Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
ADVIS, A PART, A LA ROYNE.
Madame, aussytost que Mr de Méru a esté de retour en ceste ville, j'ai trouvé moyen de parler à luy, en lieu escarté, aux champs, parce qu'il n'a ozé venir en mon logis, et, non seulement je luy ay dict, mais je luy ay baillé à lyre ce que me commandiez luy fère entendre par la vostre, du XXVIIIe du passé; et y ay adjouxté toutes les meilleures raysons et persuasions que j'ay peu, pour l'induyre à se bien disposer vers ce que luy commandiez, lequel a monstré qu'il sentoit une grande consolation de la bonne opinyon qu'il vous playsoit avoyr de luy.
Et m'a respondu qu'il supplioit Vostre Majesté se souvenir qu'il ne s'estoit absenté pour faulte qu'il eût commise, et qu'il prenoit Dieu pour juge de son cueur, et le Roy, et Vostre Majesté pour arbitres de ses euvres, s'il avoit jamays faict, ny dict, ny pensé chose qui vous deût offancer;
Et qu'il n'avoit jamays eu praticque ny intelligence avec pas ung qui portât les armes contre le Roy, ains leur avoit esté très adversayre, fussent ilz ses proches parantz, ou non, et avoit esté très esloigné, comme il estoit encores, et seroit toute sa vye, de leur religyon, n'y n'avoit esté meslé en toutes les menées que vous aviez eues suspectes à la court; mais que, en une si grande deffaveur et ruyne, qui estoit inopinèment, et, comme il espéroit que se trouveroit, sans juste cause, suscités contre toutz ceulx de sa mayson, et contre son beau père, qu'il avoit bien voulu éviter ce grand orage, le mieulx qu'il avoit peu, attandant que le temps et la clémence de Voz Majestez leur fît à toutz reluyre quelque plus beau jour;
Et que, considéré ce dessus, et qu'il n'avoit aulcune privée cognoissance avec les eslevez, ny avec pas ung de ceulx qui ont l'authorité parmi eulx, et qu'il sçavoit qu'ilz s'estoient pleinctz que, quand Mr de Montmorency avoit esté cy devant employé à leur fère poser les armes, ilz avoient esté lors les plus maltraictez, qu'indubitablement, s'il leur escripvoit à ceste heure, ilz se mocqueroient de luy, et de ses lettres, et qu'il ne pensoit poinct qu'il vous peût estre utille en cest endroict;
Néantmoins que Vostre Majesté advisât en quoy et comment il pourroit estre si heureulx que d'employer sa personne et sa vye, et toutz ses moyenz pour le service de Voz Majestez, et qu'il n'avoit aultre affection, ny dévotion, que de vous rendre toute la plus parfaicte et très humble obéyssance qu'il luy seroit possible, me priant de le vous fère ainsy entendre, et de vous tesmoigner qu'il protestoit à Dieu, et le prenoit en comdempnation de son âme, que toutz ses déportementz, icy, ne tendoient qu'à honnorer et révérer Voz Majestez, et de publier vostre louange, et la réputation de voz affères, le plus qu'il luy estoit possible, et n'y mouvoir rien, qui peût estre contre vostre service.
Et a monstré que, si je luy pouvois fornir d'ung passeport du Roy, ou qu'il vous pleût luy escripre quelque mot de lettre, qu'il vous dépescheroit incontinent ung des siens pour aller mieux comprendre vostre intention: qui est tout ce que j'ay peu tirer, pour ceste foys, de luy.
Et, sur les aultres remonstrances que je luy ay faictes, touchant les ministres qui le visitent souvant, il s'est efforcé de m'y satisfère, mais je verray comme il s'y conduyra.
CCCCXIIIe DÉPESCHE
—du XXIXe jour d'octobre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Audience.—Mécontentement d'Élisabeth à raison du silence que garde le roi à son égard.—Présentation des lettres du roi par l'ambassadeur.—Satisfaction montrée par la reine.—Son desir de continuer l'alliance avec la France.—Conseils qu'elle donne au roi.—Difficulté qu'elle fait d'admettre les messages adressés à Marie Stuart et en Écosse.
Au Roy.
Sire, j'ay esté, le XXVIe de ce moys, à Hamptoncourt, où, d'arrivée, la Royne d'Angleterre m'a bien donné à cognoistre, assez ouvertement, et avec ung peu d'apparat non accoustumé de magnificence et de grandeur, devant la pluspart des siens, en sa salle de présence, qu'elle ne pouvoit interpréter à nul signe de vostre bonne volonté vers elle que, depuis vostre retour, elle n'avoit eu une seule nouvelle, ny une lettre, ny mesmes une recommandation, de Vostre Majesté, comme si teniez en fort petit compte son amityé. Mais, après que je l'ay eue fort cordiallement saluée de vostre part, et que je luy ay heu présenté vostre lettre, et desduict l'occasion de ce retardement, sur voz très grandes occupations, avec d'aultres choses, que j'ay estimé bien à propos de luy dire, de vostre bonne disposition vers elle; elle a, tout aussytost, sans bouger du lieu, et devant le mesmes concours des siens, changé de façon; et, d'ung visage fort riant, et d'une contenance bien fort joyeuse, m'a exprimé l'ayse, qu'elle sentoit en son cueur, de vous voyr entrer en ce bon chemin d'amityé et de bonne intelligence avec elle.
Et, encor qu'elle se soit eslargye à me déclarer là dessus, sellon que, de propos en propos, je l'y ay attirée, comme l'on l'avoit volue intimider de beaucoup d'entreprinses qu'on luy avoit dict que vous aviez contre elle, tant par les promesses, à quoy l'on vous y avoit obligé, passant par l'Italye, à cause de sa religyon, que par la perpétuelle instigation qu'on vous y donnoit maintenant en France, à cause de la Royne d'Escosse; ainsy qu'aulcuns se vantoient, sellon qu'on le luy avoit rapporté, qu'ilz vengeroient, à ce coup, le tort qu'elle luy avoit faict de la détenir par deçà; elle néantmoins m'a déclaré qu'elle s'arresteroit à ce que vous luy diriez et luy promettriez, et ne recevroit impression aulcune qui peût estre contrayre à cella, sinon qu'elle vît bien que la vérité de voz paroles fût convaincue par l'effaict de voz œuvres; ce qu'elle ne vouloit présumer, pour rien du monde, pouvoir jamays procéder d'ung prince si excellemment qualifyé en toute preuve de vertu comme vous; et qu'il n'y avoit pas deux heures, sçachant que je debvois venir, qu'elle avoit reveu le dernier traicté de ligue d'entre le feu Roy, vostre frère, et elle, et que, par l'ordre d'icelluy, vous debviez parler le premier; dont en la forme que vous commanceriez, elle vous respondroit, et, si vous monstriez d'avoyr en estime l'intelligence d'elle et de son royaulme, elle se mettroit en debvoir d'honnorer beaucoup la vostre, et celle de vostre couronne; et prioit Dieu qu'il vous mît au cueur de vous fère aultant aymer comme il vous avoit donné de quoy fère beaucoup priser et estimer vostre amityé, me voulant bien dire, touchant la bonne lettre que luy aviez escripte, qu'elle la tiendroit bien fort précieuse comme estant la première marque de vostre bonne démonstration vers elle, et qu'elle dellibéroit de se mettre en pareille bonne disposition vers vous, et y persévérer aussy constamment qu'elle avoit faict vers le feu Roy, vostre frère, pourveu que, comme luy, vous ne vous en départissiez; adjouxtant tout bas, et me l'est venu dire, quasy en l'oreille, qu'il la failloit prendre présentement, car, si l'occasion se passoit, elle seroit, comme la mesmes occasion, qui ne se laysseroit jamays prendre puis après, et que je creusse qu'elle estoit très instamment et sans intermission recherchée, avec de grandz advantages, d'ailleurs; dont verroit comme, de l'ung costé et de l'autre, les choses procèderoient pour elle et son estat, car c'estoit la règle par où elle se vouloit gouverner; et remercyoit Dieu qu'elle se trouvoit pourveue, pour tout évènement de paix ou de guerre qui pourroit arriver.
Et m'a encores là dessus, et sur aulcunes aultres particullaritez, qu'elle dict avoyr entendues de vostre court, faict ung plus ample discours, auquel il seroit trop long de mettre, icy, ce que je luy ay respondu; dont suffira que je vous dye, Sire, qu'elle a monstré de demeurer de ma réplicque beaucoup satisfaicte, et pleyne de toute bonne espérance. Et m'a confirmé, avec grande expression, que, si vous luy faictes bientost voyr quelque effect bien fondé de vostre amityé vers elle, que vous pourrez fère entier et perpétuel estat de la sienne vers vous.
Puis, sur ce que je luy ay touché de celle bonne intention que vous avez vers ceulx de voz subjectz qui s'estoient eslevez, et, s'ilz se monstroient tels comme ilz debvoient envers vous, que vous dellibériez d'estre entièrement tel vers eulx comme ilz le sçauroient desirer, elle m'a respondu que vous aviez peu cognoistre par son ambassadeur, et le cognoistriés davantage par milord de North, qu'elle ne desiroit nullement ny le mal ny le trouble de vostre royaulme, et qu'elle prioit Dieu que vous peussiez bien prendre le conseil de ceulx qui droictement desiroient le bien de vostre grandeur, et l'establissement de voz affères; en quoy, encor que ce fût ung poinct bien fort enveloppé d'aultres apparances persuasives, qui avoient tant de vraysemblable qu'à peyne permettoient elles qu'on les peût discerner du vray mesmes, si espéroit elle que l'expérience, que vous aviez du passé, conjoincte avec vostre vertu et prudence, vous y feroient voyr plus cler que n'avoit jamays faict le feu Roy, vostre frère; duquel le règne, par faulte de cella, n'avoit esté, pour luy et pour vous, et pour la Royne vostre mère, et pour toutz ceulx de vostre couronne, et encores pour les plus vaillantz et les meilleurs de vostre royaulme, qu'ung perpétuel tourment, ny qu'une mort et une incomparable ruyne de tout vostre estat; m'enchargeant bien fort de vous supplier très affectueusement, de sa part, que vous y voulussiez approcher l'œil de bien près: ce que non seulement je luy ay promis que je ferois, ains luy ay bien fort gratiffyé, en vostre nom, son bon conseil et sa bonne volonté.
Mais, quand je suis venu à la prier, de vostre part, qu'elle voulût octroyer passeport à ung des miens, pour porter à la Royne d'Escosse, et puis, au Prince d'Escosse, son filz, et au comte de Morthon, des lettres que Vostre Majesté leur escripvoit, elle s'est incontinent esmeue: et m'a dict que vous la debviez tenir à elle, pour beaucoup de respectz qui ne vous estoient pas incognus, en trop meilleur compte que la Royne d'Escosse, laquelle, quand bien se trouveroit régner en ceste isle, ne vous y seroit jamays si bonne amye, ny n'auroit en tant d'affection la conservation de vostre grandeur, comme elle avoit; qui sentiriés mieulx cella, quand il playroit à Dieu y ordonner de la mutation, et qu'elle s'assuroit que, lors, vous regretteriez amèrement la Royne Elizabeth.
Et m'a récapitulé aulcunes de ces mesmes choses qu'elle m'avoit dict qu'on l'avoit menacé, de cest endroict; mais je luy ay réplicqué que Vostre Majesté n'avait peu fère de moins, sur les instances de l'ambassadeur d'Escoce, et sur les remonstrances, qu'il vous avoit faictes, des très anciennes et très estroictes obligations d'entre les princes et les couronnes de France et d'Escosse, que d'uzer de cest honneste compliment de lettres vers ceste pouvre princesse, qui estoit vostre belle seur, vostre parante et vostre principalle allyée, de laquelle vous ne debviez, ny vouliés aulcunement impugner les droictz, et pareillement vers le Prince, son filz, et vers les seigneurs du païs, qui estoient toutz voz confédérés; et qu'en cella, vous n'aviez voulu fère sinon aultant que m'aviez commandé de luy en communicquer, ce qu'elle debvoit interpréter en meilleure part que toutes les aultres impostures qu'on luy avoit rapportées, et ne debvoit différer l'octroy de passeport que luy demandiez; en quoy, s'il luy playsoit bailler ung adjoinct à celluy que j'envoyerois, affin qu'elle demeurât sans escrupulle, je m'assuroys que Vostre Majesté en seroit très contante.
Là dessus, la dicte Dame s'est ung peu modérée, et m'a prié que je luy donnasse ung peu de temps pour en communicquer à son conseil, et que, bientost après, elle m'y feroit responce. Et m'ayant, sur deux aultres poinctz que je luy ay remonstrez, touchant le peu de justice que voz subjectz trouvoient par deçà, et touchant la faulce monoye qu'on battoit en ceste ville, assez faict cognoistre qu'elle vous vouloit beaucoup satisfère, elle m'a bien fort gracieusement licencyé. Et sur ce, etc.
Ce XXIXe jour d'octobre 1574.
CCCCXIVe DÉPESCHE
—du IIIe jour de novembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)
Déclaration de Burleigh et de Leicester sur les intentions d'Élisabeth de renouer l'alliance avec la France, pourvu que le roi lui donne la ferme assurance qu'il veut maintenir le traité.—État des affaires en Écosse.—Eclaircissements sur des projets d'attentats dirigés contre la personne du roi.—Départ du vidame de Chartres pour l'Allemagne.
Au Roy.
Sire, pour davantage recognoistre si le fondz de l'intention de ceste princesse estoit semblable aulx bonnes responces qu'elle m'avoit dernièrement faictes, quand je luy présentay vostre lettre, j'ay mis peyne, sur l'occasion des aultres deux lettres, qu'avez escriptes à ses deux principaulx conseillers, de négocier et fère négocier bien estroictement, avec eulx, en termes si clers que je les ay contreinctz de parler clèrement.
Et, en substance, il s'est recueilly de leur dire qu'ilz estiment que leur Mestresse et eulx ont très juste occasion d'avoyr les dellibérations qui se font près de Vostre Majesté, et les entreprinses à quoy ilz voyent que Vostre Majesté se prépare, pour bien fort suspectes, tant pour la source d'où ilz disent que dérivent voz conseilz, qui est du Pape et du Roy d'Espaigne, et d'aulcuns des vostres desquelz ilz ont une merveilleuse deffiance, que pour les objectz qu'il leur semble bien qu'ilz vous pourront mouvoir d'entreprendre contre ce royaulme pour la cause de la religyon, et pour la détention, qu'on y faict, de la Royne d'Escosse; et que, là dessus, ilz ne me veulent nullement dissimuler qu'ilz ne veillent, et qu'ilz ne consultent, dilligemment et souvant, comme ilz pourront fère que ceulx de leur dicte religyon ne souffrent tant de détriment, ailleurs, que l'orage en puisse, puis après, venir fondre, icy, sur eulx; et comme ilz pourront pourvoyr que les grands dangers, qu'ilz ont tousjours jugé très imminentz à la Royne, leur Mestresse, et à son estat, si elle ne se tenoit bien assurée de la Royne d'Escosse, ne luy survenoient; et qu'en cella ilz ont réputé nécessayre, touchant le premier poinct, d'en entendre l'advis de ceulx qui sont en mesme cause, et en pareille condicion que eulx, et, par ainsy, d'en conférer avec les princes protestantz; et, quand au second, de adhérer à ceulx des Escossoys qui conviennent, mieulx que les aultres, avec le repos de l'Angleterre; et, pour toutz les deux poinctz ensemble, ilz ont estimé bon de renouveller les anciennes amityés, et en fère de nouvelles et regaigner les perdues, le plus tost et le mieulx qu'il leur seroit possible; mesmement qu'ilz estoient incertains à quoy inclineroit Vostre Majesté, à vouloir ou ne vouloir poinct l'intelligence de ce royaulme. Et néantmoins, encor que desjà il y eût de ces choses qui fussent beaucoup advancées ailleurs, il y en avoit aussy, et de plus importantes, qui restoient en suspens, pour attandre l'évidence de voz actions; et qu'ilz ne doubtoient nullement, si, après ceste bonne lettre qu'avez escripte à leur Mestresse, il vous plaisoit luy fère voyr une suyte de vostre bonne intention, et de voz bons effectz vers elle, qu'elle ne se disposât en si bonne sorte, vers voz affères, que vous la trouveriez, à toutes occasions, preste de les segonder, et de procurer l'establissement et le progrès de vostre grandeur; et que, sans difficulté, elle vous accorderoit la confirmation de la ligue, si la luy envoyés ainsi honnorablement demander, comme le traicté monstre qu'il touche à vous de le fère; mais qu'ilz me vouloient bien advertir qu'ilz ne la pouvoient conseiller de demeurer longuement sur l'incertain, parce que la sayson ne portoit qu'on se deût arrester à simples parolles: dont failloit que j'advisasse de haster, le plus que je pourrois, ce qui se debvoit establir entre vous.
Qui sont propos, Sire, fort conformes à ceulx que la dicte Dame m'a tenus, aulxquelz je n'ay deffailly de suffizante réplicque; car la matière et les bonnes raysons ont abondé de mon costé: et pense qu'elles ont esté de quelque moment, et mesmement à divertyr le voyage de Me Wilson en Flandres, aulmoins l'ont elles retardé. Mais, sur les dictz propos, j'ay à dire à Vostre Majesté que, au retour de milord de North, il se doibt fère, icy, une grande résolution des choses appartenantes à ceste présente guerre, qu'ilz appellent de la religyon, sellon que je sçay qu'on a prié des personnages allemantz, qui sont prestz de partir, qu'ilz vueillent attandre jusques allors. Dont semble qu'il est expédient, Sire, que la légation de Vostre Majesté vers ceste princesse suive bientost, et sans intervalle, celle qu'elle a faicte vers vous. Et de tant qu'elle et les siens sont merveilleusement tendus sur le faict de la Royne d'Escosse, et encor plus sur le faict des Escossoys, et qu'ilz veulent pourvoyr, par toutz les moyens qu'ilz pourront, que ny la personne d'elle, laquelle ilz ont en leurs mains, ny l'intelligence d'eux, qu'ilz pensent encores mieulx posséder, ne leur eschapent, sellon qu'à présant ilz ne vivent en peyne de nul aultre endroict, ayantz réduict l'Irlande, que de ce costé là; et qu'ilz prétendent d'avoyr, s'il leur est possible, ou le Prince ou quelque aultre grande chose en gage, pour garder que le pays ne se destourne de leur dicte intelligence; il sera bon, Sire, que pourvoyés, le plus tost que pourrés, que celle ancienne alliance, conjoincte avec authorité, que voz prédécesseurs y ont tousjours conservée, et qui est deue à vostre couronne, ne vous y soit en rien diminuée; et qu'à cest effect, en desmellant les aultres choses avec la Royne d'Angleterre, vous vous esclarcissiés encores avec elle de ceste cy.
