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Histoire de la magie

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Ceux qui ne veulent pas marcher, la nature les traîne impitoyablement.

Nous sommes jetés dans la vie comme en pleine mer: il faut nager ou périr.

Telles sont les lois de la nature enseignées par la haute magie. Voyez maintenant si l'on peut devenir magicien pour jouir toujours et ne souffrir jamais!

Mais alors, diront d'un air désappointé les gens du monde, à quoi peut servir la magie?--Que pensez-vous que le prophète Balaam eût pu répondre à son ânesse si elle lui avait demandé à quoi peut servir l'intelligence?

Que répondrait Hercule à un pygmée qui lui demanderait à quoi peut servir la force?

Nous ne comparons certes pas les gens du monde à des pygmées, et encore moins à l'ânesse de Balaam; ce serait manquer de politesse et de bon goût. Nous répondrons donc le plus gracieusement possible à ces personnes si brillantes et si aimables, que la magie ne peut leur servir absolument de rien, attendu qu'elles ne s'en occuperont jamais sérieusement.

Notre ouvrage s'adresse aux âmes qui travaillent et qui pensent. Elles y trouveront l'explication de ce qui est resté obscur dans le dogme et dans le rituel de la haute magie 1. Nous avons, à l'exemple des grands maîtres, suivi dans le plan et la division de nos livres l'ordre rationnel des nombres sacrés. Nous divisons notre histoire de la magie en sept livres, et chaque livre contient sept chapitres.

Note 1: (retour) Éliphas Lévi, Dogme et Rituel de la haute magie, 1856, 2 vol. in-8, avec 23 fig.--25 fr.

Le premier livre est consacré aux origines magiques, c'est la Genèse de la science, et nous lui avons donné pour clef la lettre aleph א, qui exprime kabbalistiquement l'unité principiante et originelle.

Le second livre contiendra les formules historiques et sociales du verbe magique dans l'antiquité. Sa marque est la lettre beth ב, symbole du binaire, expression du verbe réalisateur, caractère spécial de la gnose et de l'occultisme.

Le troisième livre sera l'exposé des réalisations de la science antique dans la société chrétienne. Nous y verrons comment, pour la science même, la parole s'est incarnée. Le nombre trois est celui de la génération, de la réalisation, et le livre a pour clef la lettre ghimel ג, hiéroglyphe de la naissance.

Dans le quatrième livre, nous verrons la force civilisatrice de la magie chez les barbares, et les productions naturelles de cette science parmi les peuples encore enfants, les mystères des druides, les miracles des eubages, les légendes des bardes, et comment tout cela concourt à la formation des sociétés modernes en préparant au christianisme une victoire éclatante et durable. Le nombre quatre exprime la nature et la force, et la lettre daleth ד, qui le représente dans l'alphabet hébreux, est figurée dans l'alphabet hiéroglyphique des kabbalistes par un empereur sur son trône.

Le cinquième livre sera consacré à l'ère sacerdotale du moyen âge. Nous y verrons les dissidences et les luttes de la science, la formation des sociétés secrètes, leurs oeuvres inconnus, les rites secrets des grimoires, les mystères de la divine comédie, les divisions du sanctuaire, qui doivent aboutir plus tard à une glorieuse unité. Le nombre cinq est celui de la quintessence, de la religion, du sacerdoce; son caractère est la lettre ה, représentée dans l'alphabet magique par la figure du grand prêtre.

Notre sixième livre montrera la magie mêlée à l'oeuvre de la révolution. Le nombre six est celui de l'antagonisme et de la lutte qui prépare la synthèse universelle. Sa lettre est le vaf נ, figure du lingam créateur, du fer recourbé qui moissonne.

Le septième livre sera celui de la synthèse, et contiendra l'exposé des travaux modernes et des découvertes récentes, les théories nouvelles de la lumière et du magnétisme, la révélation du grand secret des rose-croix, l'explication des alphabets mystérieux, la science, enfin, du verbe et des oeuvres magiques, la synthèse de la science et l'appréciation des travaux de tous les mystiques contemporains. Ce livre sera le complément et la couronne de l'oeuvre comme le septénaire est la couronne des nombres, puisqu'il réunit le triangle de l'idée au carré de la forme. Sa lettre correspondante est le dzaïn ז, et son hiéroglyphe kabbalistique est un triomphateur monté sur un char attelé de deux sphinx. Nous avons donné cette figure dans notre précédent ouvrage.

Loin de nous la vanité ridicule de nous poser en triomphateur kabbalistique, c'est la science seule qui doit triompher, et celui que nous voulons montrer au monde intelligent, monté sur le char cubique et traîné par les sphinx, c'est le verbe de lumière, c'est le réalisateur divin de la kabbale de Moïse, c'est le soleil humain de l'Évangile, c'est l'homme-Dieu qui est déjà venu comme Sauveur, et qui se manifestera bientôt comme Messie, c'est-à-dire comme roi définitif et absolu des institutions temporelles. C'est cette pensée qui anime notre courage et entretient notre espérance. Et maintenant il nous reste à soumettre toutes nos idées, toutes nos découvertes et tous nos travaux au jugement infaillible de la hiérarchie. Tout ce qui tient à la science, aux hommes acceptés par les sciences, tout ce qui tient à la religion, à l'Église seule, et à la seule Église hiérarchique et conservatrice de l'unité, catholique apostolique et romaine, depuis Jésus-Christ jusqu'à présent.

Aux savants nos découvertes, aux évêques nos aspirations et nos croyances! Malheur, en effet, à l'enfant qui se croit plus sage que ses pères, à l'homme qui ne reconnaît pas de maîtres, au rêveur qui pense et qui prie pour lui seul! La vie est une communion universelle, et c'est dans cette communion qu'on trouve l'immortalité. Celui qui s'isole se voue à la mort, et l'éternité de l'isolement, ce serait la mort éternelle!

Éliphas LÉVI.


LIVRE PREMIER

LES ORIGINES MAGIQUES

א Aleph.


CHAPITRE PREMIER

ORIGINES FABULEUSES

SOMMAIRE.--Origines fabuleuses.--Le livre de la pénitence d'Adam. --Le livre d'Hénoch.--La légende des anges déchus.--Apocalypse de Méthodius.--La Genèse suivant les Indiens.--L'héritage magique d'Abraham, suivant le Talmud.--Le Sépher Jezirah et le Sohar.


«Il y eut, dit le livre apocryphe d'Hénoch, des anges qui se laissèrent tomber du ciel pour aimer les filles de la terre.

Car en ces jours-là, lorsque les fils des hommes se furent multipliés, il leur naquit des filles d'une grande beauté.

Et lorsque les anges, les fils du ciel, les virent ils furent pris d'amour pour elles; et ils se disaient entre eux: «Allons, choisissons-nous des épouses de la race des hommes, et engendrons des enfants.»

Alors leur chef Samyasa leur dit: «Peut-être n'aurez-vous pas le courage d'accomplir cette résolution, et je resterai seul responsable de votre chute.»

Mais ils lui répondirent: «Nous jurons de ne pas nous repentir et d'accomplir tous notre dessein.»

Et ils étaient deux cents qui descendirent sur la montagne d'Armon.

Et c'est depuis ce temps-là que cette montagne est nommée Armon, ce qui veut dire la montagne du Serment.

Voici les noms des chefs de ces anges qui descendirent: Samyasa qui était le premier de tous, Uraka-baraméel, Azibéel, Tamiel, Ramuel, Danel, Azkéel, Sarakuyal, Asael, Armers, Batraai, Anane, Zavèbe, Samsavéel, Ertrael, Turel, Jomiael, Arazial.

Ils prirent des épouses avec lesquelles ils se mêlèrent, leur enseignant la magie, les enchantements et la division des racines et des arbres.

Amazarac enseigna tous les secrets des enchanteurs, Barkaial fut le maître de ceux qui observent les astres, Akibéel révéla les signes et Azaradel le mouvement de la lune.»

Ce récit du livre kabbalistique d'Hénoch, est le récit de cette même profanation des mystères de la science que nous voyons représenter sous une autre image dans l'histoire du péché d'Adam.

Les anges, les fils de Dieu, dont parle Hénoch, c'étaient les initiés à la magie, puisque après leur chute ils l'enseignèrent aux hommes vulgaires par l'entremise des femmes indiscrètes. La volupté fut leur écueil, ils aimèrent les femmes et se laissèrent surprendre les secrets de la royauté et du sacerdoce.

Alors la civilisation primitive s'écroula, les géants, c'est-à-dire les représentants de la force brutale et des convoitises effrénées, se disputèrent le monde qui ne put leur échapper qu'en s'abîmant sous les eaux du déluge où s'effacèrent toutes les traces du passé.

Ce déluge figurait la confusion universelle où tombe nécessairement l'humanité lorsqu'elle a violé et méconnu les harmonies de la nature.

Le péché de Samyasa et celui d'Adam se ressemblent, tous deux sont entraînés par la faiblesse du coeur, tous deux profanent l'arbre de la science et sont repoussés loin de l'arbre de vie.

Ne discutons pas les opinions ou plutôt les naïvetés de ceux qui veulent prendre tout à la lettre, et qui pensent que la science et la vie ont pu pousser autrefois sous forme d'arbres, mais admettons le sens profond des symboles sacrés.

L'arbre de la science, en effet, donne la mort lorsqu'on en absorbe les fruits, ces fruits sont la parure du monde, ces pommes d'or sont les étoiles de la terre.

