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Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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Par postille à la lettre précédente.

Sire, vostre service souffre icy du détriment beaucoup, et moy de la honte bien grande et une nécessité insupportable, pour le tort, que le Sr Scipion Sardiny me faict, de ne me vouloir payer les assignations que Mr le trézorier de l'espargne m'a, dez l'année passée, baillée sur luy; qui vous supplye très humblement luy commander qu'il ayt à les acquitter tout promptement aulx Srs Macey et Cevany pour le Sr Acerbo Velutelly; lequel prétend de me fère mettre en arrest, pour troys mille escus qu'il m'a desjà advancez, et pour l'intérest des troys foyres que le dict Sardiny a layssé passer sans le vouloyr contanter.

CCCCXLIXe DÉPESCHE

—du XIIe jour de may 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Intrigues pour forcer Élisabeth à prendre le parti des protestans de France.—Négociation du roi d'Espagne avec l'Angleterre.—Affaires d'Écosse.—Nouveau danger de Marie Stuart.—Poursuites faites à raison de lettres qui lui ont été adressées.—État de la négociation de la paix en France.

Au Roy.

Sire, celluy secrettayre Wilx, angloys, qui accompaignoit le secrettayre de Mr de Méru, quand il fut prins à Bouloigne, est retourné, icy, depuis quatre ou cinq jours, avec plusieurs lettres et dépesches qu'il a apportées d'Allemaigne et de Basle à ceste princesse, et à ceulx de son conseil, et pareillement à Mr de Méru, et aulx ministres françoys et flammantz qui sont en ceste ville. Et soubdain, ceulx, qui sont superintendantz des affères de ceulx de la nouvelle religyon, se sont assemblez pour dellibérer du contenu des dictes dépesches; et, le lendemain, Mr de Méru, avec l'ung d'eux, est allé à Grenvich, où il a estroictement conféré avec troys de ce conseil: et y est convenu ung nommé le Sr de Martinez, agent de Mr de Laval, et troys cappitaines ou gentilshommes françoys, de ceulx qui souloyent suyvre le feu comte de Montgommery. Dont j'entendz qu'il y a esté mis en avant beaucoup de propositions pour essayer de tirer d'icy, en une façon ou aultre, des deniers et des hommes et des vaysseaulx, et aultres moyens, en faveur des eslevez de vostre royaulme; et mesmes de fère que ceste princesse se voulût déclarer pour eulx en ce qui concerneroit la deffance de leur religyon, luy assurant le dict Wilx, oultre la teneur des lettres, que, pour chose très certayne, le Prince de Condé armoit bien grossement. Et celluy, que j'ay mis après pour descouvrir ce qui résulteroit de toutes ces dellibérations, m'a mandé qu'il n'estoit pas possible, pour encores, de le sçavoyr, parce que nulle chose au monde estoit menée plus secrettement ny plus à couvert que ceste cy; néantmoins, sellon qu'il le pouvoit comprendre pour la démonstration que faisoyent les plus passionnez, il sembloit bien qu'ilz ne peussent aysément mouvoyr la dicte Dame à leurs desirs, mais qu'il estoit bien à craindre qu'enfin ilz obtînsent d'elle qu'elle dissimuleroit ce que le clergé et les particulliers de ce royaulme voudroient fère en cest endroict. Sur quoy, Sire, au premier sentiment que j'auray de chose aulcune qui puisse, tant soit peu, manifester leurs dictes dellibérations, je ne faudray de vous en donner incontinent advis, vous voulant cependant bien assurer que la dicte Dame n'a envoyé aulcun nouveau mandement à ses navyres, et qu'elle a faict surçoyr, pour quelque temps, l'emprunct des deux centz mille escus dont je vous avoys faict mencion.

Les choses, que le docteur fiscal de Bruxelles avoit à négocyer en ceste court, ne sont si facillement venues à conclusion comme il espéroit; et semble qu'elles vont en longueur. Néantmoins il se promect de fère que la mutuelle résidance des ambassadeurs sera accordée entre le Roy, son Mestre, et ceste princesse; par le moyen de quoy toutes les aultres difficultez seront bientost vuydées entre eulx; et il en est entré en plus d'espérance, depuis troys jours qu'il a eu à présenter à la dicte Dame une lettre, de la main de son dict Mestre, qui la remercye sans fin de l'honneste offre qu'elle luy avoit faicte de ses navyres et hommes contre le Turc; et y a adjouxté beaucoup de bonnes et expresses parolles d'amityé qui l'ont grandement contantée.

L'on a eu craincte, icy, de quelque altération vers le North, d'autant que d'Escosse l'on avoit transporté en la frontyère de deçà, ez mains de milord de Scrup, gardien d'icelle, une jeune hérityère, bien riche, contre le vouloyr du comte de Morthon, qui prétandoit d'en avoyr la garde noble, et de la maryer à quelqu'ung de ses parantz; mais la Royne d'Angleterre a mandé qu'on la luy rendît, dont cella n'a passé plus oultre.

Il se faict, icy, une grande recherche sur la Royne d'Escosse; et a l'on mis desjà cinq personnages de qualité dans la Tour, et examiné deux milords, et envoyé quérir troys serviteurs du comte de Cherosbery pour vériffyer par qui et commant ont esté conduictz les pacquetz et chiffres de la dicte Dame, et quelle négociation elle en a menée avec Guoaras; agent du Roy d'Espaigne. Je fay tout ce que je puis pour modérer cella, et ne discontinue poinct, pour toutes ces traverses, les gracieuses négociations; et de fère ordinayrement tenyr de petitz présentz et des lettres et aultres honnestes entretiens, de la part de la dicte Dame, à la Royne, sa cousine, laquelle ne les a encore rejettez; mais je crains fort que ses ennemys parviendront enfin à ce qu'ilz prétandent: de la fère oster des mains du comte de Cherosbery. En quoy je feray bien tout ce qu'il me sera possible pour les en garder.

L'on m'a dict que les ministres françoys, qui sont icy, ont receu freschement une forme d'articles que les depputez, qui sont à Paris, leur ont envoyé, avec les responces de Vostre Majesté; et qu'ilz disent qu'ilz ne voyent pas, par là, que les choses aillent ainsy clères et nettes, comme il seroit requis pour parvenir à une bonne paciffication. Sur ce, etc. Ce XIIe jour de may 1575.

CCCCLe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de may 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Chevalyer.)

Résistance d'Élisabeth aux sollicitations des protestans de l'Allemagne et de la Suisse.—Négociation des Pays-Bas.—Poursuites à raison des lettres adressées à Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, il a esté, à ce coup, bien difficile de résister à l'effort qu'avec les dépesches d'Allemaigne et de Basle, et l'instante sollicitation d'aulcuns, qui sont icy, l'on a faict à ceste princesse, pour la cuyder tirer au contrayre party de voz présentz affères; et me suys trouvé assez empesché comme y remédier, parce que je n'avoys de quoy luy aller ouvrir aulcun propos, qui vînt de vostre part, pour m'achemyner à ceulx qu'il y failloit oposer. Néantmoins il a pleu à Dieu ne me deffaillyr en cest endroict par la bonne inclination que la dicte Dame a de vous garder la paix, et de ne rompre d'amityé avecques vous. J'entendz qu'elle a pryé aulcuns de ses plus expéciaulx conseillers d'adviser des expédientz honnestes comme la descharger elle, et se descharger à eulx, de ces tant grandes importunitez; et que, en quelle sorte que les choses puissent aller pour ceulx qui recherchent de la faveur et du secours de son royaulme, elle ne vouloit estre meslée avec eulx en rien qui luy peût susciter de l'altération avec Vostre Majesté ny avec le Roy d'Espaigne, jusques à ce qu'elle vît mieulx comme, l'ung et l'autre, vous déporteriez vers elle. Sur cella, l'on n'a pas ozé la presser davantage de l'armement de ses navyres, lesquelz demeurent en ung demy appareil; et si, s'est contantée, quand à l'emprunt de deux centz mil escuz, que ceulx de Londres luy en ayent presté contant, pour ung an, soixante six mille, affin de les employer en sa guerre d'Irlande.

Les négociations de Flandres ne s'advancent guyères, parce que le docteur de Bruxelles est ung peu malade; et ceulx cy ne veulent procéder à la publication contre les fuitifz des Pays Bas que le plus tard qu'ilz pourront. Néantmoins aulcuns des principaulx de ceste court monstrent de prendre bien à cueur que les choses demeurent imparfaictes avec le Roy d'Espaigne.

L'examen se poursuyt vifvement et sans intermission contre ceulx qu'on a mis dans la Tour par souspeçon de la Royne d'Escosse. L'on m'a dict qu'on ne tire encores que choses légères et de peu de moment de leur audition; néantmoins l'on est à dellibérer, dans ce conseil, si la dicte Dame sera eschangée des mains du comte de Cherosbery, ou bien si l'on luy ordonnera à luy de la fère observer de plus près qu'il n'a faict jusques icy. Je ne sçay où en ira encores la résolution, tant y a que je incisteray, aultant qu'il me sera possible, qu'elle aille tousjours au mieulx.

Les choses d'Escosse se maintiennent encores assez paysibles, et a esté tenu à Lislebourg une forme d'Estatz, où les principaulx de la noblesse ont convenu, et s'en sont retournez assez contantz; et mesmes le comte d'Arguil a satisfaict, en présence des Estatz, aux bagues de la couronne, que le comte de Morthon demandoit à sa femme et en a emporté son acquict. Il n'y a esté, à ce que j'entendz, rien dict, faict, ny ordonné, au préjudice de vostre alliance; et Quillegreu, ny nul aultre, pour la part d'Angleterre, n'y a assisté. Il semble que, d'icy à quelques moys, l'on se doibt, de rechef, assembler au dict Lislebourg pour adviser s'il sera bon que le jeune Prince commance de prendre estat, et qu'il sorte d'Esterling, pour se monstrer au peuple, et qu'il aylle se promener par le pays; en quoy ne se sçayt encores comme l'on en dellibèrera, ny si l'on y peysera bien toutes les circonstances et inconvénientz qui en pourroient advenir.

J'attandz avec grand desir mon successeur, et attandz avec très grande dévotion de voz nouvelles, s'esbahyssant ceste princesse que, depuis le retour de Mr de La Chastre, il ne m'est arryvé ung seul mot de vostre part pour luy dire. Sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de may 1575.

CCCCLIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour de may 1575.—

(Envoyée exprès à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Remerciement de l'ambassadeur pour l'élection du roi comme chevalier de la Jarretière.—Serment prêté par le roi sur la confirmation de la ligue.—Demande afin qu'Élisabeth remplisse les nouvelles formalités auxquelles le roi s'est soumis.—Son refus de prêter un nouveau serment motivé sur ce qu'elle a déjà juré le traité.—Renvoi au conseil de cette difficulté.—Déclaration de la reine que, par suite du retard mis à acquitter en France une créance due à un anglais, il lui a été donné autorisation de se payer par lui-même sur les biens des Français.—Vives réclamations de l'ambassadeur contre cette résolution.—Délibération du conseil.—Instance pour que la reine déclare formellement à son ambassadeur auprès du roi, qu'elle desire la pacification en France.

Au Roy.

Sire, la veille de la Pantecoste, j'ay esté à Grenvich, où, d'arryvée, la Royne d'Angleterre m'a reproché que je l'avoys quasy oublyée; et je luy ay dict que je ne vouloys nullement excuser ma faulte d'avoyr esté plus longtemps que je ne debvoys à l'aller trouver, et que je cognoissoys très bien que ce que, depuis deux moys en çà, elle avoit faict vers Vostre Majesté, aultant honnorablement qu'il se pouvoit dire ny desirer au monde, méritoit bien que je luy usasse de plus grand debvoir, mais que j'avoys différé de venir à elle pour attandre qu'il me vînt quelqu'une de voz dépesches, après le retour de Mr de La Chastre; et vous aviez si continuellement esté occupé à ouyr les depputez de voz subjectz, que ne m'en aviez peu fère pas une, jusques à celle de maintenant.

De laquelle, premier que de traicter rien de ce qu'elle contenoit, je la vouloys bien fort humblement remercyer du soing qu'elle avoit eu, au dernier chapitre de son ordre, de vous fère eslire ung des chevalyers de la Jarretyère; qui estoit une suyte de ses bonnes démonstrations vers vous, par lesquelles elle faisoyt foy, à toute la Chrestienté, qu'elle vouloit avoyr beaucoup d'amityé et de bonne intelligence avecques Vostre Majesté; et que les troys gentilshommes, qu'elle m'avoit envoyez pour me le signiffier, n'avoyent rien, obmis de ce qui pouvoit servir à l'ornement de ce propos, et de m'assurer qu'aussytost qu'elle pourroit sçavoyr que vous l'auriez agréable, qu'elle vous dépescheroit ung seigneur de qualité pour vous aller apporter le dict ordre, ce que je vous avoys tout aussytost mandé; qu'elle ne sçauroit avoyr faict eschoyr ceste élection sur prince de la Chrestienté qui mette plus de peyne, que vous ferez, d'honnorer son dict ordre, et de l'accepter de très bon cueur.

Elle m'a respondu que, voyrement, avoit elle voulu fère cecy pour ung acte patant à ung chascung de la confirmation d'amityé et de plus estroicte intelligence qu'elle avoit avec Vostre Majesté; et que, si elle eût eu quelque aultre chose de plus présant et de plus grand en sa puissance, elle eût mis peyne de vous en honnorer; et que elle espéroit qu'ainsy que les feus Roys, voz bisayeul, ayeul, père et frère, ne l'avoyent refuzé de la main des prédécesseurs Roys de ceste couronne, qu'aussy Vostre Majesté ne dédaigneroit de l'accepter maintenant de la sienne.

J'ay suivy à luy dire que vous me commandiez, par ceste vostre dernière dépesche, de luy bien tesmoigner l'ayse et grand plésir qu'aviez eu d'entendre, par Mr de La Chastre, qu'elle avoit bien et agréablement receu la première négociation que luy aviez envoyée, avec toutz les poinctz qu'elle contenoit, comme elle avoit grandement caressé et bien traicté vostre ambassadeur et toutz les gentilshommes françoys qui estoyent avecques luy; de quoy vous la vouliez, de tout vostre cueur, infinyement remercyer, ensemble de la bonne et prompte volonté dont elle vous avoit, sans excuse ny difficulté, ny sans remise aulcune, accepté en la ligue commancée avec le feu Roy, vostre frère, et de vous en avoyr expédyé ung acte en termes de grande amityé et qui vous attribuoyent beaucoup d'honneur et de louange; et aussy que, en beaucoup de sortes, et par plusieurs de ses propos, elle vous avoit clèrement signiffyé son intention et la bonne affection qu'elle vous portoit; mesmes, lorsque, voyant retirer ung dogue mort d'entre les pattes de l'ours, elle avoit souhayté qu'ainsy fussent toutz les ennemys de Vostre Majesté. Qui estoyent toutes démonstrations qui vous avoyent extrêmement contanté, et vous la vouliez bien pryer de croyre qu'elle les avoit colloquées en l'endroict du meilleur et plus certain de ses amys, et du plus recognoissant prince, d'entre toutz ceulx de son alliance; et que à nulle aultre promesse, que vous eussiez jamays faicte, vous n'aviez plus allègrement ny plus volontiers obligé vostre foy et sèrement, qu'à celle de son amityé et de la confédération que vous aviez avec elle; et que, tout ainsy que vous la luy aviez sollennellement jurée, qu'ainsy la luy garderiez vous très sainctement et de bonne foy; et n'y auroit occasion du monde, ny persuasion de personne vivante, qui vous en peût destourner. En confirmation de quoy, vous luy envoyez la lettre, de vostre main, qu'elle avoit demandée.

La dicte Dame, avec beaucoup de plésir, a soubdein prins, et leu, et releu, fort curieusement, la dicte lettre, ensemble la soubscription et la suscription d'icelle; et l'ayant trouvée entièrement sellon son desir, elle m'a dict qu'elle avoit à se louer beaucoup de Mr de La Chastre et de moy, des bons et honnorables raportz qu'elle cognoissoit bien que nous avions faict et escript d'elle, et mesmes de ne vous avoyr cellé la particullarité de l'ours, qui estoit ung compte qu'elle me vouloit confirmer, de rechef, qui n'avoit nullement esté feinct, ny prins d'aylleurs que de la vraye affection de son cueur; et qu'il vous avoit pleu, de vostre costé, si parfaictement accomplyr tout ce à quoy le traicté vous obligeoyt vers elle, qu'elle restoit, à ceste heure, très estroictement obligée vers vous; de quoy elle avoit plus de playsir que de nulle aultre bien qu'elle eût en ce monde, et mettroit peyne de le conserver soigneusement, tant qu'elle vivroit, et de vous donner occasion que n'en sentissiez moindre bien ny moins de contantement de vostre part.

J'ay continué de luy dire que, oultre les quatre choses que vous aviez très libérallement accomplies en cest endroict, s'il en restoit encores quelqu'une à fère, de vostre costé, pour la rendre davantage assurée de vous, que vous vous y offriez de bon cueur, et estiez prest de l'accomplyr; et que, de mesmes, vous la priez qu'elle ne se grevât de vous contanter de troys aultres choses qui estoyent bien raysonnables, et d'une mutuelle satisfaction entre vous: la première estoit de vous renouveller son sèrement; la segonde, de vous escripre ung mot de sa main, au mesmes sens que vous aviez escript à elle; et la troysiesme, de procéder à l'établissement du commerce entre voz deux royaulmes, sellon la teneur du traicté.

Elle m'a respondu qu'elle, de son costé, ne mettroit nulle difficulté en nulle de ces troys choses, mais on luy avoit remonstré, quand aulx deux premières, que vous aviez desjà, devers vous, le sèrement qu'elle avoit faict et la lettre qu'elle avoit escripte au feu Roy, vostre frère, qui l'obligeoient tout de mesmes à vous qu'elle s'estoit obligée à luy, et l'obligeroyent encores vers toutz les successeurs de vostre couronne qui voudroyent continuer en la ligue avec elle, et, par ainsy, qu'il n'estoit besoing de renouveller rien de cella; et quand au commerce, qu'elle vouloit, de bon cueur, que les choses s'effectuassent sellon le traicté.

