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Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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AUTRE LETTRE A PART.
(Escripte de la main du Sr de La Mothe Fénélon.)

—du XXVIIIe jour de décembre 1574.—

Au Roy.

Sire, il y a des personnes, à qui leur malice les presse si fort au cueur qu'ilz ne l'y peuvent tenir cachée, et manifestent souvant des pensées qu'ilz ont, qui sont plus malignes qu'il ne leur abonde le moyen de les exécuter, ainsy que, sur ce que je viens de vous escripre par ung mémoyre de ceste dathe, touchant la conjuration faicte contre la personne de Vostre Majesté, j'ay envoyé remonstrer au vieux évesque catholicque de Lincoln, et à ung autre grand docteur très catholicque, qui sont toutz deux en arrest en ceste ville, et pareillement au Sr Fogas, portugoys, et surtout au Sr de Languillier et au cappitayne Bastian, provançal, et à quelques aultres françoys, (qui m'ont donné le dict advertissement, et y ont meslé le danger de la Royne, vostre mère, avecques le vostre), que je ne voulois légèrement, sur ung dire si général et incertain que le leur, vous donner ceste tant fascheuse impression, laquelle ne pourroit estre que ne vous esmeût bien fort, et ne picquât estrangement les cueurs de Voz Majestez; et que pourtant je les prioys de me désigner s'il y avoit, de présent, près de Voz dictes Majestez, ou s'il y debvoit venir personne, de quelque qualité que ce fût, qu'ilz l'eussent ouy nommer pour suspecte de cest acte, affin que la puissiez fère mieulx observer et vous mieulx contregarder.

Et ilz m'ont respondu le mesmes qu'ilz m'avoient desjà mandé, que, par des propos qu'aulcuns, transportez de passion, avoient tenuz entre eulx, il estoit évident que la dicte conjuration estoit faicte, et qu'on poursuyvoit encores, à présent, plus qu'on n'avoit encores faict, de l'effectuer. Et ont adjouxté qu'il falloit prendre bien garde que quelqu'ung, ayant une baguette en la main, avec ung nœud, ou ung petit boucquet au bout, ne vous touchât, feignant de le fère par mégarde, car le bouquet seroit empoysonné; et aussy que, pour éviter quelque malheureux coup de dague ou de pistollé par trahyson, Vostre Majesté n'admît près de soy personnes incognues, et nomméement nul escossoys, qui ne fût bien advoué.

Et m'ont, d'abondant, adverty que les ministres s'estant persuadez qu'il n'y avoit bonne intelligence entre Vostre Majesté et Monseigneur vostre frère, avoient proposé de mettre en avant que nouveau partage luy fût baillé, avec tiltre de Roy, ou aulmoins de souverayneté, affin que ses terres fussent ung lieu de refuge à ceulx de leur religyon, qui estoit la plus honneste seureté qu'ilz vous sçauroyent demander; mais qu'ilz ne sçavoient pas encores si Mon dict Seigneur le trouveroit bon, car ce n'estoit chose qui fût provenue de luy. Qui sont dellibérations, Sire, qui descouvrent plus de tourment en ceulx qui les font, qu'il n'y a apparance qu'ilz les puissent ny ozent jamays entreprendre, tant elles ont peu de fondement; dont n'en debvez estre en peyne.

Et néantmoins je n'ay voullu fallir de les vous mander, puisqu'elles concernent vostre personne, vous supplyant très humblement, Sire, que, de tant que ces gens ne cessent de vous dresser, dedans vostre royaulme et partout où ilz peuvent, dehors, tout plein de fâcheuses praticques, sur l'apparance de ce qu'ilz imaginent debvoir estre ou pouvoir advenir, qu'il vous playse, et à la Royne, vostre mère, pour les rendre confus, unyr très intimement et très cordiallement Monseigneur vostre frère à voz intentions, comme ung autre bras droict de vostre force, et l'appuy de vostre authorité, et que faciez paroistre qu'il est ainsy; et réputiez, au reste, très honnorable, et encores plus heureuse, la paix avec voz subjectz, en quelle façon que Dieu vous donnera de la pouvoir fère avec vostre réputation, car elle vous mènera à bout de toutz voz affères; et qu'il soit vostre bon playsir de me renvoyer la présente, qui est escripte de ma main: car ceulx qui y sont nommez me l'ont ainsy faict jurer et promettre. Et sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.

CCCCXXVIe DÉPESCHE

—du segond jour de l'an 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Assurances réciproques d'amitié.—Offre faite par Élisabeth de sa médiation pour procurer la paix en France.—Réponse évasive de l'ambassadeur.—État des forces que le roi peut opposer aux rebelles.—Explications sur les propos rapportés par lord de North.—Déclaration d'Élisabeth à ce sujet.—Instances de l'ambassadeur en faveur de Marie Stuart.—Meilleure disposition d'Élisabeth à l'égard de la reine d'Écosse.—Recommandation au roi en faveur de Me Warcop.—Prière à la reine-mère de faire une réponse à la déclaration d'Élisabeth.

Au Roy.

Sire, estant, à l'occasion de vostre dépesche du Ve du passé, allé donner, le premier d'estui cy, les bonnes festes et le bon an à la Royne d'Angleterre, à Ampthoncourt, elle s'est trouvée merveilleusement bien contante des propos que j'ay eus à luy tenir de vostre part; et après qu'elle m'a eu, avec démonstration de beaucoup d'affection, dict qu'elle vous faisoit, de bon cueur, les mesmes bons et honnestes souhaitz que je luy faisois, icy, à elle, et qu'elle desiroit que ce segond an de vostre règne fût en toutes sortes si segond, et bien heureux, qu'il vous peût introduyre en plusieurs aultres années après, qui vous fussent pleynes de félicité, elle m'a prié de vous escripre qu'elle vous remercyoit infinyement de celle forme d'excuse que luy faysiez de ne l'avoyr encores envoyé visiter, laquelle luy estoit ung tesmoignage non petit que vostre intention estoit de vous entretenir en bonne amityé avec elle, puisqu'au milieu des grands et très urgentz affères de vostre royaulme, et mesmement de ceulx où vous vous trouviez à présent enveloppé, ez confins d'icelluy, vers le Languedoc, il vous playsoit d'avoyr en mémoyre ceste visite, sur laquelle elle considéroit assez vos empeschementz; mais elle vous promettoit bien qu'en quel temps qu'elle vînt, elle tesmoigneroit au monde qu'elle l'acceptoit de bon cueur, et qu'elle la recepvoit à très grand honneur, et pour une marque de la plus parfaicte intelligence qu'elle desire avoyr avec quelconque aultre prince qui soit en la Chrestienté; et puisque luy offriez de luy garder sincèrement les droictz de vostre amityé, qu'elle vous prioit de croyre qu'elle vous conserveroit perpétuelle et inviolable ceulx de la sienne, bien qu'elle ne se pouvoit assurer qu'il n'y en eût, près de vous, qui vous persuadoient aultrement, et qui desiroient vous voyr brouillez ensemble, et la troubler à elle en son estat, mais qu'elle ne layrroit, pour cella, de donner foy à ce que luy promettiez, et de souhayter, de tout son cueur, l'establissement de voz affères et la tranquillité de vostre estat; et que la mesmes offre, qu'elle avoit faicte au feu Roy, vostre frère, aulx troubles de son temps, elle la tournoit fère à Vostre Majesté en ceulx qui se sont ressucitez du vostre:

C'est que, si voyez qu'elle puisse quelque chose pour les réduyre à de bons termes de paix, avec la conservation de vostre authorité et réputation, et avec toutz les advantaiges qui doibvent estre réservez à ung roy et prince souverain, qu'elle est preste de s'y employer en la mesme forme qu'elle desire demeurer establie sur ses propres subjectz, et non à rien moins que cella. En quoy s'il luy pouvoit apparoir que eussiez offert aulx vostres, non toutes les condicions qu'ilz voudroient, mais quelques unes, honnestes et tollérables, pour satisfère à leurs consciences, et d'autres pour les rendre aulcunement assurez contre les justes meffiances que vous mesmes jugés bien qu'ilz ont occasion d'avoyr, et qu'ilz ne s'en voulussent contanter, qu'elle les réputeroit lors substretz de la droicte religyon pour entrer en une manifeste rébellion contre Dieu et contre leur prince naturel, et comme telz elle ayderoit, de tout son pouvoir, à les chastier et réprimer.

De quoy l'ayant bien fort remercyé avecques une suyte de toutz les honnestes propos que j'ay estimez convenir à l'expression de vostre bon desir à la paix, sans m'arrester nullement à son offre, sinon de l'assurer que je le vous signiffieroys le plus près que je pourrois des mesmes termes qu'elle me l'avoit dicte, je luy ay satisfaict à ce qu'au reste elle m'a demandé: s'il n'y avoit poinct cependant suspencion d'armes? Que véritablement non, et que j'entendoys que Mr de Bellegarde estoit devant Livron avec une bonne armée et vingt canons; et Mr le maréchal de Retz devant Riez, en Provence, avec une aultre armée et avec une aultre bonne bande d'artillerye; et le duc d'Uzès avec d'autres bonnes forces vers l'autre part de Languedoc; et Mr le maréchal de Monluc avec d'autres en la Guyenne; et Mr de Montpensier continuoit le siège de Lusignan en Poictou: de sorte que Vostre Majesté avoit cinq armées aulx champs, et estiez prest d'introduyre encores bien d'autres grosses levées de reytres et de suisses, et estrangers, et joindre de très grandes forces de voz subjectz pour remédyer, par ce violent moyen, à la trop ostinée opiniastreté à voz subjectz, si les remèdes de vostre clémence et doulceur n'y pouvoient estre applicquez.

De quoy la dicte Dame s'est donnée beaucoup d'admiration, d'où, ny commant, après tant de ruynes et de calamités de vostre royaulme, vous pouvoient maintenant survenir tant de grands et esmerveillables moyenz. Et a adjouxté qu'elle vous prioit, sur toutes choses, de ne vouloir essayer l'extrémité, parce qu'après icelle n'y avoit plus, de ressource. Et puis a faict venir à propos de me dire que, depuis huict jours en çà, je l'avoys cuydé remettre en la mesme détresse qu'elle estoit, lorsque la feue Royne, sa seur, luy faisoit fère son procès dans la Tour sur des parolles qu'on avoit mal entendues d'elle; et qu'elle me pouvoit dire qu'encores jamays elle n'avoit, à son escient, intéressé l'honneur de gentilhomme ny de dame, qui fût au monde, et que pourtant je pouvois croyre qu'elle n'avoit touché ny entendu toucher, en façon que ce fût, à celluy d'une telle princesse comme la Royne, vostre mère; mais qu'elle n'avoit peu fère de moins, pour l'honneur et révérance du feu Roy, son père, que de dire qu'il n'avoit esté honnorable à elle de se mocquer de luy, si, d'avanture, elle l'avoit faict; et qu'elle verroit quelle interprétation elle y voudroit donner.

Je luy ay respondu que, à dire vray, j'estois, l'autre foys, party bien troublé de sa présence, ayant entendu des parolles qui tendoient, d'ung costé, à blasmer la Royne, vostre mère, et par conséquent Vostre Majesté mesmes, et, de l'autre, à mettre de l'altération en vostre mutuelle amityé; et que pourtant j'avoys cherché quelque radresse en cella, mais qu'à présent je demeuroys le plus satisfaict gentilhomme du monde, et me soubscripvois à ce qu'elle m'en avoit mandé, et à ce que présentement elle m'en disoit; dont espérois que bientost il luy viendroit aussy à elle tant de satisfaction, de cest endroict, que les mauvais rapportz en resteroient convaincus. Et suis passé à luy fère une petite négociation pour la Royne d'Escoce, et luy présenter une lettre qu'elle luy escripvoit, et une très belle coyfure de réseil, qu'elle luy envoyoit, fort mignonement ouvrée de la main mesmes de la Royne d'Escosse, avec le collet et manches, et aultres petites pièces appartenantes à cella, que la dicte Dame a eu autant agréables qu'il est possible. Et pense avoyr réduit les choses, entre elles, à quelques bons termes, pour n'estre besoing, Sire, que touchiez rien à l'ambassadeur d'Angleterre du changement qu'elle creignoit, jusques à ce que je vous en auray autrement escript. Et sur ce, etc.

Ce IIe jour de janvier 1575.

Par postille à la lettre précédente.

Ceste princesse et les principaulx de son conseil m'ont si instamment pryé de remémorer à Vostre Majesté la promesse qu'avez faicte à milord de North, touchant l'affère de Me Warcop, que je vous supplie très humblement, Sire, d'y vouloir fère regarder, et luy pourvoyr; car, avec l'équité de sa cause, il est gentilhomme de mérite, et qui est fort bien veu et bien fort estimé de la Royne, sa Mestresse, et de toute sa court.

A la Royne

Madame, je suis retourné, ceste foys, si satisfaict de la Royne d'Angleterre, des honnestes et vertueux propos qu'elle m'a tenuz de Vostre Majesté, et de l'obligation qu'elle dict avoyr de vous aymer et respecter par dessus toutes les aultres princesses de la Chrestienté, et de la ferme créance qu'elle veut avoyr, attandu les honnorables offres d'amityé et d'alliance qu'elle a eues plus expresses de vous que de nul autre prince ny princesse qui vivent, qu'il ne peut estre que vous l'ayez volue offancer ny injurier, en vous mocquant et faisant ceste dérision, qu'on luy a dict du feu Roy, son père. Et a si bien rabillé ce que la collère et l'instigation d'autruy luy pouvoient avoyr faict advancer quelque parolle, que j'estime, Madame, s'il vous plaist luy escripre ung bon mot, de vostre main, sur l'interprétation de ce qui peut avoyr esté faict en cella; et que Vostre Majesté l'assure qu'il n'y a eu rien en dérision ny mocquerie d'elle ny du feu Roy, son père, que toutes choses se réduyront entre vous deux en aussy bons termes qu'elles ont esté jamays. Et de tant que cella ne peut estre, en ce temps, ny pour quelles occasions qui puissent survenir, sinon très commode et de beaucoup d'utillité aulx affères de Voz Majestez Très Chrestiennes, et au bien de vostre royaulme, je vous supplye très humblement, Madame, ne la vouloir mespriser. Et sur ce, etc.

Ce IIe jour de janvier 1575.

CCCCXXVIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mousnyer.)

Nécessité d'envoyer promptement la légation annoncée pour complimenter Élisabeth de la part du roi.—Maladie de l'ambassadeur.—Ses instances pour obtenir son rappel.—Nouvelles des Pays-Bas, d'Irlande et de la Rochelle.

Au Roy.

Sire, ayant, par ma précédante dépesche, donné ung bien entier compte à Vostre Majesté des propos qui ont esté tenuz entre la Royne d'Angleterre et moy, à ce nouvel an, j'ai depuis travaillé, et fais tousjours tout ce que je puis pour entretenir la dicte Dame et ceulx de son conseil aulx meilleurs et plus exprès termes de vostre amityé qu'il m'est possible, affin qu'ilz ne se layssent conduyre, d'ailleurs, à fère des dellibérations qui vous puissent estre nuysibles, ny qui soient pour apporter de l'empeschement à l'establissement de voz affères. Et bien qu'ilz s'assemblent assez souvant pour traicter des entreprinses de l'année où nous entrons, si ne descouvrè je qu'ilz se résolvent, pour encores, à rien de bien certain, jusques à ce qu'ilz puissent voyr quelle yssue prendra le pourparlé de paciffication que Vostre Majesté a commancé avec ceulx de leur religion, car il semble bien, Sire, que la dicte Dame, avec aulcuns des mieulx intentionnés de son conseil, vous desirent de bon cueur la réduction de voz subjectz; mais il est bien certain qu'elle ny pas ung d'eux ne voudroient, en façon du monde, qu'elle advînt par une deffinition d'armes; et je crains par trop, si le dict pourparler vient du tout à se rompre, que leurs dictes dellibérations, avec celles des Allemantz, lesquels, par messagers ordinayres, confèrent quasy toutes les sepmaynes ensemble, ne se résolvent, en faveur de voz dictz subjectz, à vous susciter avec eulx une guerre plus longue et plus pleyne de difficultez et de dangers que n'ont esté les précédantes. Dont, affin, Sire, que, en tout évènement de paix ou de guerre, l'on ne puisse ainsy facillement divertyr ceulx cy de vostre intelligence, comme je voy bien que ceulx qui envyent vostre grandeur, et ceulx qui la creignent, s'efforcent de le fère, je vous supplye d'envoyer bientost visiter la dicte Dame, et la requérir de la confirmation de la ligue; car j'espère, moyennant cella, que je pourray bien, avec le gentilhomme qui viendra pour cest effect, et avec celluy qu'envoyerez me succéder, fère en sorte que les aultres poursuyvans, qui sont à présent icy, demeureront exclus de la pluspart de leurs demandes; et que je pourray laysser à mon successeur les choses de vostre service en très bonne disposition par deçà.

En quoy, Sire, pour l'occasion de mon indisposition, laquelle me rengrège si fort, à toute heure, qu'à peyne ozè je plus habandonner la chambre, je suis contrainct de presser, plus qu'autrement je ne ferois, Vostre Majesté, de la venue des dictz deux gentilzhommes, joinct que Me Wilson a naguyères escript de Bruxelles qu'il avoit obtenu telle expédition qu'il avoit peu desirer sur toutz les poinctz de sa légation, et que le commerce d'Anvers estoit réouvert aulx Angloix, et l'amityé avec le Roy d'Espaigne s'alloit renouer plus estroictement que jamays, se louant infinyement des bonnes chères et des festins et accueils et bons trettementz que le grand commandeur et le duc d'Ascot, et don Bernardin de Mendossa, et aultres seigneurs de celle court luy avoient faict; ce que venant à estre mis en comparayson des choses que milord de North a mal rapportées de France, je sentz bien que quelques ungs s'efforcent d'en relever la part d'Espaigne par dessus celle de Vostre Majesté, dont est besoing de quelque ayde et de quelque prompt entretènement pour y remédyer.