Il existe à la bibliothèque de l'Arsenal un manuscrit fort curieux qui a pour titre: Le livre de la pénitence d'Adam. La tradition kabbalistique y est présentée sous forme de légende, et voici ce qu'on y raconte:

«Adam eut deux fils, Caïn qui représente la force brutale, Abel qui représente la douceur intelligente. Ils ne purent s'accorder, et ils périrent l'un par l'autre, aussi leur héritage fut-il donné à un troisième fils nommé Seth.»

Voilà bien le conflit des deux forces contraires tournant au profit d'une puissance synthétique et combinée.

«Or Seth, qui était juste, put parvenir jusqu'à l'entrée du paradis terrestre sans que le chérubin l'écartât avec son épée flamboyante.» C'est-à-dire que Seth représente l'initiation primitive.

«Seth vit alors que l'arbre de la science et l'arbre de la vie s'étaient réunis et n'en faisaient qu'un.»

Accord de la science et de la religion dans la haute kabbale.

«Et l'ange lui donna trois grains qui contenaient toute la force vitale de cet arbre.»

C'est le ternaire kabbalistique.

«Lorsque Adam mourut, Seth, suivant les instructions de l'ange, plaça les trois grains dans la bouche de son père expiré comme un gage de vie éternelle.

»Les branches qui sortirent de ces trois grains formèrent le buisson ardent au milieu duquel Dieu révéla à Moïse son nom éternel:

[Hébreu, illisible.]

»L'être qui est, qui a été, et qui sera l'être.

»Moïse cueillit une triple branche du buisson sacré, ce fut pour lui la verge des miracles.

»Cette verge bien que séparée de sa racine ne cessa pas de vivre et de fleurir, et elle fut ainsi conservée dans l'arche.

»Le roi David replanta cette branche vivante sur la montagne de Sion, et Salomon plus tard prit le bois de cet arbre au triple tronc pour en faire les deux colonnes Jakin et Bohas, qui étaient à l'entrée du temple, il les revêtit de bronze, et plaça le troisième morceau du bois mystique au fronton de la porte principale.

»C'était un talisman qui empêchait tout ce qui était impur de pénétrer dans le temple.

»Mais les lévites corrompus arrachèrent pendant la nuit cette barrière de leurs iniquités et la jetèrent au fond de la piscine probatique en la chargeant de pierres.

»Depuis ce moment l'ange de Dieu agita tous les ans les eaux de la piscine et leur communiqua une vertu miraculeuse pour inviter les hommes à y chercher l'arbre de Salomon.

»Au temps de Jésus-Christ, la piscine fut nettoyée, et les juifs trouvant cette poutre, inutile suivant eux, la portèrent hors de la ville et la jetèrent en travers du torrent de Cédron.

»C'est sur ce pont que Jésus passa après son arrestation nocturne au jardin des Oliviers, c'est du haut de cette planche que ses bourreaux le précipitèrent pour le traîner dans le torrent et dans leur précipitation à préparer d'avance l'instrument du supplice, ils emportèrent avec eux le pont qui était une poutre de trois pièces, composée de trois bois différents et ils en firent une croix.»

Cette allégorie renferme toutes les hautes traditions de la kabbale et les secrets si complètement ignorés de nos jours du christianisme de saint Jean.

Ainsi Seth, Moïse, David, Salomon et le Christ auraient emprunté au même arbre kabbalistique leurs sceptres de rois et leurs bâtons de grands pontifes.

Nous devons comprendre maintenant pourquoi le Sauveur au berceau était adoré par les mages.

Revenons au livre d'Hénoch, car celui-ci doit avoir une autorité dogmatique plus grande qu'un manuscrit ignoré. Le livre d'Hénoch est, en effet, cité dans le Nouveau Testament par l'apôtre saint Jude.

La tradition attribue à Hénoch l'invention des lettres. C'est donc à lui que remontent les traditions consignées dans le Sepher Jézirah, ce livre élémentaire de la kabbale, dont la rédaction suivant les rabbins, serait du patriarche Abraham, l'héritier des secrets d'Hénoch et le père de l'initiation en Israël.

Hénoch parait donc être le même personnage que l'Hermès trismégiste des Égyptiens, et le fameux livre de Thot, écrit tout en hiéroglyphes et en nombres, serait cette bible occulte et pleine de mystères, antérieure aux livres de Moïse, à laquelle l'initié Guillaume Postel fait souvent allusion dans ses ouvrages en la désignant sous le nom de Genèse d'Hénoch.

La Bible dit qu'Hénoch ne mourut point, mais que Dieu le transporta d'une vie à l'autre. Il doit revenir s'opposer à l'Antéchrist, à la fin des temps, et il sera un des derniers martyrs ou témoins de la vérité, dont il est fait mention dans l'apocalypse de saint Jean.

Ce qu'on dit d'Hénoch, on l'a dit de tous les grands initiateurs de la kabbale.

Saint Jean lui-même ne devait pas mourir, disaient les premiers chrétiens, et l'on a cru longtemps le voir respirer dans son tombeau, car la science absolue de la vie est un préservatif contre la mort et l'instinct des peuples le leur fait toujours deviner.

Quoi qu'il en soit, il nous resterait d'Hénoch deux livres, l'un hiéroglyphique, l'autre allégorique. L'un contenant les clefs hiératiques de l'initiation, l'autre l'histoire d'une grande profanation qui avait amené la destruction du monde et le chaos après le règne des géants.

Saint Méthodius, un évêque des premiers siècles du christianisme, dont les oeuvres se trouvent dans la bibliothèque des Pères de l'Église, nous a laissé une apocalypse prophétique où l'histoire du monde se déroule dans une série de visions. Ce livre ne se trouve pas dans la collection des oeuvres de saint Méthodius, mais il a été conservé par les gnostiques, et nous le retrouvons imprimé dans le liber mirabilis, sous le nom altéré de Bermechobus, que des imprimeurs ignorants ont fait à la place de l'abréviation Bea-Méthodius pour beatus Méthodius.

Ce livre s'accorde en plusieurs points avec le traité allégorique de la pénitence d'Adam. On y trouve que Seth se retira avec sa famille en Orient vers une montagne voisine du paradis terrestre. Ce fut la patrie des initiés, tandis que la postérité de Caïn inventait la fausse magie dans l'Inde, pays du fratricide, et mettait les maléfices au service de l'impunité.

Saint Méthodius prédit ensuite les conflits et le règne successif des Ismaélites, vainqueurs des Romains; des Français, vainqueurs des Ismaélites, puis d'un grand peuple du Nord, dont l'invasion précédera le règne personnel de l'Antéchrist. Alors se formera un royaume universel, qui sera reconquis par un prince français, et la justice régnera pendant une longue suite d'années.

Nous n'avons pas à nous occuper ici de la prophétie. Ce qu'il nous importe de remarquer, c'est la distinction de la bonne et de la mauvaise magie, du sanctuaire des fils de Seth et de la profanation des sciences par les descendants de Caïn.

La haute science, en effet, est réservée aux hommes qui sont maîtres de leurs passions, et la chaste nature ne donne pas les clefs de sa chambre nuptiale à des adultères. Il y a deux classes d'hommes, les hommes libres et les esclaves; l'homme naît esclave de ses besoins, mais il peut s'affranchir par l'intelligence. Entre ceux qui sont déjà affranchis et ceux qui ne le sont pas encore l'égalité n'est pas possible. C'est à la raison de régner et aux instincts d'obéir. Autrement si vous donnez à un aveugle les aveugles à conduire, ils tomberont tous dans les abîmes. La liberté, ne l'oublions pas, ce n'est pas la licence des passions affranchies de la loi. Cette licence serait la plus monstrueuse des tyrannies. La liberté, c'est l'obéissance volontaire à la loi; c'est le droit de faire son devoir et seuls les hommes raisonnables et justes sont libres. Or, les hommes libres doivent gouverner les esclaves, et les esclaves sont appelés à s'affranchir; non pas du gouvernement des hommes libres, mais de cette servitude des passions brutales, qui les condamne à ne pas exister sans maîtres.

Admettez maintenant avec nous la vérité des hautes sciences, supposez un instant qu'il existe, en effet, une force dont on peut s'emparer et qui soumet à la volonté de l'homme les miracles de la nature? Dites-nous maintenant si l'on peut confier aux brutalités cupides les secrets de la sympathie et des richesses; aux intrigants l'art de la fascination, à ceux qui ne savent pas se conduire eux-mêmes l'empire sur les volontés?... On est effrayé lorsqu'on songe aux désordres que peut entraîner une telle profanation. Il faudra un cataclysme pour laver les crimes de la terre quand tout se sera abîmé dans la boue et dans le sang. Eh bien! voilà ce que nous révèle l'histoire allégorique de la chute des anges dans le livre d'Hénoch, voilà le péché d'Adam et ses suites fatales. Voilà le déluge et ses tempêtes; puis, plus tard, la haute malédiction de Chanaan. La révélation de l'occultisme est figurée par l'impudence de ce fils qui montre la nudité paternelle. L'ivresse de Noé est une leçon pour le sacerdoce de tous les temps. Malheur à ceux qui exposent les secrets de la génération divine aux regards impurs de la foule! tenez le sanctuaire fermé, vous qui ne voulez pas livrer votre père endormi à la risée des imitateurs de Cham!

Telle est, sur les lois de la hiérarchie humaine, la tradition des enfants de Seth; mais telles ne furent pas les doctrines de la famille de Caïn. Les caïnistes de l'Inde inventèrent une Genèse pour consacrer l'oppression des plus forts et perpétuer l'ignorance des faibles; l'initiation devint le privilège exclusif des castes suprêmes et des races d'hommes furent condamnées à une servitude éternelle sous prétexte d'une naissance inférieure; ils étaient sortis, disait-on, des pieds ou des genoux de Brahma!