J'ay réplicqué qu'encor qu'elle eût bien devers elle le sèrement et la lettre du feu Roy, vous ne luy aviez pourtant dényé vostre propre sèrement et vostre lettre, bien que le traicté ne vous obligeât qu'à luy signiffier simplement vostre intention; et, que pour ne donner lieu à nul escrupulles, je la supplyois qu'elle ne se voulût rendre difficile vers vous de ces deux choses, parce que l'une et l'aultre ne luy estoyent d'aulcun intérest à elle, et qu'après avoyr, Vostre Majesté, ouy là dessus son ambassadeur, vous n'aviez layssé de me mander de luy en continuer à elle mesmes vostre instance. Et n'ay rien obmis, Sire, de ce que j'ay estymé la pouvoir mouvoyr à n'y fère poinct de refus.

Sur quoy elle m'a pryé que j'en volusse conférer avec ceulx de son conseil, lesquelz avoyent aussy à me parler d'ung aultre affère, duquel elle leur avoit commandé me fère part, affin que je ne l'interprétasse nullement mal à Vostre Majesté: c'estoit que, pour satisfère ung de ses marchandz d'une certayne somme, de laquelle il avoit l'ordonnance de vostre conseil et lettres de vostre grand sceau, et vostre mandement au trézorier de vostre espargne pour en estre payé, et n'en ayant, après une longue poursuyte et beaucoup de frays, peu rien obtenir, elle luy avoit concédé de pouvoir arrester par deçà du bien de quelque françoys jusques à la concourrance de la dicte somme, en transportant son debte au dict françoys, qui en pourroit, puis après, aller poursuyvre son rembourcement vers Vostre Majesté.

J'ay soubdain fermement incisté au contrayre de cella, et l'ay fort conjurée de n'admettre telles ouvertes, et n'outrepasser les termes des anciens traictés; mais je n'ay peu impétrer d'elle que le dellay d'ung moys pour vous en advertyr, lequel passé, elle vous prioit de la tenir pour fort excusée.

Les seigneurs de son conseil, qui estoyent assemblez en bon nombre, m'ont, au partir d'elle, fort volontiers escouté sur les remonstrances que je leur ay déduictes touchant ce dessus. Et, après les avoyr débatues, ilz ont advisé, quant à celles de la ligue, qu'ilz les yroient résouldre avec la dicte Dame pour, puis après, m'en fère avoyr entière responce. Dont, depuis, Mr de Walsingam m'a adverty, par le Sr de Vassal, qu'ilz s'opinyastroient, quand au sèrement, de ne se debvoir poinct réytérer; et quand à la lettre, qu'ilz la consentiroyent; et quand au commerce, qu'ilz le desiroient plus que nous, néantmoins qu'il ne se pouvoit establyr parmy les armes, tant que noz troubles dureront. Mais, pour le regard du faict du marchand, ilz se sont toutz, en ma présence, escriez qu'il n'y avoit rayson aulcune qu'après les grandes dilligences et poursuytes qu'il avoit faictes, et après les promesses de Mr le mareschal de Retz et aultres seigneurs, qui avoyent esté par deçà, lesquelles estoyent toutes réuscyes vaynes, j'eusse maintenant extorqué de la dicte Dame ung nouveau dellay contre luy; et que ny les démonstrations, ny les œuvres, dont on usoit en France vers leur Mestresse, ne correspondoyent en rien aulx bonnes parolles et persuasions dont je l'entretenoys icy, ordinayrement; et que leur ambassadeur, après avoyr, de temps en temps et de lieu en lieu, tousjours esté remis de toutes ses demandes jusques à ce qu'on seroit à Paris, ne pouvoit avoyr communicquation avec Mrs de Chiverny et de Bellyèvre, auxquelz Vostre Majesté l'avoit renvoyé; et le renouvellement de la ligue méritoit bien qu'on procédât d'une plus franche et meilleure affection avecques luy.

Je verray ce que je pourray fère de mieulx en ma première audience; mais, de tant que la dicte Dame, pour quelque souspeçon de peste, a deslogé, dès lendemain de Penthecoste, de Grenvich, et s'achemine desjà en son progrès, je vous supplye, Sire, commander bien estroictement à Mr de Mauvissière que, sans excuse ny dellay quelconque, il s'en vueille dilligemment venir, car, autrement, je vous ay bien expressément escript qu'il en viendroit faulte et manquement à vostre service. Et sur ce, etc.

Ce XXVIe jour de may 1575.

A la Royne

Madame, j'ay tesmoigné à ceste princesse le grand playsir qu'avez eu de la continuation de la ligue d'entre le Roy, vostre filz, et elle, et comme vous promettiez bien que vous la rendriez d'éternelle durée tant que vous vivrés, du costé de dellà, si elle la sçayt et veut maintenir bien droicte, du sien; qui a esté ung propos qu'elle a eu fort agréable. Et m'a respondu qu'elle vouloit franchement recognoistre de Vostre Majesté la conservation de la paix et de l'amityé que, depuis son advènement à ceste couronne, elle avoit tousjours eue avec la couronne de France, et qu'elle vous supplioyt de ne vous lasser encores de ce commun bien, duquel elle mettroit peyne que ne demeurissiez moins bien satisfaict d'elle qu'elle espéroit de l'estre tousjours bien fort de Voz Très Chrestiennes Majestez.

J'ay suivy à luy dire que vous m'aviez commandé de la prier confidemment, de vostre part, que, par la première dépesche qu'elle feroit à son ambassadeur, elle luy voulût adjouxter ung mot de telle expression qu'il cognût évidemment qu'elle vouloit et desiroit, sans feincte ny simulation aulcune, que la paix succédât en France: car on vous avoit rapporté que, ez secrettes conférances d'entre les depputez et luy, il leur donnoit entendre le contrayre.

Elle m'a respondu qu'il ne se pouvoit fère qu'il eût commis ung si meschant acte que celluy là, car c'estoit contre ce qu'elle luy avoit commandé de fère, et qu'elle sçavoit bien que les depputés avoient cherché d'avoyr communicquation avecques luy, mais qu'il s'en estoit excusé, et estoit aulcunement souspeçonné d'estre papiste, et que c'estoit luy mesmes qui l'avoit incitée de procurer la paix par dellà, et de offrir à Voz Majestez ce qu'elle y pourroit fère, comme elle l'avoit desjà faict; et qu'elle eût bien pensé de pouvoir mener ceulx de la nouvelle religyon à se contanter de moins que, possible, ilz ne feront; et qu'il y a quelque temps que le Roy d'Espaigne luy avoit bien faict dire, soubz main, qu'il auroit grand playsir qu'elle se voulût employer à luy moyenner une bonne paix en ses Pays Bas, après toutesfoys qu'il auroit essayé de l'y fère luy mesmes, et que, depuis, il l'avoit pourchassée, l'espace de deux ans, et si, ne l'avoit pas encores; ny l'Empereur, lequel il y avoit employé, ne l'avoit guyères advancée; et qu'elle ne vous pouvoit, pour ce regard, prier de prendre ung plus salutayre conseil que de fère, commant que ce soit, et le plus tost que pourrez, la paix, ny vous offrir rien de mieulx en cella que ce qu'elle vous avoit desjà offert, qu'elle vous offroit encores de bon cueur; et vous assurer, au reste, qu'elle n'oublyeroit nullement l'article que demandiez, en la première lettre qu'elle escriproit à son ambassadeur. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour de may 1575.

CCCCLIIe DÉPESCHE

—du IIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Guybon.)

Bruit répandu à Londres que la négociation de la paix est entièrement rompue en France.—Affaires d'Écosse.—Sollicitations de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth en faveur de Marie Stuart.—Espoir qu'il pourra bientôt y avoir un rapprochement entre les deux reines.—Le comte de Killdare et sa famille conduits prisonniers à Londres.

Au Roy.

Sire, parce que, à ce soubdain délogement que la Royne d'Angleterre a faict, le lendemain de Panthecoste, de Grenvich, à cause de la peste, la pluspart des seigneurs de sa court et les principaulx de son conseil se sont escartez en divers lieux pour prendre l'ayr des champs, je ne puis, jusques à ce qu'ilz soyent rassemblez près d'elle, retirer la responce des choses que je luy proposay dernièrement; mais j'espère que, bientost, ilz y seront toutz de retour, et qu'incontinent après je la vous pourray mander, n'estant sans quelque apparence que les suppostz de la nouvelle religyon, lesquels, ces jours passez, ont esté en court, se soyent cepandant efforcez de m'y susciter de la difficulté. Et mesmes sur ce que l'ambassadeur d'Angleterre a escript, du XXIe du passé, que le traicté que Vostre Majesté avoit commancé entre les depputez de ceulx de la nouvelle religyon estoit entyèrement rompu, et eulx toutz retirez, sans aulcun espoyr d'accord; et que, depuis ung moys, Vostre Majesté s'estoit fort réfroidye de la paix contre ce qu'elle avoit auparavant monstré d'infinyement la desirer, je ne cesseray pourtant de solliciter la responce que j'attandz de la dicte Dame, et de m'oposer aulx pratiques d'iceulx suppostz aultant qu'il me sera possible, attandant la venue de mon successeur, duquel la longueur n'est plus excusable pour vostre service.

J'entendz que, de nouveau, l'on remect en terme le voïage de Me Quillegreu; et semble que ce soit pour deux occasions: l'une, pour fère souscripre le comte de Morthon et le conseil de dellà à la ligue de la nouvelle religyon, laquelle on tâche à renforcer plus que jamays; et l'aultre, pour accommoder certein grand différent, que les ministres et toute ceste sorte de clergé d'Escosse ont contre le dict de Morthon, sur ce qu'il veut applicquer le tiers des bénéfices du royaulme au revenu de la couronne. Je ne sçay si le dict Quillegreu se déportera avec plus de modération vers le nom et l'alliance de Vostre Majesté par dellà qu'il n'a faict, les aultres foys qu'il y est allé.

Il a esté besoing, pour la trop curieuse et aspre inquisition, qu'on faisoit icy contre la Royne d'Escosse, de fère une honneste et gracieuse mencion d'elle à la Royne, sa seur, et luy tesmoigner que sa droicte et bonne intention vers elle méritoit, en toutes sortes, qu'elle eût plus de respect à elle, et ne luy dényât le premier et meilleur lieu que justement elle desiroit avoyr en sa bonne grâce. En quoy m'a semblé qu'encor qu'elle m'ayt ramanteu aulcunes traverses et empeschementz, que le susdict comte de Morthon, avec ses adhérentz, s'efforçoit d'y mettre, néantmoins elle n'a tant couvert ny dissimulé son cueur qu'elle ne m'ayt donné à cognoistre qu'elle n'estoit mal disposée vers elle, et qu'encor que les ennemys puissent bien retarder aulcunes de ses bonnes démonstrations vers elle, qu'ilz ne pourront toutesfoys jamays tant rompre les liens, dont Dieu et nature les ont conjoinctes ensemble, qu'elle ne luy rende tousjours ung honneste et honnorable debvoir de bonne parante. De quoy j'ay mis peyne d'en resjouyr et consoler, par ung mot de lettre, la dicte Dame, et luy conseiller qu'elle ne vueille discontinuer vers elle ses honnestes escriptz et ses gracieulx présantz; et j'espère que ceste aigreur, aussy bien que les précédentes, se réduyra à modération. Et mesmes y en a qui pensent qu'elles se pourront voyr en ce progrès: sur quoy se faict de bonnes et maulvaises interprétations.

Le comte de Quildar a esté admené prisonnyer, d'Irlande, ensemble la comtesse sa femme et ses enfans, et sont desjà mis soubz diverses gardes en ceste ville, attandant qu'ilz soyent examinez. Je mettray peyne d'entendre davantage de leur faict, ensemble de l'estat du pays de dellà, pour vous en donner advis par mes premières. Et, sur ce, etc. Ce IIe jour de juing 1575.

CCCCLIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Annonce d'une audience.—Négociation de Mr de Méru avec les seigneurs du conseil.—Affaires d'Irlande.—Nouvelles des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, sur l'occasion de vostre dépesche, du XXIIIe du passé, laquelle j'ay recue le deuxiesme d'estui cy, j'yray demain trouver la Royne d'Angleterre à Athfeild, à dix huict mille d'icy, pour luy fère bien particullièrement entendre tout ce qu'il vous plaist me commander de luy dyre; qui espère qu'elle en recevra du contantement beaucoup, et qu'elle cognoistra combien de plus en plus vous dellibérez de procéder sincèrement vers elle, pour mériter qu'elle uze aussy de toute sincérité vers vous. Et parce qu'il semble qu'on luy ayt donné diverses interprétations d'aulcunes choses de Vostre Majesté, et mesmement de celles ès quelles elle prétend d'avoyr quelque intérest, et aussy des aultres qu'avez à desmeller avec voz subjectz, je mettray peyne de luy toucher les principaulx poinctz des unes et des aultres, affin que, des réponses qu'elle m'y fera, je puisse tirer tout ce qu'il me sera possible de son intention pour vous en rendre, par mes premières, bien informé, et que ne soyez sans cognoistre à quoy il vous faudra préparer pour les dellibérations qu'elle y pourroit prendre.

Mr de Méru a esté luy bayser la main depuis troys jours, non sans avoyr eu de la communicquation longuement et privéement avec les seigneurs de son conseil sur les advertissementz qui sont venuz de l'ambassadeur d'Angleterre, et sur ceulx que les depputez luy ont envoyé à luy mesmes, avant qu'ilz soyent partis de Paris, touchant les difficultez de la paix; desquelles il semble qu'ilz les raportent toutes à celles de la seureté. Le cappitayne La Porte et le cappitayne Chat ont esté aussy bayser les mains de la dicte Dame; et, bien que le dict Sr de Méru face semblant de ne bouger de ceste ville, je sentz bien que l'ung des aultres deux ou toutz les deux prétandent de fère bientost ung voïage en Allemaigne. Cepandant quelques cappitaynes font, icy, semblant d'armer, et de lever des soldatz, et équipper des vaysseaulx de guerre, se continuant la voix que c'est pour aller aulx Pays Bas, les uns trouver le commandeur, les aultres le prince d'Orange. Je feray curieusement observer s'il y a rien contre la France.

Le comte de Quildar a esté ouy, et creignent, ses amys, qu'il sera mis dans la Tour. L'on dict que, pour aultant qu'après qu'il a esté party, le présidant d'Irlande a mis la main sur vingt ou trente aultres des principaulx, qui habitent dans la Pallissade, le comte d'Esmond s'est mis, quand et quand, aulx champs, creignant qu'on ne s'adressât aussy, à la fin, à luy; dont les choses tournent se rebrouyller aulcunement par dellà.

Me Quillegreu est commandé de suyvre le progrès, et se tenir prest pour aller en Escosse. Je ne puis encores proprement descouvrir l'occasion de son voïage, sinon ce que je vous en ay mandé par mes précédantes; et, si j'en apprends davantage, je l'adjouxteray à mes premières. Le docteur de Bruxelles continue toujours sa négociation, et mesmement sur le poinct d'envoyer ses ambassadeurs près de l'ung et l'autre prince, et m'a l'on dict qu'il a donné entendre que le Roy d'Espaigne a nommé dom Loys de Sylva pour venir icy; mais ceste princesse, encor qu'elle ait desjà nommé Me Henry Cobhan pour aller en Espaigne, elle ne se haste toutesfoys de le dépescher, et pense l'on que, d'icy à quelques jours, elle l'y pourra bien envoyer, mais non avec commission d'y résider, sinon après que le Roy d'Espaigne l'aura satisfaicte d'aulcuns poinctz qu'il aura charge, devant toutes aultres choses, de luy demander.

Je feray entendre à ceulx de voz subjectz, qui sont encores icy, la droicte et saincte intention que me mandez avoyr à la paix, et verray quel contentement leur auront donné les depputez touchant les bonnes responces que leur aviez faictes; et m'efforceray, au reste, en attandant l'arryvée de mon successeur, qui faict par trop le long, de pourvoir, le mieulx que je pourray, à ce qui surviendra, icy, pour vostre service. Sur ce, etc.

Ce VIIe jour de juing 1575.

CCCCLIVe DÉPESCHE

—du XIIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Audience.—Acceptation par le roi de l'ordre de la Jarretière.—Instance de l'ambassadeur pour que Leicester soit envoyé en France à cette occasion.—Excuse donnée par la reine.—Mécontentement qu'elle témoigne à l'égard de la France.—Demande qu'elle fait de la communication des articles proposés pour la pacification.—Sollicitations dont elle est entourée afin de la forcer de se prononcer en faveur des protestans de France.—Sa déclaration qu'elle a toute confiance dans le roi et la reine-mère.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, ceste foys, assez favorablement receu de ceste princesse, en la mayson de milord trésorier, où elle a séjourné huict ou dix jours, et m'a faict invyter à ung festin qui s'y est faict dimanche dernyer. Elle a esté fort contante de vostre acceptation de son ordre, et m'a pryé que je vous en fisse ung singullier mercyement de sa part, et que bientost elle vous dépeschera ung seigneur de bonne qualité pour le vous apporter; qui aura la mesmes bonne affection à l'entretènement de vostre mutuelle amityé que le comte de Lestre pourroit avoyr, lequel elle ne refuzeroit pas de le vous envoyer, si c'estoit pour occasion qui importât à vostre service; mais, parce que c'est luy qui a la principalle charge de son progrès, et qu'elle dellibère de l'aller fère bien loing vers le North, et mesmes passer, à l'aller et au retour, en la mayson du dict comte, à Quilingourt, elle vous supplye de l'excuser de ce voyage.