Les choses d'Irlande succèdent, à ceste heure, assez heureusement à ceste princesse depuis la réduction du comte d'Esmont, qui luy a remis cinq fortz entre mains. Et le comte d'Essex en a gaigné deux ou troys, et en faict réédiffyer quatre; dont demande, à présent, ung renfort de soldatz, affin de les garnyr bien très toutz; et si, a prins, à ce que j'entends, Briant Mac O'Nel, qui est escossoys, prisonnyer. Et le susdict comte d'Esmont promect qu'il fera bientost réduyre tout le païs à une bonne tranquillité soubz l'obéyssance de la Royne d'Angleterre.

L'on dict qu'il est party de Flexingues une flote de dix huict bons navyres de guerre pour aller courre la coste d'Espaigne, et se retirer, puis après, en Brouage.

Il y a ung jeune homme, naguyères revenu de la Rochelle, qui rapporte que Mr de La Noue en est party, avec quarante chevaulx, assez malcontant des habitants; bien que les ministres font courir le bruict qu'il est allé, avec troys centz chevaulx, recueillyr aultres troys ou quatre centz chevaulx en Périgort, et six centz harquebouziers; et qu'avec ces forces, et aultres qu'il pourra assembler, il dellibère d'aller combatre Mr de Montpensier, et secourir ceulx qui sont dans Lusignan. Et sur ce, etc.

Ce VIIe jour de janvier 1575.

CCCCXXVIIIe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Retards apportés à la négociation de la paix en France.—Démarches faites auprès de Mr de Méru par les protestans.—Mort du duc de Bouillon et du cardinal de Lorraine.—État de la négociation de la paix.

Au Roy.

Sire, avec les honnestes propos d'amityé que j'ay tirés des deux dépesches de Vostre Majesté, du Xe et XIIIIe du passé, qui me sont arryvées le quatriesme et sixiesme d'estui cy, j'ay mis peyne d'entretenir la Royne d'Angleterre, et ceulx qui guident ses dellibérations, en la meilleure disposition que j'ay peu; et ay, par là, assés faict suspendre les responces qu'aulcuns s'efforçoient d'avoyr d'elle sur les présentz affères qui se débatent en vostre royaulme; qui, avec bonnes parolles, les a remys jusques après que, par la procheyne légation que luy envoyerés, elle aura pu cognoistre comme vous entendez de vivre avec elle. Il est vray, Sire, que je sentz bien que, sur les difficultez que l'ambassadeur d'Angleterre a escript qui se trouvoient si grandes, en la paciffication de voz subjectz, que Vostre Majesté perdoit quasy l'espérance de ne les pouvoir plus réduyre sinon par la force, il a esté donné quelque parolle là dessus, qui a beaucoup contanté les poursuyvans. Et a l'on mis en avant je ne sçay encores bonnement quoy, sur la nouvelle qui est arryvée de la mort de Mr de Boillon[3], touchant ses deux places de Sedan et de Jamays.

Et le cinquiesme de ce moys est arryvé, en ceste ville, ung provençal, nommé Pierre Garnier, de Marseille, qui monstre estre assés habille homme et homme d'affères; lequel dict que, voyant la guerre en son pays, il avoit volontiers prins l'occasion de s'en esloigner, soubz prétexte de marchandise, et qu'il attandoit de bref ung navyre sien qui luy estoit de grande importance. Et incontinent est allé trouver Mr de Méru, feignant toutesfoys d'estre homme fort indifférent, et de n'avoyr poinct sceu que Mr de Méru fût icy, mais que, pour avoyr esté d'autresfoys fort cognu de Mr Dampville, il luy vouloit bien fère la révérance, et luy a faict les forces de son dict frère fort grandes, de vingt mille harquebusiers et troys mille chevaulx. Dont, bientost après, le dict sieur de Méru est allé à Ampthoncourt négocier quelque chose là dessus avec ceste princesse et avec ceulx de son conseil; et, encores depuis, il y est retourné, quand l'homme du docteur Dayl a esté arryvé, avec la dépesche de son maistre, du XXIXe du passé, par la quelle il assure que Mr le cardinal de Lorrayne estoit trespassé le jour de Noël, qui a esté une nouvelle à ceulx cy non mal agréable, à cause de la Royne d'Escosse, mais j'assure fort que je n'en ay poinct de confirmation. Et semble que le dict Sr de Méru se prépare pour retourner de bref en Allemaigne, et m'a l'on dict qu'il emmeyne avecques luy le jeune Montgommery, frère puyné de celluy qui s'en est retourné à la Rochelle avecques sa femme.

Le susdict ambassadeur d'Angleterre avoit desjà escript, icy, du deppart des depputez de Languedoc, en une certeyne façon qui faisoit assés doubter que vous desirissiés la paix; mais j'ay faict voyr que nul ne debvoit trouver estrange si aviez renvoyé les dictz depputez sans leur accorder celle convoquation qu'ilz demandoient estre faicte à Nismes; car, oultre qu'elle tiroit les choses en longueur, vous leur avez proposé d'autres expédientz qu'ilz n'avoient poinct rejettez, lesquelz ilz estoient allez conférer avec ceulx qui les avoient depputez, en intention d'incontinent après vous venir retrouver, et que cepandant vous dellibériez, avec les depputez de Monsieur le Prince, lesquelz vous attendiez d'heure en heure, de disposer la matière pour la fère venir à quelque bonne conclusion. Ce qui a, de rechef, remis ceulx cy en l'opinyon de la paix. Et le mesmes ambassadeur leur a escript que, depuis la mort de Mr le cardinal de Lorrayne, l'on en avoit plus d'espérance. Et sur ce, etc. Ce XIIIe jour de janvier 1575.

CCCCXXIXe DÉPESCHE

—du XIXe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calays par Jehan Volet.)

Injonction faite à l'ambassadeur d'intercéder vivement auprès d'Élisabeth pour Marie Stuart.—Crainte qu'une pareille démarche ne soit inopportune.—Espoir que la reine d'Écosse est pour le moment hors de danger.—État de la négociation de la paix en France.—Promesses faites par Élisabeth aux protestans de France et d'Allemagne.—Armemens préparés secrètement à Londres.—Nouvelles de la Rochelle.—Négociation de la paix dans les Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, à ce premier chef de vostre dépesche, du XXe du passé, que j'ay receue le tréziesme d'estuy cy, par où Vostre Majesté me mande que je m'opose au transport de la Royne d'Escosse, je ne fauldray d'y satisfère, quand j'entendray, par elle, ou que je sentiray, icy, qu'il en sera besoing, bien que nulle autre chose pourra estre prinse en pire part, ny plus mal interprétée de la Royne d'Angleterre et des siens, que l'instance que j'en pourray fère, parce qu'elle et eulx ne sont de rien au monde si jaloux que de tout ce qui, au nom de Vostre Majesté, vient estre dict ou faict en faveur de ceste princesse. Néantmoins je n'obmettray rien de tout ce qu'il vous plaist m'en commander avec la deue observance, toutesfoys, qu'y sera requise, pour n'altérer rien de voz affères par deçà. Dont je loue Dieu que, pour ceste heure, il n'y fault rien fère; car il est desjà pourveu, si plus grand accidant ne survient, qu'elle ne sera poinct changée de la garde du comte de Cherosbery.

Et pour l'autre segond chef de vostre dicte dépesche, j'ay mis peyne de fère voyr, icy, de quelle bénignité vous avez commancé de tretter avec les depputez du Prince de Condé, et combien vous desirez et avez bonne espérance de mettre de bref la paciffication en vostre royaulme. Qui vous promectz, Sire, que les aultres depputez des eslevez de Languedoc ne furent pas plus tost départis d'Avignon, sans avoyr rien faict, que les suppostz de la nouvelle religyon, qui sont icy, n'allassent incontinent à Ampthoncourt, devers la Royne d'Angleterre et devers ceulx de son conseil, y estant lors Mr de Méru, pour leur donner entendre que, sur des difficultez non petites, et sur certeyne forme d'articles qu'ilz leur monstreroient, toute l'espérance de la paix estoit rompue, et que les eslevez se trouvoient sy gaillards qu'ilz se mettroient bientost en campaigne; et que, dans peu de jours, le Prince de Condé seroit prest de descendre, avec de grandes forces, d'Allemaigne en France; dont supplyoient la dicte Dame de se vouloir, à ce coup, bien résoudre de leur donner, sinon ouvertement du secours d'hommes, aulmoins celle faveur de son royaulme, par mer et par terre, que le temps et l'occasion leur pourroit admener d'en avoyr besoing.

A quoy j'entends qu'elle leur a respondu qu'elle estoit en bonne amityé et intelligence avec Vostre Majesté, et ne leur pouvoit, pour ceste heure, rien promettre à vostre préjudice, mais qu'elle se réservoit de leur fère une bien plus expresse responce dans bien peu de moys, qu'elle auroit veu comme vous dellibèreriez de demeurer avec elle, et comme vous entendriez de demeurer avec eulx; et que, si cepandant elle pouvoit estre moyen de quelque réconciliation entre Vostre Majesté et eulx, elle offroit de s'y employer de tout le pouvoir et moyen qu'elle en auroit. Et les a ainsy renvoyez.

Néantmoins il se poursuyt tousjours une secrette dellibération d'armer bon nombre de navyres, et de mettre jusques à huict mille hommes dessus, par apparance d'en vouloir secourir le Roy d'Espaigne, et Guoras s'en entremet aulcunement; mais ceulx qui considèrent l'affère de près jugent que c'est toute aultre chose qu'on couvre là dessoubz. Dont je mettray peyne d'y avoyr l'œil le plus ouvert qu'il me sera possible.

Deux jeunes hommes partys de la Rochelle le segond de ce moys sont arryvez, n'y a que troys jours, en ceste ville, avec quelque commission de passer en Ollande; et ont apporté diverses dépesches à plusieurs, expéciallement à Mr de Walsingam, lequel s'est retiré pour ung moys en ceste ville, affin de se fère panser de son accoustumée difficulté d'urine. Et j'entends qu'ilz rapportent que le Sr de La Noue estoit retourné à la Rochelle, le XXIXe du passé, et pareillement le baron de Miraubeau, et le lieutenant de Poictiers en Brouage, ayantz fally à deux entreprinses, pour lesquelles ilz estoient partys: l'une, de Zainctes, où leurs eschelles pour estre trop chargées s'estoient rompues; et l'autre, de St Jehan d'Angely, où ceulx de dedans, qui estoient de leur intelligence, pour l'espérance procheyne de la paix n'avoient voulu interrompre leur repos, mais que, si la guerre continuoit, ilz faysoient estat de s'en rendre facillement maystres; et qu'ilz n'avoient, de plus près que Barbesieux, approché Lusignan, estantz hors d'espérance de le pouvoir secourir, de quoy ilz vouloient advertyr ceulx de dedans, affin de prendre party, lesquelz estoient en extrême nécessité de toutes aultres choses, ormis de bled et de farine qu'ilz en avoient encores pour longtemps. Et ont les dictz deux rochelloys assés déclaré que ceulx de leur ville et les aultres eslevez de tout ce quartier là inclineroient bien fort à la paix.

Me Wilson a escript, de Flandres, que les choses s'y tournoient fort disposées à la paix, s'estant le grand commandeur layssé entendre que le Roy, son Mestre, pourroit condescendre de retirer les Hespaignols, et laysser à ceulx de la nouvelle religyon la liberté de conscience sans exercisse, et de remettre toutz les anciens privilèges du pays, et confirmer le gouvernement de Ollande et Zélande au prince d'Orange, et de luy rendre son filz qui est en Espaigne; et qu'à cest effect il y avoit des depputés devers le dict prince tant de la part de l'Empereur, comme entreméteur, que ung du conseil d'estat du Pays Bas, pour en dresser des articles. Et sur ce, etc.

Ce XIXe jour de janvier 1575.

Je viens d'estre adverty que quelques cappitaynes et gentilzhommes angloys, où y a des françoys meslez, s'apprestent à grand haste, comme de eulx mesmes, d'aller tanter quelque entreprinse par dellà la mer. Dont je supplye très humblement Vostre Majesté d'envoyer tout promptement refrayschir aulx cappitaynes et gouverneurs de la frontière de deçà qu'ilz ayent à se tenir sur leurs gardes.

CCCCXXXe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Continuation des armemens pour une entreprise secrète.—Vive recommandation de l'ambassadeur en faveur du comte d'Oxfort qui passe en France.—Bruit répandu à Londres d'une défaite essuyée par les catholiques dans le Dauphiné.—Nouvelles des Pays-Bas.—Saisie de lettres qui paraissent concerner Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, suyvant l'advertissement dont, au pied de ma dépesche du XIXe du présent, j'ay faict mencion à Vostre Majesté, comme aulcuns gentilshommes et cappitaynes angloys s'apprestoient, comme d'eux mesmes, de fère une entreprinse de par dellà la mer, j'ay mis peyne de le fère sçavoyr aulx gouverneurs plus voysins d'icy, qui ont la charge des places au long de la coste de deçà, lesquels j'espère que s'en tiendront plus apperceus. Et en confirmation de cella, je suis adverty que, toutes les nuictz, l'on tire secrettement des armes et des monitions de guerre de la Tour de Londres pour les envoyer ez portz, et les distribuer aulx cappitaynes et soldatz qui sont volontayres, et aulx vaysseaulx de l'entreprinse qui sont toutz de particulliers.

Il sembloit que le comte d'Oxfort deût estre le chef de la dicte entreprinse, mais il prend ung aultre chemin, ayant tant faict qu'il a impétré de la Royne, sa Mestresse, son congé pour aller fère un voïage en Italye; et dellibère partir dans huict jours, et passer par France, faisant estat de séjourner ung moys à Paris; et monstre, Sire, d'estre grandement dévot à Vostre Majesté, ayant voulu suplyer la Royne, sa Mestresse, de trouver bon qu'il se peût offrir à vostre service, mais l'on l'a adverty que, parce qu'il est notoyrement réputé fort partial pour la Royne d'Escosse et nepveu du feu duc de Norfolc, qu'elle tiendroit cella pour trop suspect; néantmoins il dellibère de bayser très humblement les mains à Vostre Majesté, et ne refuser d'obéyr à ce qu'il vous plerra luy commander. Et parce qu'il est quasy le premier comte et grand chamberlan d'Angleterre, et comme le premier de la noblesse du pays, et le mieulx suivy et de trop plus d'espérance que nul aultre seigneur du royaulme, il vous plerra, Sire, commander qu'il luy soit faict quelque honneur et luy soit porté faveur et respect, en passant par vostre royaulme; car, oultre son mérite, toute l'Angleterre et ceste court mesmement s'en sentiront infiniement gratiffiez. Les partisans de Bourgoigne luy promettent qu'il aura charge au service du Roy d'Espaigne, aussytost qu'il arryvera en Italye, et le pressent d'aller trouver dom Johan d'Austria, ne luy manquant lettres de banque et crédict, et deniers contantz, pour fère une honneste despence par dellà; mais il monstre d'avoyr plus d'inclination à vostre service qu'à celluy du dict Roy d'Espaigne.

L'on a faict courir, icy, le bruict qu'il y avoit eu ung gros rencontre en Daulfiné, où avoit esté, de chascun costé, asprement combatu, avec si divers évènementz que les vostres avoient eu du pire; et néantmoins Monbrun estoit demeuré prisonnyer. Ceulx de ceste court m'en ont envoyé demander des nouvelles, mais je leur ay respondu que je n'en avoys poinct.

Le ministre Feugré est depuis quatre jours retourné de Hollande, duquel je ne puis encores bien descouvrir qu'est ce qu'il rapporte de dellà, sinon qu'il assure que, succédant ou ne succédant poinct la paix en Flandres, ceulx de la Rochelle, premier que les gallères de Vostre Majesté sortent de la rivière de Nantes, auront des navyres, de Ollande et Zélande, assés pour suffire pour garder le hâvre de Brouage, et leur rade de Chef de Boys.

Mr de Méru continue de s'apprester pour retourner en Allemaigne; néantmoins quelques françoys qui le suyvent monstrent estre de l'entreprinse des Angloix. Le provençal Pierre Grenier, de Marseille, dont, cy devant, je vous ay faict de mencion, monstre de vouloir passer en Ollande, et n'attend plus que le vent. Je ne sçay si c'est pour y praticquer quelque chose ou pour y chercher son repoz; mais, quoyqu'il se monstre personnage fort composé, il a néantmoins négocyé avec ceulx qui s'entremettent des praticques.

J'entendz qu'il a esté surprinz à Barwyc des lettres en chiffre, qui venoient ou à la Royne d'Escoce ou à moy; de quoy il y a ung peu d'altération en ceste court: et a l'on prins quelques ungs en ceste ville qui sont réputez serviteurs secretz de la Royne d'Escosse, lesquelz l'on a mis dans la Tour. Je ne sçay si cella produyra quelque autre chose plus rigoureuse contre elle, mais je y pourvoyray du meilleur remède qu'il me sera possible. Sur ce, etc.

Ce XXIVe jour de janvier 1575.

CCCCXXXIe DÉPESCHE

—du XXIXe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Continuation des armemens.—Secours d'argent envoyé d'Angleterre aux protestans d'Allemagne.—Projets d'Élisabeth sur l'Écosse.—Réclamation faite par l'ambassadeur au roi, en faveur des réfugiés de Rouen, afin d'obtenir la restitution de leurs biens.—Instance auprès de la reine-mère pour l'engager à faire donner satisfaction à la reine d'Angleterre.

Au Roy.