La nature n'enfante ni des esclaves ni des rois, tous les hommes naissent pour le travail.

Celui qui prétend que l'homme est parfait en naissant, et que la société le dégrade et le pervertit, serait le plus sauvage des anarchistes, s'il n'était pas le plus poétique des insensés. Mais Jean-Jacques avait beau être sentimental et rêveur, son fond de misanthropie, développé par la logique de ses séides, porta des fruits de haine et de destruction. Les réalisateurs consciencieux des utopies du tendre philosophe de Genève, furent Robespierre et Marat.

La société n'est pas un être abstrait qu'on puisse rendre séparément responsable de la perversité des hommes; la société c'est l'association des hommes. Elle est défectueuse de leurs vices et sublime de leurs vertus; mais en elle-même, elle est sainte, comme la religion qui lui est inséparablement unie. La religion, en effet, n'est-elle pas la société des plus hautes aspirations et des plus généreux efforts?

Ainsi, au mensonge des castes privilégiées par la nature, répondit le blasphème de l'égalité antisociale et du droit ennemi de tout devoir; le christianisme seul avait résolu la question en donnant la suprématie au dévouement, et en proclamant le plus grand celui qui sacrifierait son orgueil à la société et ses appétits à la loi.

Les juifs, dépositaires de la tradition de Seth, ne la conservèrent pas dans toute sa pureté, et se laissèrent gagner par les injustes ambitions de la postérité de Caïn. Ils se crurent une race d'élite, et pensèrent que Dieu leur avait plutôt donné la vérité comme un patrimoine que confiée comme un dépôt appartenant à l'humanité toute entière. On trouve, en effet, dans les talmudistes, à côté des sublimes traditions du Sépher Jézirah et du Sonar, des révélations assez étranges. C'est ainsi qu'ils ne craignent pas d'attribuer au patriarche Abraham lui-même l'idolâtrie des nations, lorsqu'ils disent qu'Abraham a donné aux Israélites son héritage, c'est-à-dire la science des vrais noms divins; la kabbale, en un mot, aurait été la propriété légitime et héréditaire d'Isaac; mais le patriarche donna, disent-ils, des présents aux enfants de ses concubines; et par ces présents ils entendent des dogmes voilés et des noms obscurs, qui se matérialisèrent bientôt et se transformèrent en idoles. Les fausses religions et leurs absurdes mystères, les superstitions orientales et leurs sacrifices horribles, quel présent d'un père à sa famille méconnue! N'était-ce pas assez de chasser Agar avec son fils dans le désert, fallait-il, avec leur pain unique et leur cruche d'eau, leur donner un fardeau de mensonge pour désespérer et empoisonner leur exil?

La gloire du christianisme c'est d'avoir appelé tous les hommes à la vérité, sans distinction de peuples et de castes, mais non toutefois sans distinction d'intelligences et de vertus.

«Ne jetez pas vos paroles devant les pourceaux, a dit le divin fondateur du christianisme, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et que, se tournant contre vous, ils ne vous dévorent.»

L'Apocalypse, ou révélation de saint Jean, qui contient tous les secrets kabbalistiques du dogme de Jésus-Christ, n'est pas un livre moins obscur que le Sohar.

Il est écrit hiéroglyphiquement avec des nombres et des images; et l'apôtre fait souvent appel à l'intelligence des initiés. «Que celui qui a la science comprenne, que celui qui comprend calcule,» dit-il plusieurs fois après une allégorie ou l'énoncé d'un nombre. Saint Jean, l'apôtre de prédilection et le dépositaire de tous les secrets du Sauveur, n'écrivait donc pas pour être compris de la multitude.

Le Sépher Jézirah, le Sohar et l'Apocalypse sont les chefs-d'oeuvre de l'occultisme; ils contiennent plus de sens que de mots, l'expression en est figurée comme la poésie et exacte comme les nombres. L'Apocalypse résume, complète et surpasse toute la science d'Abraham et de Salomon, comme nous le prouverons en expliquant les clefs de la haute kabbale.

Le commencement du Sohar étonne par la profondeur de ses aperçus et la grandiose simplicité de ses images. Voici ce que nous y lisons:

«L'intelligence de l'occultisme c'est la science de l'équilibre.

»Les forces qui se produisent sans être balancées périssent dans le vide.

»Ainsi ont péri les rois de l'ancien monde, les princes des géants. Ils sont tombés comme des arbres sans racines, et l'on n'a plus trouvé leur place.

»C'est par le conflit des forces non équilibrées que la terre dévastée était nue et informe lorsque le souffle de Dieu se fit place dans le ciel et abaissa la masse des eaux.

»Toutes les aspirations de la nature furent alors vers l'unité de la forme, vers la synthèse vivante des puissances équilibrées, et le front de Dieu, couronné de lumière, se leva sur la vaste mer et se refléta dans les eaux inférieures.

»Ses deux yeux parurent rayonnants de clarté, lançant deux traits de flamme qui se croisèrent avec les rayons du reflet.

»Le front de Dieu et ses deux yeux formaient un triangle dans le ciel, et le reflet formait un triangle dans les eaux.

»Ainsi se révéla le nombre six, qui fut celui de la création universelle.»

Nous traduisons ici, en l'expliquant, le texte qu'on ne saurait rendre intelligible en le traduisant littéralement.

L'auteur du livre a soin, d'ailleurs, de nous déclarer que cette forme humaine qu'il donne à Dieu n'est qu'une image de son verbe, et que Dieu ne saurait être exprimé par aucune pensée ni par aucune forme. Pascal a dit que Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Mais comment concevoir un cercle sans circonférence? Le Sohar prend l'inverse de cette figure paradoxale, et dirait volontiers du cercle de Pascal que la circonférence en est partout et le centre nulle part; mais ce n'est point à un cercle, c'est à une balance qu'il compare l'équilibre universel des choses. «L'équilibre est partout, dit-il, on trouve donc partout aussi le point central où la balance est suspendue.» Nous trouvons ici le Sohar plus fort et plus profond que Pascal.

L'auteur du Sohar continue son rêve sublime. La synthèse du verbe formulé par la figure humaine monte lentement et sort des eaux comme le soleil qui se lève. Quand les yeux ont paru, la lumière a été faite; quand la bouche se montre, les esprits sont créés et la parole se fait entendre. La tête entière est sortie, et voilà le premier jour de la création. Viennent les épaules, les bras et la poitrine, et le travail commence. L'image divine repousse d'une main la mer et soulève de l'autre les continents et les montagnes. Elle grandit, elle grandit toujours. Sa puissance génératrice apparaît, et tous les êtres vont se multiplier; il est debout, enfin, il met un pied sur la terre et l'autre sur la mer, et se mirant tout entier dans l'Océan de la création, il souffle sur son reflet, il appelle son image à la vie. Créons l'homme, a-t-il dit, et l'homme est créé! Nous ne connaissons rien d'aussi beau dans aucun poëte que cette vision de la création accomplie par le type idéal de l'humanité. L'homme ainsi est l'ombre d'une ombre! mais il est la représentation de la puissance divine. Lui aussi peut étendre les mains de l'Orient à l'Occident; la terre lui est donnée pour domaine. Voilà l'Adam Kadmon, l'Adam primitif des kabbalistes; voilà dans quelle pensée ils en font un géant; voilà pourquoi Swedenborg, poursuivi dans ses rêves par les souvenirs de la kabbale, dit que la création entière n'est qu'un homme gigantesque, et que nous sommes faits à l'image de l'univers.

Le Sohar est une genèse de lumière, le Sépher Jézirah est une échelle de vérités. Là s'expliquent les trente-deux signes absolus de la parole, les nombres et les lettres; chaque lettre reproduit un nombre, une idée et une forme, en sorte que les mathématiques s'appliquent aux idées et aux formes, non moins rigoureusement qu'aux nombres par une proportion exacte et une correspondance parfaite. Par la science du Sépher Jézirah, l'esprit humain est fixé dans la vérité et dans la raison, et peut se rendre compte des progrès possibles de l'intelligence par les évolutions des nombres. Le Sohar représente donc la vérité absolue, et le Sépher Jézirah donne les moyens de la saisir, de se l'approprier et d'en faire usage.

CHAPITRE II.

MAGIE DES MAGES.

SOMMAIRE.--Mystères de Zoroastre ou magie des mages.--La science du feu.--Symboles et enchantements des Perses et des Assyriens.--Les mystères de Ninive et de Babylone.--Domaine de la foudre.--Art de charmer les animaux.--Le bûcher de Sardanapale.


Zoroastre est très probablement un nom symbolique, comme celui de Thot ou d'Hermès. Eudoxe et Aristote le font vivre six mille ans avant la naissance de Platon; d'autres, au contraire, le font naître cinq cents ans avant la guerre de Troie. Les uns en font un roi de la Bactriane, les autres affirment l'existence de deux ou de trois Zoroastres différents. Eudoxe et Aristote seuls nous semblent avoir compris le personnage magique de Zoroastre en mettant l'âge kabbalistique d'un monde entre l'éclosion de son dogme et le règne théurgique de la philosophie de Platon. Il y a, en effet, deux Zoroastres, c'est-à-dire, deux révélateurs, l'un fils d'Oromase et père d'un renseignement lumineux, l'autre fils d'Arimane et auteur d'une divulgation profane; Zoroastre est le Verbe incarné des Chaldéens, des Mèdes et des Perses. Sa légende semble une prédiction de celle du Christ, et il a dû avoir aussi son antéchrist, suivant la loi magique de l'équilibre universel.