J'ay bien escript, depuis naguyères, à aulcuns seigneurs du pays, mais, parce que ce a esté par voye secrette, je ne sçay quand j'auray responce d'eux. Et me vient on d'advertyr qu'il y a grande apparance que les armes y seront bientost reprinses, parce que quelque mylord y a esté tué, qu'on dict estre le comte d'Athol; et que c'est le comte de Morthon qui l'a faict fère; mais je n'ay encores bien la vériffication de cella. L'on m'a desjà promis le passeport, icy, pour envoyer voz lettres au jeune Prince d'Escosse et au dict de Morthon; mais je me trouve en celle mesmes difficulté, que j'ay cy devant mandée, que le dict de Morthon ne voudra recepvoir, ny mesmes souffrir, qu'aulcun entre au païs, qui ayt adressé au dict Prince, sinon comme à Roy, ny à luy, sinon comme à régent, et les lettres de Vostre Majesté n'ont pas celle intitulation.
Et, au regard de l'autre lettre, qu'avez escripte à la Royne d'Escosse, parce qu'on avoit desjà octroyé passeport au frère de son chancellier, présidant de Tours, pour luy aller porter quelques besoignes, lequel est encores icy, l'on a desiré que je fisse fère, par luy mesmes, le message. A quoy, pour n'augmenter les escrupulles de ceste princesse, lesquelz, par occasion nouvelle, qui a procédé de la duchesse de Suffolk, se sont, puis peu de jours, rengrégés, oultre la générallité de ceulx qu'elle a tousjours non petitz de Vostre Majesté, je m'y suis condescendu.
Et, quand à esclarcyr davantage Voz Majestez sur l'advertissement de prendre garde à voz personnes, j'ay singullièrement recherché de ceulx, d'où cella estoit venu, de m'en dire la particullarité. Et ilz m'ont séparément confirmé, qu'après qu'il se sceut, icy, que les empeschementz qu'on croyoit fermement qui deussent retarder vostre retour estoient ostez, qu'il y eut de ceulx qu'ilz appellent Puretains, qui tindrent des propos fort meschantz et malheureux, disantz qu'il n'importoit pas beaucoup que vous fussiez venu, car bientost l'on verroit ung semblable jugement sur vous, et sur la Royne, vostre mère, qu'on avoit veu sur le feu Roy, vostre frère; et qu'il ne falloit destendre le tabernacle qui avoit esté dressé pour ses obsèques, parce que l'on y auroit bientost à cellébrer les vostres, et aultres motz tendantz à mesmes effect; de façon que, s'estantz eulx donnés une grande peur du danger de Voz Majestez, ilz avoient bien volu fère en sorte que je vous advertisse d'y prendre bien garde, et que, quand ilz en entendroient davantage, et de plus expécial, qu'ilz me le feroient incontinent sçavoyr. A quoy pouvez croyre, Sire, que je n'auray l'œil et le cueur moins tendus, que si c'estoit pour ma vye et pour le mesmes salut de mon âme.
Mr le vidame de Chartres s'est enfin embarqué, le XXXe du passé, avec la pluspart de toutz ces françoys qui restoient icy, et est passé à Fleximgues devers le prince d'Orange. Il m'a promis qu'estant là, et lorsqu'il sera près du comte Palatin, où il prétend d'aller, il s'efforcera de vous fère cognoistre qu'il a toute dévotion à vostre service et à la paix de vostre royaulme; et que, de Hollande en hors, il dépeschera ung des siens devers Vostre Majesté. Néantmoins l'on m'a adverty qu'ainsy qu'il entroit dans son navyre, celluy Rua, que j'ay cy devant mandé, qui estoit allé en Allemaigne, est arryvé, et qu'il s'en est retourné avecques luy en Zélande; mais qu'il doibt bientost revenir, et qu'on a entendu qu'il a dict que les choses se portoient très bien, là où il avoit esté, ce qu'on juge estre qu'il y a des forces prestes en Allemaigne pour ceulx de leur religion. Sur ce, etc.
Ce IIIe jour de novembre 1574.
CCCCXVe DÉPESCHE
—du VIIIe jour de novembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Entreprises diverses projetées par les Anglais contre les villes maritimes de la France.—Découverte d'une entreprise sur le Hâvre.—Surveillance qu'il importe d'exercer.—Protestation des seigneurs du conseil qu'ils ignoraient entièrement le projet de s'emparer du Hâvre.—Demande faite par l'agent du roi d'Espagne de son passeport.
Au Roy.
Sire, je supplye très humblement la Royne, vostre mère, de se vouloir souvenir comme, dès qu'il fut sceu par deçà que le retour de Vostre Majesté en France estoit par l'Italye, je luy donnay advis que les entreméteurs de ceulx de la nouvelle religyon, se deffiantz de pouvoir obtenir telles condicions de paix comme ilz desiroient, s'estoient mis à dellibérer de la continuation de la guerre, et, entre aultres choses, de surprendre des places en Picardye et Normandye, le long de la mer; et desjà ilz faysoient estat d'en emporter quelques unes, dont estimois estre besoing qu'on renforçât les garnisons de Callays, de Bouloigne, de Dieppe, du Hâvre et de Cherbourg, et qu'on advertît les gouverneurs d'estre vigilantz à la garde de ces cinq villes, et touchoys encore quelques mots de Brouage; dont, à peu de jours de là, je fus infinyement ayse que Sa Majesté m'escripvît qu'elle avoit très bien pourveu, non seulement à ces cinq places, mais à toutes les aultres le long de la mer, jusques à Bourdeaulx. Qui pense, Sire, que ceste sienne dilligence d'allors a servi beaucoup maintenant contre la praticque, qu'on dict qui s'est descouverte du Hâvre de Grâce, de quoy je loue et remercye Dieu de tout mon cueur.
Néantmoins je retourne advertyr Vostre Majesté qu'il est expédient de refraychir, de rechef, ce mesmes advertissement aulx mêmes gouverneurs, et renforcer leurs garnisons, tant pour la conservation de leurs places, et pour ne laysser occasion quelconque à ceulx de dehors d'y entreprendre, que pour garder que, au dedans du pays, ne se face aulcun mouvement; car voicy, Sire, ce que l'ung de ceulx, que j'ay mis après à observer les ministres, m'a rapporté, que aulcuns d'eulx se sont desbouchez de dire que Vostre Majesté seroit bientost travaillé de plus d'endroictz qu'elle ne pensoit; et qu'ilz avoient de leurs amys, gens de bonne mayson, et aultres, en Picardye, qui, du premier jour, se déclareroient ouvertement pour eulx, et que les restes de Normandye, qui n'estoient encores toutes mortes, ne manqueroient pas de leur costé, et, possible, de telz d'où l'on n'avoit encores ouy parler; et que ce ne seroit, sans qu'ilz se fissent maystres de quelque bonne place d'importance, où ilz pourroient recevoyr le secours, car c'estoit de quoy ilz se debvoient principallement efforcer, pour induyre les Angloix de favorizer leurs entreprinses. Et disoient davantage qu'il estoit résolu qu'on tiendroit ung bon nombre des navyres de guerre angloix, et de ceulx de Hollande, en Brouage, et qu'on recepvroit leurs gens dans le fort, affin qu'ilz se peussent tenir plus assurez de leurs vaysseaulx; et que les mesmes ministres avoient remonstré à ceste princesse, qu'en la présente occasion, où elle voyoit bien qu'il y alloit de l'entière extermination, ou de l'establissement, pour jamays, de sa religyon, et le semblable de l'estat de sa couronne, elle ne debvoit refuzer d'y mettre, à bon escient, la main, et se préparer à quelque belle entreprinse par dellà, comme de s'impatronir de quelque bonne place, et la bien pourvoyr, ou bien envoyer joindre ses forces à celles qu'elle y verroit bientost en campaigne; car pouvoit considérer que les vostres seroient bien fort retardées en Languedoc, et beaucoup diminuées, avant que Nymes et Montaulban, après les aultres moindres places, fussent prinses; et que la Rochelle, si vouliés entreprendre de la forcer, vous ruyneroit plus d'hommes et vous consommeroit plus d'argent et de monitions de guerre, que n'avoit faict l'aultre foys; et que la trouveriez, à ceste heure, plus imprenable que ne fîtes au premier siège, parce qu'ilz avoient mieulx pourveu de garder les advantages de la mer, qu'ilz n'avoient eu, lors, ny le temps, ny le moyen de le fère; et quand la dicte Dame n'en debvroit rapporter aultre prouffict que d'entretenir la guerre par dellà, et garder qu'elle ne passât, icy, en son royaulme, et ne laysser succomber, du tout, sa religyon, ce luy seroit ung très grand bien et une réputation immortelle.
Sur quoy, Sire, je retourne supplier très humblement Vostre Majesté de pourvoir à ces deux coings, de Picardye et Normandye, qui regardent ceste mer, et commander de fère quelque effort à reprendre Brouage, pendant qu'il n'est encores ny si bien fortiffié, ny si bien muny, ny en telle deffance, comme l'on prétend bientost de le mettre. Qui ay opinyon que c'est la plus salutayre entreprinse qui se pourroit fère du costé de la Guyenne; bien que je ne pense pas que, désormays, ceste princesse se laysse aller à toutes les persuasions des dictz ministres, et que mesmes nous leur pourrons rabattre une bonne partye de leurs plus aspres dellibérations, si renvoyés aulcunement bien satisfaict son milord de North, sellon que je l'ay remise, et les plus authorisez de son conseil, en trein de renouveller et confirmer très estroictement la ligue avec Vostre Majesté. Et ay convié iceulx seigneurs du conseil à disner, le jour de St Martin, en mon logys, pour y fère la conjouyssance de l'heureux retour de Vostre Majesté, et pour aultres bons effectz; qui m'ont toutz promis d'y venir volontiers, ayant bien voulu cependant toucher à aulcuns d'eulx que Vostre Majesté sentiroit grandement ceste trame qu'on avoit menée sur le Hâvre, laquelle on disoit procéder en partie de deçà, ce qu'ilz m'ont aussytost très fermement contredict, et qu'elle n'en venoit nullement. A tout le moins me vouloient ilz, et mesmement le comte de Lestre, assurer, à peyne de reproche, et d'estre estymé, luy, le plus infâme et desloyal gentilhomme qui vive, si la Royne, sa Mestresse, ny pas ung de son conseil, ny de sa court, ny mesmes ung seul angloix, y participoit; car, pour ceste heure, leurs dellibérations ne tendoient à rien de semblable. Le Sr de Sueneguen, agent du Roy d'Espaigne, voyant que le voyage de Me Wilson s'alloit retardant, et réfroidissant, de jour à aultre, a faict semblant qu'il avoit obtenu congé du grand commandeur de Castille pour se retirer, dont est allé à Ampthoncourt se licencier de ceste princesse, en espérance qu'elle le prieroit de demeurer. Je ne sçay ce qu'elle fera; tant y a qu'il m'est venu dire adieu, avant d'aller au dict Ampthoncourt, comme pour publier davantage sa retraicte. Sur ce, etc.
Ce VIIIe jour de novembre 1574.
CCCCXVIe DÉPESCHE
—du XIIIe jour de novembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Conférence de l'ambassadeur avec Leicester.—Déclaration qu'Élisabeth est avertie que le roi a résolu de lui faire la guerre.—Complète réconciliation de la reine d'Angleterre avec le roi d'Espagne.—Affaires d'Écosse.—Nouvelles répandues à Londres des succès remportés par les protestans en France.—Avis à la reine-mère. Plainte d'Élisabeth de ce que le roi et la reine-mère lui auraient voué une haine implacable.—Justification faite par l'ambassadeur à raison de ce reproche.—Description d'un phénomène maritime survenu à Londres.
Au Roy.
Sire, entendant que la Royne d'Angleterre avoit faict assembler ceulx de son conseil, sur une dépesche qu'elle avoit receu d'Allemaigne, et sur troys aultres qui luy estoient venues, coup sur coup, du costé de France, les deux de son ambassadeur résidant, et la troysiesme de milord de North, avant qu'il outrepassât Paris; et encores sur ce que luy avoit rapporté ung courrier freschement retourné d'Escosse; et que, là dessus, les ministres, et, incontinent après eulx, le Sr de Sueneguen avoient esté devers elle; je n'ay peu demeurer longtemps sans m'esclarcyr des escrupulles que tout cella m'avoit engendré. Qui, pour ne vivre en plus de peyne, ay trouvé moyen de parler, à part, et bien au long, avec le comte de Lestre, et l'ay curieusement examiné si, de nul costé, estoit survenue occasion qui eût admené du changement en la bonne dellibération où me sembloit naguyères avoyr layssé la Royne, sa Mestresse, et eulx toutz, vers les présentz affères de Vostre Majesté.
Lequel m'a respondu en somme que, de divers endroicz de la Chrestienté, la dicte Dame estoit admonestée de se préparer à la guerre, parce que vous aviez proposé de la luy fère, et que de cella l'on luy admenoit tant d'argumentz et de raysons apparantes qu'il me confessoit qu'elle ne sçavoit à quoy s'en tenir; et que ceulx, qui mettoient peyne de ne la laysser aller à ceste persuasion, n'avoient qu'y pouvoir opposer, sinon la seule parolle, que je leur avoys donnée, de la bonne intention de Vostre Majesté vers elle; et que le dict comte et quelques autres, qu'il ne me vouloit pas nommer, s'estoient formalizés, pour moy, de dire qu'ilz ne m'avoient encores jamays veu négocier à faulces enseignes, ny sans que j'eusse charge bien expresse et bien fondée de tout ce que je disois, et qu'il m'assuroit que la dicte Dame demeuroit encores fermement résolue d'attendre l'évidence de voz effectz vers elle; et que, si elle les cognoissoit bons et pleins d'une vraye et non feincte amityé, qu'indubitablement elle vous uzeroit d'une très ferme correspondance, et vous pourriez assurer d'avoyr en elle la plus entière et parfaicte de toutes les amies, qu'ayez au monde; et, au contrayre, aussy, si vous la provoquiez, que nulle, en toute la terre, vous seroit plus mortelle, ny plus irréconciliable ennemye, qu'elle; et que, pour le présant, il me pouvoit jurer que, non seulement des ouvertes dellibérations de la dicte Dame, mais des plus secrettes, qui se fissent dans son cabinet, Vostre Majesté avoit occasion d'en demeurer très contant, et mesmes d'en sentir beaucoup d'obligation à elle; et qu'il desiroit que, bientost après le retour de milord de North, Vostre Majesté envoyât quelque personnage d'honneur et bien choisy par deçà; car espéroit qu'il vous rapporteroit toute satisfaction, ne me voulant toutesfoys dissimuler que sa Mestresse estoit en très bons termes avec le Roy d'Espaigne, mais que cella n'empescheroit qu'elle ne fût encores en meilleurs avec vous.
Et de ceste mesme substance ont esté les responces d'aulcuns aultres de ce conseil avec lesquelz j'ay envoyé négocyer; ayant à vous dire, Sire, touchant ce dernier poinct, que m'a touché le comte de Lestre, de la réconciliation avec le Roy d'Espaigne, que le Sr de Sueneguen, estant naguyères à Amptoncourt, a tant faict que, bien qu'on ne l'ayt beaucoup prié de résider davantage par deçà, il a néantmoins obtenu que la légation du mestre des requestes, laquelle avoit esté interrompue, s'effectueroit présentement; et mesmes j'entendz qu'ilz passent aujourdhuy la mer, de compagnye, pour aller trouver le grand commandeur de Castille. A quoy a bien aydé certain advis, qui est freschement arryvé, par chiffre, de Bruxelles, à Mr Walsingam, comme la paix se va fère aulx Pays Bas.
J'ay retiré, avec assez de difficulté, ung passeport, signé de huict de ce conseil, pour envoyer ung des miens porter les lettres de Vostre Majesté en Escosse; mais je suis tousjours en peyne de ce que j'ay mandé, par mes précédantes, que le comte de Morthon ne voudra, en façon du monde, recepvoir personne qui n'ayt addresse au Prince d'Escosse comme à Roy, et à luy comme à régent. Dont attandray encores le segond commandement de Vostre Majesté là dessus. Et vous diray cependant, Sire, que j'ay faict une négociation, depuis huict jours, en quelque endroict de ce royaulme, par laquelle j'espère qu'il sera mis assez d'empeschement à celle tant chaude praticque, qu'on menoit, d'avoyr le dict jeune Prince d'Escosse par deçà, et que les picques, qu'on nourrissoit entre ceste princesse et la Royne d'Escosse, demeureroient pour la pluspart esteinctes. Du Rua n'a point encores esté renvoyé par le vidame, et sont, toutz deux, avec le prince d'Orange. Ce qu'il a publié, que les affères alloient bien, de là où il venoit, semble avoyr esté plus dict à artiffice, pour le cuyder ainsy fère acroyre, que pour la vérité. Car l'on a, depuis, remarqué que les ministres ont esté fort troublés du peu d'espérance, qu'il leur a donnée, que les forces d'Allemaigne vueillent marcher pour eulx, s'il n'y a du contant, ou assurance de plus grand somme, qu'ilz n'ont moyen, pour encores, de fournir, ny de bailler respondant. Et vouloit le dict Rua destourner le vidame de n'aller poinct par dellà, l'assurant qu'il n'y advanceroit rien. Néantmoins les ministres, pour maintenir, par ung aultre endroict, leurs affères en réputation, publient que Mr le maréchal Dampville s'est ouvertement déclaré pour eulx, et qu'il s'est saysy de Beaucayre, Montpélier, Aygues Mortes et Narbonne; et que le cappitaine Montbrun a deffaict sept enseignes de gens de pied de Vostre Majesté, et qu'à Lusignan, ceulx de dedans ont faict une si brave sallye, qu'ilz ont mis en roupte tout le camp de Mr de Montpensier: et s'y mesle, je ne sçay quoy, de Mr de Savoye, ez dictz propos, que je n'ay encores bien comprins. Sur ce, etc.
