, et, par ainsy, je m'en tayray du tout, ainsy qu'il vous playt me le commander, bien que je vous suplye de ne laysser de suyvre et escouter bénignement ce qu'on vous en pourra toucher, monstrant que les plus grandes difficultez vous semblent estre du costé de la dicte Dame; sans toutesfoys advancer parolle, de laquelle elle se puysse advantaiger. Et cependant je veilleray, plus que jamais, sur ce qui se pourra descouvrir ou venir en lumyère, propre à cest effect, vous voulant bien advertyr, au reste, Madame, que de France, l'on a naguières escript à la Royne d'Angleterre que Vostre Majesté ne desire aulcunement l'expédition des affères de la Royne d'Escoce, ains que vous auriez playsir qu'elle ne bougeât encores d'Angleterre; de quoy semble que l'évesque de Roz ayt heu un semblable adviz de ceste court, mais je luy ay faict cognoistre qu'il n'y a rien au monde plus faulx que cella. Sur ce, etc.

Ce ıxe jour de novembre 1570.

POURRA LE DICT SIEUR DE L'AUBESPINE, oultre le contenu de la dépesche, dire à Leurs Majestez:

Que quelques ungs du conseil d'Angleterre incistent fermement à la Royne, leur Mestresse, de ne debvoir, en façon du monde, tretter avec la Royne d'Escoce; et que, pour nulles menaces, ny effortz, qu'elle ayt à craindre du costé du Roy, elle né se doibt haster de la délivrer, car jugent que la paix ne sera de durée en France; et que, par aulcunes lettres et adviz, qu'ilz ont de dellà la mer, ilz ont descouvert que le Pape, le Roy d'Espaigne, et les Véniciens sont proprement ceulx qui ont conseillé de la fère ainsy qu'elle est, pour peur, qu'ilz avoient, que ceux de la nouvelle religion ne gaignassent tant d'advantaige, pendant que eulx seroient occupez en la guerre du Turc et en celle des Mores, qu'il ne fût, puys après, plus temps d'y remédier; et que néantmoins, ilz ont promiz au Roy, qu'aussitost qu'ils se verroient démeslez de ces deux guerres, qu'ilz luy fornyroient ung si notable secours qu'il pourroit fort ayséement purger son royaulme de toute ceste secte de Huguenotz;

Que cella se trouvoit ainsy confirmé par une dépesche de Mr le Nonce à l'aultre Nonce, qui est en Espaigne, laquelle avoit esté interceptée, et qu'on avoit trouvé dedans la coppie d'une lettre du Pape à Mr le cardinal de Lorrayne, qui en faisoit assés expresse mencion;

Que, nonobstant les bonnes démonstrations du Roy sur l'observance de la paix, que les aultres Princes et les principaulx de la court ozoient assés ouvertement déclairer qu'ilz l'avoient à contre cueur; et que, à Thoulouse et à Lyon, ne la vouloient encores bien recepvoir, ce qui estoit signe qu'elle s'en iroit plustost rompue que establye;

Et qu'ilz sçavoient que le Roy mesmes, accompaigné de Mrs les cardinaulx, et d'aulcuns princes, et aultres plus privez de son conseil, avoit, par acte fort secrect, dict et déclairé, en sa court de parlement de Paris, que son intention n'estoit d'entretenir aulcunement deux religions en son royaulme; et que ce, qu'il avoit instantment pourchassé la paix, avoit esté pour séparer l'armée des Huguenotz, et renvoyer les estrangiers; mais qu'après cella il mettroit aultre ordre et une meilleure forme aulx affères de la dicte religion; et que aulcuns des assistans avoient fort loué et magniffié son opinion, et avoient tout hault randu grâces à Dieu qu'il eust miz un si catholique desir dans le cueur de nostre Roy;

Que Messieurs les Princes et Admyral, estantz assez informez de cecy, se tenoient sur leurs gardes, et avoient desjà envoyé notiffier toutes ces particullaritez à leurs amys en Allemaigne; et que mesmes les cappitaines et colonnelz, qui estoient venuz vers Hembourg, pour s'asseurer de certaines levées de gens de guerre pour les princes protestans, en avoient parlé assés clair; par lesquelles remonstrances l'on a fort essayé de persuader la dicte Dame qu'elle devoit attandre l'événement de ces choses de France, premier que de rien remuer en celles d'Escoce.

Mais j'ay, à ceste heure, tout à propos, par la venue du dict Sr de L'Aubespine, notiffié à la dicte Dame, et assés publié en sa court, le bon ordre, que le Roy a prins, d'envoyer messieurs les mareschaulx et aultres seigneurs et cappitaines, avec des maistres de requestes et des commissaires, par toutz les lieux et provinces de son royaulme, pour y exécuter son éedict sans dilay, ni excuse; ce qui faict prendre à la dicte Dame et aulx siens meilleure opinion de nostre paix, et semble qu'elle se résould de passer oultre au tretté de la Royne d'Escoce.

Car voycy en quoy en sont meintennant les choses, que le secrétaire Cecille et maistre Mildmay, estans de retour vers elle, luy ont, d'entrée, protesté qu'encor qu'ilz eussent l'honneur d'estre toutz entièrement siens, ses conseillers et subjectz, qu'ilz avoient néantmoins juré à la Royne d'Escoce de luy rapporter aultant fidellement et à la vérité tout ce qu'ilz avoient veu, cogneu et ouy d'elle, comme s'ilz fussent ses propres messagiers; et ainsy ont faict leur raport si bon que la dicte Dame est demeurée fort satisfaicte de la dicte Royne, sa cousine, et en grande vollonté de conclurre ung bon tretté avec elle.

Sur quoy, icelluy Cecille luy a demandé d'où estoit doncques advenu que, pendant qu'ilz estoient sur le lieu, elle leur eust mandé d'agraver les condicions à la dicte Royne d'Escoce, et les luy proposer plus dures, qu'elle ne leur avoit commandé de le fère, quant ilz partirent:—«Prenez vous en, respondit elle, à millord Quiper, vostre beau frère; car c'est luy qui m'y a contraincte.»

Et j'ay sceu, à la vérité, que, quant le Sr de Valsingan revint de France, la dicte Dame assembla ceulx de son conseil pour déterminer des affères de la dicte Royne d'Escoce, suyvant ce que le Roy luy en mandoit, et leur ayant elle mesmes proposé les choses en une façon, qui la monstroient incliner bien fort à la restitution de la dicte Dame, le dict Quiper luy respondit seulement:—«Qu'il la voyoit si disposée en cest affère, qu'il ne failloit que l'exécuter, sans plus le mettre en dellibération.»—«Ouy, dict elle, beaucoup d'ocasions, à la vérité, me meuvent de le desirer ainsy: mais je veux modérer mon desir par vostre adviz.» Il répliqua soubdain:—«Qu'il estoit là pour la conseiller et non pour la contredire, et que, voyant son conseil ne pouvoir avoir lieu, qu'il se déportoit de le bailler.» Sur quoy la dicte Dame, assés en collère, luy adressa ces parolles:—«Je vous ay creu, ces deux ans passez, de toutes choses, en mon royaulme, et je n'y ay veu que troubles, despenses et dangiers. Je veux, à ceste heure, user, aultant de temps, de mon propre conseil, pour voir si je m'en trouveray mieux.» Et, sur ce poinct, elle se retira dans son cabinet; mais le dict Quiper et ceulx du conseil ne layssèrent pour cella, d'altérer assez la besoigne, et s'esforcèrent, par plusieurs moyens, de randre, touchant ceste négociation, bien fort suspect Cecille à la dicte Dame.

Néantmoins, despuys le retour du dict Cecille, ayant de rechef esté le conseil rassemblé pour ouyr son raport et les responces de la dicte Royne d'Escoce, encor que le dict Quiper se soit opiniastré contre la restitution d'elle, et soubstenu qu'on debvoit délaysser ce tretté, il semble qu'il n'ayt peu rien gaigner; et qu'à ceste occasion, il soit party de court mal contant; et que la dicte Royne d'Angleterre se soit confirmée, de plus en plus, de vouloir tretter.

Dont despuys, ayant Mr l'évesque de Roz esté devers elle, elle luy a dict:—«Que ses deux depputez luy avoient raporté beaucoup de satisfaction de la dicte Royne d'Escoce, et qu'elle trouvoit ses responces fort honnorables; dont elles deux s'acorderoient fort ayséement des aultres choses, qui sembloient demeurer encores en différant; et qu'il ne restoit plus que l'arrivée des depputez d'Escoce, lesquelz elle vouloit attandre, premier que de passer plus oultre.» Et, comme le dict sieur évesque luy toucha ung mot de la difficulté, qu'il y avoit, de conclurre la ligue, de peur de préjudicier à celle de France, et qu'il la pryoit qu'il en peult communiquer avecques moi:—«Je veulx bien, dict elle, que vous en communiquiez à l'ambassadeur du Roy, mais il ne fault que luy, ny aultre, m'estiment si sotte, puysque la Royne d'Escoce est entre mes mains, que je ne veuille bien pourvoir, premier qu'elle en sorte, qu'elle n'aille estre ung instrument à ung aultre prince de me fère la guerre.»

Et ainsy le dict sieur évesque de Roz, et moy, sommes après à conférer ensemble les articles et condicions, qu'on propose à la dicte Royne d'Escosse; en quoy je incisteray fermement que l'intention du Roy soit suyvye, ou, au moins, qu'il ne soit faict préjudice à rien, qui touche son service; et semble qu'il est expédiant d'accommoder ces affères par le présent tretté, sans les remettre à une aultre fois, car aultrement la dicte Dame et son estat restent en ung très grand dangier; et de tant que les dicts depputez d'Escosse sont desjà acheminez, sçavoir: du party de la Royne, milord Herys, milord Bonet et le dict sieur évesque, qui est desjà icy; et, de la part du régent, le comte de Morthon, milord Clames et l'abbé de Domfermelin; et qu'on les attand toutz dans six ou sept jours, et que desjà il se parle de l'entrevue des deux Roynes, ung chacun espère que l'accord réuscyra.

Pendant que les dicts depputez estoient avec la Royne d'Escosse, elle a dépesché ung sien tapissier, nommé Serve, en Flandres, devers milord de Sethon, luy apporter ung pouvoir et procuration d'elle, en forme, pour tretter avec le duc d'Alve; et luy communiquer les articles, que les dicts depputez luy ont proposez; et l'asseurer, qu'encor qu'elle soit en beaucoup de nécessitez, qu'elle toutesfoys ne conclurra rien sans l'adviz de ses amys. Néantmoins, elle a, d'elle mesmes, accordé, par une lettre de sa main, de bailler le Prince, son filz, à la Royne d'Angleterre; et l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, conseilloit néantmoins qu'elle luy accordât plustost les places de Dombertran, Lislebourg, et d'Esterlin, et force ostaiges, que non le dict Prince.

Les gracieulx propos et honnestes lettres, que la Royne d'Espaigne a mandez à la Royne d'Angleterre, sont cause que le dict sieur ambassadeur commance d'estre plus respecté et favorisé des Anglois qu'il ne souloit, et qu'il est recherché, soubz main, de vouloir demander audience de la dicte Dame, à laquelle il n'a parlé, xxıȷ moys a, et qu'elle la luy ottroyera fort vollontiers. Sur quoy il a respondu qu'en ayant esté plusieurs foys reffuzé, il importe beaucoup à l'honneur de son Maistre que la dicte Dame la luy veuille ottroyer d'elle mesmes; et, par ainsy, qu'il est dellibéré d'attandre qu'elle le luy mande, ou le luy face dire par quelcun des siens.

Et cependant, l'on a pareillement recerché le Sr Ridolfy de reprendre le propos de l'accord des différans des prinses, sellon ce qu'il en avoit quelquefoys miz en avant, dont desjà il en a escript une lettre à Mr le comte de Lestre, qui monstre d'y avoir quelque affection, et il a esté assés bien respondu. Je croy que cest affère se rendra de tant plus facille, que les Anglois trouveront de difficultez en nous; et semble que Mr Norrys se soit, puys peu de jours, pleinct de quelque deffaveur, qu'on luy a faicte en France, et que sa Mestresse en soit bien mal contante:

Comme aussi le Sr de Valsingan, parmy les propos, qu'il m'a tenuz, des honnestes faveurs, qu'il avoit receues de Leurs Majestez Très Chrestiennes, il y a meslé je ne sçay quoy de deffaveur, qu'il luy sembloit que le Roy luy ayt faict, en la seconde audience, de ne luy avoir monstré si bon visage, ny usé de si gracieuses parolles, que en la première; et d'avoir, luy présent, dict à Mr Norrys qu'il estoit marry qu'il s'en volust sitost retourner, l'ayant trouvé homme de bien en sa charge; et qu'il vouloit prier la Royne d'Angleterre, sa bonne sœur, de ne luy bailler poinct de successeur, qui fût turbulant, ny homme qui n'aymât la paix et le repos; comme si Sa Majesté entendoit de dresser ce propos à luy, car il estoit en termes de luy succéder; et qu'il croyoit que Mr de Glasco luy eust faict donner ceste attache, bien qu'il ne se soit, à ce qu'il dict, jamais ingéré ez affères de la Royne d'Escosse, sinon quant la Royne, sa Mestresse, le luy a commandé; et que je sçay bien qu'il fault obéyr à son naturel prince, quant il commande quelque chose.

Ce qui l'avoit fort descouragé d'accepter la légation en France, craignant de n'estre agréable à Sa Majesté; toutesfoys que la Royne, sa Mestresse, luy avoit commandé de s'aprester, me priant d'asseurer Leurs dictes Majestez Très Chrestiennes que nul jamais ne tiendra ce lieu, qui ayt plus droicte intention à meintenir la paix et la bonne amytié entre nos deux Maistres et leurs deux royaumes que luy; et que, s'en allant l'affère de la Royne d'Escoce composé, il luy sembloit qu'il ne restoit plus aulcune occasion de différant entre la France et l'Angleterre. A toutes lesquelles choses je luy ay respondu, sellon l'honneur et grandeur du Roy, et comme il debvoit prendre la franchise du parler de Sa Majesté en bonne part; et luy ay donné, au reste, toute bonne espérance de sa légation, voyant qu'aussi bien elle luy estoit desjà commise; et estime l'on qu'encor qu'il soit tenu pour homme fort affectionné à la religion nouvelle, et assés contraire de la Royne d'Escoce, que néantmoins il se rendra modéré.

CXLIVe DÉPESCHE

—du XIIIIe jour de novembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le corier de Flandres.)

Discussion des articles du traité proposé concernant la reine d'Écosse.—Efforts de l'ambassadeur afin de faire accepter les conditions envoyées par le roi.—Consentement de Marie Stuart à ce que son fils soit donné en ôtage à la reine d'Angleterre.—Motifs de cette détermination, qui est contraire aux instructions reçues de France.—État de la négociation avec les Pays-Bas; nouvelles de Flandre.

Au Roy.