C'est au faux Zoroastre qu'il faut attribuer le culte du feu matériel et le dogme impie du dualisme divin qui a produit plus tard la gnose monstrueuse de Manès, et les principes erronés de la fausse maçonnerie. Le faux Zoroastre est le père de cette magie matérialiste qui a causé le massacre des mages, et fait tomber le vrai magisme sous la proscription et dans l'oubli. L'Église, toujours inspirée par l'esprit de vérité, a dû proscrire sous les noms de magie, de manichéisme, d'illuminisme et de maçonnerie, tout ce qui se rattachait de près ou de loin à cette profanation primitive des mystères. L'histoire jusqu'à présent incomprise des templiers, en est un exemple éclatant.

Les dogmes du vrai Zoroastre sont les mêmes que ceux de la pure kabbale, et ses idées sur la divinité sont les mêmes que celles des Pères de l'Église. Les noms seuls diffèrent: ainsi il nomme triade ce que nous appelons trinité, et dans chaque nombre de la triade, il retrouve le ternaire tout entier. C'est ce que nos théologiens appellent la circum-insession des personnes divines. Zoroastre renferme dans cette multiplication de la triade par elle-même la raison absolue du nombre neuf et la clef universelle de tous les nombres et de toutes les formes. Ce que nous appelons les trois personnes divines, Zoroastre le nomme les trois profondeurs. La profondeur première ou paternelle est la source de la foi; la seconde ou celle du Verbe est la source de la vérité; la troisième ou l'action créatrice est la source d'amour. On peut consulter, pour se convaincre de ce que nous avançons ici, l'exposition de Psellus sur les dogmes des anciens Assyriens, dans la Magie philosophique de François Patricius, page 2, édition de Hambourg, 1593.

Sur cette échelle de neuf degrés, Zoroastre établit la hiérarchie céleste et toutes les harmonies de la nature. Il compte par trois toutes les choses qui émanent de l'idée, par quatre tout ce qui se rattache à la forme, ce qui lui donne le nombre sept pour type de la création. Ici finit l'initiation première, et commencent les hypothèses de l'école; les nombres se personnifient, les idées prennent des emblèmes qui plus tard deviendront des idoles. Voici venir les Synochées, les Télétarques et les Pères, serviteurs de la triple Hécate, puis les trois Amilictes, et les trois visages d'Hypézocos; puis les anges, puis les démons, puis les âmes humaines. Les astres sont les images et les reflets des splendeurs intellectuelles, et notre soleil est l'emblème d'un soleil de vérité, ombre lui-même de cette source première d'où jaillissent toutes les splendeurs. C'est pour cela que les disciples de Zoroastre saluaient le lever du jour, et passaient parmi les barbares pour des adorateurs du soleil.

Tels étaient les dogmes des mages, mais ils possédaient, en outre, des secrets qui les rendaient maîtres des puissances occultes de la nature. Ces secrets, dont l'ensemble pourrait s'appeler une pyrotechnie transcendentale, se rattachaient tous à la science profonde et au gouvernement du feu. Il est certain que les mages connaissaient l'électricité, et avaient des moyens de la produire et de la diriger qui nous sont encore inconnus.

Numa, qui étudia leurs rites et fut initié à leurs mystères, possédait, au dire de Lucius Pison, l'art de former et de diriger la foudre. Ce secret sacerdotal dont l'initiateur romain voulait faire l'apanage des souverains de Rome, fut perdu par Tullus Hostilius qui dirigea mal la décharge électrique et fut foudroyé. Pline rapporte ces faits comme une ancienne tradition étrusque 2, et raconte que Numa se servit avec succès de sa batterie foudroyante contre un monstre nommé Volta, qui désolait les campagnes de Rome. Ne croirait-on pas, en lisant cette révélation, que notre physicien Volta est un mythe, et que le nom des piles voltaïques remonte au siècle de Numa?

Note 2: (retour) Plin., liv. II, ch. 53.

Tous les symboles assyriens se rapportent à cette science du feu qui était le grand arcane des mages; partout nous retrouvons l'enchanteur qui perce le lion et qui manie les serpents. Le lion c'est le feu céleste, les serpents sont les courants électriques et magnétiques de la terre. C'est à ce grand secret des mages qu'il faut rapporter toutes les merveilles de la magie hermétique, dont les traditions disent encore que le secret du grand oeuvre consiste dans le gouvernement du feu.

Le savant François Patricius a publié, dans sa Magie philosophique, les oracles de Zoroastre recueillis dans les livres des platoniciens, dans la théurgie de Proclus, dans les commentaires sur Parménide, dans les commentaires d'Hermias sur Phèdre, dans les notes d'Olympiodore sur le Philèbe et le Phédon. Ces oracles sont d'abord la formule nette et précise du dogme que nous venons d'exposer, puis viennent les prescriptions du rituel magique, et voici en quels termes elles sont exprimées:

LES DÉMONS ET LES SACRIFICES.

«La nature nous enseigne par induction qu'il existe des démons incorporels, et que les germes du mal qui existent dans la matière, tournent au bien et à l'utilité commune.

»Mais ce sont là des mystères qu'il faut ensevelir dans les replis les plus impénétrables de la pensée.

»Le feu toujours agité et bondissant dans l'atmosphère peut prendre une configuration semblable à celle des corps.

»Disons mieux, affirmons l'existence d'un feu plein d'images et d'échos.

»Appelons, si vous le voulez, ce feu une lumière surabondante qui rayonne, qui parle, qui s'enroule.

»C'est le coursier fulgurant de la lumière, ou plutôt c'est l'enfant aux larges épaules qui dompte et soumet le coursier céleste.

»Qu'on l'habille de flamme et d'or ou qu'on le représente nu comme l'Amour en lui donnant aussi des flèches.

»Mais si ta méditation se prolonge, tu réuniras tous ces emblèmes sous la figure du lion;

»Alors qu'on ne voit plus rien ni de la voûte des cieux ni de la masse de l'univers.

»Les astres ont cessé de briller, et la lampe de la lune est voilée.

»La terre tremble et tout s'environne d'éclairs.

»Alors n'appelle pas le simulacre visible de l'âme de la nature.

»Car tu ne dois point le voir avant que ton corps ne soit purifié par les saintes épreuves.

»Amollissant les âmes et les entraînant toujours loin des travaux sacrés, les chiens terrestres sortent alors de ces limbes ou finit la matière, et montrent aux regards mortels des apparences de corps toujours trompeuses.

»Travaille autour des cercles décrits par le rhombus d'Hécate.

»Ne change rien aux noms barbares de l'évocation: car ce sont les noms panthéistiques de Dieu; ils sont aimantés des adorations d'une multitude et leur puissance est ineffable.

»Et lorsque après tous les fantômes, tu verras briller ce feu incorporel, ce feu sacré dont les flèches traversent à la fois toutes les profondeurs du monde;

»Écoute ce qu'il te dira!»

Cette page étonnante que nous traduisons en entier du latin de Patricius, contient tous les secrets du magnétisme avec des profondeurs que n'ont jamais soupçonnées les Du Potet et les Mesmer.

Nous y voyons: 1° d'abord la lumière astrale parfaitement décrite avec sa force configurative et sa puissance pour refléter le verbe et répercuter la voix;

2° La volonté de l'adepte figurée par l'enfant aux larges épaules monté sur le cheval blanc; hiéroglyphe que nous avons retrouvé sur un ancien tarot de la Bibliothèque impériale;

3° Le danger d'hallucinations dans les opérations magiques mal dirigées;

4° L'instrument magnétique qui est le rhombus, espèce de jouet d'enfant en bois creux qui tourne sur lui-même avec un ronflement toujours croissant;

5° La raison des enchantements par les paroles et les noms barbares;

6° La fin de l'oeuvre magique, qui est l'apaisement de l'imagination et des sens, l'état de somnambulisme complet et la parfaite lucidité.

Il résulte de cette révélation de l'ancien monde, que l'extase lucide est une application volontaire et immédiate de l'âme au feu universel, ou plutôt à cette lumière pleine d'images qui rayonne, qui parle et qui s'enroule autour de tous les objets et de tous les globes de l'univers.

Application qui s'opère par la persistance d'une volonté dégagée des sens et affermie par une série d'épreuves.

C'était là le commencement de l'initiation magique.

L'adepte, parvenu à la lecture immédiate dans la lumière, devenait voyant ou prophète; puis, ayant mis sa volonté en communication avec cette lumière, il apprenait à la diriger comme on dirige la pointe d'une flèche; il envoyait à son gré le trouble ou la paix dans les âmes, communiquait à distance avec les autres adeptes, s'emparait enfin de cette force représentée par le lion céleste.

C'est ce que signifient ces grandes figures assyriennes qui tiennent sous leurs bras des lions domptés.

C'est la lumière astrale qui est représentée par ces gigantesques sphinx, ayant des corps de lions et des têtes de mages.

La lumière astrale, devenue l'instrument de la puissante magique, est le glaive d'or de Mithra qui immole le taureau sacré.

C'est la flèche de Phoebus qui perce le serpent Python.

Reconstruisons maintenant en esprit ces grandes métropoles de l'Assyrie, Babylone et Ninive, remettons à leur place ces colosses de granit, rebâtissons ces temples massifs, portés par des éléphants ou par des sphinx, relevons ces obélisques au-dessus desquels planent des dragons aux yeux étincelants et aux ailes étendues.