Sire, j'ay receu, le XXIIIIe de ce moys, deux dépesches de Vostre Majesté, l'une du dernier du passé, et l'aultre du second d'estuy cy, par lesquelles j'ay eu assés de quoy esclarcyr les derniers bruictz qu'on faisoit courir du maulvais succez des choses de Languedoc, et du peu d'espérance de la paix; de quoy j'espère que, demain, je rendrai ceste princesse plus capable de la vérité de ce qui en est, et mieulx édiffyée de vostre intention vers elle, et de vostre desir à la tranquillité de voz subjectz, et repos universel de la Chrestienté, et encores de la particullarité de Mr de Dampville, qu'on ne s'est efforcé de le luy persuader; et n'obmettray de luy relever d'autant plus la réputation et bon progrès de voz affères qu'on met peyne de les luy représanter bien bas et en ung fort maulvais estat; et feray, en somme, tout ce qui me sera possible vers elle, que les dellibérations et apprestz, que je voy fère par les siens, demeureront interrompus, ou aulmoins que l'effaict n'en aille que le moins que fère se pourra contre le service de Voz Majestez.

L'armement, dont je vous ay cy devant escript, se continue toujours sans aulcun doubte, et pareillement le transport des armes et des monitions vers les portz; et est advenu que, depuis quatre jours, sous colleur d'ung festin, l'on a mené essayer des armes dans la Tour de Londres à plus de deux centz gentilshommes, comme pour une soubdeyne et secrette entreprinse; de quoy j'ay prins ung peu d'allarme, et en envoye présentement donner aulx gouverneurs de voz places, qui sont plus voysins d'icy. Et d'ailleurs j'ay entendu qu'on dresse secrettement ung party, avec aulcuns marchands de ceste ville, pour fère remettre en Allemaigne trente mille angelotz en espèce; de quoy j'ay mis gens après pour approfondir à qui et comment le payement s'en fera. Et me vient on aussy d'advertyr que ceulx de ce conseil dellibèrent de proposer, avec invincibles argumentz, à leur Mestresse, qu'elle doibt effectuer les praticques qui souvent ont esté mises en termes: de conclurre une ligue avec les Escossoys et s'attribuer la protection du jeune Prince d'Escosse et de sa couronne, durant sa minorité, et luy procurer le mariage d'une des filles d'Espaigne, en le déclarant successeur de ce royaulme. Qui est cause, Sire, que je supplye très humblement Vostre Majesté de fère passer promptement en Escosse le gentilhomme qu'avez dellibéré d'y envoyer résider, affin qu'il n'y laysse rien passer qui soit au préjudice de vostre ancienne alliance de dellà. Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de janvier 1575.

Aulcuns de voz subjectz de Normandye, qui sont icy, me sont venus remonstrer que la cour du parlement de Roan, sans avoyr esgard à la réservation portée par voz lettres patentes du XXVIIe jour de décembre dernier, ny aulx attestations que, suyvant icelles, je leur ay baillées de leurs paysibles déportementz, elle leur a faict saysir leurs biens; et sur la main levée que leurs procureurs ont demandée, elle les a renvoyez à Vostre Majesté. Dont je vous supplye très humblement, Sire, que, de tant qu'ilz ont la promesse de Vostre Majesté, et que voz lettres patantes contiennent nomméement leur réserve, qu'il vous playse mander, par seconde jussion, à vostre dict parlement de Roan, de ne leur saysir leurs biens, et, si saysis estoient, leur en fère la main levée. Et j'estime que cela reviendra au bien et réputation de vostre service.

A la Royne

Madame, attandant les aultres choses que je pourray recueillyr plus amples des propos que j'auray demain avec la Royne d'Angleterre, je mande cepandant à Voz Majestez celles qui me sont venues à notice, lesquelles je metz sommayrement en la lettre que j'escriptz au Roy, vostre filz. Et ne veulx rien adjouxter, icy, davantage sinon vous supplyer très humblement, Madame, que, sur la dépesche que mon secrettère vous a apportée, du XXVIIIe du passé, il vous playse m'y fère avoyr bientost quelque responce, par laquelle je puisse lever à ceste princesse toute la male satisfaction que les fascheux rapportz, qu'on s'est efforcé de luy fère de Voz Majestez, luy ont peu mettre en l'opinyon.

Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de janvier 1575.

CCCCXXXIIe DÉPESCHE

—du IIIIe jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusque à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Questions faites par Élisabeth sur l'état des affaires de France.—Assurance donnée par l'ambassadeur qu'il n'a point été livré de bataille en Languedoc.—Nouvelles du siège de Livron.—Persévérance du roi à desirer la paix.—Confiance que le prince de Condé partage ce desir.—Ignorance de l'ambassadeur sur la déclaration attribuée au maréchal de Danville.—Volonté du roi de conserver l'alliance avec Élisabeth.—Instances pour qu'elle refuse les secours qui lui sont demandés par les rebelles.—Sollicitations d'Élisabeth pour engager le roi à accorder la paix.—Offre de sa médiation.—Nouvelles de la prise de Lusignan par Mr de Montpensier, et de divers assauts donnés à Livron.—Avis à la reine-mère. Plaintes de l'ambassadeur sur le retard mis à lui envoyer de l'argent.

Au Roy.

Sire, il a esté facille, dimanche dernier, à Ampthoncourt, de juger que je y venois desiré de la Royne d'Angleterre pour luy compter des nouvelles de Vostre Majesté, et de celles de voz affères; car, de tout le moys passé, elle n'en avoit poinct ouy de bien vrayes, et le bruict en avoit semé de si incerteynes que, monstrant d'estre bien fort ayse qu'elle peût, à ceste heure, sçavoyr ce qui en estoit, après s'estre soigneusement enquise de vostre santé et du bon portement de la Royne, vostre mère, elle m'a incontinent demandé de ces combatz et rencontres qu'on disoit estre advenuz en Languedoc? Et des termes en quoy vous estiez de la paix? Et où estoit Mr le Prince de Condé? Et si les levées, qu'on bruyoit si fort qu'il avoit toutes prestes en Allemaigne, commançoient poinct de marcher? S'il estoit vray que le mareschal Dampville eût faict une déclaration qu'elle avoit naguyères veue, ou bien si c'estoit chose supposée? Et si vous approchiez poinct en çà, pour venir à vostre couronnation et sacre? Se pleignant bien fort que son ambassadeur estoit paresseux, ou bien que ses dépesches demeuroient en quelque part arrestées, car elle ne pouvoit rien entendre de luy.

Je luy ay respondu que ce que j'avoys à luy dire, de la part de Vostre Majesté, estoit proprement la satisfaction des choses qu'elle venoit de me demander; et que, grâces à Dieu, Voz Majestez Très Chrestiennes estoient en bonne santé; et que de rencontre ny combat il n'y en avoit poinct eu, parce que les eslevez n'avoient poinct de forces en campaigne, ny de quoy y en mettre pour s'opposer aulx vostres; et seulement au siège de Livron, ayantz quelques gentilshommes de bonne volonté voulu recognoistre la bresche, il y en avoit eu de ceulx du dehors une vingtaine de blessez, mais beaucoup plus grand nombre de ceulx de dedans; que, touchant la paciffication, vous persévériez en ce qu'aviez faict cognoistre à voz subjectz, et l'aviez manifesté à toute la Chrestienté, que c'estoit la chose que plus vous desiriez en ce monde, luy particullarisant l'article, que me faisiez dans vostre lettre, des allées et venues des depputez, et que vous luy promettiez bien que vous condescendriez à de si bonnes et si honnestes condicions vers voz subjectz, pour le faict de leurs consciences et pour leur repos, et pour la seureté qu'ilz demandoient, qu'ilz ne les pourroient refuzer, sinon qu'ilz voulussent du tout renoncer au respect et révérance, et à la fidellité et subjection qu'ilz vous debvoient, sans qu'il fût besoing pour cella d'assembler voz Estatz, ainsy que les ministres, lesquelz ne cherchoient que d'alonger les matières, et d'esjamber tousjours quelque chose sur l'authorité des princes, monstroient que, indiscrètement et contre tout ordre, ilz les vouloient requérir, car vous le feriez bien de vous mesmes;

Que Mr le Prince de Condé estoit à Basle, inclinant bien fort à la dicte paciffication, et ne hastoit guyères les levées ny les forces d'Allemaigne; desquelles je voulois dire librement à la dicte Dame que j'avoys opinyon qu'elles ne bougeroient nullement, si elle, ou son crédit ou ses deniers contantz, ne les faisoit marcher, comme je sçavoys qu'elle en estoit fort pressée et fort sollicitée toutz les jours, et que pourtant vous auriez occasion d'en imputer à elle tout le mal, si, d'avanture, elles descendoient en France;

Que je n'avoys poinct encores veue celle déclaration, dont elle m'avoit parlé, de Mr Dampville, laquelle pouvoit estre aussytost supposée que vraye; mais, quoy qu'elle eût ouy dire de l'occasion de son malcontantement, il estoit certein, et Vous, Sire, l'affirmiez ainsy sur vostre honneur, que ne luy aviez rien promis à Turin que ne luy eussiez depuis invyolablement tenu. Dont ay fait peser à la dicte Dame ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre, et qu'en effect il n'y avoit, ny ez actions ny ez intentions de Vostre Majesté, rien que ce que convenoit d'avoyr à ung magnanime et très excellent prince, et autant orné de toute vertu qu'il y en eût jamays eu en France; et que Dieu vous avoit faict si généreulx que vous ne pouviez estre vaincu par force, et si clément qu'à peyne seriez vous jamays surmonté de bénignité. Dont estant tel, et que d'autrefoys vous luy aviez esté à elle dévot serviteur, et maintenant estiez devenu son frère, je la supplyois qu'elle voulût nourrir une bien bonne et germeyne amityé avecques vous, sellon que vous luy en rendriez une semblable très constante et perdurable à jamays;

Et que desjà sur ce qu'elle m'avoit faict vous escripre, le troysiesme de décembre, de la sincérité et droicture dont elle dellibéroit de procéder vers vous, que vous veuillez tant honnorer sa parolle, et y defférer si grandement, que ne feriez difficulté de vous y commettre et vous y reposer sans escrupulle ny meffiance quelconque; et que désormays vous vous promettiez d'elle toutz les bons tours, de vrayement bonne seur et bonne amye, que vous proposiez de les luy rendre semblables de très bon frère et de très bon amy, et de ne deffallir d'aulcun bon et honnorable office que verriez pouvoir fère pour elle, qui fût digne de sa grandeur et non indigne de la vostre, ainsy qu'ung gentilhomme de bonne qualité que faysiez desjà préparer pour l'envoyer visiter, aussytost que seriez, pour vostre sacre et corronnation, arryvé à Reyms, envyron la my febvrier, le luy tesmoigneroit davantage. Qui ay bien voulu, Sire, luy fère ceste expression de vostre bonne intention vers elle, affin de m'oposer à ceulx qui s'efforçoient de luy préoccuper et engager la sienne contre vous.

A quoy elle m'a respondu qu'elle estoit de tant plus ayse d'entendre la bonne disposition de Voz Très Chrestiennes Majestez qu'on luy avoit rapporté que la Royne, vostre mère, estoit bien malade, dont elle prioit Dieu de bon cueur pour le bon portement de toutz deux; qu'elle avoit playsir que ceulx qui avoient publyé ces combatz et deffaictes de Languedoc fussent trouvez menteurs, et voudroit de bon cueur qu'il y eût desjà abstinence d'armes, affin que les nouvelles playes ne rendissent celles du passé incurables;

Que, de plus en plus, elle louoit et approuvoit vostre saincte dellibération de vouloir apayser les troubles de vostre royaulme par la voye de douceur, et qu'en cella sentoit elle de vous porter tant plus de bienvueillance par dessus toutz les aultres princes ny princesses de vostre alliance, que plus que nul d'eulx elle desiroit de bon cueur que, establissant très bien vostre règne, vous espargnissiez le sang et la vye et la désolation de ceulx qui, de l'un et de l'aultre costé; sont toutz vostres;

Que j'avoys tort de la vouloir tant sonder, comme je faisois, sur le secours que les pouvres protestantz cherchoyent d'avoyr de leurs frères d'Allemaigne, car elle ne me sondoit pas de celluy que vous y pourchassiez; et qu'elle ne vouloit nyer qu'elle n'y eût du crédict assez, mais que vous cognoistriez aussy bien qu'avoit faict le feu Roy, vostre frère, que jamays les Roys de France n'avoient trouvé tant d'amityé en la couronne d'Angleterre que quand elle l'avoit tenue; et que, de tant auriez vous plus grand preuve d'elle, qu'elle estoit à toute heure infinyement tentée et sollicitée contre vous;

Qu'elle ne doubtoit que les ministres ne demandassent la tenue des Estatz, et que, possible, ilz n'eussent supposé celle déclaration de Mr Dampville; car, puisqu'ilz s'eslevoient jusques à vouloir pénétrer ez secretz de Dieu au ciel et en ses jugementz, ilz s'atribuoient encores plus licentieusement de s'entremettre des trônes des princes en terre, mais qu'il n'y avoit poinct de besoing d'Estatz, là où vous mesmes pouviez bien pourvoir; et qu'elle tenoit le mareschal Dampville pour ung si gentil chevalier et si loyal serviteur, à l'exemple de ses prédécesseurs, à vostre couronne, et si expéciallement dévot à Vostre propre Majesté qu'elle ne faysoit doubte qu'il ne se rengeast facillement à tout ce que luy commanderiez, pourveu que ne cherchissiez la ruyne de luy ny celle de ses frères.

Et puis est retournée aulx levées d'Allemaigne, et comme princesse fort pressée de fournir deniers, ou d'employer son crédict, ou de fère quelque aultre résolution, à son regret, contre Vostre Majesté, m'a dict que, pour Dieu, elle vous prioit de fère la paix, car aultrement vous ne pourriez éviter beaucoup de grands inconvénientz; et que, si aviés besoing de quelque prince estrangyer, de vostre alliance, qui s'en meslât, parce que maintesfoys les parties mesmes n'ozoient proposer tout ce qu'elles desiroient, qu'elle ne vouloit pas entreprendre de s'y offrir, mais que, si Vostre Majesté l'avoit agréable, c'estoit bien l'œuvre aujourdhuy de ce monde à quoy elle s'employeroit le plus volontiers, et pouviez estre très assuré qu'elle vous y considèreroit en tout et partout ainsy Roy et Maistre comme elle desiroit demeurer Royne et Mestresse sur ses subjectz; et que, sur ce que je luy avoys déduyt de vostre bonne et constante amityé vers elle, qui estoit ce qui l'avoit, plus que tout le reste, souveraynement contantée, qu'elle vous en remercyoit de tout son cueur, et sçavoit qu'entre les particulliers mesmes les loix de l'amityé estoient vénérables et dignes de grande observance, mais qu'elles l'estoient davantage sans comparayson entre les princes, parce que, des bons effectz qui en provenoient, ilz en demeuroient entre eulx très contantz, et si, leurs communs subjectz en sentoient de très grandes commodictez; et que, s'il estoit intervenu là dessus quelque première coulpe entre vous et elle, qu'elle ne l'avoit nullement commise, et que sans doubte ce ne seroit aussy elle qui commanceroit de commettre la segonde; et qu'elle avoit grand plaisir que vous approchissiez à Reyms pour vostre coronnation et sacre, d'où celluy que luy envoyeriez seroit le très bien venu, et qu'elle mettroit peyne de le vous renvoyer contant.

Qui est en substance ce que, pour ceste foys, j'ay recueilly des propos de la dicte Dame, remettant ce qu'il y pourroit avoyr de surplus à la procheyne dépesche, parce que ceste cy est desjà trop longue. Et sur ce, etc.

Ce IVe jour de febvrier 1575.

Mr de Walsingam me vient de mander la reddition de Lusignan à Mr de Montpensier par composition, moyennant ostages qu'il a baillez pour la tenir; et qu'il a esté donné trois assautz à Livron qui ont esté bravement soustenuz, où le cappitayne de la place est mort, mais que soubdain il y en a esté subrogé ung autre, et que deux centz soldatz de la part des eslevez y sont entrez.

ADVIZ, A PART, A LA ROYNE MÈRE.

Parce que c'est icy le VIIIe moys que je n'ay receu nul argent, et que je vis sur le crédit que me faict le Sr Acerbo avec gros intérest, et que le Sr Sardiny luy a escript qu'il ne peut acquitter les mandementz dont Mr le trésorier de l'espargne m'a dressé sur luy, parce qu'il ne reçoit, ce dict il, rien des assignations que Voz Majestez luy ont bayllées, je suys sur le poinct d'estre habandonné du dict Sr Acerbo, et d'estre pressé de ce que desjà je luy doibs; et que je seray contrainct de cesser ma mayson, avec beaucoup de honte et avec détriment du service de Voz Majestez. Dont je vous supplye très humblement, Madame, commander au dict trésorier de l'espargne qu'il me vueille fère payer d'iceulx mandementz qu'il m'a desjà bayllés, ou m'en assigner de meilleurs, et qu'il mande que mes deniers ne soient plus retardez, car Vostre Majesté sçayt que je suis par trop pauvre pour pouvoir advancer.

CCCCXXXIIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Favorable disposition d'Élisabeth à l'égard de la France.—Conférence de l'ambassadeur avec Leicester.—Nécessité de faire en France quelque démonstration d'amitié.—Vive intercession pour qu'il soit satisfait à la plainte de Mr Warcop.—Bruits répandus par les protestans pour exciter Élisabeth à la guerre.—Nouvelles d'Écosse.—Mesures prises pour déchiffrer les lettres saisies, adressées à Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, les propos d'entre la Royne d'Angleterre et moy, desquelz j'ay donné compte à Vostre Majesté par ma dépesche du IIIIe du présent, ont esté de quelque moment à quiéter ung peu l'esprit de la dicte Dame contre la violence des malcontantz et passionnez qui s'efforçoient de l'agiter infinyement et de l'irriter contre vous: car, depuis ce temps, elle a tousjours montré qu'elle avoit reprins nouvelle confiance de vostre amityé, et qu'elle vouloit qu'il demeurât en elle d'incliner ou de n'incliner pas à leurs instances, jusques à ce qu'elle vît plus avant comme vous procèderiez vers elle. De quoy ceulx de son conseil ont esté fort esbahys, et aulcuns d'eux bien malcontantz; mais le comte de Lestre, qui monstre d'en avoyr plaisir, m'a dict que ce ne m'estoit chose fort difficile en l'endroit de la dicte Dame, laquelle avoit bonne opinyon de moy et croyoit que je ne négocyois nullement faulx avec elle, de luy persuader ce qu'elle desiroit le plus en ce monde: qui estoit de se réputer aymée et bien volue de Voz Majestez Très Chrestiennes; et que, par les mesmes raysons qu'elle avoit apprinses en cella de moy, elle s'estoit efforcée de vaincre celles que son propre conseil luy avoit admenées au contrayre, et de surmonter les argumentz desquels les princes d'Allemaigne s'estoient efforcez de luy dessiller les yeulx sur les dangereuses dellibérations qu'ilz disoient estre de longtemps faictes, et se fère encores de présent, contre elle, en France, pour les exécuter, aussytost que Vostre Majesté aura ung peu desmellé ses affères; et qu'ilz luy reprochoyent que non seulement elle procédoit avec peu d'advis, mais avec quelque forme d'injustice contre le bien de sa couronne, de ne se prévaloyr du temps et de l'occasion, et des advantages, que Dieu luy offroit, qui estoient si évidentz que, quand Vous, Sire, seriez beaucoup plus fort, et elle moins puissante, que l'ung et l'autre n'estes, qu'encor vous pourroit elle maintenant assez nuyre; et que, voyant le dict comte que, nonobstant cella, elle se rendoit de plus en plus confidente et toute assurée de vostre amityé, qu'il vous supplioyt que volussiés adjouxter aulx bonnes parolles et promesses, que luy faisiez donner, quelques bons effectz, qui fussent semblables, affin que, par iceulx, luy et ceulx qui luy adhéroyent, en la dévotion et servitude qu'il vous porte, peussent confirmer la dicte Dame en sa bonne opinyon, et rabatre à aulcuns d'auprès d'elle celle qu'ilz avoient au contrayre;

Et que, pour le présent, il me vouloit ramantevoyr ce qu'elle mesmes m'avoit dict du faict de Me Warcop, gentilhomme singullièrement aymé et bien voulu d'elle, que, suyvant la promesse qu'en aviez faicte à milord de North, et l'ordonnance que le dict Warcop a devers luy, signée de vostre main, dez qu'estiez devant la Rochelle, il vous plaise luy fère avoyr rayson de ce navyre de bled qui luy fut lors prins pour avitayller vostre camp; chose, Sire, qui, à la vérité, m'a esté aultant expressément recommandée de la dicte Dame que nulle aultre, depuis que je suis en ceste charge; et que je debvois considérer que ceulx qui luy remettoyent en avant l'intelligence du Roy d'Espaigne, pour la réfroidir de la vostre, avoient de quoy luy représanter, toutz les jours, quelque nouvelle gratiffication du grand commandeur de Castille vers elle et ses subjectz; et qu'il vous supplioyt aussy, Sire, la fère esclarcyr d'ung advis qu'on luy avoit donné qu'il y avoit mandement de Vostre Majesté, en Bretaigne, de fère tenir des navyres prestz pour trajetter bientost des forces en Escosse; et, au reste, que ne prolongissiez plus de l'envoyer visiter, car l'on en arguoyt desjà une fort froide et mal fondée amityé de vostre part.

Sur lesquelles choses j'ay mis peyne de rendre le dict comte bien édiffyé, et de le remplyr de toute bonne espérance de Vostre Majesté, s'estant nostre propos terminé par une fort expécialle recommandation, que je luy ay faicte, des affères de la Royne d'Escosse; en quoy je ne l'ay trouvé mal disposé. Et si, ay cognu qu'il n'y a pour le présent, en cest courte, rien de mal ordonné contre elle.

Or, ayant ainsy ramené la Royne d'Angleterre à meilleure disposition vers Vostre Majesté, et pareillement le dict comte, qui le lendemain est allé, pour dix jours, en sa maison de Quilingourt; et ayant, possible, par là, avec la nouvelle de la reddition de Lusignan, accroché les meilleures et les plus procheynes espérances de ceulx qui sont icy poursuyvantz, ilz se sont advisé de publier aussitost, affin de ralumer le cueur à la dicte Dame et à ceulx de son conseil, qu'on avoit descouvert que les propos de paix, du costé de Vostre Majesté, estoient simulez et pleins de fraude, et que Mr le Prince de Condé armoit à furie pour entrer bientost en France avec douze mille chevaulx, et qu'après troys assautz soubstenus par ceulx de Livron, Vostre Majesté en avoit faict lever le siège pour admener toutes ses forces par deçà, et que deux cornettes de voz reytres s'estoient tournées du costé des eslevez: auxquelles choses, lesquelles j'estime pour la pluspart controuvées, je mettray peyne, par la première dépesche qui me viendra de Vostre Majesté, d'y oposer la vérité que m'en manderez.

Il est naguyères arryvé ung courrier d'Escosse, par lequel le comte de Morthon a envoyé certayne déposition, qu'il a tiré d'ung des gens de Mr de Glasgo et d'ung autre de Mr de Roz, avec les chiffres qu'il leur a surprins; et l'on a mis, icy, ung jeune homme, qui est réputé serviteur secret de la Royne d'Escosse, dans la Tour de Londres, pour le contraindre de les déchiffrer. Je ne sçay encores ce qui en résultera. Sur ce, etc.

Ce Xe jour de febvrier 1575.

CCCCXXXIVe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Annonce d'audience.—Instances des protestans d'Allemagne auprès d'Élisabeth.—Continuation des armemens.—Explications transmises à l'ambassadcur sur les propos rapportés par lord de North.

Au Roy.

Sire, demain, Dieu aydant, je verray la Royne d'Angleterre, à Richemont, pour luy fère bien entendre les particullaritez de l'honneste responce que Vostre Majesté, par la dépesche du XXIIIIe du passé, m'a commandé de luy fère, touchant les fascheux rapportz de milord de North, qui pense bien qu'elle jugera que les choses n'eussent peu passer plus dignement de vostre costé, ny avec plus d'honneur pour elle, ainsy que la sage déduction et bien ordonnée de vostre lettre luy en manifestera la vraye vérité; et le tout y est si bien et si proprement comprins, que je n'auray à y rien adjouxter du mien, sinon que, possible, je y mette quelque mot, non pour plus grande satisfaction de la dicte Dame, mais pour en tirer encores quelqu'une d'elle pour Voz Très Chrestiennes Majestez. Et après que j'auray bien recueilly ce qu'elle m'aura dict là dessus et sur le propos que je luy tiendray davantage de voz présentz affères, je vous en feray, par mes premières, ung plus ample récit; ayant à vous dire cependant, Sire, que, du costé d'Allemaigne, et de la part des eslevez de vostre royaulme, se poursuyt, icy, avec plus vifve instance que jamays, une prompte provision pour continuer et maintenir la guerre. Et je sentz bien qu'on leur faict, peu à peu, filer les responces, sans leur accorder ny leur refuser aussy ce qu'ilz demandent, mais l'on les entretient en bonne espérance, et mesmes l'on leur propose comme présant, et qui se trouvera bien prest au besoing, la pluspart de ce qu'ilz pourchassent, attandant de voyr comme procèdera le propos de paix, après que les depputez auront esté, de rechef, devers Vostre Majesté, et ce qui résultera de la venue du gentilhomme qu'envoyerés pour visiter la dicte Dame. Cepandant ce que je vous ay cy devant mandé, de l'armement de deçà, se poursuyt tousjours avec la description des hommes; et a l'on faict venir aulcuns cappitaynes, qui estoient en Irlande, pour dresser, icy, des compagnyes affin d'aller en ceste expédition, n'y ayant, à présent, au dict pays d'Irlande, depuis la réduction du comte d'Esmont, guyères de contradiction à l'obéyssance de ceste princesse; et mesmes que ung Artus Maurice, qu'on avoit suspect, a esté naguyères resserré, et luy faict on son procès.

Mr de Méru est encores icy, qui va quelquefoys en ceste court, et les ministres traictent ordinayrement avecques luy et il se tient prest pour retourner bientost en Allemaigne; mesmes il fût party plus d'ung moys a, sans quelque advertissement qui luy vint de France, sur le poinct de son partement, et aussy qu'il semble qu'il attande la responce que ceste princesse va ainsy temporisant pour l'aller apporter luy mesmes à Mr le Prince de Condé.

J'entendz que, depuis cinq ou six jours, l'admiral d'Angleterre a envoyé des officiers de la marine visiter les grands navyres de la dicte Dame, comme pour commancer de les apprester pour ce printemps. J'auray l'œil à ce qui s'y fera. Et persévérantz ceulx, qui portent, icy, le party de Bourgoigne, au renouvellement de l'amityé de ceste princesse avec le Roy d'Espaigne, ilz sont fort après à pourchasser que nouveaulx ambassadeurs soient envoyez pour résider près de l'ung et de l'aultre prince. Sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de febvrier 1575.

A la Royne

Madame, je mettray peyne d'exprimer bien à la Royne d'Angleterre, et de ne luy obmettre ung tout seul poinct de ce que le Roy, vostre filz, et Vostre Majesté, par voz lettres du XXIIIIe du passé, me commandés de luy dire touchant les maulvais rapportz que milord de North luy a faitz à son retour de France; et j'espère que la vérité du faict luy fera avoyr regret de s'estre trop tost esmeue du mensonge, et qu'elle se prendra à son ambassadeur de l'erreur qu'il a commis en matyère de si grande conséquence et entre si grandes princesses, comme sont Voz Majestez. Et encores, Madame, que n'ayez jugé d'estre aulcunement expédient d'escripre à la dicte Dame de vostre main, affin de n'user d'interprétation ny d'excuse, là où il n'en est besoing, si ne laysse la satisfaction que luy donnez par les lettres qu'il vous a pleu m'addresser, d'estre si ample, qu'elle aura occasion d'en avoyr tout contantement; et je feray tout ce qu'il me sera possible qu'elle viegne aussy, de son costé, à vous satisfère de ce qu'elle n'a mieulx examiné le faict, plus tost que de s'en courroucer. Et sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de febvrier 1575.

CCCCXXXVe DÉPESCHE

—du XXIe jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Satisfaction d'Élisabeth sur les explications qui lui ont été données au sujet des propos rapportés par lord de North.—Menées des protestans sur lesquelles l'ambassadeur attend de nouveaux renseignemens.—Affaires d'Écosse.—Nécessité d'envoyer promptement un agent français dans ce pays.—Nouvelle du sacre et du mariage du roi.

Au Roy.

Sire, j'ay apporté de la satisfaction beaucoup de vostre lettre, du XXIIIIe du passé, à la Royne d'Angleterre, et en ay aussy rapporté beaucoup d'elle pour Voz Très Chrestiennes Majestez, ainsy que ce qui s'est passé entre elle et moy vous le pourra tesmoigner par mes premières, ès quelles je vous en feray l'entier récit avec d'autres choses que j'ay ung peu esclarcyes, que je suis après à les recueillyr, sellon qu'il est expédiant qu'elles viennent à la notice de Vostre Majesté, affin que puissiez mieulx juger comme elles pourront, ou peu ou beaucoup, importer à vostre service. Et je feray cependant, comme j'ay faict tousjours, tout ce qu'il me sera possible pour traverser les affères de ceulx qui pourchassent, icy, les moyens de traverser les vostres. Et j'estime de les leur avoyr desjà beaucoup retardez; mais ilz y sentent je ne sçay quelle espérance (et je crains bien, si la paix ne succède, qu'elle ne leur sera vayne), qui les y faict instamment persévérer; dont les quatre ministres, qui sont préposez en ceste ville, pour le conseil d'estat de ceulx de la nouvelle religyon de France et de Flandres, ayant esté, par diverses foys, en ceste court, et conféré avec Mr de Walsingam et avec Me Randolphe et Me Quillegreu, et aultres de leur faction, sont, il y a six jours, depuis le matin jusques au soyr, tousjours après à dresser quatre grosses dépesches, qui sont, l'une pour France, l'autre pour Ollande, la troysiesme pour Allemaigne et la quatriesme, de quoy je suis fort esbahy, pour Escosse; et font tenir prestz des hommes d'affères et propres à négotier, pour les aller porter; lesquelz n'attandent plus, à ce que j'entendz, de partir, sinon que Mr de Méru, avec lequel les dictz ministres communicquent ordinayrement, ayt esté encores une foys devers ceste princesse, et soit de retour avec une plus entière responce qu'ilz n'ont eu encores d'elle; mais l'audience luy a esté desjà remise deux foys, et je ne sçay qu'est ce qu'il impètrera à la troysiesme.

Le filz ayné de milord de Sethon est venu trouver le comte de Lestre à Quilingourt avec des lettres de recommandation de son père, et d'aultres lettres bien fort favorables du comte de Morthon, et monstre qu'il veut suyvre quelque temps ceste court d'Angleterre; ce que je ne puis avoyr sinon beaucoup suspect, considéré mesmement que son père a tousjours esté tenu pour catholicque et très parcial serviteur de la Royne d'Escosse, sa Mestresse; dont faut dire qu'il y a quelque secrette praticque, qui se mène là dessoubs, depuis la mort du duc de Chastellerault, lequel est naguyères décédé, et que milord Glaude son filz se trouve à présent gendre du dict milord de Sethon. Ung messager qui avoit apporté de mes lettres aulx seigneurs de dellà est revenu sans me rapporter nulle responce par escript, mais il m'a dict, de bouche, ce que je réserve de vous mander bientost par ung des miens qui, de bouche aussy, le vous dira; car ilz me prient de ne le vous poinct escrire. Tant y a qu'il me tarde beaucoup de sçavoyr que le personnage qu'avez ordonné pour aller résider au dict pays y soit arryvé, car il pourra obvier à plusieurs inconvénientz que la longue absence de voz ambassadeurs y pourroit avoyr causez; estant, au reste, Sire, merveilleusement en peyne du bruict qu'on faict courir, icy, de vostre indisposition, laquelle ilz disent que vous a arresté en chemin et vous a retardé de venir à vostre sacre. Je fay bien dévote prière à Dieu qu'il en soit aultrement. Et sur ce, etc.

Ce XXIe jour de febvrier 1575.

Comme je fermoys la présente, l'on m'a adverty qu'ung courrier de Mr le docteur Dayl vient de passer vers Richemont, qui porte la nouvelle du sacre et couronnement, et du mariage de Vostre Majesté, de quoy je loue Dieu. Il y mesle je ne sçay quel rencontre en Languedoc, où Mr d'Uzez a heu du pire. J'espère qu'il ne sera ainsy.

A la Royne

Madame, les choses n'eussent peu passer avec plus de satisfaction de la Royne d'Angleterre, ny dont vous en eussiez peu tirer plus largement d'elle, sur la faute que milord de North avoit commise entre Voz deux Majestez, ainsy qu'elles ont esté conduictes par l'ordre que m'avez commandé d'y tenir. Qui espère, Madame, que Vostre Majesté aura plésir d'en entendre le discours, lequel, parce qu'il contient des diversitez qui sont assez considérables, et qui conviennent avec d'autres choses que je suis après à tirer d'aylleurs, je réserve de vous mander le tout ensemble par mes premières, avec ung des miens qui vous en récitera ce qui seroit ou malaysé ou trop long de le vous mander par escript. Et cepandant je vivray en peyne du bruict qu'on faict courir icy de l'indisposition du Roy jusques à ce qu'il plerra à Dieu m'en fère ouyr de meilleures nouvelles, et aussy de quelque différant qu'on publye estre advenu entre le Roy de Navarre et Mr de Guyse, jusques avoyr mis la main a l'espée l'ung contre l'aultre; mais j'espère que ces nouvelles seront semblables à plusieurs aultres, yssues de mesme bouticque, qui se sont trouvées faulces, ainsy que j'en prie Dieu de bon cueur. Et sur ce, etc.

Ce XXIe jour de febvrier 1575.

Ceste lettre estoit escripte et signée quand le courrier est passé qui porte l'heureuse nouvelle du sacre et couronnement et mariage du Roy, vostre filz, dont je loue Dieu de bon cueur.

CCCCXXXVIe DÉPESCHE

—du dernier jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Détails de la précédente audience.—Déclaration du roi de la fausseté des propos rapportés par lord de North.—Satisfaction d'Élisabeth de cette déclaration.—Protestation de sa part qu'elle n'a voulu faire aucune offense à la reine.—Plainte d'Élisabeth du silence gardé par la reine-mère à ce sujet.—Communication de la lettre écrite par Catherine de Médicis à l'ambassadeur.—Explications données par Élisabeth.—Assurances qu'elle veut maintenir l'amitié avec la reine-mère et le roi.

Au Roy.