Sire, après le partement du Sr de L'Aubespine, j'ay communiqué le contenu des lettres de Vostre Majesté, du xxvııȷe du passé, qui me sont arrivées, ainsy qu'il partoit, à Mr l'évesque de Roz; et, suyvant icelles, je l'ay pressé d'incister vifvement à la Royne d'Angleterre de passer oultre au tretté encommancé, et que, de sa part, il la veuille dorsenavant poursuyvre par la forme, et non aultrement, qu'il a pleu à Vostre Majesté me le prescripre, luy desduysant les raysons, pourquoy la Royne, sa Mestresse, ny luy, ne la doibvent excéder; lesquelles raysons j'ay aussi mandées à la dicte Royne, sa Mestresse, avec ung extraict de ce qui en est porté par vos dictes dernières.

Sur quoy le dict sieur évesque m'a asseuré de la parfaicte correspondance de sa dicte Mestresse, et de luy, à vouloir, en tout et partout, suyvre l'intention et les conseils de Vostre Majesté; et que, ayant despuys trois jours esté devers la Royne d'Angleterre, pour luy présenter ung pourtraict, que la dicte Royne d'Escoce luy envoyoit, du Prince son filz, il l'avoit instantment sollicitée de passer oultre à parfère le dict tretté, et de luy déclairer si les responces, que sa dicte Mestresse avoit faictes à ses depputez, luy sembloient raysonnables, affin qu'il la peult advertyr de ce qu'elle en debvoit espérer; et que la dicte Dame luy avoit respondu que les depputez, qu'elle attandoit d'Escoce, d'ung chacun des costez, debvoient arriver dans quatre ou cinq jours, avec le comte de Sussex et maistre Randolf, qui venoient toutz de compaignye, et qu'estantz icy, elle feroit incontinent procéder au dict tretté; que, quant aulx responces de sa dicte Mestresse, elle les avoit prinses de fort bonne part, et n'estoient trop esloignées de ce qui convenoit à fère ung bon accord; qu'encor que la dicte Royne d'Escoce fit grande difficulté sur l'article de la ligue, à cause de celle de France, qu'il ne falloit qu'elle s'y arrestât; adjouxtant, avec ung soubzrire, que, puysque Vous, Sire, vous estes meslé avec la mayson d'Autriche, qui est de sa ligue, que vous ne debviez trouver mauvais qu'elle se meslât avec celle d'Escoce, qui est de la vostre. A quoy luy, de Roz, luy avoit soubdain respondu qu'il fauldroit donc qu'elle constituast ung semblable douaire à sa Mestresse, et donnast ung semblable entretennement des gardes, des gendarmes, des bénéfices, plusieurs privilèges, et aultres grandz advantaiges aulx Escouçoys en Angleterre, que Vostre Majesté leur faisoit jouyr en France; et que, sellon son adviz, il n'aparoissoit aulcun honneste moyen de fère ligue entre elles deux, sinon en y comprenant Vostre Majesté; et que la dicte Dame luy avoit répliqué, là dessus, que les dicts entretennemens estoient trop grandz pour en vouloir charger son estat, mais que, touchant la ligue, elle m'en parleroit, et en feroit parler par son ambassadeur à Vostre Majesté.

Or, Sire, ce poinct de la dicte ligue, plus que nul de ceulx, qui sont contenuz ès dicts articles, me semble importer grandement à l'honneur et réputation de vostre couronne, et, à ceste cause, j'ay desjà dict tout hault que j'interrompray en vostre nom l'accord, et protesteray de l'infraction des précédans trettez, plustost que d'en laysser rien passer. Au regard de l'aultre article, auquel Vostre Majesté estime que je n'ay assés expressément respondu à l'évesque de Roz, touchant ne bailler le Prince d'Escoce aulx Anglois: je vous supplie très humblement, Sire, de croyre que je luy ay, par ung adviz escript de ma main, premier qu'il soit allé vers sa Mestresse avec les depputez, ainsi que je l'ay communiqué au Sr de L'Aubespine, expressément conseillé de ne l'accorder en façon du monde; mais la dicte Dame, suyvant d'aultres adviz, que le dict évesque mesmes luy a pareillement apportez par escript, de plusieurs ses affectionnez et meilleurs amys et serviteurs de ce royaulme, et aussi par l'adviz des seigneurs, qui tiennent son party en Escoce, l'a offert à la Royne d'Angleterre par sa lettre du séziesme du passé, comme chose, sans laquelle le dict évesque de Roz dict que la dicte Royne d'Angleterre ne fût jamais entrée en tretté, et sa Mestresse fût demeurée au plus dangereux estat de sa personne et de toutz ses affères, qu'elle ayt encores esté, pour l'ocasion de ceulx qui avoient monstré se rébeller au pays de Lenclastre; avec ce, Sire, que ceulx de ce conseil ont toutjours estimé qu'il ne se pourroit prendre aulcune aultre assez bonne seureté de la dicte Royne d'Escoce, que d'avoir son filz par deçà, affin qu'il leur fût ung instrument tout accommodé pour contenir sa mère ou pour la déchasser; aussi qu'il semble bien que les Escouçoys, qui procurent la restitution d'elle, ne sont que bien ayses que le Prince s'en aille, affin que ceulx du contraire party ne puyssent plus redresser aulcune compétance dans le pays; et encores y a il plusieurs principaulx personnaiges en ceste court, qui incistent assés que le dict Prince ne viegne en façon du monde en Angleterre, de peur qu'il n'y advance et establisse par trop le droict, que sa mère a à la succession de la couronne, au préjudice des aultres prétendans. Ce qui faict que plus vollontiers, la dicte Royne, sa mère, consent qu'il y soit mené, et mesmes qu'elle voyt bien que le contredire ne luy serviroit de rien, tant la chose est hors de sa puyssance; mais l'on n'a layssé pourtant d'envoyer solliciter les deux partys, en Escoce, de s'y opposer; et aussi le grand père, et l'ayeulle, et plusieurs aultres, en ce mesmes royaulme, de ne le trouver bon, et de le debvoir empescher; pareillement à la mesme Royne d'Angleterre de luy jecter ung escrupulle dans le cueur, touchant ce petit Prince, disant que, à son advènement au monde, il à déchassé sa mère hors de son estat, et qu'il pourroit bien, en venant en Angleterre, chasser sa tante hors du sien. Tant y a, Sire, que ce poinct est desjà tenu comme pour accordé entre elles deux; et sur cella se faict le fondement de tout le reste; et estime l'on, Sire, pourveu que vous obteniez la restitution de la dicte Dame et la réunyon des Escouçoys, et que l'authorité des Anglois et leurs forces soyent mises hors du pays, que Vostre Majesté, quant au reste, ne doibt empescher qu'elle ne se puysse prévaloir de son filz à le bailler ostage quelque temps, pour recouvrer sa liberté, et retirer sa personne, et son estat, horz du grand dangier où ilz sont.

Néantmoins, Sire, en cella, et en toutz les aultres chapitres du traicté, j'incisteray toutjour, le plus fermement qu'il me sera possible, que l'intention de Vostre Majesté soit entièrement suyvye; et, de tant que la Royne d'Angleterre s'est plaincte à moy des dommageables condicions, qu'elle dict estre apposées contre l'Angleterre, dans le dernier tretté d'entre le feu Roy, Françoys le Grand, vostre ayeul, et Jaques quatriesme, Roy d'Escoce, lequel je croy estre de l'an 1535[19], je supplie très humblement Vostre Majesté de m'en fère envoyer une coppie affin d'y respondre; et me commander au reste, Sire, touchant ce dessus, si je doibz incister tout oultre, que la Royne d'Escoce se retire de la promesse, qu'elle a faicte, de bailler son filz, et qu'il vous playse d'en déclairer franchement vostre vollonté à Mr de Glasco, son ambassadeur.

Au surplus, Sire, les différans des Pays Bas demeuroient acrochez en ce que, sur la diminution que le duc d'Alve a trouvé estre ez merchandises des subjectz du Roy d'Espaigne, pour en avoir une partie esté gastée et les aultres mal vendues par deçà, il vouloit que celles des Anglois fussent prinses en récompence, sellon qu'elles valloient en Angleterre, et non sellon qu'elles ont esté vendues en Flandres; en quoy il faisoit proffict d'envyron cent mil escuz; mais ceulx cy, ayant, à ce qu'ilz disent, plus d'esgard au déshonneur que à la perte, qui leur viendroit en cella, n'ont vollu passer ce poinct, ni accorder aulcune inégalle et plus advantaigeuse condicion aux Espaignolz et Flamans que à eulx; dont les lettres estoient desjà signées de ceste Royne pour mander à maistre Figuillem, son agent à présent en Flandres, qu'il s'en retournast tout incontinent, si le dict duc ne vouloit tenir compte du prix, à quoy les merchandises d'Angleterre ont esté vandues, ainsy quelle offroit de fère le semblable par deçà, de celles d'Espaigne, et d'estre preste d'administrer justice pour celles, qui ne se trouveraient en estre, contre ceulx qui en seroient coulpables, ce qui alloit fère une grande interruption en tout l'affère; mais, voulant le duc en toutes choses l'accommoder, il l'a si bien faict négocier icy, soubz main, par l'ambassadeur d'Espaigne, et par aultres personnes interposées, qu'il n'y a rien, à ceste heure, plus eschauffé entre ceulx de ce conseil que d'en vouloir bientost sortyr. Et, à cest effect, le Sr Ridolfy, qui s'en estoit auparavant meslé, est appellé en court, et pareillement Cavalcanty et Espinola; et s'entend que le Sr Thomas Fiesque arrivera demain, ou après demain, de Flandres, qui aporte la résolue intention du dict duc; et est l'on après à trouver moyen que le dict ambassadeur d'Espaigne escripve, sur l'ocasion du passaige de la Royne d'Espaigne, et sur l'honneur et convoy que luy ont faict les navyres d'Angleterre, et sur son arrivée à saulvement par dellà, une bien honneste lettre à la Royne d'Angleterre, affin qu'elle envoye aulcuns de son conseil pour en conférer davantaige avec luy; lesquelz auront charge de lui octroyer audience de la dicte Dame pour le jour, qu'il vouldra l'aller trouver. Et de tant, que le Roy d'Espaigne a mandé au dict duc de regaigner, par toutz les moyens qu'il pourra, l'amytié des Anglois; et qu'il ne veult, sur son partement, laysser ceste besoigne en détail, il la presse bien fort, estans venues nouvelles que le duc de Medina Celi est prest de s'embarquer à Laredo pour passer en Flandres, où il pourra arriver à la fin de ce moys, sur la mesmes armée qui a conduict par dellà la Royne d'Espaigne, et que la princesse de Portugal n'y vient poinct pour encores, mais ce sera le cardinal de Grandvelle, qui viendra assister au dict duc de Medina Celi. Sur ce, etc.

Ce xıve jour de novembre 1570.

CXLVe DÉPESCHE

—du XIXe jour de novembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivier.)

Retard apporté à la négociation du traité concernant la reine d'Écosse.—Mission de lord Seyton, dans les Pays-Bas, auprès du duc d'Albe.—Demandes faites au duc de la part de Marie Stuart.—Nouvelles des Pays-Bas et de la Moscovie.

Au Roy.

Sire, j'ay de nouveau faict entendre à la Royne d'Angleterre que les longueurs, qu'elle avoit uzé, et qu'elle continuoit d'user, ez affères de la Royne d'Escoce, vous avoient donné grande ocasion de parler ainsy ferme, comme vous aviez faict, à son ambassadeur, et d'essayer, à la fin, si pourrez accomplyr ce que franchement vous luy en avez dict; laquelle s'est excusée que le retardement n'est cy devant provenu, ny encores ne provient, de son costé, ains de celluy de la Royne d'Escoce et de ses depputez, qui ne sont encores arrivez, et qu'elle ne voyt pas comme l'on puysse bonnement procéder à fère le tretté sans eulx, et sans ceulx du contraire party; et n'y a heu nulle rayson, ny offre, qui l'ayt peu mouvoir de ceste opinion parce, à mon adviz, qu'elle a promiz à ceulx du dict contraire party de ne fère rien, qu'elle n'ayt premièrement pourveu à la seureté du jeune Prince d'Escoce et à celle d'ung chacun d'eulx. Et ainsy nous sommes attendans l'arrivée d'iceulx depputez, desquels je n'ay encores nulles bien certaines nouvelles, sinon que le comte de Lenoz a escript qu'il avoit ottroyé de bailler saufconduict à ceulx du bon party, et qu'il nommeroit les siens aussitost qu'il sçauroit qui sont les aultres, affin d'en envoyer de semblable qualité; et que cependant il dépeschoit l'abbé de Domfermelin, lequel, pour ceste occasion, est attandu, d'heure en heure, en ceste court.

Je prends quelque argument, Sire, de l'intention de la dicte Dame, qu'elle a vollonté d'en sortyr, sur ce que Mr Norrys l'ayant fort instantment requise de luy donner son congé; et s'estant le secrétaire Cecille desjà miz à dresser la dépesche du Sr de Valsingan pour luy aller succéder, elle a considéré que, s'il partoit sur ce poinct, Vostre Majesté pourroit concepvoir quelque mauvaise espérance des affères de la Royne d'Escoce, tant pour le changement d'ambassadeur, que pour le souspeçon que ce nouveau leur fût trop contraire; dont elle a mandé au Sr Norrys d'avoir patience jusques à ce que les dicts affères soient achevez. Bien m'a l'on dict qu'il a renvoyé en dilligence ung des siens, pour remonstrer à la dicte Dame que le dillay seroit par trop long; car dict qu'il n'espère veoir les affères de la dicte Royne d'Escoce jamais accommodez, tant que certaine occasion durera en France; laquelle, Sire, je n'ay pas encores bien sçeu quelle elle est, et semble aussi qu'il l'ayt mandée assés en général; car l'on m'a dict que plusieurs y font diverses interprétations. Cependant Mr de Sethon, qui est en Flandres, m'a escript que, si ung certain pacquet, que la Royne d'Escoce, sa Mestresse, m'avoit adressé pour luy, luy eust esté randu pour se pouvoir expédier du duc d'Alve, qu'il fût desjà devers Votre Majesté; et, à la vérité, Sire, le dict pacquet a esté, par mesgarde, aporté, dez le xxvıȷe du passé, par mon secrétaire jusques à Paris; dont j'estime qu'il l'aura meintenant receu.