Le temple et le palais dominent ces entassements de merveilles; là se tiennent cachées en se révélant sans cesse par des miracles les deux divinités visibles de la terre, le sacerdoce et la royauté.

Le temple, au gré des prêtres, s'entoure de nuages ou brille de clartés surhumaines; les ténèbres se font parfois pendant le jour, parfois aussi la nuit s'illumine; les lampes du temple s'allument d'elles-mêmes, les dieux rayonnent, on entend gronder la foudre, et malheur à l'impie qui aurait attiré sur sa tête la malédiction des initiés! Le temple protége le palais, et les serviteurs du roi combattent pour la religion des mages; le roi est sacré, c'est le dieu de la terre, on se prosterne lorsqu'il passe, et l'insensé qui oserait sans ordre franchir le seuil de son palais, serait immédiatement frappé de mort!

Frappé de mort sans massue et sans glaive, frappé par une main invisible, tué par la foudre, terrassé par le feu du ciel! Quelle religion et quelle puissance! quelles grandes ombres que celles de Nemrod, de Bélus et de Sémiramis! Que pouvaient donc être avant les cités presque fabuleuses, où ces immenses royautés trônèrent autrefois, les capitales de ces géants, de ces magiciens, que les traditions confondent avec les anges et nomment encore les fils de Dieu et les princes du ciel! Quels mystères dorment dans les tombeaux des nations; et ne sommes-nous pas des enfants lorsque, sans prendre la peine d'évoquer ces effrayants souvenirs, nous nous applaudissons de nos lumières et de nos progrès!

Dans son livre sur la magie, M. Du Potet avance, avec une certaine crainte, qu'on peut, par une puissante émission de fluide magnétique, foudroyer un être vivant 3.

Note 3: (retour) Du Potet, la Magie dévoilée, ou Principes de science occulte, 1852, 1 vol. in-4.

La puissance magique s'étend plus loin, mais il ne s'agit pas seulement du prétendu fluide magnétique. C'est la lumière astrale tout entière, c'est l'élément de l'électricité et de la foudre, qui peut être mise au service de la volonté humaine; et que faut-il faire pour acquérir cette formidable puissance? Zoroastre vient de nous le le dire: il faut connaître ces lois mystérieuses de l'équilibre qui asservissent à l'empire du bien les puissances mêmes du mal; il faut avoir purifié son corps par les saintes épreuves, lutté contre les fantômes de l'hallucination et saisi corps à corps la lumière, comme Jacob dans sa lutte avec l'ange; il faut avoir dompté ces chiens fantastiques qui aboient dans les rêves; il faut, en un mot, pour nous servir de l'expression si énergique de l'oracle, avoir entendu parler la lumière. Alors on est maître, alors on peut la diriger, comme Numa, contre les ennemis des saints mystères; mais si l'on n'est pas parfaitement pur, si la domination de quelque passion animale vous soumet encore aux fatalités des tempêtes de la vie, on se brûle aux feux qu'on allume, on est la proie du serpent qu'on déchaîne, et l'on périra foudroyé comme Tullus Hostilius.

Il n'est pas conforme aux lois de la nature que l'homme puisse être dévoré par les bêtes sauvages. Dieu l'a armé de puissance pour leur résister; il peut les fasciner du regard, les gourmander avec la voix, les arrêter d'un signe,... et nous voyons, en effet, que les animaux les plus féroces redoutent la fixité du regard de l'homme, et semblent tressaillir à sa voix. Les projections de la lumière astrale les paralysent et les frappent de crainte. Lorsque Daniel fut accusé de fausse magie et d'imposture, le roi de Babylone le soumit, ainsi que ses accusateurs, à l'épreuve des lions. Les animaux n'attaquent jamais que ceux qui les craignent ou ceux dont eux-mêmes ils ont peur. Un homme intrépide et désarmé ferait certainement reculer un tigre par le magnétisme de son regard.

Les mages se servaient de cet empire, et les souverains de l'Assyrie avaient dans leurs jardins des tigres soumis, des léopards dociles et des lions apprivoisés. On en nourrissait d'autres dans les souterrains des temples pour servir aux épreuves de l'initiation. Les bas-reliefs symboliques en font foi; ce ne sont que luttes d'hommes et d'animaux, et toujours on voit l'adepte couvert du vêtement sacerdotal les dominer du regard et les arrêter d'un geste de la main. Plusieurs de ces représentations sont symboliques sans doute, quand les animaux reproduisent quelques-unes des formes du sphinx; mais il en est d'autres où l'animal est représenté au naturel et où le combat semble être la théorie d'un véritable enchantement.

La magie est une science dont on ne peut abuser sans la perdre et sans se perdre soi-même. Les souverains et les prêtres du monde assyrien étaient trop grands pour ne pas être exposés à se briser si jamais ils tombaient; ils devinrent orgueilleux et ils tombèrent. La grande époque magique de la Chaldée est antérieure aux règnes de Sémiramis et de Ninus. A cette époque déjà la religion se matérialise et l'idolâtrie commence à triompher. Le culte d'Astarté succède à celui de la Vénus céleste, la royauté se fait adorer sous les noms de Baal et de Bel ou Bélus. Sémiramis abaisse la religion au-dessous de la politique et des conquêtes, et remplace les vieux temples mystérieux par de fastueux et indiscrets monuments; l'idée magique toutefois domine encore les sciences et les arts, et imprime aux merveilleuses constructions de cette époque un caractère inimitable de force et de grandeur. Le palais de Sémiramis était une synthèse bâtie et sculptée de tout le dogme de Zoroastre. Nous en reparlerons lorsque nous expliquerons le symbolisme de ces sept chefs-d'oeuvre de l'antiquité, qu'on appela les merveilles du monde.

Le sacerdoce s'était fait plus petit que l'empire, en voulant matérialiser sa propre puissance; l'empire en tombant devait l'écraser, et ce fut ce qui arriva sous l'efféminé Sardanapale. Ce prince, amoureux de luxe et de mollesse, avait fait de la science des mages une de ses prostituées. A quoi bon la puissance d'opérer des merveilles si elle ne donne pas du plaisir? Enchanteurs, forcez l'hiver à donner des roses; augmentez la saveur du vin; employez votre empire sur la lumière à faire resplendir la beauté des femmes comme celle des divinités! On obéit et le roi s'enivre. Cependant la guerre se déclare, l'ennemi s'avance.... Qu'importe l'ennemi au lâche qui jouit et qui dort? Mais c'est la ruine, c'est l'infamie, c'est la mort!... la mort! Sardanapale ne la craint pas, il croit que c'est un sommeil sans fin; mais il saura bien se soustraire aux travaux et aux affronts de la servitude... La nuit suprême est arrivée; le vainqueur est aux portes, la ville ne peut plus résister; demain c'en est fait du royaume d'Assyrie.... Le palais de Sardanapale s'illumine, et il rayonne de si merveilleuses splendeurs qu'il éclaire toute la ville consternée. Sur des amas d'étoffes précieuses, de pierreries et de vases d'or, le roi fait sa dernière orgie. Ses femmes, ses favoris, ses complices, ses prêtres avilis l'entourent; les clameurs de l'ivresse se mêlent au bruit de mille instruments, les lions apprivoisés rugissent, et une fumée de parfums sortant des souterrains du palais en enveloppe déjà toutes les constructions d'un épais nuage. Des langues de flamme percent déjà les lambris de cèdre;... les chants d'ivresse vont faire place aux cris d'épouvante et aux râles de l'agonie.... Mais la magie qui n'a pu, entre les mains de ses adeptes dégradés, conserver l'empire de Ninus, va du moins mêler ses merveilles aux terribles souvenirs de ce gigantesque suicide. Une clarté immense et sinistre telle que n'en avaient jamais vu les nuits de Babylone, semble repousser tout à coup et élargir la voûte du ciel.... Un bruit semblable à celui de tous les tonnerres éclatant ensemble ébranle la terre et secoue la ville, dont les murailles tombent.... La nuit profonde redescend; le palais de Sardanapale n'existe plus, et demain ses vainqueurs ne trouveront plus rien de ses richesses, de son cadavre et de ses plaisirs.

Ainsi finit le premier empire d'Assyrie et la civilisation faite par le vrai Zoroastre. Ici finit la magie proprement dite, et commence le règne de la kabbale. Abraham, en sortant de la Chaldée, en a emporté les mystères. Le peuple de Dieu grandit en silence, et nous trouverons bientôt Daniel aux prises avec les misérables enchanteurs de Nabuchodonosor et de Balthazar 4.

Note 4: (retour) Suivant Suldas, Cedrénus et la chronique d'Alexandrie, ce fut Zoroastre lui-même qui, assiégé dans son palais, se fit disparaître tout à coup avec tous ses secrets et toutes ses richesses dans un immense éclat de tonnerre. En ce temps-là, tout roi qui exerçait la puissance divine passait pour une incarnation de Zoroastre, et Sardanapale se fit une apothéose de son bûcher.


CHAPITRE III.

MAGIE DANS L'INDE.

SOMAIRE.--Dogme des gymnosophistes.--La trimourti et les Avatars.--Singulière manifestation de l'esprit prophétique.--Influence du faux Zoroastre sur le mysticisme indien.--Antiquités religieuses des Védas.--Magie des brahmes et des faquirs.--Leurs livres et leurs oeuvres.


