Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
PAR POSTILLE.
Pendant que j'ay faict mettre au net la présente, j'ay esté devers les susdictz seigneurs du conseil, qui m'ont faict une assez rude déclaration touchant la pleincte de leurs subjectz; dont je vous manderay, Madame, par mes premières, comme le tout a passé entre nous. Et voulant desjà clorre le pacquet, le Sr du Vassal, qui estoit allé pour mon audience à la court, et à qui j'avoys donné charge de sçavoyr résoluement comme je y serois receu, m'a rapporté, de la part du comte de Lestre, que la Royne, sa Mestresse, me mandoit que je serois le bien venu quand il me playroit; et que je sçavoys bien ce qu'elle n'avoit dict dernièrement, qu'encor que ma légation fût expirée, qu'elle ne layrroit de traicter avecques moy comme avec ung gentilhomme françoys, ministre du Roy, mon Maistre, lequel, avoit bien agréable, mais qu'elle ne pouvoit, en façon du monde, me recevoyr plus comme ambassadeur, jusques à ce que j'eusse nouvelle commission du Roy, qui est à présent. Sur quoy je me suis arresté, et suis tout résolu, Madame, de ne fère tant de préjudice à la grandeur du Roy, vostre filz, et à la vostre, ny tant d'indignité à la charge qu'on m'a veu exercer, icy, les six ans passés, que d'y aller maintenant en aultre qualité, dont vous plerra adviser de quelque expédient. Et s'il vous playsoit fère venir mon successeur, pour estre quelques moys, icy, agent, pendant que les lettres du Roy, vostre filz, luy arryveroient pour estre ambassadeur, nous conduyrions, par ensemble, la négociation ung espace de temps; et puis je la luy layrroys, au partyr, si clère et nette, qu'il ne s'y sentiroit aulcune mutation, sinon possible en mieulx, en ce que, mieulx que moy, il pourroit fère. Et vous pléra, Madame, pourvoyr promptement à ce faict, de peur que les affères de Voz Majestez ne reçoyvent quelque détriment, par faulte de personnage qui les puisse aller négocier avec la dicte Dame.
CCCXCIIe DÉPESCHE
—du VIIIe jour de juillet 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer).
Déclaration faite à l'ambassadeur, en conseil, que la reine a pris la résolution de permettre à ses sujets d'user de représailles sur mer contre les Français.—Protestation qu'elle ne veut pas pour cela abandonner l'alliance, ni faire acte d'hostilité.—Regret témoigné par l'ambassadeur de ce que des excès ont été commis sur mer, et par les Français et par les Anglais.—Son desir qu'il y soit remédié conformément au traité.—Ses plaintes contre les secours donnés, depuis le commencement des guerres civiles, aux révoltés de France.—Ses remontrances à raison des prises faites par les Anglais.—Protestation de sa part qu'il prendra toute autorisation de représailles comme une infraction au traité d'alliance.—Déclaration du conseil qu'il en sera référé à la reine.—Ordre donné de mettre tous les navires en mer.
A la Royne, Mère du Roy, Régente.
Madame, ayant, jeudy dernier, esté appellé en la mayson de milord Quipper par les principaulx de ce conseil, j'ay trouvé qu'il y en avoit neuf des principaulx desjà assemblez et assis, lesquels m'ont assez bien receu; et s'estantz remis, chascun en sa place, et m'ayantz, ainsy que de coustume, donné celle du premier lieu, ilz ont esté quelque temps en silence, comme s'ilz attandoient que j'ouvrisse le propos; mais voyantz que je ne sonnois mot, milord Quiper et milord trézorier m'ont dict que la Royne, leur Mestresse, avoit ordonné que aulcunes choses, qui estoient d'assez d'importance, me seroient déclarées en ceste assemblée; lesquelles ilz me prioient de les vouloir ouyr de Me Smith.
Et tout aussytost, s'estant le dict Me Smith levé, il m'a, avec ung peu d'apparat, dict que les grandes et fréquentes plainctes, qui, depuis ung an, estoient venues, et venoient encores tous les jours à la dicte Dame, des déprédations, volleries, meurtres et rançonnementz que les subjectz de ce royaulme souffroient, en mer, par les Françoys, et mesmes bien freschement de celles que deux navyres de guerre, qui s'avouoient au Roy, l'ung nommé le Prince et l'autre l'Ours, exécutoient sur eulx, et le peu de justice qu'ilz trouvoient en France ez officiers de sur les lieux; lesquelz, encor que le Roy et les seigneurs de son conseil ordonnassent souvant de bonnes provisions, ilz les mesprisoient, et ne tenoient compte de les exécuter, et layssoient intimider devant eulx, injurier, battre, mutiller et meurtrir ceulx qui en alloient fère la poursuyte, sans qu'on leur eût encores jamays veu fère punition d'ung seul pirate, ny une seule restitution, bien que la dicte Dame en eût faict addresser ses pleinctes fort souvant par moy mesmes, et ordinayrement par ses ambassadeurs, à Voz Très Chrestiennes Majestez, et se fût mise en tout debvoir de punir, de son costé, ceulx de ses subjectz qui avoient troublé la mer, et donné toute satisfaction aulx Françoys;
Et voyant, à ceste heure, le désordre continuer tousjours plus grand sur les siens, et les remèdes de justice leur deffallyr du tout, ainsy qu'il apparoissoit par le faict de Me Warcop, qui estoit fondé en très grande équité; et par celluy de Guyllaume Rutheau, qui avoit obtenu lettres patantes du grand sceau pour estre satisfaict en l'espargne, sellon que ses biens avoient esté prins pour les exprès affères du feu Roy, néantmoins le trésorier de l'espargne en refuzoit le payement; ensemble de plusieurs aultres semblables accidantz de ses subjectz, qui ne cessoyent d'inquiéter la dicte Dame, et ceulx de son conseil, de leurs très lamentables doléances;
Elle, pour ne laysser dépérir le commerce, ny voyr cesser la navigation en son royaulme, qui estoient les deux choses qui principallement maintenoient son estat, avoit advisé que, sans plus m'en parler, ny aller plus à pleincte à Voz Majestez Très Chrestiennes, elle adviseroit des remèdes que, par l'advis de ceulx de son conseil, elle avoit jugé les plus propres et les plus expédientz, pour récompenser et desdomager ses dictz subjectz et leur assurer leurs dictz navigation et commerce, sans, pour ce, altérer la bonne paix qu'elle vouloit droictement garder au Roy, vostre filz, et à son royaulme; et que ce qu'elle en faysoit estoit principallement pour obvier que les choses ne passassent si avant que la dicte paix s'en peût rompre; par ainsy, s'il advenoit que je vîsse ou ouysse parler de quelque nouvel ordre sur la mer, que je n'en prinse poinct d'esbahyssement.
Et, sans passer plus oultre, m'ayant lors exibé ung grand cahier de pleinctes, qu'il disoit n'y avoir esté satisfaict, et ung role de restitutions faictes aulx Françoys à mon instance, il s'est tourné rassoyr.
Et les aultres s'estantz rendus fort attentifs à ce que je respondrois, je leur ay dict, que le propos, qu'ilz m'avoient maintenant faict tenir, venant de la Royne, leur Mestresse, et d'ung si prudent et vertueux conseil, comme le sien, se trouveroit, à mon advis, pour le regard de celle partie qui faysoit mencion de garder droictement l'amityé, très conforme au desir du Roy, vostre filz, et au vostre, de façon que je leur pouvois assurer que Voz Majestez, et toutz ceulx de vostre couronne, l'auroient très agréable; et encores ne pensois je que l'autre partye, qui monstroit avoyr de l'altération, vous peût du tout desplayre, parce qu'elle tendoit à descouvrir franchement les occasions qui avoient commancé de troubler, et qui troubleroient davantage la clerté de ceste amityé, si elles n'estoient remédiées; que le remède n'en seroit désormais difficile, puisque les causes du mal estoient descouvertes, lesquelles ne me sembloient ny si griefves, ny de tel poids, qu'elles peussent esbranler la très solide et très ferme, et très sainctement jurée, bonne amityé qui avoit, depuis quinze ans, prins son fondement sur la mutuelle bonne inclination que Voz Majestez s'estoient réciproquement portée;
Que, touchant les désordres de la mer, et manquement de justice, en France, pour leurs subjectz, j'étois très marry qu'ilz eussent occasion de s'en douloyr, et je m'en voulois douloir avec eulx, n'estant du debvoir de la confédération qu'ilz receussent injure de nous, ny qu'elle ne fût réparée, quand nous la leur aurions faicte, car les trettés le portoient ainsy; mais la malice du temps avoit assez privé en France et l'estranger et le subject de l'ancien ordre de la justice; néantmoins je pouvois tant affirmer, de l'intention et desir de Voz Majestez Très Chrestiennes et de vostre conseil, que les provisions, qui avoient deu en cella procéder de très justes princes, et très sévères et équitables conseillers, n'y avoient jamays deffally; que eulx mesmes estoient ceulx, et je les supplyois de n'estre offancés d'ouyr ceste vérité, qui avoient donné commancement à ce mal: car, jusques en l'an 1568, encor que nos troubles eussent desjà duré cinq ou six ans, les Angloys n'avoient toutesfoys senty de nous, ny nous d'eux, aulcune injure sur la mer; mais, après qu'ilz avoient eu admis, icy, Chastellier Portault comme visadmyral, nonobstant qu'il fût un fuitif condampné à mort par justice, et qu'ilz eurent donné lieu aulx commissions du Prince de Condé et du cardinal de Chastillon et du prince d'Orange, et dernièrement à celles du comte de Montgommery, et que, soubz icelles, ung grand nombre d'angloys, et pareillement beaucoup de fuitifz françoys, escossoys et walons, eurent entreprins, soubz la faveur de ce royaulme, sortantz de leurs portz et y ayantz leur retrette, de piller les Catholicques, et de débiter par deçà leurs prinses, la mer avoit esté incontinent remplye de très grands désordres; et, encor que, depuis, ilz s'estoient efforcez de les réprimer, et que la Royne, leur Mestresse, eût commandé de fère justice, elle n'avoit esté faicte entière, ny à toutz, ny contre toutz. Et bien souvant une partye du principal, avec les frays, ou toutz les deux ensemble y estoient demeurés, de façon que le dommage des Françoys restoit encores et en diminution de leurs biens, et en injure et violence contre leurs personnes, et en perte de navyres, si grande qu'il excédoit de dix mille pour cent celluy qu'ilz m'alléguoyoient de leurs subjectz;
Que je ne voulois nyer qu'il n'y eût à desirer quelque chose de nostre costé, mais beaucoup plus sans comparayson du leur; et, au pis aller, les injures, qu'ils avoient reçues de nous, ne pouvoient estre sinon semblables à celles qu'ils nous avoient faictes, ès quelles nous n'avions jamays tenté aultre remède que de recourir à la Royne, leur Mestresse, et à eulx, de nous fère justice sellon les traictés; et nous estions contantés de celle qu'elle nous avoit administrée, ou qu'elle avoit monstré de nous vouloir administrer, excusans le reste sur la malice du temps; dont je la supplyois, et eulx aussy, qu'ilz voulussent maintenant uzer le semblable, et ne chercher nulz remèdes en cella hors des traictés; et que leurs ambassadeurs avoient naguyères tretté de cest affère avec Voz Majestez Très Chrestiennes, lesquelles avoient prins avec eulx l'ordre que je leur avoys desjà déclaré; lequel, s'il ne leur satisfaysoit assez, qu'ilz en missent quelque autre en avant, et je leur ozois bien promettre que, s'il n'estoit bien malhonneste et inique, que Vostre Majesté le leur accorderoit, et leur feroit voyr qu'elle desire soigneusement conserver le commerce et intelligence de ce royaulme;
Que la Royne, leur Mestresse, ny eulx ne pouvoient, ny debvoient procéder maintenant d'aultre façon; et, pour le debvoir de ma charge, je ne pouvois fère de moins, en cas de quelque nouveaulté en cest endroict, que de les requérir de la vous communicquer, et d'attandre sur icelle vostre consentement, premier que de la mettre à exécution, ou bien leur protester de l'infraction des traictés; que je les priois de considérer que le feu Roy estoit mort leur bon allié et confédéré, et que le Roy, à présent, son frère, selon le troysième article du traicté, avoit succédé en la mesme ligue et confédération, et avoit ung an de terme pour en déclarer sa volonté, et que Vostre Majesté leur promettoit qu'il ne l'auroit poinct dissamblable au deffunct, et, possible, beaucoup meilleure; et aulmoins ne pouvoient ilz, pour chose qu'il eût faicte, depuis son règne, aulcunement juger qu'il la deût avoyr aultre; et pourtant je les priois que la Royne, leur Mestresse, et eulx se voulussent, en l'absence sienne, et à l'advènement sien à ceste grande couronne de France, qui leur estoit voisine, et en l'administration de ses présentz affères ez mains de Vostre Majesté, se déporter en vrays bons alliez et confédérez, et luy ayder et assister, comme à celluy qui debvoit estre, cy après, bien fort à eulx; et de qui, pour estre ung prince nay à toute vertu, creignant Dieu, fort esprouvé aulx armes et aulx affères, et dont la fortune ne se monstroit petite, ny les augures de sa grandeur que très bons, ilz pouvoient espérer et se promettre beaucoup plus que de nul aultre prince de la Chrestienté.
Laquelle responce, qui a esté, en quelque endroict, plus ample et plus expresse, milord trésorier l'a incontinent récapitulée en angloix, à ceulx qui n'entendoient le françoys.
Et après qu'ilz ont eu assez longtemps débattu ensemble, luy mesmes m'a respondu, que ce qu'ilz m'avoient auparavant déclaré de l'intention de leur Mestresse estoit sellon la résollution qu'elle en avoit prinse, à laquelle ne leur pouvoit estre loysible d'y rien oster ou mettre; mais qu'ilz luy rapporteroient fidellement mon dire, lequel leur avoit semblé à toutz honnorable et plein de beaucoup de satisfaction; et que, puis après, elle m'y feroit entendre sa volonté. Il s'est passé, là mesmes, d'autres choses lesquelles je réserve à la prochayne dépesche, parce que cette lestre est desjà trop longue. Et adjouxteray seulement que, samedy dernier, le comte d'Oxfort et milord Edwart de Sommerset se sont desrobez d'icy pour passer en Flandres, de quoy ceste court est assez troublée. Et sur ce, etc.
Ce VIIIe jour de juillet 1574.
L'on me vient d'advertyr, tout à ceste heure, que ceux cy ont, depuis hier au soyr, changé, encores un coup, de dellibération, et qu'indubitablement ilz mettront toutz leurs navyres dehors avant le XXIIIIe de ce moys. J'envoye de ce pas en vériffier l'advis, et incontinent après, je le vous escripray. Le pacquet de Vostre Majesté, du dernier du passé, vient d'arryver. Il est besoing de pourvoyr promptement à la difficulté que, par le postscripte de ma précédente, je vous ay mandé.
CCCXCIIIe DÉPESCHE
—du XIIe jour de juillet 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)
Reprise des armemens.—Intrigues des partisans de l'alliance de Bourgogne.—Suspension des lettres de marque contre les Français.—Mémoire. Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh, Leicester et Walsingham, sur la déclaration des seigneurs du conseil.
A la Royne, Régente
Madame, ce n'est sans rougir de honte qu'il fault que, par ceste cy, je vous mande, touchant l'armement de ceste princesse, tout le contrayre de ce que, par celle du premier de ce moys, je vous avoys escript: qu'elle l'avoit desjà interrompu, et avoit faict licencier les gens de guerre, et les marinyers, et les ouvriers, et officiers de ses navyres, et faict cesser les provisions des victuaylles, et révoqué toutes aultres commissions en cella, chose que j'ay veue de mes yeulx. Et mesmes la dicte Dame estoit desjà entrée en marché avec le Sr Boyssot, gouverneur de Fleximgues, qui estoit lors icy, pour luy vendre les dictes victuailles. Mais estant, samedy dernier, survenu des nouvelles de France à la dicte Dame, lesquelles j'entendz que ne luy ont pleu; et, bientost après, d'autres, du costé de Biscaye, comme l'armée d'Espaigne se debvoit mettre en mer le cinquiesme de ce moys en nombre de troys centz voylles, toutes à double équippage de guerre; et encores d'aultres fascheuses nouvelles, le mesmes soyr, comme les deux milords, dont je vous ay cy devant escript, s'estoient desrobez pour passer en Flandres, la peur et les souspeçons luy ont renouvellé plus grandz que jamays. Dont soubdain elle a faict contremander ce qui estoit licencyé, et envoyé argent de toutes partz pour haster les soldatz et les maryniers; et maintenant elle faict fère une extrême dilligence de pouvoir, avant le XXVe du présent, mettre ses grands navyres dehors, en nombre de XXV, aultant bien équippés qu'il y en ayt en ceste mer, avec les barques et aultres vayssaulx qui suyvront, oultre les particulliers qui seront bien aultant. Et l'admyral mesmes d'Angleterre se prépare, avec beaucoup de noblesse, pour y aller commander; chose néantmoins qu'à mon advis ne pourra estre si tost preste, et de laquelle j'espère, et desire de bon cueur, que je puisse encores une foys changer les advis que j'auray à vous en mander, non qu'on ne m'ayt donné beaucoup de bonnes parolles d'assurance que rien de cest appareil n'est contre la France. Néantmoins je ne puis fère, pour aulcunes considérations que j'ay, que je ne le souspeçonne beaucoup, et que je ne le rende suspect à Vostre Majesté, veu mesmement la déclaration assez rude que les seigneurs de ce conseil m'ont naguyères faicte, comme je le vous ay mandé du VIIIe; et veu que les ministres françoys de ceste ville, qui sont bien les plus passionnez du monde, sont ceulx qui le sollicitent. Joinct que les partisans de Bourgoigne, lesquelz sont trop plus ferventz, pour ceste heure, que les nostres, et qui sont très bien estipendiés, s'efforceroient de traverser cella, s'ilz sentoient qu'il y eût rien au dommage du Roy Catholicque.
Et à propos des dictz partisans de Bourgoigne, je vous puis assurer, Madame, qu'ilz ont faict tout ce qu'ilz ont peu pour induyre ceste princesse de rompre avecque vous; et n'est sans apparance que, ez praticques qu'avez descouvertes par dellà, il y ayt de leur artiffice beaucoup, sans le sceu et oultre la volonté d'elle. Car desjà ilz avoient tant faict, icy, à la sollicitation d'ung hespagnol, naturalizé en ceste ville, lequel pourchassoit pour luy une lettre de marque contre les Portugoys, que ce conseil avoit résolu qu'on en octroyeroit aussy, avec toutes provisions de représailles, et d'arrest, aulx marchantz angloys contre les Françoys. Et sans ce que la dicte Dame, quand l'on luy en est allé parler, a dict qu'il falloit qu'on m'en notiffiât la déclaration, et qu'on entendît là dessus ma responce, premier qu'elle le consentît, l'on eût desjà passé oultre; bien qu'elle n'a faict grand difficulté de passer la lettre contre les Portugoys. Et c'est sur quoy iceulx de ce conseil m'ont tenu depuis le propos que je vous ay mandé; sur quoy je leur ay faict, sur le champ, la responce, et eulx leur réplicque que Vostre Majesté a veue par ma dépesche du VIIIe de ce moys. Et je joins dans un mémoyre à part ce qui s'en est ensuivy.
Et depuis, Madame, l'on m'a adverty que les dictes lettres de marque ont esté suspendues. Je ne sçay si, à présent, l'on les remettra. Et le Sr Artus Chambernon m'est venu dire que, puisqu'il vous playsoit fère rayson à son fils du dot de sa femme, qu'il garderoit qu'il ne l'allât pourchasser, sinon vers Vostre Majesté, par la voye que luy permettriés de le fère. Et sur ce, etc.
Ce XIIe jour de juillet 1574.
MÉMOIRE.
Madame, après estre levez du conseil, milord trézorier et le comte de Lestre, m'ayantz retiré à part, m'ont remonstré en combien de deffiance de vostre amityé et de celle du Roy, vostre filz, vous aviez mis ceste princesse par les estranges façons dont aviez procédé vers ses ambassadeurs et leurs gens: de les avoir ainsi faict observer comme si vous la teniés desjà pour vostre déclarée et mortelle ennemye, et mesmes de ce tret, qu'aviez faict uzer, par le grand commandeur de Champaigne, au cappitaine Leython, le jour qu'il estoit party de Paris, bien qu'il luy eût dict que ce n'estoit de vostre part; et qu'ilz promettoient à Dieu qu'ilz ne voyoient ny sçavoient qu'il y eût eu, cy devant, ny qu'il y eût, à présent, en l'intention de leur Mestresse, chose aulcune qui vous deût raysonnablement esmouvoyr contre elle; et que, si elle avoit voulu monstrer quelque recognoissance vers Monseigneur vostre filz, de l'obligation, en quoy elle se sentoit estre, de ce que le feu Roy, son frère, et Vous, le luy aviés présenté, et que luy mesmes s'estoit offert à elle, que vous la debviés avoyr segondée en cella, si aviés nul desir de leur mariage, car pouviés croyre qu'elle ne tendoit qu'à fère tout ce qu'elle jugeoit bon pour le bien et contentement de Voz Majestez Très Chrestiennes et pour l'honneur de vostre couronne, et pour conserver et accroystre la réputation de Mon dict Seigneur, vostre filz; et qu'il falloit dire ou que vous estiés fort circonvenue en l'opinyon qu'on vous faisoit prendre de leur Mestresse, ou que vous luy portiés une fort maulvayse volonté.
Je leur ay respondu qu'à dire vray, là où la meffiance pénétroit et pouvoit mettre racyne, qu'elle y suffocquoit facillement toutes les plantes d'amityé; mais que je les suplioys de considérer, par leurs prudences, si, en ung temps qu'il vous estoit advenu, Madame, de perdre le feu Roy, vostre filz ayné, et avoyr absent le Roy, son frère, vostre segond filz, en ung pays très loingtain; et que son royaulme, durant vostre administration, se trouvoit ombragé, en plusieurs endroictz, de diverses guerres intestines, où vous aviés six armées aulx champs pour luy, l'une en Normandye, une en Poictou, une en Gascoigne, une en Languedoc, une en Daulfiné et une aultre en Champaigne, et deux mareschaulz de France prisonnyers, et le Prince de Condé, qui se préparoit en Allemaigne, pour venir, avec nouvelles forces, troubler davantage voz affères; et que le comte de Montgonmery estoit par ce costé descendu en Normandye; et que les eslevez ne faysoient de rien tant d'estat que du secours d'Angleterre; et que plusieurs ministres, et aultres françoys fuityfs, ne cessoient de dellibérer icy, toutz les jours, des moyens d'entretenir la guerre par dellà; et que les gens de leur ambassadeur s'estoient efforcez de mener, jusques en vostre court, de très dangereuses praticques; si toutes ces choses là ne vous debvoient bien avoyr causé de la souspeçon;
Et que je leur voulois librement dire que la Royne, leur Mestresse, et eulx vous debvoient sçavoyr grand gré de l'ordre que vous aviés tenu, là dessus, pour conserver l'amityé; car aviés envoyé Mr Pinart, secrettère des commandementz, devers leurs ambassadeurs pour les prier doulcement d'ouvrir les yeulx sur ces maulvais déportementz de leurs gens, et y vouloir pourvoyr; et m'aviez commandé de déclarer, icy, à leur dicte Mestresse, les poinctz et termes de la dicte pratique; et luy nommer les propres personnes qui la menoient, la priant qu'elle jugeât combien il vous debvoit estre grief, qu'au nom d'elle l'on entreprînt telles choses près de Vostre Majesté, en vostre mayson, et jusques dans vostre cabinet, sans vous en fère part;
Et que vous promectiés à Dieu que vous aviés fermement creu que c'estoit sans qu'elle le sceût, et contre sa volonté, qu'ilz le faysoient; et que cella procédoit de l'artiffice des eslevez, ou bien des ministres réfugiés par deçà: dont l'aviés priée qu'elle fît cesser ces choses, et qu'elle voulût entretenir et nourrir tant de vraye amityé avecques vous, que rien ne se peût traicter de par elle en France, comme vous luy promettiés bien que rien ne se traicteroit de par Voz Majestez Très Chrestiennes par deçà, sans une privée communicquation d'entre vous deux.