Je luy ay fort incisté qu'elle vous contantât de cella, et qu'il luy rapporteroit, à son retour, de quoy estre plus contante et plus joyeuse, et en plus de repos, toute sa vye; mais je ne l'ay peu impétrer. Je ne sçays encores si elle se ravisera; néantmoins, Sire, il est venu fort à propos que Vostre Majesté l'ayt ainsy demandé, car, sans cella, je me trouvoys fort confus sur quelques poinctz que la dicte Dame m'a touché, en passant, avec ung peu d'aygreur; desquels il est besoing que je cherche de descouvrir, au vray, quel en est le fondz, affin de le vous mander. Et je pense bien qu'une bonne partye a procédé de la dernière dépesche de son ambassadeur, et de la créance que me mandez que Jacomo, qui la luy a apportée, a eu à luy explicquer; dont bientost j'en auray quelque esclarcissement, et vous manderay, par mesmes moyen, Sire, ce qu'elle m'a discouru sur le faict de la paix, avecques voz subjectz. Qui ay bien cognu qu'elle n'avoit encores eu la relation de la vraye vérité de voz responces, dont m'a fort pryé de luy vouloir bayller, par escript, le sommayre de ce que vous accordés à voz subjectz pour l'exercice de leur religyon; ce que je ne luy ay ozé promettre, et ne le luy ay pas refuzé, aussy, à cause du postscript de vostre lettre.

Néantmoins je supplye très humblement Vostre Majesté de donner tant de foy à ce que j'ay très soigneusement nothé, et bien curieusement recueilly, des propos et démonstrations de la dicte Dame, qu'elle desire, sans fiction ny ypochrisye quelconque, que puissiez mettre la paix en vostre royaulme; et se trouve assez en peyne comme se desmeller des violentes persuasions à quoy, de toutes partz, l'on la sollicite contre vous, en cest endroict. Qui veulx bien confesser, Sire, qu'elle ne m'a pas dissimulé que, pour aulcunes occasions, et mesmes pour quelque griefve matière d'offance, elle ne soit aulcunement provoquée à vous nuyre.

Mais, enfin, après luy avoyr admené des considérations qui sont venues tout à temps, (et ne failloit pas qu'elles tardassent davantage), elle m'a dict qu'elle ne deffaudra nullement à l'amityé qu'elle vous a promise, si vous ne luy manquez de la vostre; et qu'elle vous prye de ne donner légèrement foy aulx rapportz qu'on vous fera d'elle, comme aussy elle n'en donra poinct à ceulx qu'on luy fera de vous; mais que vous reportiez toutz deux aulx mutuelles actions l'ung de l'aultre, sellon qu'elle ne refuze poinct que vous examiniez bien les siennes; car elle examinera bien fort curieusement les vostres.

Et, pour ceste foys, Sire, je ne veulx mettre Vostre Majesté en allarme d'aulcune chose apparante de ce costé, mais l'on m'a bien dict qu'il s'y prépare quelques contributions de deniers d'aulcuns particulliers protestantz pour envoyer en Allemaigne. Sur ce, etc.

Ce XIIe jour de juing 1575.

A la Royne

Madame, parce que, dès l'entrée des propos, où la Royne d'Angleterre et moy, après ceulx des honnestes complimentz, sommes ceste foys venus à ceulx de la négociation de deçà, j'ay bien cognu qu'elle estoit esmeue, et avoit le cueur pressé et son esprit en perplexité d'aulcunes choses de France, je l'ay temporisée longtemps sans luy rien contredyre. Et, après, je luy ay faict aulcunes remonstrances, en partye grâcieuses, et en partye avec quelque expression, pour la conduyre peu à peu à parler de Vostre Majesté. Et enfin luy ay dict qu'elle se pouvoit bien souvenir que vous aviez tousjours mis bon ordre que nulz de ses ennemys fussent ouys ny jamays bien venus en France, et qu'à présent ilz en estoient plus reboutez que jamays; dont le Roy et Vostre Majesté la vouliez bien prier que ceulx, qui vous estoyent malveillantz, ne fussent aussy ny bien receus d'elle, ny escoutez de ceulx de son conseil, et qu'elle ne leur voulût donner ny foy ny crédict contre vous.

A quoy elle, après plusieurs argumentz et réplicques, m'a enfin confessé qu'elle ne pouvoit ny vouloit nyer qu'elle ne vous eût plus d'obligations qu'à princesse de la Chrestienté, mais que vous cognoissyez aussy qu'elle n'en estoit ny ingrate ny mescognoissante, et que ses bons déportementz n'avoient esté moindres, ny de moins de prouffit à Voz Très Chrestiennes Majestez que les vostres vers elle; et qu'elle me prioit de vous saluer très cordiallement de toutes ses meilleures recommandations, et de vous prier que voulussiez, à ceste heure, plus que jamays, avoyr ung honneste respect à elle et à son amityé, ainsy qu'elle en avoit tousjours eu, et vouloit de bon cueur avoyr, à vous et à la vostre, et au Roy, vostre filz, et à la sienne, et qu'elle ne m'en diroit pas, pour ce coup, davantage.

Je pense desjà avoyr comprins où cella va; dont par mes premières je le vous manderay, ensemble ce que j'auray plus avant apprins d'aultres choses. Et sur ce, etc.

Ce XIIe jour de juing 1575.

CCCCLVe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Secours d'argent donné par les Anglais aux protestans d'Allemagne et de France.—Refroidissement entre Élisabeth et le prince d'Orange.—Incertitude sur quelque évènement nouveau survenu en Écosse.

Au Roy.

Sire, parce que j'attandz encores une responce de ceste princesse et des seigneurs de son conseil sur ce que j'ay dernyèrement négocyé avec elle et avec eulx, je remettray, jusques à mes premières, affin de fère de tout ung, de vous mander les principaulx poinctz des choses que je leur ay débatues, et de celles que, par aulcunes conjectures et de leurs parolles, je puis avoyr comprinses; lesquelles je mettray peyne, entre cy et là, d'approfondir davantage, affin de les vous escripre plus fondées, pour pouvoir mieulx asseoyr vostre bon jugement. Et vous diray cepandant, Sire, que Mr de Méru est retourné trouver la dicte Dame et iceulx du conseil, le lendemain que j'en ay esté party, sur l'occasion, à mon advis, d'ung qui est freschement arryvé de Basle, qu'on dict estre le mèdecin du Prince de Condé. J'espère qu'il ne m'y aura, quand il s'en sera bien essayé, guyères peu altérer les choses; ny les aultres poursuivantz qui ont esté depuis luy; et ce que je sentz qu'il a plus advancé, icy, est que, par lettres de banque, et par le crédict qu'on luy donne de France et d'Allemaigne, et encores de Flandres, aulx marchandz de Londres, il pourra, avec la faveur d'aulcuns de ce dict conseil, trouver jusques à neuf ou dix mille livres d'esterling, qui est envyron trente mille escuz, à prester avec bon intérest. Et je sçay qu'il y a desjà dix mille angelotz, en espèces, devers certains personnages de ceste ville, que je crains y estre mis à cest effect; mais il n'y a ordre de l'empescher, car la chose va fort secrette et entre personnages de telle authorité et de tel commerce qu'elles peuvent facillement coulorer et couvrir plus grand chose que cella. J'entendz que ceulx de la Rochelle ont aussy faict quelque contract de sel avec ceulx de Hembourg, pour quarante mille escuz, qui doibvent estre fournis en Allemaigne; et disent les ministres que le Prince de Condé arrivera sans doubte, sinon qu'il soit pourveu de plus amples seuretez, et pour plus longtemps, aulx eslevez, que les responces de Vostre Majesté ne leur en donnent; et qu'à ce seul poinct tient toute la difficulté de la paix.

Le sire Philippes Sidney, nepveu et hérityer du comte de Lestre, est revenu, ces jours cy, d'Allemaigne, où il a demeuré envyron deux ans, en la court de l'Empereur, et aylleurs, pour voyr le pays; et a apporté lettres de créance d'aulcuns princes protestantz à ceste princesse. Elle est sur le poinct de redépescher le secrettère Wilx par dellà; et seroit bon que Vostre Majesté fît observer par quelqu'ung, à Strasbourg, le Sr Sturmius; car il est à présent agent de ceste princesse en Allemaigne, depuis la mort du docteur Mont, qui se tenoit à Francfort: et dict on que le dict Sturmius est bien savant aulx lettres, mais qu'il est homme simple et peu entendu en affères d'estat, et que, près de luy, se pourroit descouvrir la pluspart de leurs dellibérations.

Le prince d'Orange est merveilleusement venu suspect aux Angloix depuis la nouvelle de son mariage avec madame de Jouare, et mesmes qu'il estoit desjà en quelque discord avec eulx sur ce qu'ilz l'avoyent sommé de leur laysser la navygation et le commerce libres en Anvers, non seulement des marchandises de ce royaulme et aultres à eulx appartenantz, mais de celles qu'ilz prendroyent, à conduyre, des Hespaignolz et Portugoys et des aultres qu'ilz voudroyent colorer et advouer pour ligues. A quoy le dict prince, nonobstant leurs bravades et menasses, n'a voulu condescendre, sinon seulement pour les marchandises proprement appartenant à iceulx Angloix et pour celles des marchandz advanturiers de Londres; dont y a desjà des lettres de marque expédiées sur quelque occasion contre ceulx de Fleximgues. Et par ce, aussy, que le dict sieur prince ne reçoit plus si volontiers comme il souloit les soldatz angloix à sa soulde, il s'en appreste ung nombre avec leurs cappitaynes pour aller au service du grand commandeur de Castille contre luy. Vray est qu'à ce que j'entendz, l'on propose d'envoyer bientost ung personnage de qualité de ceste court vers le dict prince, en Ollande, pour accommoder toutz ces différandz avecques luy.

Le voïage de Me Quillegreu en Escosse sembloit estre non seulement différé mais interrompu du tout jusques à ce que, depuis deux jours, l'on l'a contremandé en haste à la court, pour le dépescher par dellà, et pour mener avecques luy certain aultre personnage, qu'on nomme Me Davidson, qu'on estyme qui demeurera résidant près du comte de Morthon; ce qui monstre qu'il y doibt avoyr quelque nouveaulté suscitée au dict comte, ou qu'on commence de l'avoyr suspect. Et sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de juing 1575.

CCCCLVIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Détails de la précédente audience.—Motifs qui engagent Élisabeth à refuser de prêter un nouveau serment.—Instances au nom du roi pour qu'il ne soit donné aucun refuge en Angleterre à ses sujets rebelles.—Satisfaction d'Élisabeth à raison de l'acceptation que le roi a faite de son ordre.

Au Roy.

Sire, parmy les propos que j'ay dernièrement tenus à la Royne d'Angleterre, j'ay estimé, pour aulcunes bonnes occasions, qu'il estoit besoing de luy dire que Vostre Majesté se trouvoit de plus en plus très contante de la ligue, naguyères renouvellée avec elle; et que jamays, à quelconque aultre promesse qu'eussiez faicte en ce monde, vous n'aviez plus volontiers adjouxté vostre foy et sèrement qu'à celle de son amityé; et que, si elle desiroit encores quelque aultre chose, pour s'assurer davantage de vous en cest endroict, que vous la luy offriez de bon cueur et estiez prest de l'effectuer; et que pareillement vous me commandiez de vous rendre responce des particullaritez qui touchoient à elle de vous accomplyr, sellon que j'en avoys baillé la nothe par escript à Mr de Walsingam, à qui j'avoys aussy communicqué le pouvoir que m'aviez envoyé pour assister à son sèrement; lequel sèrement je la pryois bien fort ne se grever de vous renouveller, encor que possible le traicté ne l'y obligeât, sellon que vous n'aviez différé de le luy prester à elle, oultre l'obligation du dict traicté, affin qu'il ne demeurât aucun escrupulle entre vous.

Elle m'a respondu qu'elle louoit Dieu de voyr que vostre contantement correspondoit au sien sur la continuation de la ligue, et vostre desir à celluy qu'elle avoit de la bien observer, chose qu'elle prioit Dieu, et l'a dict ung peu en collère, qu'il vous fît quelquefoys cognoistre combien elle vous estoit plus utille que vous ne le pensiez, et plus qu'on ne s'efforçoit de le vous persuader; et qu'elle ne vous voudroit pas différer son sèrement, n'estoit que ceulx de son conseil luy remonstroyent qu'il estoit impertinent de le fère, et que cella seroit remettre en doubte tout le passé, et que son ambassadeur luy avoit aussy mandé que Vostre Majesté demeuroit bien capable et satisfaicte de ce poinct; et qu'au reste je l'excusasse si elle ne vous avoit encores envoyé la lettre qu'elle vous debvoit escripre, de sa main, car, pour s'estre faict mal à un bras, en courant à la chasse, sur ung cheval d'Espaigne, elle n'y avoit peu encores vacquer, mais que, dans quatre ou cinq jours, je l'aurois sans aulcune difficulté.

J'ay suivy à luy dire que, pour ceste heure, doncques, je ne la presserois plus du sèrement, et me contanteroys de vous escrypre sa raison, et m'efforceroys, avec la lettre de sa main et ses aultres honnestes responces, de vous donner le plus de satisfaction d'elle qu'il me seroit possible, et qu'elle se pouvoit vanter d'avoyr acquis en Vostre Majesté le plus grand et le meilleur de tous les amys qu'elle eût peu rencontrer en la Chrestienté, et le plus ferme confédéré que sa couronne ayt eu depuis qu'elle est establye, et que, dorsenavant, nul de ses ennemys, ny nul de ses rebelles, ny nul qui luy voulût mal, ne trouveroyent lieu ny place en France; et que de mesmes vous desiriés, Sire, que nul aussy, qui pourchassât de vous nuyre, en peût trouver près d'elle ny des seigneurs de son conseil, ny faveur aulcune contre vous en ce royaulme; et que de cella vous l'en priez très affectueusement comme chose très raysonnable, et sur laquelle les parolles que me commandiez de luy en dire n'estoient ny légères ny communes, ains d'une grande expression, qui déclaroyent bien que vous aviez une singullière bonne volonté de persévérer à jamays vers elle, et faisiez aussy estat qu'elle persévèreroit très constamment vers vous; et que de cella vous aviez prins une plus grande assurance par ce nouveau et très agréable tesmoignage, qu'elle vous donnoit, de vous avoyr esleu chevalyer de son ordre; de quoy, pour n'emprunpter rien hors de vostre lettre, de ce que me commandiez luy dyre du grand contantement qu'en aviez receu, et de l'infiny mercyement que luy en rendiez, et du debvoir où vous vous mettriez d'honnorer son ordre avec le plus de dignité qu'il vous seroit possible, et du playsir que vous auriez qu'elle le vous envoyât bientost, qui seroit redoublé si elle vouloit que ce fût par le comte de Lestre, je la supplyois qu'elle mesmes voulût lyre ce qu'il vous playsoit m'en escripre, et elle trouveroit que son ordre estoit très bien employé en Vostre Majesté, et que vous sçaviez honnorer grandement ceulx qui vous honnoroyent et honnorer l'honneur qu'on s'efforçoit de vous fère.

Elle a distinctement leu tout l'article de vostre lettre, qui faisoit mencion de cella, et, après, comme toute resjouye et bien fort contante, m'a faict la responce que je vous ay sommayrement comptée en mes précédantes. Et, d'abondant, m'a dict qu'elle vous remercyoit, de tout son cueur, du grand et remarquable honneur que Vostre Majesté faisoit à elle et à son ordre de si favorablement l'accepter, et qu'elle le vous envoyeroit bientost par ung personnage d'authorité, bien incliné à vostre mutuelle amityé, que vous n'auriez moins agréable que le comte de Lestre; duquel elle me manderoit le nom, incontinent qu'elle en auroit faicte l'élection; et néantmoins qu'elle avoit grand plésir qu'eussiez demandé le dict comte, car elle cognoissoit par là que vous vouliez procéder de grande sincérité vers elle.

Dont de ce propos et d'aulcuns aultres que nous avons continué, l'espace de deux heures, Vostre Majesté en entendra davantage par le Sr de Vassal, présent porteur. Et n'adjouxteray rien plus icy, Sire, sinon qu'encor qu'on eût aulcunement altéré la dicte Dame contre vous, j'ay bien cognu qu'elle n'estoit preste, pour cella, de se destourner de vostre amityé s'il vous plaist continuer en la sienne. Je vous envoye la lettre de sa main et la responce que ceulx de son conseil m'ont faicte sur le reste de mes demandes. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour de juing 1575.

CCCCLVIIe DÉPESCHE

—du premier jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Convalescence du roi.—Mort du maréchal de Danville.—Départ de Mr de Méru pour l'Allemagne.—Efforts de l'ambassadeur afin d'empêcher Élisabeth de donner des secours sérieux aux protestans de France.—Assurance qu'elle a formé la résolution de s'en tenir avec eux à de simples promesses.

Au Roy.

Sire, l'on a parlé icy diversement de la qualité et de l'effect de vostre maladye, et je loue Dieu, de bon cueur, et le remercye, bien dévotement, qu'il vous en a bientost relevé, et qu'il n'a permis qu'elle ayt esté si violente ni sy dangereuse comme on le disoit. Je fay présentement ung mot de vostre parfaicte guérison à la Royne d'Angleterre, attandant que, sur l'occasion de quelque aultre vostre dépesche, je l'aille trouver pour m'en conjouyr davantage et plus expressément avec elle.

La mort de Mr de Dampville[4] estoit desjà publiée, icy, sur ung advertissement de l'ambassadeur d'Angleterre, premier que j'ay receu celluy de Vostre Majesté, et n'a esté petite l'émotion qu'on s'est donnée de cella, creignantz les ungs que le party duquel il estoit se doibve trouver, à présent, beaucoup affoybly et débilité par son manquement, et les aultres estiment que, de ce qu'il s'estoit joinct à la cause de la nouvelle relligyon, elle en estoit devenue plus foible, et en recepvoit quelque deffaveur vers aulcuns princes protestantz. Comment que ce soit, s'il estoit occasion que ne peussiez donner la paix à voz subjectz ny la recepvoyr d'eux, Dieu, de qui les jugementz sont toujours très justes et sainctz, la luy vueille octroyer bonne par dellà.