Et voycy, Sire, ce que j'ay entendu de la négociation du dict de Sethon, qu'il a esté ouy à part, et puys en conseil, par le duc d'Alve, sur les trois poinctz, pour lesquelz il estoit envoyé principallement devers luy: le premier, pour avoir le secours, qu'il leur avoit souvant promiz, le quel le dict de Sethon offroit de conduyre en lieu seur, où il pourroit commodéement descendre, et où l'assistance des Escouçoys et des Anglois catholiques, et tout bon entretennement et bonne retrette ne luy deffauldroit dans le pays; le second, pour recepvoir dix mil escuz, que le dict duc avoit accordé à la Royne, sa Mestresse, pour la fourniture des chasteaulx de Lislebourg et Dombertran; et le troisiesme, pour le prier d'interdire de mesmes le commerce aulx Escouçoys en Flandres, que Vostre Majesté le leur a prohibé en France à ceulx, qui ne sont du party de la Royne, sa Mestresse. Sur quoy, le dernier jour du moys passé, Mr de Noerguerme a esté envoyé devers luy pour luy fère la responce que, touchant le secours, le duc y estoit très disposé, lequel avoit trouvé son offre et ses autres expédiantz fort convenables à l'entreprinse; mais l'importance d'envoyer une armée de mer en pays estrangé estoit si grande que l'exprès commandement du Roy, son Maistre, y estoit requis, auquel il en avoit desjà escript; et pourtant il falloit attandre sa responce, laquelle ne tarderoit guières; que touchant les dix mil escuz, de tant que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, avoit escript au dict duc que la Royne d'Escoce luy dépeschoit ung homme exprès, avecques un pacquet, pour l'advertyr en quelle sorte elle entendoit qu'on ordonnast de la dicte somme, qui est, Sire, le susdict pacquet qui a esté apporté à Paris, qu'il prioyt le dict de Sethon d'avoir pacience jusques au quatriesme du présent, que le messagier pourroit estre arrivé, dedans lequel jour, l'on la luy feroit fornyr contante. Au regard du troisiesme, de tant que le commerce d'Angleterre estoit fermé, et si l'on restreignoit encores celluy d'Escoce, il en pourroit venir grand détriment aulx Pays Bas, le dict duc, premier que d'y rien ordonner, en avoit vollu escripre au Roy, son Maistre, duquel il feroit bientost entendre son intention, tant sur cestuy que sur le premier article au dict de Sethon. Et semble, Sire, que icelluy de Sethon ayt escript à sa Mestresse qu'on l'avoit faicte plus espérer du secours du dict duc qu'il n'a trouvé qu'elle en eust occasion, et que icelluy duc ne pense plus que à quicter les choses pour se retirer en Hespaigne.

Maistre Jehan Amilthon a continué une négociation séparée de celle du dict Sr de Sethon avec le dict duc, dont monstrent n'y avoir bonne intelligence entre eulx. C'est luy qui a conduict les deux gentishommes espaignolz en Escoce pour visiter la descente, et les a faict parler au comte d'Honteley, et les a promenez et festiez en divers lieux dans le pays.

Au surplus, Sire, l'on a appellé, despuys trois jours, les principaulx merchans de ceste ville à Hamptoncourt pour le faict de Roan et pour celluy des Pays Bas. J'entans, quant à celluy de Roan, qu'on me baillera la responce par escript sur ce que j'en ay remonstré à la Royne d'Angleterre; et, quant à l'aultre, que le comte de Lestre et le secrétaire Cecille, si aultre empeschement ne survient, en yront conférer avec l'ambassadeur d'Espaigne, lequel a desjà escripte la lettre à la dicte Dame, dont, par mes précédantes, je vous ay faict mencion; et presse l'on, de chacun costé, bien fort l'accommodement de ces différans. A quoy sert beaucoup le mauvais trettement qu'ont naguières receu les merchans anglois en Moscouvie, où ilz pensoient dresser quelque grand commerce; mais l'ambassadeur moscovite, qui naguières estoit par deçà, s'en estant retourné mal satisfaict de ce pays, a faict emprisonner tous les Anglois, qui se sont trouvez au sien, et a faict arrester leurs merchandises. Le susdict ambassadeur d'Espaigne s'est conjouy en ceste court des bonnes nouvelles qu'il a heu, que la guerre des Mores avoit du tout prins fin[20]. Quelcun, à ce que j'entans, luy a escript que le duc de Medina Celi diffère sa venue en Flandres jusques en janvier, et qu'il a la vollonté de passer en France. Sur ce, etc.

Ce xıxe jour de novembre 1570.

CXLVIe DÉPESCHE

—du XXVe jour de novembre 1570.—

(Envoyée par Jehan Monyer jusques à Calais exprès.)

Déclaration du roi à l'ambassadeur d'Angleterre concernant l'Écosse.—Irritation causée à la reine d'Angleterre par les menaces du roi.—Opinion de l'ambassadeur qu'Élisabeth est bien décidée à éviter la guerre.—Instance faite auprès d'elle pour l'engager dans l'alliance d'Espagne.—Succès des efforts de l'ambassadeur, qui parvient à empêcher l'exécution de ce projet.—Assurance de dévouement au roi donnée par Walsingham, désigné pour l'ambassade de France.—Remontrance faite par l'ambassadeur à la reine d'Angleterre des motifs qui doivent forcer le roi à secourir, même par les armes, la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, entendant que Mr Norrys, par sa dernière dépesche, avoit rafreschy à la Royne, sa Mestresse, les mesmes propos, qu'il luy avoit auparavant escript, qu'il trouvoit en Vostre Majesté une ferme résolution de secourir la Royne d'Escoce, et que vous continuez d'user de parolles et démonstrations fort expresses en cella, j'ay miz peyne de sçavoir comme la dicte Dame le prenoit; dont aulcuns, qui desirent la modération des affères, m'ont mandé qu'elle se trouvoit toute scandalizée qu'allors que, pour vous complayre, elle avoit envoyé deux de ses principaulx conseillers devers la Royne d'Escoce, pour donner commancement à ung bon tretté, et qu'à vostre instance elle avoit envoyé retirer son armée de sur la frontière d'Escoce, c'estoit lors proprement qu'il luy sembloit que vous aviez délayssé la voye, que vous aviez toutjours tenue, de procéder en cest endroict par gracieuses prières et honnestes remonstrances, pour y aller meintennant par une aultre façon de la menacer, et de rudoyer son ambassadeur; et qu'encores ne se sentoit elle si piquée de ce que vous en aviez dict de vous mesmes, qui aviez parlé en Roy, ainsy qu'il luy avenoit bien à elle de parler quelquefoys en Royne, comme de ce que vostre conseil avoit trouvé bon qu'il en fût escript une lettre bien expresse et bien considérée à son dict ambassadeur; et qu'elle se résolvoit de ne fère rien par menaces, et de monstrer à tout le monde que, si elle condescendoit à quelque accord en cest endroict, ce ne seroit que par le seul bénéfice de sa bonne vollonté envers vous, et de sa propre bonté envers la Royne d'Escoce, et que toutz aultres effortz et instances ne servyroient que d'empyrer et retarder davantaige la besoigne.

D'aultres, qui cognoissent assés bien son intention, m'ont faict dire qu'encor qu'elle ayt parlé ainsy devant ceulx de son conseil, affin d'estre estimée princesse de cueur, comme, à la vérité, elle l'est, si a elle monstré, en d'aultres siens propos, à part, qu'elle vouloit évitter, en toutes sortes, d'avoir la guerre à Vostre Majesté; et que c'estoit par voz vertueuses responces et par voz démonstrations et appareilhz, qu'elle avoit passé si avant à tretter, et que, sans cella, il y en a assés qui l'eussent bien engardée d'y toucher, et la destourneroient encores d'y prendre jamais aulcune bonne résolution; par ainsy, qu'ilz estimoient que toute la ressource et restablissement de ceste pouvre princesse, et de son royaulme, concistoit en la seulle faveur et assistance, que Vostre Majesté luy feroit; dont semble qu'entre deux si contraires adviz le plus expédiant sera de suyvre une voye de millieu.

Et, à ce propos, Sire, ayant une foys la dicte Dame faict dellibération d'envoyer ung des plus grandz d'auprès d'elle en France, ainsy qu'elle mesmes m'en avoit touché quelque mot, pour honnorer, à son pouvoir, les nopces de Vostre Majesté, et la venue de la Royne Très Chrestienne; et mesmes ayant pensé que ce seroit le comte de Lestre, comme plus agréable à Vostre Majesté, affin de fère en cella quelque démonstration, qui correspondît à celle de l'honnorable convoy, qu'elle a faict fère, avec grande magnifficence et grande despence, par dix grandz navyres de guerre, à la Royne d'Espaigne, j'ay sceu que quelques malicieulx luy sont venuz mettre en avant qu'il y avoit grand apparance que le dict comte ne seroit bien receu; et que Vous, Sire, aviez donné à cognoistre, en l'endroict de Mr Norrys, que ses aultres ambassadeurs seroient peu respectez, dont debvoit considérer combien elle demeureroit moquée et offancée, si, à ung tel et si grand des siens, comme le dict de Lestre, n'estoit faicte la faveur et bon recueilh et bon trettement qu'elle s'attandoit; s'esforceans d'imprimer à la dicte Dame, bien qu'au plus loing de leur affection, qu'elle debvoit, par toutz moyens, retourner à la bonne intelligence du Roy d'Espaigne; et qu'allors elle n'auroit à se craindre de la France, et pourroit, à son playsir, disposer de la Royne d'Escoce. Sur quoy, voyantz qu'elle ne rejettoit le propos, ilz ont essayé de l'induyre à donner audience a Mr l'ambassadeur d'Espaigne sur l'occasion d'une lettre, qu'il luy a escripte; et semble bien, Sire, que si, de mon costé, j'eusse aultrement usé envers elle que sellon qu'il vous avoit pleu me le commander, sçavoir, de la plus gracieuse et modeste façon qu'il me seroit possible, qu'elle s'y fût condescendue, et heust du tout résolu de n'envoyer point en France et d'interrompre possible les affères d'Escoce; mais elle s'est tenue ferme à ne vouloir encores rien céder aulx choses d'Espaigne; et croy que si, du costé du duc d'Alve, ne vient quelque honneste satisfaction, que les différans auront plus empyré que amandé, d'y avoir faict cest essay, ayant la dicte Dame mandé à son depputé, qui est en Flandres, que, si le duc ne veult admettre la compensation des merchandises et prendre celles d'Angleterre au priz qu'elles ont esté vandues, qu'il s'en viegne, avec résolution qu'aussitost qu'il sera icy, l'on procèdera à la vante de celles d'Espaigne. Dont chacun estime que le dict duc plyera à ce poinct, et qu'il envoyera, pour cest effect, nouveaulx depputez par deçà; bien que l'entrecours et le commerce d'entre les deux pays n'est pour estre encores radressé.

Cependant le propos de n'envoyer poinct en France, et d'interrompre le tretté de la Royne d'Escoce, n'a poinct heu lieu; et a remiz la dicte Dame d'y dellibérer, dont j'ay esté conseillé de fère là dessus une petite négociation par lettre avec Mr le comte de Lestre, affin de luy bailler argument d'en parler à sa Mestresse. Je ne sçay encores ce qui en réuscyra; tant y a que, ayant moy mesmes à parler, dans ung jour ou deux, à elle, sur l'occasion de la dépesche de Vostre Majesté, du vıe du présent, qui m'est tout présentement arrivée, je mettray peyne de rabiller les choses, le plus que je pourray.

Le Sr de Valsingan est venu, ce dimenche passé, prendre son disner en mon logis, et m'a dict que Mr Norrys avoit tant faict qu'il avoit obtenu son congé, et que à luy estoit desjà résoluement commandé, par la Royne, sa Mestresse, de s'aprester pour luy aller bientost succéder; mais qu'elle n'avoit encores ordonné à l'ung le jour de son retour, ny à l'aultre celluy de son partement; et que, pour le peu d'establissement, qu'on disoit que la paix prenoit en France, qu'il n'ozoit y admener encores sa femme; jusques à ce qu'il eust veu sur ce lieu, comme il en alloit. A quoy je luy ay si bien respondu, jouxte le contenu de ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre, qu'il en est demeuré aultrement persuadé; et au reste, Sire, il jure et promect d'estre ambassadeur paysible près de Vostre Majesté; et de ne cercher aultre chose, en sa charge, que les moyens d'accroistre et augmenter davantaige l'amytié d'entre Vous et la Royne, sa Mestresse, et la bonne paix d'entre voz royaulmes et subjectz. Sur ce, etc.

Ce xxve jour de novembre 1570.

A la Royne.

Madame, par la lettre, que j'escriptz présentement au Roy, Voz Majestez verront comme la Royne d'Angleterre se répute estre mal trettée et ung peu rudoyée de certains propos, qui ont esté dictz et escriptz à son ambassadeur, touchant les affères de la Royne d'Escoce; et n'a pas long temps qu'elle me dict qu'il sembloit que Voz Majestez Très Chrestiennes fussent constituées entre elles, comme alliez à toutes deux, mais tenans l'oreille, qui devoit estre ouverte de son costé, toutjour bouchée, et celle du costé de la Royne d'Escoce très prompte et toutjour fort ententive à toutes ses pleinctes; et que vous ne vous portiez en cella ainsy égallement, comme l'équité et la rayson le requéroient.

A quoy je luy respondiz que, à la vérité, l'une et l'aultre vous debvoient compter pour leurs principaulx alliez et confédérez; et que, pour le regard d'elle, veu le bon estat de ses affères, Voz Majestez n'avoient à fère aultre office, en son endroict, que de vous conjouyr de sa prospérité, et luy offrir ce qui pouvoit estre en vostre puyssance, pour meintenir et acroistre sa grandeur, comme, à toute occasion, vous seriez prest de le fère; mais, quant à la Royne d'Escoce, je craignois bien fort que ceulx, qui la voyoient ainsy captive et deschassée de son estat, comme elle est, ne vous estimassent beaucoup plus abstreinctz par les trettez de pourchasser chauldement sa liberté et restitution que vous ne le faisiez; et, quant elle vouldroit considérer ung peu de plus près cest affère, et la despence que vous aviez desjà commancée pour préparer, dez l'esté passé, ung secours, et l'avoir, pour l'amour d'elle, despuys révoqué, et d'en entretenir meintennant ung aultre, sans l'envoyer, pour attandre le tretté; tant s'en fault qu'elle se deubt tenir offancée de Voz Majestez, que, au contraire, elle réputeroit vous avoir de l'obligation de l'honneste et modeste façon, dont vous y aviez procédé; et dont vous luy déclariez encores tout franchement la contraincte nécessité, que vous aviez, d'entreprendre quelque aultre essay, comme vous le pourriez fère, au cas qu'elle vollût rejetter celluy de voz honnestes prières et gracieuses remonstrances.

Ainsy la dicte Dame se modéra pour lors, et proposa d'envoyer le comte de Lestre devers Voz Majestez, pour fère la conjouyssance des nopces du Roy et de la venue de la Royne, vostre belle fille, et accommoder, par mesmes moyen, le faict de la Royne d'Escoce; mais quelcun, despuys, en a traversé le propos; dont j'en suys aulx termes, que je mande en la dicte lettre du Roy; et essayeray, Madame, à ceste prochaine audience, de rabiller le faict, et de moyenner, en quelque bonne sorte, si je puys, que le dict voyage du comte de Lestre, ou au moins de quelque aultre milor, ne soit interrompu, si toutesfoys Vostre Majesté me faict entendre qu'elle l'ayt agréable. Sur ce, etc.