En quoy ilz pouvoient voyr combien grande occasion l'on vous avoit donné de souspeçon, et combien vous aviés mis peyne de garder qu'elle ne vînt à altération; et qu'ilz debvoient ainsy juger de Vostre Majesté, comme d'une princesse qui leur aviez conservé, quinze ans durant, l'amityé du feu Roy, vostre filz, et qui luy conserveriés perpétuellement celle du Roy, son frère, et conduyriés à bon effect le propos de Monseigneur le Duc, si eulx mesmes ne vous donnoient occasion d'en uzer aultrement.
Et les ayant layssez en cella, Mr Walsingam m'est venu ramener jusques hors du logis, qui m'a dict que, de tousjours, il avoit plus esté françois qu'espaignol, et pourtant qu'il s'advanceroit de me prier franchement que je me voulusse souvenir combien j'avoys tousjours trouvé sa Mestresse bien inclinée à la France; et combien elle méritoit que Voz Majestez Très Chrestiennes tînsiés en grand compte son amityé, et la traictissiés, en toutes choses, honnorablement et avec dignité, et respect; et que c'estoit une princesse très débonnayre, très vertueuse et paysible, à laquelle falloit donner de la satisfaction; et que pourtant, sur la déclaration qu'elle m'avoit faicte fère par ceulx de son conseil, il estoit nécessaire que Vostre Majesté la contantât honnestement, en faysant avoyr satisfaction, par justice, à ceulx de ses subjectz qui plus luy faysoient de presse.
A quoy je luy ay respondu que, jusques icy, il s'estoit veu beaucoup de correspondance entre Voz Majestez et entre ces deux royaulmes, et que, de vostre costé, il ne s'y trouveroit ny resfroydissement ny diminution; dont luy pouvois promettre que la satisfaction seroit faicte par justice à leurs subjectz, s'il leur playsoit l'administrer de mesmes bonne aulx Françoys par deçà.
CCCXCIVe DÉPESCHE
—du XVIe jour de juillet 1574.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Jacques.)
Nouvelle suspension des armemens.—Assurances données par Leicester de son affection pour la France.—Avis qu'une audience est accordée à l'ambassadeur.—Affaires d'Écosse.—Mémoire. Communication entre l'ambassadeur et Leicester.
A la Royne, Régente
Madame, en ce que, par ma dépesche, du XIIe de ce moys, j'avoys présagé que j'auroys encores une foys à vous mander quelque changement de la dellibération de ceulx cy touchant leur armement, je ne m'en trouve nullement déceu, car, sellon que je l'ay dict, et comme je le desirois, mais, certes, plus tost que je ne l'espérois, il est advenu qu'ilz ont, de rechef, depuis peu d'heures en çà, entièrement cassé tout l'appareil de leurs grands navyres. Et ne sçay d'où est procédé ceste tant soubdeyne mutation, car don Bernardin de Mendossa, qui vient de la part du grand commandeur de Castille, n'a point esté encores ouy, et le secrettère de l'ambassadeur d'Angleterre ne fut pas si tost arryvé, samedy au soyr, à Windsor, qu'on envoya icy redoubler le commandement de haster la sortie des dictz grands navyres. Et si, je sçay certaynement que aulcuns ministres furent, le dimanche ensuyvant, appelez à la court, pour encourager ceste princesse à ces deux guerres, de France et de Flandres, et pour luy remonstrer que le salut de ce royaulme et la conservation de leur religion requéroit que l'ordre de son armement ne se trouvât nullement diminué de ce qu'il est, ains plustost augmenté, quand le Prince de Condé entreroit en France, et quand l'armée d'Espaigne passeroit icy, au long, pour aller en Flandres.
Il est bien vray, Madame, que j'avoys desjà eu, en cella, quelque bonne parolle du comte de Lestre, dont je metz le propos à part, qui pense bien que, de luy et de quelques ungs qui n'ont encores perdu toute leur bonne affection vers la France, et de quelques amys du Roy d'Espaigne, est venu maintenant ceste interrumption d'armement; et à luy aussy, plus qu'à nul aultre, j'en rendray, samedy prochain, les grandz mercys, quand j'iray à l'audience à Redinc, à quarante mille d'icy, où ceste princesse m'a assigné. A laquelle je n'obmettray ung seul poinct de toutz ceulx qui sont contenus en vostre dernière dépesche du VIIe du présent, desquelles, en ce qui touche aulcunes particullaritez, bien bonnes et bien desirées du Roy, vostre filz, je m'en conjouys infinyement avec Vostre Majesté; et surtout j'ay bien fort solennisé la nouvelle de son bref retour, car c'est ce qui resjouyt, plus que je ne le sçauroys dire, les bons, et met en terreur et confusion ceulx qui n'ont bonne intention.
Au regard de l'affère d'Escoce, je ne sçay comme bien y pourvoir, car, de s'en adresser au comte de Morthon, ou à pas ung de sa faction, le debvoir ny la rayson ne le peuvent requérir; et je ne sçay à quel, de toutz ceulx de l'aultre party, j'en pourrois escripre, qui n'ayme, possible, beaucoup mieulx que ce que je vous ay mandé succède, au cas que n'y veuillés entendre pour vous, que d'en demeurer là où ilz sont. Dont semble estre expédient que, soubz une colleur, fassiés passer quelque escossoys confident jusques là, par mer, pour y aller manyer ce négoce sellon vostre intention. Et sur ce, etc.
Ce XVIe jour de juillet 1574.
ADVIS, A PART.
Madame, j'ay envoyé devers le comte de Lestre le Sr Acerbo pour le prier de troys choses: l'une, qu'il voulût oster, d'entre la Royne d'Angleterre et moy, cette difficulté qu'elle faysoit de ne me vouloir recevoyr comme ambassadeur, luy ayant à dire une chose fort expécialle et d'importance que Vostre Majesté luy mandoit; l'aultre, de m'advertyr en quelle disposition elle estoit demeurée vers Voz Majestez et vers la France, après qu'elle eût ouy le rapport de ceulx de son conseil, sur ce qui s'estoit passé naguyères entre eulx et moy; et la troysiesme, qu'il promît ardiment à la dicte Dame, sur la parolle de Vostre Majesté, que la confirmation de la ligue avec le Roy, vostre filz, s'en suyvroit, tout ainsy qu'elle l'avoit eue avec le deffunct, son frère, et que je luy en obligeoys ma vye; et plusieurs aultres bonnes parolles et promesses au dict comte pour l'eschaufer, plus que jamays, au party du Roy, et de ne se laysser surmonter ny aulx partisantz d'Espaigne, ny aulx passionnez protestans.
A quoy, après avoyr conféré avec la dicte Dame, il m'avoit mandé, comme de luy mesmes, qu'il me prioit de n'estre point marry, si je ne pouvois estre receu comme ambassadeur, car, à la vérité, je ne l'estois poinct; et s'il advenoit que quelque chose se trettât avecques moy, en celle qualité, que tout cella seroit de nulle valeur; mais qu'il me respondoit, sur son honneur, si je venois trouver la dicte Dame, qu'elle ne me tiendroit en aultre lieu et rang que comme elle avoit accoustumé, bien que non d'ambassadeur;
Et, au regard de ce qui s'estoit passé entre ceulx du dict conseil et moy, qu'après que luy et milord trézorier, et les deux secrettères, en avoient eu rendu compte en bien bonne sorte à la dicte Dame, elle avoit dict que ma responce luy sembloit telle que de plus honnorable ne s'en pouvoit fère, ny qui fût plus pleyne de satisfaction; et qu'elle avoit lors faict arrester, en son dict conseil, que, premier que d'innover rien aulx trettés d'entre le Roy et elle, ny attempter rien contre les Françoys, qu'on attandroit de voyr s'il sortiroit aulcun effect des bonnes parolles et déclarations que je leur avoys faictes; vray est que ceulx, qui nous estoient peu amys, avoient tant faict qu'il avoit esté réservé, au cas que les violences continuassent de nostre costé, et que les Anglois fussent maltraictés en France, et déprédés par les Françoys, et qu'on ne leur fît quelque satisfaction du passé, qu'on leur permettroit de se revencher sur mer, et prendre leur récompense sur les dictz Françoys, ainsy qu'ilz la pourroient avoyr: qui pouvois penser que leur seroit chose assez aysée, mais mal convenable à l'amytié;
Et que la dicte Dame avoit dict, tout hault, que Vous, Madame, vous estiez trompée et circonvenue vous mesmes, d'avoyr prins tout aultrement l'intention d'elle qu'elle n'estoit; car prioit à Dieu de la punir très griefvement si elle avoit pensé, ny consenty jamays, à chose qui deût offancer le feu Roy, vostre filz, ny vous, ny troubler aulcunement voz affères; et que, s'il luy apparoyssoit que, quelz que ce soient en France, de ceulx que vous aviez suspectz, eussent vollu rien attempter contre la personne du feu Roy ny contre la vostre, ny contre l'estat, que ce seroit elle qui solliciteroit très instammant qu'on leur tranchât la teste;
Que, quand à respondre, sur la parolle de Vostre Majesté, de la confirmation de la ligue à la dicte Dame, qu'il s'y employeroit très volontiers, car c'estoit chose qu'il desiroit infinyement, et espéroit qu'elle l'accepteroit, et ne s'en monstreroit ny refuzante ny dédaigneuse, pourveu qu'elle en fût honnestement recherchée;
Et qu'au reste, il n'estoit besoing que, par nouvelles persuasions et promesses, je le sollicitasse au party du Roy, car il s'estoit desjà déclaré tant parcial françoys, en toutes les compétences d'entre les deux maysons de France et de Bourgoygne, qu'il sçavoit n'avoyr, aujourd'huy, ung plus capital ennemy au monde que le Roy d'Espaigne; et que les Protestantz n'avoient guyères meilleure opinyon de luy, en ce qui concernoit Voz Très Chrestiennes Majestez, car estoient bien advertys que, sur les diverses instances que j'avoys souvant faictes à la dicte Dame contre eulx, ce avoit esté luy qui l'avoit, en temps et lieu, tousjours faicte résouldre de ne les assister ny d'argent, ny d'hommes, ny de monitions, ny d'aultres moyens, pour soustenir la guerre; et que mesmes, aussytost que j'avoys eu dernièrement faict ma plaincte à elle du comte de Montgommery, qu'il l'avoit induyte de deffendre que, de quinze centz hommes, les mieulx choysis d'Angleterre, lesquelz estoient desjà secrettement enrollez pour aller trouver le dict comte en Normandye, il n'y en passât ung seul; dont luy reprochoient que la ruyne de ce pouvre gentilhomme, et de toutz ceulx de leur religyon au dict pays, s'en estoit ensuyvie; et, nonobstant que la France se monstrât très ingrate en son endroict, et que les meffiances et souspeçons, que Vostre Majesté avoit prinses de luy, fussent de très maulvayses récompanses de ses bons, voyre souveraynement bons, offices passez, qu'il ne layrroit pourtant de les continuer encores meilleurs et plus fervans que jamays; et qu'il me promettoit que bientost je m'en appercevroys.
CCCXCVe DÉPESCHE
ET PREMIÈRE AU ROY TRÈS CHRESTIEN HENRY IIIe
—du XXIIIe jour de juillet 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Remerciemens de l'ambassadeur au roi.—Heureux effet produit à Londres par la nouvelle que le roi a quitté la Pologne.—Audience.—Desir d'Élisabeth de continuer le traité d'alliance.—Détails de l'audience.—Communication d'une lettre écrite par la reine-mère.—Satisfaction d'Élisabeth.—Protestation qu'elle ne conserve aucun ressentiment au sujet des plaintes qu'elle a faites.—Réclamation des seigneurs du conseil à l'égard des prises.
Au Roy.
Sire, j'ay, avec révérance et respect, très humblement baysé la lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, de Cracovia, du XVe du passé, laquelle m'a esté d'une souverayne consolation; et m'a confirmé, quand au trespas du feu Roy, vostre frère, cella mesmes que j'en avoys indubitablement veu, que la dolleur avoit d'aultant plus faict d'impression dans vostre cueur que plus vous l'aviés magnanime, généreulx et royal, sellon qu'à tels est tousjours la douleur plus naturelle, et l'humanité plus familière, que n'est aulx aultres. Et semble qu'avez voulu davantage augmenter vostre regret par la recordation de l'amityé qu'il vous portoit, et des advantages que, de son vivant, il s'estoit efforcé de vous donner en son royaulme; en quoy vous avez bien fort honnoré la mémoyre de luy, et orné grandement vostre réputation, et apporté beaucoup de soulagement au grand mal que nous portions de sa mort. Qui vous promects bien, Sire, qu'il seroit encores plus grand et insupportable, sans l'assurance, que nous donnez, de vostre brief retour; dont je prie Dieu qu'il vous veuille ramener sain et sauf, bientost, aulx vostres, et rendre vostre règne très heureux, et très heureux le fère sentir à ceulx à qui venés naturellement commander.
Il n'est pas à croyre combien d'inconvénientz et de désordres se préparoient au monde pour l'opinyon, que quelques ungs avoient, qu'on vous deût susciter des empeschementz et des difficultez non petites en Pouloigne, pour ne vous en laysser partir de longtemps. Et est certain que voz affères, et ceulx de la France, commançoient d'en venir, icy, aussy bien qu'aillyeurs, à quelque mespris, et moy en assés de défaveur; mais je vous puis dire que la seule nouvelle de vostre arryvée en Autriche, les a, en l'endroict de ceste princesse, plus relevez que jamays, laquelle, à dire vray, ne s'est jamays esloignée de sa bonne inclination. Et ne se pourroit desirer une plus ouverte signiffication de grand contantement que celluy, qu'elle a monstré avoyr, de la lettre de Vostre Majesté, laquelle je luy ay présentée, le XXe de ce moys, avec voz très affectueuses et très cordialles recommandations à toutes ses bonnes grâces; et elle l'a fort volontiers et attentivement leue.
Et, luy ayant, après, touché les poinctz de celle que Vostre Majesté m'adressoit, desquels elle a fort gousté celluy qui l'assure de la continuation de vostre amityé, et de vous trouver non moins entier et persévérant vers elle que le feu Roy l'a tousjours esté jusques à son trespas, elle m'a respondu qu'elle confessoit d'avoyr extrêmement senty la mort du dict feu Roy, comme d'ung fort grand et fort esprouvé amy, qu'elle avoit perdu; mais que, maintenant, le playsir ne luy estoit moindre de voyr que, en la mesme place, elle avoit recouvert ung aultre amy, qui n'estoit dissemblable, ny de rien inférieur au premier; et que, de nulle part du monde, luy eût peu venir chose, en ce temps, qui plus luy eût apporté de vray contantement que faysoit vostre lettre, et l'assurance de vostre amytié, et la nouvelle de vostre brief retour, et la confirmation de la régence de la Royne, vostre mère, et la continuation de ma légation, icy, auprès d'elle: qui estoient choses, desquelles elle me prioit de vous en rendre, de par elle, le plus grand mercys que je pourrois, attendant qu'à vostre arryvée en France elle vous en envoyât davantage, par ung de ses milords, espéciallement remercyer: lequel satisferoit aussy aulx aultres honnestes debvoirs qu'elle sçavoit estre tenue vous rendre, sur le trespas du feu Roy, et sur vostre heureulx advènement à la couronne, sellon qu'elle s'en vouloit dignement acquiter, le plus qu'elle pourroit, pour l'honneur et grandeur de Vostre Majesté, et pour vous donner une non moins assurée confirmation de son amityé, qu'il vous playsoit l'assurer de la vostre; avec plusieurs aultres parolles et plusieurs démonstrations qui ont semblé procéder d'une vrayement bonne affection.
Mais je ne metz icy le tout, affin que je ne préocupe la légation de celluy qu'elle vous doibt bientost envoyer; et adjouxteray seulement que je remercye très humblement Vostre Majesté du favorable jugement, que sa lettre faict de mon service passé, et de la bonne opinyon qu'il luy plaist prendre de celluy de l'advenir. Qui vous promectz bien, Sire, que je n'ay dressé, ny dresserai jamays, l'heur et la félicité de ma vye à nul meilleur but, au monde, que de vous en pouvoir fère qui vous soit agréable; et ay réputé à grand honneur qu'il vous ayt pleu ainsy, de loing, me continuer en ceste charge jusques à vostre retour, après lequel je vous supplie très humblement avoyr tant de compassion de moy que de m'en retirer, et m'octroyer tant de grâce que je puisse aller voyr la face de Vostre Majesté, et luy bayser très humblement les mains, ainsy que très humblement je les luy bayse, d'icy en hors, de toute l'affection de mon cueur; et prie le Créateur qu'il vous doinct, etc. Ce XXIIIe jour de juillet 1574.
A la Royne, Régente
Madame, la lettre du Roy, vostre fils, a esté singullièrement bien receue de ceste princesse, et nonobstant qu'à l'ouverture d'icelle, ainsy qu'elle a jetté l'œil sur le seing, elle ayt ung peu soupiré de ne trouver plus Charles, elle n'a layssé de prononcer fort gracieusement que c'estoit maintenant ung Henry qu'elle y trouvoit. Et a leu tout du long, avec son grand plésir, et bien curieusement, la dicte lettre, et m'a très volontiers accepté en la continuation de ceste charge, avec plus de faveur qu'elle ne m'avoit jamays faict, dont je metz sommayrement en la lettre du Roy ce que, pour ce regard, elle m'a respondu; ayant davantage recueilly de ses propos, qu'encor qu'elle ne soit lyonne, elle ne layssoit d'estre yssue et tenir beaucoup de la complexion du lyon, et que, sellon que le Roy la traictera doulcement, il la trouvera doulce et traictable, aultant qu'il le sçauroit desirer; et s'il luy est rude, elle mettra peyne de luy estre le plus rude et nuysible qu'elle pourra. Et s'est eslargie en aulcuns poinctz qui seroient longs à mettre icy; lesquels néantmoins elle me les a bien voulu fère sonner: et m'a prié de vous en mander ung entre aultres qu'elle estime le plus considérable, mais je l'ay supliée qu'elles mesmes le vous voulût escripre.
Et ay suivy à luy dire que j'avoys à luy toucher d'ung aultre faict, qui estoit de très grande importance, comme de celluy d'où avoit à dépandre l'establissement ou la ruyne de toutz les fondementz de l'amityé qui se pouvoit espérer pour jamays entre ce jeune prince, nostre nouveau Roy, et elle; et lequel, s'il n'estoit remédié, pourroit engendrer de la meffiance beaucoup entre eulx, pour les conduyre à des discordes et malcontantements, qui, petit à petit, les feroient, possible, tomber en ropture. Et de tant que cella estoit au long fort bien déduict en une lettre de Vostre Majesté du XXe du passé, en laquelle toute la conception de vostre cueur estoit clèrement expliquée, il estoit expédient, ou qu'elle prînt la peyne de la voyr, ou qu'elle eût la patience de l'ouyr lire.
Et, là dessus, s'estant rendue fort attentifve, avec quelque esbahyssement que ce pouvoit estre, m'a prié que je luy voulusse lyre la dicte lettre, ce que j'ay faict; et ayant layssé le premier article, qui estoit en chiffre, j'ay commancé en l'endroict où est dict: J'ay sceu certaynement que aulcuns, qui sçavent beaucoup du secret de la Royne d'Angleterre, se sont layssez entendre, etc., jusques à la fin du propos, qui concerne le malcontantement qu'on vous a dict qu'elle avoit du Roy, de ce qu'on luy avoit rapporté qu'il avoit mesdict d'elle. Et m'estant arresté là dessus, pour entendre ce qu'elle me diroit, s'estant trouvée ung peu surprinse, et n'avoyr encores bien preste sa responce, elle m'a prié d'achever le reste de la lettre, s'il y avoit chose dont j'eusse à luy parler.
Et ainsy j'ay continué les aultres articles, qui estoient de l'espérance de la paciffication, des exploicts qui se faysoient cependant en la guerre, du faict de Mr le maréchal de Dampville, de la maladye de Mr le maréchal de Cossé, de vostre bon desir à la justiffication de Mr de Montmorency et du dict Sr de Cossé, de l'exécution du comte de Montgommery et du faict des pleinctes des marchandz; sur toutz lesquelz poinctz nous avons longuement discouru. Mais j'ay ramené, le plus tost que j'ay peu, le discours à silence, affin de retourner au premier article, dont elle m'a prié que je le luy voulusse encor lyre ung coup.
Et puis m'a dict que, quand bien elle auroit esté cy devant offancée, ceste lettre luy apportoit maintenant tant de satisfaction qu'elle avoit occasion de demeurer contante, et qu'elle n'avoit point sceu que le Roy eût mesdict d'elle, car elle ne luy en avoit jamays donné occasion, ny il n'en avoit eu le subject, ny, comme elle pensoit, aussy la volonté; mais qu'elle ozoit bien dire qu'il l'avoit peu traicter plus honnorablement qu'il n'avoit faict, car indubitablement elle avoit eu l'intention et la volonté très bonnes vers luy, de l'espouser, de bon cueur, et n'avoit attandu autre chose sinon qu'il fît quelque déclaration de se contanter de sa religyon en privé; et que lorsqu'elle pensoit l'avoyr aulcunement eue, et qu'elle s'estoit tant advancé que d'envoyer ung de ses conseillers, avec exprès pouvoir, pour conclurre le propos par dellà, il s'estoit trouvé qu'il avoit prins une aultre bien contrayre résolution. En quoy elle ne vouloit pourtant ny pouvoit justement le blasmer d'avoyr évité le mariage avec une vieille; mais elle me tournoit dire, de rechef, que la bonne affection et la bonne façon, dont elle avoit procédé vers luy, méritoit qu'il eût ung peu plus d'honneste respect à elle.
Je luy ay réplicqué ce que j'ay estimé propre pour luy ramantevoyr que les difficultez avoient tousjours procédé d'elle, et de ceulx qui, pour elle, avoient manyé le propos; et qu'il n'avoit tenu, sinon à elle mesmes et à eulx, que ce prince n'eust esté tout sien. Et m'a semblé, Madame, qu'elle a eu bien agréable la recordation d'aulcunes choses qui avoient passé en cella; qui luy ont faict remettre sur aulcuns gracieulx propos, qui ont donné une fort gracieuse fin à cestuy cy.
Et lors je luy ay présentée la lettre que Vostre Majesté luy escripvoit, laquelle, quand elle a veu qu'elle estoit toute de vostre main, m'a demandé si je sçavoys de quoy ce pouvoit estre; et je luy ay respondu que non, mais que, si c'estoit de chose qui procédât de mon advertissement, j'estois là tout prest pour en respondre.
Elle m'a lors appellé à lyre avec elle la dicte lettre et n'en a perdu ung seul mot, et s'est fort arresté sur ce que Monseigneur le Duc vous avoit revellé la praticque, et sur le poinct du secrettère, et de ce que vous affermiez qu'il ne parloit que de luy mesmes, et de la part d'aulcuns turbulans qui y mestoient les noms des deux princes, affin qu'elle y adjouxtât plus de foy, et de ce que vous luy aviez bien voulu escripre fort confidemment toute ceste hystoyre, affin qu'elle ne se layssât tromper d'une si meschante négociation. Et ayant longuement poisé toutz ces poinctz, et iceulx releus plus de trois foys, avec diverses contenances, elle a appellé le comte de Lestre qui s'est venu mettre sur un genoul devant elle; dont je me suis levé.