Mr de Méru est desjà embarqué pour passer en Hemden ou bien en Hanbourg, affin d'aller trouver le Prince de Condé à Basle. J'entendz que ceste princesse, quand il a prins congé d'elle, luy a faict présant d'envyron troys mille escus; et m'a l'on dict que Wilx va avecques luy, dépesché par aulcuns particulliers de ce royaulme, avec VII mille Vc # d'esterling, qui sont vingt cinq mille escus, avec quelque chayne d'assés grand pris pour fère présent par dellà: dont quelqu'ung a comprins, de certain propos que le dict Sr de Méru a eu à tenir, que ce seroit pour fère marcher bientost deux milles reytres et quatre mille lansequenetz en France. Néantmoins il a faict démonstration, en mon endroict, à son partement, qu'il avoit desir et espérance de la paix; et a dict que, si son frère de Dampville estoit mort, ce qu'il ne vouloit encores croyre, la plus grande perte en seroit à Vostre Majesté, d'autant qu'il luy avoit naguyères escript qu'il ne se trouvoit tant en peyne de combatre contre ceulx contre qui il s'estoit mis, que de vaincre ceulx, avec qui il estoit, pour les retenir en vostre dévotion.

Je rencontre, par toutz mes advis, qu'il n'a poinct obtenu aulcune aultre provision de deniers, ny promesse d'hommes, ny de vaysseaulx, de ceste princesse; et pour le moins ne me trouvè je si veufflé d'elle que, quand aulx hommes et vaysseaulx, je n'aye faict que ouvertement elle a refuzé aulx ministres et aultres poursuyvantz, qui sont icy, d'en bailler; et, quand aulx deniers, si, d'avanture, elle consent, soubz main, à quelque crédict de ses marchandz, ce ne peut estre de grand somme. Et si, luy ay je protesté, il y a plus de six moys, et le luy renouvelle toutz les jours, que vous vous plaindriez d'elle, si les Allemantz marchoient en France, parce qu'on sçayt assez que le Prince de Condé n'a de quoy les y fère marcher, si elle, de son argent ou crédict, ne leur faict des jambes et des pieds. Et je vous supplye, Sire, de ne donner trop de foy à ceulx qui vous cellèbrent la facilité de la dicte Dame à bailler son argent contre vous, ny à vous rompre le traicté; mais bien à ceulx qui la font libéralle de bonnes parolles et de promesses vers ung chascung. Sur ce, etc.

Ce Ier jour de juillet 1575.

CCCCLVIIIe DÉPESCHE

—du IIIIe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Prises faites sur les Anglais par les navires de St Malo.—Vives plaintes des Anglais, qui veulent considérer cet acte comme une déclaration de guerre.—Assurance de l'ambassadeur qu'il leur sera donné satisfaction.—Menace de guerre de la part d'Élisabeth contre ceux de Flessingue à raison de prises qu'ils ont faites.—Nouvelles des Pays-Bas.—Incertitude sur les affaires d'Écosse.—Instance de l'ambassadeur pour qu'il soit donné satisfaction relativement aux prises faites par ceux de St Malo.

Au Roy.

Sire, aulcuns particulliers de ce royaulme, qui favorisoient les pyrateries, entendantz que ceulx de St Malo s'estoient mis sur mer pour garder que ceulx de la Rochelle n'en peussent plus fère et n'empeschassent la navigation, avoyent secrettement entreprins d'armer dix ou douze grandz navyres de guerre, en divers portz de ce royaulme, pour courre sus à ceulx de St Malo; de quoy, aussytost que j'en ay eu vent, j'ay faict cognoistre que j'avoys descouvert l'entreprinse. Dont la Royne d'Angleterre a incontinent mandé aulx justices du pays d'ung chascung endroict de fère incontinent cesser le dict apprest, et garder qu'aulcun navyre ne sorte que pour faict de marchandise; et si, d'avanture, il y en a quelqu'ung qui vueille sortyr armé, à cause des pirates, qu'il donne caution de ne rien attempter au préjudice des traités contre les amys et confédérez de ce royaulme. Mais il n'a guyères tardé, après cella, qu'ung advertissement est arryvé comme, depuis le XXe de may dernier, les dictz de St Malo ont prins troys navyres marchands angloix, venant, l'ung de la Rochelle, et les aultres deux d'Espaigne et du Portugal, lesquels, aussytost qu'ilz les ont eus amenez en leur port, les ont faict déclarer de bonne prinse et toute leur marchandise a esté dissipée: de quoy l'on m'a faict une extrême plaincte, et que l'on vouloit sçavoyr de moy si Vostre Majesté prétendoit par là d'ouvrir la guerre à ce royaulme, car n'avoyent entendu qu'il fût prohibé aulx Angloix de traffiquer avec ceulx de la Rochelle, ny aylleurs.

A quoy je leur ay respondu que c'estoit ung faict nouveau, sur lequel je ne leur pouvoys dire aultre chose, sinon que je les assuroys de vostre bonne et droicte intention vers la paix et amityé de ceste couronne, et que, d'ouverture de guerre, il n'en y avoit poinct; dont pourroyent fère leurs dilligences vers Vostre Majesté, et que je les accompaigneroys de mes lettres, et en escriproys aussy aulx gouverneurs de Bretaigne et de St Malo pour leur en fère avoyr rayson et justice; ce qui les a remis en quelque espérance de recouvrer leurs biens.

Néantmoins, parce qu'il y a une semblable querelle contre ceulx de Flexingues, lesquelz ont aussy naguyères prins des navyres angloix bien riches, et qu'à cause de cella ceste princesse les a envoyés sommer, par le docteur Roger de ceste ville, de fère entière restitution de tout ce que ses subjectz leur pourroyent duement vériffyer qu'ilz ont prins depuis troys ans en çà, aultrement qu'elle leur dénoncera la guerre; l'on est sur le poinct de dresser ung grand équippage de mer contre eulx. Il sera bon d'y avoyr l'œil et de fère, affin que cella ne s'addresse contre nous, que l'on sache au vrai, du premier jour, comme aura passé le faict de la prinse de St Malo et en donner quelque rayson par deçà.

Je croy bien que les nouvelles nopces du prince d'Orange, lesquelles leur sont fort suspectes, font qu'ilz prennent plus à cueur qu'ilz n'eussent pas faict les injures de ceulx de Flexingues. Et mesmes j'entendz qu'il y a mille Angloix, près de Bruges, qui se vont enroller au service du grand commandeur de Castille, et qu'il recouvrera dorsenavant beaucoup plus de marinyers de ce royaulme qu'ilz n'ont pas faict; et que Me Henry Cobhan partira bientost pour aller résider ambassadeur de ceste princesse en Hespaigne.

Me Quillegreu n'est encores party pour Escosse, mais on le faict suyvre pour le dépescher, d'heure en heure, et croy qu'on n'attand plus sinon les nouvelles de la paix de vostre royaulme, si elle succèdera ou non, pour le fère acheminer. Et sur ce, etc. Ce IVe jour de juillet 1575.

Il court bruict qu'il est survenu quelque nouveaulté au comte de Morthon en Escosse, et le faict on mort. J'en entendray davantage, affin de le vous mander par mes premières; mais il y doibt avoyr quelque chose, car l'on s'en esmeut assez.

A la Royne

Madame, il n'y a, à présent, icy, aultre chose digne de Voz Majestez, aulmoins qui soit encores venue à ma cognoissance, depuis mes précédentes dépesches, du XXVIe du passé, et premier d'estui cy, que ce qu'il vous plerra voyr en la lettre que j'escriptz, de ceste dathe, au Roy, vostre filz; en laquelle je luy touche ung faict duquel l'on m'est venu fère grande plaincte, et sur lequel j'estime, Madame, qu'il est expédient d'y fère bien regarder, affin que le cas n'en aylle à plus d'altération; et que, sur ce renouvellement de ligue, les subjectz de ces deux royaulmes, non seulement trouvent une mutuelle seureté, mais qu'ilz sentent beaucoup de faveur et de support les ungs des aultres en leurs communs traffics: aultrement le sèrement du Roy et celluy aussy que ceste princesse a faict seroyent violez, au grand mespris de Dieu, à qui ilz ont esté sollennellement jurés, et à l'offance des hommes, et mesmement des princes et gens de bien, qui en demeureroyent fort scandalisez. Ce que je m'assure que le Roy, ny Vous, Madame, ne voudriez pour aulcun pris que telle chose advînt. Et sur ce, etc.

Ce IVe jour de juillet 1575.

CCCCLIXe DÉPESCHE

—du VIIIe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calays par Estienne Jumeau.)

Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh.—Ses plaintes au sujet des secours accordés en Angleterre aux protestans de France.—Ferme assurance donnée par Burleigh qu'Élisabeth veut maintenir le traité.—Nouvelles d'Écosse.—Révolte à Édimbourg contre le comte de Morton.

Au Roy.

Sire, premier que de recepvoyr vostre lettre, du XXIe du passé, j'avoys visité milord trézorier pour retirer de luy aulcuns accomplissementz qui restoient du traicté de la ligue, affin que je les vous peusse envoyer, comme depuis je l'ay faict. Et, par mesme moyen, j'estois entré bien avant avecques luy sur le peu d'observance, qu'on faysoit icy, du dict traicté, luy déclarant ouvertement que Vostre Majesté, par divers rencontres, trouvoit que la Royne, sa Mestresse, en lieu de se trouver amye et bonne confédérée en voz affères, portoit entièrement le party de ceulx qui estoient eslevez en vostre royaulme, comme si elle avoit ligue et confédération avec eulx; et que non seulement elle les admettoit favorablement à parler, icy, à elle, et à ceulx de son conseil, et de s'accomoder de deniers, de monitions et de beaucoup de moyens en son royaulme, mais que, jusques en Languedoc, à la Rochelle et aultres lieux, où la guerre se faysoit, et jusques à Basle, où le Prince de Condé estoit, et en Allemaigne, où il pourchassoit des forces, elle leur faisoit sentir son support et assistance; et que mesmes j'entendoys que Mr de Méru emportoit de l'argent, ou du crédict, d'icy, pour fère marcher les reytres en France, aussytost qu'il seroit arryvé devers le Prince de Condé: ce qui arguoit grandement l'intégrité d'elle et des seigneurs de son conseil, et la rendoit et eulx inexcusables, devant Dieu et vers les princes et gens de bien de la Chrestienté, pour sa foy et sèrement violez; et mesmes qu'elle sçavoit bien que les responces qu'aviez faites à voz subjectz, pour l'exercice de leur religyon, et pour leurs seuretés, et pour tout aultre leur accomodement en vostre royaulme, estoient si bénignes et amples, que je ne pouvois penser à quel aultre tiltre, sinon de pure rébellion et infidellité, ilz vous pourroient plus continuer la guerre; et que si, d'avanture, elle n'estimoit beaucoup plus d'avoir une honneste et légitime confédération avec vous, que non une intelligence malhonneste et de pernicieulx exemple avec eulx, qu'elle le dict ardiment; car il vous seroit moins dommageable de l'avoyr ouverte que non pas secrette ennemye, ou que dissimulée amye.

Il m'a respondu que plusieurs choses du passé debvoient rendre bien advertye la Royne, sa Mestresse, comme se conduyre sur celles du présent, et comme pourvoyr à celles d'advenir, et que jamays princesse ne s'estoit plus franchement commise à l'amityé de nul prince qu'elle avoit faict à celle du feu Roy, vostre frère; duquel elle s'estoit proposée une très grande seureté et un grand repos, soubz la bonne opinyon qu'elle avoit de sa foy, et soubz la loyaulté qu'elle pensoit estre ez promesses qu'il avoit faictes à ceulx de la nouvelle religyon, avec lesquelz elle avoit sa propre tranquillité et celle de son estat comme conjoinctes; et Dieu estoit tesmoing de ce qui estoit depuis advenu, et en monstroit de grands jugementz, dont failloit qu'ilz fussent, à ceste heure, bien soigneulx de fère leurs descouvertes; et que, touchant les responces à voz subjectz, il ne les vouloit débatre, car estimoit que les leur aviez rendues toutes honnorables; bien luy sembloit, à cause des accidantz passez, qu'elles seroient encores plus honnorables et plus utilles, si elles estoient moindres en concession des choses particullières, et plus amples en octroy des seuretez; néantmoins, comment que ce fût, la Royne, sa Mestresse, vous garderoit invyolablement l'amityé et confédération qu'elle vous avoit promise, si vous ne la rompiez de vostre costé; auquel cas Dieu luy avoit donné et luy donroit les moyens et forces pour se garder d'estre offancée, et mesme pour fère offance à ceulx qui la voudroient offancer; mais que vous ne debviez légièrement croyre les advis et maulvais rapportz qu'on vous feroit d'elle: car, parce que voz subjectz, qui estoient en armes, sçavoient qu'elle estoit de leur religyon, ilz se proposoyent plusieurs grands advantages d'elle, et se vantoyent d'avoyr souvant impétré beaucoup de ce qu'ilz n'avoyent rien, affin de tenir leurs affères en réputation, et tirer, par ce moyen, les plus seures et meilleures condicions de paix, qu'ils pourroyent, de Vostre Majesté; et qu'il ne pouvoit, ny debvoit me réveller les secrettes dellibérations de sa Mestresse, mais qu'il me promettoit bien qu'elle ne feroit, ny estoit pour fère chose aulcune contre l'honneur et la grandeur, ny au préjudice de Vostre Majesté. Et s'est mis là dessus à discourir de plusieurs choses, et comme il sembloit que vous en eussiez aulcunes, lesquelles ne vous touchoient guyères en plus de considération que celle de vostre propre bien et prouffit, et que, par nécessité, il failloit ou que prinsiez bien le poinct de ce temps, qui se offroit maintenant, et la présente occasion pour establir ung ordre et ung règlement en voz affères, et pour recueillyr toutz voz subjectz et esteindre leurs partialitez et querelles, ou que fissiez estat de voyr vostre règne augmanter, de jour en jour, en plus de troubles et de dangers, et Vostre Majesté moins jouyssante, toute sa vye, de l'amplitude de son royaulme que nul de ses prédécesseurs.

A quoy je luy ay satisfaict, sellon ce que j'ay estimé convenir à vostre réputation et grandeur, et la bonne intention qu'avez vers voz subjectz, le mieulx qu'il m'a esté possible. Et par ce, Sire, que, dans ung jour ou deux, j'espère aller trouver ceste princesse pour noter davantage comme elle persévère vers Vostre Majesté, et pour luy toucher, avec le plus de discrétion que je pourray, les poinctz de voz deux dépesches du XIIe et XXIIe du passé, et aussy pour continuer vers elle une gracieuse négociation que je luy ay commancée pour la Royne d'Escosse, qui sont desjà aulcunement racoinctées ensemble, je remettray à vous mander, lors, tout ce que j'auray recueilly de ses propos.

Et adjouxteray seulement icy, Sire, que le bruict continue de la mort du comte de Morthon, et que c'est milord de Lentzay, prévost de Lillebourg, qui, avec la commune de la ville, offancée de l'oppression des impostz, luy a couru sus. Et sur ce, etc. Ce VIIIe jour de juillet 1575.

Depuis ce dessus, l'on me vient d'advertyr bien seurement que la commune de Lislebourg s'est véritablement eslevée contre le comte de Morthon à cause de la monoye, mais qu'il s'est saulvé dans le chasteau; et que ceste princesse, dans ung jour ou deux, faict acheminer Me Quillegreu par dellà. Je desireroys, de bon cueur, qu'il y eût quelqu'ung par dellà, de la part de Vostre Majesté.

CCCCLXe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Communication de la réception faite en France à sir Jacques Fitz Maurice.—Déclaration du roi qu'il ne veut pas soutenir les catholiques d'Irlande.—Conseil donné par le roi à sir Jacques de solliciter sa rentrée en grâce.—Satisfaction d'Élisabeth.—Remontrances de l'ambassadeur sur ce que l'on se conduit en Angleterre comme si la guerre était résolue contre le roi.—Déclaration qu'il a été fait droit en France à toutes les plaintes des Anglais.—Assurance donnée par la reine qu'elle arrête les secours, et qu'elle a formellement refusé de faire passer de l'argent en Allemagne.—Même assurance confirmée par les seigneurs du conseil.—Départ de Me Quillegrey pour l'Écosse.—Proposition secrètement faite de reprendre la négociation du mariage d'Élisabeth avec le duc d'Alençon.

Au Roy.