Ce xxve jour de novembre 1570.

CXLVIIe DÉPESCHE

—du dernier jour de novembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrétaire.)

Audience.—Notification officielle des fiançailles du roi et des fêtes ordonnées pour célébrer le mariage.—Invitation faite à la reine d'Angleterre d'envoyer une ambassade extraordinaire au roi, et aux seigneurs anglais d'assister au tournoi qui est annoncé en France.—Vives sollicitations en faveur de la reine d'Écosse.—Gracieuses réponses d'Élisabeth sur la communication du mariage du roi.—Son emportement contre les déclarations qui lui sont faites au sujet de l'Écosse.—Sa ferme volonté de conclure le traité avec Marie Stuart sans l'intervention du roi.—Mémoire général sur les affaires d'Angleterre.—Détails secrets sur les projets des catholiques dans le pays de Lancastre; secours qu'ils demandent au roi; appui qu'ils espèrent du duc de Norfolk.—Hésitations d'Élisabeth sur le parti qu'elle doit prendre à l'égard de Marie Stuart; opinion émise dans le conseil qu'il faut la faire mourir; crainte de l'ambassadeur que l'on ait voulu l'empoisonner.—Négociations avec l'Espagne; persistance d'Élisabeth dans son refus d'accorder audience à l'ambassadeur d'Espagne.

Au Roy.

Sire, je me suys bien aperceu, ceste foys, qu'on s'estoit efforcé de randre la Royne d'Angleterre fort offancée contre Vostre Majesté, car je l'ay trouvée preste de me recommancer les mesmes querelles et plainctes, qu'elle m'avoit faicte, en la précédante audience; et, sans ce que Mr le comte de Lestre estoit, peu d'heures auparavant, arrivé de dehors, qui l'avoit entretenue sur une lettre, qu'il avoit naguières receue de moy, elle ne m'eust encores randu de si gracieuses responces, comme enfin, après avoir longuement débattu ensemble je les ay raportées; et croy que ce a esté aussi parce que, d'entrée, je luy ay dict que Vostre Majesté me commandoit de luy compter comme voz fianceailles avoient esté fort honnorablement faictes à Spire, le dernier dimenche du mois passé; et que, incontinent après, la Princesse Elizabeth s'estoit acheminée, en bonne et grande compaignye, pour venir en France; et que, sellon le compte de ses journées, elle debvoit arriver à Mézières le xxe du présent, où Vostre Majesté l'alloit rencontrer pour y célébrer, au playsir de Dieu, voz nopces, le xxııȷe, et que bientost après, vous en retourneriez vers Paris, pour y fère vostre entrée; auquel lieu vous aviez remiz les triumphes des nopces, parce que Mézières estoit trop petite ville pour un tel appareil; et y aviez, à ceste occasion, faict cryer un tournoy général, qui seroit ouvert, à toutz venantz, le premier jour de l'an. Ce que vous me commandiez de luy notiffier et aulx seigneurs de sa court, affin que, s'il luy playsoit d'y en envoyer, ou permettre qu'ilz y allassent, que Vostre Majesté et Monsieur promettiez qu'ilz y seroient bien receuz, et leur donriez lieu, avec vous mesmes, de s'esprouver aux honnestes exercices d'armes, qui s'y feroient; et que, pour l'honneur d'elle, ilz y seroient respectez et favorisez; qu'il me souvenoit bien de ce qu'elle m'avoit dict, que l'Empereur, envoyant la Royne d'Espaigne à son mary, la luy avoit recommandée, dont elle l'avoit grandement honnorée, et faict fort honnorablement convoyer, avec magnifficence et despence, par dix de ses grandz navyres de guerre, passant en ceste mer; et que, si le dict seigneur avoit, d'avanture, oublyé de luy fère une pareille recommendation, par lettre, de son aultre fille, qu'il envoyoit à ung grand Roy, son mary, qui luy estoit allyé, qu'il ne layssoit pourtant de la luy recommander de tout son cueur, et qu'il s'atandoit bien qu'elle useroit de toutes démonstrations de bienveuillance envers elle; et, quant bien il luy auroit plus expressément recommandé celle qu'il envoyoit en la mayson d'Austriche, d'où il est, qu'il y avoit plusieurs aultres bonnes occasions, qui la doibvent convyer d'avoir en non moindre recommendation celle qui vient en la mayson de France, où je la pouvois asseurer qu'elle estoit aultant aymée, honnorée et respectée que en nulle aultre part de la Chrestienté; et pourtant je m'asseurois qu'elle n'oblyeroit de envoyer quelque honnorable ambassade en France, pour fère, tout ensemble, deux grandes conjouyssances: l'une, pour les nopces de Vostre Majesté, et l'aultre pour la venue de la Royne Très Chrestienne, sa bonne sœur, et bonne voysine. Et luy ay bien vollu dire cella, Sire, parce que je sçavois qu'on luy avoit faict rompre sa dellibération d'y envoyer; puys j'ay adjouxté qu'elle debvoit prendre pour ung grand signe d'amytié, que vous luy feziez communication de chose si privée, comme vostre mariage, et que mesmes, il sembloit que vous augmentiez votre ayse du contantement que vous pensiez luy donner de celluy que Vostre Majesté recepvoit; que, outre cella, vous me commandiez de luy fère encores fort bonne part d'ung aultre bien grand contantement que vous aviez de voir vostre royaulme très paysible; et que vostre éedict s'y alloit establissant, ainsi que vous le pouviez souhayter, de quoy vous vous en conjoyssiez avec elle, comme avec celle qui proprement desiroit que ceste prospérité vous fût entière, et accomplye en vostre royaulme; et que vous luy en desiriez une toute semblable au sien, et luy offriez tout ce qui estoit en vostre puyssance pour l'y meintenir;

Que, pour la fin de vostre lettre, vous me commandiez luy fère entendre le singulier playsir, que ce vous avoit esté, de voir que voz honnestes prières et gracieuses remonstrances eussent eu tant de lieu que, pour l'amour de vous, elle heût envoyé ses depputez devers la Royne d'Escoce, pour donner commancement à ung bon traicté, et eust mandé retirer son armée de sur la frontière d'Escoce; de quoy ne vouliez faillyr de la remercyer; et la remerciés encores bien fort de vous avoir déclairé qu'elle seroit bien ayse de pouvoir honnorablement restituer la Royne d'Escoce par la voye du traicté; et que, quant cella n'adviendroit ainsy, qu'encores la renvoyeroit elle aulx seigneurs escouçoys qui tiennent son party; en quoy vous la supliez très affectueusement d'y vouloir persévérer, et de vous en fère bientost paroistre ceste sienne bonne intention par effect, affin de vous descharger de l'inportunité de ceulx qui vous abstraignoient, par vertu des traictez, de luy bailler secours; lesquelz se monstroient de tant plus ardantz à le pourchasser, que le comte de Lenoz poursuyvoit toutjour d'user de viollance contre eulx, au préjudice de la surcéance d'armes; et que vous desiriez, Sire, que les conditions du traicté réuscissent toutes bien fort seures et honnorables pour elle, et pareillement bien honnestes et esloignées de toute offance pour la Royne d'Escoce, et pour vous: ou bien, si c'estoit par l'aultre moyen qu'elle la vollust restituer, que vous y requériez sa sincérité et sa grandeur de cueur à le fère; en sorte que la liberté qu'elle luy donroit ne luy fût ung nouveau tourment et peyne.

La dicte Dame, depposant ung peu de la sévérité, qu'elle avoit usé à me recepvoir, m'a respondu que ces propos luy sembloient meilleurs qu'elle n'avoit espéré de les ouyr de Vostre Majesté, après une telle menace et rigoureuse démonstration, que vous aviez usée vers son ambassadeur, et préparée en Bretaigne; et qu'elle ne pouvoit fère que, pour ceulx de vostre mariage, elle ne vous en remercyât aultant, de vraye et bonne affection, comme il luy estoit possible de le fère, et que vous ne vous tromperiez jamais, si vous vouliez droictement croyre qu'elle estoit et seroit toutjours très ayse de voz prospéritez et contantemens, aultant et plus que nul de toutz les princes de vostre alliance; et, quoy qu'il y ayt, que vous luy feriez grand tort si ne demeuriez très fermement persuadé que vostre mariage luy est singulièrement agréable, et qu'elle prioyt Dieu d'y envoyer ses bénédictions, affin qu'il fust très heureux aulx espousez, et que la postérité en fust de mesmes très heureuse. Et s'est le propos poursuyvy à dire que Vostre Majesté se pouvoit promettre une bonne part de la vigne, qui est pour ceulx qui peuvent passer le premier an de leurs nopces sans se repentyr, et que ceste vigne estoit proprement pour les mariages si bien et si convenablement faictz comme le vostre.

A quoy j'ay adjouxté que Vostre Majesté n'avoit garde de tumber en nulle sorte de repentailles, et que celle de la vigne s'entendoit que nul n'estoit maryé de si bonne heure, qu'il ne se repentît de ne l'avoir esté plustost, et que j'espérois voir ung matin qu'elle seroit touchée de ce repentir; ce que, en soubzriant, elle a advouhé, et que mesmes elle en estoit desjà bien fort attaincte; et a continué que, quant à la recommendation que l'Empereur luy avoit faicte de la Royne d'Espaigne, cella estoit advenu, parce qu'elle avoit envoyé devers elle en Flandres, et puys devers luy à Spyre, sur l'occasion du différant, qu'elle avoit avec le Roy d'Espagne, qui n'estoit procédé de luy, mais de ses ministres; et que, voyant que sa fille auroit à passer en ceste mer, il luy avoit escript de luy vouloir randre son passaige bien asseuré, qui aultrement, possible, ne l'eust guières esté; et qu'encores que la Royne Très Chrestienne ne vînt poinct en ceste mer, si ne lairroit elle de l'honnorer; et puysque je luy faisoys ceste notiffication de la remise des triomphes à Paris, qu'elle adviseroit d'envoyer quelcun de sa part pour fère la conjouyssance, mais quant à tournoyer, qu'il y avoit quelques ans qu'elle avoit entretenu sa court, comme en veufve, sans y fère tournoys; dont craignoit que les braz de ses gentishommes fussent devenuz si engourdiz qu'en lieu d'aller aquérir de l'honneur; ils y gaignassent de la honte pour eulx et pour leur nation; au regard de la paix de vostre royaulme, que Vostre Majesté ne s'en resjouyssoit pas plus droictement qu'elle, qui ne cédoit à nul, qui, plus qu'elle, la vous desirât stable et de durée; ce qui la faisoit de tant plus esbahyr pourquoy Vostre Majesté entreprenoit de la rudoyer, et mal traicter pour la Royne d'Escosse, et qu'elle n'eust jamais pensé que vous l'eussiez vollue accomparer de respect à elle, et ne tenir en trop meilleur compte son amytié que celle de la dicte Royne d'Escosse.

Et s'est eslargie en tant de parolles aigres contre la dicte Royne d'Escosse, et sur vos dictes menaces, et sur les secours qu'elle entendoit s'aprester de rechef en Bretaigne, que je suys demeuré assés esbahy comme la dicte Dame estoit si changée despuys l'aultre foys, dont ne me suis peu tenir (luy gardant néantmoins toutjours tout le respect qu'il m'a esté possible), que ne luy aye fermement répliqué qu'elle se faisoit grand tort de prendre ainsy en mauvaise part les très honnestes et gracieuses remonstrances, que Vostre Majesté luy faisoit pour la Royne d'Escosse, et la franchise dont vous luy déclairiez comme vous estiez contrainct de la secourir; qui pourtant monstriez, par la patience dont vous y procédiez, que vous auriez grand regrect qu'il vous en fallust venir à tant. Et n'ay obmiz de luy respondre à toutz ses aultres argumentz, ung à ung, luy demandant enfin quelle aultre voye donques estimoit elle que Vostre Majesté pourroit tenir pour, tout ensemble, conserver son amytié, et s'acquicter de son debvoir envers la Royne d'Escosse.

A quoy, après y avoir ung peu pensé, elle m'a respondu qu'elle vous prioyt, de toute son affection, de ne monstrer, par voz parolles et aprestz, que vous mesprisez son amytié, et de ne vouloir traitter que honnorablement avec elle et avec son ambassadeur, comme elle estoit preste d'user de mesmes envers vous; car aymoit mieulx venir à toutes aultres extrémités que de souffrir rien qui fût indigne de sa réputation, ny de celle de sa couronne. Et quant au reste, elle me vouloit bien dire qu'elle ne prétandoit que nul aultre prince s'entremît du traicté d'entre elle et la Royne d'Escosse, que elles deux, et que je ne debvois craindre qu'il s'y fît ligue contre Vostre Majesté, mais bien pour se deffandre entre elles, si quelcun les vouloit assaillyr; et qu'elle avoit mandé, pour le jour d'après, l'évesque de Roz, et puys, pour le lendemain, l'abbé de Donfermelin qui estoit desjà arrivé, affin de les ouyr, l'ung après l'aultre, et donner, puys après, le plus d'advancement qu'elle pourroit au dict traicté.

Et n'ay raporté, pour ceste foys, aultre chose de la dicte Dame sinon que noz propos se sont terminez gracieusement, et j'ay sceu despuys qu'ilz ont eu beaucoup d'effect à la modérer sur tout ce qui peult concerner vostre commune amytié et les affères de la dicte Royne d'Escosse. Sur ce, etc. Ce xxxe jour de novembre 1570.

POUR FÈRE ENTENDRE A LEURS MAJESTEZ, oultre le contenu des lettres:

Que d'aulcunes choses, dont la Royne d'Angleterre est en peyne, il y en a principallement trois, qui, à ceste heure, la travaillent: l'ellévation à quoy se sont monstrez promptz ceulx de Lenclastre, où elle n'ose toucher, de peur que le mal n'en deviegne plus grand et plus universel en son royaulme; la seconde est les affères de la Royne d'Escosse, lesquelz sont suportez du Roy, et soubstenuz avec tant d'affection par une partie de ses subjectz, et contradictz si opiniastrément par l'aultre, mesmement par les évesques et principaulx de la nouvelle religion, qu'elle ne sçayt quel expédiant y prendre; la troisiesme est les différans des Pays Bas, desquelz tant plus l'accord s'en prolonge, plus les prinses se dépérissent, et elle s'en tient comme responsable, et les commerces cessent, desquelz avoit accoustumé de tirer les meilleurs et plus clairs revenuz;

Et, qui pis est, qu'il semble que ces trois causes se vont confortant l'une à l'aultre, et qu'elles sont pour devenir toutes à ung: à fère quelque grand effect dans ce royaulme, dont la dicte Dame assemble souvant ceulx de son conseil pour y remédier; et je ne sçay encores quelles résolutions ilz y mettent, parce qu'ilz les tiennent fort secrectes, mais voycy ce que j'ay aprins de particulier sur chacune des dictes occasions, d'où se pourra aucunement colliger à quoy elles auront à devenir.