Et, après qu'ilz ont eu conféré une petite espace de temps, s'en estant retourné, elle m'a rappellé et m'a faict rassoyr. Puis m'a dict, que c'estoit, à ce coup, que Vostre Majesté s'estoit portée en vraye et naturelle mère vers elle, et luy avoit monstré ung très expécial signe de grande amityé, dont elle vous en remercyoit de tout son cueur; et ne s'esbahyssoit plus, si vous aviez eu de la souspeçon beaucoup, bien que, pour ne la vous augmenter davantage, elle avoit différé de vous envoyer ung gentilhomme, qui estoit tout prest, pour vous aller fère la condoléance du feu Roy, vostre filz; et que, si plus tost elle eût eu vostre lettre, indubitablement elle l'eût faict partir, mais que désormays elle feroit de tout ung, d'envoyer ung milord vers le Roy, vostre filz, et vers vous, aussytost qu'il seroit arryvé; et qu'elle estoit bien ayse que Monseigneur le Duc se fust ainsy acquitté du debvoir de bon filz à vous réveller ce qu'il sçavoit, ainsy que nature l'obligeoit de le fère, et que c'estoit de luy que vous pourriés sçavoyr si elle luy avoit faict proposer chose aulcune qui fût contre Voz Très Chrestiennes Majestez, ny contre le repos de vos affères; et qu'elle ne cognoissoit le secrettère ny nul de toutz les serviteurs de son ambassadeur, mais qu'elle s'enquerroit qui il pouvoit estre, pour le fère bien chastier; et vous prioit d'approfondir davantage le dict affère, affin de luy en pouvoir fère plus grande communicquation; et que vous pouviés croyre qu'elle ne se layrroit circonvenir à fère jamays chose qui vous peût offancer; et vous respondroit plus amplement par une sienne lettre, affin de vous donner aultant de satisfaction d'elle, en cest endroict, comme vous luy en aviés faict recevoyr par celle que vous luy aviez escripte.
Je l'ay infinyement remercyé de sa bonne et vertueuse dellibération, et n'ay rien oublyé de ce que j'ay estimé pouvoir servir pour luy fère voyr que, non seulement elle debvoit sçavoyr gré, mais qu'elle se debvoit réputer grandement attenue à Vostre Majesté de cest advertissement.
Et, après ce propos, nous sommes entrés en devis de don Bernardin de Mandossa, duquel elle m'a dict qu'encor qu'il l'eût bien fort faicte presser de son audience, qu'elle la luy avoit néantmoins remise après la mienne, et qu'elle pensoit qu'il ne venoit poinct pour parler pour la France.
Je luy ay respondu que je ne faysois doubte qu'il ne vînt pour remettre sur la parciallité de Bourgoigne, mais, de tant qu'elle mesmes estoit le chef de la part françoyse par deça, que je la supplyois de maintenir et deffendre bien ce party, duquel elle se prévaudroit mieulx que de nul aultre de la Chrestienté.
Et, sur ce, m'estant licencié d'elle, les seigneurs du conseil m'ont détenu quelque temps, sur la déclaration qu'ilz m'avoient auparavant faicte en ceste ville, et dict qu'ilz verroient qu'est ce que réuscyroit de la bonne et honnorable responce que je leur avoys rendue, car entendoient que les désordres et injures continuent plus grands que jamays sur leurs subjectz, et que freschement ung vaysseau de guerre du Hâvre de Grâce avoit pillé ung navyre marchand anglois qui venoit de Roan, quasy sur l'emboucheure de la rivyère de Seyne. Dont le sieur de Walsingam m'a baillé une nothe de leurs pleinctes, avec la marque, en marge, de celles où ilz desireroient estre principallement pourveu. Dont je vous supplye très humblement, Madame, mander en Picardye, Normandye, Bretaigne et la Guyenne, qu'on m'envoye aussy ung rolle des pleinctes des subjectz du Roy, aulxquelles il n'a esté satisfaict par deçà, et ung extrêt des jugementz donnés, depuis dix ans en çà, au prouffit des Anglois, avec actuelle restitution, parce qu'on exagère fort à ceste princesse que je ne luy en pourrois fère apparoir d'une seule, et que ses subjectz sont mesprisez et très maltraictés en France. Et sur ce, etc.
Ce XXIIIe jour de juillet 1574.
La dicte Dame m'a dict qu'elle a commandé de préparer les obsèques du feu Roy, vostre filz, dont Vostre Majesté me commandera si j'auray à m'y trouver, et si je assisteray au service, et à la cérimonye, qui s'y fera sellon la religyon receue en ce royaulme.
CCCXCVIe DÉPESCHE
—du XXVIIIe jour de juillet 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)
Audience accordée à don Bernardin de Mendoce envoyé du roi d'Espagne.—Gracieux accueil qui lui est fait par la reine et par les seigneurs de la cour.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle ne mettra pas sa flotte en mer.—Promesse d'une satisfaction sur la plainte de la reine-mère contre le secrétaire de l'ambassadeur d'Angleterre en France.
A la Royne, Régente
Madame, je n'ay si tost esté party d'avec la Royne d'Angleterre, de Redinc, le XXe de ce moys, que don Bernardin de Mendossa y est arryvé, lequel a esté honnorablement receu, et elle luy a donné fort bénigne et fort favorable audience, aultant de foys et si longuement qu'il l'a desiré. Et s'est sa légation explicquée, pour la pluspart, en la salle de présance, où les principaulx de la court et ceulx du conseil sont intervenus à voyr comme il a présenté les lettres du Roy, son Maistre, et qu'il a requis la continuation de l'amityé, et qu'il a faict le mercyement de la bonne responce qu'elle avoit rendue, touchant l'armée d'Espaigne, d'en avoyr accordé le passage libre, et l'entrée, et refraychissementz, dans les portz de ce royaulme; et comme il luy a offert les angloys qui avoient esté prins en Flandres, ainsy que le grand commandeur les avoit desjà faictz reconduyre par deçà; desquelz il n'imputoit nullement à elle, mais à leur propre affection ce, qu'ilz avoient suyvy le prince d'Orange, ainsy qu'il y avoit bien, parmy leurs compagnies hespaignols, aussy des gentilshommes angloys, vaillantz et de grand cueur; qui cherchoient, les ungs et les aultres, de voyr la guerre; et que le Roy, son Maistre, ne desiroit rien tant que de renouveller et confirmer plus estroictement que jamays avec elle les anciennes amityés et alliances de Bourgoigne, sellon qu'il avoit mandé aulx députés de Flandres, qui estoient icy, qu'ilz eussent à composer, commant que ce fût, avec elle et avec ses subjectz, ces derniers différends des prinses, en la façon qui plus la pourroit contanter.
De toutz lesquelz propos elle a monstré de demeurer infinyement bien satisfaicte, et a confirmé, tout hault, les mesmes seuretés et resfraychissementz, qu'elle avoit octroyé pour l'armée d'Espaigne; et a remercyé grandement le renvoy des anglois, non pour l'amour d'eux, car estoient, disoit elle, sans adveu et dignes de chastiement, mais pour le respect que le Roy d'Espaigne avoit voulu avoyr à elle; qui luy avoit monstré en cella, et en plusieurs aultres choses, beaucoup de vrays signes de l'amityé qu'il luy portoit; et qu'elle seroit par trop ingrate, si elle ne luy rendoit pareils bons tesmoignages de la sienne, sellon qu'elle se recognoissoit obligée à luy de la vye, et de l'estat, et du lieu qu'elle tenoit; et que, pour luy fère foy de la confiance qu'elle vouloit avoyr en luy, qu'elle ne métroit ung seul navyre de guerre dehors; ains estimeroit que ce seroit luy, puisqu'il avoit, à présent, des forces en mer, qui se trouveroit armé pour elle, si quelqu'ung la vouloit offancer, monstrant cesser de son armement en faveur du dict Roy Catolicque, bien qu'auparavant elle l'eût ainsy résolu de fère.
Néantmoins, sur cette tant ouverte démonstration sienne, il n'y a eu celluy de sa court qui n'ayt mis peyne de monstrer aussy quelque signe de bonne affection, vers le dict Roy Catholicque, au dict don Bernardin, et que la générale inclination de ce royaulme estoit à l'alliance de Bourgoigne.
Or a il eu, depuis, une plus longue et plus privée communicquation avec elle, et a praticqué bien fort estroictement avec milord trézorier, mais beaucoup plus estroictement avec milord de Lestre, et a esté, sellon qu'on m'a dict, bien instruict par Me Athon, qui ne l'a layssé sans guyde et sans le bien addresser en tout ce qu'il a eu à fère. Et après avoyr esté bien caressé, festoyé, entretenu, mené à la chasse, mangé à la table de la dicte Dame, et honnoré d'une chayne de huict centz escus, avec d'autres présentz d'hacquenées et de lévriers, que les seigneurs luy ont donné, il a esté fort gracieusement licencié. Et luy a esté ordonné deux navyres de guerre de la dicte Dame pour le repasser dellà.
Je ne sçay encores sur quoy a esté sa secrette négociation, ny quelles autres bonnes responces il emporta; mais je feray dilligence de vous en pouvoir bientost mander quelque chose.
Cepandant j'ay travaillé de sçavoyr comme la dicte Dame demeuroit bien satisfaicte de Vostre Majesté, depuis ma dernière audience; et il m'a esté rapporté qu'elle avoit esté plusieurs foys en conseil avec les deux milords trézorier et de Lestre, et avec Mr de Walsingam, sur ce que je luy avoys dict et porté par escript; et qu'elle avoit fort curieusement faict examiner le secrettère de son ambassadeur, duquel ne se rapportant sa responce au contenu de vostre lettre, ilz jugeoient que Vostre Majesté avoit plus procédé par conjecture, à l'escripre, que par certeyne science. Et néantmoins le comte de Lestre m'a depuis mandé que la dicte Dame ne vouloit, en façon du monde, que vous demeurissiés sans satisfaction; dont vous escriproit, de sa main, et vous renvoyeroit le secrettère, affin que, s'il ne se pouvoit bien justiffier, vous le fissiez ainsy bien chastier comme sa témérité le méritoit; et qu'elle le feroit passer devers moy, affin que je l'interrogeasse davantage, et m'envoyeroit sa lettre pour Vostre Majesté, ou bien la coppie d'icelle; et que le dict comte me prioit, surtout, que je misse peyne d'oster et d'effacer de vostre opinion que jamays il ayt esté rapporté à la dicte Dame que le Roy, vostre filz, ait mesdit d'elle, car ne l'avoit jamays entendu, ny oncques n'avoit eu peur ny souspeçon qu'il le deût fère.
Je me resjouys infinyement de ce qu'il plaist à Dieu favorizer et facilliter le retour du Roy, vostre filz. C'est ung bien qui se sent grand et universel en toute la Chrestienté, et qui est incomparable à nous, ses subjectz; et m'aperçoy bien que ses affères et ceulx de son royaulme se vont de tant plus relevans que la nouvelle continue qu'il approche. Je vous envoye, de l'extrêt des pleinctes de ceulx cy, celles qu'ilz desirent estre principallement satisfaictes; dont vous plerra y fère pourvoir. Et sur ce, etc.
Ce XXVIIIe jour de juillet 1574.
CCCXCVIIe DÉPESCHE
—du IIIe jour d'aoust 1574.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Grognet, mon secrettère.)
Arrêt fait à Rouen sur les navires et marchandises des Anglais.—Nouvelles plaintes à ce sujet.—Nécessité de révoquer promptement cette mesure.——Nouvelles d'Écosse et de Marie Stuart.
A la Royne, Régente
Madame, jusques à ceste heure, j'ay tenu Vostre Majesté, la plus soigneusement que j'ay peu, bien advertye de l'estat des choses de deçà, et comme l'on a esté, deux et troys, et plusieurs foys, en dellibération de mettre une armée de mer dehors; et comme ceste princesse a esté fort sollicitée de se déclarer pour les eslevez de France, et infinyement pressée, par ceulx qui voudroient bien qu'elle eût desjà rompu avecques vous, qu'elle permît à ses subjectz de prendre leur revenche sur mer des déprédations que les Françoys leur ont faictes; et comme j'ay mis peyne de divertyr ces choses, et de fère que la dicte Dame les ayt mises en suspens, sur l'assurance que je luy ay donnée que Vostre Majesté la continuera en la mesme ligue et confédération avec le Roy, vostre filz, qu'elle l'a eu avec le feu Roy, son frère; de sorte que, nonobstant qu'elle ayt eu quelque peu d'indignation, dans son cueur, de ce qu'il luy a semblé que vous l'aviez tenue trop suspecte, et que, là dessus, l'on luy ayt faict recevoyr, avec trop grande et par trop extraordinayre faveur, ceste dernière légation du Roy d'Espaigne, néantmoins j'avoys desjà tiré d'elle qu'elle persévèreroit très constamment en l'amityé de Voz Majestez Très Chrestiennes, si vous ne vouliés poinct départir de la sienne.
Maintenant j'ay à vous dire, Madame, que, depuis deux jours, les seigneurs de ce conseil m'ont renvoyé une certeyne remonstrance que les principaulx bourgeoys de Londres sont allez présenter à la dicte Dame, et à eulx; et m'ont faict venir les mesmes bourgeoys pour m'en signiffier l'occasion, laquelle est toute fondée sur l'arrest qui a esté faict en Normandye de leurs biens, navyres, marchandises et facteurs. Dont l'allarme en est grande en ceste ville, et n'en est pas petite en ceste court, m'ayantz, des deux costés, faict de fort vifves et fort grandes instances qu'ilz puissent estre promptement esclarcys de l'intention de Vostre Majesté en cest endroict, affin de pourvoyr à leurs affères.
A quoy je leur ay respondu, le plus gracieusement qu'il m'a esté possible, que cest arrest, à mon advis, provenoit de l'ordre que Vostre Majesté avoit auparavant mandé qu'on mît en la frontyère, pour l'assurer à la venue de l'armée d'Espaigne, et au sortyr de celle qui se préparoit, icy, et non pour innover chose aulcune contre les traictez; et que de ce j'en avoys ung grand argument par une lettre de Vostre Majesté, du XVIe du passé, par laquelle me mandiés d'avoyr escript à Mr de La Meilleraye qu'il fît promptement rendre à un angloys son navyre, et marchandises et biens, qui luy avoient esté prins assez près du Hâvre de Grâce, avec toutz les dommages et intéretz, chose qui monstroit bien qu'il n'y avoit aulcune innovation contre ce royaulme: ce qui les a ung peu modérez. Néantmoins, parce que aulcuns de leurs facteurs sont passez icy, toutz effrayez des difficultez qu'on leur a faictes par dellà, ilz m'ont fort pryé d'envoyer ung des miens, tout exprès, devers Vostre Majesté, affin de sçavoyr comme il en va, et ne les en tenir en suspens. Dont, Madame, si avez dezir que les choses s'entretiennent paysibles, de ce costé, je vous supplye très humblement me commander de leur fère quelque bonne responce, et qu'escripviés tout d'ung trein, en Normandye, qu'on lève le dict arrest, et qu'on ouvre le passage aulx Angloys; ayant à vous dire davantage que sur ceste nouveaulté, qu'on leur a faicte par dellà, ilz ont incontinent mandé aulx officiers de la maryne, icy, de fère nouvelles provisions pour leurs navyres, parce que le gouverneur de Fleximgues a desjà achepté et enlevé celles qui estoient auparavant faictes, et les a transportées en Hollande, à cause que l'armée du grand commandeur empesche que nuls vivres puissent venir, du costé de terre, dans les villes et places du dict pays. Et ainsy l'on a commancé de tuer nouvelle cher; mais, à mesure que les choses yront en avant, j'en donray advis à Vostre Majesté, ayant cepandant envoyé le Sr de Vassal, jusques en ceste court, fère, pour ce regard, et sur quelques aultres occasions, une particullière négociation avec aulcuns qui sont de bonne intention. Et j'espère que je pourray contenir encores les choses, et vous mander, dans bien peu de jours, à quoy elles auront à devenir; qui cependant vous supplye très humblement, Madame, de vouloir non seulement dissimuler que demeuriez plus en souspeçon de ceulx cy, et que le Roy pareillement le dissimule, mais que toutz deux monstriés de vouloir prendre de la confiance d'eux, ou certaynement vous les vous acquerrez pour tout déclarez ennemys.
Le secrettère de leur ambassadeur vous sera bientost renvoyé, et la dicte Dame vous escripra, de sa main; laquelle cepandant continue son progrès vers Bristol, bien joyeuse de ce que le comte d'Oxfort est retourné à son mandement, encor que milord Edwart soit demeuré.
Me Quillegreu est encores en Escoce, lequel assure fort que les choses y continuent paysibles par dellà. Et, de faict, le comte d'Honteley est venu à Lillebourg, et le comte de Morthon faict semblant de s'estre fort racointé avecques luy, qui, en ceste confiance, s'en va bientost visiter paysiblement le pays du North jusques à Abredin, car aultrement il n'y fût point allé qu'avec des forces. Il faict réparer le chasteau de Lillebourg. Et milord St Jehan, Escossoys, est venu, depuis peu de temps, en ceste ville, lequel sollicite d'y pouvoir demeurer sans souspeçon, ou bien qu'on luy baille passeport de se pouvoir retirer en France ou bien en Italye. Le Prince d'Escoce se porte fort bien, et la Royne d'Escoce, sa mère, aussy assez bien de sa santé; laquelle envoye ung gros pacquet de lettres à Mr de Glasgo, son ambassadeur, pour le distribuer à Voz Majestez Très Chrestiennes et à ses aultres parantz par dellà. Sur ce, etc. Ce IIIe jour d'aoust 1574.
CCCXCVIIIe DÉPESCHE
—du VIIIe jour d'aoust 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Nouvelles plaintes à raison de prises nouvellement faites sur les Anglais.—Voyage du roi en Italie.—Présence de l'ambassadeur au service célébré à Londres en mémoire du feu roi.
A la Royne, Régente
Madame, ce que j'ay respondu, sur la plaincte que les seigneurs de ce conseil m'avoient renvoyée des bourgeoys de cette ville, et la dilligence, qu'ilz ont veu que j'ay mise, de vous dépescher promptement mon secrettère pour aller procurer leur satisfaction, a esté cause qu'on a mandé de cesser la provision des navyres, et que seulement l'on eût à tenir deux centz bœufs à l'herbe, et disposer des aultres victuailles et des hommes et marinyers en façon que le tout peût estre prest, le cinquiesme jour après que le premier mandement leur en seroit faict. Mais, depuis, les mesmes bourgeoys me sont venus crier qu'ung leur navyre, qui estoit de grand valleur, avoit de nouveau esté prins et pillé, dans la rivyère de Seyne, par troys navyres françoys, l'ung du Hâvre, l'autre de Fescamp, et l'aultre de Bretaigne, et qu'ilz n'attandoient sinon l'heure qu'on leur rapportât la perte d'aultres cinq de leurs vaysseaulx, qui ne sont pas moindres, lesquelz on tenoit arrestez dedans la dicte rivyère, et les pirates les attandoient à l'yssue pour les piller; et qu'il n'estoit pas possible qu'ilz peussent plus supporter les grandes injures et violences que les Françoys leur faysoient. A quoy je n'ay eu que respondre, sinon d'assurer ces gens de bien que Vostre Majesté estoit extrêmement marrye que la navigation n'estoit plus seure, et qu'il n'avoit tenu à elle qu'il n'y eût desjà esté pourveu, ayant faict offrir à la Royne, leur Mestresse, de mettre, par commune intelligence avec elle, aultant de navyres de conserve, en mer, comme elle y en voudroit mettre, de sa part, mais qu'elle ny ceulx de son conseil n'y avoient encores voulu entendre; et que tout le désordre provenoit du support qu'on faysoit, en ce royaulme, à ceulx de la nouvelle religion, qui alloient piller les Catholicques. Ce que la pluspart d'eux ont confessé estre vray, et ne l'ont moins détesté que moy. Néantmoins, Madame, je supplye très humblement Vostre Majesté de mander aulx gouverneurs de Normandye que, pour la réputation de la couronne, et pour l'entretènement de la paix, ilz vueillent tenir le faict du commerce et de la navigation en quelque meilleur estat qu'il n'est.
Ceulx cy commencent de n'espérer plus, tant qu'ilz faysoient, l'accord d'entre le grand commandeur de Castille et le prince d'Orange; et si, se parle, entre eulx, que la venue du Prince de Condé est retardée, mais ilz ont bien quelque opinyon que le Roy, à son retour, voudra remettre la paix en son royaulme. Et n'est pas à croyre, Madame, en quelle admiration ung chacung, icy, a ce qu'on escript, d'Italye des grands appretz qui s'y font pour honnorer le passage du Roy, vostre filz, et que toutz les potentats du pays concourent à luy aller au devant. De quoy aulcuns sont aussy aises comme si c'estoit pour leur propre prince; et les aultres en restent touts estonnés: et milord de Windesor, qui est à Venise, en a mandé ung grand discours en ceste court. Dont je verray ce que ceste princesse m'en dira, quand je l'iray trouver, à la première occasion que Vostre Majesté m'en donra, après ceste vostre dépesche, que je viens de recepvoyr, du XXIIIe du passé, laquelle contient bien des matières d'importance, mais non propres pour aller tretter d'icelles seules avec la dicte Dame; et aussy que je me suis arresté icy pour les exèques, qu'on a faictes, le VIIe de ce moys, du feu Roy, vostre filz, assez magnificques; où milord trézorier est intervenu pour la Royne, sa Mestresse, avec plusieurs aultres milords; par où l'on a bien voulu fère voyr qu'on tenoit le deffunct pour ung grand amy et confédéré de ceste couronne, qui est une démonstration qui tend à vouloir persévérer vers le Roy, son frère, si, d'avanture, les choses sont gracieusement conduictes. Je m'y suis trouvé, à l'instance de la dicte Dame et à la leur, avec protestation que c'estoit seulement pour ne refuzer d'assister à l'acte de gratitude de ceste princesse vers le feu Roy, et pour ne la mettre en aulcun doubte que Voz Majestez Très Chrestiennes ne vueilliés persévérer tousjours fort constamment vers elle; mais ce a esté sans y fère ny dire chose qui n'ayt beaucoup plus monstré de n'approuver que de donner tant soit peu d'aprobation à leurs cérymonies. Et me suis excusé d'aller à l'offrande, bien qu'on m'y ayt semond, et qu'on m'ayt remonstré que c'estoit la coustume.
Il y a, icy, encores quelque petit nombre de cappitaines et soldatz françoys, de la nouvelle religyon, qui parlent entre eulx de la surprinse de quelque place en France; mais je n'en puis si tost descouvrir la particullarité. Et sur ce, etc. Ce VIIIe jour d'aoust 1574.
Les choses d'Espaigne se vont fort accommodant avec ceulx cy, et faict on tenir prest un gentilhomme, pour l'envoyer devers le Roy Catholicque, ainsy qu'on faict aussy apprester ung milord, pour le dépescher devers le Roy, vostre filz.
CCCXCIXe DÉPESCHE
—du XIIIe jour d'aoust 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)
Irrésolution des Anglais.—Sollicitations des protestans de France pour obtenir des secours.—Instances de l'ambassadeur auprès des réfugiés afin de les engager à recourir au roi.—Nouvelles d'Écosse.—Négociation des Pays-Bas.