Sire, j'ay esté bénignement et fort bien ouy de la Royne d'Angleterre sur ce que je luy ay dict que jamays chose n'estoit tant venue hors l'opinyon, ny contre l'opinyon de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, que d'avoyr entendu que milord de North luy eût peu fère ung tout seul maulvais rapport de vous deux; car pensiez luy avoyr donné argument de luy en fère plusieurs bons de la droicte et cordialle amityé que luy portiez, et de ce que, plus que nuls aultres ses alliés, vous l'aviez, autant et possible plus en honneur et respect que nul aultre prince ny princesse de vostre alliance; et que cella vous avoit beaucoup troublez de voyr que voz bonnes euvres, voyre les meilleures et les plus pures et les plus courtoyses, dont vous estiez peu advizer vers son ambassadeur, pour honnorer la dicte Dame et honnorer la ligue et confédération qu'aviez avec elle, et la magniffyer devant tout le monde, avec, possible, la jalousye des aultres princes chrestiens, fussent non seulement tenues en peu de compte, mais eussent esté calompnyées et convertyes en une matière d'offance et de courroux; à quoy ne se pouvoit fère que n'eussiez beaucoup de regret, et que ne vous pleignissiez à elle d'elle mesmes, d'avoyr voulu recepvoyr une si male impression de vous, voyre de l'avoyr escoutée, ou mesme d'avoyr souffert qu'elle luy eût esté rapportée; car, encor que toutz deux vouliez librement confesser que vous mériteriez mille et mille indignitez contre vous, si vous aviez faicte ceste cy, dont est question, contre elle, ny contre la mémoyre du feu Roy, son père, si debvoit elle avoyr ainsy jugé de Voz Majestez, comme de princes qui n'estiez ny si mal honnorables, ny si mal nays, ny si imprudentz, que d'avoyr jamays commis une telle erreur que celle là, qui eût esté par trop grande; et que ne sçaviez comme penser de l'amityé qu'elle vous avoit promise, car vous trouveriez très mal appuyez si elle s'esmouvoit ainsy de si légers rapportz, et qu'il faudroit bien qu'allissiez chercher ailleurs d'autres amityez qui fussent mieulx fondées et mieulx qualiffyées que la sienne; bien avois je mis peyne, en vous tesmoignant son courroux, de vous mander, par mesmes moyen, comme elle s'estoit modérée, et comme, enfin, elle mesmes avoit parlé pour vous et pour la Royne, vostre mère, et avoit faict là dessus une très honneste déclaration, qui m'avoit rendu le plus satisfaict gentilhomme du monde, de quoy pareillement Voz Majestez avoient receu de la satisfaction, et pourtant m'aviez commandé de luy en donner à elle une très entière de laquelle j'espéroys qu'elle se contanteroit; et faudroit aussy qu'après qu'elle auroit cognu que trop tost elle s'estoit esmeue contre Voz Majestez, qu'elle s'efforçât de vous donner de sa part quelque contantement.

La dicte Dame, avec un peu de colleur qui luy est montée au visage, m'a soubdain respondu que ce que je venois de luy dire luy faisoit craindre que, possible, j'auroys adjouxté une nouvelle faulte à celle de milord de North, de vous avoyr représanté trop plus aigres les choses qu'elles n'estoient.

Je luy ay réplicqué que, si j'avoys erré, ce n'avoit esté que pour n'errer pas en une matière de si grande importance comme ceste cy, de ne laysser ulcérer son cueur de chose qui procédât de Voz Très Chrestiennes Majestez, ni pareillement les vostres de chose qui procédât d'elle, et qu'elle verroit, par le contenu de ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre, que je n'avoys, de mon costé, rien gasté. Et luy ayant là dessus faict lecture de vostre lettre, elle a curieusement noté les particullaritez, qui y estoient, de l'honneste faveur et des advantages qu'aviez faict au dict de North, plus qu'à l'ambassadeur du Roy Catholicque, ny à celluy de l'Empereur. Et après avoyr bien comprins le tout, elle m'a dict qu'elle seroit par trop marrye, s'il vous restoit aulcune male satisfaction de chose qu'elle eût dicte; et qu'elle vous suplyoit de considérer qu'elle n'avoit peu fère de moins, sur le rapport que son ambassadeur luy avoit faict, duquel ceulx de son conseil et de sa court estoient participans, que de m'avoyr privéement déclaré ce qu'elle en avoit sur le cueur, non qu'elle se fût dès lors formée nulle mauvayse impression de Voz Majestez, mais pour l'oster à ceulx qui la pouvoient avoyr, et aussy pour ne monstrer qu'elle ne prînt à cueur ce qui touchoit l'honneur et mémoyre du feu Roy, son père; et qu'à ceste heure elle sentoit en son cueur une singullière consolation de voyr, par l'évident tesmoignage de vostre lettre, que vostre intention et celle de la Royne, vostre mère, et voz actions vers elle estoient ainsy nettes et pleynes d'une vraye et droicte amityé comme elle le pouvoit desirer, et comme elle vous prioit bien de croyre que vous trouveriez les siennes vers vous toutes semblables, sans qu'il y eût jamays de manquement; et vous remercyoit, de tout son cueur, du soing qu'aviez eu de luy en mander ceste tant pleyne et entière satisfaction, sur laquelle elle desiroit que voulussiez demeurer ainsy bien persuadez d'elle, qu'il n'y avoit que l'extrême desir qu'elle a tousjours eu de se voyr bien aymée de toutz deux, et le regrect qu'elle avoit qu'elle ne le fût, qui l'avoient ainsy troublée et esmeue de ce fascheux rapport; et que néantmoins elle n'y avoit advancé ung mot ny entendu d'en dire ung autre qui peût tourner à vostre offance, car elle en seroit déplaysante jusques en l'âme, et qu'elle me promettoit bien qu'elle parleroit à bon escient à milord de North; m'ayant la dicte Dame, en toutes ses parolles et démonstrations, fort expressément monstré qu'elle ne vouloit entrer en aulcune mauvayse intelligence avec Voz Majestez Très Chrestiennes, si elle s'en pouvoit garder.

Dont je ne l'ay volue ny presser ny convaincre davantage de ce qui estoit advenu, et sommes passez à ce que Vostre Majesté trouvera déduict en la lettre que j'escriptz à la Royne. Et puis, je l'ay ainsy remercyé de l'offre qu'elle vous avoit faicte de s'employer à la paciffication de vostre royaulme, comme me le commandiez par le postscripta de vostre dernière lettre. Sur quoy elle m'a respondu ce que je vous supplye très humblement de vouloyr ouyr du Sr de Vassal, et vouloir bénignement entendre à la très humble requeste qu'il continuera de vous fère pour moy, à ce qu'il vous playse, et pour l'importance de vostre service, et pour mon indisposition et nécessité, accélérer le congé qu'il vous a desjà pleu m'octroyer. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour de febvrier 1575.

A la Royne

Madame, après avoyr faict lecture à la Royne d'Angleterre de la lettre du Roy, vostre filz, du XXIIIIe du passé, et après m'avoyr, elle, dict avec sa grande satisfaction qu'elle se sentoit fort atenue à luy de ce bon office qu'il faisoit entre Vostre Majesté, qui estiez sa mère; et elle qui estoit sa seur, et qui vous respondoit à fille, elle m'a prié de luy vouloir librement dire qu'est ce que Vostre Majesté particullièrement m'en mandoit.

Je luy ay respondu que, de tant que j'avoys addressé le récit du tout au Roy, vostre filz, que vous luy aviez layssé fère toute la responce, et que me commandiez d'en parler seullement sellon le contenu de sa lettre.

Elle m'a réplicqué que cella seroit ung argument, ou que vous seriez malcontante, ou que ne vous souciez pas beaucoup qu'elle le fût, et qu'elle se trouvoit bien empeschée que vous debvoir mander sur ce que le Roy luy faysoit dire, si je ne luy disoys aussy quelque chose de vostre part; et m'a, de rechef, fort conjuré que je ne luy voulusse rien dissimuler de ce que m'en escripviez.

J'ay tiré lors vostre lettre de ma pochète, et, après avoyr pryé la dicte Dame, si, d'avanture, elle y trouvoit quelque marque de vostre courroux, qu'elle voulût considérer que c'estoit l'offance que milord de North vous avoit trop indiscrètement faicte, et celle que depuis, elle mesmes, pour y avoyr trop tost creu, y avoit adjouxtée, qui vous avoient touché le cueur de deux justes dolleurs, desquelles vous demandiez avec rayson d'estre maintenant satisfaicte; dont failloit qu'elle prînt de bonne part tout ce qu'elle y verroit. Et la luy ayant ainsy tout franchement présentée, elle l'a incontinent et bien fort curieusement toute leue jusques à la fin, ensemble l'addition qui estoit au bas. Puis m'a dict qu'elle n'y trouvoit rien qui ne fût en termes très honnorables, et desquels elle ne vouloit fallir de vous en rendre le plus exprès grand mercys qu'elle pouvoit, et qu'elle voyoit bien que la lettre du Roy et la vostre non seulement luy rendoient ung très certain tesmoignage de la grande sincérité de toutz deux vers elle, mais encores du grand soing que l'ung et l'aultre aviez qu'elle demeurât bien esclarcye de tout ce qui y pourroit fère survenir du doubte; et qu'elle ne se souvenoit pas bien si milord de North, en luy faysant le compte du feu Roy Henry, son père, luy avoit aussy parlé du feu grand Roy Françoys, mais que ce n'estoit pas aulmoins à elle, à qui il avoit mal interprété le faict des deux neynes, car ne luy eût layssé passer, ayant entendu qu'elles estoient fort jolyes et bien fort proprement habillées, et qu'elle eût desiré de les pouvoir voyr, et seroit chose qu'elle accepteroit, de bon cueur, s'il vous playsoit luy en fère présant d'une;

Et que, de l'article de Mr de Guyse elle avoit ouy dire jusques aujourdhuy que la coustume de France en estoit aultre, mais, comment que ce fût, si je n'avoys sur ce qu'elle m'avoit dict icy, ny son ambassadeur sur ce qu'elle luy avoit escript par dellà, bien représanté au Roy, et à Vostre Majesté, l'obligation qu'elle recognoissoit vous avoyr à toutz deux, pour la faveur et bon traictement qu'avez faict au dict de North, que de nouveau elle vous en remercyoit le plus grandement et du meilleur cueur qu'il luy estoit possible; et que, de toute la faulte qui pouvoit estre advenue, depuis son retour, elle s'en prendroit, ainsy qu'elle debvoit, entyèrement à luy; et que, pour vostre satisfaction, elle vous prioit, Madame, de demeurer très fermement persuadée qu'elle n'avoit entendu ny entendoit avoyr dict, sinon qu'elle ne pouvoit estimer que fussiez si mal honnorable princesse que d'avoyr voulu mal honnorablement parler d'ung si honnorable prince comme estoit le feu Roy, son père; et que c'estoit le moins qu'elle avoit peu ny deu dire, pour l'honneur de son dict père, à celle qu'elle honnoroit comme sa mère, et de laquelle elle desiroit estre plus singullièrement aymée et bien volue que de princesse de tout le monde.

Et m'ayant fort prié de mesnager ainsy ce propos qu'il n'en peût rester rien d'offance en vostre cueur, comme il n'en restoit ung seul brin dans le sien, et après m'avoyr encores quelque temps entretenu d'aulcunes aultres choses, dont le Sr de Vassal vous rendra compte, elle m'a fort gracieusement licencyé. Et semble bien, Madame, que la grande expression, dont elle m'a uzé sur la déclaration du propos qu'elle avoit tenu de Vostre Majesté, monstre assés qu'elle ne se veut aulcunement despartyr, si elle peut, de celle privée amityé et honneste entretien dont avez de loing uzé l'une avec l'aultre. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour de febvrier 1575.

CCCCXXXVIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Excuse pour le retard apporté à la communication du mariage du roi.—Méfiance inspirée à Élisabeth par l'alliance du roi à la maison de Lorraine.—Desir qu'elle témoigne de recourir à des alliances hostiles à la France.—Remontrances de l'ambassadeur.—Assurance que le roi veut renouveler solennellement le traité de la ligue.—Plaintes à l'occasion de réjouissances faites à Londres par les réfugiés pour célébrer une victoire remportée par le maréchal de Danville.

Au Roy.

Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne peût penser que ne luy eussiez voulu communicquer le propos de vostre mariage, sinon après l'évènement, je luy ay dict que ce n'estoit nullement par vostre coulpe, ny de la Royne, vostre mère, mais par la négligence des courriers, qu'elle recepvoit maintenant beaucoup plus tard ceste nouvelle que Voz Très Chrestiennes Majestez ne l'eussent voulu, et qu'il n'estoit raysonnable qu'on la luy deût tant différer. De quoy elle ne vous en debvoit rien imputer, car n'aviez plus tost esté vaincu des sages persuasions et remonstrances de la Royne, vostre mère, à vous debvoir maryer, affin d'avoyr bientost lignée; et aulmoins n'aviez vous prins plus tost la résolution de le fère qu'incontinent, et devant le mander à nul aultre prince de la Chrestienté, Vostre Majesté m'avoit escript, estant encores en chemin, sur le retour d'Avignon, et deux journées devant qu'arriver à Reims, que je ne faillisse de le notiffier à la dicte Dame; et que, pour la grande et très bonne opinyon que vous aviez de la fille aynée de Mr de Vaudémont, de la mayson de Lorrayne, princesse en toutes sortes bien née et de très illustre extraction, appartenant aulx plus grands princes de la Chrestienté, vous aviez bien voulu tant defférer à vostre propre jugement et à celluy de la Royne, vostre mère, qui l'aviez, l'ung et l'aultre, assez souvant veue et aviez soigneusement, et à loysir, considéré la personne et les belles et excellantes qualitez que Dieu avoit mis en elle, que de la préférer à toute aultre grandeur de party. De quoy vous espériez que la dicte Royne d'Angleterre, pour le debvoir de sa bonne et sincère amityé vers vous, prendroit en elle mesmes ung double plésir de ce bien heureux mariage: premièrement, pour le contantement que vous vous en promettiez; et puis, pour les successeurs qu'elle vous verroit bientost naystre, qui, de père en filz, et d'ayeul en petit filz, continueroient de luy estre, à elle, bons alliez et parantz, et tousjours très bons confédérés de sa couronne.

A quoy la dicte Dame m'a soubdain respondu qu'il y avoit desjà plusieurs jours qu'elle avoit eu, et, possible, plus tost que moy, quelque sentiment de ce propos, sur lequel l'on luy avoit donné de bien diverses interprétations, dont les aulcunes estoient bien fort subtilles, de l'occasion qui avoit meu la Royne, vostre mère, de se pourchasser une telle belle fille; et les aultres estoient des dellibérations que, en faveur de la Royne Très Chrestienne à présent vostre femme, vous entreprendriez d'exécuter ez isles de deçà, pour la restitution de la Royne d'Escosse, sa parante; et que néantmoins, tout ainsy qu'elle ne debvoit nullement, aussy ne vouloit elle parler sinon bien fort honnorablement de l'élection qu'il vous avoit pleu fère en cella, et la louer et approuver de tout son pouvoir, et vous remercyer infinyement, comme elle faisoit, de la communicquation que luy en aviez faicte; et que, pour le regard des deux poinctz que je luy avoys touché, de vostre contantement et de la postérité qu'espériez bientost de ce mariage, que nul, soubz le ciel, en sentoit plus de playsir qu'elle, ny nul vous y souhaytoit plus de faveur et de bénédiction de Dieu, ny nul d'entre toutz voz alliez s'en conjouyroit jamays plus cordiallement, qu'elle faysoit, avec Vostre Majesté; bien me vouloit dire tout franchement, et sans dissimulation aulcune, qu'encor que toutes les plus excellantes et plus desirables perfections, qui se puissent souhayter en une grande Royne, soyent entièrement, et, possible, plus habondamment en la Royne Très Chrestienne qu'en nulle aultre princesse qui vive aujourdhuy au monde, sellon que vous ne l'eussiez aultrement choysie, si desireroit elle, de bon cueur, que vostre élection eust esté d'une aultre mayson, à elle moins ennemye que celle de Lorrayne, et non tant prochayne parante comme elle est de Messieurs de Guyse, lesquels avoient tousjours faict expresse profession de vous pousser, et les feux Roys, voz prédécesseurs, à la guerre contre elle et contre son royaulme; et que aulcuns personnages de bon sens luy avoyent, par de bien sages et bien vraysemblables considérations, évidemment monstré que ce mariage luy debvoit estre à elle très suspect, comme estant ung article du testament de feu Mr le cardinal de Lorrayne, où il ne l'avoit nullement nommée pour l'ung de ses exécuteurs; et qu'ilz la conseilloient que, tout ainsy que vous aviez faict ceste alliance, sans aulcun esgard à elle ny à son estat, qu'ainsy en pouvoit et debvoit elle fère maintenant, sans aulcun respect ny à vous ny au vostre.

A quoy je luy ay réplicqué que je l'estimois princesse de trop bon jugement pour croyre que nulle autre considération au monde vous eût meu, en cest endroict, que la seule persuasion de la Royne, vostre mère, et le beau et très desirable object de la Royne, vostre femme; et que, de tant plus debvoit elle trouver bon ce party que, en le prenant, vous vous estiez si bien senty et appuyé de l'amityé qu'elle vous avoit promise, que vous n'aviez tant regardé à une alliance forte et puissante comme à la fère très honneste et très honnorable; et que, auparavant aussy bien qu'à ceste heure, les troys maysons, de Lorrayne, de Vaudémont et de Guyse, estoient entièrement à vostre dévotion, dont n'estoit depuis advenu chose aulcune de nouveau, d'où elle se deût donner aulcun souspeçon; et qu'il avoit pleu à Dieu joindre, de longtemps, de si bonnes et naturelles forces à vostre couronne que vous n'aviez poinct besoing d'en aller mendier d'autres par vostre mariage; et ne pensois fère tort à nulle aultre grandeur de dire cella de la vostre, que tousjours les Roys de France avoient plus esté appuy et reffuge aulx aultres princes de la Chrestienté qu'ilz ne s'estoient appuyez ny fortiffiez d'eux; et quand à fère, elle, de son costé, sans aulcun respect de Vostre Majesté, quelque aultre alliance pour elle, que, si c'estoit par mariage, vous le luy desireriez tousjours très honnorable et plein de très heureux contantement, mais si c'estoit par ligue ou confédération, que j'espéroys que bientost vous envoyeriez renouveller et confirmer si estroictement celle que vous aviez avec elle, que je m'assurois qu'elle ne voudroit, comme elle ne sçauroit aussy, jamays en desirer de meilleure; et que j'ozois jurer que ceulx, qui avoient ainsy interprêté vostre mariage pour dangereux à elle et à ses affères, n'estoient non plus vrays et purs angloix qu'ilz se monstroient très maulvays françoys.