L'Inde, que la tradition kabbalistique nous dit avoir été peuplée par les descendants de Caïn, et où se retirèrent plus tard les enfants d'Abraham et de Céthurah, l'Inde est par excellence le pays de la goétie et des prestiges. La magie noire s'y est perpétuée avec les traditions originelles du fratricide rejeté par les puissants sur les faibles, continué par les castes oppressives et expié par les parias.

On peut dire de l'Inde qu'elle est la savante mère de toutes les idolâtries. Les dogmes de ses gymnosophistes seraient les clefs de la plus haute sagesse, si elles n'ouvraient encore mieux les portes de l'abrutissement et de la mort. L'étonnante richesse du symbolisme indien ferait presque supposer qu'il est antérieur à tous les autres, tant il y a d'originalité primitive dans ses poétiques conceptions; mais c'est un arbre dont le serpent infernal semble avoir mordu la racine. La déification du diable contre laquelle nous avons déjà énergiquement protesté, s'y étale dans toute son impudeur. La terrible trimourti des brahmes se compose d'un créateur, d'un destructeur et d'un réparateur. Leur Addha-Nari, qui figure la divinité mère ou la nature céleste, se nomme aussi Bowhanie, et les tuggs ou étrangleurs lui offrent des assassinats. Vichnou le réparateur ne s'incarne guère que pour tuer un diable subalterne qui renaît toujours, puisqu'il est favorisé par Rutrem ou Shiva, le dieu de la mort. On sent que Shiva est l'apothéose de Caïn, mais rien dans toute cette mythologie ne rappelle la douceur d'Abel. Ses mystères toutefois sont d'une poésie grandiose, ses allégories d'une singulière profondeur. C'est la kabbale profanée; aussi, loin de fortifier l'âme en la rapprochant de la suprême sagesse, le brahmanisme la pousse et la fait tomber avec des théories savantes dans les gouffres de la folie.

C'est à la fausse kabbale de l'Inde que les gnostiques empruntèrent leurs rêves tour à tour horribles et obscènes. C'est la magie indienne qui, se présentant tout d'abord avec ses mille difformités sur le seuil des sciences occultes, épouvante les esprits raisonnables et provoque les anathèmes de toutes les Églises sensées. C'est cette science fausse et dangereuse, qui, trop souvent confondue par les ignorants et les demi-savants avec la vraie science, leur a fait envelopper tout ce qui porte le nom d'occultisme dans un anathème auquel celui même qui écrit ces pages a souscrit énergiquement lorsqu'il n'avait pas trouvé encore la clef du sanctuaire magique. Pour les théologiens des Védas, Dieu ne se manifeste que dans la force. Tout progrès et toute révélation sont déterminés par une victoire. Vichnou s'incarne dans les monstrueux léviathans de la mer et dans les sangliers énormes qui façonnent la terre primitive à coup de boutoirs.

C'est une merveilleuse genèse du panthéisme, et pourtant dans les auteurs de ces fables, quel somnambulisme lucide! Le nombre dix des Avatars correspond à celui des Séphirots de la kabbale. Vichnou revêt successivement trois formes animales, les trois formes élémentaires de la vie, puis il se fait sphinx, et apparaît enfin sous la figure humaine; il est brahme alors et sous les apparences d'une feinte humilité il envahit toute la terre; bientôt il se fait enfant pour être l'ange consolateur des patriarches, il devient guerrier pour combattre les oppresseurs du monde, puis il incarne la politique pour l'opposer à la violence, et semble quitter la forme humaine pour se donner l'agilité du singe. La politique et la violence se sont usées réciproquement, le monde attend un rédempteur intellectuel et moral. Vichnou s'incarne dans Chrisna; il apparaît proscrit dans son berceau près duquel veille un âne symbolique; on l'emporte pour le soustraire à ses assassins, il grandit et prêche une doctrine de miséricorde et de bonnes oeuvres. Puis il descend aux enfers, enchaîne le serpent infernal et remonte glorieux au ciel; sa fête annuelle est au mois d'août sous le signe de la Vierge. Quelle étonnante intuition des mystères du christianisme! et combien ne doit-elle pas sembler extraordinaire, si l'on pense que les livres sacrés de l'Inde ont été écrits plusieurs siècles avant l'ère chrétienne. A la révélation de Chrisna succède celle de Bouddha, qui réunit ensemble la religion la plus pure et la plus parfaite philosophie. Alors le bonheur du monde est consommé et les hommes n'ont plus à attendre que la dixième et dernière incarnation, lorsque Vichnou reviendra sous sa propre figure conduisant le cheval du dernier jugement, ce cheval terrible dont le pied de devant est toujours levé et qui brisera le monde lorsque ce pied s'abaissera.

Nous devons reconnaître ici les nombres sacrés et les calculs prophétiques des mages. Les gymnosophistes et les initiés de Zoroastre ont puisé aux mêmes sources,... mais c'est le faux Zoroastre, le Zoroastre noir qui est resté le maître de la théologie de l'Inde: les derniers secrets de cette doctrine dégénérée, sont le panthéisme, et par suite le matérialisme absolu, sous les apparences d'une négation absolue de la matière. Mais qu'importe qu'on matérialise l'esprit ou qu'on spiritualise la matière, dès qu'on affirme l'égalité et même l'identité de ces deux termes? La conséquence de ce panthéisme est la destruction de toute morale: il n'y a plus ni crimes ni vertus dans un monde où tout est Dieu.

On doit comprendre d'après ces dogmes l'abrutissement progressif des brahmes dans un quiétisme fanatique, mais ce n'est pas encore assez; et leur grand rituel magique, le livre de l'occultisme indien, l'Oupnek'hat, leur enseigne les moyens physiques et moraux de consommer l'oeuvre de leur hébétement et d'arriver par degrés à la folie furieuse que leurs sorciers appellent l'état divin. Ce livre de l'Oupnek'hat est l'ancêtre de tous les grimoires, et c'est le monument le plus curieux des antiquités de la goétie.

Ce livre est divisé en cinquante sections: c'est une ombre mêlée d'éclairs. On y trouve des sentences sublimes et des oracles de mensonge. Tantôt on croirait lire l'évangile de saint Jean, lorsqu'on trouve, par exemple, dans les sections onzième et quarante-huitième:

«L'ange du feu créateur est la parole de Dieu.

»La parole de Dieu a produit la terre et les végétaux qui en sortent et la chaleur qui les mûrit.

»La parole du Créateur est elle-même le Créateur, et elle en est le fils unique.»

Tantôt ce sont des rêveries dignes des hérésiarques les plus extravagants:

«La matière n'étant qu'une apparence trompeuse, le soleil, les astres, les éléments eux-mêmes sont des génies, les animaux sont des démons et l'homme un pur esprit trompé par les apparences des corps.»

Mais nous sommes suffisamment édifiés sur le dogme, venons au rituel magique des enchanteurs indiens.

«Pour devenir Dieu il faut retenir son haleine.

»C'est-à-dire l'attirer aussi longtemps qu'on le pourra et s'en gonfler pleinement.

»En second lieu, la garder aussi longtemps qu'on le pourra et prononcer quarante fois en cet état le nom divin AUM.

»Troisièmement, expirer aussi longuement que possible en envoyant mentalement son souffle à travers les cieux se rattacher à l'éther universel.

»Dans cet exercice, il faut se rendre comme aveugle et sourd, et immobile comme un morceau de bois.

»Il faut se poser sur les coudes et sur les genoux, le visage tourné vers le nord.

»Avec un doigt on ferme une aile du nez, par l'autre on attire l'air, puis on la ferme avec un doigt en pensant que Dieu est le créateur, qu'il est dans tous les animaux, dans la fourmi comme dans l'éléphant: on doit rester enfoncé dans ces pensées.

»D'abord on dit Aum douze fois; et pendant chaque aspiration il faut dire Aum quatre-vingts fois, puis autant de fois qu'il est possible...

»Faites tout cela pendant trois mois, sans crainte, sans paresse, mangeant et dormant peu; au quatrième mois les dévas se font voir à vous; au cinquième vous aurez acquis toutes les qualités des dévatas; au sixième vous serez sauvé, vous serez devenu Dieu.»

Il est évident qu'au sixième mois, le fanatique assez imbécile pour persévérer dans une semblable pratique sera mort ou fou.

S'il résiste à cet exercice de soufflet mystique, l'Oupnek'hat, qui ne veut pas le laisser en si beau chemin, va le faire passer à d'autres exercices.

«Avec le talon bouchez l'anus, puis tirez l'air de bas en haut du côté droit, faites-le tourner trois fois autour de la seconde région du corps; de là faites-le parvenir au nombril, qui est la troisième; puis à la quatrième, qui est le milieu du coeur; puis à la cinquième, qui est la gorge; puis à la sixième, qui est l'intérieur du nez, entre les deux sourcils; là retenez le vent: il est devenu le souffle de l'âme universelle.»

Ceci nous semble être tout simplement une méthode de se magnétiser soi-même et de se donner par la même occasion quelque congestion cérébrale.

«Alors, continue l'auteur de l'Oupnek'hat, pensez au grand Aum, qui est le nom du Créateur, qui est la voix universelle, la voix pure et indivisible qui remplit tout; cette voix est le Créateur même; elle se fait entendre au contemplateur de dix manières. Le premier son est comme la voix d'un petit moineau; le deuxième est le double du premier; le troisième est comme le son d'une cymbale; le quatrième comme le murmure d'un gros coquillage; le cinquième est comme le chant de la vînâ (espèce de lyre indienne); le sixième comme le son de l'instrument qu'on appelle tal; le septième ressemble au son d'une flûte de bacabou posée près de l'oreille; le huitième au son de l'instrument pakaoudj, frappé avec la main; le neuvième au son d'une petite trompette, et le dixième au son du nuage qui rugit et qui fait dda, dda, dda!...