A la Royne, Régente
Madame, je n'ay pas esté avec milord trézorier durant les exèques, qu'il a célébrées, icy, au nom de la Royne, sa Mestresse, pour le feu Roy, vostre fils, sans le mettre en propos de confirmer, à ce nouveau règne, l'amityé qui a duré tout le règne passé, affin de sentir en quelle disposition sa dicte Mestresse et eulx de son conseil en estoient. Qui m'a respondu honnorablement plusieurs choses, les unes généralles, les aultres particullières, et les aultres indifférentes, lesquelles seroient bien longues à les mettre toutes, icy; mais, en substance, il a esté facille de recueillyr, de son dire, que la dicte Dame et eulx ont remis de prendre leur résolution, vers le Roy, jusques à ce qu'ilz voyent comme il se déportera à cestuy sien advènement à la couronne, et comme il commencera l'entrée de son règne; en quoy ne fault doubter qu'ilz ne remarquent, de près, tout ce qui s'y fera, et qu'ilz ne se forment une impression que la suyte en doibve estre semblable. Bien m'a il dict que ce qu'il estimoit, à présent, estre besoing de plus promptement pourvoyr, estoit celle plaincte de leurs marchandz et subjectz qu'ilz m'avoient renvoyée, à laquelle ils avoient à adjouxter plusieurs excès nouveaulx, qui estoient par trop insupportables, et sur lesquels la Royne, sa Mestresse, ne pouvoit plus dényer sa provision, si elle ne vouloit renoncer à sa couronne; et mesmement que ses subjectz la supplioient qu'aulmoins elle leur permît de se revencher sur les mesmes françoys qui les avoient oultragés et endommagez.
A quoy je luy ay oposé plusieurs raysons, et allégué beaucoup d'inconvénients, qui adviendroient de cella, et luy ay exibé des plainctes, aussi récentes, des nostres, comme estoient celles dont il me parloit des leurs; et qu'en effaict, il falloit que, par commune intelligence, Voz Majestez Très Chrestiennes, et la Royne, Sa Mestresse, fissiés cesser ces désordres, et qu'on ne donnât ny retraicte, ny faveur, en ce royaulme, à ceulx de la nouvelle religyon qui alloient piller les Catholicques, ce qu'il n'a nullement contredict; ains m'a assuré que, sellon qu'il n'avoit jamays approuvé telles choses, il en parleroit vifvement à la Royne, sa Mestresse, laquelle il alloit trouver, le jour ensuyvant, pour luy ramener le comte d'Oxfort, son beau fils. Lequel il espéroit qu'elle le verroit très volontiers pour s'estre bien fort vertueusement acquité vers son service, quand il a esté en Flandres, où non seulement il n'avoit voulu fréquenter le comte de Vuestmerland ny la comtesse de Northomberland, mais ne les avoit voulu ny voyr, ny ouyr, ny nul des fuitifs de ce royaulme.
J'ay depuis receu la lettre de Vostre Majesté, du XXVIIe du passé, laquelle j'ay envoyée communiquer au comte de Lestre par le Sr de Vassal, affin d'en fère part à la Royne, sa Mestresse; et ay envoyé, par mesme moyen, à Mr de Walsingam, une coppye de la patante qu'avez faicte expédier en faveur des Angloix. Il est arryvé icy, d'Allemaigne, ung françoys, qu'on m'a dict s'appeler, de son propre surnom, Poutrin, mais il se faict nommer Dupin, lequel a esté négocier en ceste court, et les ministres, avec aulcuns aultres principaulz protestantz, le sont allez assister. Qui ont, toutz ensemble, ainsy qu'on me l'a rapporté, fort instamment pressé d'avoir argent ou crédit de ceste princesse pour fère la levée, en Allemaigne; mais, après beaucoup de réplicques, d'ung costé et d'aultre, elle les a remis à attandre ung peu que le temps luy appreigne ce qu'elle debvra fère; et ainsy ilz sont temporisans, icy, ceste espérance.
J'ay faict admonester les principaulx françoys de la nouvelle religyon, qui sont encores par deçà, d'aller au devant du Roy, vostre filz, et qu'avec le debvoir de leur obéyssance ilz luy facent eulx mesmes entendre leurs requestes, sur ce qu'ilz desirent de Sa Majesté pour le repos et seureté de leurs personnes, biens et conscience, leur assurant que Vostre Majesté leur assistera. Et ay faict presser le vydame de Chartres, lequel semble s'apprester pour passer en Allemaigne, le chassant d'icy la nécessité, qu'il vueille attandre la déclaration de la bonne volonté et intention de Voz Majestez, à ce commencement de ce nouveau règne.
Je ne sçay encores comme luy et les aultres en uzeront; tant y a qu'il m'a mandé que Vous, Madame, sçavez bien qu'il vous est, et ne peut, ny veult vous estre aultre que très bon et très humble serviteur, et qu'il avoit fondé toute son espérance et la resource de toutz ses affères, sur la bonne opinyon qu'il pensoit que Vostre Majesté eût de luy; mais qu'il avoit bien senty tout le contrayre, en son procès de Chavamoye, et qu'il croyoit estre vray, ce qu'on disoit: que Vostre Majesté ne faysoit bien sinon à ceulx qui s'efforçoient de vous fère du mal.
J'attands, d'heure en heure, le retour d'ung escossoys, lequel j'ay, longtemps y a, faict acheminer à Lillebourg, pour observer Me Quillegreu, et pour me rapporter, au vray, l'estat des choses de dellà, et comme je y pourray escripre, et où adresser mes lettres. Il m'a cependant adverty que la payx s'y entretient aulcunement, et que le comte de Morthon et celuy d'Honteley sont, de vray, assez bien ensemble; et qu'icelluy de Honteley demeure à Lillebourg, pendant que l'autre va tenir la justice à Abredin, et vers le North, (comme ostâges l'ung pour l'autre); et que toutz les grands d'Escosse ont presté l'obéyssance au dict de Morthon, réservé le comte d'Arguil, qui, pour ceste occasion, est mis au ban; et qu'on y parle d'entretenir fermement la ligue avecques la France.
Les depputés, qui vacquent, icy, sur les différens des Pays Bas, sont fort près de conduire l'accord, et m'a l'on dict qu'il se fait quelque forme de récompense aulx mutuelz subjectz, de laquelle l'on pense qu'encore que, de pas ung des costez, l'on ne s'en ayt bien à contanter, néantmoins, parce que les princes ne veulent poinct de différent, que nul ne s'y oposera. Et desjà la flotte des leynes est partye de ceste rivyère pour aller à Bruges, et delà en Anvers, ainsy qu'on avoit auparavant accoustumé de le fère.
Je loue Dieu, de bon cueur, de ce qu'il luy plaist donner toute facillité et bon rencontre au voïage du Roy, vostre filz, et prie Dieu qu'il le vous vueille rendre, bientost, bien sain et bien joyeulx. Et sur ce, etc.
Ce XIIIe jour d'aoust 1574.
CCCCe DÉPESCHE
—du XVIIe jour d'aoust 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Nicolas de Malehape.)
Préparatifs faits secrètement pour secourir la Rochelle.—État de la négociation des Pays-Bas.—Incertitude sur le départ de la flotte d'Espagne.
A la Royne, Régente
Madame, ayant, le tréziesme du présent, receu la dépesche de Vostre Majesté, du Ve, j'ay incontinent envoyé là, où j'ay quelque intelligence, pour fère dilligemment observer les choses aulxquelles me commandiés prendre garde. Et j'ay trouvé que, sur ung pacquet qui est arryvé, à ceste princesse, le IXe de ce moys, de son ambassadeur qui est en France, elle luy a incontinent renvoyé son secrettère Thomas Wilx, celuy mesmes, à mon advis, dont Vostre Majesté m'a cy devant faict mencion, lequel est party de ceste ville, le XIIe, mais non en grande dilligence, car a emmené deux hacquenées, comme s'il alloit à journées; et a esté conférer avec les ministres et aultres principaulx françoys de la nouvelle religyon, qui sont encores icy, sans passer nullement devers moy, bien qu'on m'eût assuré qu'il luy seroit commandé de le fère. Et, bien peu d'heures après, ung allemant, d'assez bonne apparance, qui estoit party de Paris, le Xe, est arrivé icy, le tréziesme fort matin; et incontinent, a passé oultre vers ceste court, à Bristo, où j'ay aussytost dépesché de mon costé, affin d'estre adverty comme et avec qui il négocyera. Et n'est pas à croyre, Madame, combien la venue du Roy, et les levées des reytres et suysses, qui sont entrés, pour son service, en France, meuvent diversement les affections de ceulx cy, et font diverses impressions en eulx, et en ceulx des aultres nations, françoys, allemans, flammants, et encores italiens et hespaignols, qui sont en ceste ville; dont se faict plusieurs discours, et beaucoup de gageures, entre eulx, sur ce qui debvra advenir. Et cependant ceulx de la nouvelle relligyon ont envoyé, en Hambourg et Emdhem, fère provision d'armes et de poudre, et de monitions de guerre, et en cherchent de toutes partz, secrettement, en ce royaulme, pour envoyer à la Rochelle.
Les depputés qui vacquoient icy, pour le Roy d'Espaigne, sur les différends des Pays Bas, se sont condescendus presque à tout ce que les Angloix ont voulu, réservé à ung seul poinct, sur lequel eulx et les principaulx marchands de ceste ville sont allez trouver les seigneurs de ce conseil, à Bristo, qui les en mettront, ainsy que chascun pense, fort facillement d'accord.
L'on commance fort à doubter de la venue de l'armée d'Espaigne, s'entendant que celle du Turc va à Tuniz; et que desjà la sayson, pour venir par deçà, s'en va passer. Néantmoins Goaras dict qu'il luy est arryvé ung pacquet du Roy d'Espaigne, qui s'adresse à Péro Mélendès, pour le luy dellivrer, au premier port que l'ung de ses vaysseaulx abordera, en ce royaulme; par où il publie que l'armée estoit desjà partye. Et sur ce, etc.
Ce XVIIe jour d'aoust 1574.
CCCCIe DÉPESCHE
—du XXIIIIe jour d'aoust 1574.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)
Félicitation au roi sur son retour en France.—Demande par l'ambassadeur de son rappel.—Mémoire général. Détails de la négociation de don Bernardin de Mendoce.—Ses efforts pour renouer l'alliance de l'Angleterre et de l'Espagne.—Démarches de l'ambassadeur pour rompre ses projets.—Confidences de Leicester sur les offres qui lui avaient été faites par le roi d'Espagne lors de l'avènement d'Élisabeth.—Ses plaintes de l'abandon où le laisse la France.—Nécessité où il se trouve d'accepter les nouvelles offres des Espagnols.—Hésitation d'Élisabeth à se prononcer entre la France ou l'Espagne.—Vive recommandation de l'ambassadeur pour que la légation annoncée par Élisabeth soit bien reçue en France.
Au Roy.
Sire, sellon le debvoir et servitude que j'ay à Vostre Majesté, je la supplie très humblement avoyr agréable que je luy puisse, d'icy en hors, par le Sr de Vassal, avec la présente, très humblement bayser les mains, et me conjouyr, avec elle, ainsy de parolle et par escript, comme je le fay infinyement du profond de mon cueur, de son heureulx retour; sur lequel je fay ceste dévote prière à Dieu, que tout ainsy qu'il luy a pleu de le guider, et le rendre favorizé des plus souverains princes et potentatz de la terre et de toutz les peuples, où elle a passé, et le rendre encores non moins desiré de ses bons et naturels subjectz que leur propre vye, qu'ainsy sa divine providence vous vueille maintenant, Sire, introduyre en ung règne qui soit d'une continuelle félicité à Vostre Majesté, et d'ung bien assuré et perdurable repos à voz subjectz; et qu'il vous face aussy contant de la fidelle obéyssance qu'ilz vous doibvent, comme ilz vivront très heureulx soubz vostre légitime et souverayne authorité. Il ne fault pas qu'on juge autrement des extrêmes difficultez que Vostre Majesté, par une grande magnanimité de cueur, en s'en venant, et la Royne, vostre mère, par une singullière prudence, eu vous attandant, avez, l'ung et l'autre, vertueusement surmontées, sinon que, par là, Dieu a déterminé, sellon le grand soing qu'il a tousjours eu de la couronne de France, de la restablir bientost en quelque meilleur estat et en plus d'esplandeur qu'on ne l'a veue de longtemps. Et Dieu vueille que, pour ce regard, Vostre Majesté me répute, en quelque endroict, digne de son service; car je n'ay, pour nulle aultre occasion qui soit au monde, plus cher le restant de mes jours que pour les dédyer toutz à très humblement vous en fère.
Je desire bien que les choses d'icy vous soient entièrement cognues, affin de prendre advis comme vous conduyre vers celles qui, en l'endroict de ceste princesse et de son royaulme, peulvent concerner le présent estat des vostres. Et s'il vous plaist, Sire, vous souvenir des termes, où l'on en estoit, quand partistes pour vostre royaulme de Pouloigne, sellon que, jusques allors, je vous en avoys tousjours rendu bon compte; et entendre, à ceste heure, de la Royne, vostre mère, ce que, depuis, du vivant encores du feu Roy, vostre frère, et, après qu'elle a esté Régente, je luy en ay ordinairement mandé, joinct l'ample instruction que, par le Sr de Vassal, présent porteur, je vous en envoye, et ce que luy mesmes, par qui j'ay souvent négocyé avec des principaulx de ce conseil vous en dira, il ne vous sera malaysé d'eslire, entre plusieurs expédients là dessus, celluy qui plus conviendra au bien de voz affères. Une chose vous supplyè je très humblement, Sire, de considérer: qu'il y a ung grand nombre d'ans que nulle entrée de règne n'a esté si curieusement observée, en la Chrestienté, que sera la vostre, ny nuls actes de prince plus dilligemment remarqués que ceulx que vous y ferés; que tant plus, sur ce commancement, l'on les verra bien et sagement et sans précipitation conduictz au seul but du bien et utillité de vostre couronne, tant plus Vostre Majesté en demeurera redoubtée de ses voysins, et creincte et révérée de ses subjectz, et son authorité en prendra, avec sa grande réputation, ung très solide fondement pour tout le temps de son règne; bien qu'à dire vray rien n'est advenu, du passé, que ceulx icy ne monstrent desjà, comme je pense que feront ceulx des aultres courts, de le vouloir tirer en argument de l'advenir, sellon qu'ilz verront que les premiers déportements de Vostre Majesté procèderont.
J'ay commancé, par ma dépesche, du XXIIIe du passé, et continueray, par ceste cy, de suplier très humblement Vostre Majesté de m'octroyer tant de grâce qu'après une si longue résidance, de six ans continuels que j'ay esté en ceste charge, avec la ruyne de mes meilleurs ans, et de ma santé, et de mes affères; et avec la perte de ce peu de bien que j'avoys, qui tout m'a esté osté, et ung de mes frères meurtry, et troys aultres, pendant que j'ay esté icy, sont mortz; je puisse maintenant, pour mon souverain bien et pour ma meilleure consolation, aller voyr la face de Vostre Majesté; ayant la Royne, vostre mère, pour diverses occasions qui sont survenues en vostre service, tousjours différé, de temps en temps, de me retirer jusques à ceste heure, que j'espère que Dieu l'aura voulu ainsy, affin que j'aye tant plus d'heur d'estre rappellé et relevé de ma pouvreté, et récompensé de mon tant long et très fidelle service, par la libéralle main de Vostre Majesté, ainsy que, de rechef, pour une singullière estreyne à cestuy sien très heureulx retour, très humblement, et au nom de Dieu, je l'en requiers. Et je supplieray le Créateur, etc.
Ce XXIVe jour d'aoust 1574.
MÉMOIRE PRINCIPAL,
baillé au Sr de Vassal de ce qui est expédiant que Leurs Majestez entendent
de l'estat des choses d'Angleterre:
Que, au mois de juing dernier, le cappitaine Leython et le jeune Quillegreu rendirent fort mal satisfaicte la Royne d'Angleterre des choses de France, et firent que le comte de Lestre, qui avoit tousjours entretenu la dicte Dame en l'intelligence du Roy, et luy mesmes, qui s'estoit toujours montré partial françois, demeura encores plus offencé qu'elle, de ce qu'ils luy rapportèrent qu'on se deffioit grandement de luy et qu'on l'avoit bien fort suspect par delà.
De quoy s'estant les passionnés Protestants bien apperceus, et pareillement ceux qui portent, ici, le faict du Roy d'Espaigne, et se voullants, les uns et les autres, servir de l'occasion, ceux ici firent incontinent sçavoir au grand commandeur de Castille, qu'il estoit temps qu'il envoyât par deçà un personnage de qualité, pour renouveller l'amitié avec cette princesse, et avec ce royaulme; et que, si le Roy, son Maistre, y avoit tant d'affection, comme il en faisoit le semblant, qu'il y trouveroit, à ceste heure, de la facilité et disposition fort bonne. Dont, soubdain, il print espédiant d'y envoyer don Bernardin de Mendossa; mais, pour monstrer que l'occasion de sa légation n'estoit soubdaine, ains qu'elle provenoit de plus loing, il fit courir le bruict que, de certains blancs qu'il avoit rempli à cest effaict, c'estoient des lettres bien fresches du Roy, son Maistre, qui enfin luy estoient venues par la voye de Gènes, après que plusieurs aultres siens pacquets avoient esté volés, en France, par ceux de la nouvelle religion; et advertit ceux de son parti, ici, qu'ils commenceassent d'ainsi le publier.
Lesquels ne faillirent pas de faire bien honneste cette nouvelle, comme très oportune, sur le doubte où l'on estoit de l'armée d'Espaigne, et se mirent à pratiquer des personnes plus principalles, hommes, et femmes de ceste cour, et proposer tout ouvertement, et avec grande expression, dans ce conseil, les choses que s'ensuivent, ainsi que le Sr de La Mothe Fénélon en a esté seurement adverti:
Que l'intelligence du Roy d'Espaigne estoit nécessaire et de très grande utilité à l'Angleterre, considéré que le commerce et la navigation des Anglois, qui estoient les deux choses sur lesquelles se maintenoit principallement l'estat de ceste couronne, estoient si meslées et fondées avec l'Espaigne et Flandres, et pareillement celles des Espagnols et Flamans avecque l'Angleterre, qu'il n'estoit pas possible que les uns se pussent passer des aultres, ainsi que la preuve du suspens et intermission du traffiq, où ils en avoient esté, ces quatre ou cinq ans derniers, avoit faict sentir, de chasque costé, que les inconvénients en venoient si grands que les pays s'en estoient plusieurs fois cuidés rebeller;
Et qu'on n'avoit jamais peu bien establir le commerce en ce royaulme de France, fust pour incompatibilité des deux nations, ou par faulte qu'il n'y eust de bons ports par delà, ou que les subsides y feussent trop grands, et les charrois trop chers et difficilles, et les chemins mal seurs: ou qu'on n'y trouvât à y faire la descharge, ni à charger ce qui faisoit besoin par deçà: ou bien d'aultres désordres et manquements de la police et de la justice du royaulme; de sorte qu'ils jugeoient n'y avoir propos ni apparence qu'ils deussent laisser leurs anciens entrecours, lesquels estoient faciles et aisés, pour en commencer des nouveaux qui n'avoient nulle aisance ni facilité;
Qu'il ne s'estoit veu, ni ne se voyoit rien au Roy d'Espaigne, pour quoy la Royne, leur Mestresse, deubt rejetter son amitié ny luy dénier la sienne, puisqu'il la venoit rechercher; car il s'estoit tousjours monstré prince véritable et certain, plain de grande modération, et d'intégrité, qui n'avoit poinct meu de guerres injustes, ni qui ne feussent nécessaires; et n'avoit usé, en icelles, ni fraude, ni mauvaise foy, ni exercé aulcuns actes cruelz qui feussent hors du debvoir de la guerre, ni contre les termes de la justice;
Qu'il s'estoit monstré si modéré qu'il n'avoit poinct refusé, pour la diversité de religion, de confirmer les anciens traictés avecques la Royne, leur Mestresse; et que, tant qu'elle avoit esté de bonne intelligence avecques luy, il avoit bien gardé que le Pape ni le concille n'avoient rien meu contre elle; qu'elle n'avoit poinct de particuliers ennemis auprès de luy, pour l'inciter à la fascher: et si le duc d'Alve l'avoit d'aultrefois esté, il falloit considérer qu'il en avoit esté aulcunement provoqué; et néantmoins son Maistre ne l'en avoit pas despuys advoué, et le tenoit encores, à cause de cella, assez recullé de luy;
Que les précédents Roys, prédécesseurs de ceste couronne, avoient assez cognu que leurs affaires s'estoient tousjours très bien portés avec l'intelligence d'Espaigne, et non seullement ils en avoient maintenu leur estat en grande seurté, et enrichi leurs subjects, mais avoient exécuté, avec cet appuy, de grandes entreprinses ailleurs, et s'estoient rendus formidables à leurs ennemis; et qu'en effaict, de tous les aultres voysins, ils n'avoient jamais guières senti que mal, dommage et ennuy, et de cestuy ci toujours beaucoup de bien, faveur et support; et estoient pour en sentir plus que jamais, et pour estre bien secourus de luy, à leur besoin, là où les aultres estoient si ruinés et si empeschés, qu'ils ne se pouvoient secourir eux mesmes;
Et que, si l'on venoit à l'occasion des derniers différents d'entre la Royne, leur Mestresse, et le dict Roy d'Espaigne, l'on trouveroit que c'estoit luy qui avoit à se plaindre; car il estoit l'offencé, et ses subjects avoient esté beaucoup plus pillez que les Anglois. Dont, puisque l'opportunité s'y offroit très bonne, de pouvoir esteindre maintenant ceste injure avec un tel prince, leur ancien ami et confédéré, et avecques ses dicts subjects, qu'ils ne la debvoient nullement laisser passer; et que eulx osoient bien respondre, sur leur vie, que, si la Royne, leur Mestresse, voulloit bien user vers luy, qu'elle ne sentiroit, par mer ni par terre, ny en nul endroit de ses pays, ni en chose qui appartienne à sa grandeur et couronne, ni en l'estat de sa relligion, aulcun empeschement, dommage ny desplaisir, de tout le temps de sa vie.
A laquelle opinion un chascung monstra non seullement de consentir, mais d'y apporter quelque bonne parolle de confirmation; dont feut délibéré que le dict don Bernardin seroit bien et honnorablement receu, et seroit respondu avec toute faveur.
D'autre costé, les principaux supposts de la nouvelle religion se assemblèrent, plusieurs foys, en conseil, et appellèrent souvant Villiers Calvart, et aultres ministres, et pareillement les agents des princes protestants et de la Rochelle; pour adviser, avec eux, de ce qui estoit à faire, après la mort du feu Roy, et en l'absance de cestuy ci. Et puis allèrent ressusciter, plus vifves que jamais, leurs poursuittes en ceste cour: où ils feurent mieux ouis qu'ils ne l'avoient encores esté, depuis ces nouveaux troubles: et feurent assistés des mesmes partisans d'Espaigne, soubs l'odeur de l'accord qui se menoit entre le grand commandeur de Castille et le prince d'Orange; et, bien qu'ils ne rapportassent pour lors l'espécialle promesse, qu'ils demandoient de la dicte Dame, d'estre assistés de somme désignée de deniers, et de nombre certain d'hommes et de vaisseaux, et de la faire entrer en ligue ouverte avec les princes protestantz, si eurent ilz beaucoup de bonnes parolles, et firent tant qu'elle retourna souvent à la délibération d'armer: et que un Orné, anglois, et un Labrosse, françois, feurent dépeschés en Allemagne, et qu'on fît au dict sieur de La Mothe Fénélon ceste déclaration qu'il a mandée touchant les déprédations; et obtîndrent aussy que, sellon qu'on verroit la disposition du temps et des choses le requérir, ils seroient, de jour en jour, mieux respondus et satisfaictz.
De toutes lesquelles délibérations estant, le dict ambassadeur adverti, et craignant que la dicte Dame et les siens, non seulement se bandassent, mais qu'ils s'efforceassent aussy de bander, avec eulx, ceux de leur intelligence contre le Roy, il envoya soubdain devers milord trésorier et le comte de Lestre, et Mr de Walsingham, pour les reschaufer à la ligue de France; et leur en fist représenter les utilités, et la grande seurté qui en viendroit à tout ce royaulme. A quoy les deux respondirent aulcunes parolles indifférantes, sans se voulloir ouvrir de rien.