Sire, m'estant approché, mardy dernier, à troys mille de ceste court, la Royne d'Angleterre m'a incontinent mandé, par ung de ses pensionnayres, que je la vînse trouver à la prochayne forest, où elle estoit desjà, dès le grand matin, à la chasse, et qu'elle ne me vouloit différer aylleurs, ny plus longtemps, mon audience, affin de pouvoir tant plus tost ouyr des nouvelles de Vostre Majesté, lesquelles elle espéroit et desiroit estre bonnes; et que, de là, elle me mèneroit disner chez ung gentilhomme, là auprès, qui luy faisoit ung festin, où elle vouloit que je mangeasse ce jour avec elle. A quoy ayant obéy, et ayant, la dicte Dame, aussytost que je l'ay rencontrée au boys, délayssé ung peu sa chasse pour s'enquérir soigneusement de vostre santé, et l'en ayant amplement satisfaicte, sellon le contenu de vostre lettre du XIIe du passé, de quoy elle a monstré avoyr grand contantement, le surplus des propos ont esté remis jusques après la dicte chasse, et jusques après le dîner, qui a esté somptueux; durant lequel elle a tenu beaucoup de bien honnorables propos de Vostre Majesté et des troys Roynes Très Chrestiennes; et après qu'elle a esté hors de table, elle m'a retiré en ung coing de sale, où je luy ay dict:

Que j'estoys venu luy signiffyer deux vrays tesmoignages de l'indubitable affection que Vostre Majesté avoit de vivre en très bon frère et très parfaict confédéré avec elle; l'ung estoit celle communicquation, que je luy avoys desjà faicte, de vostre convalescence et de la bonne disposition où, grâces à Dieu, vous vous trouviez à présent, après ce petit sentiment de fiebvre qu'aviez eu, au commancement de juing dernier, qui estoit une singullière privaulté que vous luy communicquiez, et qui desiriez l'avoyr mutuelle avec elle, affin qu'ordinayrement elle vous fît aussy sçavoyr comme elle se portoit; et l'autre estoit touchant le sire Jacques Fitz Maurice, l'ung de ses fuitifz d'Irlande, lequel estant passé en France, Vostre Majesté ne luy avoit poinct aiguysé le cueur contre elle, et ne l'avoit animé à luy continuer la guerre ny luy troubler son estat, et ne luy aviez offert vaysseaulx, ny hommes, ny monitions, ny deniers pour le fère, ains l'aviez exorté de retourner à son debvoir de bon subject vers elle, et recourir à sa clémence et bonté, et se remettre, luy et ses partisans, en son obéyssance et bonne grâce; de quoy ne l'ayant trouvé aliéné, vous aviez bien voulu intercéder pour luy par voz propres lettres, lesquelles, avec celles que m'aviez escriptes là dessus, je luy apportoys, affin qu'elle vît comme, par ce bon office, qui ne pouvoit estre ny meilleur ny plus cordial vers elle, ny vers le repos de ses affères, vous desiriez qu'elle peût tout de mesmes recueillyr ses subjectz, qui estoyent escartez, et leur oster l'espouvantement où ilz estoyent, comme vous le desiriez des vostres propres, ainsy que ce temps requéroit qu'on en uzât ainsy; et qu'elle sçavoit assez que mesmement ceulx de la noblesse ne cessoyent jamays, quand ilz estoient hors de leur pays, de praticquer tout ce qu'ilz pouvoient, et de remuer aultant de besoigne qu'il leur estoit possible, pour y estre remis; et quiconques le pensoit aultrement se trompoit bien fort, et que pourtant vous aviez grand plésir de luy fère regaigner ce gentilhomme avec ses partisans, aulx condicions qu'il demandoit, qui estoient beaucoup plus facilles que celles que vous offriez à voz propres subjectz.

La dicte Dame, avec une démonstration de grand ayse sur cest affère, duquel elle estoit assez en peyne, et n'en attandoit pas de si bonnes nouvelles comme celle cy, a tout incontinent prins sa lettre et la mienne et les a curieusement leues. Et puis m'a dict qu'elle vous avoit beaucoup d'obligations, pour l'honnorable déportement dont elle voyoit qu'aviez usé en ce faict, tout aultrement qu'on ne le luy avoit rapporté, et aultrement que le dict mesmes Fitz Maurice ne s'en estoit vanté, et qu'il l'avoit escript à ceulx de son party, en Irlande, par ses lettres de la fin de may dernier, où il les assuroit que Vostre Majesté luy avoit accordé huict vaysseaulx de guerre et deux mille harquebusiers, et luy avoit desjà donné troys mille escuz contantz; de quoy elle avoit maintenant très grand playsir qu'elle vous peût remercyer du contrayre, comme elle faysoit de bon cueur, et vouloit bien que, du discours qu'elle m'avoit faict du dict Fitz Maurice, lequel seroit trop long, je vous disse ceste particullarité: qu'il s'estoit mis sur mer en intention d'aller trouver le Roy d'Espaigne, mais que l'ayant le vent jetté à St Malo, le cappitayne La Roche, qui est, à ce qu'elle dict, ung terrible gallant contre elle, l'avoit avec beaucoup de grandes espérances admené vers vous, où, grâces à Dieu, il avoit trouvé que la matière n'estoit sellon sa disposition; et bien que, jusques icy, il ayt monstré de ne vouloyr poinct de pardon, toutesfoys qu'elle feroit voyr, par son conseil, sur vostre lettre, les condicions auxquelles maintenant il le demandoit, et qu'elle me prioit de communicquer aulx comtes de Lestre et de Sussex, qui estoyent là présantz, ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre.

J'ay suivy à luy dire que, le propre lendemain que Mr de Walsingam m'estoit venu parler, de la part d'elle, du dict Fitz Maurice, j'avoys receu ceste présente dépesche, et avoys esté infinyement ayse de voir qu'avant que je vous en eusse escript, ny que l'ambassadeur d'elle vous en eût rien touché par dellà, vous aviez desjà procédé de vous mesme en cest endroict, comme prince d'honneur et de vertus, et comme vray amy et bon confédéré d'elle, et que je ne voulois doubter qu'elle n'eût la pareille intention vers vous, si toutz ceulx qui estoyent auprès d'elle l'avoyent de mesmes, la priant de prendre de bonne part si je luy disoys aulcunes choses qui l'argueroyent devant Dieu et les hommes d'une grande coulpe, en vostre endroict, si, d'avanture, elle les sçavoyt, ou bien d'une grande négligence vers vostre amityé, si, d'avanture, elle en vouloit estre ignorante: c'estoit que, par divers rencontres et par plusieurs advertissementz de diverses partz, Vostre Majesté trouvoit que, du costé d'icy, en lieu de procéder droictement vers voz affères sellon l'obligation de la ligue, c'estoyent les eslevez de vostre royaulme qui estoient favorablement admis à parler à elle et à ceulx de son conseil, et s'accomoder ordinayrement d'armes, de vaysseaulx, de monitions de guerre, et aultres leurs provisions; et que mesmes j'entendoys qu'il estoit freschement sorty quatre navyres de guerre, et s'en apprestoit aultres quatre pour sortyr, du premier jour, de divers portz de deçà, pour aller, en faveur des dictz eslevez; et que, jusques aulx propres lieux, où ilz faisoyent la guerre en France, et jusques en Allemaigne, où ilz procuroient d'avoyr des forces, ilz sentoyent l'apuy et assistance de l'Angleterre; et nommément, par aulcunes lettres, qui naguyères avoient esté surprinses, il vous apparoissoit que Mr de Méru, au partir d'icy, debvoit emporter des deniers contantz, ou bien du crédict, pour fère marcher les reytres en France, aussytost qu'il seroit arryvé devers le Prince de Condé; ce que, pour estre ces actes par trop ennemys en l'endroict mesmement d'un prince qui la cherchoit d'amityé, et par trop contrayres à la foy et promesse que vous aviez d'elle, et qu'il vous sembloit que ses conseillers n'oseroyent pas, de eulx mesmes, attempter telles choses contre l'honneur de sa parolle, et mesmement, à ceste heure, qu'ilz sçavoient combien vous aviez bénignement respondu à voz subjectz touchant l'exercice de leur religyon, et touchant leurs seuretez, et tout aultre accommodement en vostre royaulme, pour ne pouvoir à nul aultre tiltre désormays, que de pure rébellion et infidélité, vous continuer plus la guerre, vous ne vouliez si mal juger d'elle que cella, ains penser, selon qu'elle n'avoit le cueur bas, qu'elle vous déclareroit plustost la guerre tout ouvertement que de se porter ainsy couverte ennemye ou dissimulée amye vers vous, et que pourtant vous attandriez quelle preuve vous auriez de ses effaictz, premier que d'adjouxter foy aulx lettres et rapportz de ceulx qui vous vouloyent mettre en deffiance d'elle; et que cepandant vous n'aviez layssé de fère pourvoyr, de vostre propre espargne, au marchand d'Ampthonne, dont elle m'avoit dernièrement parlé, et aviez mandé à vostre parlement de Paris d'expédyer favorablement les librayres de Londres, et donné charge à Mr de Chiverny de fère voyr toutes les aultres plainctes de son ambassadeur en vostre conseil, affin d'y satisfère sellon l'obligation des trettés; lesquelz vous vouliez que fussent droictement observez de vostre costé, et desiriez aussy qu'elle les fît mieulx observer du vostre, que jusques icy elle ne l'avoit pas faict.

La dicte Dame m'a respondu qu'elle vous remercyoit bien fort de ce que ne la vouliez légyèrement arguer de parjure, et qu'elle vous promettoit bien que l'intégrité de ses euvres vous rendroit assez manifeste le mensonge de ceulx qui ozoient calompnier la foy et promesse qu'elle vous avoit jurée, sans qu'elle se mît en peyne d'aultrement les convaincre, mais qu'elle ne sçavoit ce qui adviendroit, après le retour de Mr de Méru en Allemaigne, sinon qu'elle s'assuroit bien qu'il n'auroit à se vanter de rien d'elle contre vous, ny à vous fère douloir d'aulcune chose qu'elle eût uzée vers luy, non plus que vous vers elle, en l'endroict du Fitz Maurice; que vous sçaviez assez la résolution qui estoit prinse entre les Protestantz d'Allemaigne de ne manquer de secours à ceulx de leur religyon qui estoyent en armes en vostre royaulme, s'ilz ne pouvoyent avoyr la paix, et qu'elle sçavoyt bien que les forces estoyent prestes, et ne restoit, pour les fère marcher, que quelque argent, en quoy ne me vouloit nyer qu'ung gentilhomme ne fût passé, depuis peu de temps, en ce royaulme pour avoyr l'accomodement de la somme en deniers contantz, ou bien par crédict; mais que, pour le respect de la ligue qui estoit entre vous, quoy qu'on luy représentât l'obligation de la religyon, et que ce n'estoit que pour contre cautionner aulcuns seigneurs françoys bien riches, qui estoyent les premiers et les principaulx obligez, elle ne l'avoit seulement volu ouyr; et, à dire vray, ny la faulte de moyens, ny la faulte d'occasions, ny la faulte de cueur, ne la retardoyent d'entreprendre contre vous, mais c'estoit sa foy et son sèrement et l'amityé qu'elle vous portoit, qui luy faisoyent sentyr qu'elle ne sçauroit, en honneur et conscience, employer son pouvoir, ny mesmes se laysser venir la volonté de vous nuyre, et qu'elle n'yroit jamays que de plein jour et ouvertement en voz affères, ainsy qu'elle desiroit la mesmes clarté de vous vers les siens; qu'elle estimoit que Mr de Méru se rendroit plus ministre de paix que de querelle, quand il seroit avec le Prince de Condé, et qu'elle voyoit bien que toute la difficulté resteroit aulx seuretez, lesquelles elle ne pouvoit cesser de vous supplyer que ne vous sentissiez grevé de les leur accorder bonnes; car ce vous seroit, puis après, ung soulagement incomparable, et qui ne pourroit estre assez prisé, en l'estat de vostre personne et en celluy de voz affères; qu'elle avoit grand plésir qu'eussiez commandé de pourvoyr aulx plainctes de ses subjectz, car c'estoit de là d'où l'on prenoit ordinayrement les plus fortz argumentz pour luy rendre suspecte vostre amityé, et pour bander tout ce royaulme contre voz affères; dont vous supplioyt de n'en laysser la chose sans effect, ainsy que, de ce costé, elle donroit ordre que voz subjectz demeurassent bien satisfaictz et sans plaincte.

Au partyr de la dicte Dame, j'ay communicqué avec les comtes de Lestre et de Sussex, lesquelz monstrans d'avoyr grand contantement que les choses passassent bien, de vostre costé, vers leur Mestresse, m'ont juré toutz deux que, du costé d'elle, elles estoyent pures et nettes vers vous, et que les advis et rapportz qu'on vous avoit faict du contrayre estoyent faulx, et que, de ces huict navyres dont je leur avoys parlé, ilz me promettoyent, sur leur honneur, qu'il n'y avoit rien contre vous.

Me Quillegreu est party pour Escosse, à cause de ce tumulte de Lislebourg contre le comte de Morthon, ainsy que je le vous ay cy devant escript. Sur ce, etc.

Ce XIIIe jour de juillet 1575.

Le cappitayne Morguen, qui est des plus estimez de deçà se offre à vostre service, et dict qu'il fera, s'il vous plaist, que quelques entreprinses, où l'on le veut employer, soubz main, contre vous, seront converties si à propos à vostre prouffit que vous le réputerez à grand service, soit sur mer ou dans la Rochelle: dont vous plerra me mander comme j'auray à luy en respondre.

A la Royne

Madame, j'ay bien cognu que ceste princesse s'attendoit que je lui deusse maintenant apporter quelque response du propos[5] que je vous ay dernyèrement mandé par le Sr de Vassal; mais je luy ay touché, en passant, que le gentilhomme, que j'avoys dépesché à cest effect vers Voz Majestez, s'estoit, pour quelque accidant, retardé en chemin, et j'espéroys qu'il seroit bientost de retour, icy, avec mon successeur; dont je l'yrois retrouver à Quilingourt, au plus tost et aulx meilleures journées que ma santé le pourroit permettre, affin de luy fère entendre le tout. Et croy, Madame, que sur cella, quand je luy ay demandé si elle avoit encores nommé le seigneur qu'elle dellibéroit d'envoyer en France, et quand il partiroit, qu'elle m'a respondu que, au dict Quilingourt, elle le nommeroit, et que, dans troys sepmaynes, elle le feroit partyr. Dont depuis, le comte de Lestre m'a dict que, si la response venoit bonne, il ne despéroit pas d'estre celluy qui feroit le voïage en France. Et sur ce, etc.

Ce XIIIe jour de juillet 1575.

CCCCLXIe DÉPESCHE

—du XIXe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Heureux effet produit sur les résolutions d'Élisabeth par la conduite du roi à l'égard de sir Jacques Fitz Maurice.—Arrêt mis sur tous les navires marchands armés en guerre.—Retard apporté au départ de sir Henri Coban désigné pour passer en Espagne.—Nouvelles transmises par l'ambassadeur d'Angleterre.—Confiance que l'on peut avoir dans les intentions d'Élisabeth.—Ses favorables dispositions à l'égard de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, ceste princesse s'est trouvée si consolée des propos qu'il vous a pleu luy mander du Fitz Maurice, et d'autres que je luy ay tenus de vostre droicte intention vers le repoz de ses affères, que, depuis, elle a changé d'aulcunes dellibérations, à quoy sembloit qu'on l'eût desjà comme toute acheminée: de permettre à plusieurs gentilshommes angloix de sortyr en ceste mer estroicte, avec leurs vaysseaulx armez, pour maistriser la navigation, et se revencher des prinses que les Françoys leur ont faictes, et, oultre cella, d'arrester les navyres et biens des Françoys ez portz et endroictz où il s'en pourroit trouver par deçà, y ayant encores là dessoubs d'aultres choses cachées, aulxquelles quelques ungs de ceste court vouloient, peu à peu, embarquer leur Mestresse, sans qu'elle en sentît quasy rien, pour vous remuer de la besoigne en France et en Escosse, en faveur des eslevez, si, d'avanture, ilz eussent esté creus; et sembloit qu'à cause de cella ilz la fissent temporiser ez envyrons de ceste ville, sans advancer son progrès, affin de donner chaleur à l'entreprinse; mais elle a mandé que nul vaysseau ayt à sortyr, sans donner caution de douze mille cinq centz escuz qu'il n'atemptera rien contre les amyz et alliez de ceste couronne, et que, s'il y a quelques navyres desjà prests, qu'ilz les envoyent en marchandise affin de ne perdre leur affret; et que le marchand d'Ampthonne aille recepvoyr le payement que Vostre Majesté luy a ordonné sans procéder, icy, à nul arrest: qui sont deux choses qui ont esté incontinent exécutées.

Et la dicte Dame a continué son progrès, faisant encores temporiser Me Henry Cobham sur la dépesche d'Espagne, bien qu'il faict tousjours achemyner ses besoignes à Plemmue, pour s'y aller embarquer; car dellibère de fère son voïage par mer, et croy qu'on luy fera encores attandre la prochayne responce qui doibt venir de dellà, pendant laquelle le docteur fescal de Bruxelles s'est allé promener vers la contrée, parce que toute sa négociation demeure en suspens.

Et sont, à présent, toutes choses, icy, si paysibles qu'il n'y apparoit mouvement ny nouveaulté aulcune, que ce que les nouvelles de dellà la mer y apportent, qui semble que l'ambassadeur d'Angleterre y ayt escript que Mourevert a failly de tuer le Prince de Condé d'ung coup d'arquebouze et qu'il a esté prins; que Vostre Majesté dresse deux grandes armées par terre, et une troysiesme par mer; que, en ung rencontre en Daufiné Montbrun a eu du meilleur contre M. de Gorden; et que, le Ve du présent, il a cuydé avoyr ung gros tumulte à Paris contre les Italiens. Je ne sçay que pourra cella, ny les aultres particullaritez qu'il peut avoyr escriptes davantage, produyre de changement en ceste court; tant y a que j'espère qu'à l'arryvée de mon successeur, lequel j'attendz en très grande dévotion, nous retrouverons la dicte Dame, en quelle part qu'elle soit, tousjours bien persévérante vers Vostre Majesté, sans qu'elle se laysse attirer contre voz affères qu'aultant qu'elle ne le pourra dénier à sa religyon.

Elle est sur le poinct d'envoyer visiter, par ung de ses gentilshommes, la Royne d'Escosse, avec ung présent, de sa part, et luy fère parler de vouloyr elle mesmes fère la despence de sa table, et de ses serviteurs domesticques, du douayre qu'elle a de France. Je ne sçay comme elles s'en accorderont; néantmoins j'ay grand plésir de les voyr mieulx racoinctées qu'elles n'estoyent.

Je n'ay nulle nouvelle d'Escosse, depuis le partement de Me Quillegreu, mais j'attandz de brief, le retour d'ung homme qui me doibt apporter toutes nouvelles de dellà, et je ne fauldray tout incontinent de les vous mander. Et sur ce, etc. Ce XIXe jour de juillet 1575.

CCCCLXIIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Demande présentée au nom d'Élisabeth d'une réparation à raison des prises faites par ceux de St-Malo.—Protestation de l'ambassadeur que la réparation sera accordée.—Prise faite par les Anglais d'un navire français.—Voyage de Me Quillegrey.—Entrée en Écosse de plusieurs seigneurs anglais.—Attaque faite contre eux par les Écossais.—Détails sur le séjour d'Élisabeth dans la maison de Leicester.

Au Roy.

Sire, le XXe de ce moys, le juge de l'admiraulté de ceste ville m'est venu communicquer une lettre, que la Royne, sa Mestresse, luy a escripte, par laquelle elle luy mande de me signiffier l'extrême plaincte que aulcuns de ses marchands luy ont faicte contre ceulx de St Malo, qui les ont assaillys en mer, et les ayant combattus, blessez et meurtris, les ont admenez, eulx, leurs vaysseaulx et marchandises, à St Malo, où ne leur a esté uzé d'aulcuns termes de rayson, ny de justice, ains procédé contre eulx comme contre ennemys, prins de bonne guerre. De quoy la dicte Dame se sent très griefvement offancée, ou bien de Vous, Sire, qui n'avez faict sçavoyr à voz subjectz la confédération qu'aviez avec elle, ou bien d'eulx qui, la sachant, ne la veulent observer; et que j'aye à remonstrer à Vostre Majesté que cella, après plusieurs aultres injures, ne peut demeurer sans réparation, et qu'il est expédient ou que Vostre Majesté la luy face fère par ceulx de St Malo, ou que ne trouve maulvais qu'elle la preigne, le mieulx qu'elle pourra, sur eulx.

J'ay respondu au dict juge que j'estoys marry, et sçavoys que Vostre Majesté le seroit bien fort de quoy cest accidant estoit advenu, et qu'il ne failloit que sa Mestresse se mît en peyne de la réparation, car vous la luy feriez fère sans doubte, si ceulx de St Malo se trouvoyent en coulpe, car leur aviez bien permis d'armer contre ceulx de la Rochelle, affin d'assurer la navigation, et mesmes de se revancher d'aulcunes prinses et violences qu'ilz leur avoyent faictes, sellon que, de longtemps, j'avoys communicqué une lettre de Mr de Bouyllé là dessus à la dicte Dame, mais non de passer plus avant; en quoy, s'ilz avoyent excédé la permission contre quiconques eût paix et amityé avecques vous, non que contre les Angloix, qui, oultre d'estre amys, estoyent voz confédérez, que vous les en chastîriez bien; et que desjà, ayant eu le vent de ceste plaincte, je vous en avoys escript, et vous en escriproys, de rechef, sur la remonstrance de la Royne, sa Mestresse, avec le plus d'efficasse que je pourroys, pour fère avoyr rayson et restitution aulx dictz Angloix.

Le dict juge, se contantant assez de ma responce, m'a incontinant introduyt iceulx marchandz, et les patrons des navyres qui, avec beaucoup d'exclamations, m'ont bayllé leurs plainctes par escript. Et, le jour d'après, j'ay receu la dépesche de Vostre Majesté du Xe du présent, contenant une aultre plaincte d'ung navyre françoys qui venoit de Naples, lequel les Angloix ont prins, et l'ont mené en Irlande; dont je n'en agraveray moins à la dicte Dame le cas pour voz subjectz qu'elle a faict à vous celluy des siens; et me comporteray vers elle en toutz les aultres poinctz de la dépesche, sellon que Vostre Majesté me le commande;

Ayant à vous dire, Sire, que, sur ce que j'avoys adverty voz partisans, en Escosse, de l'allée de Me Quillegreu par dellà, et qu'ilz l'observassent de bien près, car je sçavoys qu'on avoit envoyé dix mille escuz devant luy, à Barwyc, pour quelque entreprinse, il est advenu que le dict Quillegreu a temporisé, quelques jours, au dict Barwic; et ayant là receu les deniers, il a dépesché ung de ses gens en Escosse. Et incontinent le filz du comte de Béfort, avec d'aultres gentilshommes angloiz, est entré, comme par manière d'esbat, oultre les frontyères, dans le pays; et a l'on opinyon que c'estoit pour avoyr la personne du jeune Prince; mais j'entendz que quelques Escossoys luy ont couru sus, et à sa compagnye, et qu'ilz l'ont blessé, et mené prisonnyer. De quoy je ne sçay qui en adviendra, et mettray peyne de sçavoyr mieulx ce qui en est, affin de le vous mander; mais je vis ordinayrement en grand peyne des choses de dellà, parce qu'il n'y a nul, de vostre part, sur les lieux pour les conduyre, et je ne les puis bien remédyer d'icy en hors. Et sur ce, etc.

Ce XXIVe jour de juillet 1575.

A la Royne

Madame, en la lettre que j'escriptz présentement au Roy, vostre filz, Vostre Majesté trouvera tout ce qui me occourt de luy dire, pour ceste heure, des choses d'icy; et, après que j'auray veu ce qu'il vous a pleu à toutz deux me mander par vostre dépesche du Xe du présent, laquelle je viens de recevoyr, et que j'auray pourveu au plus hasté, je vous y feray plus ample responce. Et n'adjouxteray à la présente sinon ce mot de la continuation du progrès de ceste princesse: c'est qu'elle est arryvée le neufvième d'estui cy à Quilingourt, où elle a esté fort honnorablement receue. Et le comte de Lestre l'a logé, elle et ses dames, et quatorze comtes, et dix sept aultres principaulx milords, toutz dans son chasteau, et deffrayé toute la court à cent soixante platz d'assiette, l'espace de douze jours, et despendu, entre aultres choses, sèze pièces de vin et quarante pièces de bierre et dix beufs, chascung jour, avec une si grande abondance de toutes aultres sortes de bons vivres et de fruictz et confitures, qu'on s'en est esbahy; et quatre centz serviteurs habillez à neuf de livrées, oultre les gentilzhommes, vestus de velours pour servir; et les chasses et playsirs des champs, et puis les commédyes et les danses au logis, ordonnées si à propos qu'on n'a veu, de longtemps, rien de plus magnifique en ce royaulme.

Sur quoy l'on faict de diverses interprétations; mais je croy que c'est pour recognoistre ung octroy, que la dicte Dame luy a faict, ceste année, de quelques vaquanz, qu'on estime valoyr plus de deux centz mille escus. Je me fusse trouvé là, ainsi que le dict sieur comte m'en avoit fort pryé, mais je ne me suys estimé avoyr assez de santé pour l'ozer employer, sinon là où l'exprès service de Voz Majestez le requerra; qui vous supplye très humblement, Madame, à ceste heure que Mr de Mauvissière s'est accommodé de ses affères, et qu'il m'a faict estendre ma paciance oultre mon extrémité, qu'il vous playse ne luy comporter plus une seulle heure de dellay, à me venir soulager et relever. Et sur ce, etc. Ce XXIVe jour de juillet 1575.

CCCCLXIIIe DÉPESCHE

—du premier jour d'aoust 1575.—

(Envoyée exprès à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Détails de la querelle survenue sur les frontières d'Écosse.—État des armemens faits en Angleterre.—Réclamations réciproques au sujet des prises.—Instances des protestans de France auprès d'Élisabeth.—Sa déclaration qu'elle ne peut accorder à sir Jacques Fitz Maurice rien de plus que ce qu'elle avait fait pour lui avant sa fuite.—Espoir que la paix sera bientôt conclue.—Projet attribué au prince d'Orange de vouloir pénétrer en France.—Assurance donnée par Leicester qu'il sera désigné pour se rendre auprès du roi si l'on reprend la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, le différent, dont je vous ay naguyères escript, d'entre les Angloix et les Escossoys, est advenu de ce que, en l'assemblée et convention des gardiens des deux frontyères, ayant les Escossoys demandé qu'ung gentilhomme des leurs, qui avoit esté admené par deçà, fût là représanté sellon l'ordre des dictes frontyères, les Angloix ont respondu qu'il estoit si malade qu'on ne l'y avoit peu admener, et de cella ont exibé incontinent des tesmoings, qui l'ont ainsy affermé; mais interpellés de l'assurer par sèrement, et y ayant faict difficulté, ilz sont venus en grosses parolles, et des parolles aulx mains et aulx armes: dont quatre Angloix ont esté tuez sur le lieu et plusieurs blessez, et entre aultres le filz du comte de Béfort, qu'on dict estre depuis mort. La Royne d'Angleterre a incontinent envoyé milord de Housdon sur le lieu, affin de pourvoyr, le mieulx qu'il lui seroit possible, à ce désordre. Il semble qu'il y eût, je ne sçay quoy, de caché là dessoubz, qu'aulcuns personnaiges d'honneur de ceste court ne sont pas marrys qu'il ayt esté ainsy descouvert, à la confusion de ceulx qui l'avoient conseillé et de ceulx qui le vouloyent fère exécuter.

Me Quillegreu a passé oultre jusques à Lislebourg. J'espère que bientost j'auray quelque relation de ce qu'il faict par dellà. L'on dict que la fille de la comtesse de Mar, laquelle le comte de Morthon avoit faicte épouser au comte d'Angoux, son nepveu, est morte, et que le dict Morthon pourchasse de le remaryer avec une fille des Amelthons.

Quand à l'estat des choses d'icy, la Royne d'Angleterre est encore à Quilingourt; et vous puis assurer, Sire, que ces cinq grands navyres de guerre, dont l'on vous a parlé, ne sont poinct dehors. Il est vray qu'il s'en appreste troys pour sortyr bientost, et dict on que c'est pour aller contre les pirates françoys et flammantz, qui infestent ceste mer; mais j'entendz que c'est pour se pourvoyr de bonne heure contre les souspeçons, que ceulx cy se donnent, de l'armement que Vostre Majesté faict fère en Normandye et en Bretaigne.

J'ay envoyé représanter la plaincte du navyre françoys, nommé le Saulveur, qui a esté prins par les Angloix en revenant de Naples, à la dicte Dame, sellon l'article que m'en avez faict en une lettre du Xe du passé, et sellon une relation que ceulx de St Malo m'en ont envoyée, avec la justiffication de leurs derniers exploitz qu'ilz ont faict sur mer, lesquels je ne sçay comme je les pourray fère bien prendre à ceulx qui s'en pleignent icy fort amèrement. J'estime, Sire, qu'il est expédient de fère voyr cest affère à la justice, affin de conserver la paix et entretenir le commerce d'entre ces deux royaulmes.

Le voïage de Me Henry Cobhan pour Espaigne avoit esté réfroidy, mais je viens de sçavoyr qu'il s'effectuera bientost, et qu'on l'a honnoré de quelque tiltre affin de luy fère tenir meilleur lieu par dellà. J'entendz que, le jour de la Madeleyne, un françoys, naguyères party de Basle, est arryvé en ceste ville, feignant qu'il y venoit chercher Mr de Méru, néantmoins il a incontinent passé oultre vers Mr de Walsingam, à la court. Je ne sçay qu'il y praticquera, et croy bien qu'il y trouvera assez de ceulx qui vouldroyent favoriser la guerre en vostre royaulme; mais j'espère qu'il n'impètrera, pour tout cella, ny les hommes, ny les vaysseaulx, ny tant d'argent de ceste princesse comme il voudroit; laquelle m'a faict prier, touchant ce que luy aviez escript pour James d'Esmont, dict Fitz Maurice, que je vous veuille mander comme elle, ayant cy devant envoyé au gouverneur de la province où il a commis la trahison contre elle, son pardon, et n'ayant, luy, voulu ny daigné aller vers le dict gouverneur pour le demander et l'accepter, elle ne peut, avec son honneur, luy en concéder ung aultre, et que de cella elle remect à Vostre Majesté d'en estre juge.

Je me resjouys infinyement du retour du Sr de Misery et de l'acheminement des depputez. Je croy qu'ilz ne viennent pas, sans apporter une modération de leurs premières demandes, et sans ung suffisant pouvoir d'accepter les bonnes responces que Vostre Majesté leur a desjà faictes, ou bien celles, si besoing est, que voudrez encores leur fère. Et depuis deux jours, est arryvé, icy, ung de la Rochelle, qui assure avoyr veu partyr les Srs de Mirambeau et de Bessons pour aller rencontrer les aultres depputés, portans bonne instruction de ceulx de ce quartier là à la paix. Néantmoins il court, icy, ung bruict sourd que, en Ollande, a esté mis en dellibération, touchant la guerre de vostre royaulme, que, si le prince d'Orange veut entreprendre d'y marcher en faveur des eslevez, et passer en armes par le Brabant, Aynaut et Artoys, affin d'eslever ces peuples là, que iceulx de Ollande le secourront de deux centz mille florins contantz; mais parce que Vostre Majesté doibt avoyr notice de cella, s'il est vray, par une plus seure voye que la mienne, je n'en toucheray, icy, davantage. Sur ce, etc. Ce 1er jour d'aoust 1575.

A la Royne

Madame, estimant qu'il n'y a poinct de mal que ceulx cy soyent détenus en quelque suspens de ne pouvoir, du premier coup, descouvrir le fonds de l'intention de Voz Majestez Très Chrestiennes touchant le propos qu'ilz m'ont naguyères renouvellé, je leur allègue tousjours quelque occasion du juste retardement de vostre responce; qui seray bien ayse que je ne soys pressé de ne leur en dire rien davantage jusques à ce que Voz Majestez m'ayent ung peu plus expressément respondu aux particullaritez que je leur en ay depuis escripte, du XIIIe du passé, et mesmement sur ce que le comte de Lestre m'a fort considérément dict que, s'il venoit aulcune bonne response de dellà pour le dict propos, il n'estoit pas hors d'espérance qu'il ne fût celluy qui iroyt apporter la jarretyère au Roy, vostre filz. Et cependant je ne veulx obmettre, Madame, de très humblement vous remercyer pour la tant expresse déclaration, qu'il vous a pleu me fère, du contantement que Voz Majestez ont de mon service, et de l'assurance que me donnez de la venue de mon successeur, et de me fère avoyr quelque récompense: qui sont troys choses que Vostre Majesté adaptera à la nécessité d'ung gentilhomme qui en a plus de besoing que nul aultre qu'ayez jamays employé au service du Roy ny au vostre, et qui, sans me confier par trop de mes mérites passez, desire encores de le mériter davantage par nouveaulx services que j'essayeray de vous fère à toutz deux, les meilleurs et avec le plus de soing et de dilligence que mon aage et ma santé le pourront porter, et tousjours avec une singullière fidellité: et par exprès, Madame, j'auray à jamays, pour l'effet que me ferez sentir de ces troys choses que j'ay dict cy dessus, une immortelle obligation à Vostre Majesté. Et sur ce, etc. Ce 1er jour d'aoust 1575.

CCCCLXIVe DÉPESCHE

—du VIe jour d'aoust 1575.—

(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Communication confidentielle, faite par l'un des seigneurs du conseil à l'ambassadeur, de la bonne disposition d'Élisabeth au sujet de son mariage avec le duc d'Alençon.—Nécessité de faire une nouvelle proposition de l'entrevue, si le roi desire que ce mariage s'effectue.—Résolution prise en Angleterre d'attendre une réponse du roi à cet égard, avant de désigner le seigneur qui portera au roi l'ordre de la Jarretière.

Au Roy.

