Du doute à la foi
CHAPITRE II
LES RAISONS DE CROIRE
1. La foi est une conviction ; preuves à l’appui. — 2. Athée ou catholique. — 3. Obligation de croire.
1. — La foi est une conviction ; preuves à l’appui.
Sur toutes les questions capitales, la religion seule peut donner à ceux qui s’y attachent la lumière, la certitude, l’espérance et la paix. La révélation ne comble pas seulement les désirs du cœur ; elle offre aussi toutes les garanties légitimes que peut exiger la raison. Examiner ces preuves sans écouter aucune prévention, c’est la première démarche qui s’impose pour acquérir la foi. Quel homme sensé croirait indigne de lui d’étudier une religion dont les plus grands esprits, tandis qu’ils étaient de sang-froid, ont toujours parlé avec admiration ; dont ses adversaires les plus acharnés, — tel Renan, — n’ont pu s’empêcher d’avouer qu’elle est « le plus beau code de la vie parfaite et de la religion absolue », un système plausible aux yeux de la raison, qui jusqu’ici n’a guère été attaqué que par des « polissons ».
Sans doute, la révélation offre des côtés obscurs ; mais, dans l’ordre même naturel, quelle est la science qui n’ait ses mystères ? Douterez-vous de tout, parce que vous ne pénétrez le fond de rien ? Grâce à Dieu, autour de l’édifice du christianisme, la lumière perce assez les ténèbres pour nous laisser voir, avec ses proportions surhumaines, la main du divin ouvrier qui l’a bâti, et le maintient debout contre le formidable assaut de toutes les passions coalisées.
A cette lumière mêlée d’ombre, l’esprit ne se fait pas tout d’un coup. Il y faut une préparation où Dieu et l’homme ont chacun leur part. C’est par un enchaînement de vérités dont l’une éclaire l’autre que l’on est conduit, sans violence, jusqu’au cœur de la révélation.
A moins de mettre en doute jusqu’à notre existence, il faut bien convenir qu’il existe un Dieu absolument parfait. Trouvant son bonheur en lui-même, cet être infini pouvait, sans aucun doute, rester éloigné de nous, à qui, d’ailleurs, il ne devait rien. Mais, si en considérant la nature de l’homme et celle de Dieu, je n’ai pas le droit de conclure avec certitude à l’existence de la révélation, cependant, plus je médite sur la bonté illimitée du Créateur, sur les tristes errements de la sagesse et de la philosophie profanes, sur l’impérieux besoin de certitude que nous éprouvons à l’égard de Dieu et de notre destinée, plus il me paraît non seulement possible, mais vraisemblable, qu’il a voulu entrer en communication directe avec une créature capable de le connaître et de l’aimer, lui parler autrement que par la voix de l’univers, et peut-être pousser la condescendance jusqu’à lui découvrir les secrets de sa vie intime.
Les rapports de Dieu avec l’homme que la raison, livrée à elle-même, soupçonne et que le cœur pressent, il est aisé de les constater, si, sortant de la pure spéculation, nous passons sur le terrain des faits.
Ici, nous voyons se dérouler un long cortège de preuves, qui éclaire de ses mille rayons la physionomie divine du Christ. Depuis l’origine du monde, il remplit le temps et l’espace de son nom, de son histoire et de son influence. Il est annoncé et attendu comme un Dieu. Ouvrez l’Ancien Testament, vous y trouverez décrites toutes les circonstances de sa vie, de sa mort et de son triomphe. Il n’est pas jusqu’aux nations païennes dont les récits ne s’accordent avec ceux de la Bible et qui ne se tournent vers l’Orient, où doit naître d’une vierge leur libérateur[10].
[10] Platon. Le Politique. XVI. éd. A.-F. Didot, vol. I, p. 586.