Ce XIIIe jour de novembre 1574.
ADVIS, A PART, A LA ROYNE.
Madame, en ceste conférance, que j'ay eue avec le comte de Lestre, oultre les propos que je déduictz en la lettre du Roy, vostre filz, qu'il m'a tenuz, il m'a dict davantage que la Royne, sa Mestresse, ne se pouvoit donner, à ceste heure, tant de repos, du costé de France, comme elle avoit faict jusques icy, parce qu'on luy avoit révellé que Vostre Majesté ne l'aymoit nullement, et que toutes ces honnestes démonstrations, dont uziés vers elle, n'estoient que pour l'entretenir, pendant que le Roy, vostre filz, et Vous, estiés bien empeschés ailleurs; mais que, toutz deux, luy gardiés une dangereuse pensée, pour l'effectuer, quand le temps vous y pourroit servir;
Néantmoins qu'elle résistoit fort à ceste persuasion, et desiroit, plus que chose du monde, qu'elle peût cognoistre qu'il en alloit aultrement, car, si elle se pouvoit bien assurer de vostre droicte amityé, encor qu'elle se sentît bien avoyr des ennemys près du Roy, néantmoins elle n'auroit plus à estre ny en difficulté, ny en doubte, d'aulcune chose de dellà.
Sur quoy j'ay admené au dict sieur comte la pluspart des évènementz, qui ont apparu en la Chrestienté, depuis que Vostre Majesté manye les affères de France jusques à maintenant; et que l'ordre et succez d'iceulx avoit bien peu fère voyr à la Royne, sa Mestresse, que, oncques, il ne luy estoit advenu de rencontrer une si constante amye, ny sy persévérante, en toutes occasions, comme Vostre Majesté luy avoit toujours esté.
Et l'ay pryé qu'il voulût bien remarquer cella pour en rendre capable sa Mestresse, et pour la mettre hors de ceste faulce et fascheuse impression qu'on luy avoit voulu donner. Ce qu'il a monstré de beaucoup gouster, et m'a promis de fère en sorte que sa Mestresse le gousteroit, et s'en contanteroit.
Et me remettant, Madame, pour ceste foys, de toutes aultres choses au contenu de la lettre du Roy, vostre filz, je adjouxteray seulement, icy, une nouveaulté qui est arrivée, en ceste ville, le VIe de ce moys, qu'après la première marée du matin, ainsy que l'eau commançoit à baysser, une aultre marée est soubdain revenue, qui a remonté: et est venue si haulte qu'elle a inondé bien avant dans le pays, chose que ceulx cy ont prinse pour un grand présage et y donnent diverses interprétations.
CCCCXVIIe DÉPESCHE
—du XVIIe jour de novembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calays par Jehan Volet.)
Conférence de l'ambassadeur avec les seigneurs du conseil.—Retour en Angleterre du frère de lord de North.—Nouvelles de la Rochelle.—Mécontentement d'Élisabeth contre la comtesse de Lennox, au sujet du mariage de son fils avec la fille du comte de Schrewsbury.—Défense qui lui est faite de continuer son voyage en Écosse.—Nouvelles de ce pays.—Avis à la reine-mère. Conférence de l'ambassadeur avec Walsingham.
Au Roy.
Sire, les sept premiers et principaulx du conseil d'Angleterre, avec d'autres seigneurs de ceste court, sont venuz, le jour de St Martin, prendre leur dîner en mon logys, et Mr de Walsingam, qui estoit l'ung d'eux, m'a dict qu'il avoit charge de me fère les recommandations de la Royne, leur Mestresse, et m'assurer qu'encor qu'elle fût absente elle desiroit de communicquer, aussy bien que eulx, qui estoient présentz à ceste conjouyssance, que je cellébroys, de l'heureux retour de Vostre Majesté; et que, non seulement elle leur avoit volontiers donné licence d'y venir, ains avoit prins grand plésir de voyr que, allègrement et fort vollontiers, ilz y venoient. Pour laquelle honneste démonstration d'elle, j'ay pryé le Sr de Walsingam de luy dire que, mille et mille foys, je luy baysois très humblement les mains, et que je ne fauldroys de le signiffyer à Vostre Majesté. Et vous puis dire, Sire, quand à iceulx seigneurs du conseil, qu'il n'y en a eu pas ung qui n'ayt mis quelque honneste propos en avant pour honnorer vostre valeur et vertu, et pour cellébrer les rares et excellantes qualitez que Dieu a mis en vostre personne; monstrans ung singullier desir que l'amityé puisse continuer, bonne et droicte, entre Vostre Majesté et la Royne, leur Mestresse, avec une bonne et parfaicte intelligence entre voz deux royaulmes.
Sur quoy je leur ay remonstré que c'estoit de eulx mesmes que principallement avoit à dépendre le succez de ce grand bien, parce qu'ilz guidoient les intentions de leur Mestresse, et régloient les actions de ses subjectz; et que je les priois qu'à l'appétit et persuasion d'aulcuns, qui se faisoient, à crédit, et sans aulcune juste occasion, eulx mesmes malcontantz, ilz ne voulussent dellibérer chose aulcune, ny en dissimuler nulle aultre, par deçà, qui peût susciter de l'altération en ceste bonne amityé: car pouvoient penser que ce ne seroit par injures et déplaysir, ains par honnestes gratiffications, et mutuelles bénefficences, que la dicte amityé se rendroit perdurable.
Ilz m'ont répliqué que pleût à Dieu que toutz ceulx de vostre conseil fussent d'aussy bonne intention vers la dicte amityé, et aussy promptz de la vous persuader, comme ilz la desiroient de leur part, et estoient prestz de la conseiller toujours à leur Mestresse; et qu'encor que, quelquefoys même, ilz ne le vouloient pas nyer, ilz prêtassent l'oreille aulx malcontantz, sellon qu'il n'estoit pas expédient de la leur fermer du tout, si me prioient ilz de croyre qu'ilz sçavoient assez bien comme s'excuser, et se couvrir de leurs importunitez, et qu'en effect vous ne trouveriez que toute bonne correspondance en leur Mestresse, et en eulx, et en tout ce royaulme, pour veu qu'ilz peussent cognoistre de la disposition bonne en Vostre Majesté.
J'ay à eulx toutz, en général, et encores à quelques ungs, en particulier, aprofondy davantage ce propos, parce que, le jour précédant, estant la nouvelle, dont j'ay faict mencion en la fin de ma dernière dépesche, arrivée, j'eus advertissement que Me Quillegreu, lequel est assez dilligent de brouiller tousjours les affères, estoit aussy allé trouver Mr de Méru, et avoit assemblé les plus aspres ministres chez luy, et puis l'avoit mené à Amtoncourt. De quoy m'estant imprimé beaucoup de souspeçon, j'ay bien voulu tout clèrement la leur descouvrir, mais ilz m'ont pryé de n'estre en peyne, et n'en vouloir encores donner, de cest endroict, à Vostre Majesté; car vous estiez en très bons termes avec la Royne, leur Mestresse, pour establir une mutuelle et très ferme assurance entre vous, et que pourtant il se failloit bien garder de ne rien précipiter.
Et s'en estantz, le jour d'après, iceulx seigneurs tournez vers leur Mestresse, ilz ont trouvé que le frère de milord de North estoit arrivé, lequel, en passant, a tenu à ceulx de ses amys, qu'il a rencontrez en ceste ville, plusieurs propos de fort grande satisfaction, du lieu d'où il venoit. Et j'ay aussytost envoyé en court, pour observer, au vray, le rapport qu'il y feroit.
Ceulx de la Rochelle ont faict une fort ample dépesche aulx ministres et aultres de la nouvelle relligyon, qui sont icy, du XIIIIe du passé, par où j'entendz qu'ilz monstrent de desirer la paix, et qu'ilz ont, au retour de Roger, vostre valet de chambre, que leur aviez envoyé, dépesché incontinent le Sr de Bessons vers Vostre Majesté; et néantmoins, pour n'espérer telles condicions de seureté, ny tant d'exercisse de leur religyon comme ilz desireroient, ilz remonstrent qu'ils font cepandant grand dilligence de se munir, par terre et par mer, et de pourvoyr leur ville, pour soubstenir la guerre; et sollicitent ceulx de deçà de leur moyenner du secours pour le besoing, et de leur envoyer des armes et des pouldres, et aultres monitions. En quoy je mettray peyne de leur y estre le plus oposant qu'il me sera possible. Les dictz ministres font un grandissime cas de la conversion du Sr Dampville, et disent qu'il a de grandes forces aulx champs, qui marchent pour eulx, et beaucoup de bonnes et fortes places à sa dévotion. Et m'a l'on confirmé, qu'ilz continuent de mesler Mr de Savoye fort avant au discours de ces choses; et que bientost l'on me sçaura dire en quelz propres termes ilz en parlent, dont je ne fauldray d'en advertyr incontinent Vostre Majesté.
Il est advenu que la comtesse de Lenox, faysant son voïage vers le North, s'est rencontré avec la comtesse de Cherosbery, et a moyenné, pour le jeune comte de Lenox, son filz, le mariage de la fille de la dicte comtesse, bien qu'elle en fût en termes avec la duchesse de Suffolk, pour le filz de la dicte duchesse; et ont passé oultre à fère les nopces, sans attandre la volonté de la Royne d'Angleterre; laquelle s'en trouve si offancée qu'elle a contremandé la dicte comtesse de Lenox et son filz; et pense l'on qu'elle les fera mettre dans la Tour. Duquel évènement je suis, d'ung costé, bien ayse, parce que le voïage de la dicte comtesse demeure interrompu, et qu'elle n'yra poinct en Escosse; et, d'ailleurs, je crains qu'ayant faict amityé avec la comtesse de Cherosbery, elle la rende ennemye de la Royne d'Escosse.
J'ay sceu que, en Escosse, les choses se maintiennent encores assez paysibles, et que le comte d'Athol, qu'on disoit avoir esté tué, se porte bien, et n'a eu nul mal; et que le comte de Morthon a esté fort malade, mais qu'à présent il est guéry, et qu'encor qu'il continue de se fère haïr, il se faict néantmoins tousjours craindre et obéyr. Sur ce, etc. Ce XVIIe jour de novembre 1574.
Je viens de recepvoyr vostre pacquet, du dernier du passé, sellon lequel Me North a grande occasion de bien cellébrer la faveur et bon traictement, que milord de North, son frère, a receu de Vostre Majesté.
ADVIS A PART, A LA ROYNE.
Madame, je racompte sommayrement, en la lettre du Roy, ce qui s'est passé avec les seigneurs de ce conseil, quand je les ay festoyés, le jour de St Martin, en mon logis; et adjouxteray davantage que, le mesmes jour, j'ay tiré, à part, Mr de Walsingam pour luy dire que Voz Majestez Très Chrestiennes avoient plus de plésir de son advancement, et de le voyr monter en authorité, en ceste court, que de gentilhomme qui fût en Angleterre, pour la bonne opinyon qu'aviez conceue de sa vertu et de sa suffisance; et n'y avoit qu'une seule chose qui vous mît en suspens de luy, c'est que vous l'aviez ung peu cognu extrême au faict de sa religyon, dont creigniez qu'il se formalizât, et qu'il se rendît plus parcial, qu'il n'estoit besoing, près de la Royne, sa Mestresse, pour ceulx qui s'estoient eslevez en vostre royaulme.
En quoy j'estois bien ayse qu'il eût gousté, depuis qu'il estoit dans ce conseil, mieulx qu'il n'avoit faict auparavant, les poinctz qui appartiennent à la souverayne authorité d'ung prince, pour considérer qu'ayant le Roy, vostre filz, premier que de venir à la couronne, exposé mainte foys et azardé fort courageusement sa propre personne pour la religyon catholicque, c'estoit bien tout ce qu'avec sa réputation il pouvoit fère, pour ceulx de l'autre religyon contrayre, que de leur octroyer l'entière restitution de leurs biens, la seureté de leurs personnes, et la liberté de leurs consciences; et que, si, dorsenavant, sa Mestresse et ceulx de son conseil favorisoient leur opiniastreté, ny pareillement celle des malcontantz qui leur voudroient adhérer, qu'il failloit qu'elle et eulx confessassent de soustenir ung très maulvais exemple de rébellion, dans l'estat du Roy, qui seroit, possible, quelque jour, de très grand préjudice au leur.
A quoy il m'a respondu qu'il baysoit très humblement les mains de Voz Majestez, et qu'en mettant toute la peyne, qu'il pourroit, d'honnestement s'employer près de la Royne, sa Mestresse, pour vostre service, il s'efforceroit d'esgaller ses actions à la bonne opinyon qu'il vous playsoit avoyr de luy; et qu'il ne voyoit pas que la dicte Dame ny les siens eussent à se formalizer beaucoup pour les eslevez de vostre royaulme, si leur octroyés, ou ne leur octroyés poinct, tout ce qu'ilz demandent de leur religyon; et que, sellon son advis, s'ilz obtenoient de leur prince l'entière liberté de leur conscience, qu'ilz debvoient, attandant mieulx, louer Dieu, et se contanter; mais qu'il y avoit bien aultre chose qui mouvoit sa Mestresse, c'estoit de voyr que toutes les dellibérations du Roy, vostre filz, s'alloient formant par ung conseil qu'elle avoyt très suspect, et que, si ne luy faisiés cognoistre qu'elle peût establir très confidemment une bonne intelligence avec Voz Majestez mesmes, sans danger d'estre interrompue par ceulx qu'elle a opinyon que ne la voudroient pas, qu'il me vouloit librement dire que vous ne trouveriez jamays que meffiances et difficultez, et très grandes escrupulles, du costé d'elle.
Et bien que je me soys efforcé de luy rabatre ceste sienne impression, comme très mal fondée, il a monstré d'entendre si parfaictement tout ce qui dépandoit de ce poinct, et toutes les circonstances d'icelluy, que je n'en ay peu tirer aultre chose, sinon que, pour la fin, il m'a dict qu'il supplioyt très humblement Voz Majestez de croyre que, estant parfaictement angloix, nul seroit jamays meilleur françoys, en Angleterre, que luy; et que bientost il reviendroit en ceste ville, tout exprès, pour me visiter, et pour conférer privéement de toutes choses avecques moy.
CCCCXVIIIe DÉPESCHE
—du XXIIe jour de novembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Satisfaction d'Élisabeth à raison de l'accueil fait en France à lord de North, son ambassadeur extraordinaire.—Desir des protestans du Poitou et de la Rochelle de faire la paix.—Description de phénomènes atmosphériques survenus en Angleterre.
Au Roy.
Sire, j'entends que, de la lettre que milord de North a escripte, et du rapport que son frère a faict, il demeure ung très grand et souveraynement bon tesmoignage de Vostre Majesté en ceste court, et que toutz deux ont loué bien fort à la Royne, leur Mestresse, l'honnorable façon de laquelle il vous a pleu recepvoyr sa légation; et vous ont attribué, sur ce qu'ilz ont peu comprendre de la gravité de voz responces, et de la dignité de voz actions et de vostre royalle personne, toutes les excellantes et plus belles parties qui se pourroient desirer en ung prince. De quoy aulcuns eussent bien voulu qu'ilz eussent moins dict, et moins escript, et qu'ilz eussent espargné la vérité; mais ilz ont parlé droictement, et si, ont fort assuré qu'aviez bonne inclination à la paix, et que néantmoins vous n'obmettiez une de toutes les provisions qui estoient nécessayres pour une bien forte guerre; en quoy toutes choses vous y alloient, de jour en jour, succédant sellon vostre desir. Bien est vray qu'ilz avoient opinyon que, de la déclaration de Mr Dampville vous pourroit survenir des difficultez nouvelles, et non petites, en la dicte guerre, et du retardement beaucoup en la paix, toutesfoys qu'ilz avoient cuydé sentir que ceulx de la nouvelle religyon ne se fioient que bien à point de luy, et qu'ilz creignoient que, pour retirer son frère aysné, et fère revenir ses aultres frères, et accomoder ses affères, il pourroit bien entreprendre de vous fère quelque extraordinaire service à leurs despens.
Sur quoy il m'a esté mandé que la dicte Dame avoit seulement respondu qu'elle s'estoit toujours bien attendue, que vous uzeriés de quelque bonne démonstration vers elle, mais non de si grande et si pleyne d'honneur et de faveur, comme aviez faict en l'endroict de son ambassadeur, dont elle vous en avoit beaucoup d'obligation; et qu'elle se resjouyssoit bien fort qu'eussiez la volonté d'amortir ces émotions de vostre royaulme par la voye de douceur, sellon qu'elle réputoit estre une chose trop plus heureuse que recouvrissiez de voz subjectz, avec leur amour et bienveillance, en leur donnant la paix, l'obéyssance naturelle et parfaicte qu'ilz vous doibvent, que si, par une définition de guerre, vous ne regaignés sur eulx que une domination pleyne de terreurs, d'espouvantement, et d'indignation cachée dans leurs cueurs; et qu'au reste elle vouloit suspendre son jugement du faict de Mr Dampville jusques à ce qu'elle en sceût mieulx la vérité. Et j'estime, Sire, que les choses demeureront en cest estat jusques au retour de milord de North, lequel l'on espère que pourra estre icy à la fin de ce moys.
L'on m'a raporté que ceulx de Poictou et de la Rochelle, par le discours de leurs lettres, qu'ilz ont escriptes par deçà, du XIIIIe et XVIIIe du passé, monstrent, à bon escient, qu'ilz desirent la paix; et que, regardans à plus de choses que ne font ceulx qui les incitent à la guerre, mandent à leurs agentz que, s'ilz peuvent trouver de bonnes et seures condicions vers Vostre Majesté, qu'ilz sont toutz résolus d'y entendre; et que ce sont ceulx de la noblesse qui principallement les y persuadent. De quoy les ministres de ceste ville, qui creignent quelque diminution en leur religyon, s'en trouvent grandement escandalizés, et s'en esmeuvent, plus que je ne le sçauroys dire, et ne layssent nulle pierre à mouvoir pour interrompre ce bon euvre, sollicitantz ung chascun, et veillantz, jour et nuict, pour dresser des remonstrances et une longue responce par dellà, affin d'y divertyr les gens de bien de ce bon et sainct propos, et les abuser d'une veyne espérance de secours d'Angleterre, d'Allemaigne et de Flandres; et font tenir prest ung Lachemaye, qui, naguyères, en est venu, pour le renvoyer avec ceste ample dépesche. Dont je desireroys, Sire, que fissiez uzer de quelque dilligence vers les dictz de Poictou et de la Rochelle, pour prévenir vers eulx la malice des dictz ministres; et, de ma part, j'essaye bien, par les meilleurs moyens que je puis, de fère escripre l'agent de la Rochelle et les aultres, qui sont de ce quartier là, tout au contrayre de leurs dictes dépesches. J'entendz que, depuis deux jours, les dictz ministres font courir, de main en main, une déclaration qu'ilz disent venir de Mr le Prince de Condé, et quelques aultres escriptz que je n'ay peu encores recouvrer; mais je feray dilligence de sçavoyr que c'est, pour en advertyr Vostre Majesté.