Mais le comte de Lestre, avec lequel feut besoing d'estreindre un peu plus la négociation, parce qu'avecques luy plus qu'avec nul aultre ces supposts protestants et les partisans d'Espaigne s'efforçoient d'entrer en estroicte pratique, manda franchement à ce dict ambassadeur qu'il avoit le cœur oultré de despit et de regret, de ce qu'après avoir tant travaillé et tant despandu, comme il avoit faict, pour avancer en ce royaulme l'intelligence de France, il y avoit faict entrer la Royne, sa Mestresse, et tout son conseil, il se trouvoit maintenant de n'estre, en nulle part de la Chrestienté, tant haï ni tenu pour suspect, que là; et que, quand il se souvenoit qu'il s'estoit extrêmement formalisé pour la dicte couronne, au préjudice des aultres alliances, et d'Espaigne et d'Allemaigne, et de sa propre relligion; et qu'il n'estoit nulle sorte de bons et bien rellevez offices qu'il n'eût faict pour icelle, trop plus ouvertement que nul aultre estranger du monde ne l'eût osé entreprendre, espérant d'y trouver du refuge à son besoin, il ne pouvoit dire sinon que la France se portoit par trop ingratement vers luy; mais que, pour cella, il ne lairoit de conseiller à sa Mestresse de garder bien l'amitié au Roy, quand il viendroit en son rang d'en parler, ayant tousjour jugé que c'estoit le bien d'elle et de ses subjects, car aultrement il n'y eût eu tant d'affection; et ne falloit doubter que si le Roy la demandoit, et qu'il requist, de bonne sorte, la confirmation de la ligue; qu'il ne l'obtînt: mais qu'il craindroit par trop de s'en rendre désormais plus solliciteur, ni instiguant, comme il avoit faict, s'il ne voyoit bien procéder de meilleurs effaicts de delà.
Comme aussy, il se délibéroit de conseiller, de mesmes, l'amitié d'Espaigne, puisqu'il estoit si humainement recerché de ne s'y opposer plus, et qu'à dire vray le Roy d'Espaigne ne luy avoit jamais donné occasion que de luy estre fort serviteur: car, quand il estoit entré en ce royaulme, il avoit tiré luy et ses deux frères de prison, et leur avoit faict rendre l'héritage de leur père, qui estoit confisqué; et quand l'armée d'Angleterre avoit esté à Sainct Quentin, soubz le comte de Pembrok, il luy avoit faict tenir le second lieu, et commander à l'artillerie; et puis, au retour, il n'avoit poinct escript, pour nul aultre, plus favorablement que pour luy, à la Royne Marie, sa femme; dont son premier avancement en estoit venu.
Et, après la mort de la dicte Royne, il avoit à luy et non à pas un plus de ceste cour, escript de sa main, par le comte de Férie; et luy avoit offert une pension de quatre mille escuz, prévoyant bien qu'il estoit pour tenir quelque lieu d'authorité en ce royaulme, laquelle pension il avoit reffusée, bien que d'aultres en avoient accepté. Et depuis, par l'évesque d'Aquila, il luy avoit faict mestre en avant de s'ayder de luy pour espouser la Royne, sa Mestresse: et que, indubitablement, il luy conduiroit l'effaict de ses nopces au poinct qu'il le pourroit desirer, à ses propres despans, avec le concours de tous les amis qu'il avoit en ce royaulme, et avec la faveur des princes estrangers, jusques à luy offrir le consentement et l'authorisation du Pape; et que, mesmes, s'il voulloit incliner à la réduction de la religion catholique, que le Pape luy octroyeroit un chapeau de cardinal pour son frère, et d'establir luy et sa race, pour jamais, en ceste couronne, qui avoit esté un poinct de ce dernier qui l'avoit faict retirer de la praticque du dict d'Aquila; mais il ne laissoit pourtant d'en avoir grande obligation à son Maistre;
Que, pour lors, il avoit eu plus d'inclination à la France, et trop meilleur opinion des François que des Espaignols, ce qui l'avoit, assez tost après, faict déclarer ouvertement pour le Roy, jusques à avoir accepté, pour très grand honneur et faveur, son ordre: dont le Roy d'Espaigne avoit commencé de désespérer des choses de ce royaulme; mais qu'à présent la preuve du temps et des personnes luy faisoit voir, et à tout ce royaulme, que l'alliance d'un tel prince n'estoit nullement à rejetter, et mesmes qu'il se conduisoit si bien vers eux, qu'ilz ne sçavoient desirer rien de mieux de luy; car, de tous les traictés, entrecours, et trafiqs de ses païs il offroit cella mesmes aux Anglois que ses prédécesseurs leur avoient, de tout temps, concédé, sans diminution quelconque; et encores avec des privilèges davantage, s'ils en demandoient; et, pour le regard des prinses, et aultres différants, d'en fère entièrement comme ils voudroient; touchant à son armée de mer et à ses forces, qu'elles seroient pour servir et non pour nuire, en façon que ce feust, à leur Mestresse, ny à son royaulme; et que, mesmes, le dict comte entendoit que don Bernardin avoit charge d'offrir parti à la dicte Dame, ne voullant poinct dissimuler au dict de La Mothe Fénélon, que indubitablement il seroit bien venu en ceste cour.
Là dessus, il vint bien à propos au dict Sr de La Mothe Fénélon qu'il eût à demander audience, laquelle il n'obtint pas pourtant, sans que les partisants d'Espaigne débatissent assez qu'elle debvoit estre premièrement octroyée au susdict don Bernardin, lequel la demandoit en mesmes temps, par ce, disoient ils, qu'il venoit de loing. Néantmoins le dict de La Mothe Fénélon luy feust préféré, et mit peyne, avec une lettre du Roy, du XVe de juin, de Cracovia, et une aultre que la Royne, sa mère, escripvoit, de sa main, à ceste princesse, de la remestre en quelque bien bonne disposition vers eux; et ne cogneut le dict Sr de La Mothe Fénélon qu'elle se réservât que une seule chose: c'est que, si Leurs Majestez Très Chrestiennes se voulloient tant laisser posséder aux princes estrangers, ou bien à ceux des leurs, lesquels elle ne pouvoit avoir sinon fort suspects, se souvenant qu'ils avoient peu interrompre le mariage d'entre le Roy et elle, et qu'ils voulleussent tant deppendre de leurs advis et persuasions, qu'elle ne peût rien establir avec Leurs majestez mesmes, sans danger d'estre bientost renversée par les aultres, qu'indubitablement elle ne sçauroit se commettre à leur amitié. Sur laquelle audience le dict ambassadeur fit une bien ample dépesche à Leurs Majestez Très Chrestiennes, du XXIIIe du passé.
Le jour ensuivant, le dict don Bernardin fust ainsi bien honnorablement receu, et bien ouï et festoyé, et puis favorablement licencié, comme le dict de La Mothe Fénélon l'a despuis mandé. Et oultre les particullarités, qu'il a desjà escriptes, de sa négociation, il a entendu, despuis, que celle, qu'il avoit faicte, en privé, avoit esté de dire à la dicte Dame que, puisqu'elle monstroit de se voulloir marier, le Roy, son Maistre, luy voulloit bien offrir un party très honnorable, et lequel il espéroit que seroit à son contentement, premièrement de son frère, don Joan, lequel il ne tenoit en aultre rang que de frère germain et utérin, estant fils du grand Empereur Charles cinquiesme, et prince, de soy mesmes, d'une telle vertu et singullière valleur, et de telle perfection de nature, que nul aultre prince se pouvoit justement préférer à luy, ou bien le prince Ernest, segond fils de l'Empereur, prince excellent et rare, entre tous ceux de la Chrestienté; et avec l'ung ou l'aultre luy faire des avantages trop meilleurs et plus grands qu'elle n'en sçauroit avoir de nul aultre party.
Or, n'a pu encores bien au vray sçavoir le dict de La Mothe Fénélon quelle responce il a emportée; mais on l'a bien adverti que ceux de ce conseil avoient plus pressé, que onques ils n'avoient faict auparavant, la dicte Dame de se marier, sans toutesfois l'adstreindre à un party plus qu'à un aultre, mais d'en prendre quelqu'un qui luy peût plaire; et qu'elle leur avoit monstré de n'en estre pas esloignée; et qu'il sembloit que ses deux principaux conseillers inclinoient toujours plus à Monseigneur le Duc, puisque le propos en estoit si avant, que à tout aultre, pourveu que les choses, qu'on luy avoit mises sus, n'y donnassent d'empeschement, bien que je jugeois que, de ce costé, ni de l'aultre, on ne se debvoit plus attendre à ceste poursuitte.
Néantmoins le dict don Bernardin manda au dict de la Mothe Fénélon, après pleusieurs honnestes parolles de merciement, sur une visitte qu'il luy envoya faire par le Sr de Vassal, qu'il l'excusât, s'il ne le pouvoit venir voir, parce qu'il estoit pressé de son retour devers le grand commandeur, et qu'il ne sçavoit s'il avoit à passer incontinent devers le Roy, son Maistre, sur certain incident de la présente légation.
Cestuy ci ne feust plus tost party, que les Protestants et les ministres retournèrent, en cour, renouveller leurs premières instances, et en mectre encores d'aultres en avant, de ce qu'ils estimoient estre besoin de pourvoir, à l'arrivée du Roy.
Sur quoy, le dict de La Mothe Fénélon, pour ne laisser aller les choses ni à leur poursuitte, ni à celle que le dict don Bernardin avoit faicte; il envoya incontinent le Sr de Vassal à la cour, parce que luy mesmes n'avoit argument assez propre d'y aller: et luy bailla des lettres au comte de Lestre et à Mr de Walsingam, pour avoir moyen, en négotiant avec eux, de leur faire bien gouster les choses qui estoient pour le service du Roy, et les divertir de l'opinion des aultres, qui pouvoient estre au contraire, et approfondir s'il y en avoit quelqu'une mauvaise, qui eût desjà passé en délibération. Dont il receuillit de leurs propos assez de quoy prendre une grande conjecture de l'intention de leur Mestresse, et de la résolution de son conseil; ainsi qu'il plairra à Leurs Majestez l'entendre de luy mesmes.
Lesquelles, possible, fairont le mesme jugement que faict le dict de La Mothe Fénélon: c'est que, ne pouvant la Royne d'Angleterre s'asseurer assez de quelle vollonté sera le Roy vers elle, et se deffiant beaucoup de celle du Roy d'Espaigne, elle et son dict conseil demeurent en suspens; et tiennent, pour ceste occasion, suspendues leurs délibérations, donnant entendre aux Protestants qu'il n'est encore temps qu'elle se déclare, ni qu'elle attente rien contre les termes de la ligue qu'elle a avec le Roy, jusques à ce qu'elle voye comme il se déportera à son arrivée: et entretiennent ceux du party de Bourgoigne d'une espérance, d'envoyer bientost un gentilhomme devers le Roy Catholique, estant le jeune Coban desjà nommé pour cest effaict; et néantmoins que ces expresses démonstrations, qu'elle faict vers le dict Roy d'Espaigne et vers les dicts partisants, sont plus pour mettre le Roy en jalousie, que non qu'elle soit encores bien déterminée vers eux; vray est que d'autant, que les choses se pourroient bien disjoindre d'avecques le Roy, pour se réunir à l'un ou à l'aultre des aultres partis, ou aux deux ensemble, parce que tous deux sont fort appuyés et authorisés en ceste cour, il sera bon d'y pourvoir de bonne heure.
Et le moyen plus aisé, en cella, semble estre que le Roy, à cestuy sien advennement, veuille bien et favorablement recevoir la légation, qui luy sera faicte de la part de ceste princesse, et qu'il luy en dépesche bientost une aultre bien honnorable, s'ouvrans, de chasque costé, à parler franchement entre eux, sans plus de deffience, et sans essayer de se convaincre l'un l'aultre sur ce qui a desjà passé, ains s'en donner toute la mutuelle satisfaction qu'ils pourront; et que le Roy face déclarer à la dicte Dame qu'il veut succéder à la ligue du feu Roy, son frère, avec elle, et qu'il en requiert la confirmation; et qu'au reste il face toute démonstration de voulloir establir si bien, et à conditions si raisonnables, la paix en son royaulme, que les eslevés soient convaincus de manifeste rébellion s'ils ne l'acceptent.
CCCCIIe DÉPESCHE
—du XXVIIIe jour d'aoust 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Voyage de la reine-mère pour aller recevoir le roi.—État des affaires en France.—Annonce d'une audience.—Nouvelles d'Écosse.
A la Royne, Régente
Madame, premier que de parachever ma dépesche, par le Sr de Vassal, lequel vous est allé trouver, le XXIIIIe de ce moys, Grougnet, mon secrétaire, estoit desjà arryvé, avec celle de Vostre Majesté, du VIIIe auparavant. Et je m'en vay, tout à ceste heure, trouver la Royne d'Angleterre, à cent mille d'icy, pour luy dire vostre partement pour Lyon, où espérés rencontrer le Roy, vostre filz; et que, pour fère meilleure dilligence, vous avez layssé la Royne, vostre belle fille, à Paris, ayant seulement admené Monseigneur, et le Roy et la Royne de Navarre, voz enfans, avecques vous. Et luy toucheray les aultres poinctz de voz troys ou quatre dernières dépesches, espéciallement l'espérance qu'avez de la paix, et comme il ne tiendra à Voz deux Majestés Très Chrestiennes qu'elle ne succède bonne et seure, et de longue durée, en vostre royaulme; pareillement de la venue des ambassadeurs des princes d'Allemaigue, et des depputez de ceulx de la nouvelle relligyon qui sont allez au devant du Roy; aussy des deux levées de reytres et suysses, pour pouvoir, avec plus d'authorité, conclure la dicte paix, ou bien réprimer, par force, l'élévation de voz subjectz; et puis du bon ordre qu'avez layssé à Paris, pour la police, et pour, entre aultres choses, administrer, bien et promptement, par le grand commandeur de Champaigne et le chancellier de Navarre, qui sont deux personnages fort notables du conseil privé du Roy, la justice aulx Angloix, sur les pleinctes que je vous ay dernièrement envoyées. Et mettray peyne que, de tout ce qui se pourra tirer de voz dictes dépesches, rien n'en soit obmis, qui puisse apporter de la satisfaction à la dicte Dame, et luy fère bien espérer de vostre intention, et luy disposer bien la sienne vers Voz Majestez Très Chrestiennes.
En quoy je sentz bien, Madame, qu'il me vient de grandes traverses, du costé des Protestantz, parce qu'ilz ont très suspect le passage que le Roy a faict par l'Italye, et craignent qu'il y ait esté conseillé, ou que, mesmes, on l'ayt expressément obligé, de promesse, avant qu'il en soit sorty, qu'il poursuyvra, à oultrance, ce qu'avant estre Roy, il avoit desjà commancé: d'exterminer ceulx de la nouvelle relligion. Et non moins me traversent les partisans de Bourgoigne, lesquels, jaloux du mesmes passage, allèguent à ceste princesse qu'il ne luy peult venir ny proufit, ny secours, de continuer la ligue avec le Roy, parce que, disent ilz, qu'il est si empesché qu'il ne se sçauroit ayder, ny secourir, soy mesmes; et que, s'il se veult tirer d'empeschement, il n'en a nul moyen sinon en cherchant de le fère d'une façon qui seroit plus suspecte à ce royaume que s'il demeuroit bien empesché: et pressent tousjours la dicte Dame d'envoyer une honneste ambassade vers le Roy d'Espaigne.
Néantmoins je viens d'estre adverty qu'elle a desir que je l'aille trouver, affin d'avoyr de quoy donner, aulx ungs et aulx aultres, des bonnes parolles, de celles qu'elle entendra de moy, et de celles qu'elle leur pourra adapter, pour les entretenir en quelque espérance, sans qu'ilz la pressent, à ceste heure, par trop; et aussy qu'à dire vray, elle se tient assez doubteuse de quelle intention le Roy sera vers elle, et ne se peult garder qu'elle n'ayt aulcunement suspectes les forces qu'il assemble; de tant mesmement que, oultre que, de la part des eslevez de France, et des partisans d'Espaigne, l'on use de toutz les artifices qu'on peult pour luy en donner peur.
Le comte de Morthon luy a, d'abondant, escript qu'il a descouvert, au quartier du North d'Escosse, où il est de présent, qu'il y a dellibération, en France, de fère bientost une descente par dellà; mais je m'esforceray de luy oster ces impressions, et de luy persuader qu'elle veuille, du premier jour, envoyer saluer le Roy, vostre filz, et visiter Vostre Majesté, par ung personnage d'authorité, et ne mouvoir rien cepandant jusques à son retour; comme, pour le présent, Madame, je ne descouvre aultre chose de nouveau par deçà, sinon que dix ou douze cappitaynes et soldatz, françoys, qui sont encores icy, s'apprestent pour passer à la Rochelle, estant bruict, parmy eulx, que le Roy, vostre filz, prétend d'addresser son premier exploict, de ceste année, contre ceste ville. Et sur ce, etc.
Ce XXVIIIe jour d'aoust 1574.
Depuis ce dessus, ung de mes amys m'a adverty que Me Quillegreu, qui est en Escosse, a escript à ceste princesse qu'il est en grande espérance d'avoyr bientost ce qu'il a tant pourchassé; et que le dict amy souspeçonne que c'est la personne du Prince d'Escosse; et qu'il a opinyon que milord Housdon n'est allé, ces jours passez, à Barvic, que pour ceste occasion. Il vous plerra, Madame, adviser, avec ceulx de voz affectionnés serviteurs, escoussoys, qui sont en France, le moyen d'y pourvoir, et envoyer promptement sur le lieu pour cest effect. Qui, de mon costé, feray bien, d'icy en hors, tout, ce que je pourray; mais je ne voy pas comme, ny à qui, m'en pouvoir bien addresser en Escosse pour y mettre empeschement; et mesmes qu'on me veult fère souspeçonner que cella ne se conduyra sinon avec l'intelligence d'Espaigne.
CCCCIIIe DÉPESCHE
—du Xe jour de septembre 1574—
(Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet.)
Audience.—Félicitations d'Élisabeth sur le retour du roi.—Mémoire. Détails de l'audience.—État des choses en France.—Déclaration qu'une armée est réunie par le roi pour forcer les protestans à faire la paix.—Protestations d'amitié d'Élisabeth.—Sa déclaration qu'elle doit considérer le projet de mariage comme rompu.—Conseil qu'elle donne au roi d'éviter la guerre.—Arrivée à Londres de Mr de Méru.—Sa conférence avec l'ambassadeur.—Sollicitation de Mr de Méru en faveur de Mr de Montmorenci, son frère.
Au Roy.
Sire, estant allé trouver la Royne d'Angleterre, à soixante dix milles d'icy, pour traicter avec elle du contenu ez quatre dernières dépesches, que j'ay receues de la Royne, vostre mère, elle m'a incontinent, devant toutes aultres choses, fort curieusement demandé si j'avoys nouvelles que Vostre Majesté fût arryvée en France, et qu'est ce que j'entendoys de vostre bon portement et santé, car on faysoit courir le bruict que vous estiés bien fort malade en Italye.
Je luy ay respondu que la Royne, vostre mère, m'avoit escript, du VIIIe d'aoust, qu'elle espéroit bien arryver, sur la fin du moys, à Lyon, et qu'ung gentilhomme, que Vostre Majesté avoit dépesché vers elle, vous avoit layssé sur le Pô, qui veniés, par eau, jusques à Casal de Montferrat, bien sain et gaillard, et bien fort contant du grand recueil, et des suprêmes honneurs, qu'on vous avoit faict par toutz les lieux où aviés passé. De quoy elle a monstré d'estre bien fort ayse; et sommes entrés en plusieurs honnestes devis de vostre partement de Pouloigne, et de vostre long voyage.
Et m'a dict qu'elle regrettoit que son royaulme ne fût en quelque climat, où vous eussiés eu à passer, car se fût mise en debvoir de vous y fère toutes les sortes d'honneurs et de bonne chère qu'elle eût peu, et, possible, que l'Empereur ny la Seigneurie de Venize ne l'eussent, de guyères, surmontée; et que de cella estimoit elle son païs moins heureulx que vous n'en aviés approché, ny à l'aller, ny au retour, et qu'il n'estoit en endroict où peussiés jamays addresser vostre chemin. Et m'a fort prié, Sire, de vous présenter, et à la Royne, Vostre mère, ses très cordialles recommandations, et vous assurer que, sellon qu'elle pourra cognoistre qu'aurés bonne intention vers elle, qu'elle se disposera de nourrir une bien confidente amityé avecques vous deux. Et remettant, Sire, de vous escripre plus amplement par mes premières, estant le mémoire, que j'envoie à la Royne, très ample sur tout ce qui présentement occourt par deçà, je n'adjouxteray rien plus, icy, sinon une très dévote prière à Dieu, etc.
Ce Xe jour de septembre 1574.
MÉMOIRE A LA ROYNE.
Madame, m'ayant la Royne d'Angleterre donné toute la commodicté que j'ay desiré de pouvoir, à loysir, traicter avec elle en la mayson du comte de Pembrok, près de Salsbury, en une chasse où elle a voulu que je l'aye accompaignée; après que je luy ay eu faict le plus honnorable mercyement, qu'il m'a esté possible, pour l'exèque du feu Roy, vostre filz, qu'elle avoit faicte cellébrer à Londres, je luy ay touché, sellon l'ordre de voz quatre dépesches, du XXIIIe et XXVIIe de juillet, et Ve et VIIIe d'aoust, toutz les poinctz qu'elles contiennent; et mesmement de la condoléance que son ambassadeur vous avoit faicte de la mort du dict feu Roy, vostre filz, et de l'excuse, dont il vous avoit uzé, sur ce qu'elle ne vous avoit poinct dépesché de gentilhomme, exprès pour cella:
Qui estoit, sellon son dire, pour ne vous augmenter davantage voz souspeçons, et qu'elle s'attendoit de fère, de tout ung, quand le Roy, vostre filz, seroit arryvé, lequel elle envoyeroit saluer, et envoyeroit pareillement visiter Vostre Majesté par ung personnage d'authorité, qui vous signiffieroit, à toutz deux, le desir qu'elle avoit de confirmer avecques luy l'amityé commancée avec le feu Roy, son frère, et estre assurée de la sienne; et de voyr qu'il fît bien administrer en son royaulme la justice aulx Angloys: qui estoient, en substance, les principaulx poinctz que son dict ambassadeur vous avoit lors déduictz;
Et que Vostre Majesté l'avoit prié de la remercyer infinyement de la condoléance, et luy escripre hardiment que le personnage d'honneur, qu'elle eût envoyé pour la fère, n'eût pas augmanté, ains eût plustost dimynué vostre souspeçon; car estimiés qu'elle luy eût commandé, voyant ce que luy en aviés escript, de vostre main, de régler si bien les gens du dict ambassadeur qu'on ne les eût plus trouvés à vous en donner d'occasion; et que, de nouveau, vous vous estiés plaincte à luy de ce que, depuis le partement de son secrettère, son aultre serviteur, Jacomo, italyen, s'estoit esforcé de ressusciter, avec le Bastard de Bourbon, et avec une des dames de la Princesse de Navarre, les mesmes praticques qui avoient engendré les dictes souspeçons; de quoy vous ne pouviés rester sinon malcontante;
Mais, quand à l'amityé du Roy, vostre filz, qu'il lui escripvît, d'assurance, que Vostre Majesté luy seroit caution qu'il la luy continueroit, aussy longuement qu'avoit faict le feu Roy, son frère, c'estoit jusques à la mort, si elle ne l'interrompoit, de son costé; et que Vostre Majesté ne voyoit chose plus convenable, pour la rendre perpétuelle, et pour déchasser toutes souspeçons d'entre vous, que de parachever le bon propos de Monseigneur le Duc, vostre filz;
Que, touchant fère justice aulx Angloix, qu'il estoit très nécessayre qu'on l'administrât, bonne et prompte, aulx mutuels subjectz, en l'ung et l'aultre royaulme.