Un seigneur bien entendu ez affères de ce royaulme, qui naguières estoit en conversation avec d'aultres personnaiges de bonne qualité, en ceste ville, leur dict que la Royne, leur Mestresse, estoit à présent fort particullièrement informée de ce qui se passoit au quartier de Lenclastre; et que ung des principaulx autheurs de l'entreprinse en estoit venu descouvrir si véritablement tout ce qui en estoit, qu'il n'avoit espargné d'acuser son propre père, et avoit esté enfermé quatre heures avec le secrétaire Cecille, pour luy notiffier les personnes, et luy expécifier les dellibérations, et luy ouvrir encores les moyens d'y remédier;

Et que, sellon son rapport, sembloit que le comte Dherby, deux de ses enfans, et la pluspart de la noblesse du pays se fussent ouvertement soubstraictz de l'obéyssance de la dicte Dame, et eussent déclairé de ne vouloir plus respondre à sa justice, ny obéyr à chose qui se fit par son autorité, allégans que Dieu et leur conscience les pressoient de ne recognoistre pour leur Royne et Souveraine celle qui estoit déclairée illégitime et interdicte par l'esglize, jusques à ce qu'elle se fût mize hors de l'interdict; et que c'estoit sir Thomas Stanlay, second filz du dict Dherby, qui conduysoit principallement cest affère, lequel se promettoit d'avoir toutz les principaulx de ce royaulme de son parti, hormiz le comte de Betfort, le comte de Huntington et le duc de Norfolc, parce que ceulx là estaient l'un épicurien, l'aultre sacrementaire, et le tiers neutre; et que la dicte Dame estoit pour demeurer en grand peyne de cecy, si de Lenclastre mesmes l'on ne luy eust mandé qu'elle ne s'en donnât poinct de peur, car il restoit encores des gens de bien en si grand nombre dans le pays qu'ilz romproyent ayséement les entreprinses de ces papistes.

J'ay entendu d'ailleurs que ung gentilhomme, que les dicts de Lenclastre avoient envoyé devers aulcuns seigneurs des quartiers de deçà, leur a dict qu'ilz se mettroient trente ou quarante mil hommes assés promptement ensemble, si eulx se vouloient déclairer ouvertement de leur party; et que iceulx seigneurs luy ont respondu qu'ilz ne pouvoient rien fère de eulx mesmes, si le duc de Norfolc n'estoit de la partie, lequel estoit encores dettenu, et ne monstroit qu'il eust vollonté de rien remuer.

Laquelle responce semble que, sans en rien communiquer au dict duc, ilz l'ayent ainsy expressément faicte à icelluy gentilhomme pour ne se descouvrir à nul anglois, car ilz ne se fyent les ungs des aultres; et que néantmoins semble qu'ilz sont assez délibérez et résolus à l'entreprinse, pourveu qu'elle soit conduicte secrectement, et que le dict duc en veuille estre, et donner parolle qu'il advancera le droict de la Royne d'Escosse au tiltre de ce royaulme, et qu'il promettra que l'exercice de la religion catholique aura cours pour ceulx qui la vouldront avoir; car aultrement ilz aymeroient mieulx que la Royne d'Escosse print le party du plus estrangier du monde que le sien; mais, cella accordé, qu'ilz tiendront l'entreprinse pour bien, fort advancée, en ce que le Pape, et le Roy, et le Roy d'Espaigne les veuillent secourir de six mil harquebouziers seulement, en six divers lieux, qui soient conduicts par gens, qui ne sachent en façon du monde où ilz vont.

Aulcuns estiment que le duc de Norfolc n'accepteroit que très vollontiers les dictes deux conditions, mais il ne peult fère aulcun bon fondement sur ceulx qui se meslent de l'entreprinse, s'estant trouvé une foys trop déceu en celle de son mariage; et aussi, qu'estant encores resserré, il estime, possible, qu'il ne se pourroit assés bien prévaloir de ses propres moyens.

Et d'ailleurs il se sent assés offancé d'aulcunes choses, que les principaulx de son intelligence ont exécuté contre luy, despuys sa détention, mesmement le viscomte de Montagu, lequel a faict tout ce qu'il a peu en faveur de millord Dacres, de qui il a espousé la sœur, pour débouter la niepce, qui est maryée au filz ayné du duc, de toute la succession Dacres; et millord de Lomelay, qui a espousé la fille du comte d'Arondel, de laquelle il n'a poinct d'enfans, voyant que toute la succession de son beau père va au filz ayné du dict duc, qui est filz d'une aultre sienne fille, il l'induict de vendre, pièce à pièce, tout son estat et ses terres; dont n'y a bonne intelligence entre les principaulx, qui sont pour fère quelque effect. Par ainsy semble qu'il seroit mal à propos de rien remuer, et le dict duc, de sa part, fonde toute son espérance des affères de la Royne d'Escosse, au secours et démonstrations du Roy; duquel il dict qu'il veult dépendre, et qu'il espère qu'avec une bien médiocre assistance de luy, les choses d'Escosse viendront à estre bien remédiées, et ne trouve bon que la dicte Royne d'Escosse ny luy s'embroillent avec les dicts de Lenclastre, lesquelz néantmoins se promettent du dict duc et des aultres principaulx seigneurs du royaulme, et encores des estrangiers, tout secours, quant il en sera besoing; et, attandans cella, ilz ne remuent rien, ny ne sont pareillement recerchez.

Au regard des affères de la Royne d'Escosse, les depputez, qui ont esté devers elle, ayant faict un très bon rapport des propos et démonstrations, dont elle leur a usé, tendans à une bonne paix et sincère amytié, sans fraulde, entre les deux Roynes et leurs royaulmes, ilz ont ayséement induict la dicte Royne d'Angleterre de vouloir venir en accord; laquelle a miz en considération ce que aulcuns aultres de son conseil luy ont remonstré, qu'elle avoit desjà beaucoup despendu pour les choses d'Escosse, sans avoir rien estably de ce qu'elle prétandoit, et que, quant ceulx du party de la dicte Royne d'Escosse ne viendroient estre qu'à moictié prez secouruz du Roy, de ce que le comte de Mora et celluy de Lenoz l'ont esté d'elle, que non seulement ilz déboutteroient leurs adversayres, mais pourroient procurer une dangereuse revenche contre l'Angleterre.

Ce qui a faict que la dicte Dame s'est fort opposée à ceulx qui vouloient interrompre le tretté, lesquelz n'ont heu enfin aulcun plus fort argument que de luy remonstrer que, puysque le Roy s'affectionnoit si fort à le pourchasser, elle debvoit croyre qu'il y prétandoit quelque grand intérest, qui ne se descouvroit encores, lequel pourroit bien revenir au dommaige d'elle; et que, quant bien il n'y auroit, à présent, sinon ce, qu'il l'a menacée, et qu'il a rudoyé son ambassadeur, encores importoit il grandement à sa grandeur et réputation qu'elle ne fist rien pour ceste foys.

Et a cella faict tant d'impression en l'opinion de la dicte Dame qu'elle s'est cuydée estranger de l'amityé du Roy, et se despartyr de tout bon propos d'avec la Royne d'Escosse. Néantmoins, en ma dernière audience, après avoir paysiblement escoutté tout ce que je luy ay vollu dire là dessus, conforme à l'intention du Roy, en la plus gracieuse façon et esloignée d'offance qu'il m'a esté possible, elle m'a enfin respondu ce qui est desduict en la lettre du Roy.

Dont ceulx qui sont contraires au tretté, voyantz qu'elle inclinoit toutjour de passer oultre, ont advisé de l'abstraindre, par la conscience, de ne le vouloir aulcunement fère, que, premier, la Royne d'Escosse n'ayt expressément promiz et fort solennellement juré qu'elle n'innovera rien en la religion, quant elle sera de retour en Escosse, ny pareillement en ce royaulme, si, d'avanture, elle y vient à succéder; et nous a esté raporté qu'ilz avoient encores passé oultre à dellibérer sur la vie de ceste pouvre princesse; dont en estant venu un tel advertissement à l'évesque de Roz, et s'estant là dessus la dicte Dame trouvée bien mal, nous avons esté en grand peur d'elle, et avons miz peyne que d'icy luy a esté envoyé aulcuns bien bons remèdes en fort grande dilligence.

Or, de ce qui se peult espérer de l'yssue de son faict, je l'ay assés desduict par toutes mes dépesches précédentes, et par celle de ceste datte, et que, nonobstant mes traverses, et empeschemens qu'on y faict, qu'il y a grande apparance que le tretté succédera avec le temps; et que l'abbé de Domfermelin, lequel, à ce qu'on dict, est venu devant, de la part du comte de Lenoz, pour l'interrompre, ne pourra sinon le retarder quelque peu de jours.

Quant aulx différans des Pays Bas, ceulx qui ont senty que la dicte Dame se tenoit offancée du costé de France, luy sont venuz mettre en avant qu'en toutes sortes elle debvoit retourner à l'intelligence du Roy d'Espaigne, et ne se soucyer de toutz les aultres accidans du monde. A quoy l'ayans trouvée en général fort bien disposée, ilz ont espéré de la pouvoir fère condescendre à ce particullier, de recepvoir une lettre de l'ambassadeur d'Espaigne, et de fère qu'elle luy randroit responce, ou luy accorderoit audience, ou bien envoyeroit quelques ungs du conseil pour tretter avecques luy; et, à la vérité, ilz ont trouvé moyen de luy fère bien recepvoir la dicte lettre, en laquelle le dict ambassadeur s'est seulement conjouy avec elle de ce que la Royne d'Espaigne, après avoir esté honnorablement convoyée par ses navyres, est arrivée à bon port le IIIJe du mois passé; et n'a touché aulcun autre poinct. Mais, quant il a esté question d'avoir la responce, et de passer plus avant avec le dict ambassadeur, elle a respondu qu'il suffizoit, pour ceste heure, qu'on dict à son secrétaire qu'elle avoit receu sa lettre, et avoit esté bien ayse, comme elle le sera toutjour, d'entendre toutes bonnes nouvelles de la Royne d'Espaigne, sa bonne sœur.

Sur quoy aulcuns se sont entremiz d'accommoder, et les aultres de traverser l'affère, qui enfin est demeurée en ce, que, si l'ambassadeur avoit quelque lettre de son Maistre pour la dicte Dame qu'il la luy envoyât, et elle adviseroit d'entrer en si bon tretté avecques son dict Maistre, qu'elle donroit à cognoistre de n'avoir heu jamais aultre desir que bien conserver son amytié; et que desjà elle luy avoit escript trois lettres, despuys ces différans, à nulle desquelles elle n'avoit esté respondue, et qu'il importoit beaucoup à sa réputation qu'elle ne parlât ny escripvît plus en ceste affère, jusques à ce qu'elle eust de ses nouvelles.

Et n'a rien servi de remonstrer à la dicte Dame que le dict ambassadeur pouvoit avoir des lettres de son dict Maistre, lesquelles ne luy estait loysible de présenter que par luy mesmes; car a respondu que si son Maistre ne la pryoit, par une sienne bien expresse lettre, de luy redonner sa présence, qu'elle ne l'y admettra jamais; et qu'il feroit bien d'en envoyer ung aultre, car la souvenance des choses qu'il avoit escriptes d'elle, et de ce qu'il s'estoit meslé de l'eslévation du North et de la bulle, ne permettoient qu'elle le peult avoir jamais agréable.

Et, sur ceste résolution, elle n'a plus vollu différer d'escripre à son depputé en Flandres, que, si le duc d'Alve ne vouloit admettre la compensation des merchandises, et prendre celles d'Angleterre pour le priz qu'elles ont esté vandues par dellà, qu'il s'en vint; et que, aussitost qu'il seroit icy, il seroit procédé à la finalle vante de celles d'Espaigne, dont s'entend que le Sr Thomas Fiesque sera de rechef dépesché pour venir accorder ce poinct; et que le duc d'Alve ne s'y opiniastrera; et, quant au principal faict de l'entrecours, que le Sr Ridolfy passera bientost devers icelluy duc, pour mettre en avant quelque bon expédiant.

CXLVIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de décembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Guillaume Bernard.)

Sollicitations pour ramener Élisabeth à de meilleurs sentimens envers la France.—Prière de l'ambassadeur au roi afin de l'engager à faire un plus favorable accueil à l'ambassadeur d'Angleterre.—Maladie subite de Marie Stuart.—Arrivée de quelques-uns des députés d'Écosse.—Affaires des Pays-Bas et d'Allemagne.—Prochain départ du cardinal de Chatillon.—Espoir de l'ambassadeur que Leicester, ou quelqu'un des grands d'Angleterre, sera envoyé en France à l'occasion du mariage du roi.

Au Roy.

Sire, après vous avoir dépesché mon secrétaire, le dernier de l'aultre mois, j'ay cerché de sçavoir en quelle disposition continuoit d'estre la Royne d'Angleterre vers Vostre Majesté et vers la Royne d'Escosse; et j'ay aprins, Sire, que luy ayant esté naguières parlé de l'ung et de l'autre, à heure bien propre, et en termes convenables pour luy oster l'impression de ces menaces et rigoureuses démonstrations, dont son ambassadeur s'est plainct qu'on luy avoit usé en France, elle a monstré d'avoir beaucoup de regrect que cella fût advenu pour interrompre les tesmoignages de la bonne affection, qu'elle se préparoit de manifester bientost au monde qu'elle avoit vers Vostre Majesté; et encores de celle que, pour l'amour de vous, elle vouloit fère sentyr à la Royne d'Escosse; et qu'on sçavoit bien qu'elle avoit desjà proposé d'envoyer une ambassade en France, non moins honnorable que si elle y eust dépesché ung sien propre frère, pour fère la conjoyssance de voz nopces et de la venue de la Royne, et pour honnorer l'ung et l'aultre, ensemble la Royne, vostre mère, de quelques présens, et de vous gratiffier et vous accorder tout ce qu'elle eust peu pour la Royne d'Escosse.

Sur quoy luy ayant, l'ung de ceulx qui estoient là présens, assés soubdain remonstré qu'elle ne debvoit laysser de le fère pour chose, que son ambassadeur luy eust escript, parce que moy, vostre ambassadeur par deçà, asseurois bien fort que Vostre Majesté n'avoit aulcune vollonté de l'offancer, et que mesmes elle pouvoit cognoistre qu'encores que vous travaillissiez de satisfère à ce que vous debviez à la Royne d'Escosse et aulx Escossoys, vous cerchiez néantmoins de n'avoir poinct de guerre à elle; car, d'ung costé, vous pourchassiez le tretté, et lui déclairiez, de l'aultre, qu'au cas qu'il ne succédât vous seriez contrainct d'envoyer vostre secours en Escosse; et s'est esforcé, par ce moyen, de ramener la dicte Dame à sa première bonne dellibération d'envoyer en France; de quoy elle ne s'est monstrée trop esloignée. Néantmoins, de tant que sa principalle entente est de fère veoir aulx siens que les princes estrangiers l'honnorent et la respectent, et que, là où ilz ne le vouldroient fère, qu'elle a le cueur bon pour ne leur rien céder, affin que cella luy serve pour se maintenir en plus d'authorité dans son royaulme, elle a enfin respondu que nul ne la debvoit conseiller de porter honneur à celluy qui luy vouloit oster le sien, ny de recercher d'amytié celluy qui mesprisoit la sienne, et qu'elle abaysseroit par trop la dignité de la couronne d'Angleterre, si elle monstroit de fère quelque chose par menaces; dont attandroit de veoir comme ses démonstrations de bonne vollonté auroient à être bien receues en France, premier qu'elle advanturast de les envoyer offrir.