Aussi, rien d’exagéré dans cette parole de Jean de Muller à Charles Bonnet : « Toute l’histoire s’éclaire à mes yeux depuis que je connais Jésus-Christ. »
Celui-ci n’est pas encore né et déjà il règne, à des degrés divers, sur les peuples de l’ancien monde, comme le soleil, auquel il est comparé par le psalmiste, avant de monter à l’horizon, jette sur les montagnes et dans le fond des vallées des clartés inégales, qui vont grandissant à mesure qu’il se rapproche. Les espérances de l’univers ont-elles été déçues ? Pour le décider, ouvrons le petit livre qui fait suite à l’Ancien Testament, le perfectionne et le complète. Une tradition ininterrompue, dont l’apologétique moderne a vérifié tous les anneaux, ne permet pas de douter que les Évangiles aient été réellement composés par saint Matthieu, saint Jean, saint Marc et saint Luc, c’est-à-dire par des témoins bien informés des événements qu’ils racontent. Or ces historiens qui ne méritent pas moins de créance qu’un Sénèque ou un Tacite, leurs contemporains, témoignent que les anciennes traditions ayant trait au Messie ont été réalisées, avec un accord admirable, dans la personne de Jésus-Christ. Les prophéties de l’Ancien Testament, celles du Nouveau, les miracles du Christ et de ses disciples, la perfection de sa vie, de sa morale et de sa doctrine, son pouvoir incomparable pour transformer les individus comme les sociétés qui l’adorent : voilà par où se révèle la céleste origine du christianisme. Tout y trahit la voix d’un Dieu, inimitable à la créature.
N’y eût-il, au lieu d’une longue suite de miracles, qu’un seul fait avéré, celui de la résurrection du Christ, il n’en faudrait pas davantage pour justifier pleinement notre foi. De providentielles circonstances donnent à cette preuve une force singulière. Le Christ vient d’être crucifié et enseveli. Dispersés, craintifs et consternés, les apôtres semblent ne plus se souvenir que leur maître a prédit qu’il sortirait du tombeau. Quelques jours s’écoulent et voici que soudain ces hommes sont transformés. Tous, ils prêchent intrépidement que Jésus de Nazareth est ressuscité d’entre les morts.
Se tromperaient-ils ? Impossible : le Christ leur est apparu plus de dix fois ; il a mangé avec eux, leur a fait toucher son côté transpercé, s’est élevé en leur présence dans les cieux. Voudraient-ils nous duper ? Mais à quelle fin ? Si pervers que soit un homme, il ne se plaît point à mentir, sans qu’il y trouve quelque avantage. Or étudiez de près les apôtres : il y a dans leur parole un accent de parfaite loyauté, ils conviennent de leurs anciens torts, ils s’accusent, ils s’humilient, ils ne nous cachent pas qu’ils ont abandonné leur maître sur le chemin du Golgotha. Et pourtant, les voilà fermes, obstinés, unanimes à prêcher que le Christ est vraiment ressuscité.
Si Jésus n’a pas triomphé de la mort, ses disciples sont complices d’une exécrable imposture ou frappés de folie. Car toutes les espérances fondées sur lui croulent ; s’ils ont de la droiture et du sens, un seul parti leur reste : c’est d’avouer leur erreur. A ce prix, la bonne grâce des Juifs leur est assurée. Mais vouloir imposer à l’adoration de l’univers un corps sans vie et sans vertu, et qu’un sacrilège mensonge a déshonoré, quel crime et quelle sottise ! Qu’ont-ils à espérer ? Sur la terre, un échec certain, accompagné ou suivi des supplices les plus infamants ; et après cette vie, les éternels tourments que le Dieu juste et jaloux auquel ils croient, réserve aux imposteurs pleinement conscients de répandre un culte idolâtre.
Et pourtant ces hommes simples, timides et craignant Dieu, marchent, sans jamais hésiter, à la conquête du monde, ne doutant pas qu’il tombera tôt ou tard à genoux devant leur maître crucifié. Les injures, les mépris, ce que la cruauté humaine a de plus raffiné et la mort de plus horrible, ils l’affrontent d’un front serein et d’un cœur joyeux. On a vu, j’en conviens, des fanatiques épris d’une idée fausse la défendre jusque dans la mort. Mais jamais, non jamais, on ne nous montrera des hommes vraiment religieux qui sacrifient leur honneur, leur vie, une âme qu’ils savent immortelle, pour affirmer un fait sensible, aisé à constater et dont ils connaissent parfaitement la fausseté.
Expliquer l’origine et la merveilleuse histoire du christianisme par l’illusion ou l’imposture, est-ce autre chose que donner le vice ou la folie pour support aux plus admirables vertus, que faire du Créateur le complice d’une erreur ou d’un mensonge ? N’est-ce pas nier la Providence et l’existence même de Dieu ? — A ces dogmes, dans l’ordre actuel, s’unit aussi, par les liens les plus forts et les plus étroits, la divine origine de l’Église catholique.
Assurément, le Christ, en fondant sa religion, a voulu qu’elle fût transmise une et invariable aux apôtres et à leurs successeurs ; que par eux elle s’étendît à travers tous les siècles et toutes les nations, pour devenir la règle souveraine des intelligences et des volontés, leur donnant une même naissance spirituelle, comme aux enfants d’une seule mère, les unissant dans une même foi, leur proposant un même idéal de perfection absolue à réaliser par la participation aux mêmes sacrements.