Et là dessus je luy ay discouru l'ordre, que vous y aviés desjà mis, pour les siens, en France, et qu'elle voulût ordonner le semblable pour les Françoys, en Angleterre; et que Vostre Majesté avoit donné une bien prompte provision, par lettres patantes, à ses dicts subjectz, et, encores, pour l'amour d'eux à d'aultres, estrangers, pour avoir l'entrée et l'yssue libres par dellà, aussytost que aviez entendu que Mr de La Meilleraye leur y avoit mis de l'empeschement.
Puis ay suivy à luy parler des ambassadeurs des princes protestantz, qui sont allez trouver le Roy, vostre filz, et des levées de reytres et de suysses, et aultres forces, que faysiés acheminer vers luy à Lyon, desquelles vous desiriés bien fort que la dicte Dame ne se voulût donner aulcune souspeçon; car estoient pour la servir, plus que pour luy nuyre; et que Voz Majestez prétendoient, par là, de fère la paix, avec authorité, ou bien terminer bientost la guerre, par la force; et qu'il ne tiendroit au Roy, vostre filz, ny à Vous, que la dicte paix ne s'en suivît, à condicions si bonnes et si seures, pour voz subjectz, que toutz les princes chrestiens les auroient à tenir pour manifestes rebelles, s'ilz ne s'en contantoient. Dont, en ce cas, vous la vouliés bien prier de se porter en bonne amye, et en confédérée bonne seur, vers le Roy, vostre filz, contre eulx.
La dicte Dame, devant toutes choses, ayant prins, sur le mercyement de l'exèque, et sur l'office de la condoléance, un argument de dire plusieurs choses à la louenge du feu Roy, et du tort qu'elle se feroit, si elle n'en honnoroit la mémoyre, m'a, au reste, respondu, qu'elle vous avoit amplement escript de sa main tout ce qu'elle avoit eu sur le cueur, touchant les particullaritez qu'elle avoit veues dans voz dernières lettres, et touchant aulcunes aultres; lesquelles elle vous prioit bien fort de les prendre, et de les fère prendre, de très bonne part, au Roy, vostre filz, sellon qu'elles procédoient d'une grande franchise, qu'elle desiroit estre uzée entre vous; et vous ouvrir clèrement son estomac, affin de nourrir une plus parfaicte et plus pure amityé, avec Voz Majestez, si, d'avanture, vous ne vouliés mespriser la sienne; et qu'il seroit en vostre main de pouvoir aussy seurement respondre au Roy, vostre filz, pour elle, comme il vous playsoit d'estre respondante à elle, pour luy; car, indubitablement, vous, et luy, jouyriés de ce qu'elle avoit de moyen et de pouvoir, et aultant qu'il y en avoit en sa couronne, pour voz commodictés, si luy donniés bien à cognoistre qu'elle se peût confier à Voz Majestez; et qu'elle ne se souvenoit plus de la petite querelle qu'elle avoit eue avec le Duc d'Anjou, et n'en vouloit avoir nulle avec le Roy de France, ains luy ayder, en ce qu'elle pourroit, à establir sa grandeur et accomoder ses affères;
Et, quant à parachever le propos de Monseigneur le Duc, qu'elle estimoit que c'estoit une chose du tout délayssée, laquelle auroit besoing d'ung esclarcissement de beaucoup de faictz d'autruy, là où il luy suffisoit assez qu'elle peût bien respondre des siens; qu'elle estoit infinyement marrye de la fascherye que l'italien Jacomo vous avoit donnée, lequel Vostre Majesté pouvoit fère bien chastier, si elle vouloit, car c'estoit sans qu'elle le sceût, et contre son vouloir, qu'il faysoit ces meschantes praticques; et qu'elle commançoit d'avoyr cest homme là pour suspect, et pour ung qui trahissoit son maistre; et, que je serois trop esbahy d'entendre ce qu'elle avoit commancé de descouvrir, depuis ma dernière audience, comme bon nombre de ducatz avoient couru, en ceste menée, pour vous mettre l'une et l'aultre en peyne, et en mauvais mesnage, toutes deux; que d'administrer justice, en France, à ses subjectz, c'estoit ce, de quoy elle vous vouloit infinyement requérir, parce que ses dicts subjectz commançoient desjà d'uzer de parolles arrogantes contre elle, et contre ceulx de son conseil, de ce qu'elle ne prenoit aultrement à cueur leurs injures, pour leur en faire avoyr leur réparation et revenche; et qu'indubitablement c'estoit la chose qui pouvoit plustost admener une ropture entre vous, s'il n'y estoit bien remédyé;
Qu'elle avoit grand playsir que les princes d'Allemaigne eussent desjà envoyé devers le Roy, vostre filz, ainsy qu'elle avoit aussy desjà faict élection d'ung de ses milords, pour le luy dépescher, incontinent qu'elle entendroit son arryvée à Lyon; et qu'il ne falloit doubter que toutz les Protestantz n'eussent assez suspect son passage, qu'il avoit faict par l'Italie; et que, s'ilz voyoient maintenant qu'il poursuivît ses subjects, qui sont de leur religyon, par les armes, qu'ilz ne jugeassent incontinent que les mesmes armes s'adresseroient à eulx, aussytost qu'il auroit faict en son royaulme; dont ilz pourvoyroient, de bonne heure, à leurs affères;
Et, si elle n'estoit pas trop ignorante des affères du monde, elle pronosticquoit une plus obstinée et plus dangereuse guerre en France, que n'avoient esté toutes les précédentes, si le Roy et Vous, Madame, n'embrassiés la paix; ce qui luy faysoit grandement louer la dellibération qu'aviés prinse, qu'il ne tiendroit ny à luy, ny à Vostre Majesté, qu'elle ne se fît; et que, pour ce regard, approuvoit elle bien fort les levées des estrangers et les forces du royaulme, que faysiés acheminer au devant de luy, à Lyon, affin qu'elles luy peussent servir de meilleur moyen et de plus d'authorité en cella; desquelles forces, pour ceste occasion, elle ne se donnoit poinct de peur, ny n'en prenoit aulcune souspeçon, jugeant qu'elles luy faysoient bien besoing pour luy, et qu'il avoit assés où les employer, en son propre estat, sans en aller troubler ses voysins; et qu'elle vous prioit toutz deux de croyre fermement que, si voz subjectz ne se vouloient contanter de la rayson, ny accepter les honnestes condicions qu'il vous plerroit leur donner, et qu'il apparût tant soit peu de rébellion en eulx, que non seulement elle leur dényeroit toute retraicte et assistance en son royaulme, mais qu'ilz n'auroient nulle plus mortelle ny plus irréconciliable ennemye qu'elle, en tout ce monde universel;
Et se sont faictes, Madame, plusieurs aultres honnestes déductions et plusieurs réplicques sur les susdicts propos, desquels, et de toutes ses démonstrations, et de plusieurs discours que j'ay eus avec ceulx de son conseil, je n'ay poinct comprins qu'elle et eulx ayent aultre intention que celle que je vous ay desjà mandée par mes précédentes, du XXIIIe du passé: c'est de persévérer en l'amytié du Roy, vostre filz, avec la considération toutesfoys et réserve de ce qu'elle vous a dernièrement escript, de sa main; qui espère encores que, sur cella mesmes, ce que je luy ay déduict de raysons luy tiendront modérée sa trop violente impression.
Après estre de retour de la dicte Dame, j'ay trouvé que Mr de Méru estoit arryvé en ceste ville, lequel m'a incontinent envoyé ung des siens pour me dire qu'il me viendroit fère entendre l'occasion qui le menoit par deçà, quand je serois de loysir; dont soubdain, je luy ay renvoyé troys ou quatre des miens, pour le conduyre en mon logis; mais cependant aulcuns l'ont eu diverty de n'y venir poinct.
Vray est qu'il m'est depuis venu trouver, aulx champs, où il m'a déclaré qu'il s'estoit retiré d'Allemaigne, pour éviter de ne donner aulcune souspeçon de luy à Voz Majestez, ayant receu une lettre de madame la connestable, laquelle il m'a monstrée, qui l'advertissoit de la détresse, où elle estoit, d'entendre le bruict, qui couroit de luy et de son frère, qu'ilz fussent pour dresser des praticques en Allemaigne, et pour mener des reytres en France; et qu'il advisât de s'oster de là: n'y ayant aultre chose, en substance, dans la dicte lettre, sinon qu'elle l'exortoit au reste de prier fort Nostre Seigneur et la Vierge Marie;
Et que, suyvant le conseil de la dicte Dame, il estoit passé en ce royaulme, comme en pays allié et confédéré du Roy, où il ne pouvoit fère de moins que de bayser la main de la Royne d'Angleterre, et la prier d'intercéder pour monsieur de Montmorency, son frère, à ce qu'il playse à Voz Majestez Très Chrestiennes le recognoistre pour vostre très fidelle et loyal subject et serviteur, et pareillement luy, qui ne s'est jamays entremis plus avant que de très humblement obéyr à tout ce que luy aviez commandé; et que si, à ce retour du Roy, Voz Majestez vouloient uzer de clémence et de douceur, vers le dict Sr de Montmorency, et vers Mr le maréchal de Cossé, qu'il s'yroit jetter à voz piedz; et sçavoit que touts les siens le feroient de mesmes, pour n'entendre jamays à rien aultre chose qu'à bien employer leurs vies pour vostre service.
Sur quoy l'ayant conforté de toute bonne espérance de Voz Majestez, aultant que je l'ay peu, et sceu fère, je l'ay fort admonesté d'accomoder tout son parler par deçà à la louange et réputation de Voz dictes Majestez et de Monseigneur le Duc et de la couronne de France, et n'uzer d'aulcun déportement qui puisse estre ny contre vostre intention, ny contre le présent estat de voz affères; et que, indubitablement, je le ferois observer, pour ne vous dissimuler rien de ce que j'entendrois de luy;
Et, quand à l'intercession qu'il vouloit rechercher de la Royne d'Angleterre, qu'il pensât que la clémence et débonnayreté du Roy et la vostre n'avoient à se mouvoir tant, vers messieurs les mareschaulx, à l'entremise d'ung prince estranger, ny pareillement leur justiffication en estre tant advancée, comme elle le seroit par ung vray et naturel debvoyr de bons et fidelles subjectz, s'ilz mettent peyne de le fère eulx mesmes bien cognoistre à Voz Majestez.
Sur quoy il m'a fort pryé d'octroyer ung passeport à ung sien argentier pour aller supplyer madame la connestable de luy fère tenir, icy, de l'argent pour sa despence, me donnant sa foy et son honneur qu'il n'auroit, ny par lettres, ny en parolles, aultre charge que celle là; ce que je luy ay promis de fère, pour ne l'estranger trop, et ne le laysser trop praticquer de ceulx qui le voudroient mal persuader.
Avec Mr de Méru sont arryvés le cappitayne La Porte et le cappitaine Chat, desquelz je n'ay oublyé ce qui m'en a esté escript du vivant du feu Roy; dont je vous supplye très humblement, Madame, me mander, à ceste heure, comme j'en auray à uzer; et ce que j'auray à fère entendre, de la part de Voz Majestez, au dict Sr de Méru et à eulx. Mr le vydame monstre d'estre entièrement résolu de partyr, d'icy, bientost, pour se retirer en Allemaigne.
CCCCIVe DÉPESCHE
—du XVe jour de septembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounier.)
Traité conclu entre l'Angleterre et l'Espagne.—Nouvelles de la Rochelle.—Négociation des protestans de France avec le prince d'Orange.—Affaires d'Écosse.
A la Royne, Régente
Madame, j'ay receu, le treiziesme du présent, la dépesche de Vostre Majesté, du XXVIIe du passé, et, avec icelle, une consolation, trop plus grande que je ne le sçaurois exprimer, pour m'avoyr tiré hors d'une incertitude, où, plus de douze jours durant, m'a détenu le faulx bruict, qu'on a faict courir, de la maladye du Roy, vostre filz, et de l'indisposition et retour de Vostre Majesté à Paris, à cause, ce disoit on, de quelque désordre qui vous estoit survenu en chemin. Dont je loue Dieu que, en son voyage et au vostre, toutes choses se sont ainsy bien portées, comme Vostre Majesté me l'escript. Il est très certain que la venue sienne faict craindre et faict espérer à divers diverses choses; dont les affections se manifestent en ce que les ungs s'en resjouyssent infinyement, et prient pour sa prospérité, et desirent qu'il ayt soing de se conserver, et mesmes me sollicitent de vous advertyr toutz deux bien expressément, et comme par chose nécessayre, que vueillés prendre bien garde à voz personnes; les aultres parlent et font toutes choses comme gens mal assurez, qui ont beaucoup de meffiance. Et parce que ces segonds vont semant plusieurs discours, et beaucoup de grands argumentz, à leur poste, en ceste court, ceste princesse et ceulx de son conseil s'en layssent plus facillement aller aux offres et persuasions d'Espaigne; de sorte que l'accord des Pays Bas s'en est du tout ensuivy. Et le seul poinct qui tenoit l'affère accroché, qui estoit pour cent mille escuz, que les subjectz du Roy Catholicque demandoient pour récompence, a esté vuydé à leur prouffict: sçavoyr est que les Angloys leur en payeront soixante quinze mille. Et s'espère qu'il se renouvellera une fort grande et estroicte amityé entre le dict Roy Catholicque et ceste princesse, et que touts les anciens commerces et entrecours, d'entre leurs pays et subjectz, seront remis; qui semble à ceulx cy d'avoyr recouvert ung très ferme appuy de ce costé là. Et n'ont obmis aussy, entendans qu'il se debvoit tenir une diette en Allemaigne, d'y envoyer ung personnage de qualité, nommé le sir Henry Quenols, qui est assez favorizé en ceste court, et l'ung des plus parciaulx protestantz de ce royaulme, affin de se fortiffier de cest aultre endroict. Et je ne despère pas qu'ilz ne recherchent de mesmes, et, possible, plus ardemment que de nul aultre prince, l'amityé et intelligence du Roy, vostre filz, estant le voyage du milord, que ceste princesse luy doibt envoyer, desjà tout résolu, aussytost qu'on entendra son arryvée à Lyon; qui pense que ce sera milord de North.
L'on m'a adverty que le Sr de La Noue a escript plusieurs lettres par deçà, et que, par icelles, il monstre de desirer infinyement la paix, et de vouloir rendre toute obéyssance au Roy; mais crainct que le Roy ne vueille donner la dicte paix bien seure à ses subjectz, ny avec les condicions qu'ilz demandent pour leur religyon et conscience, et qu'en ce cas luy et touts ceulx qui ont prins les armes par dellà sont résolus de souffrir, avec toutes les aultres extrémitez, la mort mesmes, premier que de rien quicter de leur dicte religyon; et que pourtant ilz supplyent la Royne d'Angleterre, et les seigneurs d'auprès d'elle, de ne concevoyr aulcune sinistre opinyon qu'ilz vueillent estre rebelles, encor qu'il soit rapporté qu'ilz n'ayent si tost posé les armes. Et cependant, Madame, je suis adverty que ceulx de la Rochelle se pourvoyent, en Hembourg, et à Hendem, et en Ollande, et encores en ce royaulme, là où ilz peuvent, de grand nombre d'armes, et de pouldres, et d'autres monitions de guerre, creignant que le Roy les vueille assiéger. Et le ministre Textor est passé devers le prince d'Orange, affin d'impétrer de luy un nombre de navyres armez, pour les tenir en Brouage, et sur la coste de la Rochelle, chose qu'on asseure desjà icy que le dict prince luy a accordée, tant pour se relever des frays d'ung si grand nombre de vaysseaulx, qu'il a ordinayrement à entretenir, veu que l'armée d'Espaigne ne faict plus semblant de venir, que pour maintenir tousjours vifve la guerre par mer en France, affin que le Roy n'ayt moyen, par la mesmes mer, de favorizer les affères du Roy Catholicque, et que rien ne puisse venir d'Espaigne, qui ne tombe en leurs mains. J'entendray plus avant du voyage du dict Textor, quand il repassera par icy.
Les cappitaynes Barache, Limons et dix ou douze aultres soldatz françoys se sont embarquez, depuis troys jours, pour aller à la Rochelle. Mr de Méru n'est poinct encores allé trouver la Royne d'Angleterre, et se tient retiré en son logis. Je luy feray part des nouvelles de Mr de Dampville son frère, affin de le fère tousjours mieulx espérer de son propre faict. Ung agent du comte Palatin vient de passer, ce matin, par la poste, qui va trouver ceste princesse. J'ay envoyé incontinent après pour le fère observer.
L'on me continue les advis que je vous ay cy devant mandez, comme il se mène une bien chaude praticque de mettre le prince d'Escoce ez mains des Angloix, et qu'à cest effect le comte de Houtinthon a esté jusques à Barvic, dont j'ay dépesché exprès ung escoussoys vers les seigneurs du pays, affin d'y donner tout l'empeschement qu'il sera possible; et si j'entends que cella passe oultre, je m'y oposeray à ceste princesse, mesmes au nom du Roy, vostre filz, tout ouvertement. Et sur ce, etc.
Ce XVe jour de septembre 1574.
CCCCVe DÉPESCHE
—du XIXe jour de septembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Nycolas.)
Départ du secrétaire de l'ambassadeur d'Angleterre.—Sollicitations des protestans de France et des princes d'Allemagne.—Fabrique de fausse monnaie établie en Angleterre pour soutenir la guerre en France.—Nouvelles d'Écosse.—Audience accordée par Élisabeth à Mr de Méru.
A la Royne, Régente
Madame, par la dépesche, que Vostre Majesté m'a faicte, de Lyon, le dernier du passé, j'ay eu assez de quoy bien convaincre ceulx qui disoient que le Roy, vostre filz, et Vostre Majesté avoient eu du destourbis et empeschement en leurs voïages, et aussy de quoy bien confirmer la bonne opinyon de ceulx qui avoient tousjours espéré, et qui espèrent encores très bien des affères de Voz Majestez. Je ne fauldray, à la première nouvelle, qui m'arrivera que le Roy soit entré en son royaulme, d'aller retrouver ceste princesse, au retour de son progrès, laquelle est encores assez loing, pour m'en conjouyr avec elle, et pour haster le partement du millord qu'elle vous doibt envoyer. Et cependant je vous diray, Madame, que le secrettère de l'ambassadeur de la dicte Dame est assurément repassé en France, et m'a mandé ses excuses, de Bouloigne, en hors, de ce qu'il n'estoit passé devers moy, confessant qu'il luy avoit esté commandé de le fère, mais que les aultres commissions, qu'on luy avoit baillées en ceste ville, luy avoyent faict oublyer ceste cy.
Celluy Poutrin, qui se faict appeller Dupin, est encores icy, n'ayant peu, avec toute l'assistance des ministres, impétrer rien de ceste princesse par dessus ce que je vous ay desjà escript: qu'elle s'estoit dellibérée d'attandre comment procèderoit le Roy, vostre fils, vers elle, et vers l'entretènement de la ligue, qu'elle avoit avec le feu Roy, son frère, premier que de rien attempter contre luy. Ce qui a faict mettre en avant par les plus passionés ces faulx bruictz que je vous ay desjà mandez, affin d'essayer s'ilz la pourroient mouvoir à leurs affections; et ne m'ont espargné en leurs discours vers elle, disantz que je la trompois de mensonges et de veynes persuasions, et que je luy allois racomptant du faict du Roy, vostre filz, et de Vostre Majesté, et de voz affères, tout au contraire de ce que j'en sçavoys; tant y a que le dict Poutrin est encores icy, attendant sa résolution. Et le ministre Textor n'a pas esté conseillé, arryvant de la Rochelle, d'aller rien pourchasser en ceste court, car ont bien veu que cella ne luy eût esté que temps perdu; dont, après qu'il a eu faict assembler, par quatre ou cinq foys, le conseil des ministres, en ceste ville, sur les moyens de pourvoyr au secours et deffance de la Rochelle, et pour dresser des forces par mer par dellà, il est passé devers le prince d'Orange en Hollande, et Du Lua a esté renvoyé en Allemaigne. Et m'a quelqu'ung adverty que, sellon la négociation qu'a faicte le dict Textor, il semble que ceulx de la nouvelle religyon, de la Rochelle et du Poictou, se sentent pressés, et qu'ilz sont assez effrayés; dont, si Brouage estoit reprins, je croy que les Angloix, à très grande difficulté, se mouveroient jamays par mer pour eulx, par faulte de retraicte; parce que celle là seule leur semble opportune, puisque les Rochellois ne les veulent recevoyr dans leur ville, et aussy que la commodicté du sel, du quel ilz font leurs contratz et marchez, leur deffaudroit.
J'entends que cest agent du comte Palatin qui est freschement arryvé en ceste court, et encores ung aultre allemant qu'on estime estre agent du duc de Saxe, ont eu à fère deux sortes de légation à ceste princesse: l'une, ouverte, pour la prier de conformer les instructions du millord, qu'elle envoyera devers le Roy, à celles que leurs mestres ont baillées à leurs ambassadeurs, qu'ils luy ont desjà dépeschées, tendantes au soulagement de ceulx de leur religyon et à mettre ung repos en la Chrestienté; et l'autre, secrette, pour luy remonstrer qu'elle et les aultres princes protestantz doibvent avoyr une grande considération sur le retour du Roy, vostre filz, et sur le passage qu'il a faict par l'Italye, qui leur doibt estre grandement suspect, et que la légation du cardinal Saint Sixte, nepveu du Pape, vers luy, et les confidentes démonstrations que luy ont uzé ceulx qui commandent pour le Roy d'Espagne en l'estat de Milan, leur debvoient estre arguments irréfragables que l'intelligence et confédération de ces deux puissants Roys avec le Pape est très certeyne. Dont l'ont exortée qu'elle vueille, avec les aultres princes protestantz, pourvoyr, de bonne heure, à leur seureté, et favorizer, en France et en Flandres, ceulx qui ont prins les armes pour la deffence de leur dicte religyon, pendant qu'ilz sont encores en pieds; et qu'il y auroit bientost une levée de sept mille reytres et quatre mille lansequenetz en estre, qui seroit preste de marcher en leur faveur, s'il se pouvoit trouver moyen de leur fournyr deux centz mille escuz pour leurs deux premiers payementz. Sur quoy je croy bien que, touchant le premier poinct de leur légation, les dictz agentz seront fort bien respondus: c'est que la dicte Dame fera par le dict milord parler le mesme langage que leurs mestres à Voz Très Chrestiennes Majestez; mais j'espère bien qu'ilz ne seront assez bons orateurs pour impétrer si tost les deux centz mille escuz, bien que quelqu'ung m'a dict que les évesques de ce royaulme offroient d'y contribuer et d'y fère contribuer leurs diocèses: ce qui n'est pas matière bien preste.
Et ce que je crains le plus est ung aultre moyen de recouvrer deniers, et qui est esmerveillable et bien frauduleux, c'est que certains allemands et ollandoys, et encores, m'a l'on dict, quelques françoys, ont entreprins de forger, en ung endroict de ce royaulme, jusques à ung million d'escus, du coing de France, d'Espaigne et de Flandres, pour soustenir ceste guerre; qui seront si bien faicts qu'on n'en pourra, ny au poix, ny à la touche, cognoistre la différence dans les bons; et que desjà ils ont si bien commancé d'y besoigner, avec la secrette permission d'aulcuns de ce conseil, qu'ilz ont cinquante mille escuz de France toutz pretz. A quoy, Madame, il est besoin de pourvoyr, et mander à Paris, et aultres principalles villes, où la première emplète s'yra fère, qu'on y prenne bien garde; et je ne fauldray de vous mander, de jour à aultre, tout ce que j'en pourray descouvrir davantage.