Elle m'a respondu que voyrement estoient ce des partisans espaignols, qui avoient parlé à elle là dessus, lesquelz ne jugeoient ce qui estoit advenu de vostre mariage estre moins suspect au Roy d'Espaigne qu'ilz le remonstroient très suspect à elle; en quoy, possible, ilz passoyent vers toutz deux trop plus avant qu'ilz ne debvoient; et qu'elle, pour son regard, se reposeroit, pour ceste heure, sur ce que je luy venois de dire de vostre part, attandant que Vostre Majesté accomplyst par euvre ce que je luy avoys déduict de parolle.

Et m'estant là dessus plainct à elle des démonstrations et conjouyssances publicques que les ministres de l'églyse françoyse de Londres avoyent ozé fère d'une victoyre qu'ilz ont publyé que Mr Dampville avoit gaignée en Languedoc, où il avoit deffaict toutes les forces de pied et cheval que Vostre Majesté avoit au dict pays, et tué le général et emmeyné l'artillerye, elle m'a dict que c'estoit chose dont ilz ne luy avoient pas demandé congé de la fère, et qu'elle ne la trouvoit nullement bonne; et que, puisque je m'en pleignoys, elle leur en feroit fère une si bonne réprimande que, s'ilz ne se monstroient, dorsenavant, plus modérez, elle les chasseroit de son royaulme.

Et ayant ainsy layssé la dicte Dame bien contante, je me suys pour ceste foys retiré. Et sur ce, etc.

Ce VIIe jour de mars 1575.

CCCCXXXVIIIe DÉPESCHE

—du XIe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Désignation de Mr de La Châtre pour passer en Angleterre, afin de renouveler le traité d'alliance.—Refus du commandeur de Castille d'accepter le secours proposé par Élisabeth au roi d'Espagne contre les Turcs; demande que ce secours soit employé pour la guerre de Hollande.—Dispositions d'Élisabeth à l'égard de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, j'espère que la venue de Mr de La Chastre confirmera grandement ceste princesse vers Vostre Majesté, et la gardera d'obtempérer en beaucoup de choses aulx tant instantes persuasions et vifves poursuytes que luy renouvellent, à toute heure, ceulx qui s'efforcent de la bander contre voz affères. Je luy ay desjà bien fort loué ceste vostre élection comme très digne, et en toutes sortes très bien faicte, sans rien obmettre des honnestes et bien fort bonne qualitez de luy, qui espère qu'elle le recepvra avec toute faveur; et je mettray encores peyne que, d'elle et des siens, sa légation soit la plus honnorée, et qu'il en reviegne le plus d'utillité pour vostre service qu'il me sera possible. Cella est bien à propos qu'il sera icy plus tost que le conseiller de Flandres ny Me Wilson y arryvent, lesquelz, à ce que j'entendz, apportent beaucoup d'ouvertures pour remettre les anciennes entrecours et toutes aultres choses d'entre ces deux pays en plus estroicte intelligence que jamays.

Je ne sçay toutefoys à quel prétexte ceulx cy pourront, à ceste heure, poursuyvre davantage leur armement et appareil de mer, veu que le commandeur de Castille a renvoyé le cappitayne, qui luy en estoit allé apporter l'offre, avec une responce laquelle ne satisfaict ceste princesse et encores moins ceulx de son conseil: car, en la remercyant de sa bonne volonté et de la bonne et prompte disposition de ses subjectz vers le Roy, son Mestre, et la priant et eulx d'y vouloir persévérer, il s'excuse que, de tant que l'offre est faicte pour la mer du Levant contre le Turc, où il n'a nulle charge, qu'il ne la peut accepter, mais qu'il la fera entendre au dict Roy, son Mestre, le plus tot qu'il luy sera possible, en quoy y pourra avoyr de la longueur, à cause que les chemins sont, à présent, interrompus en France; mais que, si c'estoit pour servir en la guerre des Pays Bas contre le prince d'Orange, qu'il l'accepteroit incontinent, et appoincteroit très bien les cappitaynes et soldatz et marinyers et vaysseaulx angloix, qui viendroient à ceste entreprinse, laquelle seroit trop plus agréable au Roy, son Mestre, et non moins honnorable et utille à la dicte Dame et aulx siens que si c'estoit contre le Turc. Sur laquelle responce j'entendz qu'elle et ceulx de son dict conseil se trouvent fort empeschez quelle dellibération y prendre; et néantmoins leur appareil va tousjours en avant.

Les deniers qui ont demeuré quelque temps ainsy dépositez, comme je vous ay mandé, devers ung marchand de ceste ville ont esté, depuis deux jours, apportez chez le grand trézoryer, montantz trente mille escus, en angelotz; je ne sçay encores quel chemin ilz prendront. J'entendz qu'on prépare une dépesche, icy, pour renvoyer Me Quillegreu en Escosse, et qu'il y doibt apporter ung duplicata de celle que les ministres ont esté plusieurs foys assemblez pour la dresser, de laquelle ne se peult encores avoyr aulcune notice quelz chapitres elle contient.

J'ay eu ces jours passez à présenter à ceste princesse, de la part de la Royne d'Escosse, sa cousine, nonobstant la jalouzie que, sur vostre mariage, elle a nouvellement reprins d'elle, troys petites coyfures de nuict, ouvrées de sa main, avec une lettre fort gracieuse et aulcuns propos qu'elle m'a escript, à part, pour luy dire; qui n'a esté sans qu'il y ayt eu de la difficulté et de la contradiction beaucoup, car, après m'avoyr ouy et avoyr uzé de quelque excuse tout haut de ne les pouvoir accepter, elle m'a dict que je seroys trop esbahy, si je sçavoys ce qu'on avoit composé sur les aultres petitz présantz qu'elle avoit desjà receus d'elle par mes mains, et sur ce qu'elle avoit dellibéré de luy en envoyer ung de sa part, comme si desjà la Royne d'Escosse avoit tiré promesse d'elle qu'elle entreprendroit de la restituer par force, et qu'elles en baillassent ainsy de mutuels gages l'une de l'aultre; de quoy, encor qu'il n'en soit rien, l'on n'avoit layssé de luy en escripre des lettres bien expresses d'Escosse et qu'elle estoit en peyne comme en debvoir uzer.

Je luy ay réplicqué que ceulx qui luy escripvoient ainsy sellon leur naturel barbare et meschant, ne sçavoient considérer qu'elle estoit bonne et vertueuse et d'ung cueur si généreulx et royal qu'elle ne pouvoit avoyr à mespris une aultre Royne et princesse, sa parante, en quelle fortune qu'elle se trouvât, ny dédaigner les petitz ouvrages qu'elle luy avoit faictz de sa main, vrays tesmoings de sa sincère affection vers elle, qui n'en pouvoit estre offert de nulles meilleures mains qu'ilz partoient ny receus de meilleures qu'ilz alloient; et que les détracteurs de cella méritoyent tout le mal qu'ilz creignoient leur en advenir et beaucoup davantage, sellon leurs démérites.

A quoy elle m'a dict que, véritablement, ilz parloient sellon eulx, mais qu'elle ne lairroit de fère sellon elle, et qu'elle acceptoit doncques son présent; mais me prioit de ramantevoyr à la Royne d'Escosse qu'elle avoit quelques ans plus qu'elle, et que celles qui advancoient en l'âge, volontiers prenoient à deux mains, et ne donnoient que d'ung doigt. Et ainsy je l'ay layssée assés bien disposée vers sa cousine. Et sur ce, etc.

Ce XIe jour de mars 1575.

CCCCXXXIXe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)

Navires envoyés d'Angleterre pour recevoir Mr de La Châtre.—Méfiances inspirées à la reine contre sa légation.—Rapprochement entre Élisabeth et le roi d'Espagne.—Continuation des armemens.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, j'ay reçeu, le XIIe de ce moys, environ les quatre heures après midy, la dépesche de Vostre Majesté du XXVIIe du passé et celle du IIe d'estui cy, toutes deux, à la foys; et incontinent j'ay envoyé demander en ceste court ung des navyres de guerre de la Royne d'Angleterre pour aller prendre Mr de La Chastre à Bouloigne, affin de le passer plus seurement, et qu'il ne prînt mal sur la mer en venant par deçà. Dont l'on m'a libérallement accordé d'y envoyer deux vaysseaulx passagers de Douvre, les mieulx équippez, sellon le temps et la haste, que fère se pourra: de quoy je fay présentement un mot de lettre au dict Sr de La Chastre affin qu'il temporise ung peu au dict lieu de Bouloigne, attandant les deux vayssaulx, sans se commettre à la discrétion de tant de pirates qui se tiennent ordinayrement en ce destroict. Et sur ce, je vous diray, Sire, qu'il n'a esté plus tost sceu, icy, que Vostre Majesté y dépeschoyt Mr de La Chastre qu'incontinent ceulx qui se veulent formaliser contre voz affères n'aient couru à la court, pour réfroydir ceste princesse et ceulx de son conseil de la bonne réception qu'ilz préparoyent de luy fère; et m'a l'on adverty qu'on y a faict de très maulvays offices contre luy, et qu'on n'a bien parlé de luy. Je remédieray à cella, le mieulx qu'il me sera possible, et, pour le moins, je m'efforceray d'honnorer, autant que je pourray, et luy et la commission, qu'il porte, de Vostre Majesté, et de fère qu'il vous rapporte le plus de satisfaction qui se pourra tirer, de la dicte Dame et des siens, sur les choses qu'il aura à leur dire et proposer de vostre part.

Il est certain que le conseiller de Bruxelles vient en la compagnye de Me Wilson, et dict on que c'est pour résider, à bon escient, ambassadeur, icy, pour le Roy d'Espaigne; ce qu'estant recherché de luy, avec la soubmission qu'il promet de fère prester par les bannys angloix à la dicte Dame, elle se laysse tirer assés de son costé, et s'esloigne d'autant du vostre; et mesmes qu'on luy faict, ainsy que j'en suys bien adverty, avoyr non moins suspect vostre mariage que s'il estoit directement contre tout ce qu'elle pouvoit espérer de paix et d'amityé de Vostre Majesté. L'on ne poursuyt plus, soubz celle colleur de donner secours au dict Roy d'Espaigne contre le Turc, cest armement qu'on avoit commancé, icy, depuis que le grand commandeur a mandé sa response, mais l'on le continue avec aultre tiltre, d'entreprendre un voïage au Cathay, ce qui ne m'est moins suspect que le précédant; dont j'y auray l'œil le plus ouvert qu'il me sera possible.

Me Quillegreu est desjà tout prest pour aller en Escosse avec une dépesche de ce conseil, et bonne somme de deniers qu'il emporte avecques luy. Je ne puis encores descouvrir à quel effect ce peut estre. Il y apporte aussy une de ces quatre dépesches, que je vous ay desjà escript que les ministres ont avec grande curiosité et dilligence dressées: et me tarde beaucoup que le gentilhomme, qu'avez ordonné pour aller résider ambassadeur par dellà, y soit arryvé; car aultrement je crains bien fort qu'il ne s'y face quelque préjudice à l'ancienne alliance qu'avez avec la couronne d'Escosse. Et sur ce, etc.

Ce XIVe jour de mars 1575.

CCCCXLe DÉPESCHE

—du XXe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Efforts de l'ambassadeur pour dissiper les méfiances de la reine d'Angleterre.—Délibération des seigneurs du conseil sur les affaires d'Irlande.

Au Roy.

Sire, j'ay pourveu le mieulx qu'il m'a esté possible à ce que le réfroydissement, où l'on avoit voulu mettre ceste princesse et ceulx de son conseil vers la venue de Mr de La Chastre, n'ayt poinct duré, et m'a l'on desjà promis que le dict sieur sera bien et favorablement receu. Je l'attandz à demain ou après demain, car il y a desjà six jours que je luy ay redépesché son homme, avec l'ordonnance de prendre deux vaysseaulx équippez en guerre à Douvre pour son passage; mais, de tant plus qu'on le sent approcher, plus l'on s'efforce de presser, en ceste court, les instances et sollicitations qui peuvent estre contrayres à sa légation, et ne puis encores bien juger ce qui en réuscyra.

Il est vray que, sellon qu'une chose qui est maintenant en dellibération dans ce conseil se déterminera, l'on pourra lors cognoistre si ceste princesse voudra proprement entendre à l'establissement de ses affères dans ses pays, ou bien si elle continuera de s'embrouyller aulx guerres et troubles de ses voysins; car le comte d'Essex luy a dépesché, d'Irlande, ung sien gentilhomme pour luy venir remonstrer qu'il a descouvert, en poursuyvant la guerre par dellà, des moyens propres pour y establyr l'authorité d'elle, qui sont beaucoup meilleurs et trop plus certains que ceulx qu'on y a tenus jusques icy, mais qu'il a besoing, à ce commancement, de plus grande provision de deniers et de plus grand nombre d'hommes qu'on ne luy a encores ordonné, affin de mettre la chose promptement et bien à entière exécution. Ce que ayant, en l'assemblée de plusieurs de ce dict conseil, esté fort vifvement débatu, la dicte Dame n'a obmis de leur mettre devant les yeulx que, par plusieurs foys et en maintes façons, ceste entreprinse d'Irlande avoit esté, avec de grands frays, mais tousjours en vain, diversement tantée; et qu'ilz examinassent, à ceste heure, de bien près, si ce que le comte d'Essex mettoit en avant avoit fondement ou non, et si la despence qu'il demandoit y estre faicte seroit bien employée, ou bien si l'on le révoqueroit par deçà, puisque les choses ne luy avoient ainsy succédé au dict pays comme il l'espéroit, et luy ordonner, icy, des bienfaictz, pour le récompanser des frays et dommages qu'il avoit souffertz en son expédition. Sur quoy j'entendz que les opinyons ont esté contrayres, et mesmes qu'il y en a de bien fort préoccupées, tant pour la jalouzye particullière des conseillers, que pour ce, qu'aulcuns d'eux voudroient bien que, toutes aultres choses délayssées, la dicte Dame entendît, pour ceste heure, au seul secours des Protestantz comme à ceulx dont la victoyre, ainsy qu'ilz disent, luy establiroit entièrement son repos, et luy accommoderoit très bien ses affères, là où, aultrement elle ne pourra, ce leur semble, estre, en l'ung ny en l'autre, jamays bien assurée. Néantmoins il semble que l'advis des plus authorisez tend à l'entreprinse d'Irlande, dont, dans bien peu de jours, se sentira la résolution de l'ung ou de l'autre.

Et quand à ce que j'ay naguyères escript à Vostre Majesté, de la venue du conseiller de Flandres, l'on attand icy, à toute heure, son arryvée. Et, touchant l'armement, il se poursuyt tousjours; mais, quand au voïage de Me Quillegreu en Escosse, il est ung peu suspendu. Nous verrons comme les choses procèderont, et mettrons payne qu'en soyez promptement adverty. Et sur ce, etc.

Ce XXe jour de mars 1575.

CCCCXLIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Retard apporté au passage de Mr de La Châtre.—Nouvelles d'Ecosse.—Assurances de dévouement au roi données au nom des seigneurs écossais.—Recommandation pour les réfugiés de Rouen.

Au Roy.

Sire, les deux vaysseaulx de Douvre, que la Royne d'Angleterre avait faict ordonner pour Mr de La Chastre, ne fallirent de se rendre à Bouloigne, le XVIe de ce moys, pour le passer deçà, mais il jugea qu'ilz n'estoient suffisans ny assez bien équippés pour le saulver devant les pirates qui l'attandoyent pour le piller: dont il renvoya, le lendemain, ung sien gentilhomme, icy, pour obtenir d'aultres vaysseaulx mieulx armez et plus fortz, ou bien quelque meilleur ordre de ceste princesse pour assurer son passage. Sur quoy j'envoyay tout aussytost fère ung mot de remonstrance là dessus à la dicte Dame, et elle, sur l'heure mesmes, manda à milord Cobhan qu'il ne fallît de dépescher son frère, ou quelque aultre gentilhomme de bonne qualité, dellà la mer, avec les meilleurs vaysseaulx et les mieulx équippez qui, en ceste grande haste, se pourroient trouver, affin de conduyre, seurement et sans danger, le dict Sr de La Chastre et sa compagnye par deçà: ce qui a esté incontinent exécuté. Et j'estime que, de présent, toute la troupe ayt passé, et que, au plus tard, ilz arriveront demain en ceste ville, où la dicte Dame s'en vient aussy avec toute sa court pour y solenniser ces Pasques: ce qui fera que le dict Sr de La Chastre aura le moyen d'accomplir plus commodément et plus tost sa commission; et j'espère qu'il vous rapportera tout contantement.

J'ay tant faict que le filz de milord de Sethon, qui est icy, lequel n'est pas l'ayné, comme on me l'avoit dict, ains est le segond, m'est venu trouver fort secrettement et de nuict, affin d'éviter souspeçon; et m'a assuré que son père et les principaulx seigneurs, et mesmes la pluspart de la noblesse d'Escosse, persévèreront constamment vers l'alliance de Vostre Majesté et en l'affection de bons subjectz vers la Royne, leur Mestresse, mais qu'ilz gardent ceste bonne volonté cachée dans leurs cueurs, pour ne l'ozer manifester que au besoing, et lorsqu'ilz verront que les choses seront en estat que, sans danger, ils se pourront déclarer; et que de sa part, il n'estoit venu, icy, sinon pour n'avoyr peu obtenir du comte de Morthon qu'il s'en peût retourner en France, et m'a donné parolle de gentilhomme qu'il vous demeurera tousjours très dévot serviteur. Milord de St Jehan, escossoys, lequel est depuis ung an en ceste ville, m'a faict aussy secrettement remonstrer que, ayant trop plus agréable, pour la malice du temps, d'estre hors de son pays que d'y habiter, et luy manquantz, par la mort et par l'absence des deux Roynes, ses Mestresses, les moyens qu'elles luy avoient donné en leur faysant service, il estoit maintenant en sa viellesse contrainct de chercher nouveau mestre et nouvelle protection; et que, pour la dévotion qu'il avoit tousjours eue en vostre couronne, et les faveurs et grâces que luy et sa nation en avoyent receu par le passé, il ne vouloit fallyr d'offrir sa bonne volonté et son fidelle service à Vostre Majesté, réputant à plus d'honneur la moindre faveur qu'il pourra recepvoir d'ung si grand Roy que tout aultre bien que nul autre prince luy pourroit fère; en quoy j'entendz qu'il desireroit estre advoué pour vostre domestique serviteur, gentilhomme de vostre chambre, ce qui semble bien, Sire, qu'il est personnage pour mériter que daignez le gratiffyer de cella. Et sur ce, etc.