Sur quoy j'ay esté advisé, Sire, par ung, qui est bien affectionné à vostre service, de vous debvoir escripre que, de tant qu'il ne vous peult estre imputé que à grande courtoysie de defférer quelque chose aulx dames, et que ceste cy n'a, au fondz de son cueur, que très bonne affection de persévérer en toute amytié et intelligence avec Vostre Majesté et avec la France; et qu'il est dangier qu'elle s'en retire, pour s'adjoindre ung aultre party qui la recerche infinyement, et où vous pourriez estre quelquefoys bien marry qu'elle y eust passé, lorsque, possible, vous vouldriez, avec très grand désir, l'avoir réservée du vostre; et que les affères d'Escosse ne succéderont que mieulx à vostre désir, et mesmes il vous viendra plusieurs aultres commoditez de ceste princesse et de son royaulme, si vous la regaignez; que Vostre Majesté fera bien de porter quelque faveur à son ambassadeur, et de luy tenir des propos honnestes, et plains d'amytié et de bienveuillance vers elle, luy faysant quelque part des nouvelles de vostre mariage; et que, estant les choses d'Escosse accommodées, ainsy que vous espériez qu'elles le seroient, par le tretté, et dont vous la priez que ce soit bientost, que vous pourrez, puys après, vivre en une très parfaicte intelligence et entière amytié avec elle; et que desjà le dict ambassadeur est adverty que s'il vous plaît, Sire, parler à luy en ceste sorte, que, pour deux motz que Vostre Majesté luy en dira, il y ayt à luy en escripre plusieurs de si bons à sa Mestresse, qu'il luy face perdre la mémoire de ceulx qui luy ont faict mal au cueur; et que, si Vostre Majesté avoit agréable de m'en fère aussi toucher quelques unes en vostre première dépesche, qui fussent assés exprès pour les pouvoir monstrer à la dicte Dame, qu'elle en demeureroit très grandement satisfaicte, et toutes choses en yroient mieulx. Dont de tant, Sire, que ce conseil ne peult estre que décent à Vostre Majesté, et que ceulx, qui portent icy les affères de la Royne d'Escosse, m'ont prié de le vous fère trouver bon, je n'ay vollu faillyr de le vous escripre tout incontinent, et adjouxter, Sire, qu'il me semble qu'il ne pourra estre que honneste et utille à vostre service d'en user ainsy.

Cependant il est advenu que la Royne d'Escosse est tumbée fort mallade, et qu'ayant changé d'air et de logis, à Chiffil, pour cuyder s'y trouver mieulx, son mal est augmenté, de sorte qu'elle a mandé à l'évesque de Roz de l'aller trouver en dilligence, et de luy admener ung homme d'esglize pour l'administrer; lequel est party ce matin pour luy aller luy mesme fère ce sainct office, par faulte d'aultre, et a mené deux bons mèdecins, que la Royne d'Angleterre luy a baillez, laquelle a escript une bonne lettre à la dicte Dame, qui la consolera grandement; car aussi nous a elle mandé que son plus grand mal est d'ennuy de ses affères, et que nous ne demeurions en souspeçon de l'adviz que nous luy avions mandé, parce qu'elle a fort bien prins toutjour garde à son vivre. Nous estimons que c'est son accoustumé mal de costé, et que bientost nous aurons meilleures nouvelles d'elle; lesquelles, Sire, je vous feray incontinent tenir.

L'abbé de Domfermelin a faict plusieurs vifves remonstrances à la Royne d'Angleterre pour rompre le traicté, desquelles elle a esté assés esmeue; mais enfin elle l'a renvoyé pour aller quérir les aultres depputez du party du régent, avec dellibération de passer oultre, monstrant toutesfoys n'estre contante que les depputez, qui viennent pour le party de la Royne d'Escosse, ne sont personnaiges plus principaulx qu'ilz ne sont: car a entendu que c'est seulement l'évesque de Galoa et milord Leviston; mais l'on luy a donné espérance que le comte d'Arguil pourra venir, ce qui fera encores quelque longueur en cest affère; mais j'y donray toutjour le plus de presse qu'il me sera possible.

L'on s'esbahyt qu'il y a plus d'ung mois que nul courrier n'est venu de Flandres, mais l'on ne le prend que pour bon signe, de tant qu'ayant esté escript au depputé, qui est en Envers, d'aller incontinent trouver le duc d'Alve à Bruxelles, pour luy proposer la dernière offre; et que, s'il y faict nulle difficulté, qu'il s'en retourne tout incontinent, l'on estime que le dict duc l'a acceptée, et que l'on est meintennant après à conclurre les chappitres de l'accord. J'entendz que le jeune Coban a esté licencié de l'Empereur, dez le vıııe du passé, pour s'en retourner devers sa Mestresse; il est encores en chemin, mais ung personnaige d'assés bonne qualité, allemant, est arrivé despuys deux jours, qui se dict ambassadeur du duc Auguste de Saxe, duquel je n'ay encores rien aprins de sa légation; je travailleray d'en entendre quelque chose. Monsieur le cardinal de Chastillon partit hyer de ceste ville pour aller à Canturbery, pour estre plus près du passaige, dellibérant d'attandre là des nouvelles de son homme, qu'il a envoyé en France. Il m'est, de rechef, venu visiter, avec plusieurs bonnes parolles de sa dévotion et fidellité vers vostre service, et qu'il n'a nul plus grand desir au monde que de vous en fère, et qu'il espère bientost vous aller bayser les mains pour plus expressément le vous tesmoigner. Sur ce, etc. Ce vııe jour de décembre 1570.

Je pense avoir desjà tant rabattu de courroux de la Royne d'Angleterre que, si elle n'envoye le comte de Lestre en France, que au moins y dépeschera elle ung aultre milord de bonne qualité.

CXLIXe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de décembre 1570.—

(Envoyée jusques à la court par Antoine Jaquet, chevaulcheur.)

Maladie de Marie Stuart.—État de la négociation qui la concerne.—Incertitude sur la négociation des Pays-Bas.—Nouvelles d'Allemagne.—Réclamations relatives aux plaintes des négocians de Rouen et de la Bretagne.—Résolution de la reine d'Angleterre d'envoyer un ambassadeur en France, à l'occasion du mariage du roi.

Au Roy.

Sire, il n'est venu aulcunes nouvelles de la Royne d'Escosse despuys mes aultres lettres, de devant celles icy, lesquelles sont du septième de ce mois, qui est signe, Sire, qu'elle se trouve mieulx, ou au moins qu'elle ne va en empyrant; car son mal est assés tost publié en ce royaulme. J'espère que, par mes premières, je vous pourray mander quelque chose de particullier de sa convalescence, sellon que les bons mèdecins, qu'on lui a admené d'icy, et les bons remèdes qu'on luy a envoyez, luy auront, avec l'ayde de Dieu, peu servir. Cependant l'abbé de Domfermelin a fort négocié en ceste court, pour interrompre le tretté, mais il ne l'a peu fère; dont, voyant que la Royne d'Angleterre incistoit toutjour que les depputez de son party vinssent, il s'est résolu de les attandre icy, et a dépesché ser Guilhaume Stuart en poste pour les aller quéryr, et pour apporter une dépesche et responce de la dicte Dame au comte de Lenos. Il estime que les comtes de Morthon et de Glames viendront. L'on a opinion que les depputez de l'aultre party sont desjà à Cheffil avec la Royne d'Escosse, leur Mestresse, et que l'évesque de Roz, qui l'est allée trouver, les admènera bientost par deçà. Je vays, en son absence, entretenant, la plus vifve que je puys, la pratique du dict tretté et, par toutes les sondes que je y fays, je trouve que la résolution demeure ferme de passer oultre; non que pour cella, Sire, il ne s'y voye beaucoup de difficultez, semblables à celles du passé, et mesmes que le comte de Sussex, à son arrivée, y en a semé plusieurs de celles qui tesmoignent le regrect, qu'il a, d'estre depposé de sa charge, et de ce que son armée luy a esté cassée, magniffiant ces derniers exploictz d'Escosse, et monstrant combien il seroit facille, et hors de dangier, d'y en exécuter de plus grandz, veu les ordinaires empeschemens, que Vostre Majesté et les princes de dellà la mer ont en leurs affères. Néantmoins l'on pourra juger plus à clair du succez de cest affère, quant toutz les depputez seront achevez d'arriver, ce que je n'espère devant le huictiesme de janvier.

Il est, coup sur coup, arrivé trois courriers de Flandres, qui sont allez descendre au logis du secrétaire Cecille en ceste ville, où il est encores mallade; qui les a examinez à part, et les a assés tost expédiez vers la Royne sa Mestresse, sans permettre qu'ilz ayent rien publié de leur dépesche. Tant y a que j'ay ung adviz d'assez bon lieu, que le duc d'Alve, en baillant sa responce au depputté de la dicte Dame, ne luy a accepté son offre, ny aussy ne la luy a reffuzée; mais il luy a miz en avant d'aultres gracieulx expédientz, par lesquelz il faict espérer à ceste princesse, et aulx siens, que non seulement le faict de ces prinses, mais aussi celluy du commerce et de l'entrecours, et pareillement toutz aultres différans, d'entre le Roy Catholique et elle, et d'entre leurs pays et subjectz, se pourront facillement accommoder, avant la fin de febvrier, ou au moins, dans tout le mois de mars. Je ne sçay si elle s'y endormyra, mais ceulx de son conseil monstrent qu'il y a une extrême nécessité de trafiquer en ce royaulme, et pressent bien fort l'ambassadeur d'Espaigne de leur ottroyer des passeportz, pour envoyer des navyres et merchandises en Biscaye et Andelouzie.

Le jeune Coban est arrivé, despuys trois jours, en ceste court, lequel n'a passé en ceste ville; dont n'ay encores rien aprins de certain de ce qu'il a raporté de sa légation. Il est vray que quelques lettres sont venues d'Allemaigne, par lesquelles l'on escript que l'Empereur luy a notiffié le mariage de l'archiduc Charles, son frère, avec la fille de Bavière, et que cella, avec quelques bonnes parolles d'amytié, ont esté toute la substance de la responce qu'il luy a faicte.

Il a esté procédé si gracieusement ez choses de Lenclastre, que les sires Thomas et Edouart Stanlays et le sire Thomas Gerard, soubz parolles de seureté, se sont enfin venuz représanter en ceste court, où le comte de Lestre et le secrétaire Cecille leur ont, d'entrée, monstré grand faveur. Je ne sçay quelle sera l'yssue de leur faict. Le dict secrétaire Cecille m'a envoyé, par le Sr de Quillegray, son beau frère, la responce, que les maire et eschevins de Londres font aulx remonstrances de voz subjectz de Roan, et m'a mandé que, si les dicts de Roan ne s'en contentent, qu'ilz les apostillent, ou bien qu'ilz depputent deux d'entre eulx pour en conférer avec deux aultres de Londres, affin de s'en accommoder ensemble. Car sa Mestresse; desire que, pour l'honneur de Vostre Majesté, ilz soyent contantés, et le commerce continué. Et m'a dict aussi le dict Cecille que, pour remédier aulx désordres d'entre la Bretaigne et l'Angleterre, il vous playse, Sire, ordonner à Mr de Montpensier de fère une recerche des prinses et déprédations faictes aux Anglois par dellà, et y depputer des commissaires pour en juger sommairement; et sa dicte Mestresse pourvoyra de fère le semblable par deçà, pour la restitution des biens des Bretons, et qu'aultrement le commerce d'entre les deux pays va estre de tout interrompu.

Monsieur le comte de Lecestre m'a envoyé dire, ce matin, par ung de ses gentishommes, qu'il a continué vers la Royne, sa Mestresse, la négociation que j'avois commancée avec luy, suyvant laquelle ayant priz en bonne part noz remonstrances, elle s'est résolue de persévérer en tous debvoirs de bonne amytié vers Vostre Majesté, et qu'elle envoyera une bien honnorable ambassade en France, pour fère la conjouyssance de voz nopces et de la venue de la Royne. J'entendz que ce sera milord Boucart, parant en mesme degré de la dicte dame qu'est milord d'Ousdon. Sur ce, etc. Ce xııȷe jour de décembre 1570.

CLe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de décembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Nouvelles de la santé de Marie Stuart.—Préparatifs de départ de lord Buchard et des seigneurs de sa suite pour assister aux fêtes du mariage du roi.—Négociation des Pays-Bas.—Nouvelles d'Allemagne.—Affaires d'Irlande.

Au Roy.

Sire, suyvant ce que, en mes précédantes du xııȷe de ce moys, j'avois espéré de vous pouvoir, par celles de ceste heure, mander de bonnes nouvelles de la Royne d'Escoce, il est advenu que Mr l'évesque de Roz m'a escript, du xȷe de ce moys, tout l'estat auquel il l'a trouvée, quant il est arrivé vers elle; qui est chose pitoyable à ouyr, mesmes que, oultre la complication de beaucoup de malladies, qui la pressent, elle est affligée d'ung extrême ennuy de ses affères, et d'un crèvecueur trop grand, qu'elle a d'aulcunes mauvaises parolles qu'on a aprins au Prince d'Escoce, son filz, de proférer d'elle. Néantmoins, par la bonne dilligence et les bons remèdes, qu'on luy a usé, les médecins jugent qu'elle est à présent hors de dangier; ce que je vous confirmeray, Sire, par mes subséquentes, sellon la certitude qui m'en viendra chacun jour. Les depputez de son party ne sont encores arrivez, et estime l'on qu'on a changé l'ellection, et que le comte d'Athil, ou celluy d'Arguil, avec milord Herys, seront envoyés. Leur longueur aporte beaucoup de retardement à leurs propres affères, et à ceulx de leur Mestresse.

Cependand milord Boucard se met au plus honneste équipage qu'il peult, pour aller trouver Vostre Majesté, et a commandé la Royne, sa Mestresse, au comte de Rotheland, et encores à vingt chevaliers ou gentishommes de sa court, de l'acompaigner, monstrant qu'elle veult honnorer, à son pouvoir, ce tant illustre mariage des deux personnes, qui sont les plus royalles et de la plus haute extraction de la Chrestienté, et d'honnorer encores particullièrement la venue de la Royne, comme d'une princesse, que, oultre les communes occasions de leur mutuelle bienveuillance, elle veult, pour l'honneur de l'Empereur, son père, contracter une fort estroicte et bien fort espécialle amytié avec elle. Et s'attand bien aussi la dicte Dame que Voz trois Majestez Très Chrestiennes et Messeigneurs voz frères, et Mesdames voz sœurs, et pareillement toute la France, luy gratiffierez ceste sienne bienveuillance et grande démonstration; laquelle je vous puys asseurer, Sire, qu'on me la tesmoigne icy pour une fort grande expression du desir, qu'elle a, de persévérer en toute bonne amytié avec Vostre Majesté, et d'accommoder encores, pour l'honneur de vous, les affères de la Royne d'Escoce; ce que je remets bien à le voir par les effectz. Tant y a que je vous suplie très humblement, Sire, de commander que les choses, qui conviennent à bien et favorablement recepvoir une si notable ambassade, soient ordonnées de bonne heure.