Sire, par la dépesche que je vous ay faicte, du premier du présent, j'ay réytéré en la lettre de la Royne, vostre mère, à ce que, du tréziesme auparavant, je vous avoys escript, comme le comte de Lestre m'avoit ouvertement déclaré que, s'il venoit quelque bonne nouvelle de France, sur la reprinse du bon propos de sa Mestresse, qu'il espéroit estre celluy qui vous yroit apporter la jarretyère. Sur quoy attandant qu'il vous playse me mander ce que j'auray à luy respondre, je ne m'advance pas de rendre encores l'autre responce que m'avez mandée du Xe auparavant, touchant le principal du dict propos, parce qu'il semble que voz présentz affères ne perdent rien de laysser cella en quelque suspens, et aussy que l'on ne me presse beaucoup d'y respondre. Néantmoins ung des premiers et fort principal personnage de ce royaulme m'a secrettement adverty que la Royne, sa Mestresse, ayant ung jour, à Quilingourt, faict appeller en sa chambre ceulx de son conseil pour, entre autres choses, fère l'élection de celluy qui vous apporteroit la dicte jarretyère, elle et eulx, par occasion, là dessus, avoyent ramené en mémoyre l'estat de tout l'autre principal propos, et que la matière en avoit esté si avant débatue qu'on avoit jugé expédient de ne nommer encores pas ung pour ceste légation, jusques à ce qu'on eût ung peu mieulx cognu de quelle intention Vostre Majesté seroit vers le dict bon propos, affin que, sellon cella, elle peût, de plusieurs seigneurs de sa court, eslyre lors celluy qu'ilz estimeroyent le plus propre pour bien négocyer cest affère; et qu'il me vouloit bien dire qu'il avoit fort profondément sondé le cueur de sa Mestresse en cest endroict, et qu'il trouvoit, en somme:

Qu'elle ne sçavoit à quoy bonnement se tenir de l'intention de Vostre Majesté; car, parce qu'elle m'avoit tousjours cognu d'une prompte et grande affection à l'entretènement de vostre mutuelle amityé, et à vouloyr, tout ainsy que Voz Majestez estoyent unis par la ligue, vous unyr encores davantage par alliance; et que, toutes les foys que le feu Roy, vostre frère, m'en avoit commandé quelque chose, je la luy avoys non seulement fort volontiers communicquée, mais luy avoys tousjours admené beaucoup de raysons pour l'y persuader, voyant, à ceste heure, que je ne monstroys plus nulle challeur en cella, elle creignoit que Vostre Majesté n'en y eût poinct aussy; néantmoins qu'elle vouloit croyre fermement que le feu Roy, et la Royne, sa mère, avoient jusques icy, ainsy que je l'avoys tousjours assuré, procédé d'une fort droicte intention à vouloir, avec leur honneur et dignité, fère tout ce qu'ilz pourroyent pour conduyre l'affère à bonne fin, et qu'ilz avoient demandé ung saufconduict pour l'entreveue, lequel elle leur avoit une foys accordé, et depuis n'en avoit jamays faict de refus; dont restoit maintenant en Vostre Majesté d'y procéder sellon ces dernières erres, sinon que, pour aulcuns respectz et accidantz, il vous fût survenue nouvelle occasion de ne le vouloyr poinct;

Et que c'estoit tout ce qu'il avoit peu tirer de la dicte Dame, par où je pouvois voyr qu'elle estimoit avoyr bien accomply, de son costé, ce qui touchoit à cella, et qu'elle attandoit, à ceste heure, comme vous entendiez d'y cheminer, du vostre; et que, là dessus, il me vouloit privéement déclarer son opinyon, qui estoit: que, sans remémorer l'amplitude de l'estat ny les excellantes grâces de sa Mestresse, qui estoyent choses notoyres, ny la cognoissance que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez que celluy qui se vouloit rendre possesseur d'une telle princesse, et posséder avec elle toute sa grandeur, la debvoit, avec beaucoup de soing et avec beaucoup de respectz, très dilligemment poursuyvre, il jugeoit nécessayre, puisque le poinct de l'affère estoit maintenant tout en vostre main, si d'avanture je pensoys que Vostre Majesté y eût encores de l'affection, que tout promptement je vous escripvisse de demander encores l'entreveue, comme chose avec laquelle le bon effaict s'en pourroit facillement ensuyvre, et sans laquelle jamays ne s'ensuyvroit; et que, sellon la dilligence que je vous ferois mettre en cella, se pourroit cognoistre s'il restoit de la disposition, ou non, de vostre costé; car la prolongation ne servoit que de confirmer aulx ennemys les argumentz qu'ilz faisoient contre ce propos, et de mettre les amys en quelque doubte de vostre sincérité; et confessoit estre l'ung de ceulx qui avoient consulté la dicte Dame de ne nommer poinct le personnage qu'elle vouloit envoyer en France jusques à ce qu'elle sceût playnement le cueur de Vostre Majesté, affin de fère allors plus seurement l'élection; car jugeoit n'estre aulcunement raysonnable qu'elle fît partyr ung qui seroit pour résouldre cest affère, sinon à bien bonnes enseignes; et, si elle perdoit la présente occasion de la jarretyère, elle n'espéroit, de longtemps, d'en recouvrer une aultre si honnorable, ny qui peût estre si à propos; et que, quand luy et ceulx qui, comme luy, avoient grande dévotion à cest affère, pourroient avoyr quelque cognoissance de la vraye et certayne intention de Vostre Majesté, je ne fisse nul doubte qu'ilz n'y employassent lors tous les bons moyens et addresses qui s'y pourroient desirer; me priant d'uzer bien secrettement et avec discrétion, de cestuy sien conseil, qui estoit sans le sceu de nul aultre de la compagnye; et qu'il avoit congé d'aller estre quelques jours en sa maison, mais qu'il seroit tout à temps de retour à la court pour servir, aultant qu'il luy seroit possible, en cest endroict.

Voilà, Sire, la substance et les propres termes, en brief, de tout ce qu'il m'a plus au long escript; qui ay retenu l'original de sa lettre devers moy, et ne luy ay poinct faict de responce. Mesmes j'avoys une foys dellibéré de n'en rien mander à Vostre Majesté, parce que celle vostre aultre responce, du Xe du passé, sembloit assez y satisfère; mais il ne faut rien tayre à son prince, comme je ne luy ay jamais faict, ny suis pour jamays le fère. Sur ce, etc.

Ce VIe jour d'aoust 1575.

A la Royne

Madame, ceste dépesche, que je fay présentement à Voz Majestez, est pour leur fère entendre le contenu d'une lettre qu'ung des premiers et principaulx milords de ce royaulme m'a escripte, à laquelle je ne luy ay rien respondu, et si, ay esté en doubte si je la debvoys entièrement réserver secrette devers moy, affin de ne remuer rien plus en ung affère qui a esté plusieurs foys en vain essayé, et lequel je ne sçay comme, à présent, il est agréable de vostre costé. Mais considérant qu'il fault révéler toutes choses à Voz Majestez, et elles, puis après, en ordonneront comme il leur plerra, et que d'ailleurs, le personnage qui m'a escript est de tel poix et gravité, et si retenu, qu'il ne dict rien à la volée ny sans bon fondement, j'ay enfin prins ceste résolution qu'il ne vous en seroit rien dissimulé. Et seulement je me suis abstenu de vous y adjouxter rien de mon adviz parce que Vostre Majesté void tout à cler ce qui est de dellà, et juge mieulx de ce qui est icy que je ne sçauroys fère; et ne diray que ce mot que ceulx cy temporizeront indubitablement d'envoyer l'ordre jusques à ce qu'ilz pourront avoyr eu quelque notice de l'intention de Voz Majestez en cest endroict. Et sur ce, etc.

Ce VIe jour d'aoust 1575.

CCCCLXVe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'aoust 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Nouveaux armemens faits en Angleterre.—Prochain départ de sir Henri Sidney pour l'Irlande.—Temporisation de Me Quillegrey à Barwich.—Maladie de sir Henri Coban.—Exécution à Londres de plusieurs Hollandais brûlés vifs pour cause d'hérésie.—Méfiance que doivent inspirer les nouveaux préparatifs des Anglais, et un envoi d'argent fait par Élisabeth en Allemagne.

Au Roy.

Sire, ayant sceu que l'admyral d'Angleterre et le gardien des cinq portz, avec les principaulx officiers de la marine, s'estoyent assemblés, la sepmayne passée, à Rochester, où sont les grands navyres de ceste princesse, comme pour y ordonner d'ung armement à fère quelque entreprinse, j'ay envoyé sçavoyr ce qui en estoit; et m'a l'on rapporté qu'on y avoit commandé de mettre promptement huict des grands navyres en estat pour estre prestz de sortir dans dix jours, toutes les foys que le commandement en seroit venu; mais qu'on n'avoit encores rien ordonné de l'advytayllement, et que seulement le dict admiral, estant au dict lieu, avoit envoyé surprendre, en l'embouchure de la Tamise, deux vaysseaulx, où y avoit sept ou huict gentilhommes de bonne qualité, angloix, qui pensoient se desrober de ce pays, lesquelz il a ramenez et sont réservez soubz quelque garde; et qu'il s'apprestoit bien envyron vingt quatre ou vingt cinq vaysseaulx, en demy équippage de guerre, dans ceste rivyère, par des particulliers, qui disoyent vouloir aller, les ungs en Hespaigne, les aultres en Portugal, et les aultres en Barbarye, pour faict de marchandise; dont nous verrons, de jour à l'aultre, ce qui s'en fera. Il semble que, de ceste année, il n'y a pas grande flotte pour les vins à Bourdeaulx, parce que ceste princesse a très rigoureusement deffendu qu'on ne puisse vendre ny achapter en Angleterre, toutz frays et subsides payez, plus haut de dix livres d'esterling la tonne de vin, qui sont cent livres tournoys, là où, à présent, il se vent bien au double.

Le sire Henry Sidney s'en va, du premier jour, passer en Irlande, où l'on pense qu'il y réduyra les choses, et qu'il remettra facillement tout le pays en l'obéyssance de ceste couronne, et le comte d'Essex s'en retournera.

Me Quillegreu a temporisé, plus longtemps qu'on ne m'avoit dict, à Barwic, à cause de ce désordre naguyères survenu entre les gardiens des deux frontyères, et s'il n'en est party depuis dix jours, il y est encores. La Royne d'Escosse se porte bien et cuydoyent aulcuns que la Royne d'Angleterre, sa cousine, s'estant approchée à une journée et demye d'elle, la deût voyr; mais j'entendz que seulement elle l'a envoyée visiter. Me Henry Cobhan, en attandant, icy, sa dépesche pour Espaigne, est tombé malade; néantmoins il espère partyr, aussytost qu'il se portera ung peu bien, et dellibère de fère son chemin par France.

L'on a brullé, ces jours passez, en ceste ville, aulcuns Ollandoys pour cause d'hérésye, parce qu'ilz ne se sont voulus desdire, soubstenans, entre aultres erreurs, qu'il n'estoit loysible aulx Chrestiens d'exercer magistrat.

Je ne veulx pas, Sire, après tant de bonnes parolles et de bonnes démonstrations que j'ay naguyères eues de ceste princesse et des siens, sur la continuation de la ligue, les souspeçonner légèrement; néantmoins ayant sceu que, de trente mille livres d'esterling, que la dicte Dame a dernyèrement empruntés de ceulx de Londres, en ayant receu contant vingt mille, et icelles ordonnées pour la guerre d'Irlande, je crains que des aultres dix mille, lesquelz elle a envoyé remettre en Hambourg, que, si elles ne sont distribuées aulx pensionnayres qu'elle a en Allemaigne, ou bien employées en l'acquit de quelque vieulx partis qu'elle doibt encores par dellà, qu'elles ne soyent convertyes à fère une levée de reytres en faveur des eslevez de vostre royaulme; et que ceste somme soit celle partye de deniers qu'on dict qu'elle est obligée de contribuer en la ligue des princes protestantz pour la deffance de leur religyon, sellon qu'on m'a assuré qu'il est convenu, par articles exprès, avec les dictz princes protestantz que, toutes les foys et pour aultant de vingt mille escus qu'on leur pourra fère fournir en deniers contantz, ilz seront tenus, dans certains jours après, de fère marcher autant de troys mille reytres ou en France ou en Flandres, là où le besoing en sera cognu plus grand; dont Vostre Majesté pourra, par quelqu'ung de ses serviteurs en Allemaigne, fère observer cella.

Je ne puis vériffyer que Mr de Méru ayt emporté plus grande somme de ceste court que les douze centz angelotz que cette princesse luy a donnez; et encores m'a l'on dict que le présent, à la fin, a esté restreinct à six centz angelotz.

Je parachevoys cest article quand la dépesche de Vostre Majesté, du XXIXe du passé, est arryvée, de laquelle j'uzeray en la façon qu'il vous plaist me le commander, la première foys que j'iray retrouver ceste princesse; et incontinent après, je vous manderay ce qu'elle m'y aura respondu. Sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'aoust 1575.

CCCCLXVIe DÉPESCHE

—du XXe jour d'aoust 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Arrivée de Mr de Mauvissière en Angleterre.—Refus du roi d'accepter les offres faites par le capitaine Bathe d'une entreprise contre l'Angleterre.—Préparatifs des Anglais pour se tenir prêts à une expédition.—Réclamations réciproques à raison des prises.—Sollicitations de l'ambassadeur afin qu'il lui soit envoyé de l'argent.—Mission qui lui est donnée de se rendre auprès de Marie Stuart et de passer en Écosse.

Au Roy.

Sire, parce qu'il y a huict jours que je ne fay, d'heure à aultre, que regarder si Mr de Mauvissyère arryvera, pour le conduyre incontinent devers la Royne d'Angleterre, laquelle est encores bien loing en son progrès, je temporise d'aller parler à elle du contenu de la dépesche de Vostre Majesté, du XXIXe du passé, jusques à ce qu'il soit icy, affin de fère de tout ung; mais venant de sçavoyr par le Sr de Vassal, lequel ne faict que d'arryver, que le dict Sr de Mauvissyère est desjà en Angleterre, de quoy je loue Dieu de bon cueur, j'espère que, dans ung jour ou deux, nous yrons toutz deux trouver la dicte Dame.

Cependant je ne puis sinon bien fort approuver ce que la Royne, vostre mère, a prudemment advysé de rejetter les offres du cappitayne Bathe comme malhonnestes, et louer infinyement vostre vertu de les avoyr de mesmes mesprisées; car c'est sellon que voz promesses et l'obligation de vostre foy et de vostre sèrement le requièrent, et je mettray peyne de fère voyr à ceste princesse combien ces deux honnorables actes, que luy avez uzé touchant le sire James Fitz Maurice et cestui cy, méritent qu'elle s'acquite de mesmes honnorablement vers Vostre Majesté. Et vous diray, Sire, que j'ay opinyon qu'il y avoit de l'artiffice beaucoup ez offres du dict Bathe, et qu'il cherchoit comme il pourroit trouver le moyen de provoquer sa Mestresse contre vous, et non pas comme il pourroit nuyre à elle, sellon qu'il y en a assez, en ceste court, qui luy en pouvoient avoyr bayllé l'instruction; car, après s'estre eschappé des mains du grand commandeur de Castille, qui l'avoit détenu dix huict moys en prison, à cause qu'il le souspeçonnoit d'estre passé en Flandres pour tuer, de guet à pens, le comte de Vesmerland, aussytost qu'il a esté de retour par deçà, l'on l'a receu et favorizé en ceste court, et ceulx qui manyent les affères ont persuadé à ceste princesse de luy ordonner une pencion de deux centz escuz, l'an, pour toute sa vye, et il ne venoit que de recepvoyr ce bienfaict d'elle quand il est passé en France, avec ce, que je ne pense poinct qu'il ayt eu communicquation avec le comte de Quildar, car l'on l'observe de trop près, ny le dict comte ne se fût jamays commis à luy, car il n'est nullement léger. Mais, quand au cappitayne Morguen, de tant que son offre ne tend à rien qui soit contre sa Mestresse ny contre son pays, ains d'exécuter quelque entreprinse qu'il dict estre d'importance, et laquelle il estime pouvoir conduyre à bon effect pour le service de Vostre Majesté contre ceulx de la Rochelle et les eslevez de vostre royaulme, elle semble avoyr plus d'apparance que l'autre.

Néantmoins luy et les autres cappitaynes angloix, qui sont icy, sont à présent retenus pour la guerre d'Irlande, de peur que le dict sire James Fitz Maurice n'y repasse pour y brouyller les affères. Et puis il semble qu'encor que ceste princesse et les siens ne monstrent pas qu'ilz soyent beaucoup offancez de ce que les Escossoys ont faict en l'assemblée des gardiens de la frontyère du North, ilz en réservent néantmoins une vengeance dans le cueur contre eulx, et si, ont quelque opinyon qu'ilz ayent esté meus à uzer de ceste audace par quelque conseil de France; ce qui faict qu'ilz caressent davantage leurs cappitaynes et leurs soldatz, estimantz qu'ilz en auront bientost à fère. Et depuis troys jours, ilz ont faict sortir troys grands navyres de guerre, de ceulx que je vous ay mandé qu'on apprestoit, et ont envoyé revisiter les fortz qui sont le long de la coste d'Ouest, qui regarde la France, affin de les mettre promptement en deffance, et les garnyr d'artillerye et de monitions et de gens de guerre, ung peu mieulx que de l'ordinayre, sur quelque souspeçon qu'ilz ont que ce, que Vostre Majesté a commandé d'armer des vaysseaulx par dellà pour assurer la mer contre les pirates, ayt quelque aultre chose de caché là dessoubz; de quoy je les mettray bien hors de peyne sur l'assurance de l'amityé que leur avez jurée, si, d'avanture, ilz daignent m'en parler.

Mr de Walsingam me vient d'escripre, du XIIIe de ce moys, que je vueille refraischir à Vostre Majesté la plaincte des marchandz de Londres contre les habitans de St Malo, parce que la Royne, sa Mestresse, en est pressée; et que, quand à la plaincte du sire Lacheroy, de Roan, de laquelle Vostre Majesté m'a naguyères escript, il me mande que la dicte Dame a commandé à son ambassadeur par dellà d'y regarder, et d'en accommoder l'affère sellon que, par les preuves et vériffications du procez, il cognoistra qu'il se debvra fère.

Au surplus, Sire, je reste le plus confus gentilhomme de toutz ceulx qui sont à vostre service pour n'avoyr receu, par le Sr de Vassal, aulcune provision d'ung seul denier de Vostre Majesté, pour me désangager d'icy, qui suis en danger d'y souffrir une très grande honte au préjudice de la réputation de voz affères, par la rigueur que justement m'uzeront, à ceste heure, ceulx à qui je doibs; qui vous supplye très humblement, Sire, y vouloir pourvoyr, et avec ce qui en peut toucher à la dignité de vostre service, avoyr compassion de l'extrême nécessité de vostre serviteur.

Je feray bien tout ce qu'il me sera possible pour avoyr la permission d'aller visiter la Royne d'Escosse et Monsieur le Prince, son filz, de la part de Vostre Majesté, et vous y feray tout le service qu'il vous plaist me commander, sans y espargner ma santé ny mesmes ma vye, s'il est besoing; mais il n'est pas possible que, sans qu'il vous playse me fère envoyer de l'argent, je puisse frayer au voïage. Et sur ce, etc. Ce XXe jour d'aoust 1575.

CCCCLXVIIe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour d'aoust 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Callays par la voye du Sr Acerbo.)

Nouvelle répandue à Londres de l'entrée en France du prince de Condé avec une armée.—Secours d'argent donné aux protestans de France et d'Allemagne par les églises d'Angleterre.—Incursion des Anglais sur les frontières d'Écosse.—Craintes pour Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, depuis huict ou dix jours en çà, la Royne d'Angleterre n'a poinct arresté en lieu de séjour, où nous ayons peu avoyr accez à elle, et n'en y aurons jusques à mardy prochain, trentiesme de ce moys, que nous l'yrons trouver à Wodstok, à cinquante mille d'icy, où j'espère qu'elle acceptera agréablement Mr de Mauvissière en ma place, ainsy que desjà il a bien cognu, par des démonstrations que mylord trésorier luy a faictes, qu'il sera receu avecques toute faveur d'elle et de ceulx de son conseil. Dont je juge bien que, sellon la dilligence qu'il mect de s'instruyre et de se bien informer de toutes choses d'icy, et pour la bonne affection qu'il monstre avoyr à vostre service, qu'il vous en fera de très bon et très fidelle; en quoy de tout ce que je sçay et que je cognoistray luy pouvoyr donner lumyère en ceste charge que luy avez commise, je vous supplye très humblement, Sire, de croire que je n'y manqueray nullement. Et après que nous aurons parlé à la dicte Dame, nous vous ferons incontinent sçavoyr ce que nous aurons apprins d'elle et des siens, sur les particullaritez que nous avez commandé leur proposer.