Il semble que, sur ce malcontantement, que la Royne d'Angleterre a conceu de la comtesse de Lenox, qu'elle dellibère de renvoyer Me Quillegreu en Escosse. Je ne sçay à quelles fins; mais je feray observer l'occasion pour quoy c'est, affin de pourvoyr, le mieulx que je pourray, qu'il n'en viegne détriment à vostre service. Et sur ce, etc.
Ce XXIIe jour de novembre 1574.
La dicte Dame et les siens sont aulcunement espouvantez des prodiges, qui apparoissent par deçà; et mesmes que, depuis la double marée, du VIe de ce moys, il a esté veu de grands brandons de feu, en l'ayr, qui ont rendu les deux nuicts, du XVe et XVIe du présent, aussi lumineuses et clères comme de plein jour, encor qu'il ne fît poinct de lune. Et ont continué les dictz feux, en diverses figures, depuis les deux heures après minuict, jusques envyron les huict heures du matin, que le soleil estoit desjà bien haut. Sur quoy, aulcuns astrologiens de ce royaulme ont esté mandez; mais ne sçay encore quelle signiffication ils y donnent.
CCCCXIXe DÉPESCHE
—du XXVIIe jour de novembre 1574.—
(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Danger de la reine d'Écosse.—Prière de Marie Stuart au roi pour qu'il la prenne en sa protection.—Instances des protestans de France auprès de Mr de Méru.—Résolution des habitans de la Rochelle de se défendre jusqu'à la dernière extrémité.—Changement apporté dans les bonnes dispositions des Anglais par la violation de la capitulation de Fontenay.
Au Roy.
Sire, j'ay addressé, en la meilleure et plus digne façon que j'ay peu, à la Royne d'Escosse, vostre seur, la lettre que Vostre Majesté luy a escripte, du VIIIe du passé; et elle m'a mandé qu'elle s'en est resjouye, oultre mesure, et plus que de nulle autre chose, qui luy eût, en ce temps, peu advenir, de quelle part qui soit au monde, et m'a faict tenir la responce, qui est de sa main, laquelle j'ay adjouxté à ce pacquet; et croy que la consolation et visite de vos lettres, à ceste pouvre princesse, vous sera imputé à ung euvre de grande charité devant Dieu, et ung office de singullière recommandation envers les princes souverains, et envers les gens de bien de toute la terre. La dicte Dame loue Dieu de vostre heureuse arrivée, et le prie incessamment, pour le bon succès de voz affères, et pour la grandeur et félicité de Vostre Majesté. Elle est si subjecte à calompnies, et ses ennemys sont si promptz à luy attribuer l'occasion de toutz les maux et désordres qui surviennent en ce royaulme, qu'ilz ont voulu imprimer à la Royne, sa seur, qu'elle estoit cause du mariage du comte de Lenox avec la fille de la comtesse de Cherosbery, et qu'elle avoit ligué la duchesse de Suffolc et la comtesse de Lenox avec la dicte comtesse de Cherosbery pour monopoler plusieurs choses pour elle dans ce royaulme; là où, au contrayre, elle crainct, plus que chose du monde, que de la racointance de ces troys dames, desquelles les deux luy ont esté tousjours très ennemyes, ne luy viegne beaucoup de traverse en ses affères et ung préjudice, par trop grand, à sa propre liberté. Dont, de quelle part que puisse procéder le mal, elle a senty qu'on faysoit, là dessoubz, une aspre menée pour l'oster de la garde du comte de Cherosbery, et la mettre en des mains qu'elle n'a moins suspectes que la mort. Sur quoy m'a escript qu'elle recouroit, comme vostre belle seur, et vostre principalle allyée, et de vostre sang, à la protection de Vostre Majesté, et, qu'en cas qu'on la voulût mettre en mains suspectes, qu'elle vous supplioyt de vous y oposer, et de protester de la conservation de sa vye, et de vanger sa mort, et le tort et injure qu'on luy feroit; et que c'est bien ce qu'elle doibt et peut justement espérer de l'appuy de vostre couronne.
Je ne luy ay encores respondu, mais, ayant descouvert, premier qu'elle, toute ceste trame, j'ay mis le plus de dilligence et de soing que j'ay peu d'y remédier, et espère que les choses n'iront si mal, comme ses ennemys le procurent, ny comme elle a eu juste occasion de le craindre. Néantmoins il vous plerra me commander, là dessus, vostre volonté, et me mander ce que j'auray à luy respondre.
Le Sr de Vassal est arryvé, avec vostre dépesche, du Xe du présent, sur laquelle j'espère voyr bientost ceste princesse, et je satisferay, puis après, à toutz les chefz de vos lettres, le plus tost et le mieulx que ma santé, laquelle je sentz, de jour en jour, évidemment empirer, en ce lieu, me le pourra permettre. Et vous diray cepandant Sire, que, sur ce que j'ay faict cognoistre en ceste court, que les allées et venues, que Mr de Méru y faisoit, m'estoient suspectes et plus encores celles des ministres; il m'a esté respondu, quand aulx ministres, qu'on ne pouvoit, en Dieu et conscience, refuzer d'ouyr ce qu'ilz trouvoient nécessayre d'estre dict et remonstré, ou bien proposé, pour la deffance de leur relygion, qu'ilz avoient commune avec cest estat, et qu'à cella je m'oposeroys en vain; mais quand à l'aultre, que je n'avoys à me plaindre de faveur qu'on luy fît, car l'on n'avoit encores veu ny ouy parolle de luy, qui ne fût sellon l'honneur et dignité de Vostre Majesté, et pour le repos de vostre royaulme; et ne se cognoissoit rien en luy qui sentît la rébellion, car, quand il en monstreroit le moindre signe du monde, il ne trouveroit plus tel visage, en ceste princesse, ny aulx siens, comme il avoit faict, ny n'auroit plus aucun accez à eulx.
Je ne puis, à dire vray, Sire, bien descouvrir s'il trame rien avec la dicte Dame, mais je ne me puis contanter que le ministre Villiers, et quelques aultres, ses semblables, soient ordinayrement, et trop souvant, en secrette conférance avecques luy; et que je commance d'entendre qu'il se parle, parmy les siens, de retourner bientost en Allemaigne. Je travailleray de le réduyre au poinct que m'avez mandé de vostre intention par toutz les moyens et plus vifves persuasions qu'il me sera possible; et vous rendray compte de ce qu'il m'aura dict.
Quelqu'ung m'a rapporté, du costé d'Ouest, là où la comtesse de Montgommery et sa famille sont, que le jeune Lorges y est arrivé secrettement, en habit incognu, pour voyr sa femme: et je le croy, en partye, parce que Mr de Walsingam m'a mandé qu'il avoit receu des lettres de la Rochelle, que je pense qu'il a apportées, et qu'on luy mande qu'on se dellibéroit entièrement d'attandre l'extrémité, parce que l'exemple de Fontenoy[2] leur monstroit qu'il ne leur seroit gardé capitulation, ny promesse, qu'on leur fît. Sur ce, etc.
Ce XXVIIe jour de novembre 1574.
Le comte de Sussex, grand chambelland de ceste princesse, a prins des lettres de moy à Mr de Matignon et au cappitayne Lago, pour pouvoir tirer le nombre de cinq centz tonneaulx de pierre blanche, de Caen; dont il desire qu'il playse à Vostre Majesté leur escripre, à toutz deux, de tenir la main que, sans empeschement, ny destourbier, ny sans aulcun grief, ses gens puissent fère transporter librement la dicte pierre deçà la mer. De quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre Majesté le vouloir gratiffier.
A la Royne
Madame, ayant mis peyne d'approfondir, en ceste court, l'occasion de quoy il est advenu, qu'après avoyr faict retarder le voïage de Me Wilson en Flandres, et l'avoyr si bien interrompu qu'on luy avoyt une foys mandé de descharger ses gens, il y ayt depuis ung si soubdain changement qu'en moins d'une heure l'on l'ayt dépesché et l'ayt on faict incontinent partir; il m'a esté respondu à cella, que la grande impression que j'avoys donnée à ceste princesse qu'elle pourroit establir une ferme et perdurable amityé avecques le Roy, vostre filz, et la grande réputation qui couroit, icy, de sa vertu, et surtout qu'il estoit prince de parolle et de grande vérité, avoient faict qu'elle s'estoit résolue de se commettre entyèrement à luy, et ne passer plus oultre avec le Roy d'Espaigne; mais que, sur l'advertissement que ceulx de la Rochelle avoient, depuis, mandé: que la capitulation n'avoit esté gardée à ceulx de Fontenoy, il avoit esté remonstré à la dicte Dame que, bien que le Roy se voulût rendre, en toutes aultres choses, fort entier, il monstroit néantmoins desjà qu'il estoit persuadé, jouxte le concile de Constance, de ne debvoir tenir ny foy ny promesse à ceulx de la religyon dont elle estoit, et que, pourtant, elle se hastât de renouveller, le plus tost qu'elle pourroit, avec le Roy d'Espaigne, les anciennes amityés de Bourgoigne; auxquelles, encor que, pour quelque occasion, il voulût bien suyvre le concille de Constance, il n'entreprendroit toutesfoys, pour d'aultres grandes utillitez, de préjudicier aulx dictes anciennes amityés, oultre que, jusques icy, il n'avoit jamays démenty sa parolle.
Et par ce, Madame, que j'ay envoyé assurer que ce que ceulx de la Rochelle avoient mandé de Fontenoy estoit faulx, aulcuns de ceulx qui se monstrent mieulx inclinez à la France qu'à l'Espaigne, m'ont secrettement adverty qu'on sçavoit trop bien ce qui en estoit, et que je n'en parlasse plus; et m'ont pressé de vous fère ung article, exprès, comme il est besoing qu'advertissiez le Roy, vostre filz, que, en ceste cause, laquelle est aujourdhuy la plus grande de la Chrestienté, et laquelle va bander toutes les armes et puissances des Chrestiens les unes contre les aultres, il ne veuille laysser prendre au monde ceste impression de luy, qu'il ne vueille bien garder la foy et les promesses qu'il donnera, ou aultrement qu'il se prépare ardiment de soubstenir, dans son royaulme, une guerre continuelle, sans intermission, ny relasche aulcun, non seulement avec ses subjectz, mais avec toutz les princes et estatz, et avec toutz les intéressés en la dicte cause, jusques à ce que, par une deffinition et une victoyre généralle, il ayt exterminé entyèrement tout aultant qu'il y en a au monde.
J'ay respondu, sans promettre que je vous en escriprois, ce que j'ay estimé digne de la grandeur du Roy et de sa couronne, et de la juste cause, qu'il poursuyt, de recouvrer l'obéyssance de ses subjectz; et feray, le mieulx que je pourray, pour effacer les aultres violentes impressions, qu'on s'efforce de donner au monde, de vostre intention et de celle du Roy. Et sur ce, etc.
Ce XXVIIe jour de novembre 1574.
CCCCXXe DÉPESCHE
—du IIIe jour de décembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Audience.—Nécessité de faire surveiller les protestans qui passent d'Angleterre en France.—Démarches faites par l'ambassadeur auprès de Mr de Méru.—Plaintes de l'ambassadeur à raison de l'oubli dans lequel on laisse ses services.—Mémoire. Détails de l'audience.—Réponse d'Élisabeth à la déclaration du roi qu'il veut maintenir l'alliance avec elle.—Protestation d'amitié de la part de la reine d'Angleterre.—Ses instances pour que la paix soit rétablie en France.—Conférence de l'ambassadeur avec les seigneurs du conseil.
A la Royne
Madame, ce que j'ay recueilly des propos et responces de la Royne d'Angleterre en ma dernière audience, je le metz assez particullièrement en ung mémoire à part au Roy, vostre filz, et me reste seulement de vous dire que la dicte Dame supplie Vostre Majesté de se souvenir que, au premier an du règne du feu Roy, Françoys, vostre filz, vous luy promistes l'amityé de voz enfantz; dont elle vous prie tenir vostre parolle pour le Roy, qui est à présent, ainsy qu'avez faict pour les deux passez; et qu'elle ne doubte nullement que n'ayés encores l'affection très bonne au propos que luy aviez mis en avant pour le quatriesme; mais l'on s'est bien fort escarté de la voye de l'effaictuer, néantmoins qu'il ne sera jamays qu'elle ne luy vueille beaucoup de bien, et qu'elle ne l'honnore et n'ayt une très bonne opinyon de luy.
Je suys adverty, Madame, qu'il y a ung ministre, nommé Joys, homme de lettres, nourry longtemps en Angleterre, lequel, partant d'icy, disoit s'en aller en Constantinople, qui s'est arresté à Paris, et escript souvent par deçà, et mande plusieurs choses à l'advantage des eslevez, et qu'ilz obtiendront, ceste année, tout ce qu'ilz vouldront; dont, de tant qu'il parle plusieurs langues, et que, soubz ombre de hanter les collèges, pour l'occasion des lettres, il pourroit praticquer des intelligences dans la ville contre le service de Voz Majestez, il sera bon de le fère chasser ou aulmoins prendre garde à luy.
J'ay parlé à Mr de Méru, et n'ay rien obmis du postscripta de la lettre du Roy ni des poinctz qu'il vous pleut toucher au Sr de Vassal. Je l'ay trouvé en collère et malcontant; mais il a remis de me respondre, dans ung jour ou deux, dont, par mes premières, je vous feray entendre ce qu'il m'aura dict. Et persévérant plus que jamays, Madame, à vous supplyer très humblement pour mon congé, sellon que je sentz, de jour en jour, diminuer ma santé et me croystre plusieurs manquementz en la continuation de ceste charge, je pryeray le Créateur, etc.
Ce IIIe jour de décembre 1574.
Je ne sçay de quelz termes uzer pour me douloir, à Vostre Majesté, de m'avoyr, non oublyé, mais déjetté très honteusement de celle grande distribution de biens qui a esté faicte, à l'arryvée du Roy, vostre filz. Aulmoins me debvoit ce béneffice, qu'on m'a osté, qui estoit tout mon bien, estre rendu; et ne puis dire, Madame, sinon que je suis celluy, à qui il vous playst de fère porter la plus notable marque d'indignité et de défaveur, et de malcontantement, qu'à nul aultre gentilhomme, qui soit au service de Voz Majestez; et je laysse bien à Dieu, et elles, de juger si je l'ay mérité.
MÉMOIRE AU ROY.
Sire, il n'est besoing que je vous racompte les propos que j'ay tenus, ceste foys, à la Royne d'Angleterre, car je les ay prins de la lettre que Vostre Majesté m'a escripte, le Xe du passé, et il sera facille de comprendre quelz ilz ont esté par les responces que la dicte Dame m'a faictes, qui sont, en substance, comme s'ensuyt:
Que jamays chose ne luy estoit mieulx advenue, sellon son desir, que l'effaict de la légation de milord de North, puisque, des lettres qu'elle vous a escriptes par luy, et des poinctz qu'il vous a explicqué de sa créance, il vous reste du contantement; et que toute l'ambassade et l'ambassadeur vous ont esté agréables, car la principalle intention qu'elle a eue, en le vous envoyant, a bien esté d'honnorer vostre grandeur, et donner ung évident tesmoignage au monde de l'affection qu'elle porte, très bonne et de très bonne seur, à Vostre Majesté, et à l'establissement de voz affères;
Qu'elle a ung singullier playsir de voyr, par ce commancement, que vous voulez tenir en quelque bon compte son amityé, et luy donner à elle une très grande espérance de la vostre; que ce qu'elle desire maintenant, le plus au monde, est que les choses puissent ainsy procéder entre vous que vous ayez mutuellement à prendre une très assurée confiance l'ung de l'aultre;
Que nulle meilleure ny plus honnorable nouvelle eust elle peu entendre de voz vertueuses dellibérations, que celle que je luy ay assurée que, de vostre propre naturel vous avez, de vouloir résoluement tenir voz promesses, et manquer plustost à la vye que à la parolle que vous aurez une foys donnée; que, sur le solide fondement de ceste vostre constante volonté, laquelle estoit vrayement royalle et digne de vous, qui estiez par extraction, et par élection, et par succession, le plus royal prince qui ayt esté, de longtemps, en la Chrestienté, elle se disposeroit en telle sorte vers vostre amityé que, s'il n'y deffailloit de correspondance, de vostre costé, vous pourriez fère estat d'avoyr en elle la plus entière et parfaicte bonne sœur, et bonne amye, qui fût au monde;
Qu'elle ne vouloit nyer qu'on ne luy eût voulu donner quelque male impression des promesses, à quoy on vous pouvoit avoyr obligé, passant par l'Italie, contre elle, et contre le repos de son royaulme, ou contre sa religyon; dont se resjouyssoit bien fort de ce que luy donniés parolle qu'il n'en estoit rien, et que vous vous trouviez libre de toutes ligues et obligations, sinon des anciennes de vostre couronne, et de celle que pouviez avoyr avec elle, à cause du sèrement du feu Roy, vostre frère, et avec le royaulme de Pouloigne, à cause du vostre;
Que, puisque vous estiez résolu de vivre en bonne intelligence avec les princes et estatz voz voisins, qui la voudroient avoyr bonne avecques vous, que vous la vous pouviez ardiment promectre très seure et perdurable, de son costé; car, tant qu'elle vivroit, vous en pourriés fère très certain estat;
Que nulle chose au monde vous pouvoit elle plus louer, ny plus recommander, que celle voye de paix, que proposiez de suyvre, pour mettre le repoz en vostre royaulme, et que celluy vous seroit bien traistre et infidelle, voyre très cruel ennemy, qui vous ozeroit conseiller, ou dire, qu'il ne fût honnorable et utille, et mesmes très nécessayre de la fère;
Que, pour le bien universel de la Chrestienté, elle se sentoit obligée, entendant le grand progrès des armées et victoires du Turc sur les Chrestiens, et des appareils qu'il faict pour entreprendre plus avant, de vous supplier que vueillez embrasser la paix publicque et unyon des dictz Chrestiens; mais encores plus, pour vostre bien et repos particullier, elle vous vouloit fort expressément exorter d'amortyr, en toutes sortes, ces guerres de vostre royaulme, et y employer si avant vostre clémence et doulceur, et l'authorité de vostre foy et parolle, que voz subjectz puissent seurement retourner à l'obéyssance et subjection qu'ilz vous doibvent;
Qu'elle n'approuvoit nullement les armes des eslevez, en quelle façon, ny soubz quel prétexte, qu'ilz les eussent prinses, et mesmement en ce qui se faysoit hors de la considération de la religyon, et qu'elle s'esbahyssoit assés de Mr le maréchal Dampville, et n'avoit, depuis la nouvelle qui estoit venue de sa déclaration, veu Mr de Méru, son frère, ny ne le verroit, s'il apparoissoit en luy ung seul signe de rébellion;
Néantmoins qu'elle entendoit que la craincte de mort et l'injustice faysoient renger un grand nombre de voz subjectz à la deffansive, et prendre voz villes et places pour lieu de refuge, et passer encores à l'offensive, et attirer troubles sur troubles, et susciter les estrangers dans vostre royaulme;
Sur quoy, pour la singullière affection qu'elle avoit à la conservation de vostre grandeur, et de vostre couronne, elle vous prioit de rompre, le plus tost que vous pourriez, le cours de ce malheur, et prendre, de bonne part, si elle vous disoit librement que les choses, mal passées contre ceulx de la nouvelle religyon, requerroient que vous ne refusissiez ny trouvissiez mal honnorable, ny contre vostre réputation, de les accomoder maintenant de quelque honneste seureté.