Me Quillegreu est revenu, depuis deux jours, en poste, d'Escosse, et l'on continue toujours de m'advertyr qu'il mène la praticque d'avoyr la personne du Prince d'Escosse par deçà, dont je suis bien en peyne que cella se trame si secrettement que je ne le puis bien descouvrir. Mr de Méru est allé trouver ceste princesse à Fernand Castel, où elle luy a assigné l'audience à ce jourdhuy. Il faict toutes démonstrations de se vouloyr comporter en très bon et fidelle subject du Roy, mais tels que je voirray estre ses déportements, je ne fauldray de les vous tesmoigner. Et sur ce, etc. Ce XIXe jour de septembre 1574.
CCCCVIe DÉPESCHE
—du XXIIIIe jour de septembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Crainte des Anglais que le roi n'ait formé une ligue avec le pape pour détruire le protestantisme.—Leurs efforts pour s'emparer du prince d'Écosse.—Arrestation et mise en liberté de ceux qui fabriquaient la fausse monnaie.—Nouvelles d'Irlande.
A la Royne, Régente
Madame, en attendant d'avoyr bientost la certitude de la bonne et desirée nouvelle que le Roy, vostre filz, soit entré en son royaulme, laquelle se faict desjà aulcunement confesser par ceulx qui plus opinyastroient qu'elle n'adviendroit jamays, j'ay faict sçavoyr à la Royne d'Angleterre ce que Vostre Majesté m'en avoit escript, du dernier du passé, laquelle a monstré non seulement d'en estre bien ayse, mais a faict grand signe d'allégresse de ce qu'il ne pouvoit apparoir qu'il y deût plus avoyr de difficulté, ny de retardement, en son voyage; et s'est efforcée de donner à cognoistre à ung chascun que véritablement elle avoit grand playsir du retour de ce prince; et a eu à dire plusieurs choses, de la vertu et du bonheur qui accompaignent ses entreprinses, et du contentement qu'elle aura d'estreindre une bonne amityé avecques luy, si, d'avanture, il ne veult point mespriser la sienne. Et m'ont ceulx de ce conseil envoyé curieusement demander si Voz Majestez s'achemineroient bientost vers Reims, ou bien si elles prendroient aultre chemin, affin de pouvoir mieulx ordonner du partement du millord qui vous doibt aller trouver. Je leur ay respondu cella mesmes que j'ay veu, par vostre lettre, que en aviés desjà dict à leur ambassadeur; et aulcuns d'eulx m'ont, d'abondant, faict part de celle légation ouverte, que les agens des princes d'Allemaigne, lesquelz sont encores à la suyte de ceste court, ont faicte à la dicte Dame: qui m'ont mandé que c'estoit en la propre forme que je l'ay desjà escript par mes précédentes, du XIXe du présent, mais ne m'ont rien touché de leur aultre secrette négociation; dont a esté besoing que je l'aye recherchée d'ailleurs.
Il est bien vray que touts mes advis se rapportent à ce que ceste princesse conviendra sans doubte avec les dictz princes de fère remonstrer au Roy, vostre filz, plusieurs choses, touchant le soulagement des Protestantz, et d'establir, pour le regard de l'estat de la religyon, une paix publicque en la Chrestienté; mais que, pour encores, elle ne résouldra rien, ny de guerre, ny de paix, ny de ligue, ny de contributions de deniers, là dessus, avec les dicts princes, qu'elle ne voye plus avant comme le Roy se déportera vers elle. Qui cognois bien, Madame, que quelle démonstration qu'elle face, elle ne peut encores prendre assés de confiance de luy, tant pour les choses qui ont passé au propos d'entre eulx deux, que pour se représanter encores en l'esprit ce qu'elle a d'autrefoys creu, que la Royne d'Escoce luy avoit cédé le droict et le tiltre qu'elle prétend en ce royaulme, se persuadant la dicte Dame que le mesme conseil, duquel il se conduysit lors, ez dicts deux affères, est en plus d'authorité qu'il ne fut jamays près de luy. Sur quoy je n'ay obmis une seule de toutes les démonstrations, dont j'ay peu user à elle et aulx siens, que je ne les leur aye franchement déduictes, pour les divertyr de ceste opinyon. Néantmoins ilz ne cessent, sur ce retour de Me Quillegreu, sellon qu'on m'en a adverty, de dellibérer chaudement comme ilz pourront avoyr le Prince d'Escosse par deçà, bien que la dicte Dame tient cella aulcunement suspect pour elle, et n'y entend qu'à regret. Mais il y a grand apparance que les persuasions des Protestantz, lesquelz veulent fère nourrir ce petit prince à leur mode, comme celluy qu'ilz réputent desjà aparant successeur de ce royaulme, et qui remonstrent que c'est la principalle seureté de ceste princesse, et de son estat, que d'avoyr la mère et le filz en ses mains, la facent enfin condescendre à leur intention, mesmement s'ilz trouvent que les choses ne soient trop difficiles, du costé d'Escosse. Et y en y a aulcuns qui estiment qu'on essayera de tretter cella avec la Royne d'Escoce mesme, avec promesse de luy amplyer sa liberté, si elle le veult consentir; et que, pour le mieulx conduyre, l'on a trouvé moyen de fère persuader, par la duchesse de Suffolc, laquelle n'ayme poinct la Royne d'Escoce, au comte et comtesse de Cherosbery, en faysant le mariage de leurs enfans, qu'ilz feront bien de remuer la Royne d'Escoce au chasteau de Pontfroid, qui est l'une des maysons de la Royne d'Angleterre; ce que je ne sçay encores bien au vray si tout cella succèdera.
Tant y a qu'ayant desjà faict dire, en passant, au comte de Lestre que j'en avois eu le vent, mesmement du faict du petit Prince, et que c'estoit chose qui ne se pourroit conduyre sans offancer le Roy, lequel estoit le principal alié de la couronne et des Princes d'Escosse, il m'a seulement mandé que je réputois sa Mestresse et ceulx de son conseil plus sages et plus pourvoyans qu'ilz n'estoient, et que, pleût a Dieu, qu'ilz peussent avoyr le dict Prince, sans m'y respondre rien davantage. Et me vient on de dire qu'on est après à fère une dépesche pour renvoyer le dict Me Quillegreu, de rechef, par dellà. Il sera bon, Madame, que, sur l'occasion de ce que Mr de Glasgo remonstrera au Roy, en sa première audience, Voz dictes Majestez parlent ung peu de bonne sorte à l'ambassadeur d'Angleterre des affères d'Escoce, et de l'estat de la Royne et du Prince du dict pays, affin d'arrester les instantes poursuites de ceulx cy: vous ayant à dire au surplus, Madame, qu'on avoit trouvé moyen de fère constituer prisonniers aulcuns de ceulx qui forgent par deçà celle faulce monnoye, dont, par mes précédentes, je vous ay faict mencion, mais ilz ont esté assez tost eslargis par secret mandement d'aulcuns de ce conseil; ce qui me faict avoir davantage suspecte l'inique et meschante provision de deniers qu'ilz font, laquelle j'entendz, quand à ce qui s'en bat du coing de France, que c'est de celluy du feu Roy, dernier décédé, dont je mettray peyne d'en recouvrer quelque pièce si je puis, pour vous en envoyer la monstre. Et sur ce, etc.
Ce XXIVe jour de septembre 1574.
Depuis ce dessus, j'ay eu advis de ceste court de deux choses: l'une est que la dépesche qui y est arryvée de Mr le docteur Dayl, du Ve du présent, y a suscité beaucoup d'escrupulles de la dellibération, qu'il mande que le roy aporte d'Italye contre les Protestantz; et l'aultre, que, en Irlande, le comte d'Esmond ayant esté attiré à parlementer, il a esté, soubz parolle de paix, détenu prisonnyer, et le conduict on maintenant soubz bonne garde par deçà. Je mettray peyne de vériffier l'une et l'autre nouvelle pour vous en mander plus de certitude par mes premières.
CCCCVIIe DÉPESCHE
—du XXIXe jour de septembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Nouvelles d'Écosse.—Disposition des Écossais à maintenir l'alliance avec la France.—Assurance donnée à l'ambassadeur que Mr de Méru ne sollicite de la reine rien autre chose que son intercession en faveur de Mrs de Montmorenci et de Cossé.—Nouvelle de l'arrivée du roi à Lyon.—Désignation de lord de North pour passer en France.
A la Royne, Régente
Madame, celluy que j'avoys, il y a desjà assez longtemps, dépesché en Escoce, quand Me Quillegreu y alla, est revenu depuis deux jours, lequel m'a rapporté de plusieurs seigneurs, à qui il dict avoyr parlé, et leur avoyr bayllé mes lettres, par dellà, leurs responces de bouche, parce qu'ilz n'ont ozé m'escripre, ne m'ayant apporté que celle seule du comte d'Arguil, et du laer de Quelseit, par escript.
Je m'assure que l'on ne veut souffrir au dict pays, en façon que ce soit, qu'on y propose rien contre la ligue de France; et mesmes le comte de Morthon monstre de ne le vouloyr essayer, par ce, possible, qu'il sent qu'aussy bien il ne le pourroit mener à bout; et qu'encores qu'il se laysse entretenir et poursuyvre par grande instance de Me Quillegreu, sur la consignation de la personne du jeune Prince à la Royne d'Angleterre, qu'il n'y a apparence quelconque, (quand bien l'avarice l'aveugleroit de s'en obliger à elle moyennant quelque somme d'angelotz, ainsy qu'on dict qu'on luy en promect beaucoup), qu'il le puisse néantmoins, sans beaucoup de contradiction, ny sans beaucoup de danger, effectuer; et mesmement, si Voz Majestez Très Chrestiennes faictes voyr et entendre par dellà que vous ne le voulez, ny mesmes n'estes pour souffrir qu'il se face.
Le mesmes messager m'a aussy apporté une lettre du duc de Chastelleraut pour la Royne d'Escoce, et ung petit pourtraict du jeune Prince, son filz. J'advizeray de le luy fère tenir par la plus seure et commode voye qu'il me sera possible; et j'espère que, par cest aultre messager, que j'ay dernièrement dépesché au dict pays, lequel toutesfoys cestuy n'a pas rencontré, les seigneurs de dellà seront davantage confirmés en leur bonne dellibération vers le Roy, vostre filz, et vers sa couronne.
La femme du comte de Morthon est morte depuis quinze jours en çà, au grand contantement de son mary, qui est après à choysir party; et s'espère que, par le moyen de quelque alliance, il se réduyra à plus de modération qu'il n'en a monstré jusques icy.
Mr de Méru est retourné, depuis deux jours, de devers ceste princesse, avec laquelle il a esté huict jours entiers. Et j'entendz qu'il a esté fort humaynement receu d'elle, et que les seigneurs de ceste court luy ont faict beaucoup d'honneur et beaucoup de courtoysyes, l'ont traicté et l'ont accompaigné à la chasse, et luy ont donné tout le playsir qu'ilz ont peu. Et l'ung d'eux m'a mandé que je ne fusse poinct en peyne de chose qu'il peût pourchasser vers elle, car m'assuroit que, si elle n'eût esté bien certeyne qu'il n'avoit à luy parler qu'avec grand honneur et respect de Voz Majestez Très Chrestiennes, et que seulement il la vouloit requérir d'intercéder pour Mrs les mareschaulx, ses frère et beau père, qu'elle ne l'eût aulcunement admis en sa présence. Tant y a que je ne lairay, pour cella, de le fère tousjours observer, affin de vous mander, le plus au vray que je pourray, quelz seront ses déportementz.
J'ay sceu, à la vérité, que la dépesche de Mr le docteur Dayl, du Ve du présent, a engendré assez d'escrupulles en ceste court, mais l'on ne m'a encores sceu bien discerner sur quelles particularités ce peut estre; tant y a que, depuis, est arryvé ung de ses secrettères, nommé Devet, lequel est venu en dilligence, de qui les propos n'adoulcissent pas beaucoup ce que son maistre avoit altéré. Et, auparavant le dict Devet, estoit passé, icy, ung qui se dict serviteur de madame de Ferrare, lequel ne s'est nullement addressé à moy, ains m'a l'on dict qu'il a eu grande communicquation avecques Villiers et avec les aultres ministres françoys qui sont en ceste ville.
Milord trézorier, estant encores le dict Sr de Méru à la court, s'est retiré en une sienne mayson des champs, pour quelques jours, assez près de ceste ville, où il a festoyé les agentz des princes d'Allemaigne; desquelz j'entendz que celluy du comte Palatin est escouçoys, frère de Me Robert Melvin, et les principaulx supostz et entreméteurs de la nouvelle religyon s'y sont trouvez, qui m'ont rendu davantage curieux de fère observer ce qui s'y feroit. Et l'on m'a rapporté que la responce y a esté rendue aulx dictz agentz, et leur dépesche bayllée pour s'en retourner; mais je n'ay encores peu sçavoyr qu'est ce qu'elle contient, ny si Mr le vydame, qui a bien esté au festin, l'a sceue, lequel s'est enfin entièrement résolu de passer avec les dictz agentz en Allemaigne. Mais je croy que ce ne sera sans me venir dire adieu, et je ne fauldray de l'exorter vifvement qu'il ne vueille rien mouvoir par dellà qui puisse estre contre l'intention de Voz Très Chrestiennes Majestez, ny contre le desir qu'il a tousjours montré avoyr à la tranquillité du royaulme. En cestuy mesmes festin du dict grand trézorier m'a esté suscité ung aultre escrupulle, pour la comtesse de Lenox qui s'y est trouvée, et pour avoyr icelluy grand trézorier et Me Quillegreu, et le dict Melvin, agent du comte Palatin, conféré longuement et fort estroictement avec elle; dont, depuis, j'ay sceu qu'elle s'apreste d'aller jusques en une sienne mayson qui est vers le North, et que, de là, elle passera en Escoce, pour visiter le jeune Prince, son petit filz, ce que je juge n'estre à aultres fins que pour essayer de l'avoyr entre ses mains, affin de le transporter par deçà, et que ceulx cy veulent, en toutes sortes, tenter tous moyens à eulx possibles pour surmonter les difficultez qui s'y pourroient trouver. A quoy je vous supplye très humblement vouloir pourvoyr du costé de dellà; car je crains bien fort que, nonobstant ce que m'a rapporté le messager, qui naguères en est venu, je ne pourray mettre assez de suffizans obstacles, du costé d'icy, pour les empescher. Et sur ce, etc.
Ce XXIXe jour de septembre 1574.
Ainsy que je signois la présente, milord de North m'a envoyé dire, par ung sien gentilhomme, que la Royne, sa Mestresse, ayant eu advertissement par son ambassadeur, comme le Roy, vostre filz, estoit arryvé à Lyon, elle luy avoit incontinent commandé de haster son partement pour l'aller trouver, et qu'il dellibéroit de partir, le quatriesme ou cinquiesme d'octobre, mais que, devant cella, il me viendroit visiter, ainsy qu'il avoit commandement de le fère; et cependant me prioit de donner ordre qu'à Bouloigne, et sur les chemins, il peût trouver des chevaulx prestz pour fère meilleure dilligence. Dont présentement j'en fays ung mot de lettre à Mr de Calliac; et je vous suplye très humblement, Madame, de commander ce que Vostre Majesté sçayt estre expédient pour le fère honnorer et bien recevoyr, tant par les chemins qu'arryvant à la court, sellon que ce premier acte, de la confirmation d'amityé d'entre le Roy, vostre filz, et la Royne, sa Mestresse, semble infinyement le requérir.
CCCCVIIIe DÉPESCHE
—du Ve jour d'octobre 1574.—
(Envoyée jusques à Bouloigne par ung des gens de milord de North.)
Desir d'Élisabeth de conserver l'alliance avec la France.—Départ de lord de North.—Négociations des princes d'Allemagne.—Pacification de l'Irlande.—Nouvelles d'Écosse.
A la Royne, Régente
Madame, je n'ay receu les lettres de Vostre Majesté, du VIIIe de septembre, jusques au vingt uniesme jour de leur dathe, à cause que la mer a esté si haulte qu'on ne l'a peu passer, sinon envyron la fin du moys; et, avec icelles, j'ay receu la coppie de la lettre que la Royne d'Angleterre a escripte, de sa main, à Vostre Majesté; en laquelle, encor qu'elle uze de beaucoup de digressions, et d'aulcunes formes de parler qui n'expliquent qu'à demy ce qu'elle a voulu dire; et, en d'autres endroictz, elle s'efforce d'en fère plus comprendre qu'elle n'en veut exprimer, si descouvre elle bien avant de l'intérieur de son cueur; et monstre de l'avoyr grandement esmeu, et que diverses impressions la mettent à ne sçavoyr comme espérer de l'amityé du Roy, vostre filz, ny si elle se doibt résoudre de renouveller la ligue avecques luy, au cas qu'il le luy demande, ou bien si elle doibt retourner à celle de Bourgoigne.
Et en cella, Madame, j'ay à dire à Vostre Majesté que, depuis le passage du Roy, vostre filz, en Italye, et la bonne et grande opinyon qu'on dict qu'ung chascun a conçue de luy, à voyr seulement sa présence, et son maintien, et ses vertueux déportemens, partout où il a passé, joinct sa précédente réputation, et la grandeur et bonne fortune qui l'accompaignent, il n'est pas à croyre combien les agentz du Roy d'Espaigne, icy, se sont imprimés une merveilleuse jalousie de luy; lesquelz travaillent, plus qu'ilz ne firent jamays, de séparer ceste princesse de son intelligence, et mettent toute la dilligence, qu'ilz peuvent, d'entretenir par fréquentes sollicitations et par promesses et présantz ceulx qui sont auprès d'elle, et de gaigner nomméement ceulx qu'ilz estiment qui ont de l'affection à la France; dont n'est sans difficulté qu'on peut maintenant tenir, icy, relevé le nom du Roy et de sa couronne. Néantmoins je ne veux désespérer qu'il n'y trouve encores de la correspondance, parce que ceste princesse, en son cueur, ne le hayt poinct, ains l'ayme, et desire estre aymée de luy, comme de celluy qu'elle estime et prise, sur toutz les princes qui vivent; et si, n'a pas grande inclination à l'Espaigne, ny ne peut encores prendre confiance de ce costé là. Dont se pourra fère, Madame, que, par ceste nouvelle ambassade, qu'elle vous envoye maintenant, si, d'avanture, Voz Majestez la reçoyvent favorablement, et en font ainsy cas, comme elle monstre de l'espérer, que les choses se remettront facillement aux mesmes bons termes qu'elles estoient.
D'une chose ne me puis je assés esbahyr, sur quoy elle s'est peu fonder d'avoyr présupposé, en sa lettre, que Vostre Majesté eust apprins de quelqu'ung de ses conseillers qu'elle se tenoit offancée du Roy, car je luy fis voyr par voz propres lettres que c'estoit de la depposition du comte de Montgommery que Vostre Majesté l'avoit tiré; mais, à dire vray, elle se trouva lors si surprinse, quand je vins à luy toucher ce poinct, qu'elle a bien voulu, depuis, prendre le prétexte de ceste plaincte pour en esteindre si bien, si elle peut, la mémoyre, qu'il n'en soit jamays, en peu ni en prou, aulcune nouvelle, ny de vostre costé ny du sien.
La pluspart de ceulx, qui sont ordonnez pour accompaigner ceste ambassade, sont desjà partis de ceste ville, et milord de North, l'ambassadeur, partira demain. J'ay desjà adverty Mrs de Gourdan et de Calliac, et Mr de Crèvecœur, de son voïage, affin de le fère bien recevoyr, et le fère accomoder de chevaulx en Picardye. Et je vous supplye très humblement, Madame, de commander qu'il soit bien receu et accomodé au reste du chemin, et qu'il luy soit faict honneur et faveur, quand il arryvera vers Voz Majestez; car l'on prendra, icy, un grand argument de vostre intention, sellon qu'on verra que uzerés vers luy. Il a charge, après les complimentz faictz, de parler vifvement à Voz Majestez du faict des déprédations, et semble qu'on desire, icy, que luy faciés avoyr conférance avec les deux du conseil qui sont depputés là dessus.
Les agentz des princes d'Allemaigne viennent de partir, lesquelz, à ce que j'entendz, n'emportent rien de contant, mais seulement une promesse de deux centz mille escuz, qu'ilz ont demandé, qu'on les leur fera fournir de ce royaulme, en espèces, ou par crédit, pour fère les levées, au cas que la paix ne succède en France. Et en y a qui présument que desjà il est allé en Hembourg une partie de ces escus que je vous ay mandé qu'on a nouvellement forgez; dont sera bon d'en fère éventer par dellà la faulceté, affin qu'ilz demeurent descriez. Mr le vydame faict toutes les dilligences qu'il peut pour s'en aller avec les dictz depputés, mais, comme aulcunes nécessitez le convient de s'en aller, aussy il y en a d'aultres qui l'empeschent de partir. Me Astafort, jeune gentilhomme de ceste court, s'est desjà embarqué dans leur vaysseau, et s'en va jusques là où sont les dictz princes, pour revenir bientost rapporter de leurs nouvelles.
Le comte d'Esmont n'a pas esté faict prisonnyer, en Irlande, comme l'on me l'avoit rapporté, ains ceste princesse a si bien accommodé ses affères au dict pays, par voye d'accord, avec présans et promesses, et gracieuses condicions, que le dict comte, avec quatre mille hommes, s'est remis au service d'elle, et Mac O'Nel est repassé en son païs du North d'Escosse, avec quatre mille harquebouziers qu'il avoit admenez. Et, à présent, les officiers et agentz de la dicte Dame vont reprenant la possession des places, sans qu'on leur y face de résistance: vray est qu'on crainct tousjours bien fort l'instabilité de ceste nation.
Ung de mes amys me vient d'advertyr qu'indubitablement la praticque de livrer le Prince d'Escoce par deçà a esté bien fort en avant, et qu'elle a esté sur le poinct d'estre exécutée, si le comte d'Honteley et Me Alexandre Asquin ne l'eussent empeschée; et qu'on présume, en ceste court, que cella est venu de mon advertissement, et qu'il fault qu'on m'observe de plus près. Il y en a aussy qui pensent que, de tant que ceste princesse n'a pas monstré d'en estre trop marrye, qu'elle mesmes, soubz mein, les en a faictz advertyr; tant y a que le voïage, dont je vous ay cy devant escript, de la comtesse de Lenox, pour aller visiter le dict Prince, se poursuit; et je suis après à descouvrir sur quelle intention elle y va.
Il y a icy desjà de longtemps un gentilhomme polounoys, de la mayson d'Alasco, et y en est arryvé encores d'autres, depuis la venue du Roy, qui ne m'ont, ny les ungs ny les aultres, visité; ains ilz sont souvant visitez par les ministres françoys et flammans, qui sont icy; et si, ont esté quelquefoys en ceste court, et de la court l'on a envoyé vers eulx. Il vous plerra me mander si j'auray à fère aulcun office en leur endroict. Sur ce, etc.
Ce Ve jour d'octobre 1574.
CCCCIXe DÉPESCHE
—du Xe jour d'octobre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Conférence de l'ambassadeur avec lord de North.—Desir d'Élisabeth de connaître les intentions du roi.—Sa réponse aux envoyés des princes d'Allemagne.—Sollicitations pour Marie Stuart.
A la Royne, Régente
Madame, premier que milord de North soit party, il m'est venu visiter, et m'a discouru, en général, de la bonne intention que la Royne, sa Mestresse, a vers le Roy, vostre filz, et comme elle desire infyniement de se maintenir en bonne paix avecques luy, et garder inviolablement avec Vostre Majesté la vraye amityé que vous vous estes, longtemps y a, promise l'une à l'autre, et estreindre, s'il est possible, plus fort que jamays, celle en quoy il vous a pleu nourrir tousjours toutz Noz Seigneurs, voz enfantz, avecques elle; dont, s'il peut vous bien explicquer sa commission, tout de mesmes que la dicte Dame la luy a donnée là dessus, il ne faict aulcun doubte que n'en demeuriez très assurée; et que, de sa part, il s'en va très dellibéré de fère, en cest endroict, les meilleurs et plus exprès offices qu'il pourra.