Ce XXIVe jour de mars 1575.

Ceulx de voz subjectz de la nouvelle religyon, qui vivent paysiblement icy, me viennent, tout maintenant, de prier que je rende très humbles grâces à Vostre Majesté pour les lettres qu'il vous a pleu escripre en leur faveur à vostre court du parlement de Roan; mais que, de tant que leurs parantz et procureurs, qu'ilz ont sur les lieux, leur ont mandé que la dicte court n'y veut avoyr esgard, parce que ne sont que lettres closes, qu'ilz supplyent très humblement Vostre Majesté de vouloir, par nouvelles lettres patantes, confirmer la première déclaration et octroy, qu'il vous a pleu leur fère, de ne poinct saysir leurs biens, en se déportant loyaulment vers vostre service. Sur quoy je vous supplye très humblement, Sire, de les fère jouyr de l'effaict de vostre promesse, sellon que ceulx, à qui j'ay donné mes certificatz, ont bon tesmoignage qu'ilz n'ont attempté ny attemptent par armes, par praticques ny par contribution, chose aulcune contre l'obéyssance et fidellité qu'ilz vous doibvent.

CCCCXLIIe DÉPESCHE

—du dernier jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Arrivée de Mr de La Châtre à Londres.—Bonne réception qui lui est faite.—Arrivée de l'ambassadeur du roi d'Espagne.

Au Roy.

Sire, il n'eût esté bien à propos que Mr de La Chastre fût passé la mer plus tost qu'il a faict, car il eût trouvé, ici, des difficultez non petites, lesquelles je n'avoys peu encores vaincre, et de la froideur que je ne pouvoys encores reschauffer; qui eussent, par advanture, desrogé assez à sa réception, et, possible, empesché le meilleur effect de son voyage. Dont je loue Dieu qu'il m'a enfin esté plus octroyé pour luy que je n'eusse ozé demander, car ayant la Royne commandé au frère de milord Coban et aultres gentilshommes anglois de l'aller quérir jusques à Callays, pour le passer deçà, elle l'a depuis faict fort honnorablement recepvoyr à Douvre et à Conturbery, et partout où il a passé, avec le concours de beaucoup de noblesse du pays; et a envoyé le jeune Houdson, son parant, le rencontrer à une journée d'icy, et ses propres barges le prendre à Gravesines pour le porter en ceste ville, où la réception luy a esté faicte encores plus grande et plus honnorable qu'aylleurs. Et luy, avec toute sa troupe, y sont bien logez et fort bien traictez aulx dépens de la dicte Dame, et visitez souvant par les seigneurs et gentilshommes de ceste court, lesquelz nous ont déjà conduictz une foys, avec ordre et cérymonie, vers elle; et elle, avec ordre et magnifficence, l'a fort favorablement receu, et luy a donné une bien bénigne audience, en laquelle elle a monstré qu'elle avoit la légation, et celluy qui la luy portoit, fort agréable. Qui vous puis aussy très certaynement assurer, Sire, que luy, de son costé a commancé, et qu'il poursuyt de l'accomplyr avec beaucoup d'honneur et de dignité, et avec tant de bonne façon qu'il ne s'y peut desirer rien de mieulx, et faict comporter bien modestement sa troupe, de sorte que toute ceste court en demeure bien édiffyée. Dont j'espère qu'avec beaucoup de sa réputation il rapportera beaucoup de contantement de son voïage à Vostre Majesté; et ne me reste qu'un seul escrupulle, c'est la traverse que nous pourra donner l'ambassadeur du Roy d'Espagne, lequel en dilligence est arryvé icy dans bien peu d'heures après que Mr de La Chastre a esté descendu; mais nous n'obmettrons ung seul poinct du soing et dilligence que debvons à vostre service, ainsy que par luy mesmes qui pourra, dans quatre ou cinq jours, s'expédyer d'icy, aurez l'entière relation du tout. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour de mars 1575.

CCCCXLIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour d'apvril 1575.—

(Envoyée exprès par Mr de la Chastre.)

Heureux résultat de la mission de Mr de La Châtre.—Renouvellement de la ligue entre la France et l'Angleterre.—Assurance que la confiance est pleinement rétablie.—Instance pour que Mr de Mauvissière, successeur désigné de l'ambassadeur, se rende sans retard à Londres.

Au Roy.

Sire, la bonne et digne façon de laquelle Mr de La Chastre s'est conduict à fère la visite que luy avez commandé vers ceste princesse, et à luy présenter les lettres de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, (mesmement celles qui estoient escriptes de voz mains, lesquelles, avec l'acte d'acceptation de la ligue, qui a esté trouvé fort bien couché, ont esté de grand moment), et à luy bien explicquer les poinctz de sa créance, et singulièrement à luy ouvrir clèrement la droicte intention de Voz Très Chrestiennes Majestez, et aussy à luy admener de bien vifves raysons pour luy oster tout escrupulle qu'il y ayt aultre chose que toute sincérité, bien esloignée de faintise et de dissimulation, en l'amityé que luy promettez, ont faict que la confirmation de la dicte ligue, pour laquelle principallement l'aviez dépesché par deçà, a heureusement succédé, ainsy que luy mesmes vous en fera le récit, et vous en délivrera l'acte et les lettres, que la dicte Dame vous en escript. Qui me semble, Sire, que les choses en sont venues à si bons termes que de meilleurs ny de plus honnorables, pour ce regard, n'en pourroient estre desirez pour Vostre Majesté. Et j'en loue Dieu de bon cueur, car, avec l'utillité de vostre service, je puis, à ceste heure, plus confidemment supplyer très humblement Vostre Majesté de m'effectuer la promesse de mon congé, sans craindre que le changement d'ambassadeur puisse rien altérer en la négociation de deçà, et commander de rechef à Mr de Mauvissyère de se rendre, icy, le XVe de ce moys, ou au plus tard à la fin d'icelluy, sellon que, par la dépesche du XVIIe du passé, j'ay veu que desjà il en avoit receu vostre commandement. Sur ce, etc.

Ce VIIe jour d'apvril 1575.

CCCCXLIVe DÉPESCHE

—du XVe jour d'apvril 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mousnyer.)

Audience.—Remerciemens de l'ambassadeur pour l'honorable accueil fait à Mr de La Châtre et le renouvellement de la ligue.—Demande d'Élisabeth que le roi prête serment pour la confirmation du traité.—Déclaration des armemens faits à Saint-Malo contre ceux de la Rochelle.—Adhésion de la reine à ces armemens qu'elle juge nécessaires pour réprimer les excès des protestans.—Affaires d'Irlande.—Réclamation de l'ambassadeur au sujet de son traitement.

Au Roy.

Sire, je viens de dire à la Royne d'Angleterre que, quand il n'y eût eu aultre argument que celluy de l'obligation, que je luy avoys, de m'avoyr rendu si heureux qu'avant la fin de ma charge elle eût faict réuscyr très honnorable et pleyne de contantement la première légation que Vostre Majesté luy avoit envoyée, qu'encores n'avoys je, pour ce regard, voullu fallir de luy en venir très humblement bayser les mains, et la remercyer, d'abondant, de ce qu'elle avoit donné à Mr de La Chastre, et aulx gentilshommes françoys de sa compagnye, de quoy rapporter à Vostre Majesté que, en nulle aultre part du monde, ilz eussent peu estre mieulx veus ny plus caressez qu'ilz avoyent esté, icy, ny recepvoir tant d'honnestes gracieusetez qu'ilz avoient faict d'elle, comme d'une des plus vertueuses et courtoises princesses que le monde ayt, ny, possible, aura de longtemps; et que toutz ensemble avions loué Dieu du prompt et franc desir dont elle avoit très volontiers, et de bon cœur, accepté Vostre Majesté en la continuation de la ligue, que le feu Roy, vostre frère, avoit avec elle; et que le dict Sr de La Chastre la pryoit bien de croyre qu'il n'avoit layssé tomber ung seul mot de tant d'honnestes propos qu'elle nous avoit tenus de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de toutz ceulx de vostre couronne, ny de toutes les responces qu'elle nous avoit faicte, ny des honnorables signiffications d'amityé qu'elle nous avoit monstré vous porter, ny encores des aultres tant habondantes et vrayement royalles faveurs que, pour l'honneur de vous, elle luy avoit faictes, et à luy et à sa compagnye, qu'il n'eût soigneusement recueilly le tout pour en pouvoir donner bon compte à Vostre Majesté; et qu'il desiroit que quelque chose de ce qu'il avoit de plus cher au monde, ou mesmes une partye de soy mesmes, se peût convertyr en mercyement qui se trouvât digne de l'obligation qu'elle avoit gaignée sur luy, et aulmoins luy layssoit il par deçà une très dévote affection de luy fère, après Vostre Majesté et ce qu'il debvoit à vostre couronne, plus de service qu'à nul prince ny princesse de la Chrestienté;

Et que les aultres gentilhommes françoys, en leur disant adieu, m'avoient prié, toutz d'une voix, que, en leur nom, je luy voulusse aussy bayser ses royalles mains; et qu'ilz réputeroyent à grand heur que, quelques jours, avec le bon congé de Vostre Majesté, ilz peussent estre employez en chose qui fût pour l'honneur et service d'elle; car ilz n'y espargneroyent ny leurs vies ny leurs personnes; et que, en expécial, Mr de Beauvoys luy rendoit très humbles grâces de ce qu'elle avoit deigné privément l'enquérir de plusieurs particullaritez de Vostre Majesté et fort famylièrement l'en entretenir; et que celle grande faveur, dont une si excellente princesse l'avoit voulu fère digne, luy avoit réaulcé le cueur, pour espérer d'estre quelque chose de meilleur à l'advenir qu'il ne s'estoit encores jamays ozé promettre; et qu'il avoit faict un registre, en soy mesmes, de toutes les vertueuses parolles et honnestes démonstrations de la dicte Dame, et singullièrement de celle très expresse commission qu'elle luy avoit donné pour ne faillir d'en entretenir, bien au long et à loysir, Vostre Majesté.

Lesquelz propos je vous promectz, Sire, que la dicte Dame a eu souveraynement agréables, et, nonobstant la dilligence d'aulcuns, qui s'estoient cependant efforcez d'attiédyr nostre précédante négociation, elle, d'une démonstration de playsir et de contantement, plus que ordinayre, m'a respondu que, quoyqu'on luy eût voulu dire, ny persuader de Vostre Majesté, elle avoit trouvé que, sur le voïage de Mr de La Chastre, aussy bien qu'en aultres choses, j'estoys plus véritable que ceulx qui en avoyent mal rapporté, et qu'elle ne se souvenoit d'estre jamays demeurée plus pleynement satisfaicte de nulle autre négociation qu'elle eût faict en sa vye, que de ceste cy; et que pourtant, si j'avoys jamays rien faict à sa pryère, que je voulusse, à ce coup, avec plus d'expression que jamays, infinyement remercyer Vostre Majesté de sa part, pour l'effect de ceste ambassade, laquelle vous luy aviez faicte fère en termes si honnorables qu'elle ne le sçauroit desirer davantage; et qui estoyent très signifficatifs de la droicte amityé que luy portés; et puis il sembloit que eussiez choysy l'ambassadeur, garny de toutes les qualitez dignes et propres pour l'honnorer beaucoup à elle et donner grand contantement à toutz les siens, et qu'elle avoit desjà envoyé à son ambassadeur par dellà ung pouvoir pour assister à vostre sèrement et requérir une plus ample confirmation; jouxte le XXXIXe article du traité, et la lettre de vostre main, affin de donner perfection à cest affère, duquel, si elle voyoit que les choses se continuassent sellon ce bon commancement, elle vous promettoit bien que vous auriez en elle une très loyalle et perpétuelle confédérée pour tout le temps de sa vye.

Sur quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre Majesté de satisfère premièrement aulx deux premiers poinctz: du sèrement et confirmation, et en fère dellivrer l'acte au dict sieur ambassadeur; mais, quand au troysiesme, de la lettre de vostre main, il vous plerra me l'envoyer pour la dellivrer à la dicte Dame, affin d'avoyr argument de parler bien à elle et de tirer d'elle une bien expresse déclaration là dessus.

J'entendz que la dellibération d'envoyer en Espaigne, et pareillement de dépescher en Escosse, demeurent en quelque suspens jusques après les prochaynes nouvelles qui viendront de France, après le retour de Mr de La Chastre. Cependant j'ay communicqué à la dicte Dame une lettre, que Mr de Boyllé m'a escripte, du XIIe de mars, touchant l'apprest que font ceulx de St Malo pour se revencher contre ceulx de la Rochelle; de quoy elle m'a dict qu'elle ne pourroit désormays prendre meffiance d'aulcun appareil qui se fît en vostre royaulme, et que les injures et larrecins, que font ces réformez, méritoient, à bon escient, qu'on les aille bien réprimer.

Il est survenu en Irlande une grande altération entre le comte d'Essex et Me Finguillien, présidant au dict pays, pour rayson de quoy l'ung et l'aultre ont dépesché en ceste court; et le conseil s'en est assemblé, par troys foys, devant la dicte Dame, laquelle, nonobstant qu'elle porte grand faveur au dict d'Essex, qui a espousé une sienne fort proche parante, si entendz je qu'elle ne l'a voulu supporter, et m'a l'on dict qu'il est révoqué de sa charge. Et sur ce, etc. Ce XVe jour d'apvril 1575.

J'entendz que Mr le trésorier de l'espargne me veut roigner la moictyé du présent quartier, où nous sommes, de l'estat d'ambassadeur, bien que méshuy je ne pourray arryver vers Vostre Majesté, non que me conduyre en ma mayzon, que ne soyons à la fin du dict quartier. Dont vous supplye très humblement, Sire, luy commander de ne m'y fère de diminution, car le tout me faict bien besoing pour sortir d'icy.

CCCCXLVe DÉPESCHE

—du XXIe jour d'apvril 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olyvier Champernon.)

Emprunts et armemens faits par Élisabeth.—Confiance de l'ambassadeur qu'elle n'a aucun projet hostile contre la France.—Nouvelles d'Écosse.—État de la négociation de la paix dans les Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, je n'apperçoy encores, pour aulcun semblant de ceste princesse, qu'elle vueille, en l'endroict de Vostre Majesté, ny du présent estat de voz affères, suyvre aultre dellibération que celle bonne qu'elle nous a déclarée, quand Mr de La Chastre estoit icy. Et, bien que ceulx, à qui cella ne peut playre, n'obmettent aulcune dilligence pour l'en cuyder divertyr, si espérè je qu'avec les gracieulx termes, dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aurez desjà gratiffié à son ambassadeur les honnorables démonstrations qu'elle a uzé en la confirmation de la ligue, nous pourrons fère qu'elle se tiendra assez ferme contre les menées et instigations des poursuyvans; en quoy je ne faudray, à la première dépesche qui me viendra de Vostre Majesté, de l'aller encores, de plus en plus, confirmer en son bon propos. Il m'est bien venu, Sire, d'ung mesmes lieu, et en une mesme heure, deux et troys advis pour me fère assés doubter d'elle: l'ung est, qu'après une assemblée de son conseil, à laquelle ont concouru les ministres et aulcuns des plus apparantz suppostz de ceulx de la nouvelle religyon, la dicte Dame a soubdain mis sus ung emprunt de soixante mille livres esterlin, la moytié sur ceste ville de Londres, un sixiesme sur le clergé et les aultres deux sixiesmes sur le commun du royaulme; qui sont deux centz mille escus en tout à estre payez, le plus tost que fère se pourra, par ses lettres qu'ilz appellent Privez Selz, lesquelz l'on dépesche en grand dilligence. Et l'autre advis porte que, en mesme temps, Mr de Méru a eu à dire à quelque personnage de ceste court, que, ayant chascung de ses deux frères bien pourveu, là où ilz sont, à leur faict, et que n'ayant luy moins heureusement négocié, icy, de sa part, il dellibéroit de s'en retourner, à ceste heure, en Allemaigne, puisque Mr de Turenne s'estoit desjà déclaré, affin de haster Mr le Prince de Condé aulx entreprinses qu'il a entre mains. Et le troysiesme advis est qu'on poursuyt, en ceste court, plus chaudement qu'on n'a encores faict, une description de cappitaynes et de soldatz, et ung apprest de navyres de guerre; ce que aulcuns veulent interpréter que tout cella se faict en faveur des eslevez de vostre royaulme.