Pour remplir son dessein, le Christ — et cela devait être — a établi une société hiérarchique, dont les chefs reçoivent leurs ordres sacrés, leur autorité, leur symbole de foi et leur mission de lui et de ses successeurs immédiats, les apôtres. Qu’un seul anneau de la chaîne ininterrompue qui doit les relier à l’Église primitive soit brisé, et tous ceux qui en dépendent rompent avec la société voulue et réalisée par Notre-Seigneur.
Aussi son divin fondateur a-t-il voulu que, pour maintenir l’accord dans la foi et la discipline entre ses divers membres, elle possédât toujours un chef, centre d’autorité et juge suprême des controverses ; principe d’unité et de vie d’autant plus nécessaire à l’Église que celle-ci se dilate davantage et étend plus au loin à travers l’espace et le temps ses vigoureux rameaux.
« S’il n’existait une primauté dans l’Église, disait le protestant Hugo Grotius, les controverses seraient interminables, comme elles le sont dans le protestantisme[11]. » La divine institution d’un juge infaillible, dans les questions qui touchent à la foi, est, d’ailleurs, nécessaire, pour l’éducation du genre humain. Cette pensée, on le sait, frappa vivement Augustin Thierry, au cours de ses études historiques ; elle fut le trait de lumière qui le conduisit droit à l’Église catholique[12].
[11] Hugo Grotius. Via ad pacem Eccles., titul. VII, op., t. IV, édit. Basil, p. 658.
[12] Lettre de Gratry, Conn. de Dieu, t. I, append.
Voilà pourquoi l’Église ne peut être une société particulière, limitée à un siècle, ou à une nation. Elle doit embrasser toutes les nations comme tous les siècles. Il est donc nécessaire qu’elle demeure toujours visible et qu’elle apparaisse à tous les yeux attentifs, non seulement unique, catholique, apostolique, mais sainte dans ses lois, ses dogmes, sa discipline, merveilleuse école de sainteté, où ne cesse jamais de fleurir, avec l’humble piété, l’éclatante vertu des miracles.
Or ces notes caractéristiques de la véritable Église instituée par Notre-Seigneur, l’Église romaine seule les possède ; seule entre les sociétés chrétiennes, elle est une dans ses dogmes, sa discipline, ayant un organe central indispensable au maintien de l’unité ; seule elle est à la fois sainte, catholique et apostolique, et depuis dix-huit siècles met sur les lèvres de ses enfants ces paroles des apôtres : « Je crois à l’Église une, sainte, catholique et apostolique. » — « Les sectes, dit le docteur protestant Martensen, veulent bien se mettre en rapport avec les apôtres ; mais elles ont perdu le fil historique qui le leur permettrait. »
2. — Quiconque ne renie pas Dieu doit aboutir au catholicisme.
Nous ne pouvons qu’indiquer ici les preuves de la religion chrétienne et catholique ; il faut, pour en comprendre toute la force, les voir développées tout au long dans un traité d’apologétique. Simplement exposées, elles ont une incontestable clarté. Il est, du moins, évident qu’on ne peut regarder comme déraisonnable ou imprudent celui qui y adhère. Un homme sensé, dans les affaires même les plus importantes, exige-t-il des motifs plus impérieux pour se décider ? Qu’il ait une chance contre vingt de sauver, par ses efforts, sa fortune, sa vie, son honneur, et il compte pour rien les plus rudes fatigues. Eh bien, de la révélation nous avons des preuves absolument concluantes. Elle ne répond pas seulement à nos désirs les plus élevés et les plus ardents ; elle n’est pas seulement une source de paix et de bonheur pour l’individu, la famille et la société. Elle s’impose aussi comme venant de Dieu par des signes éclatants ; en sorte que les renier, c’est par contre-coup s’attaquer à la Providence, au dogme de la survivance de l’âme, aux principes mêmes sur lesquels se fonde la différence entre le bien et le mal et qui sont la base de l’ordre moral et social. Aussi, des positivistes, comme le blasphémateur Proudhon, dans son ouvrage De la Justice dans la Révolution et l’Église, et dans ses Confessions d’un Révolutionnaire, conviennent-ils qu’il n’y a pas de milieu, pour un esprit logique, entre l’athéisme et le catholicisme ; que « l’Église catholique est la plus pure, la plus complète, la plus éclatante manifestation de l’essence divine ; qu’il n’y a qu’elle qui sache l’adorer… »
Plusieurs de ceux qui excluent la révélation se piquent d’une prétendue religion naturelle ; mais c’est un jeu d’équilibriste où bien peu se maintiennent. Quelques-uns, témoin Jules Simon, vont, tôt ou tard, au Christ, qui, les bras ouverts, les attend sur la croix. Quant aux autres déistes, leur Dieu devient vite sourd, aveugle et muet ; il cède la place au Dieu du panthéiste. Voyez Renan : après avoir renié l’Église catholique, il ne voit bientôt plus dans la Providence et l’immortalité de l’âme que « de bons vieux mots un peu lourds ». La vieille morale suit aussi la déroute du dogme. Il en vient à regarder comme une vanité la chasteté, la fidélité conjugale, comme les autres vertus, et finit par incarner dans le libertin « la vraie philosophie de la vie[13] ».