»À chacun de ces sons le contemplateur passe par différents états, jusqu'au dixième où il devient Dieu.

»Au premier, les poils de tout son corps se dressent.

»Au second, ses membres sont engourdis.

»Au troisième, il ressent dans tous ses membres la fatigue qui suit les jouissances de l'amour.

»Au quatrième, la tête lui tourne, il est comme ivre.

»Au cinquième, l'eau de la vie reflue dans son cerveau.

»Au sixième, cette eau descend en lui et il s'en nourrit.

»Au septième, il devient maître de la vision, il voit au dedans des coeurs, il entend les voix les plus éloignées.

»Au neuvième, il se sent assez subtil pour se transporter où il veut, et, comme les anges, tout voir sans être vu.

»Au dixième, il devient la voix universelle et indivisible, il est le grand créateur, l'être éternel, exempt de tout, et, devenu le repos parfait, il distribue le repos au monde.»

Il faut remarquer, dans cette page si curieuse, la description complète des phénomènes du somnambulisme lucide mêlée à une théorie complète de magnétisme solitaire. C'est l'art de se mettre en extase par la tension de la volonté et la fatigue du système nerveux.

Nous recommandons aux magnétistes l'étude approfondie des mystères de l'Oupnek'hat.

L'emploi gradué des narcotiques et l'usage d'une gamme de disques coloriés produit des effets analogues à ceux que décrit le sorcier indien, et M. Ragon en a donné la recette dans son Livre de la maçonnerie occulte, faisant suite à l'orthodoxie maçonnique, page 499.

L'Oupnek'hat donne un moyen plus simple de perdre connaissance et d'arriver à l'extase: c'est de regarder des deux yeux le bout de son nez et de rester dans cette posture, ou plutôt dans cette grimace, jusqu'à la convulsion du nerf optique.

Toutes ces pratiques sont douloureuses et dangereuses autant que ridicules, et nous ne les conseillons à personne; mais nous ne doutons pas qu'elles ne produisent effectivement, dans un espace de temps plus ou moins long, suivant la sensibilité des sujets, l'extase, la catalepsie, et même l'évanouissement léthargique.

Pour se procurer des visions, pour arriver aux phénomènes de la seconde vue, il faut se mettre dans un état qui tient du sommeil, de la mort et de la folie. C'est en cela surtout que les Indiens sont habiles, et c'est à leurs secrets peut-être qu'il faut rapporter les facultés étranges de certains médiums américains.

On pourrait définir la magie noire l'art de se procurer et de procurer aux autres une folie artificielle. C'est aussi par excellence la science des empoisonnements. Mais ce que tout le monde ne sait pas, et ce que M. Dupotet, parmi nous, a le premier découvert, c'est qu'on peut tuer par congestion ou par soustraction subite de lumière astrale, lorsque, par une série d'exercices presque impossibles, semblables à ceux que décrit le sorcier indien, on a fait de son propre appareil nerveux assoupli à toutes les tensions et à toutes les fatigues, une sorte de pile galvanique vivante, capable de condenser et de projeter avec force cette lumière qui enivre et qui foudroie.

Mais là ne s'arrêtent pas les secrets magiques de l'Oupnek'hat; il en est un dernier que l'hiérophante ténébreux confie à ses initiés, comme le grand et suprême arcane, et c'est, en effet, l'ombre et l'inverse de ce grand secret de la haute magie.

Le grand arcane des vrais mages c'est l'absolu en morale, et par conséquent eu direction des oeuvres et en liberté.

Le grand arcane de l'Oupnek'hat c'est l'absolu en immoralité, en fatalité et en quiétisme mortel.

Voici comment s'exprime l'auteur du livre indien:

«Il est permis de mentir pour faciliter les mariages et pour exalter les vertus d'un bramine ou les qualités d'une vache.

»Dieu s'appelle vérité, et en lui l'ombre et la lumière ne font qu'un. Celui qui sait cela ne ment jamais, car s'il veut mentir il fait de son mensonge une vérité.

»Quelque péché qu'il commette, quelque mauvaise oeuvre qu'il fasse, il n'est jamais coupable. Quand même il serait deux fois parricide, quand même il tuerait un brahme initié aux mystères des Védas, quelque chose qu'il commette enfin, sa lumière n'en sera pas diminuée, car, dit Dieu, je suis l'âme universelle, en moi sont le bien et le mal qui se corrigent l'un par l'autre. Celui qui sait cela n'est jamais pécheur; il est universel comme moi.» (Oupnek'hat, instruction 108, pages 35 et 92 du tome Ier de la traduction d'Anquetil.)

De pareilles doctrines sont loin d'être civilisatrices, et d'ailleurs l'Inde, en immobilisant sa hiérarchie sociale, parquait l'anarchie dans les castes; la société ne vit que d'échanges. Or l'échange est impossible quand tout appartient aux uns et rien aux autres. A quoi servent les échelons sociaux dans une prétendue civilisation où personne ne peut ni descendre ni monter? Ici se montre enfin le châtiment tardif du fratricide, châtiment qui enveloppe toute sa race et le condamne à mort. Vienne une autre nation orgueilleuse et égoïste, elle sacrifiera l'Inde, comme les légendes orientales racontent que Lamech a tué Caïn. Malheur toutefois au meurtrier même de Caïn! disent les oracles sacrés de la Bible.

Vingt et unième Clé du Tuol
Égyptien primitif.


CHAPITRE IV.

MAGIE HERMÉTIQUE.

SOMMAIRE.--Le dogme d'Hermès Trismégiste.--La magie hermétique.--L'Égypte et ses merveilles.--Le patriarche Joseph et sa politique.--Le Livre de Thot.--La table magique de Bembo.--La clef des oracles.--L'éducation de Moïse.--Les magiciens de Pharaon.--La pierre philosophale et le grand oeuvre.


C'est en Égypte que la magie se complète comme science universelle et se formule en dogme parfait. Rien ne surpasse et rien n'égale comme résumé de toutes les doctrines du vieux monde les quelques sentences gravées sur une pierre précieuse par Hermès et connues sous le nom de table d'émeraude; l'unité de l'être et l'unité des harmonies, soit ascendantes, soit descendantes, l'échelle progressive et proportionnelle du Verbe; la loi immuable de l'équilibre et le progrès proportionnel des analogies universelles, le rapport de l'idée au Verbe donnant la mesure du rapport entre le créateur et le créé; les mathématiques nécessaires de l'infini, prouvées par les mesures d'un seul coin du fini; tout cela est exprimé par cette seule proposition du grand hiérophante égyptien:

«Ce qui est supérieur est comme ce qui est inférieur, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut pour former les merveilles de la chose unique.»

Puis vient la révélation et la description savante de l'agent créateur, du feu pantomorphe, du grand moyen de la puissance occulte, de la lumière astrale en un mot.

«Le soleil est son père, la lune est sa mère, le vent l'a porté dans son ventre.»

Ainsi cette lumière est émanée du soleil, elle reçoit sa forme et son mouvement régulier des influences de la lune, elle a l'atmosphère pour réceptacle et pour prison.

«La terre est sa nourrice.»

C'est-à-dire qu'elle est équilibrée et mise en mouvement par la chaleur centrale de la terre.

«C'est le principe universel, le TELESMA du monde.»

Hermès enseigne ensuite comment de cette lumière, qui est aussi une force, on peut faire un levier et un dissolvant universel, puis aussi un agent formateur et coagulateur.

Comment il faut tirer des corps où elle est latente, cette lumière à l'état de feu, de mouvement, de splendeur, de gaz lumineux, d'eau ardente, et enfin de terre ignée, pour imiter, à l'aide de ces diverses substances, toutes les créations de la nature.

La table d'émeraude, c'est toute la magie en une seule page.

Les autres ouvrages attribués à Hermès, tels que le Pymandre, l'Asclepius, la Minerve du monde, etc., sont regardés généralement par les critiques comme des productions de l'école d'Alexandrie. Ils n'en contiennent pas moins les traditions hermétiques conservées dans les sanctuaires de la théurgie. Les doctrines d'Hermès ne sauraient être perdues pour qui connaît les clefs du symbolisme. Les ruines de l'Égypte sont comme des pages éparses avec lesquelles on peut encore, en les rassemblant, reconstruire le livre entier, livre prodigieux dont les grandes lettres étaient des temples, dont les phrases étaient des Cités toutes ponctuées d'obélisques et de sphinx!

La division même de l'Égypte était une synthèse magique; les noms de ses provinces correspondaient aux figures des nombres sacrés: le royaume de Sésostris se divisait en trois parties: la haute Égypte ou la Thébaïde, figure du monde céleste et patrie des extases; la basse Égypte, symbole de la terre; et l'Égypte moyenne ou centrale, pays de la science et des hautes initiations. Chacune de ces trois parties était divisée en dix provinces appelées nomes, et placées sous la protection spéciale d'un dieu. Ces dieux, au nombre de trente, groupés trois par trois, exprimaient symboliquement toutes les conceptions du ternaire dans la décade, c'est-à-dire la triple signification naturelle, philosophique et religieuse des idées absolues attachées primitivement aux nombres. Ainsi, la triple unité ou le ternaire originel, le triple binaire ou le mirage du triangle, qui forme l'étoile de Salomon; le triple ternaire ou l'idée tout entière sous chacun de ses trois termes; le triple quaternaire, c'est-à-dire le nombre cyclique des révolutions astrales, etc. La géographie de l'Égypte, sous Sésostris, est donc un pantacle, c'est-à-dire un résumé symbolique de tout le dogme magique de Zoroastre, retrouvé et formulé d'une manière plus précise par Hermès.