Au regard des différans de Flandres, j'entendz que le duc d'Alve a faict remonstrer, soubz main, au depputé de la Royne d'Angleterre qu'il ne pouvoit, en façon du monde, accepter son offre de prandre les merchandises d'Angleterre au pris qu'elles avoient esté vandues; car il y feroit, par trop, le dommaige de son Maistre, mais qu'il s'esforceroit bien de luy fère trouver bon que ce fût sellon qu'elles avoient vallu en Envers, ung mois auparavant les saysies, parce que l'empeschement, survenu despuys, sur le commun commerce des deux pays, les avoit faictes venir beaucoup plus chères; et que c'estoit ung expédiant, qui luy sembloit fort raysonnable, et par lequel il espéroit qu'on viendroit facillement au moyen d'accommoder les aultres affères du commerce, et de l'entrecours, et de toutz les différans qu'ilz pouvoient avoir ensemble; auquel expédiant, Sire, semble que ceulx cy condescendront, mais, de tant que le dict duc n'en a encores rien escript à l'ambassadeur, qui est icy, l'on estime que ce n'est matière bien preste.

Il ne se publie encores rien de la responce, que le jeune Coban a raportée de l'Empereur; pourra estre qu'avant mes premières j'en auray aprins quelque chose pour le vous mander, mais, quant à l'allemant, qui estoit arrivé ung peu devant luy, c'est ung capitaine qui s'appelle sire Mans Olsamer, d'Auxbourg, qui desire estre receu au service et à la pencion de la Royne d'Angleterre; et, pour tesmoignage de sa valleur, il a aporté des lettres de recommendation du duc Auguste, et quelque présent de coffres d'Allemaigne à la dicte Dame, et six belles pères de pistollés au comte de Lestre. L'on estime que luy et ung aultre ambassadeur, que le comte Pallatin et le comte de Mansfelt en mesmes temps envoyé icy, par prétexte de quelque reste de payement de reistres, poursuyvent ce que leurs aultres ambassadeurs, l'esté passé, avoient miz en avant d'une ligue avec ceste princesse, dont je mettray peyne d'en entendre ce qui en est.

L'ambassadeur d'Espaigne m'a dict qu'on avoit icy adviz d'Irlande comme les sauvaiges ont surprins ung chasteau sur ung port de mer, appartenant au comte d'Esmont, prisonnier en la Tour de Londres, lequel la Royne d'Angleterre avoit commis en garde à quelque aultre gentilhomme du pays, et que les dicts sauvaiges y ont miz une garnyzon de Bretons, de quoy l'on ne m'a encores parlé, et je n'en ay poinct d'adviz d'ailleurs; ayant au reste, Sire, bien dilligement considéré ce que Vostre Majesté m'a escript, du premier de ce moys, touchant le dict pays, qui est une chose qui se raporte assés bien à ce que je vous en manday, dez le xȷe de juing dernier; et me semble, Sire, que ceulx cy ont meintennant fort oublyé la plus grand souspeçon qu'ilz eussent en cest endroict, car ilz n'ont nul appareil sur mer; et si, estiment que l'Espaigne n'est encores bien délivrée des Mores, et que le Roy Catholique a receu honte et perte en l'entreprinse du Levant, n'ayant son armée de rien servy au secours de Nicocye[21], ny rien exploicté de bien, en tout le voyage, que la perte de quatre ou cinq mil soldatz, et s'est retirée, sans bonne intelligence, d'avec celles des aultres allyez. Possible qu'ilz s'endorment ez belles parolles du duc d'Alve. J'essayeray de voir, ung peu de près, où en sont, à présent, les choses, affin de vous en escripre plus à certain par mes premières; mais il est requis, Sire, qu'on y ayt principallement l'œil ouvert du costé d'Espaigne et de Flandres; car c'est là, où desjà sont passez ceulx qui ont à conduyre l'entreprinse, si aulcune s'en faict. Sur ce etc. Ce xvııȷe jour de décembre 1570.

CLIe DÉPESCHE

—du XXIIIe jour de décembre 1570.—

(Envoyée exprès jusques à Calais, par Jehan Monyer.)

Retour de sir Henri Coban de sa mission en Allemagne.—Rapport qu'il fait à la reine de ce qui s'est passé aux fiançailles du roi à Spire.—Conférence de l'ambassadeur et de lord Buchard.—Instructions qui ont été données à lord Buchard par la reine d'Angleterre.—Espoir de l'ambassadeur de ramener Élisabeth à une entière confiance dans le roi.—Convalescence de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, j'ay fort dilligemment cerché de sçavoir si ceulx cy avoient nul sentyment de l'aprest, que Vostre Majesté m'a mandé par sa lettre du premier de ce mois, mais je trouve qu'ilz ne se deffient à ceste heure, peu ny prou, de cest endroict, estans en termes de bien accorder leurs différans avec le duc d'Alve; et ayant la Royne d'Angleterre receu, par le retour du jeune Coban, qui a repassé par Flandres, une lettre du Roy Catholique et une aultre du dict duc, desquelles, à la vérité, je ne sçay encores la teneur; tant y a que le dict duc luy faict espérer beaucoup de l'amytié de son Maistre, et luy promect plusieurs bons offices de sa part; sur quoy elle et les siens sont à présent endormys. Il est vray qu'ayant la responce, que icelluy duc a faicte au depputé d'icy, (laquelle, du commancement, avoit semblé fort raysonnable), esté baillée à examiner aulx gens de lettre de ceste ville, ilz l'ont en quelque part trouvé captieuse, de sorte qu'on estime qu'il y aura encores bien à débattre. Le dict jeune Coban a faict ung honnorable rapport des fianceailles de Vostre Majesté, lesquelles il a veues cellébrer à Spire, et de la bonne grâce, vertu et débonaireté de la Royne, des vertueulx déportemens de Mr le comte de Retz aus dites fianceailles, avec honneur et dignité, et pareillement de monsieur le comte de Fiesque, et de toutz les Françoys, qui estoient en leur compaignie; et s'est loué des honnorables propos, que le dict Sr comte de Retz luy a tenuz de la Royne d'Angleterre, sa Mestresse, et de la faveur qu'il luy a faicte particulièrement à luy; mais quant aulx aultres contantemens, qu'il a raporté de la cour de l'Empereur, j'entendz que sa dicte Mestresse ne les a aulcunement goustez, ains qu'elle demeure offancée des responces, que l'Empereur luy a faictes; lesquelles j'espère que, par mes premières, je les vous pourray mander.

Lundy dernier, Mr de Valsingan me fit ung somptueulx festin, auquel il appella milord de Boucart, le comte de Rotheland, et une trouppe des plus habilles hommes de bonne qualité de ceste ville, qui me vinrent quérir fort honnorablement en mon logis; il me dict qu'il estoit du tout dépesché pour aller succéder à Mr Norrys, et qu'il me donnoit parolle, en homme de bien, de se comporter en telle sorte, en sa légation, que Vostre Majesté en auroit tout contentement; et me fit toute ceste compaignie une fort honneste démonstration de bienveuillance envers la France. Le dict Sr de Boucard me dict, à part, que sa Mestresse luy avoit commancé de bailler son instruction, et que, sans les choses que son ambassadeur luy avoit escriptes, elle eust faict fère le voyage par le comte de Lestre, lequel, à présent, ne pouvoit plus estre ainsy bien prest comme elle le desireroit; bien que je luy eusse, à ce qu'elle disoit, desjà interprété en si bonne sorte ce que Vostre Majesté avoit faict et dict, en l'endroict de son ambassadeur, qu'elle en demeuroit fort satisfaicte, mais qu'elle vouloit que le dict de Boucart accomplyst si honnorablement ceste légation au lieu du dict de Lestre, que Voz Majestez Très Chrestiennes, et toute la France, en puissiez recepvoir le contantement, qu'elle desireroit; et luy avoit parlé en une façon qu'elle monstroit ne vous porter moins bonne affection, que si elle vous estoit propre sœur germayne, et qu'elle fût vrayement fille de la Royne, vostre mère; et qu'il y en avoit, qui luy conseilloient de composer aultrement son langaige, quant il seroit en France, mais qu'il n'avoit garde, et qu'il vous représenteroit droictement les propos de sa Mestresse. Il est, à la vérité, ung bien modeste gentilhomme, et aussi bien intentionné que j'en cognoisse poinct en ceste court, il eust desiré que le terme de vostre entrée à Paris n'eust pas esté si court, affin d'avoir plus de loysir de se préparer; et luy ay donné quelque espérance qu'elle pourra estre prolongée jusques au vııȷe ou xe de janvier.

Je vays demain trouver la Royne, sa Mestresse, et espère, puysqu'elle a commancé de bien prandre mes raysons, que je la ramèneray aulx premiers termes de la bonne amytié, que Vostre Majesté desire continuer avec elle, sellon le bon argument que je luy en feray voir par vos lettres du xxıȷe du passé; et ne larray de luy toucher des affères de la Royne d'Escoce, encores qu'ilz luy soyent toutjours fort espineux; et la remercyerai de la consolation, qu'elle luy a donnée par ses lettres, en ceste grande malladye où elle a esté, de laquelle l'on pense icy qu'elle ne soit encores bien hors de dangier; mais, tout présentement, ung sien serviteur, qui est son fruytier, et faict l'office d'apoticquaire, et qui la servyt vendredy dernier à son disner, m'a apporté certaines nouvelles qu'elle se trouve mieulx. La Royne d'Angleterre est après à l'envoyer visiter par ung gentilhomme des siens, et luy envoyer une bague, qu'elle a faicte fère exprès, pour renouveler quelques merques d'amytié entre elles; et semble qu'il ne tient plus qu'aulx depputez d'Escoce qu'on ne procède au traicté. Sur ce, etc. Ce xxııȷe jour de décembre 1570.

CLIIe DÉPESCHE

—du XXIXe jour de décembre 1570.—

(Envoyée jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Audience.—Explication sur le mauvais accueil dont s'est plaint l'ambassadeur d'Angleterre.—Satisfaction de la reine.—Discussion des affaires de la reine d'Écosse.—Plainte d'Élisabeth au sujet des menaces faites par le roi.—Lettre secrète à la reine-mère. Conférence du cardinal de Chatillon avec l'ambassadeur; projet de mariage du duc d'Anjou avec Élisabeth.—Commencement de cette négociation.—Déclaration de Leicester qu'il favorisera ce projet.—Propos tenu à ce sujet par l'ambassadeur à la reine d'Angleterre.—Mémoire. Proposition du comte de Sussex sur les affaires de Marie Stuart.—Efforts des Anglais pour enlever à la France l'alliance de l'Écosse.—Poursuites dirigées au sujet des troubles du pays de Lancastre.—Affaires d'Espagne et des Pays-Bas.—Confiance des Anglais dans les promesses du duc d'Albe.—Négociation de sir Henri Coban en Allemagne.—Mécontentement d'Élisabeth contre l'Empereur.—Nouvelle d'un grand armement fait en Espagne.

Au Roy.

Sire, j'ay dict à la Royne d'Angleterre que sur la dépesche que je vous avois faicte par le Sr de L'Aubespine, touchant le malcontantement qu'elle avoit des choses, qui avoient esté faictes en l'endroict de son ambassadeur, Vostre Majesté ne m'avoit guières vollu différer sa responce, en laquelle j'avois trouvé tout ce qui s'étoit passé avecques luy, le jour dont il se pleignoit; dont me commandiez de le représanter à elle par le menu, et que, s'il luy restoit nul bon desir, ni aulcune bonne affection envers Vostre Majesté, et si elle ne vouloit condempner la franchise et sincérité, dont vous desiriez uzer en son endroict, vous espériez qu'elle n'interprèteroit que à bien tout ce qui vous estoit advenu de fère et dire, lors, à son dict ambassadeur: et néantmoins, parce que je vous avois mandé qu'elle desiroit d'en estre satisfaicte, vous n'aviez vollu différer d'en mettre la satisfaction dans vostre lettre, et y aviez adjouxté l'intention, dont vous aviez parlé, des affères de la Royne d'Escoce, et ce que vous en aviez encores sur le cueur; à quoy vous la supliez toutjour de pourvoir, et puys veniez, en vostre lettre, à d'aultres particullaritez, qui estoient toutes à son contantement; dont, de tant que vous y expliquiez si bien vostre intention, que je craignois d'offusquer beaucoup la clarté d'icelle, si je la rédigoys en mes propos, j'avois aporté le propre extraict de vostre chiffre, pour le luy monstrer, après toutesfoys avoir impétré d'elle qu'elle ne prendroit, sinon en fort bonne part, tout ce qui y estoit contenu.