De quoy je l'ay bien fort remercyé, et, après luy avoyr faict aulcunes remonstrances sur les escrupulles qu'on vous avoit suscités, de ce costé, je l'ay exorté de se déporter en façon que, en France et icy, l'on ayt à se louer de son élection à ceste charge. Et parce qu'ung mien amy m'a adverty que, le propre jour que sa dicte Majesté l'a licencié, elle a monstré d'estre aulcunement en peyne de ce que je ne luy allois annoncer l'arryvée du Roy à Lyon, ny luy fère entendre aulcune chose, de sa part; et qu'il y en y avoit, de ceulx qui aspirent à la retirer de l'intelligence de France, qui s'efforçoient de luy en fère une maulvayse interprétation; j'ay, soubz prétexte de visite, envoyé dire à ses plus expéciaux conseillers que je n'attandoys que l'heure qu'il m'arrivast une dépesche du Roy, vostre filz, pour aller trouver la dicte Dame; et que Vostre Majesté m'avoit escript, du VIIIe du passé, qu'il estoit desjà arryvé à Lyon, mais qu'il estoit si empressé, à ce commancement, qu'il n'avoit encores peu ouyr le gentilhomme que je luy avoys dépesché, néantmoins que, dans deux jours, ou troys, il les ouyroit à loysir, et puis me manderoit, par luy mesmes, ce qu'il voudroit que je fisse sçavoyr, de sa part, à la dicte Dame; et que cependant je ne fallisse de vous escripre à toutz deux du bon portement d'elle et de sa santé, dont les priois de m'en vouloir mander.
Sur quoy, après avoyr conféré avec elle, ilz m'ont mandé, par mon secrettère, qu'elle avoit eu très agréable ceste mienne dilligence, et s'en estoit plus grandement resjouye qu'ils ne le me sçauroient dire, et desiroit que j'eusse de quoy lui venir bientost compter des nouvelles du Roy, vostre filz, et que je les luy peusse tesmoigner aussy bonnes, comme elle les souhaytoit pour elles mesmes. Puis l'ung d'eux m'a mandé qu'elle n'avoit, en chose de ce monde, aujourdhuy, le cueur si tendu qu'à ouyr jusques aulx moindres particullaritez qui venoient de luy; et qu'il me pouvoit assurer que, de beaucoup de demandes qu'on luy avoit faictes depuis peu de temps en çà, elle s'estoit tenue ferme à n'en vouloir accorder aulcune, au préjudice de luy, que premièrement elle ne voye comme il se voudra déporter vers elle.
Néantmoins, Madame, je mettray, icy, ceste digression qu'on m'a adverty d'ailleurs qu'indubitablement les agentz des princes d'Allemaigne s'en sont retournés bien contantz des bonnes parolles et promesses qu'elle leur a données; et les dictz conseillers ont davantage dict à mon dict secrettayre qu'ilz avoient entendu que le Roy, vostre filz, desiroit bien fort la paix; néantmoins que les grosses forces, qu'il faysoit marcher, leur faysoient souspeçonner la guerre, et qu'on leur avoit dict qu'il se rendoit beaucoup plus assidu en ses affères que n'avoient faict ses prédécesseurs; et néantmoins se monstroit plus grave, et de difficile accès, que nul d'eux, et que leur Mestresse et eulx estoient à regarder, avec le reste de la Chrestienté, comme il formeroit ses affères, à ce commancement, affin de fère une conséquence comme ilz auroient à procéder tout le reste de son règne.
J'ay, à deux jours de là, renvoyé, encores une aultre foys, devers eulx, pour impétrer aulcunes honnestes et bien raysonnables demandes, que j'avoys à fère à leur dicte Mestresse et à eulx, pour la Royne d'Escosse, vostre belle fille, et pour leur fère voyr ung cahier de plainctes que Mr de La Melleraye m'a envoyé. Et sur ce, etc.
Ce Xe jour d'octobre 1574.
CCCCXe DÉPESCHE
—du XVe jour d'octobre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Certitude de l'arrivée du roi en France.—Nouvelle répandue en Angleterre que le roi, à son passage en Italie, a formé une ligue avec le pape.—Assurance donnée à l'ambassadeur qu'Élisabeth, pour la combattre, est entrée en ligue avec les princes protestans d'Allemagne.—Efforts des Anglais pour renouer l'alliance avec le roi d'Espagne.—Nouvelles d'Écosse.
Au Roy.
Sire, par ung des gens de l'ambassadeur d'Angleterre, lequel est arryvé icy, le Xe de ce moys, qui est le second courrier qu'il a dépesché à la Royne, sa Mestresse, depuis vostre retour, il l'a advertye comme Vostre Majesté, s'estant expédiée de ses plus pressans affères à Lyon, elle s'acheminoit maintenant à Reyms, pour y fère bientost son sacre et couronnement. De quoy la dicte Dame a estimé qu'elle avoit très bien faict d'avoyr desjà dépesché milord de North pour vous aller saluer de par elle, et estre l'une des premières qui honnoreront et se conjouyront de vostre heureux advènement à la couronne. Et par mesme moyen luy a escript que les depputés de ceulx, qui se sont eslevez en Languedoc et Daulfiné, n'ayantz peu obtenir, ny par leur requeste ny par l'intercession des agentz des princes d'Allemaigne, aulcun exercice de leur religyon, ilz s'estoient retirez, et les dictz agentz départis avec plus d'opinyon, les ungs et les aultres, de la guerre que d'espérance de la paix; et que Vostre Majesté avoit donné charge de parachever ceste guerre à Mr de Savoye, comme pour le déclarer desjà, et l'introduyre par là, à estre cappitaine général de la ligue qu'on présumoit estre entièrement conclue entre le Pape et Vostre Majesté et le Roy d'Espaigne, avec les aultres princes catholicques, contre les Protestantz et contre leur religyon.
Sur lequel advertissement, Sire, la dicte Dame et ceulx d'auprès d'elle se sont de nouveau restreinctz en conseil avec les principaulx personnages de ce royaulme, et ont contremandé les agentz, qui estoient desjà partis, des dictz princes protestantz pour, de rechef, entrer en conférence avec eulx; mais je ne sçay encores s'ilz ont rien changé de leurs précédentes dellibérations. Tant y a qu'ung de ce conseil m'a mandé qu'ilz s'ébahyssoient toutz comme, à l'apétit de troys centz mille escuz qu'on vous avoit offert de prest en Italye, vous vous estiez layssé persuader à la continuation de ceste guerre, laquelle vous ruyneroit de plus de vingt millions, et vous mettroit, possible, en danger de ne pouvoir jamays heureusement jouyr l'amplytude de vostre beau royaulme. A quoy je luy ay respondu que je n'avoys rien entendu des dictz troys centz mille escus, et n'en croyois rien, parce que vous n'estiés prince pour vous mouvoir de cella; et qu'indubitablement vous vouliés la paix, et entendiés de la donner, avec honnestes et raysonnables condicions, à voz subjectz, mais que nul, soubz le ciel, sçavoit mieulx que vous et la Royne, vostre mère, comme vous la leur debviez octroyer, et de quelle façon elle pouvoit estre utille à vostre royaulme; qui vouliez, comment que ce fût, comme chose très juste et très légytime, demeurer Roy et Mestre, et surmonter toutes les désobéyssances et violentes contradictions qu'on atempteroit contre vostre authorité, et ne souffrir uzurper aulcune loy par voz subjectz, sinon celle qu'ilz prendroient de vous, qui rechercheriés tousjours, aultant que vous pourriez, leur solagement et le repoz de leurs consciences; et qu'ilz ne debvoient vous presser de chose qui ne vous semblât loysible, et qui ne vous fût à playsir de la leur concéder.
Et, depuis cella, l'on m'a voulu fère croyre que la dicte Dame avoit passé oultre à se joindre formellement à la ligue, et à s'obliger aulx chapitres d'icelle, pour la contribution et secours, avec les dictz princes protestantz, et avec les dictz eslevez, de France et de Flandres; mais je ne puis ny veulx croyre que, jusques à ce qu'elle ayt entendu comme Vostre Majesté aura receu sa dernière ambassade, et comme il vous plerra uzer vers elle, qu'elle s'oblige à nulle nouvelle ligue, ny qu'elle conclue rien qui puisse directement tourner à vostre préjudice: car j'ay parolle et promesse fort expresse d'elle, et qui m'a semblé partir de son cueur, qu'elle ne le fera nullement. Vray est que je me crains assez qu'on l'ayt persuadée de fermer les yeulx sur les secretz moyenz que les susdictz agentz et les ministres, et aultres plus aspres suppostz de la nouvelle religyon, s'efforcent d'inventer, toutz les jours, pour cuyder maintenir et fortiffier davantage leur cause, ainsy comme, de ceste nouvelle forge d'escuz, dont j'ay cy devant escript, laquelle ilz poursuivent tousjours; et les espèces en sont si belles, sellon qu'ung homme de bien, qui en a veu, me l'a rapporté, et si parfaictement bien faictes au molinet, qu'il ne s'y peut cognoistre, ny au son, ny au poix, ny à la touche, rien de différent d'avecques les bons; et qu'il en est desjà allé, ce m'a il assuré, ung bon nombre en Hembourg, de toutes les dictes espèces, et nomméement cinquante mille, du coing de Vostre Majesté; dont je fay extrême dilligence d'en recouvrer ung des dictz escuz pour le vous fère voyr, et pour, avec telle monstre, me pleindre infinyement à ceste princesse de la tollérance d'une si grande faulceté.
Cependant elle travaille, aultant qu'elle peut, de se remettre en bons termes avec le Roy d'Espaigne, et d'establir ung bien assuré commerce entre leurs subjectz, ayant, dimanche dernier, licencyé ung des commissayres des Pays Bas; qui s'en est retourné fort satisfaict de l'accomplissement de leur commission, et du payement, que les Angloix ont desjà bien advancé de fournir, de la somme de soixante quinze mille escuz, pour la récompense des prinses faictes sur les subjectz du Roy d'Espaigne. Et l'autre commissayre plus principal demeure encores icy, comme agent, pour le dict Roy, son Mestre. Et m'a l'on adverty que la dicte Dame faict apprester son premier mestre des requestes pour l'envoyer bientost devers le grand commandeur, en Flandres.
D'ailleurs, Sire, la comtesse de Lenox part, dans cinq ou six jours, de ceste court, pour aller en sa mayson vers le North, avec celle mesme dellibération, que j'ay cy devant escript, que, si les choses d'Escosse apparoissent bien disposées pour son voyage, elle yra jusques à Esterlin visiter le Prince d'Escosse, son petit fils; qui est chose que j'ay fort suspecte, et laquelle je ne puis interpréter que soit à aultres fins que pour pouvoir transporter ce jeune Prince en ce royaulme. Mais, de ces choses là et de toutes celles qui se praticqueront par deçà contre vostre service, tant du costé de France que d'Escosse, et aussy de Flandres, je ne fauldray de vous en donner, à toute heure, le plus d'esclarcissement, et d'y mettre de moy mesmes le plus d'empeschement, qu'il me sera possible, attandant qu'il vous playse m'envoyer mon successeur; comme j'espère que, sur la très humble et très raysonnable requeste que je vous en ay faicte, et sur l'occasion d'envoyer visiter ceste princesse, à vostre nouvel advènement, il vous aura pleu, avant partir de Lyon, en nommer quelqu'ung, et luy commander de se tenir prest pour passer, icy, aussytost que milord de North aura accomply sa légation par dellà; et qu'il vous aura aussy pleu, Sire, (et la Royne, vostre mère, vous l'aura recordé), de vous souvenir de moy en la distribution de voz bienfaictz, affin qu'en contemplation des bons et fidelles services, où j'ay actuellement continué, durant les troys règnes passez, et soubz celluy heureux, où nous sommes à présent, cella me soit ung commancement de récompense à la perte et pouvreté qu'ung chascun sçayt et void que j'ay souffertz pour les fère. Et sur ce, etc.
Ce XVe jour d'octobre 1574.
CCCCXIe DÉPESCHE
—du XXe jour d'octobre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)
Instructions données à lord de North.—Négociations avec l'Espagne.—Sollicitations des protestans de France auprès des Anglais.—Efforts faits pour entraîner Élisabeth dans la ligue avec l'Espagne, et l'exciter à faire mourir Marie Stuart.—Démarches auprès du prince de Condé.—Disposition où paraît être ce prince de demander à rentrer en grâce.—Nouvelles d'Écosse.
Au Roy.
Sire, parce que milord de North, estant à Douvre, a trouvé que la mer estoit bien haulte, il n'a ozé incontinent s'y commettre, ains a temporisé jusques au XIIIIe du présent qu'il s'est embarqué, et toutes ses gens, dans ung des navyres de la Royne, sa Mestresse, pour passer, le mesmes jour, à Bouloigne. Et j'estime que, de présent, il est à Paris, et que bientost il sera devers Vostre Majesté, là où il a charge, ainsy qu'on m'a adverty, de bon lieu, d'avoyr principallement le cueur à quatre choses: l'une est de nother fort curieusement, et par toutes les circonstances et conjectures qu'il pourra, si, en vostre desir, Sire, y a quelque inclination de retenir, à bon escient, ceste princesse et son royaulme en vostre amityé; la segonde est d'approfondir si avez nulle secrette intelligence avec le Roy d'Espaigne contre elle; la troysiesme, s'il vous reste beaucoup d'affection à la restitution de la Royne d'Escosse; et la quatriesme, qui sont ceulx à qui donnés plus de crédict et d'authorité près de vous: car, sellon qu'il rapportera le certain ou le vraysemblable de ces choses à la dicte Dame, elle a proposé de se ranger à une ou aultre disposition vers Vostre Majesté.
Et cepandant elle faict passer, sur le commancement de la prochaine sepmayne, son premier maistre des requestes, Me Wilson, en Flandres, pour y renouveller, le plus qu'il pourra, l'ancienne amityé d'entre le Roy d'Espaigne et elle, et arrester avec le grand commandeur une assemblée à Bruges d'aulcuns grands et notables personnages, de dellà et d'icy, à ce prochain mars, pour vuyder le différent des entrecours. Et m'a l'on dict qu'il y va avec commission, laquelle a esté secrettement recherché par les agentz d'Espaigne, d'ayder, en ce qu'il pourra, au nom de sa Mestresse, à la paciffication du pays, comme aussy le dict milord de North vous doibt exorter à celle de vostre royaulme.
Et, à ce propos, Sire, l'ung de ceulx que j'ay mis après pour descouvrir, parmy les ministres et les suppostz de la nouvelle religyon, qu'est ce qu'ilz espèrent de secours, d'icy, en leurs affères, m'a rapporté qu'ilz ne s'assurent encores de rien, parce qu'on les a remis de leur donner résolution, après le retour de ces deux ambassadeurs; dont craignent bien fort, si le dict de North est receu avecques faveur de Vostre Majesté, et que le renvoyés contant, et mandiés, par luy, quelque assurance de vostre amityé à la dicte Dame, que difficilement impètreront ilz rien de mieulx d'elle, pour leurs dicts affères en France que par le passé, ny, possible, tant qu'ilz ont faict jusques icy; sinon, par advanture, qu'à la persuasion des évesques, d'icy, ilz pourront abstreindre, par escrupulle de conscience, la dicte Dame à fère, soubz main, ou dissimuler aulcunes secrettes et légières assistances de ce royaulme, en faveur de sa religyon, par dellà, pour ne l'y laysser opprimer, ou n'estre veue de l'avoyr du tout habandonnée; et n'espèrent qu'elle face guyères mieulx pour la Ollande. Vray est qu'ilz sont après à dresser de bien vifves remonstrances pour l'induyre, comment que ce soit, à la ligue avec les princes d'Allemaigne et avec les eslevez, et de se debvoir joindre ouvertement à eulx, si Vostre Majesté délaysse la voye de paix pour venir à bout de cest affère par les armes, et ont des argumentz préparez pour luy imprimer de très grandes deffiances de Vostre Majesté, trop plus que du Roy d'Espaigne, comme redoubtans vostre fortune et voz effectz plus que les siens, parce que, en personne, vous vous trouvez aulx affères, et il s'en tient loing; avec ce, qu'ilz l'estiment assez engagé à la guerre du Turc; et si, prétendent de ressuciter les mesmes machinations qu'ilz avoient cy devant contre la Royne d'Escoce, pour la fère mourir, alléguans que c'est le seul moyen d'esteindre la querelle que pourriés dresser par deçà pour l'amour d'elle, et pour mettre fin à toutes les maulvaises querelles qui se pourroient eslever en ce royaulme à son occasion; et que mesmes ilz aspirent de fère entrer le petit Prince d'Escosse avec le comte de Morthon dans la dicte ligue, jusques avoyr escript naguyères au Prince de Condé de les envoyer visiter toutz deux, de sa part: duquel prince toutesfoys ilz monstrent de n'espérer plus tant qu'ilz faysoient au commancement, par ce, possible, que les princes d'Allemaigne n'ont trouvé ung tel subject en luy comme ilz le s'estoient promis, qui l'avoient jugé tout semblable ou peu dissemblable de feu Monseigneur le Prince, son père, et peut estre qu'ilz y voyent ung peu de manquement pour la surdité, et qu'il a de l'inclination à retourner vers Vostre Majesté; et creignent assez, ce dict le mesmes advis, que luy et le Sr de Laval s'y layssent persuader, dont ne seroit, par advanture, mal à propos que Vostre Majesté les fît fort instamment praticquer toutz deux.
Les choses d'Escosse demeurent tousjours en ce suspens que j'ay cy devant escript, soubz la violente et avare domination du comte de Morthon; et m'a lon dict que, depuis quinze jours, il a faict constituer prisonnyers deux honnestes personnages que Mr de Glasgo et Mr de Roz avoient envoyez par delà, et qu'il les a faictz conduyre en sa mayson de Datquier. Je ne sçay si ce qu'il tirera de leur déposition l'aygrira davantage, ou si les seigneurs du pays s'en voudront esmouvoir. Sur ce, etc.
Ce XXe jour d'octobre 1574.
CCCCXIIe DÉPESCHE
—du XXIIIIe jour d'octobre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Nycolas.)
Défiances inspirées à Élisabeth à l'égard des projets du roi contre les protestans et contre l'Angleterre.—Conférence de l'ambassadeur avec l'envoyé du roi d'Espagne.—Projet du prince de Condé de se jeter dans le Languedoc.—Avis à la reine-mère. Conférence de l'ambassadeur avec Mr de Méru.
Au Roy.
Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne pensât que l'occasion de n'avoyr heu de voz nouvelles, depuis vostre arryvée à Lyon, provînt d'ailleurs que de voz grandes occupations, j'ay envoyé fère aulcuns honnestes complimentz vers elle, et pour l'assurer que bientost il me viendroit quelque dépesche de Vostre Majesté pour luy en fère sçavoyr de bien bonnes, et pour luy donner toute honneste satisfaction de vostre part; ce qu'elle a eu très agréable: et l'ung de ses expéciaulx conseillers m'a mandé que cest office estoit venu bien à propos pour luy oster une fâcheuse impression, qu'on luy donnoit, de Vostre Majesté, et ne m'en a pas déclaré davantage. Mais j'estime que c'est ce que ung aultre m'a descouvert que, ayant naguyères esté tenue une assemblée de conseil, en ceste ville, par ceulx de la nouvelle religyon, pour pourvoyr à leurs affères, ilz ont, incontinent après, faict semer, en ceste court, que par des lettres qui leur estoient venues de dellà la mer, l'on les avoit seurement advertys que les dellibérations du concille de Trante, contre ceulx de leur dicte religyon, avoient esté renouvellées et confirmées ez mains de Vostre Majesté passant par Italye; et que vous vous estiés obligé, Sire, à Nostre Saint Père, et aulx princes et estatz catholicques, par sèrement solennel, qu'aussytost qu'auriés, avec leur secours, pourveu aulx troubles de vostre royaulme, et recouvert l'obéyssance de voz subjectz, que vous entreprendriés la guerre contre ceulx de voz voysins qui refuzeroient d'obéyr à l'église romayne; et oultre cella, vous aviez faict résouldre, en vostre conseil privé, depuis vostre arryvée à Lyon, que l'Inquisition seroit reçue en France, mais qu'ilz s'assuroient bien que les courtz de parlement et le peuple, et les meilleurs de vostre royaulme, sinon, par advanture, quelques éclésiastiques, s'y oposeroient, et qu'indubitablement il sourdiroit de là une très grande et généralle révolte, par laquelle la pluspart des Catholicques prendroient lors les armes, sans estre attainctz de rébellion, et les Huguenotz continueroient de les exécuter sans estre arguez de maulvayse conscience. Et se sont efforcez de fère bien mordre dans ce dernier poinct la dicte Dame, et ceulx de son conseil, qui, à ce que j'entendz, y ont prins goust, comme au meilleur remède de la peur où les aultres deux les mettent, craignantz infinyement que le premier esclat ne tombe sur eulx. Et ont adjouxté que, d'ung bon endroict, ilz estoient aussy advertys que Vostre Majesté me donroit bientost charge de ouvrir, en termes honnestes et bien gracieulx, un propos à la dicte Dame pour mettre en liberté la Royne d'Escoce; et que si, dans une ou deux foys, elle ne vous y faysoit quelque responce de satisfaction, que vous me feriés, puis après, parler plus rudement à elle, et la sommer ouvertement de sa dellivrance ou que Vostre Majesté se mettroit en debvoir d'y pourvoyr.
Lesquelles choses j'ay bien mis ordre, Sire, aussytost que j'en ay esté adverty, qu'elle ne les ayt receues pour vrayes; néantmoins ilz luy ont mis de poignantz escrupulles dans le cueur, et luy ont fondé, sur cestuy dernier, leurs principalles remonstrances: qu'elle se debvoit dépescher de sa cousine. Néantmoins j'espère qu'elle ne se layrra encores conduyre à nulle dellibération qui vous puisse estre préjudiciable, ny qui puisse interrompre, de sa part, l'amityé, que premièrement elle ne voye comme il luy succèdera de la vostre.
Le Sr de Sueneguen lequel est demeuré, icy, agent pour le Roy d'Espaigne, m'est venu visiter, et m'a bien voulu fère sentir qu'il avoit beaucoup de contantement de ceste court, et de la disposition, qu'il y voyoit maintenant bien bonne vers le Roy, son Maistre, et qu'il pensoit avoyr beaucoup faict, pour son service et pour la conservation de ses Pays Bas, de luy avoyr reconfirmé l'amityé de ceste princesse. Et néantmoins il semble que le dict Sr de Sueneguen ne rejette de communicquer avec les flammantz, qui sont refouys par deçà, ny laysse, pour la faveur et support qu'on leur y faict, de procurer tousjours que les affères de son Maistre y soient pareillement favorisés et supportés. Et estime que c'est beaucoup, en ce temps, de garder que l'on ne s'y déclare ouvertement contre luy.
Mr le vidame de Chartres est encores icy, tout prest pour partir au premier bon vent. L'on me vient de dire qu'il court une nouvelle, parmy ceulx de la nouvelle religyon, que Mr le Prince de Condé est approché vers Genève, et qu'il a intention, n'ayant peu tirer des forces, ainsy qu'il prétendoit, d'Allemaigne, de pénétrer, s'il peut, avec ce qu'il a des siens, jusques en Languedoc, pour employer là sa personne, et azarder sa vye à la deffense de sa religyon. Sur ce, etc.
Ce XXIVe jour d'octobre 1574.