Ces responces de la dicte Dame, qui ont esté plus expresses et plus considérées que nulles aultres qu'elle m'eût guyères jamays faictes, m'ont baillé argument de luy mettre bien devant les yeux la conséquence de ceste cause, et combien ceulx, qui s'efforçoient de la luy desduyre pour bonne et soubstenable, bandoient desjà, et dressoient de semblables rébellions contre elle; et qu'elle considérât si, de Vostre Majesté, qui aviez, premier que d'estre Roy, combatu, l'espace de sept ans, très courageusement, et azardé souvant, et mis en manifeste danger vostre propre personne, pour la religyon catholicque, ce n'estoit pas assés, maintenant que estiez monté à la couronne, et que la somme de toutes choses estoit parvenue en voz mains, d'accorder, à iceulx de la dicte religyon, l'abolition du passé, la jouyssance de leurs biens, la demeure paysible de leurs maysons, et la liberté de leur conscience; et que, de demander davantage, c'estoit par trop forcer la volonté qu'ilz sçavoient bien que vous aviez, qui estiez leur Roy, et leur prince;
Que néantmoins vous donniez ceste parolle à la dicte Dame qu'il n'y auroit aulcune honneste ny tollérable condicion, pourveu que n'offançât vostre honneur, que ne fût accordée à voz dictz subjectz, pour les fère revenir à leur debvoir; mais aussy que, quand vous auriez faict ainsy le vostre envers Dieu et les hommes, vous protestiez bien d'employer toutes les forces et moyens, que Dieu vous avoit donnez, et n'en laysser ung seul en arrière, de toutz ceulx que vous pourriés mouvoir en la Chrestienté, pour réprimer justement la présumption et témérité de ceulx qui, inicquement, persévèreroyent d'estre rebelles contre vous; et qu'en ce cas vous l'adjuriez, elle, de non seulement leur dénier la faveur et apuy de ce royaulme, mais de joindre ses forces aulx vostres pour extirper de la terre ung si pernicieux exemple que le leur.
A quoy elle m'a respondu qu'elle se souvenoit tant d'estre Royne, et de vous estre, pour cella, conjoincte d'estat, qu'elle ne manqueroit jamays à nul debvoir de bien bonne seur vers Vostre Majesté, et qu'après que milord de North seroit arryvé, et qu'il luy auroit faict le récit des choses de dellà, nous pourrions lors poursuivre plus amplement ce propos; et qu'elle s'esbahyssoit comment il ne vous avoit parlé du faict de la navigation, et de l'administration de la justice à voz mutuelz subjectz, car il en avoit eu charge, et qu'elle ne desiroit rien tant que d'y pourvoyr, par bonne intelligence, avecques vous, et députer, pour cest effect, deux de son conseil, ainsy que Vostre Majesté en avoit depputé deux du sien; et que, quand le gentilhomme, que dellibériez envoyer vers elle, seroit icy, elle nous feroit rendre, par son admiral et par les officiers de la marine, ung si bon compte de leurs depportementz passez, en tout ce qui avoit concerné les Françoys, qu'elle espéroit que vous en demeureriez contant.
Et, là dessus, m'estant licencyé de la dicte Dame, j'ay estimé bon de déduyre aulx seigneurs de son conseil ce que j'avoys dict à elle, affin de bailler à ceulx, à qui reste encores quelque affection vers Vostre Majesté, de quoy pouvoir fère incliner leurs dellibérations, le plus qu'il leur seroit possible, au bien de vostre service. Lesquelz ont monstré toutz d'estre bien fort ayses de l'assurance, que je leur ay donnée, de vostre bonne intention vers leur Mestresse, et vers eulx, et vers l'estat de ce royaulme. Et leurs responces m'ont assez contanté, sinon en ce que l'ung d'eux m'a dict fort rondement que, voyantz la profession, que Vostre Majesté avoit jusques icy faicte, de se monstrer adversayre de leur religyon, qu'ilz ne pouvoient interpréter l'effaict de voz armes, sinon qu'elles estoient dressées et s'exécutoient contre eulx, et que vous pouviez bien fère estat qu'ilz n'estoient pour se déjoindre aulcunement de la cause de leur dicte religion. Et ne m'estant pas, en toutes choses, si bien accordé avec eulx comme avec la dicte Dame, nous n'avons passé plus avant.
CCCCXXIe DÉPESCHE
—du VIIe jour de décembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)
Négociation de l'ambassadeur avec Mr de Méru.—Nouvelles de Marie Stuart; crainte qu'elle ne soit commise à la garde de l'un de ses ennemis.—Sollicitations des réfugiés.—Retour de lord de North.—Mémoire. Détails de la négociation avec Mr de Méru.—Desir du roi qu'il serve d'intermédiaire pour procurer la paix.—Plainte de Mr de Méru contre la conduite tenue a l'égard des Montmorenci.—Leur justification.—Assurance de leur entier dévouement au roi.—Desir de Mr de Méru que Mr de Montmorenci, son frère, soit lui-même choisi par le roi comme négociateur.—Déclaration du capitaine La Porte.
A la Royne
Madame, je pense que rien n'a esté obmis, comme verrez par le mémoire au Roy que je joins à ce paquet, de ce qui se pouvoit déduyre à Mr de Méru, pour le ramener au sentiment des choses que desiriez luy estre, de moy mesmes, et encores aulcunement de la part de Voz Majestez, déclarées touchant l'acheminement de la paix, et le divertissement des forces estrangières, qui ne luy ayt esté vifvement remonstré; et encores qu'il ayt, du commancement, déchargé ung peu sa collère, si est il revenu, à la fin, à la modération et à la cognoissance de son debvoir vers Voz Majestez, et monstré d'estre tout disposé à vous rendre entière obéyssance. Il est bien vray qu'il demeure ferme en la justiffication et innocence de ses deux frères, et de ne se vouloir desjoindre de leur cause ny d'eux, mais il a opinyon que, sans difficulté, ilz se réunyront toutz unanimement, et pareillement son beau père, et ceulx qui pourroient dépendre d'eux, au poinct que Voz Majestez desireront, s'il vous plaist les rendre assurez de vostre bonne grâce.
Le milord de North n'est encores retourné, dont l'on s'esbahyt assés qu'est ce qui le peut si longtemps retenir par dellà.
Ceste princesse se tient si offancée du mespris que la comtesse de Lenox et le comte et la comtesse de Cherosbery ont tenu d'elle, en ce mariage du jeune comte de Lenox, qui est parant de la couronne, qu'elle dellibère de le leur fère bien sentir à toutz. Mais le pis est qu'elle veut oster au dict comte la garde de la Royne d'Escosse, et les ennemys de la dicte Dame l'en sollicitent instamment; de quoy je sçay que la dicte Royne d'Escoce sera fort troublée et fort marrye, et suis en grand peyne en quelles mains on la voudra mettre. Dont je supplye très humblement Vostre Majesté de dire, ou fère dire à l'ambassadeur d'Angleterre, que vous suppliez la Royne, sa Mestresse, de ne la commettre à nul qu'elle ayt suspect, ny qui ne soit seigneur de qualité pour respondre du traictement d'une telle princesse. L'on m'a bien faict desjà une honnorable promesse là dessus, mais je crains les artiffices et menées de ses ennemys. J'ay obtenu une lettre à l'ambassadeur d'Angleterre, par laquelle luy ay mandé de bayller ung passeport de luy à Nau, pour venir jusques icy, et il en prendra ung aultre, icy, pour aller trouver la Royne d'Escosse.
J'ay octroyé des certifficatz à des habitants de Roen, et de Normandye, de leurs paysibles déportementz par deçà, sur des bons tesmoignages qu'on m'a rendus d'eux, affin d'obvier à la saysie de leurs biens. Et y a ung ministre, lequel, entre les autres, est plus modéré, et n'adhère poinct aulx violentz conseils de la guerre, ny aulx invectives et praticques de ses compaignons, qui m'a faict aussy demander ung certifficat pour luy; mais, à cause de sa qualité de ministre, je ne luy ay poinct voulu octroyer sans en avoyr expresse permission de Voz Majestez, dont vous plerra me commander comme j'auray à en uzer: et semble que cella pourroit aulcunement servir de tenir leurs opinyons parties et divisées, en ne dényant vostre faveur à ceulx qui l'ont modérée et paysible.
Le cappitayne Janeton, après s'estre excusé de passer à la Rochelle, ny d'aller trouver le Prince de Condé, s'est résolu de se retirer à vostre service, ou en sa mayson; et persévérer là, toute sa vye, en l'obéyssance de Voz Majestez, de laquelle il ne s'est jamays départy; et qu'il aymeroit mieulx estre mort que d'avoyr porté les armes contre vostre service. Il vous supplye très humblement de luy fère envoyer ung passeport: et je vous promectz, Madame, que, par ce que j'ay veu et ouy de luy par deçà, il mérite vostre faveur. Je suis contrainct de vous ramantevoyr tousjours mon congé, et vous supplye de le vouloir fère résoudre comme chose fondée en très grande nécessité. Et sur ce, etc. Ce VIIe jour de décembre 1574.
L'on me vient d'advertyr, toute à ceste heure, que milord de North arrive aujourd'huy à Douvre. Et je viens de fère une petite négociation avec ung seigneur de ce conseil, suyvant laquelle il sera bon que différiez de fère parler du faict de la Royne d'Escosse à l'ambassadeur d'Angleterre, jusques à ce que Vostre Majesté ayt aultres nouvelles de moy.
MÉMOIRE AU ROY.
Sire, après que Mr de Méru m'a heu fort volontiers escouté, sur tout ce que je luy ay voulu dire, conforme au postille de la lettre de Vostre Majesté, du Xe du passé, et suyvant ce que la Royne, vostre mère, m'en avoit mandé par le Sr de Vassal, avec plusieurs remonstrances que je luy ai faictes, de moy mesmes, de ne vouloir, ny luy ni ses frères, gaster une cause qu'ilz réputoient si bonne et juste comme la leur, et ne provoquer, en ce temps, l'indignation de Vostre Majesté, ny celle à jamays de la couronne de France, de laquelle eulx et feu Mr le connestable, leur père, et leurs prédécesseurs avoient mis peyne, jusques icy, de bien mériter d'icelle; et elle les avoyt plus obligés que nulz gentilzhommes du royaulme, dont luy monstreroient maintenant une horrible ingratitude, et la provoqueroient, durant tout vostre règne et de voz enfantz, et quiconque y vînt à régner après vous, à une très juste indignation contre eulx, pour les avoyr et toutz les leurs à l'advenir très suspectz, et ne cesser qu'elle n'en ait exterminé la race, s'ilz suyvoient le chemin qu'ilz avoient commancé;
Et pourtant qu'il voulût embrasser l'honneste moyen qui luy estoit offert de pouvoir conserver, pour luy et ses frères, vostre bonne grâce, et maintenyr la mayson de Montmorency en l'honnorable degré qu'elle a esté jusques icy, et de pouvoir encores un jour recueillir à soy la succession d'icelle, et celle de son beau père, et, possible encores, l'estat que son dict beau père tient, s'il sçavoit bien uzer de la présente occasion; oultre que ce, en quoy il avoit à s'employer maintenant, non seulement luy éviteroit les dommages et dangers, et luy apporteroit les utillitez que je luy déduysois, mais luy acquerroit ung non petit mérite envers Dieu, et une grande faveur de Vostre Majesté, et une très grande louange par toute la France; et qu'il pouvoit espérer que sa dilligence et ses bons offices en cest endroict auroient tant d'heur qu'ilz nous produyroient une bonne et desirée paix, sellon que je luy jurois, devant Dieu, que tout ce qu'il vous avoit pleu me fère sentir et cognoistre de voz intentions estoit entièrement dressé à la paix et repos de voz subjectz; et qu'il pesât bien que luy ny ses frères ne pouvoient comparoistre en ceste guerre, parce qu'ilz n'estoient de la nouvelle religyon, sinon comme purs rebelles, et qu'ilz ne se donneroient la garde que les dictz de la nouvelle religyon auroient accepté l'accommodement que Vostre Majesté leur vouloit fère, et que luy et les siens demeureroient dehors, délayssés de toutz les Françoys et nullement soubstenus d'aulcun prince, ny estat estranger, et que la fin ne leur en seroit que honteuse et pleyne de confusion, et d'une grande ruyne de leurs biens, de leurs vyes et de leur honneur, à jamays.
Il m'a respondu, en une certeyne façon, qu'il est venu à conclurre tout au contrayre de son narré, car m'a parlé en homme fort malcontant et tout oultré de courroux et de dheuil, de ce que son frère aysné et son beau père estoient trop long temps détenus prisonnyers, sans qu'on examinât leur cause, et de ce que, contre la promesse que Vostre Majesté avoit faicte à Mr de Dampville à Turin, l'on s'estoit efforcé de luy fère depuis son procès à Lyon, et l'avoit on contrainct, maugré luy, de prendre le party où il estoit à présent;
Et pour le regard sien, du dict Sr de Méru, qu'on sçavoit assés qu'il ne s'estoit absenté pour offance qu'il eût faicte, ains pour éviter l'orage qu'il voyoit concité contre ceulx de sa mayson; et s'estoit retiré en Allemaigne, et depuis, pour ne donner souspeçon, passé icy, où il s'estoit comporté en bon et loyal subject de Vostre Majesté, et néantmoins ses biens estoient meintenant saysis, et deffanse faicte de luy apporter de l'argent par deçà.
Ce qui les menoit, avec l'impression qu'on leur donnoit d'ailleurs que leur ruyne estoit desjà jurée, à ung si extrême désespoir que force leur estoit de chercher des remèdes pour ne périr du tout, soubz la violence de ceulx qui bandoient ainsy vostre authorité contre eulx; et que, sentans leur cause bonne et juste, et eulx munis de bonne conscience envers Dieu et Vostre Majesté, ilz dellibéroient de n'obmettre ung de toutz les moyens, dont ilz se pourroient prévaloyr, pour repousser plus courageusement ceste injure, que ceulx qui la leur procuroient, et qui les vouloient opprimer, ne pensoient qu'ilz le peussent fère;
Adjouxtant plusieurs choses, de particullier, de luy et de ses frères, et plusieurs aultres, de général, du Royaulme, qui seroient par trop longues icy.
Néantmoins le pressant de restreindre en brief ce que j'auroys à vous fère entendre de sa dellibération, il m'a dict, et encores, après y avoyr mieulx pensé, m'a mandé qu'il supplioyt très humblement Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, de le vouloir tenir pour vostre très obéyssant et très fidelle serviteur, et que ce qu'il vous plerroit luy commander, pour paix ou pour guerre, qu'il seroit tout prest de très humblement y obéyr;
Que ses frères et luy ne desirent pas tant leur propre vye comme la bonne grâce de Vostre Majesté et la paix de vostre royaulme; que très volontiers, s'il se sentoit avoyr quelque moyen d'induyre voz subjectz à la dicte paix, ou bien de divertyr les forces estrangères qui se pourroient apprester de venir en France, qu'il le feroit, mais qu'il pouvoit si peu en l'ung ny en l'autre, estant mesmement si loing qu'il ne sçauroit par où y commencer;
Que Mr Dampville estoit là, beaucoup plus près, à quy Vostre Majesté en pourroit fère parler, et que, si estimiez que ceulx de sa mayson peussent aulcunement servir à ces deux choses, ou à quelque autre de vostre intention, qu'à son adviz Mr de Montmorency estoit le plus capable de toutz, plein de persuasion et de conseil, et qui avoit son desir du tout à la paix et à l'establissement de voz affères, et que, s'il vous playsoit le fère parler à Mr de Dampville, sellon que vous le cognessiez homme entier et de grande sincérité, et aviez mille expériences et mille bonnes cautions de luy, il s'assuroit qu'il vous serviroit droictement et sincèrement, et avec honneur et conscience;
Qu'il adjuroit la bonté et clémence de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, de vouloir fère examiner par la règle de justice, devant les payrs de France, la cause du dict Sr de Montmorency et de Mr le maréchal de Cossé, et s'ilz estoient trouvez coupables, que luy mesmes les réputoit dignes de mort, voyre la plus cruelle que nulz aultres subjectz de la terre; mais, s'ilz estoient innocentz, qu'il vous supplioyt, au nom de Dieu, de les remettre en liberté;
Que s'il vous playsoit de disposer des estats de ses deux frères et de son beau père, et du sien, et mesmes prendre de leur bien, si pensiez qu'ilz en eussent trop, et leur commander de demeurer comme privez gentilzhommes en leurs maysons, sans se mesler de rien, ou bien de vuyder le royaulme, qu'ilz seroient prestz d'obéyr à tout ce qu'il vous plerroit leur commander.