De quoy, pour l'instabilité des Angloix et l'extrême passion qu'ilz ont à leur religyon, et la peur qui les tient tousjours, de laquelle ilz ne se peuvent jamays deffère, du faict de la Royne d'Escosse, je ne me veulx trop persuader qu'il n'eu puisse estre quelque chose. Mais je mezure bien aussy que tout cest appareil n'excède de guyères ce qui faict besoing à la dicte Dame pour son entreprinse d'Irlande, à laquelle elle est comme engagée, et faut qu'elle y pourvoye promptement pour ne rien perdre de la sayson de l'esté; car les aultres troys saysons de l'an sont inutiles à la guerre de delà. Et puis je veulx présumer qu'elle ne voudra si tost aller contre ce qu'elle vient tout freschement de vous promettre par la susdite confirmation de la ligue. Et, au pis aller, il faudra avoyr l'œil bien ouvert sur ce qu'elle entreprendra, affin que rien ne s'en puisse addresser contre Vostre Majesté que n'en soyez auparavant apperceu. Et, pour le présent, je vous, diray, Sire, qu'il y a, à la vérité, deux navyres, de la dicte Dame dehors, lesquelz sont allez convoyer la flotte de Hembourg, et il s'en appreste quatre aultres, et puis il en doibt sortir promptement six des particulliers. Et j'entends que, en Ollande, l'on prépare à furie d'en mettre quelque nombre dehors; en quoy je crains bien que l'ambassadeur d'Angleterre, par le courrier qui est arryvé, icy, le XVIe de ce moys, ayt escript que Vostre Majesté a une secrette dellibération d'aller promptement assiéger par mer et par terre la Rochelle, et qu'il ayt donné une grande allarme de l'armement de Bretaigne. Dont, à toutes advantures, il sera bon, Sire, que faciez promptement advertyr voz cappitaynes, qui sont sur mer, et pareillement les gouverneurs, du long de la coste de deçà, qu'ilz se donnent garde de ces deux appareils de Ollande et d'icy.

L'on m'a dict aussy que la dicte Dame a eu des lettres d'ung sien serviteur secret, qui est en Escosse, lequel la mect en peyne des choses de dellà comme si la part françoyse y estoit plus relevée que jamays, et que le comte de Morthon soit pour s'y laysser ramener; ce que j'estime luy avoyr esté escript à poste par la praticque d'aulcuns d'auprès d'elle. Tant y a qu'elle a faict une prompte dépesche à Barwyc, par laquelle elle mande qu'on en examine bien le faict, affin d'envoyer, puis après, Me Quillegreu par dellà, s'il est cognu qu'il en soit besoing.

L'ung des principaulx entreméteurs de la paix des Pays Bas a escript à ung sien amy, en ceste ville, et j'ay veu la lettre, que, encor que les choses semblent estre accrochées à des difficultez non petites, et mesmement au poinct de la religyon, et à la tenue des Estatz, et à fère sortyr les estrangers hors du pays, si voyoit il néantmoins qu'on en viendroit, à la fin, en accord. Et semble bien à ceulx cy que la nouvelle qu'ilz ont: comme l'Empereur s'en va conclurre le mariage du roy de Hongrye, son filz ayné, avec la fille du duc de Saxe, facilitera davantage le dict accord, et baillera ung grand moyen au dict roy de Hongrye de parvenir à l'élection du roy des Romains. Et sur ce, etc. Ce XXe jour d'apvril 1575.

CCCCXLVIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour d'apvril 1575.—

(Envoyée jusques à Calais par le secrétère du président de Toulouze.)

État de la négociation de la paix en France.—Assurance que les préparatifs faits en Angleterre sont dirigés contre l'Irlande.—Conférence de l'ambassadeur avec l'envoyé du roi d'Espagne.

Au Roy.

Sire, à l'occasion du retour du Sr de Vassal et de la dépesche qu'il m'a apportée, de Vostre Majesté, du XIIIe de ce moys, j'ay estimé qu'il estoit expédient d'informer ung peu mieulx ceste princesse et les siens de voz nouvelles et de l'estat des choses de dellà, qu'il ne sembloit que leur ambassadeur les leur eût ainsy proprement escript comme elles sont: car ilz tenoient entre eulx que le traicté de paciffication en vostre royaulme ne prenoit aulcun bon commancement; et que Mr de Beauvoys La Nocle, qui estoit venu, jusques bien près de Paris, pour vous apporter les articles de la demande des eslevez, ayant eu advertissement qu'on luy vouloit fère ung très maulvais tour, s'en estoit fouy en la plus grande haste qu'il avoit peu, et qu'encor qu'on s'efforçât de traicter avec les aultres depputez, et que l'on en corrompît quelques ungs, que néantmoins tout ce qu'ilz feroient n'auroit point d'aucthorité, et qu'il estoit tout apparant que, sans la liberté des deux mareschaulx et sans le consantement des aultres troys frères de Montmorency, l'accord ne succèderoit jamays; que cepandant la guerre continuoit tousjours, et qu'en la Guyenne au comte Martinengue avoit esté deffaictes quatre ou cinq compagnies d'arquebuziers, et luy contrainct se saulver dans ung prochain fort; et que Vous, Sire, sentiez plus et estiez beaucoup plus fasché que Mr de Turène eût prins les armes que de tout ce que Mr de Dampville, son oncle, avoit faict jusques icy; et que ceulx de la Rochelle avoient gaigné une victoyre sur mer contre les Bretons; que Vostre Majesté se trouvoit en une extrême nécessité d'argent, et que mesme la Royne Veufve, par faulte que ne luy en pouviez bailler, demeuroit d'aller voyr sa fille jusques à Bloys, avec d'aultres particullaritez qui n'estoient à l'advantage de voz affères.

A quoy, par le contenu de ce qu'il vous avoit pleu m'escripre, et de ce que le dict Sr de Vassal m'avoit rapporté de parolle, il y a esté satisfaict le mieulx que j'ay peu, de sorte que chascung demeure maintenant plus capable de la vérité. Et ne sentz poinct, Sire, que cella ayt faict, ny soit pour fère encores de mutation icy; ains j'espère que, venant bientost, icy, l'acte de vostre sèrement et de vostre plus ample confirmation du traicté de ligue, et la lettre de déclaration que ceste princesse attand de vostre main, qu'elle persévèrera plus constante que jamays vers Vostre Majesté, se commançant desjà bien à cognoistre que l'emprunct des deniers et l'apprest qu'elle a commandé de fère, ainsy que par ma précédante je le vous ay escript, est principallement destiné pour l'Irlande.

J'ay, ces jours passez, pryé le docteur fiscal de Bruxelles à dîner en mon logis, et l'ay honnoré comme ambassadeur d'Espaigne. Néantmoins il m'a dict que ceste princesse, avec beaucoup de faveur, l'avoit bien receu, non à dire vray pour ambassadeur, mais pour agent, sur les lettres qu'il luy avoit apportées du Roy, son Mestre, par lesquelles il promettoit d'observer et tenir ce que desjà avoit esté, et seroit, après, négocyé par luy; et que, en attandant la détermination que le dict Roy, son Mestre, et elle prendroient sur la mutuelle résidence des ambassadeurs de l'ung auprès de l'autre (et qu'en cas qu'ilz s'en accordassent que seroit luy ou bien don Bernardin de Mendossa qui seroit ordonné en ceste place), il continueroit de mettre à effect les aultres bons accords, qui estoyent desjà comme arrestez entre ces deux pays pour leurs commerces et entrecours. Et en devisant avec luy, il m'a discouru ce qui s'estoit passé jusques icy au traicté de la paix de Flandres, et que, encor que les depputez se fussent retirez, et que le comte de Sualsembourg s'en fût retourné vers l'Empereur, ce n'estoit que pour en venir tant mieulx à une bonne conclusion; et que, ce matin mesmes, il venoit de recepvoyr des lettres de dellà qui le mettoient hors de tout doubte que la dicte paix ne deût bientost et bien heureusement succéder, parce qu'on l'advertissoit qu'ung bien honneste moyen de seureté avoit esté mis en avant, lequel le Roy Catholicque ne refuzeroit nullement de bayller; et que le prince d'Orange et les eslevez s'en tiendroient pour bien contantz. Et sur ce, etc.

Ce XXVIe jour d'apvril 1575.

CCCCXLVIIe DÉPESCHE

—du dernier jour d'apvril 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Négociation de l'ambassadeur pour Marie Stuart.—Arrivée à Londres des députés de Bâle, chargés de solliciter des secours pour les protestans de France.—Élection du roi comme chevalier de l'ordre de la Jarretière.

Au Roy.

Sire, parce que la Royne d'Angleterre avoit monstré de ne prendre en bonne part la négociation que luy aviez faicte fère pour la Royne d'Escosse, affin de mieulx cognoistre si ce qu'elle nous en avoit respondu luy partoit, à bon esciant, de dedans du cueur, ou si c'estoit artiffice, je luy suis allé dire que j'avoys à luy fère ung peu de querelle de la rude responce, qu'elle vous avoit mandé, sur les honnestes propos que luy aviez faict tenir par Mr de La Chastre en faveur de ceste princesse.

A quoy soubdain, sans me laysser passer plus avant, elle m'a respondu que je serois tout esbahy, si je sçavois ce qu'elle avoit faict davantage, car, par la lettre qu'elle avoit escripte, de sa main, à la Royne, vostre mère, elle luy avoit mandé qu'elle ne luy layrroit passer ceste grande faute d'avoyr permis que Vostre Majesté fût entrée en renouvellement de ligue avec elle par ung si mal considéré commancement que celluy là; et mesmes s'estoit pleincte à elle que je ne m'estois monstré, icy, guyères moins ambassadeur de la Royne d'Escoce que le vostre.

A quoy aussy, en ryant, je luy ay dict que, en cuydant taxer d'erreur Voz Très Chrestiennes Majestez, elle ne prenoit pas garde qu'elle manifestoit proprement le sien de vous reprocher les honnestes offices que faisiez pour vostre belle seur et parante, et pour vostre principalle allyée; lesquels offices je sçavoys qu'elle mesmes jugeoit assez que, sans grand reproche, vous ne les pouviez obmettre, et qu'il failloit bien qu'elle pensât de ne vous avoyr jamays pour amy, si elle ne vous vouloit aymer avec toutes les circonstances de vostre honneur et dignité; et que, pour mon regard, je n'avoys jamays attainct de fère, à beaucoup près, pour la dicte Dame, tout ce que Vostre Majesté m'en avoit commandé, dont je ne creignoys d'estre blasmé de l'excez; et que, de tant que je sçavoys qu'à présent elle n'avoit aulcune matière d'offance ny de courroux contre elle, que je ne layrroys pourtant cella de luy communicquer une sienne lettre que j'avoys naguyères receue, laquelle luy feroit venir à regret que, pour son regard, elle ne vous eût plus agréablement satisfaict.

Et, la luy ayant baillée, elle l'a fort volontiers serrée dans sa pochette, et m'a pryé de la luy laysser pour la lyre à son loysir. Qui ay bien cognu depuis, Sire, qu'elle y avoit trouvé des particullaritez qui l'avoient contantée, dont elle a contanté aussy de quelques aultres la dicte Dame; et a permis que Me Jehan de Compiègne, son tailleur, avec plusieurs besoignes qu'il a apportées de Paris, la soit allé trouver.

Ceste difficulté n'a esté sitost vuydée qu'il s'en est présenté incontinent une aultre, plus grande, de troys gentilshommes, l'ung françoys, l'autre allemand et l'autre flammand, lesquelz, ayant esté naguyères dépeschés par l'assemblée qui a esté tenue à Basle, sont venus incister à ceste princesse et au clergé de ce royaulme en des demandes bien grandes pour ceulx qui ont prins les armes en faveur et deffence de ceulx de la nouvelle religyon; lesquelles demandes je n'ay peu encores bien approfondyr, à la vérité, quelles elles sont; tant y a qu'il semble que les évesques d'icy y vont assez inclinant. Néantmoins il a esté si bien pourveu au reste, que je ne descouvre nullement que ceste princesse ny ceulx de son conseil ayent, pour encores, aulcune dellibération de leur rien accorder.

Et, au contrayre, il est advenu, contre ce qu'ilz espéroyent, et au regret de plusieurs aultres poursuyvantz en ceste court, que le jour de St Georges, et tenant le chapitre de l'ordre de la Jarretyère, à Grenvich, la dicte Dame a faict que Vostre Majesté y a esté esleu chevalyer du dict ordre; dont le comte de Lestre s'en est incontinent envoyé conjouyr avecques moy, avant qu'il en ayt esté rien divulgué. Et, le jour ensuyvant, elle a envoyé troys honnestes gentilshommes de sa court, du nombre de ses pensionnayres, dont l'ung est son parant, devers moy, pour me notiffyer la dicte élection, et comme elle n'avoit voulu permettre que ce chapitre se passât sans qu'elle se fît; et qu'aussytost qu'elle entendroit que Vostre Majesté l'auroit agréable, elle ne faudroit de vous dépescher ung personnage d'honneur et ung seigneur de qualité pour vous aller apporter le dict ordre. Je l'ay infinyement remercyée de ceste marque, et de l'évident tesmoignage qu'elle vous rend, en cella, de son indubitable amityé, et que je ne tarderoys de le vous fère bientost sçavoyr; luy osant desjà bien advancer cella, en vostre nom, qu'elle n'eût peu fère eschoyr ceste élection en l'endroict de nul autre prince de la Chrestienté qui mît plus de peyne d'honnorer son ordre, et de l'accepter en très bon gré, que Vostre Majesté feroit: dont vous supplye très humblement, Sire, m'y fère promptement, et par voz premières, ung mot de responce. Sur ce, etc. Ce XXXe jour d'apvril 1575.

CCCCXLVIIIe DÉPESCHE

—du VIe jour de may 1575.—

(Envoyée à Callais expressément par le Sr Biscop.)

Vives instances des députés de Bâle à l'effet d'obtenir des secours pour les protestans de la Rochelle.—Réclamations des Anglais pour que justice leur soit rendue en France.—Nouvelles d'Écosse.—Plaintes de l'ambassadeur à raison du dénuement où il se trouve.

Au Roy.

Sire, comme ceste princesse estoit après à dellibérer, avec ceulx de son conseil, si elle debvoit, ou si elle ne debvoit pas, fère promptement mettre les douze navyres, dont je vous ay cy devant escript, (sçavoyr est: six des siens, et les six aultres des particulliers), en mer, il y en a qui sont expressément allez la persuader que, pour occasion du monde, elle ne voulût laysser de les fère sortir, attandu que, de Normandye et de Bretaigne, il y en avoit desjà ung bon nombre sur mer dehors. Et s'en est bien peu failly, à l'instance des depputez de Basle, et d'aulcuns venus de la Rochelle, lesquelz se sont tout à poinct présentez là dessus en ceste court, lorsque Mr de Méru y estoit, que la résolution n'en ayt esté prinse, et mesmes que aulcuns de ce conseil, qui inclinoyent à cella, opinoient que ce seroit chose fort à propos pour favoriser l'entreprinse d'Irlande. Mais, quand j'ay eu, soubz main, remonstré qu'il ne pourroit estre que Vostre Majesté n'en prînt de la jalousye, attandu que vous aviez faict donner advis à la dicte Dame de tout ce que vous aviez sur mer, et de ce qu'entendiez y mettre davantage, ensemble de son armement; et que vous sçaviez assez que, pour l'Irlande, il ne luy faisoit besoing d'aultres vaysseaulx que de passagers pour y trajetter des hommes; et que je croy aussy que, en mesmes temps, le conseiller fiscal de Bruxelles, (lequel est après à renouveller les accords d'entre les pays du Roy d'Espaigne avec ce royaulme, d'autant que leur trefve, qui n'avoit esté prinse que pour deux ans, est expirée, à ce premier jour de may), a aussy remonstré que son Mestre auroit cella pour suspect; il a esté résolu que, pour ceste heure, cest armement ne passeroit plus oultre, et qu'il seroit remis jusques à ce que la dicte Dame vît si, pour quelque occasion qui luy peût cy après survenir, qui luy fût plus grande qu'elle n'en avoit à présent, elle seroit meue de le parachever.

Et sur cella j'entends qu'il luy est arryvé, de son ambassadeur, ung pacquet, lequel luy a donné assés de satisfaction du bon rapport qu'a faict d'elle et des choses de deçà Mr de La Chastre, et comme il vous a pleu commander à icelluy mesmes Sr de La Chastre, et à Mrs de Limoges et de Chiverny, d'aller apporter beaucoup d'honnestes et agréables mercyementz, de vostre part, à son dict ambassadeur; ce qui l'a grandement contantée. Mais il semble bien qu'il ne luy ayt donné guyères d'espérance que vueillés pourvoir aulx particullières demandes qu'elle vous a mandé fère pour aulcuns de ses subjectz. De quoy elle et ceulx de son conseil demeurent fort escandalizés, et disent qu'il n'est pas possible que l'amityé se puisse conserver entre Voz deux Majestez, si la justice n'est mutuellement, là et icy, administrée à voz communs subjectz. Et pour ceste occasion, ilz m'ont faict tomber une lettre entre mains que Me Chambernon m'a escripte pour fère que, par la presse que cestuy faict de son affère, Vostre Majesté cognoisse combien ceste princesse est pressée, de plusieurs aultres des siens, de leur pourchasser quelque rayson et restitution en France.

J'ay faict recepvoyr en bonne part à milord de St Jehan, l'escossoys, la responce que m'aviez commandé de luy fère, lequel se contantera qu'il vous playse luy envoyer une vostre lettre de protection; car il proteste que ce n'a esté pour gain ny pour ambition qu'il s'est adressé à Vostre Majesté, ains pour la servitude qu'il vous porte, et pour la naturelle affection qu'il porte à vostre couronne, et qu'il espère bien de fère que ce tesmoignage de vostre faveur, que vous luy donrez maintenant, servira de beaucoup à establir l'authorité de vostre nom et celle de vostre alliance en Escosse, et qu'il vous y regaignera cinq centz, voyre mille gentilshommes pour fère entièrement ce que vous leur commanderez. L'on m'a dict que, au dict pays, la noblesse et le peuple sont après à déposer, toutz d'ung accord, le comte de Morthon de la régence pour la bailler à l'ung des enfans du feu duc de Chastelleraut, ou bien au comte de Honteley: qui seroit chose peu agréable en ceste court. Je mettray peyne d'en avoyr plus de certitude, affin de le vous mander par mes premières. Et sur ce, etc.

Ce VIe jour de may 1575.

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