Et vous diray cependant, Sire, que la nouvelle, qui court icy, que le Prince de Condé est desjà entré en vostre royaulme avec ung nombre de reystres, donne quelque chaleur à des particulliers de ce royaulme de s'esmouvoyr; et est certain que, oultre les trois navires de ceste princesse, que je vous ay dernièrement escript qui estoient sortis en mer, il y en a cinq de Hacquens, de Thomas Cobhan, de Forbicher et de quelques aultres cappitaynes de mer, qui, dans trois ou quatre jours, doibvent sortir de ceste rivyère en équippage de guerre, et ne se sçayt encores où s'addresse leur entreprinse; néantmoins nous en donnons présentement advis aulx gouverneurs de dellà affin qu'ilz en demeurent apperceus.

Il a esté faicte une secrette ceuillette de deniers par les églyses de ce royaulme, qui monte envyron cinq mille livres esterling, c'est dix huict mille escus, qui doibvent estre prestz en angelotz ez mains d'ung marchant de ceste ville, le premier jour du moys prochain; et présument aulcuns que c'est pour secourir le prince d'Orange, lequel n'a renvoyé si malcontant le docteur Roger, naguyères envoyé d'icy devers luy, comme l'on le publioit; ains j'ay naguyères comprins de certains propos que le docteur fiscal de Bruxelles m'a tenus, lequel j'ay convyé à dîner avec Mr de Mauvissière, que le dict Roger avoit porté offre du dict prince de mettre des places de Hollande et Zélande ez mains de ceste princesse, si elle vouloit prendre la protection du pays, ou aultrement qu'il s'iroit getter ez mains de Vostre Majesté, parce qu'il ne pouvoit plus supporter la guerre; mais, de tant que je n'ay encores la certitude de ce faict, et que, s'il est vray, vous en avez assez de certitude d'aylleurs, je ne m'en estendrai davantage.

Et adjouxteray seulement, icy, que les Angloix sont entrés en armes dans la frontière d'Escoce, pour revencher l'injure que les Escossoys leur avoient faicte; dont, pour accommoder cella, j'entendz que le comte de Houtinthon, président du North d'Angleterre, et le comte de Morthon se doibvent bientost assembler, ce que j'ay grandement suspect pour la personne de la Royne d'Escosse; car ce sont les deux plus viollantz ennemys qu'elle ayt en ces deux royaulmes. Me Quillegreu a desjà veu le dict Morthon, et croy qu'il se trouvera à cest abouchement; et m'a l'on dict qu'il praticque une nouvelle levée d'Escossoys pour la fère passer du premier jour, en Hollande. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIe jour d'aoust 1575.

CCCCLXVIIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de septembre 1575, à Oxford.—

(Envoyée exprès jusques à Callays par Jehan Mounyer.)

Audience de présentation de Castelnau de Mauvissière.—Reprise de la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, le dernier du moys passé, j'ay présenté en ce lieu, de Vuodstok, Mr de Mauvissière à la Royne d'Angleterre, et luy ay dict que, m'ayant, Vostre Majesté, octroyé mon congé, vous l'aviez envoyé pour me succéder en ceste charge, et espériez que l'élection luy en playroit, sellon que vous l'aviez ainsy expressément faicte, affin qu'elle luy pleût en toutes sortes, et qu'elle cogneût que vous aviez bien voulu mettre ung ambassadeur prez d'elle, duquel, oultre l'estime que vous aviez de sa suffizance, pour estre ung gentilhomme de longtemps versé en affères d'estat, qui avoit eu de bien honnorables commissions, en paix et en guerre, et aulcunes vers elle, dont il s'estoit tousjours dignement acquité, et oultre, aussy, que vous le teniés pour très loyal serviteur, duquel vous aviez esprouvé le cueur estre bon et droict vers vostre service, et bien incliné aulx choses bonnes, voyre, à celles qui estoient meilleures, vous sçaviez qu'il estoit bien affectionné et dévot aux rares et excellantes vertus qu'il avoit cognues, et souvant publiées, de la dicte Dame; et que luy ayant, Vostre Majesté, fort expressément commandé de la révérer, et de luy complère en tout ce qu'il luy seroit possible, il estoit venu pour nullement n'y faillyr;

Que, de ma part, je m'en retourneroys, avec son bon congé, retrouver Vostre Majesté, et que, si je ne m'estois rendu indigne des grâces et faveurs, dont elle m'avoit obligé, tout le temps que j'avoys résidé par deçà, je la supplioys d'y obliger davantage le dict Sr de Mauvissière.

Et là dessus, il luy a présenté voz lettres et recommandations, et luy a, d'une fort bonne et fort agréable façon, expliqué la créance qu'il avoit de Vostre Majesté pour la continuation de vostre commune amityé, et pour la confirmation d'icelle, par le bon propos de Monseigneur vostre frère, suyvant ce que la Royne, vostre mère, luy en escripvoit de sa main. Et luy a déduict plusieurs raysons fort considérables pour la mouvoir, et la rendre bien inclinée à vostre honneste desir.

A quoy, elle, après aulcunes parolles qu'il luy a pleu dire en quelque recommandation de ma négociation passée, lesquelles ne me siéroient bien de les escripre, elle en a dict plusieurs aultres bien bonnes du gré, qu'elle vous sçavoit, de luy avoyr envoyé Mr de Mauvissière, et qu'elle le recevoit aultant agréablement que gentilhomme qu'eussiez sceu mettre en ce lieu. Ce qu'elle a davantage tesmoigné par des caresses, faveurs et honnestes privautés, qu'elle luy a faictes.

Et sommes entrés en conférance des particullaritez du propos de Mon dict Seigneur, vostre frère, avec la dicte Dame et avec les seigneurs de son conseil; dont voicy la cinquiesme foys, aujourdhuy, que nous sommes assemblez là dessus, avec elle et avec eulx, non sans beaucoup d'oppositions et de difficultez qu'ilz nous font; lesquelles nous essayerons d'oster, aultant qu'il nous sera possible, affin que nous puissions tirer une bonne et aulmoins une clère résolution d'eux. Dont Mr de Mauvissière la vous escripra et je la vous iray apporter; vous voulant bien assurer, Sire, qu'il a si bien et si heureusement commancé sa charge, et les choses d'icy monstrent de luy debvoir si bien succéder que Vostre Majesté en peut espérer beaucoup de bon service, et beaucoup de bon contantement; aydant le Créateur auquel, etc. Ce Xe jour de septembre 1575.

A la Royne

Madame, vous entendrés par les lettres de Mr de Mauvissière, et par celle que j'escriptz au Roy, les propos que nous avons eus avec ceste princesse, le jour que je l'ay présenté, et que j'ay commancé de prendre congé d'elle; qui, en substance, ont esté parolles de courtoysie et d'honnesteté, qu'elle m'a uzé pour signiffier sa satisfaction de ma négociation passée, et de quelque regrect de mon partement, et d'aultres parolles non moins courtoyses ny moins honnestes, ny de moindre faveur que celles là, à Mr de Mauvissière pour luy dire qu'il fût le bien venu, et qu'elle avoit grand contantement de l'élection que Voz Majestez ont faicte de luy; et que très agréablement elle le recevoit vostre ambassadeur pour résider prez d'elle. A quoy les principaulx seigneurs de ce conseil et toute ceste court ont concouru d'une bonne démonstration d'affection vers luy, et d'avoyr très bonne opinyon de luy. Il a expliqué fort honnorablement sa créance à la dicte Dame, et luy a renouvellé le propos de Monseigneur, vostre filz, aux plus exprès et approchans termes qu'il s'est peu souvenir de ceux que Vostre Majesté a uzé en la lettre qu'elle a escripte à la dicte Dame. Et elle les a prins de fort bonne part. Et desjà nous avons, par quatre ou cinq foys, esté là dessus en conférance avec elle et avec ceulx de son conseil; qui, parmy des facillités, vous opposent tousjours des difficultez non petites, lesquelles néantmoins regardent plus à vouloir éviter qu'à vouloir fère le refus; et quand nous en aurons tiré quelque résolution, Mr de Mauvissière la vous escripra, et je la vous iray apporter. Et vous promectz, Madame, que je luy layrray l'entière instruction de ce qui m'a escléré icy, et qui m'a guidé de vous fère, en ce propos et aultres évènemens de deçà, le service dont monstrés avoyr contantement: duquel je loue et remercye Dieu et le prye, etc. Ce Xe jour de septembre 1575.

CCCCLXIXe DÉPESCHE

—du XXe jour de septembre 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Callais par Jehan Vollet.)

Réponse d'Élisabeth sur la négociation du mariage.—Son refus de permettre à l'ambassadeur de visiter Marie Stuart et d'aller en Écosse.—Autorisation donnée aux neveux de La Mothe Fénélon de se rendre auprès de Marie Stuart.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle n'a fourni aucun secours d'argent au prince de Condé.—Audience de congé accordée à l'ambassadeur.—Félicitations d'Élisabeth sur toutes les négociations dont il a été chargé.—Vif desir qu'ont les Anglais de recouvrer Calais, et de profiter des troubles de France pour s'en saisir.—État de la négociation du mariage qui peut être reprise pu abandonnée sans qu'il y ait à craindre une rupture avec l'Angleterre.

Au Roy.

Sire, pendant que nous estions à négocyer, à Vuodstok, avec ceste princesse et avec les seigneurs de son conseil, du propos de Monseigneur, vostre frère, et de la visite que desiriés estre faicte, de vostre part, à la Royne d'Escoce et au Prince, son filz, il nous est arryvé deux dépesches de Vostre Majesté, l'une du XXe d'aoust, par l'ordinère, et l'aultre, du dernier du dict moys, par le Sr d'Assas, qui la nous a rendue le Xe d'estui cy. Et vous dirons, Sire, que nous trouvons avoyr procédé, en toutes choses, ainsy proprement que Vostre Majesté le desiroit; et avons enfin, au bout de dix sept jours, rapporté de ceste princesse des responces, lesquelles, encor que ne soient du tout telles que nous les demandions, elles ne layssent d'estre bien honnorables et bien conformes à l'amityé, que désirés continuer avec elle et ce royaulme; et si, vous mettent en chemin de pouvoir estreindre davantage ceste amityé par le propos de Monseigneur, si les choses sont bien prinses, et qu'on y aylle par les moyens qu'ung si excellent acte le requiert.

Celluy de nous, qui demeurera, vous escripra dans quatre ou cinq jours, bien au long, les termes où nous en sommes à présant; et l'autre vous les yra apporter, et mettra peyne de vous représanter ce que nous avons ensemblement veu et bien curieusement notté des parolles et démonstrations de ceste princesse et de tous les siens, pour y pouvoir, par Vostre Majesté, prendre une bien bonne et prompte résolution.

La visite de la Royne d'Escosse a esté entyèrement dényée d'estre faicte par vostre ambassadeur; mais il nous a esté octroyé que moy, La Mothe, puisse envoyer mes nepveus porter les lettres de Vostre Majesté, et satisfère en la meilleure et plus révérante façon qu'ilz pourront à cestuy vostre compliment vers elle; dont ilz y sont desjà allez, ensemble le Sr de Vassal, et ung des clercs de ce conseil qui leur a esté baillé pour adjoinct; mais, quand au voïage d'Escoce, après que nous l'avons eu aultant vifvement débattu qu'il nous a esté possible, la dicte Dame nous a faict respondre qu'elle supplioit le Roy de le vouloir fère différer pour ung peu de temps, à cause des différents qui estoyent naguyères survenus en la frontyère, ezquels elle estoit sur le poinct d'y mettre quelque accomodement, là où, par ce dict voyage, ilz pourroient estre rendus plus difficiles. Néantmoins, dans ung moys ou six sepmaynes, elle octroyeroit de bon cueur le passeport pour tel gentilhomme qu'il playroit à Vostre Majesté y envoyer.

Et touchant la remonstrance, que nous luy avons faicte, sur l'advis qu'on vous avoit donné que le Prince de Condé commançoit de marcher par les moyens qu'il avoit eus d'elle en deniers contantz, ou en crédict, ce que vous ne pouviez ny vouliez si mal croyre de la foy et promesse d'une telle princesse, elle nous a respondu qu'elle ne pouvoit empescher qu'on ne feît courir tels bruictz, et qu'on ne se vantât de beaucoup de choses d'elle, en parolles, et pour authoriser les entreprinses qu'on faisoit là dessoubz, qui pourtant n'en estoit rien en effect; et qu'elle promettoit à Dieu, et juroit, en sa conscience, qu'elle n'avoit bayllé argent ny moyens, ny conseil aulcun, contre Vostre Majesté, et n'avoit volonté, ny intention, de le fère, tant que seriés en bonne intelligence et confédération avec elle; mais qu'elle vous vouloit bien advertyr que d'aultres moyens plus grands et meilleurs que les siens ne deffailloient à ceulx de la nouvelle relligyon pour continuer la guerre; et, si les choses ne venoient à la paix, que vous fissiez ardiment estat d'avoyr le plus grand et le plus pesant affère, qui fût aujourdhuy au monde, sur les bras, et qui estoit si appuyé en vostre propre royaulme, et ez aultres partz de la Chrestienté, qu'il seroit pour affoiblir et miner le propre empire romain, s'il estoit encores en estat; et que pourtant elle ne pouvoit cesser de vous desirer la paix, et de vous prier qu'en la prenant bonne et utille pour vous, vous la voulussiés donner seure et stable à toute la Chrestienté, sellon qu'elle pensoit que vous le pouviez fère.

Sur quoy, ayantz respondu à ung mot que nous sçavions certeynement que Vostre Majesté n'avoit aulcun plus grand desir, en ce monde, qu'à la paix, ny n'estiés en rien plus résolu, si ne la pouviés avoyr bien honnorable, ny mieux préparé qu'à la guerre, nous avons couppé cella bien court.

Et nous ayant, la dicte Dame et tous les siens, uzé de nouveau à toutz deux beaucoup de courtoysie et bien honnestes faveurs pour la plus ample réception de l'ung et le congé de l'autre, nous nous sommes fort gracieusement licenciez d'elle. Et estans de retour en ce lieu, nous avons eu aulcunement suspect ung payement de vingt mille livres sterling, qui sont deux centz mille livres tournois, qu'on nous a advertys qui se doibvent fournyr par lettres d'eschange, sur le crédict de Me Grassen, facteur de ceste princesse, et d'aulcuns aultres principaulx marchands de Londres, le premier jour d'octobre prochain, en Anvers, ez mains d'ung Hervé, angloix; et creignons assés que cella aylle en Allemaigne pour le payement des levées du Prince de Condé, bien que aulcuns nous assurent que non, et que ces deniers vont à aultre effect, et qu'il ne y a rien contre Vostre Majesté, mais nous mettrons peyne de le mieux vériffier.

Il est bien vray que ceulx cy se monstrent, à ceste heure, sur ceste descente des reystres en vostre royaulme, plus esmeus et eschauffés à tenter quelque chose par dellà, qu'ilz ne faisoient; et nous a l'on dict qu'ung des plus authorisés de ce conseil prétend de se signaler, à ce coup, par des entreprinses qu'il pense si bien conduyre au prouffit de ceste couronne que, pour le moins, Callays y demourera. Dont y a des vaysseaulx de ceste princesse et d'aultres particulliers en mer, mais nous n'estimons pas, attandu le petit et foible équippage en quoy ilz sont, qu'ilz puissent fère grand effort, ny ne voyons, pour encores, qu'il se prépare aulcun nouveau avitaillement de navyres pour les suyvre, bien qu'à dire vray les navyres sont, de toutes aultres choses, prestz. Néantmoins il sera tousjours bon que Vostre Majesté face advertyr au dict Callays et à Boulogne, et au long de la coste de dellà, qu'on s'y tienne bien sur ses gardes.

Tout le reste qu'aurions à vous escripre maintenant sera remis au retour de moy, La Mothe, qui partiray aussytost que mes nepveus seront de retour de devers la Royne d'Escoce, aydant le Créateur; auquel je prie, après avoyr très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, Sire, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

Ce XXe jour de septembre 1575.

A la Royne

Madame, nous nous sommes conduictz en ceste négociation du propos de Monseigneur, vostre filz, avec ceste princesse, par le meilleur ordre et la plus grande pacience qu'il nous a esté possible; et avons esté bien ferme ez poinctz que nous aviez commandez, jusques avoyr mené la dicte Dame et ceulx de son conseil au fin bout de ceulx aulxquels ilz sont résolus de demeurer; et sur lesquels la conclusion ou la ropture s'en prendra; qui avons esté contans, pour aulcuns bons respects, d'accepter les responces qu'elle mesme nous a faictes, qui sont bien fort honnorables, et lesquelles, si on les considère bien, sont pour vous apporter beaucoup de satisfaction et pour mettre en vostre main de quoy parfère ou bien de quoy laysser ceste poursuite, sans altération de l'amityé; ainsy que Vostre Majesté le verra par les lettres que, moy, de Mauvissière, vous escripray, et que moy, de La Mothe, vous iray apporter, et vous réciter toutes ces particullaritez par le menu, aussytost que ceulx qui sont allez devers la Royne d'Escosse seront de retour, qui sera bientost, Dieu aydant; auquel je prie, après avoyr très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, Madame, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie et tout le bien et prospérité que vous desire.

Ce XXe jour de septembre 1575.

FIN DU SIXIÈME VOLUME ET DERNIER DES DÉPÊCHES DE LA MOTHE FÉNÉLON.


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