La dicte Dame, me remercyant de la communication que je luy vouloys fère de vostre dépesche, affin d'y comprendre mieulx vostre intention, la leust fort curieusement du commancement jusques à la fin, et considéra de prez toutes les particullaritez qui y estoient contenues; et puys me dict qu'elle vouloit bien demeurer contante et satisfaicte de ce qu'il vous playsoit, et prendre de bonne part les bons argumens, qu'elle voyoit dans vostre lettre, de vostre bonne amytié vers elle; mais cella luy faisoit mal que vous l'y colloquiez segonde, après la Royne d'Escoce, bien qu'elle méritast d'estre première, et que, si vous y aviez touché aulcunes honnestes et bien gracieuses particullaritez pour elle, vous y aviez encores plus amplement poursuyvy les affères de la dicte Royne d'Escoce; dont eust desiré que, au moins ceste foys, vous eussiez oublyé d'y mettre le mesmes langaige, que vous aviez escript à son dict ambassadeur, mais il y estoit tout semblable; et qu'elle voyoit bien que vous ne l'aviez peu dire, ny escripre, à luy, ny à moy, sans que vous ne l'eussiez heu ainsy dans le cueur; néantmoins qu'elle estimoit que vous luy réserviez toutjour une très bonne affection, ainsy que vous l'escripvez; et que, pour le regard de la Royne d'Escoce, elle avoit esté très desplaysante de sa malladye, et de ce qu'il sembloit qu'elle ne fust encores hors de dangier, néantmoins elle l'envoyeroit visiter par ung gentilhomme, affin de luy donner toute la consolation qu'il luy seroit possible; qu'elle espéroit que ses depputez seroient bientost icy, luy ayant néantmoins mandé d'en fère venir de plus capables que ceulx qui avoient esté nommez, car c'estoit derrision d'envoyer ceulx là; et, qu'aussitost qu'ilz seroient venuz, des deux partys, qu'on procèderoit au tretté, auquel, quant à ce que Vostre Majesté me commandoit de prendre garde qu'il n'y fût rien faict à vostre préjudice, qu'elle ne le prétandoit aulcunement, mais seulement de fère que la Royne d'Escoce ne luy nuysît poinct à elle; au regard de voz nopces, qu'elle avoit receu ung singulier playsir d'en entendre l'honnorable récit, que je luy en avois faict, et qu'elle se délectoit de les ouyr cellébrer et magniffier, comme les plus honnorables de nostre temps; (ès quelles n'avoit esté besoing de dispence, ainsy que aulx aultres, où sembloit qu'enfin le Pape permettroit de se mesler avec les propres sœurs); et qu'elle les envoyeroit honnorer et aprouver encores de sa part, par ung de ses barons, qui estoit son parant fort prochain du costé de sa mère, lequel elle avoit expressément choisy à cest effect pour vous contanter; et vous pryoit, Sire, de le vouloir bien recepvoir, et l'accepter avecques faveur; et vous remercyoit, au reste, de tout son cueur, de ce que, pour vous avoir desiré toute félicité en vostre mariage, et avoir invoqué la bénédiction de Dieu sur icelluy, vous luy en avez souhayté ung pour elle, qui fust à son contantement, chose qu'elle s'asseure que vous luy vouldriez procurer de bonne affection, et elle aussi y vouldroit suyvre très vollontiers vostre jugement, sellon qu'elle s'asseuroit que vous luy vouliez beaucoup de bien, si elle en venoit à cella; et qu'au reste elle n'avoit poinct doubte de l'establissement de la paix de vostre royaulme, néantmoins qu'elle estoit infinyement bien ayse de vous voir bien résolu de la maintenir, et que toutz vos subjectz se rangeassent, comme ilz faisoient, à bien exactement l'observer.

Toutz lesquelz bons propos, Sire, elle a estenduz en plusieurs honnestes termes d'amytié et de bonne affection envers Voz Majestez Très Chrestiennes et au plaisir, qu'elle disoit participer avec celluy qu'elle jugeoit fort grand, et quasi incroyable, de la Royne, vostre mère, sur les prospéritez qu'elle voyoit aujourduy en ses enfans et en la France; ce que j'ay suyvy avec les meileures parolles, que j'ay estimé convenir à vostre grandeur et à l'honneur et dignité du présent estat de voz affères; et me suys ainsi licencié d'elle.

Or, Sire, le comte de Lestre m'a faict une ouverte démonstration de la bonne intelligence, en quoy la dicte Dame veult demeurer avec Vostre Majesté, mais que voz ennemys luy objectent que ce n'est de la dignité de sa couronne, ny de l'honneur de son royaume, qu'elle se laysse aller à voz menaces sur les affères de la Royne d'Escoce, et qu'il me vouloit dire que la dicte Dame avoit heu mille et mille foys plus de respect à vous pour la Royne d'Escoce, que non pas à elle, et que je pouvois dire qu'en vostre nom j'avoys tiré son affère hors des abismes, néantmoins qu'elle en vouloit bien avoir le gré et l'honneur, et que tout seroit gasté, si l'on y procédoit par rigueur; dont ayant Vostre Majesté à procéder en cella avecques une femme, desiroit qu'il vous pleust luy uzer de toutes agréables parolles, et encores de gracieuses prières, et qu'avec ceste courtoysie le dict sieur comte espéroit de vaincre les adversayres de ceste cause, lesquelz il estoit incroyable combien ilz lui avoient donné de peyne jusques icy. Et sur ce, etc. Ce xxıxe jour de décembre 1570.

A la Royne.

(Lettre à part.)

Madame, j'ay à dire à Vostre Majesté touchant le particullier de la petite lettre du xxıe de novembre que, quant Mr le cardinal de Chastillon a repassé en ceste ville, en s'en retournant d'Amptome, il m'est venu visiter pour satisfère, à ce qu'il dict, à son debvoir envers Voz Majestez, et a curieusement examiné de quelle intention Elles et Monseigneur estoient en l'entretennement de la paix, et si elles se vouloient poinct tirer hors de la subjection du Roy d'Espaigne et des aultres princes, qui tirannisent vostre couronne, et si Mon dict Seigneur estoit si avant au party de la princesse de Portugal qu'il ne peult entendre à celluy de la Royne d'Angleterre, lequel, s'il le vouloit, se pourroit meintennant conduyre, estendant son propos en plusieurs aultres choses, lesquelles revenoient toutes à ces trois poinctz.

Je luy ay respondu, quant à la paix, qu'il ne doubtât que Voz Majestez et Monseigneur ne la rendissiez stable et de durée, jouxte l'édict, qui en avoit esté faict, pourveu que eulx, de leur costé, l'observassent; que vostre dellibération estoit de fère voz affères, sans dépendre de nul aultre prince, mais qu'il seroit bien dangereux, à la fin de ceste guerre des Protestans, d'en laysser renoveller une des Catholiques, veu l'intelligence que luy mesmes disoit que les aultres princes avoient dans le royaume; par ainsy qu'il vous failloit laysser bien establyr, et qu'il considérât combien il avoit esté besoing que Voz Majestez et Mon dict Seigneur eussiez usé d'une ferme et constante vertu, et d'une grande magnanimité, à fère ceste paix, estant assez contradicte de toutz les aultres princes catholiques; que, touchant la Royne d'Angleterre, elle avoit toujour monstré ne vouloir poinct de mary, ou de ne vouloir entendre à nul autre que à l'archiduc; mais si, à ceste heure que Mon dict Seigneur estoit en fleur d'eage, et florissant en toutes vertuz, aultant et, possible, plus que nul prince de la Chrestienté, elle trouvoit bon de l'espouser, je ne faisois doubte que luy et Voz Majestez, et toute la France, embrassissiez ce party avec toute affection, comme le plus grand et le plus honnorable de toutz les aultres, et duquel j'estimois qu'adviendroit plus de réconcilliation au monde, plus de paix à la France, et plus de terreur aulx ennemys d'icelle, que de nulle chose, qu'il se peult aujourduy mettre en avant.

Ce qu'il monstra de recepvoir avec affection et d'en demeurer bien fort consollé; et s'en retourna, puys après, au logis du comte de Lestre, où il fut tout le soir en privée conférence avecques luy: puys, le matin, il me manda qu'il espéroit que noz propos produyroient quelque bon effect.

Peu de jours après, ainsi que j'étois bien mallade, le Sr Guydo Cavalcanty me vint, par forme de visite, en mon lict entretenir d'ung grand circuyt de bonnes parolles; lesquelles il fit tumber sur Mon dict Seigneur, et que le mariage de l'archiduc avec la fille de Bavière, l'indignation, que la Royne d'Angleterre en avoit prins, et ce qu'elle vouloit bien monstrer qu'elle estoit pour trouver aussi bon party que le sien; et puys les différans des Pays Bas, ceulx de la Royne d'Escoce, la paix de la France, l'accommodement qui se pourroit fère de Callais, s'il y avoit enfans, la disposition venue de Monsieur, qui estoit desjà homme, celle qui commanceroit doresenavant de passer de la dicte Royne d'Angleterre, estoient toutes influances pour fère effectuer, ceste année, ung bien heureux mariage entre eulx; et que, si je le trouvois bon, il en mettroit quelque chose, comme de luy mesmes, en avant au secrétaire Cecille, avec de si bonnes considérations, qu'il espéroit qu'elles auroient effect, me priant de fère entendre ceste sienne bonne intention à Vostre Majesté.

Auquel Cavalcanty, parce que je le cognoissois fort de ceste court, et que c'estoit luy qui avoit toutjour entretenu le party de l'archiduc, je respondiz que le propos me sembloit si honnorable et si advantaigeux pour Monseigneur, que j'avois ung grand playsir qu'il me l'eust miz en avant, et que je ne fauldrois d'en donner adviz à Vostre Majesté, ne voyant qu'il y peult avoir que tout bien d'en entamer telz propos, comme il les sçauroit bien penser et bien sagement conduyre, car je le réputois pour ung expécial serviteur de Vostre Majesté et bien affectionné à la France; que, pour ma part, ne saichant, à présent, en quelle disposition vous en pouviez estre, je ne luy pouvois dire sinon que, de toutz les partys, dont je vous avois ouy fère grand cas; mesmes pour le Roy vostre filz, vous aviez toutjour estimé le plus grand et le plus digne celluy de la Royne d'Angleterre; et que sur ung tel fondement se pourroit bien establyr une bonne alliance, si l'on s'y disposoit du costé de deçà.

A trois jours de là, le dict Cavalcanty me revint trouver, qui me dict avoir desjà ouvert ce bon propos au dict secrétaire, et qu'il l'avoit receu avec affection, mais que, ayant esté longtemps mallade, sans avoir veu sa Mestresse, il ne l'avoit peu suyvre; mais il l'avoit pryé de l'aller trouver à Amthoncourt, aussitost qu'il y seroit, et qu'ilz en tretteroient plus amplement.

Despuys cella, Madame, j'ay esté au dict Amthoncourt, où me trouvant à part avec le comte de Lestre, après d'aultres discours, je luy ay dict tout ouvertement qu'ung personnaige de bonne qualité, lequel toutesfoys je ne luy ay point nommé, m'avoit tenu le susdict propos, lequel j'avois receu avec honneur et respect, mais que je n'en voulois user sinon ainsy qu'il me conseilleroit; car je sçavois que Voz Majestez le réputoient comme conseiller et protecteur de tout ce que vous auriez à fère en ce royaulme, et que, si quelque chose debvoit advenir de cella, vous ne vous en vouldriez jamais adresser qu'à luy. Lequel me respondit qu'il y avoit plusieurs jours qu'il avoit desiré de conférer avecques moy de cest affère, sur ce qui en avoit esté desjà miz en termes par le vydame de Chartres et par d'aultres, mais, plus expressément que par nul, par Mr le cardinal de Chastillon, qui avoit parlé si haultement des grandes qualitez de Monsieur, comme le cognoissant bien, qu'il l'avoit faict le plus desirable prince de la terre; que, de sa part, il s'estoit toutjour opposé au party d'Austriche bien que, en aparence, utille à sa Mestresse, mais puysqu'elle estoit résolue de n'entendre à celluy de nul de ses subjectz, qu'il se vouloit sacriffier pour conduyre celluy de Monsieur; et qu'il y vouloit procéder en telle façon que ung esgal et mutuel advantaige fût gardé aulx deux, affin de ne fère naistre d'ung tel pourchaz d'amytié aulcune matière d'offance, comme il voyoit bien qu'il en restoit quelcune assés grande du propos de l'archiduc, et qu'on estoit pis que jamais avec le Roy d'Espaigne, nonobstant les bonnes lettres, que luy et le duc d'Alve avoient naguières escriptes; et que, en brief, il viendroit exprès à Londres pour me festoyer en sa mayson, et pour tretter amplement de cest affère avecques moy; duquel il estoit d'adviz que je touchasse cependant quelque mot à la Royne, sa Mestresse; et qu'il espéroit que, sur ceste occasion, se dresseroit ung voyage pour luy en France, puysqu'il avoit failly ceste foys d'y aller; et qu'il avoit ung infiny desir d'aller bayser les mains à Voz Majestez, comme recognoissant le Roy pour son supérieur, à cause de l'honneur, qu'il luy avoit faict, de son ordre.

Et de ce pas il me mena en la chambre privée de sa Mestresse, où je la trouvay mieulx parée que de coustume, et qui monstra qu'elle s'attandoit bien qu'en luy parlant des nopces du Roy, je luy en desirerois une pour elle; à quoy elle m'achemina, par aulcuns siens propos, sur lesquelz enfin je luy diz qu'il me souvenoit bien de ce qu'elle m'avoit asseuré de n'avoir poinct faict de veu de ne se maryer pas, et que le plus grand regrect qu'elle eust estoit de n'avoir pensé de bonne heure à sa postérité, et qu'elle ne prendroit jamais party, qui ne fût de mayson royalle, convenable à sa qualité; sur quoy je serois marry qu'elle m'estimât si mal abille que je n'entendisse bien que cella quadroit merveilleusement bien en Monseigneur, frère du Roy, comme en celluy, lequel j'osois (sans passion ny flatterye) réputer le plus acomply prince, qui aujourduy vesquit au monde pour mériter ses bonnes grâces; et que je me réputerois le mieulx fortuné gentilhomme de la terre, si je pouvois intervenir à quelque commancement d'une si heureuse alliance, qui peult revenir à bon effect; car j'en demeurerois cellèbre à toute la postérité.

La dicte Dame receust merveilleusement bien ce peu de motz, et me respondit que Monsieur estoit de telle estime et de si exellante qualité qu'il estoit digne de quelque grandeur qui fût au monde, et qu'elle croyoit que ses pensées estoient bien logées en plus beau lieu qu'en elle, qui estoit desjà vieille, et qui, sans la considération de la postérité, auroit honte de parler de mary, et qu'elle estoit desjà de celles dont on vouldroit bien espouser le royaume, mais non pas la royne, ainsy qu'il advenoit souvent entre les grandz, qui se maryoient la pluspart sans se voir; et que ceulx de la mayson de France avoient bien réputation d'estre bons marys, à bien fort honnorer leurs femmes, mais à ne guières les aymer. Et suyvyt assés longtemps ces propos avec toutes les plus honnestes et favorables parolles, qui se pouvoient respondre à ung, qui monstroit ne parler aulcunement que de luy mesmes, et sans aulcune charge. Dont ne fault doubter, Madame, que ce qui en seroit meintennant miz en avant ne fût receu d'elle, et embrassé de tout son royaulme, avec affection; mais je ne puys juger encores si elle l'acomplyroit par après, car souvent elle a promiz à ses Estats de se maryer, et puys elle a trouvé moyen d'en prolonger et interrompre les propos. Néantmoins, de tant qu'on imputera à une très grande faulte à la France d'avoir layssé eschapper ung si grand party, comme est cestuy cy, qui semble se présenter à Monseigneur, je desirerois que vous l'eussiez desjà disposé de le vouloir; et que, sur ce qui en est desjà entamé entre Mr le comte de Lestre et moy, Vostre Majesté me commendast de passer oultre, et me prescript la forme comme j'aurois à le fère: car il me semble bien que ce sera à nous (si l'on en vient là) de parler les premiers, mais qu'il fauldroit qu'ilz y respondissent si clairement que l'affère fût plus tost conclud que divulgué, à cause des jalouzies, traverses et inconvénians, qui y pourroient survenir; et puys après, l'on y pourroit bien adjouxter les cérémonyes et respectz qui y seroient nécessaires pour honnorer l'acte; surtout je prendray garde, aultant qu'il me sera possible, que n'y soyez trompez ny remiz à nulle longueur. Sur ce, etc.

Ce xxıxe jour de décembre 1570.

Chargement de la publicité...