[13] Revue des Deux-Mondes, 15 nov. 1882, p. 254 ; 1er nov. 1880, p. 77.
La vue des funestes conséquences de l’incrédulité confirme la justesse de ces belles paroles de La Bruyère, dans son chapitre sur les Esprits forts : « Si ma religion est fausse, voilà le piège le mieux dressé qu’il soit possible d’imaginer ; il était inévitable de ne pas donner tout au travers et de n’y être pas pris… Où aller ? où me jeter, je ne dis pas pour trouver rien de meilleur, mais quelque chose qui en approche ?… Il m’est plus doux de renier Dieu que de l’accorder avec une tromperie si spécieuse et si entière. » En effet, comment croire en Dieu et tenir en même temps la religion chrétienne pour fausse ? En ce cas, l’erreur, si erreur il y avait, remonterait jusqu’à lui.
Mais il est impossible que l’athée ait raison ou que Dieu nous trompe. Si profonds que soient les abaissements du Créateur dans une religion pleine de mystères, l’étonnement cesse quand on songe à ce que peut la divine miséricorde. Elle nous donne la clef des choses les plus incompréhensibles. On le sait, la seule pensée que la puissance et l’amour infinis sont la cause de tant de merveilles, suffit, au témoignage de Bossuet, à ramener de l’incrédulité à la foi la princesse Palatine.
3. — L’obligation de croire.
Quand un homme, comme il y est tenu, prête une sérieuse attention à ces preuves fondamentales de la religion ; quand il s’efforce d’en saisir toute la valeur, le moment vient vite où la vérité lui apparaît assez clairement pour motiver un acte de foi. Dès lors, croire n’est pas seulement faire œuvre de sens et de sagesse ; c’est remplir un devoir rigoureux. L’homme qui, éclairé sur la vérité de la révélation, recule devant l’acte de foi, sera condamné : Qui non crediderit condemnabitur. Dieu, en nous proposant ses dogmes et ses préceptes, ne nous permet pas de les rejeter au gré de notre humeur.
Prétendre que l’obéissance est de notre part facultative, c’est une hypothèse à tous égards insoutenable. Notre Maître, selon l’expression de l’Écriture, remue le ciel et la terre pour nous instruire et nous apprendre la manière dont il veut être honoré ; il nous presse, il exhorte, il menace, il s’immole dans sa nature humaine pour cimenter de son sang les pierres de l’Église, où il nous presse d’entrer. Après le Christ, les apôtres répètent qu’il n’est point d’autre nom sur la terre, hormis celui de Jésus, dont la vertu puisse nous sauver, et qu’un Évangile différent du sien, vînt-il du ciel, il ne faudrait point l’écouter. Le commandement divin pouvait-il être à la fois plus rationnel et plus pressant ?
Pour esquiver cet ordre, on nous dit : la révélation n’est-elle pas un privilège ? Sans doute, mais un privilège que nous impose d’autorité, en vue de notre bonheur et de sa propre gloire, celui dont nous dépendons corps et âme. La vie surnaturelle qui nous est offerte et à laquelle nous sommes initiés par l’acte de foi, il n’est pas plus permis de nous y soustraire que d’étouffer en nous la vie naturelle par le suicide. Pour qui a quelque souci du respect dû à Dieu et de ses propres intérêts, c’est donc un crime ou une folie de renier la foi ou de ne point faire effort pour la reconquérir. Vainement chercherait-on une sérieuse excuse qui libère la conscience de ce devoir urgent, on n’en trouvera pas.