Et c'est en substance tout ce que j'ay peu tirer de luy.
Le cappitayne La Porte m'est venu dire qu'il juroit à Dieu de n'avoyr jamays pensé qu'à estre très obéyssant et très fidelle subject et serviteur de Vostre Majesté, et qu'il ne s'estoit absenté pour chose qu'il eût jamays dicte ny faicte au contrayre; mais, parce qu'il avoit esté cherché et suivy pour le fère prisonnyer, aussytost que Mr de Montmorency fût prins, il avoit bien voulu sortir hors du royaulme, non que très volontiers il ne fût allé présenter sa vye pour servir à la liberté de Mr de Montmorency, mais qu'il voyoit bien qu'on ne le vouloit que tourmenter et questionner, pour tirer, par violence, quelque déposition de luy, pour nuyre au dict seigneur, dont estoit résolu de ne retourner jamays en France qu'il ne fût hors de prison.
CCCCXXIIe DÉPESCHE
—du XIIe jour de décembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)
Communication de l'ambassadeur avec Walsingham.—Instances de Walsingham pour que la paix soit rétablie en France.—Démarches de l'ambassadeur auprès de l'agent de la Rochelle afin de l'engager à rompre toute négociation avec les Anglais.—Avis à la reine-mère. Nouvelles de Marie Stuart.—Arrivée de la comtesse de Lennox à Londres.
Au Roy.
Sire, estant milord de North arryvé en ceste ville de Londres, le Ve du présent, il y a séjourné le VIe, et est allé, le VIIe, trouver la Royne, sa Mestresse, à Hamptoncourt, où j'ay aussytost envoyé pour sçavoyr en quelle disposition resteroit la dicte Dame, et ceulx de son conseil, après qu'il aura faict son rapport. Il est encores là, et croy que bientost il me viendra visiter, dont, de ce que je pourray noter de ses propos, et de ce qui me sera rapporté de ceulx qu'il aura tenus à la court, je ne fauldray de vous en mander incontinent toute la particullarité. Aulcuns de ces cappitaynes, qui estoient allez en Hollande avec le vidame de Chartres, voyantz qu'il passoit oultre en Hambourg, et qu'il dellibéroit d'aller vivre, comme gentilhomme privé, auprès du comte Palatin, sans s'entremettre trop avant de ceste guerre, s'en sont retournez icy, et font semblant de vouloir passer à la Rochelle.
Ceste princesse a bien mandé, ces jours icy, toutz ses officiers de la marine pour luy venir rendre compte des frays qu'ilz avoient faict, ceste année, pour l'apprest de ses navyres, et a révoqué toutz mandementz et commissions, à celle fin de n'y employer rien plus que l'ordinayre accoustumé à la garde et entretènement d'iceulx dans le hâvre, jusques à ce qu'elle y ayt aultrement ordonné, mais elle a commandé de les tenir en estat, pour estre prestz à ung soubdein mandement.
Et m'a l'on adverty qu'il y a une secrette dellibération de les mettre en mer, et de dresser un gros armement, à ce prochain printemps, si, d'avanture, la guerre continue en France, bien que, ayant envoyé fère par le Sr de Vassal une gracieuse négociation avec le Sr de Walsingam sur la continuation de l'amityé et de la bonne intelligence d'entre ces deux royaulmes, il m'a mandé, après plusieurs honnestetés de celle dévotion qu'il dict avoyr plus grande vers vostre service et vostre couronne, après celle d'Angleterre, que à nulle aultre de la Chrestienté, qu'il s'employeroit de toute son affection à nourrir et fomanter par deçà, tant qu'il pourroit, ceste bonne amityé, et divertyr toutes occasions d'altération d'entre Voz Majestez; mais qu'il vous supplioyt et adjuroit, au nom de Dieu, de commencer, en l'endroict de voz subjectz, d'establyr, par tout le reste de la Chrestienté, une bonne paix, sellon qu'il estoit plus en vostre main de le pouvoir fère qu'en celle de toutz les aultres princes chrestiens ensemble; et que ne voulussiez mespriser en cella ny le conseil honneste ny les admonitions cordiales que la Royne, sa Mestresse, et les princes d'Allemaigne vous en faisoient: car vous ne le pourriez rejetter sans vous nuyre beaucoup à vous et les offancer grandement à eulx, et les bander toutz entièrement contre voz entreprinses; et qu'il sçavoit bien que, s'il vous playsoit octroyer quelques lieux de refuge pour seureté à ceulx de vos subjectz qui sont en armes, et en iceulx l'exercisse de leur religion, que la paix estoit faicte; et qu'il avoit naguyères receu des lettres de Mr de La Noue qui ne portoient en elles que le tesmoignage d'ung vray subject et serviteur.
Sur quoy, depuis, je luy ay mandé qu'il ne doubtât nullement de vostre bonne intention, et de vostre desir à la paix, mais qu'il admonestât ceulx de voz subjectz, qui estoient opinyastres, de se contanter des honnestes condicions avec lesquelles vous la leur pourriez donner. Et ay envoyé exorter le sire Bobineau, agent de la Rochelle, de ne vouloir tromper ses citoyens soubz une feincte espérance de secours d'Angleterre, car je luy obligeois ma vye que ceste princesse ne luy en bailleroit nullement, ny mesmes, quand ilz luy consigneroient leur vye entre ses mains, (ce que je m'assurois que, pour leur fidellité et pour la recordation des anticques offances qu'ilz avoient faictes aulx Angloys, avec l'exemple du Hâvre de Grâce, ilz ne le feroient jamays), elle ne la voudroit pas accepter; et que, si ceulx cy monstroient au dict Bobineau quelque disposition, en apparance, de faveur pour les dictz de la Rochelle, que ce n'estoit que pour maintenir la division et fère durer les troubles en France, d'où proviendroit, à la fin, la ruyne de ses dictz citoyens et de leur ville, s'ilz ne se remettoient bientost en l'obéyssance et bonne grâce de Vostre Majesté.
Sur quoy il m'a mandé, depuis, qu'il me remercyoit de mon advertissement, et qu'il cognoissoit qu'il estoit véritable, dont m'assuroit avoyr incontinent escript à ses dictz citoyens d'entendre incontinent à la paix, et d'accepter les condicions que Vostre Majesté leur voudroit offrir, pourveu qu'ilz vissent de la seureté pour leurs vyes, et qu'ilz puissent obtenir quelque exercisse de leur religyon pour leurs consciences.
Il y a ung gentilhomme de Normandye, nommé Des Troyspierres, qui est depuis huict jours passé en ce royaulme. Il semble qu'il a crainct que, à cause de ceste praticque du Hâvre, l'on ne voulût courre sus à ceulx de sa religyon, dont est venu à refuge par deçà.
Je continueray, Sire, aultant qu'il me sera possible, de veiller icy, et d'y estre soigneux de vostre service; mais le deffault de santé et mes aultres nécessitez me contreignent de vous supplyer très humblement pour mon congé, et en presser fort instamment Vostre Majesté. Sur ce, etc.
Ce XIIe jour de décembre 1574.
ADVIS A LA ROYNE.
Madame, je suis bien en peyne pour la praticque, que je sentz qu'on mène tousjours pour fère changer de gardien à la Royne d'Escosse. Vray est que la résolution n'en est pas encores prinse, et je tiens le plus ferme que je puis qu'elle ne se face poinct. Dont j'espère que, si le comte de Cherosbery se rend ung peu difficile, de son costé, comme il y a grande apparance qu'il le fera, que les choses en demeureront à tant, et qu'on n'entreprendra poinct de la luy oster. La comtesse de Lenox vient d'arriver, laquelle yra demain en court. Elle crainct bien fort l'indignation de la Royne, sa Mestresse, et qu'elle ne la face remettre dans la Tour, à cause de ce mariage, mais elle s'appuye sur des amys qu'elle pense qui luy sauveront ce coup.
CCCCXXIIIe DÉPESCHE
—du XVIIIe jour de décembre 1574.—
(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Audience.—Desir du roi de rétablir la paix en France.—Vive assurance donnée par l'ambassadeur que lord de North ne peut avoir qu'un compte favorable à rendre de sa légation.—Emportement d'Élisabeth contre la conduite tenue à son égard en France.—Ferme remontrance de l'ambassadeur sur les conséquences qu'aurait pour elle une rupture avec le roi.—Danger qu'elle doit craindre en s'unissant aux protestans de France.—Déclaration de la reine qu'elle ne veut pas s'unir à eux.—Entreprises formées sur Calais, Boulogne, Dieppe, Le Hâvre et Cherbourg.—Irritation d'Élisabeth à la suite des rapports faits par lord de North.—Efforts de quelques seigneurs anglais pour amener une déclaration de guerre.
Au Roy.
Sire, ayant déduict à la Royne d'Angleterre, le XVe de ce moys, à Ampthoncourt, les honnestes propos d'amityé que, par vostre lettre du XXIIIe du passé, il vous playsoit me commander luy tenir, avec le récit de vostre voïage en Avignon, et de l'espérance qu'aviez de mettre la paix en vostre royaulme, si les depputez des eslevez, lesquelz vous attandiez de brief, se monstroient raysonnables en leurs demandes, et à recevoyr les honnestes condicions qu'entendiez leur offrir; auquel cas, s'ilz ne se vouloient, puis après, réduyre à vostre obéyssance, vous la vouliez bien prier que, en une si grande opiniastreté et arrogance que seroit la leur, et en ce maulvais debvoir qu'ilz uzeroient vers leur Roy et Prince, elle, Royne et Princesse, ne voullût les assister, ny permettre qu'ilz fussent assistez en rien de son royaulme, ainsy que Vostre Majesté luy promettoit bien aussy qu'en tout ce qui concerneroit le bien et repos d'elle et la tranquillité de son estat, elle ne sentiroit jamays que faveur et support de vostre costé, et rien qui la peût ny ennuyer ny fâcher.
J'ay, pour occasion bien nécessayre, suivy, puis après, à luy dire que, de tant que c'estoit toute la gloyre et félicité de ma négociation, qu'elle peût trouver en Vostre Majesté les poinctz de bienveillance et de vraye affection dont m'aviez cy devant commandé de luy porter parolle de vostre part, et que pareillement vous trouvissiez en elle celle vraye correspondance qu'elle m'avoit fort expressément enchargé vous escripre de la sienne, je venois maintenant me conjouyr, avec elle, de ce que je vouloys croyre que milord de North, s'il estoit gentilhomme d'honneur et de vérité, il luy avoit à son retour rapporté: qu'il avoit trouvé en Vostre Majesté tout ce qu'elle pouvoit desirer en cest endroict, et encores plus abondamment que je ne le luy avoys jamays sceu expliquer ny ozé promettre; et que je louoys Dieu que Vous, Sire, me randiez véritable vers elle, ainsy que je la supplioys aussy, et l'adjurois aussy, sur l'honneur et vérité de sa parolle, qu'elle ne me voulût rendre menteur vers vous, sellon qu'il n'y avoit rien de plus expédient en toute la Chrestienté, entre nulz aultres princes, qu'estoit le poinct de l'amityé entre vous deux; et que les utillitez s'en manifestoient si grandes, conjoinctes avec quelque nécessité du temps présent, pour le bien et repos de touts deux, et la tranquillité de voz estatz, et encores pour l'accomodement de la meilleure part de la Chrestienté, que je ne pouvois assez louer ny assés desirer ce grand bien.
A quoy la dicte Dame, par sa responce, m'a récité aulcuns propos, que milord de North luy avoit rapporté, bien fort honnorables de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et telz qu'elle n'eût sceu desirer rien de mieulx que ce que voz parolles luy avoient signiffyé de vostre bonne intention vers elle; mais qu'il y avoit eu d'aultres démonstrations entremeslées qui avoient entièrement monstré le contrayre.
Et s'est lors la dicte Dame, en haussant la voix, affin d'estre mieulx ouye de ses conseillers et des dames principalles qui estoient dans sa chambre, licencyée en des parolles grosses, qui m'ont assez troublé, et aulxquelles je n'ay voulu différer aussy, tout hault et en la mesme présence, de promtement et bien fermement y respondre, ainsy que, par mes premières, j'en feray le récit à Vostre Majesté.
Et après luy avoir remonstré le tort, qu'elle se faisoit, de se laysser ainsy transporter à l'artificieuse persuasion, pleyne de malice, de ceulx qui la vouloient brouiller avec Vostre Majesté, et de leur vouloir tant complayre que, sur de petitz faulx rapportz, elle se mît hors des honnorables termes qu'elle debvoit garder vers Voz Très Chrestiennes Majestez, je luy ay dict qu'elle avoit assés de preuves comme il ne manquoit de ceulx qui ne cherchoient rien tant que d'empescher l'establissement de l'amityé d'entre vous et elle, et y susciter tousjours de la meffiance; et qui estoient bien marrys qu'ilz n'avoient de quoy vous pouvoir si bien picquer l'ung contre l'aultre que vous en fussiez desjà aulx mains; et qu'elle jugeoit bien que ce n'estoit pas pour vostre commun bien qu'ilz le faysoient, ains pour leur intérest, ou pour leurs passions et vengences, et pour leurs malcontantementz; et que, si c'estoient princes, ilz creignoient l'unyon de voz forces, et, si c'estoient subjectz, leur prétention n'estoit plus ny pure ny simple pour la considération de la religyon ny pour la seureté de vyes, ains avoient relevé une aultre forme de prétention, de laquelle nulle autre pouvoit estre ny plus odieuse, ny plus adversayre à l'authorité des princes; et qu'elle pensât, si l'on la dressoit contre Vostre Majesté, quelz aultres princes du monde s'en pourroient saulver: car l'on ne pouvoit rien débattre contre les qualitez de vostre extraction, estant encores la mémoyre du feu grand Roy, Françoys, vostre ayeul, et de la Royne Claude, vostre ayeulle, fille du Roy Loys douxiesme et de la Royne Anne, duchesse de Bretaigne, et la mémoyre pareillement du feu Roy Henry, vostre père, et de voz deux frères, Roys, et la présence de la Royne, vostre mère, encores toutes fresches, et Vostre Majesté en fleur d'aage, garny de toutes les plus excellantes qualitez pour régner, que prince qui, en plusieurs siècles, ayt monté à ce degré, et lesquelles une nation loingtayne de Pouloigne les avoit tant prisées qu'elle vous avoit esleu pour son Roy; et aviez, en traversant l'Allemaigne pour y aller, et puis l'Italye, à vostre retour, esté partout approuvé et recognu pour ung si royal et accomply prince que ceulx, qui vous estoient propres et mutuels subjectz, avoient maintenant ung trop malheureux tort de ne se soubmettre de tout leur cueur à vostre obéyssance, et mesmes qu'ils ne pouvoient prétendre que vous eussiez encores rien mal administré, car ne faysiés que d'entrer au premier an de vostre règne; et que je supplioys la dicte Dame de vouloir, dez maintenant, fère voyr au monde qu'elle estoit pour favorizer et maintenir, de toutes ses forces, la juste et royalle cause de Vostre Majesté, et réprimer celle trop présomptueuse des eslevez.
Sur quoy, la dicte Dame m'ayant dilligemment enquis de la qualité de ceste aultre cause et s'estant représanté en son esprit aulcunes particullaritez, par lesquelles l'on s'estoit efforcé de la luy fère trouver meilleure et plus espécieuse qu'elle n'estoit, m'a respondu, pour la fin, qu'elle vous rendoit toutz les plus grandz mercys, qu'elle pouvoit, pour l'honneur et bon traictement qu'aviez faict à milord de North, et pour les bons propos que luy aviez enchargé de luy apporter de vostre amityé et persévérance vers elle; lesquelz, encor que ne les eussiez estendus en beaucoup de langage, vous les aviez néantmoins si bien ordonnez et en parolles de telle efficace qu'elle les vouloit indubitablement croyre, et tenir vostre amityé en tel priz que vous réputeriez de ne l'avoyr mal colloquée, ny mise en lieu d'où vous n'en tiriez toute l'honneste et utille correspondance que pourriez desirer de la meilleure et plus germayne bonne seur qu'ayez au monde; qu'elle n'avoit garde de laysser rien procéder d'elle, ny de son royaulme, qui vous peût donner du trouble ez affères du vostre, car se jugeroit elle mesmes digne d'estre troublée au sien, et qu'elle ne boucheroit là dessus ses yeulx à doigtz ouvertz, ains seroit très soigneuse d'empescher, partout où elle pourroit, qu'on n'y commît de l'abus; et qu'elle vous tesmoigneroit davantage de sa bonne et droicte intention par le gentilhomme que dellibériez envoyer vers elle.
J'ay monstré que je demeuroys bien fort satisfaict de ses derniers propos, mais qu'il me restoit d'avoyr quelque satisfaction de ceulx qu'elle m'avoit tenuz auparavant.
Et estant desjà bien fort tard je me suis licencyé, avec quelque opinyon, Sire, d'avoyr beaucoup interrompu la trame qu'on avoit ordye pour fère que ceste princesse rompît avecques vous. Et semble qu'il sera bon que Vostre Majesté face haster les deux personnages qui sont ordonnez pour venir par deçà: car, si la ligue peut estre une foys renouvellée et bien confirmée, il y a grande apparance que les aultres poursuyvans n'obtiendront sinon ce qu'on ne leur pourra honnestement dényer.
Je suis contrainct pour des nouveaulx advis qu'on me vient de donner, touchant les cinq places, dont vous ay cy devant faict mencion: de Callays, Bouloigne, Dieppe, le Hâvre et Cherbourg; de vous supplyer, de rechef, très humblement, qu'il vous playse de renforcer les garnisons et advertyr les gouverneurs de prendre bien garde à eulx, car il y a entreprinse sur une chascune des dictes places.
Je remercye très humblement Vostre Majesté de la compassion, qu'il luy a pleu avoyr enfin de moy, de m'ordonner ung successeur pour me retirer de ce long exil. Je mettray peyne de laysser ceste négociation à celluy qui viendra, en si bon ordre, qu'il ne s'y pourra cognoistre de mutation sinon en mieulx, en ce que je ne doubte qu'il n'y apporte plus de suffizance que je n'en ay heu; et je réserveray ce qui me reste de vye pour le mettre et exposer à jamays pour vostre service. Sur ce, etc.
Ce XVIIIe jour de décembre 1574.
A la Royne
Madame, par ung de ceulx que j'avoys envoyé à Amthoncourt pour observer ce que milord de North rapporteroit de France, et pour notter quelle satisfaction il feroit prendre à la Royne, sa Mestresse, des choses de dellà, j'ay sceu qu'il avoit meslé, parmy les bonnes choses et bien honnorables qu'il avoit dictes de Voz Très Chrestiennes Majestez, aulcuns si malplaysantz et si fascheux rapportz d'elle et de la court, que la dicte Dame restoit extrêmement picquée et offancée. Et, sur cella, l'estant allé trouver pour luy oster cette malle impression, elle s'est advancée de descharger son cueur, et monstrer, par des parolles qu'elle a dictes, desquelles je ne suis demeuré contant, qu'elle l'avoit bien fort ulcéré, et que la partye estoit toute dressée, et aulcuns de son conseil l'avoient tramée, pour fère qu'elle passât à quelque poinct de ropture avec Voz Très Chrestiennes Majestez.
Dont, après luy avoyr, tout franchement et hault, respondu, mot par mot, à ce qu'elle m'avoit dict, sellon que par mes premières je feray le discours du tout à Vostre Majesté, j'ay esté contrainct de luy uzer de la remonstrance que je déduictz en la lettre du Roy, laquelle m'a semblé que luy a ouvert les yeulx, et luy a faict comprendre qu'on vouloit artifficieusement l'attirer à ceste guerre des eslevez; si bien qu'avant que je soye bougé d'avec elle, j'ay emporté une assez bonne espoyr et encores une plus expresse déclaration de son intention: que très difficilement se layrra elle embrouiller en leurs entreprinses, aulmoins elle y résistera le plus longtemps qu'elle pourra; et, si envoyez bientost requérir la confirmation de la ligue, j'ay grande espérance que toutz les aultres poursuyvantz demeureront exclus. Dont, pour mon regard, Madame, je prépareray à ces deux gentilzhommes qui viendront, l'ung pour la dicte confirmation, et l'autre pour résider, tout ce qui se pourra fère pour obtenir l'effect de ce qu'aurons à requérir pour le service de Voz Très Chrestiennes Majestez, vous remercyant très humblement, Madame, de la souvenance qu'il vous a pleu avoyr enfin de me fère ordonner ung successeur pour me retirer d'icy. Et sur ce, etc.
Ce XVIIIe jour de décembre 1574.
CCCCXXIVe DÉPESCHE
—du XXIIIIe jour de décembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Succès que l'ambassadeur espère de ses efforts pour détourner Élisabeth de déclarer la guerre.—Nécessité d'envoyer promptement les députés de France qui lui ont été annoncés.—Nouvelles d'Allemagne et d'Espagne.—Mise en arrêt de la comtesse de Lennox, de son fils et de sa bru.
Au Roy.
Sire, je ne puis avoyr regret d'avoyr ung peu différé de vous escripre la male satisfaction que j'avoys rapporté de ma dernière audience, car, en lieu que les choses avoient commancé d'entrer en ung assés maulvais train, et estoient en voye d'aller plus mal, elles ont, grâces à Dieu, depuis, reprins ung beaucoup meilleur chemin; et s'en vont desjà en termes que j'ay bien opinyon que vous n'aurez que playsir de les entendre telles, comme, dans deux ou troys jours au plus tard, j'espère que, par ung des miens, je les vous pourray bien particullièrement mander, sellon que j'en ay desjà de bonnes erres. Et j'espère de travailler encores si bien que je feray que la chose ne parviendra qu'en bien bon estat et bien rabillée, devant Voz Très Chrestiennes Majestez. Seulement je vous supplye très humblement, Sire, de fère apprester les deux personnages qu'avez proposé d'envoyer par deçà, affin que ceste princesse ayt par eulx, le plus tost que fère se pourra, ung nouveau tesmoignage de vostre droicte persévérance vers elle, car peu s'en faut que milord de North et les siens n'ayent renversé tout celluy qu'elle en avoit auparavant.
J'entendz que, depuis cinq jours, ceulx cy ont dépesché ung personnage de qualité en Allemaigne, sur le retour d'ung autre des leurs qui n'en faysoit que d'arryver, avec ung nouvel agent du comte Palatin, et avec ung Valfenyère, qui est encores icy; lequel on m'a dict qu'il s'appreste pour passer à la Rochelle, et qu'il s'en va embarquer à Hamptonne dans ung navyre du feu comte de Montgommery, et visiter la comtesse, en passant, qui n'est sans qu'il ayt bien fort négocyé par deçà.
Le ministre Calvart, agent du prince d'Orange, ayant esté, toutz ces jours, à Amptoncourt, s'en va aussy bientost trouver son maistre en Ollande; et m'a quelqu'ung adverty qu'il porte parolle de promettre par dellà que, si ung nombre des meilleurs vaysseaulx du dict prince se vuellent mettre en mer, comme advanturiés, et s'aller tenir en Brouage, et vers la Rochelle, qu'on leur donra, soubz main, de l'entretènement. Il peut estre qu'on est rentré en allarme du nouvel armement qu'on dict que le Roy d'Espaigne appreste en Biscaye, et qu'il a desjà désigné pour général celluy don Martin d'Alcandèle, qui soustint le siège d'Oran, en l'an soixante ung.
Je n'ay, longtemps y a, aulcunes nouvelles d'Escosse, et Me Quillegreu, qu'on faysoit apprester pour y retourner, est encores icy. La comtesse de Lenox et son filz, et sa belle fille, sont commandés de ne bouger de leur logys, et deffandu que nul ne parle à eulx que le conseil ne les ayt ouys. La Royne d'Escosse a escript une bonne lettre à la Royne, sa cousine, pour sa justiffication de ce qui est advenu, touchant ce mariage du comte de Lenox; et m'a l'on dict qu'elle en restoit assés satisfaicte, tant y a qu'on parle encores de remuer la dicte Dame; mais je m'y oposeray aultant qu'il me sera possible. Sur ce, etc.
Ce XXIVe jour de décembre 1574.
CCCCXXVe DÉPESCHE
—du XXVIIIe jour de décembre 1574.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrettère.)
Détails de la précédente audience.—Rapports faits par lord de North à son retour de France.—Ses plaintes contre le duc de Guise et les autres seigneurs de la cour.—Insulte qu'il déclare avoir été faite par la reine-mère a la reine d'Angleterre.—Vive irritation d'Élisabeth.—Ses emportemens.—Protestation de l'ambassadeur contre le reproche adressé à la reine-mère.—Ses plaintes contre les intrigues qui ont pu engager lord de North à dénaturer les intentions du roi.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle n'a pas entendu faire injure à la reine-mère.—Nécessité de donner quelques explications sur le propos qui a été rapporté.—Bons offices de Walsingham dans cette affaire.—Rapport confidentiel des propos répandus par lord de North sur le mépris que l'on faisait d'Élisabeth à la cour de France.—Ressentiment d'Élisabeth.—Prière pour que la reine-mère fasse une déclaration écrite qui puisse satisfaire la reine d'Angleterre.—Mémoire général. Bonnes dispositions d'Élisabeth à l'avènement du roi.—Intrigues pour la détourner de l'alliance de France.—Projets de l'Espagne.—Avis donné à Élisabeth que le pape a fait cession de l'Angleterre au roi, qui a le projet d'envahir l'Écosse, d'épouser Marie Stuart et de conquérir l'Angleterre.—Mesures arrêtées par la reine pour former une ligue avec le prince d'Orange et les protestans de France.—Engagement pris à l'égard de Mr de Mèru de soutenir la ligue du bien public.—Projet d'une guerre générale.—Avis donné à l'ambassadeur d'un complot dirigé contre le roi.—Lettre confidentielle au roi. Détails particuliers sur la conspiration.
Au Roy.
Sire, pour rendre compte à Vostre Majesté de ce que, par mes deux précédentes dépesches, j'ay réservé de vous escripre en ceste cy, je vous diray que la Royne d'Angleterre s'est trouvée extrêmement offancée des maulvaiz rapportz que milord de North luy a faictz, qui, à la vérité, luy touchent bien fort, sellon la façon qu'il les luy a dictz, et la fascheuse interprétation qu'il leur a donnée; non, qu'au partir de Lyon, à mon advis, il eust pensé d'en uzer ainsy, mais il en a esté embousché, en passant en ceste ville, affin de provoquer, par toutz les plus picquantz moyens qu'il pourroit, la dicte Dame de rompre avecques vous. Et aulcuns de son conseil, qui sont de ceste menée, quand ilz l'en ont veu bien altérée et en collère, l'ont confortée d'en debvoir fère ung très grand ressentiment, de faict et de parolle, se persuadans que l'amityé s'en pourroit bien rompre.
Dont la dicte Dame s'estant proposée que, aussytost qu'elle me verroit, elle m'en feroit ouvertement, et en présence de ses dicts conseillers, sentir son malcontantement, elle n'a pas failly (après qu'elle m'a eu récité aulcuns bien bons et bien fort gracieux propos, de ceulx que le dict de North luy avoit rapportez de Vostre Majesté et de la Royne vostre mère, desquelz elle a dict estre très bien satisfaicte), de me dire qu'elle avoit à me fère sçavoyr que, si on luy avoit signiffyé, en France, quelque bonne volonté de parolle, l'on avoit bien prins aultant de peyne de l'oltrager et de l'offancer par effect; car, réservé le comte de Charny, duquel à la vérité elle avoit à se louer, il ne s'estoit trouvé nul autre gentilhomme françoys, en toute vostre court, qui eût daigné saluer ny entretenir, ny fère ung seul bon semblant à pas ung des gentilzhommes angloix qui estoient avec milord de North; et que Mr de Guyse, en mespris d'elle, et pour fère honte aulx dictz gentilzhommes, leur avoit commandé, dans vostre chambre, qu'ilz eussent à se descouvrir, bien que ce ne fût la coustume de dellà, et avoit uzé d'aulcunes parolles et gestes vers eulx, qui avoient bien monstré combien il avoit d'animosité vers elle; de sorte que, s'il eust esté aultre part, il y en avoit là qui eussent entreprins de luy bien respondre; et, qui pis est, que la Royne, vostre mère, en sa chambre, ayant faict venir ung bouffon abillé à l'angloyse, avoit dict, par dérision, à milord de North, que c'estoit proprement le feu Roy Henry d'Angleterre; de quoy elle avoit le cueur plus serré, et se tenoit plus outragée que de nulle aultre chose qu'on luy eût dicte ny faicte, depuis qu'elle estoit au monde.
Et, là dessus, haussant sa voix, affin d'estre mieulx ouye de ses conseillers et de ses dames, a poursuivy, en collère, le propos, avec des parolles assez grosses, desquelles m'a semblé comprendre qu'elle a dict que, s'il y eût eu de l'honneur en la Royne, vostre mère, elle n'eût parlé ainsy mal honnorablement, et en dérision, d'ung si honnorable prince qu'estoit le feu Roy, son père, et qu'elle seroit très marrye d'avoyr faict ny dict rien de semblable d'elle, ny de quelconque aultre prince que ce soit; et que le dict de North avoit aulmoins respondu que les tailleurs de France avoient peu sçavoyr la façon comme s'abilloit ce grand Roy, car quelques foys avoit il passé la mer à bonnes enseignes, et avoit bien faict parler de luy par dellà.
Sur quoy, Sire, estimant que je debvois commancer ma responce par ce dernier poinct, qui touchoit la Royne, vostre mère, j'ay addressé, présantz et oyantz les aultres, ma parolle en ceste sorte, à la dicte Dame:
Que la Royne, ma Mestresse, mère du Roy, Mon Seigneur, estoit toute pleyne d'honneur et aultant honnorable princesse qu'il y en ayt soubz le ciel, sans rien réserver, et que je voulois dire, et maintenir jusqu'au dernier souspir de ma vye, que milord de North n'avoit veu ny ouy d'elle, ny de Vostre Majesté, ny mesmes de Mr de Guyse, ny de nul autre prince ny seigneur de vostre court, chose aulcune, procédant de l'intention de Voz Majestez Très Chrestiennes, qui eût esté dicte ny faicte, ny qu'on la peût interpréter, contre la dicte Dame, ny contre l'honneur du feu Roy Henry, son père, ny contre la dignité de la couronne d'Angleterre; et que, si milord de North, ou aultre, le luy avoient aultrement raporté, qu'ilz ne l'avoient bien entendu, ny n'avoient ainsy bien négocyé comme il convenoit de le fère entre princes.
Et m'est venu, Sire, en l'esprit de sommer la dicte Dame qu'avant que je sortisse de sa chambre, elle voulût rabiller ce qu'elle avoit dit de la Royne, vostre mère, ou bien qu'elle me donnât congé de sortir de tout hors de son royaulme; mais, considérant que le présent estat de voz affères ne requéroit cella, et que c'estoit le poinct auquel les adversaires tendoient le plus, j'ay suivy l'autre expédient, de remonstrer à la dicte Dame ce qui est porté par ma précédante dépesche. Et ay adjouxté que, puisqu'elle mesmes advouoyt que, de la part de Vostre Majesté, qui faisiez exacte profession d'estre plus soigneux de la vérité de voz parolles et promesses que de la propre vye, milord de North luy en avoit apporté de très bonnes, avec la confirmation d'icelles par une vostre lettre; et je les trouvois encores très confirmées par celles qu'il vous avoit pleu m'escripre, depuis qu'il estoit party d'avecques vous; joinct qu'elle sçavoit bien que la Royne, vostre mère, l'avoit tousjours fort respectée, et luy avoit uzé plus d'honnestes traictz d'amityé que princesse qui fût au monde, et ne l'avoit jamays offancée; je m'esbahyssois par trop comme elle, qui estoit prudente et advisée, s'estoit layssée mener à dire d'elle rien qui la peût offancer, et qu'elle ne cognoissoit qu'on la vouloit tromper, car j'ozois dire librement que, si milord de North et ceulx de sa suyte, au sortir de vostre chambre, fussent saultez dans la sienne, qu'ilz ne luy eussent apporté que tout contantement de Voz Majestez; mais ilz avoient apprins ung aultre roollet par les chemins; et qu'indubitablement la Royne, vostre mère, laquelle se souvenoit très bien que le feu Roy Henry d'Angleterre avoit esté prince très estimé de son temps, et aultant honnoré et bien voulu en la court de France que en la sienne propre, n'avoit aulcunement parlé de luy, sinon en la mesme façon qu'elle eût voulu parler des feus Roys, ses beau père et mary; et que Mr de Guyse aussy estoit si modeste prince qu'il n'avoit uzé de parolle ny de démonstration vers les Angloix, dont elle eût occasion de se tenir offancée; car, oultre que ce n'estoit son naturel, de dire ny fère choses semblables, il s'en fût encores abstenu pour le respect du lieu et de la présence de Vostre Majesté, bien que c'estoit son debvoir, comme grand maistre, de fère advertyr les dictz gentilzhommes angloix de ne se couvrir, tant que Monseigneur et le Roy de Navarre, et les aultres Princes et grands seigneurs, qui assistoient à ceste cérémonie, seroient descouvertz, encor que, au dict de North, quand il vous explicquoit sa créance, vous luy fissiez tenir le bonnet à la teste, car c'estoit pour davantage l'honnorer à elle; et que Mr de Guyse avoit justement peu supplyr en cella la faute, que ses dictz ambassadeurs avoient faicte, de n'avoyr adverty les gentilzhommes comme ilz debvoient uzer en vostre chambre, et néantmoins j'entendoys qu'il s'estoit retenu de ne le fère pas; et qu'au reste, quand elle vous eût bien dépesché le plus grand de son royaulme, ou quand même l'Empereur vous eût envoyé quelqu'ung de ses enfantz ou de ses frères, archiducz, ilz ne pourroient justement se plaindre que ne les eussiez faictz fort honnorablement recevoir par Mr le comte de Charny et les gentilshommes qui avoient receu le dict de North et sa trouppe; et que je sçavoys bien qu'il n'avoit pas esté faict davantage ny, possible, tant, à ung comte que le Roy d'Espaigne vous avoit envoyé: dont je la supplyois de ne se vouloyr laysser transporter en cest endroict.
La dicte Dame, ayant prins de bonne part ma remonstrance, s'est incontinent, en tout le reste de son parler, bien fort composée; et avec beaucoup de modération est venue à dire plusieurs choses en bien fort bonne sorte de Voz Majestez, et du desir qu'elle avoit d'establyr une ferme amityé avecques elles. Et depuis m'a mandé, par troys des plus grands et principaulx seigneurs de son conseil, qui estoient présentz, qu'elle n'avoit dict ny entendu dire de la Royne, vostre mère, sinon que, si elle avoit dict ou faict, en mespris ou dérision du Roy, son père, ce que le dict de North luy avoit rapporté, qu'elle n'y pouvoit pas avoyr beaucoup d'honneur; et me prioyt d'en escripre à Voz Majestez affin qu'elle en peût estre satisfaicte, et en peût satisfère ceulx de ses subjectz qui en estoient escandalisez; et qu'elle ne demeurât offancée par Voz Majestez, lesquelles elle ne vouloit nullement offancer.
Sur quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre Majesté me donner, par voz premières, de quoy convaincre et ce que le dict de North a dict, et la malice de ceulx qui le luy ont faict dire; et que ce qu'il vous plerra m'en escripre soit en façon que je le puisse monstrer à la dicte Dame. Et s'il plaist à la Royne, vostre mère, luy en escripre ung bon mot de sa main, elle en restera extrêmement contante.
Mr Walsingam a faict en cest endroit ung très honneste office vers elle. Il remercye très humblement Vostre Majesté de l'honneur que luy avez faict de luy escripre, et promect qu'il employera tout son moyen et pouvoir pour conserver droictement l'amityé et bonne intelligence qu'avez avec ceste couronne.
Pardonnez moy, s'il vous playst, Sire, si je continue de vous importuner pour la venue de mon successeur, car plusieurs nécessitez, et mesmement celles de vostre service pour le deffaut de ma santé, m'y contreignent, mais j'espère que je luy lairay ceste négociation en très bon estat. Sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.
A la Royne
Madame, il ne fut onc à princesse du monde faict ung si fascheux et malplaysant rapport, que celluy, dont milord de North et ceulx de sa trouppe ont uzé à leur Mestresse, sur la pluspart des choses qu'ilz ont veues et ouyes en France; car, oultre les traictz que j'en récite en la lettre du Roy, vostre filz, j'ay sceu qu'ilz ont, d'habondant, dict à la dicte Dame que, en leur faysant Vostre Majesté voyr dans vostre chambre deux petites neynes habillées comme elle, vous aviez, et aulcunes de voz dames, jetté tout plein de motz qui ne pouvoient estre prins qu'en dérision et mocquerie d'elle; et mesmes qu'il avoit bien cognu, quand vous aviez faict semblant, en luy parlant de Monseigneur le Duc, vostre filz, de luy louer la beauté et belles qualitez d'elle, que ce n'avoit esté que pour vous en mocquer; et s'est efforcé, par toutz les moyens qu'il a peu, de mettre au cueur de la dicte Dame qu'elle estoit infinyement haïe et mesprisée de Voz Très Chrestiennes Majestez, et la moins respectée en vostre court qu'en nulle part de la Chrestienté; de sorte que, s'en trouvant elle bien fort escandalizée et quasy oultrée d'une très juste dolleur, de se voyr desprisée, injuryée et touchée en son honneur par ceulx qu'elle s'esforçoit d'honnorer, et dont elle recherche l'amityé, elle ne s'est peu tenir de respondre quelques mots pour revancher l'honneur et dignité de son père, dissimulant ce qui touchoit particullièrement à elle, non pour l'oublier, ains pour en réserver cachée en son cueur une indignation et vengeance pour lorsqu'elle verroit le poinct de vous pouvoir bien nuyre.
Mais, aussytost que je luy ay eu fermement assuré du contrayre, et que je luy ay faict voyr qu'on la vouloit tromper, elle s'est ressouvenue des tesmoignages d'amityé que Vostre Majesté luy avoit tousjours monstré, qui l'ont, plus que nulle aultre chose, ramenée incontinent à modération, et lui ont faict sentir que les choses n'estoient telles qu'on les luy avoit données entendre; et a protesté que, si, par collère, n'ayant bien la propriété de la langue françoyse, elle avoit advancé quelque mot en deffance de l'honneur du feu Roy son père, elle n'avoit toutesfoys dict ny entendu dire, sinon que, si Vostre Majesté avoit ainsy faict ou parlé en mocquerye et dérision de luy, comme milord de North luy avoit rapporté, que n'y pouviez avoyr beaucoup d'honneur; et qu'elle desiroit qu'il vous pleût, Madame, luy fère voyr que cella n'estoit auculnement advenu, et que aulmoins il n'avoit esté faict en ceste mauvayse intention de dénigrer la mémoyre du dict feu Roy, son père, affin qu'elle en peût satisferre ceulx des siens qui avoient ouy le mesmes compte, et qui jugeoient que l'honneur d'elle, et la dignité de sa couronne, et tout ce royaulme en estoient grandement intéressez.
En quoy, Madame, estant ce qu'elle demande bien fort juste, et mesmes qu'il semble qu'il y auroit de l'injustice de le luy refuzer, j'espère que Vostre Majesté le luy accordera, jouxte la vraye vérité de ce qui en est, qui m'assure qu'il ne y a rien eu de mal à propos contre elle par dellà, et que milord de North et les siens resteront confuz de ce qu'ilz en ont dict, mesmement s'il vous plaist en escripre une bonne lettre, de vostre main, à la dicte Dame, comme très humblement je vous en supplye.
Mr de Walsingam s'est monstré vertueux et honneste gentilhomme à rejetter ces faulx rapportz; et a parlé, à son tour, très honnorablement de Vostre Majesté, ainsy que je l'ay bien certeynement sceu. Il vous remercye très humblement de l'honneur que luy avez faict de luy escripre, et promect qu'il n'aura nul plus grand soing, en sa charge, que de conserver l'amityé d'entre Voz Très Chrestiennes Majestez et la Royne, sa Mestresse, et qu'il espère de voyr la dicte amityé plus ferme que jamays, si la paix succède en France. Sur ce, etc.
Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.
ADVERTISSEMENT D'AULCUNES CHOSES
à Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres:
Que ceste princesse, depuys l'advènement du Roy à la couronne, s'est rendue bien fort curieuse de monstrer que, pour chose qui ayt passé cy devant entre eulx, elle ne se tient offancée de luy, et n'a opinyon qu'il se tienne aussy en rien offancé d'elle, affin que le fondement ne deffaille entre eulx de pouvoir mutuellement renouveller les traictez de paix et d'amityé qu'ilz ont l'ung avecques l'aultre.
En quoy, encor qu'il y ait ou y puisse avoyr, sellon aulcunes non légères conjectures, de l'artiffice autant que de vérité, si est il bien certain que la résolution a esté une foys prinse par la dicte Dame, au cas qu'elle peût trouver de la correspondance au Roy, qu'elle persévèreroit très constamment vers luy, ainsi qu'elle avoit persévéré vers le feu Roy, son frère;
Mais l'on luy a suscité des escrupulles non petites pour la divertyr de ce bon propos, car, oultre la contrariété de la religyon et autres choses, que j'ay cy devant mandées, l'on luy a faict tomber ung advertissement entre meins, comme venant de Flandres, mais j'estime que quelque ministre l'ayt inventé, que le Roy adhérant soubz main à la guerre que le Turc mène si aspre au Roy d'Espaigne, il prétend, après l'avoyr bien travaillé par là, de luy courir sus au duché de Milan, et que desjà la jalousie en estoit si grande, en Italye, qu'on n'avoit voulu octroyer le passage aux forces de pied et de cheval que le Pape luy offroit pour la guerre de France;
Et que Mr de Savoye avoit donné parolle au Roy d'Espaigne qu'il ne les permettroit aulcunement passer par ses terres;
Et ont meslé, parmy le dict advertissement, que, par aulcuns mémoyres du dict duc de Savoye, l'on avoit descouvert que véritablement le Roy avoit accepté du Pape le droict de conqueste de ces isles de deçà, qui se sont substrettes de l'obéyssance de l'église rommayne, en la forme que le feu Pape et le consistoyre en avoient octroyé l'investiture au Roy d'Espaigne, avant qu'il entrât en ceste guerre du Turc;
Et qu'indubitablement le Roy avoit promis, pour l'effet de cella, de fère descendre en Escosse six mille harquebuziers italiens, quatre mille françoys et quinze centz chevaulx, pour, avec plus grandes forces, après qu'il auroit avec celles icy réduict l'Escosse, passer plus avant, et entreprendre, en personne mesmes, la plus forte et la plus aspre guerre en Angleterre, avec l'ayde des Catholicques, qu'on y ayt jamays veu;
Et que, pour s'attribuer, le Roy, plus de droict en cella, il prétandoit d'espouser la Royne d'Escosse et fère valoir le transport du tiltre d'Angleterre que, de longtemps, elle luy a faict, et de poursuyvre si vifvement ceste entreprinse qu'il l'eût menée à fin avant le bout de deux ans;
Mais que le roy d'Espaigne se dellibéroit de luy susciter tant d'affères d'ailleurs, et luy tirer la guerre intestine de la France en telle longueur, sellon qu'il en avoit assez de moyenz par le Languedoc, et par diverses intelligences dans le royaulme, que, si la Royne d'Angleterre se vouloyt aider, de son costé, on feroit aysément escouter au Roy ses forces et ses finances, et ses bons hommes, et tout l'effaict de ceste grande fortune, qui lui ryoit si fort à ce commancement, pour avoyr assez que fère dans son royaulme, sans s'estendre ny en Italye, ny en Flandres, ny en Angleterre.
Et, là dessus, est arryvé milord de North, qui a faict à la dicte Dame d'aussy fascheux et malplaysantz rapportz qu'il est possible, non du Roy, car il n'a ozé estre si impudent, mais de tout le reste de sa court; et qu'il n'y avoit rien veu qui ne luy eût signiffyé une manifeste déclaration d'hayne et de malveillance contre elle et contre ce royaulme, racomptant ce que j'ay plus au long desduict ez lettres de Leurs Majestez, n'obmettant rien de ce qui pouvoit irriter et picquer jusques en l'âme ceste princesse, et luy rendre très suspecte l'amytié de Leurs Très Chrestiennes Majestez.
Sur quoy, elle, assez troublée et pleyne d'indignation, a mandé ses plus privés conseillers pour leur communicquer ce fascheux rapport, et le juste malcontantement, qu'elle avoyt, que le Roy et sa court luy eussent rendu honte pour l'honneur qu'elle luy avoit envoyé fère.
Et là dessus se sont prinses des dellibérations que je n'ay peu toutes descouvrir; mais voicy ce qui en est venu à ma cognoissance:
Que, en premier lieu, il a esté mandé à Me Wilson, à Bruxelles, de s'employer, le plus vifvement qu'il pourroit, et employer le nom et crédict de la dicte Dame, pour fère venir bientost les choses en accord avec le prince d'Orange, et de renouveller comment que ce soit, et le plus estroictement qu'il luy sera possible, les anciens entrecours d'entre ce royaulme et les Païs Bas;
Que des cappitaynes angloix ont esté mandez à Ampthoncourt pour leur accorder quelque entretènement, et les assurer qu'ilz seront bientost employez, et qu'ils ayent cependant à advertyr leurs gens de se tenir prestz; et a l'on aussy creu la pencyon à quelques cappitaynes italyens qui sont en ceste ville;
Qu'on a envoyé ung gentilhomme devers Mr de Méru, qui a longuement conféré avecques luy; et, après qu'il a esté départy, le dict Sr de Méru s'est trouvé si surprins d'ayse qu'il ne s'est peu tenir de dyre que la dicte Dame et ceulx de son conseil avoient envoyé luy fère la conjouyssance de ce que milord de North rapportoit: qu'ung grand nombre de seigneurs, et gens de bonne mayson et gentilzhommes de France, avoient commancé de manifester la bonne affection qu'ils portoient à la mayson de Montmorency, et que Mrs l'admiral de Turenne et de Ventadour, de Carses, de Limreilh et plusieurs autres s'estoient déclarez ouvertement pour eulx; et que le maréchal Dampville avoit troys mille chevaulx et dix huit mille harquebuziers en campagne, et que le mareschal de Retz, qui avoit voulu marcher vers ces quartiers là, s'estoit trouvé si foible qu'il avoit esté contreinct de se retirer, et mander au Roy qu'il le supplyoit de s'advancer pour renforcer son armée; que beaucoup de gens abandonnoient l'armée du Roy, et que Monsieur le Prince Daulfin s'estoit retiré fort malcontant, que Monsieur le Prince de Condé armoit et avoit espérance d'entrer bientost avec dix mille reytres en France; et que, en Provence, Daulfiné et Languedoc, ne restoit plus qu'une seule ville que toutes n'eussent adhéré aulx eslevez, ou pour la cause de la religyon ou pour l'autre prétendue du bien public.
Et, à deux jours de là, le dict Sr de Méru est allé à Hamptoncourt, avec le cappitayne La Porte, et le cappitayne Chat, lesquels deux j'entendz qu'ont faict la cenne avec les Protestantz, mais luy demeure catholicque; et ont esté fort bien et fort privéement caressez;
Que les ministres se sont assemblés en conseil pour dellibérer de ce qui estoit à fère sur ung concours de tant de nouvelles; et m'a l'on rapporté qu'il a esté résolu entre eulx qu'il sera dépesché ung homme exprès, vers ceulx qu'ils sentent estre de leur party et mesmement vers les principaulx et plus grands, pour les admonester de prendre, à ce coup, les armes, et que le poinct est venu qu'il n'y aura jamays plus envers Dieu et les hommes aulcune excuse pour eux, s'ilz ne se déclarent maintenant, et s'ilz ne sont dilligentz à susciter bientost les soublévations et révoltes qu'ils sçavent estre secrettement formées en divers endroictz du royaulme, de sorte qu'il n'y ayt province où il n'y en apparoysse quelqu'une;
Que, par mesme moyen, ils ayent à se saysir du plus grand nombre de places qu'ilz pourront, et, par exprès, d'aulcunes sur la mer de deçà, le long de Picardye et de Normandye, affin d'attirer les Angloix à ceste guerre, car lors ils se déclareront indubitablement pour eulx;
Que les praticques qui sont tramées, de longtemps, sur Callays, Bouloigne, Dieppe, le Hâvre et Cherbourg, seront tantées; en quoy se parle qu'il y a des habitantz, aulxquelz on a promis cinq centz escus de rante à chascun, dans ce royaulme, pour introduyre les Angloix dans leurs villes; et qu'on doibt conduyre l'entreprinse par des navyres marchands, où y aura des harquebouziers et gens de guerre cachez, lesquelz, avec leurs intelligences, se rendront mestres des portes; et qu'en mesmes temps y aura partye faicte, dans les dictes villes, pour tuer les gouverneurs et cappitaynes;
Et qu'en effect la guerre s'allumera par toutz les coings et endroictz du royaulme, pour obtenir ceste foys l'édict irrévocable de janvyer, avec de si bonnes places et lieux de seureté, qu'ilz n'auront jamays plus à creindre qu'on leur viegne forcer ny leurs vyes ny leurs consciences; et que le Roy et la Royne, sa mère, se trouveroient si perplex que, de la pluspart de ceulx qu'ilz se voudroient servir, ou qu'ilz voudroient retenir près d'eulx, ou bien les employer en légations et charges, ilz ne les réputeront fidelles; et, s'il est possible, ilz persuaderont ceulx de ce conseil de fère que ceste princesse monstre quelque ressentiment, de parolle ou d'effaict, sur les susdictz rapportz de milord de North, affin de venir en ropture avecques le Roy.
Mais ce qui plus me griefve est que deux personnages catholicques, et bien fort vénérables, de ce royaulme, m'ont mandé, séparément l'ung de l'autre, sellon qu'ilz sont aussy séparez, que la conjuration a esté faicte contre la vye et la personne du Roy, et qu'à présent, plus que jamays, l'on la poursuyt; et qu'il faut que Sa Majesté face prendre soigneusement garde à son boyre, à son manger, à ses vestementz, à ce qu'il touchera, et nomméement au pommeau de la selle et aulx rènes du cheval qu'il montera.
Et, depuis, les dessusdictz et ung autre personnage de bonne qualité, estranger, m'est venu confirmer le mesmes advertissement, par la relation d'aulcuns aultres, et comme il est ordonné d'employer de grands dons et présantz pour corrompre quelqu'ung de la cuysine, ou d'autre office de la bouche du Roy, ou bien de sa garderobbe, ou de l'escuyerye, pour exécuter l'entreprinse. Et n'ont deffally aussy aulcuns françoys de la nouvelle religyon qui m'ont adverty comme ilz avoient eu quelque sentiment de ceste détestable conjuration, et, qu'en toutes sortes j'en debvois donner advis au Roy.
Et les ungs et les aultres, tant plus je les ay examinés des circonstances de ce faict, plus je les ay trouvez conformes et persévérantz en ce qu'ilz m'en avoient desjà dict. Et m'ont, d'abondant, confirmé qu'il y a secrette dellibération, entre les Angloix, d'armer et de tanter l'entreprinse des susdictes cinq places, ou de quelqu'une d'icelles; et que pareillement il y a grande conjuration contre la vye de la Royne d'Escosse, ce que la pouvre princesse a bien senty, ainsy qu'ung chiffre que j'ay dernièrement receu d'elle le tesmoigne.
Et y a grande apparance, aussy, que, si les escrupulles qu'on a imprimé à la Royne d'Angleterre ne sont modérez, qu'elle tentera, de rechef, l'entreprinse d'avoyr le Prince d'Escosse, sellon qu'on m'a rapporté que, depuis quelques jours en çà, elle a dict qu'elle vouloit fère en sorte que le dict Prince et le château de Dombertrand fussent mis ez mains du comte de Morthon, parce qu'il réputoit Me Alexandre Asquin et ceulx qui gardent Dombertrand, et nomméement Droucastel, traystres. De quoy seroit bon les advertyr de l'opinyon que la dicte Dame a d'eux, car cella les feroit du tout jetter ez bras du Roy.
Et n'ont deffally aulcuns, mesmement des partisans de Bourgoigne, qui ont mis en avant à ceste princesse que, sans plus s'amuzer aulx belles parolles du Roy et de la Royne, sa mère, lesquelles n'estoient que pour la tromper, elle voulût estroictement racoincter le Roy d'Espaygne; et avoyr agréable que Mr de Savoye envoyât la requérir de mariage, sellon que c'estoit ung prince d'âge compétant, qui avoit eu des enfans d'une princesse aussy advancée en l'aage comme elle, et qui estoit prince d'une esprouvée vertu, qui n'escandalizeroit rien par deçà, et qui sçavoyt supporter ceulx de la nouvelle religyon en ses terres, estant certain que le Roy d'Espaigne, en faveur de ce mariage, et pour paciffyer et saulver ses Pays Bas, comme indubitablement il le feroit avec la faveur de ce royaulme, il establiroit le dict Mr de Savoye gouverneur de Flandres, chose qu'il n'en pourroit advenir de plus heureuse, ny plus à propos, pour l'Angleterre que cella.
Et m'est bien souvenu de ce que, par une dépesche du moys d'octobre dernier, Leurs Majestez m'avoient mandé, que je ne fusse, à présent, nullement endormy, parce que ce seroit le temps auquel l'on feroit les plus grands effortz de mettre la dicte Dame à la guerre; mais j'espère que Dieu fera la grâce au Roy d'establyr la paix en son royaulme, par le moyen de laquelle il rendra esteinctes aulx malins leurs males pensées dans leurs cueurs, et veynes toutes leurs entreprinses; et que, s'il luy playst d'envoyer requérir la continuation de la ligue avec ceste princesse, et la satisfère ung peu de ces impressions que milord de North luy a données, qu'il obtiendra tout ce qu'il voudra d'elle, et ne sentira de son royaulme que toutz offices d'amityé et de bonne intelligence.