Ainsi, la terre égyptienne était un grand livre et les enseignements de ce livre étaient répétés, traduits en peintures, en sculpture, en architecture, dans toutes les villes et dans tous les temples. Le désert même avait ses enseignements éternels, et son Verbe de pierre s'asseyait carrément sur la base des pyramides, ces limites de l'intelligence humaine, devant lesquelles médita pendant tant de siècles un sphinx colossal en s'enfonçant lentement dans le sable. Maintenant sa tête, mutilée par les âges, se dresse encore au-dessus de son tombeau, comme si elle attendait pour disparaître qu'une voix humaine vienne expliquer au monde nouveau le problème des pyramides.

L'Égypte est pour nous le berceau des sciences et de la sagesse; car elle revêtit d'images, sinon plus riches, du moins plus exactes et plus pures que celles de l'Inde, le dogme antique du premier Zoroastre. L'art sacerdotal et l'art royal y formèrent des adeptes par l'initiation, et l'initiation ne se renferma pas dans les limites égoïstes des castes. On vit un esclave hébreu s'initier lui-même et parvenir au rang de premier ministre, et peut-être de grand hiérophante, car il épousa la fille d'un prêtre égyptien, et l'on sait que le sacerdoce ne se mésalliait jamais. Joseph réalisa en Égypte le rêve du communisme; il rendit le sacerdoce et l'état seuls propriétaires, arbitres, par conséquent, du travail et de la richesse. Il abolit ainsi la misère, et fit de l'Égypte entière une famille patriarcale. On sait que Joseph dut son élévation à sa science pour l'interprétation des songes, science à laquelle les chrétiens de nos jours, je dis même les chrétiens fidèles, refusent de croire, tout en admettant que la Bible, où sont racontées les merveilleuses divinations de Joseph, est la parole du Saint-Esprit.

La science de Joseph n'était autre chose que l'intelligence des rapports naturels qui existent entre les idées et les images, entre le Verbe et ses figures. Il savait que pendant le sommeil, l'âme plongée dans la lumière astrale voit les reflets de ses pensées les plus secrètes et même de ses pressentiments; il savait que l'art de traduire les hiéroglyphes du sommeil est la clef de la lucidité universelle; car tous les êtres intelligents ont des révélations en songes.

La science hiéroglyphique absolue avait pour base un alphabet où tous les dieux étaient des lettres, toutes les lettres des idées, toutes les idées des nombres, tous les nombres des signes parfaits.

Cet alphabet hiéroglyphique dont Moïse fit le grand secret de sa kabbale, et qu'il reprit aux Égyptiens; car, suivant le Sepher Jezirah, il venait d'Abraham: cet alphabet, disons-nous, est le fameux livre de Thauth, soupçonné par Court de Gébelin de s'être conservé jusqu'à nos jours sous la forme de ce jeu de cartes bizarres qu'on appelle le tarot; mal deviné ensuite par Eteilla, chez qui une persévérance de trente ans ne put suppléer au bon sens et à la première éducation qui lui manquaient; existant encore, en effet, parmi les débris des monuments égyptiens, et dont la clef la plus curieuse et la plus complète se trouve dans le grand ouvrage du père Kircher sur l'Égypte. C'est la copie d'une table isiaque ayant appartenu au célèbre cardinal Bembo. Cette table était de cuivre avec des figures d'émail; elle a été malheureusement perdue; mais Kircher en donne une copie exacte, et ce savant jésuite a deviné, sans pouvoir toutefois pousser plus loin son explication, qu'elle contenait la clef hiéroglyphique des alphabets sacrés.

Cette table est partagée en trois compartiments égaux; en haut les douze maisons célestes, en bas les douze stations laborieuses de l'année, au centre les vingt et un signes sacrés correspondent aux lettres.

Au milieu de la région centrale siége l'image d'IYNX, pantomorphe, emblème de l'être universel correspondant au jod hébraïque, la lettre unique dont se forment toutes les autres. Autour d'IYNX on voit la triade ophionienne correspondant aux trois lettres mères des alphabets égyptien et hébreu; à droite les deux triades ibimorphe et sérapéenne, à gauche la triade nephtéenne et celle d'Hécate, figures de l'actif et du passif, du volatil et du fixe, du feu fécondant et de l'eau génératrice. Chaque couple de triades, combiné avec le centre, donne un septénaire; le centre lui-même en contient un. Ainsi les trois septénaires donnent l'absolu numéral des trois mondes, et le nombre complet des lettres primitives, auxquelles on ajoute un signe complémentaire, comme aux neuf caractères des nombres, on ajoute le zéro.

Les dix nombres et les vingt-deux lettres sont ce qu'on appelle en kabbale les trente-deux voies de la science, et leur description philosophique est le sujet du livre primitif et révéré qu'on nomme le Sepher Jezirah, et qu'on peut trouver dans la collection de Pistorius et ailleurs. L'alphabet de Thauth n'est l'original de notre tarot que d'une manière détournée. Le tarot que nous avons est d'origine juive et les types des figures ne remontent pas plus haut que le règne de Charles VII. Le jeu de cartes de Jacquemin Gringonneur est le premier tarot que nous connaissions, mais les symboles qu'il reproduit sont de la plus haute antiquité. Ce jeu fut un essai de quelque astrologue de ce temps-là pour ramener le roi à la raison à l'aide de cette clef, des oracles dont les réponses, résultant de la combinaison variée des signes, sont toujours exactes comme les mathématiques et mesurées comme les harmonies de la nature. Mais il faut être déjà bien raisonnable pour savoir se servir d'un instrument de science et de raison; le pauvre roi, tombé en enfance, ne vit que des jouets d'enfant dans les peintures de Gringonneur, et fit un jeu de cartes des alphabets mystérieux de la kabbale.

Moïse nous raconte qu'à leur sortie d'Égypte, les Israélites emportèrent les vases sacrés des Égyptiens. Cette histoire est allégorique, et le grand prophète n'eût pas encouragé son peuple au vol. Ces vases sacrés, ce sont les secrets de la science égyptienne que Moïse avait appris à la cour de Pharaon. Loin de nous l'idée d'attribuer à la magie les miracles de cet homme inspiré de Dieu; mais la Bible elle-même nous apprend que Jannès et Mambrès, les magiciens de Pharaon, c'est-à-dire les grands hiérophantes d'Égypte, accomplirent d'abord, par leur art, des merveilles semblables aux siennes. Ainsi, ils changèrent des baguettes en serpents et des serpents en baguettes, ce qui peut s'expliquer par prestige ou fascination. Ils changèrent l'eau en sang, ils firent paraître instantanément une grande quantité de grenouilles, mais ils ne purent amener ni des mouches ni d'autres insectes parasites, nous avons déjà dit pourquoi, et comment il faut expliquer leur aveu lorsqu'ils se déclarèrent vaincus.

Moïse triompha et emmena les Israélites hors de la terre de servitude. À cette époque, la vraie science se perdait en Égypte, parce que les prêtres, abusant de la grande confiance du peuple, le laissaient croupir dans une abrutissante idolâtrie; là était le grand écueil de l'ésotérisme. Il fallait voiler au peuple la vérité sans la lui cacher; il fallait empêcher le symbolisme de s'avilir en tombant dans l'absurde; il fallait entretenir dans toute sa dignité et dans toute sa beauté première le voile sacré d'Isis. C'est ce que le sacerdorce égyptien ne sut pas faire. Le vulgaire imbécile prit pour des réalités vivantes les formes hiéroglyphiques d'Osiris et d'Hermanubis. Osiris devint un boeuf, et le savant Hermès un chien. Osiris, devenu boeuf, se promena bientôt sous les oripeaux du boeuf Apis, et les prêtres n'empêchèrent pas le peuple d'adorer une viande prédestinée à leur cuisine.

Il était temps de sauver les saintes traditions. Moïse créa un peuple nouveau, et lui défendit sévèrement le culte des images. Malheureusement ce peuple avait déjà vécu avec les idolâtres, et les souvenirs du boeuf Apis le poursuivaient dans le désert. On sait l'histoire du veau d'or, que les enfants d'Israël ont toujours adoré un peu. Moïse, cependant, ne voulut pas livrer à l'oubli les hiéroglyphes sacrés, et il les sanctifia en les consacrant au culte épuré du vrai Dieu. Nous verrons comment tous les objets servant au culte de Jéhovah étaient symboliques, et rappelaient les signes révérés de la révélation primitive.

Mais il faut en finir d'abord avec la gentilité et suivre, à travers les civilisations païennes, l'histoire des hiéroglyphes matérialisés et des anciens rites avilis.


CHAPITRE V.

MAGIE EN GRÈCE.

Sommaire.--La fable de la toison d'or.--Orphée, Amphion et Cadmus.--Clef magique des poëmes d'Homère.--Eschyle révélateur des mystères.--Dogme d'Orphée expliqué par la légende.--Les oracles et les pythonisses.--Magie noire de Médée et de Circé.


Nous touchons à l'époque où les sciences exactes de la magie vont se revêtir de leur forme naturelle: la beauté. Nous avons vu dans le Sohar le prototype de l'homme se lever dans le ciel en se mirant dans l'océan de l'Être. Cet homme idéal, cet ombre du Dieu pantomorphe, ce fantôme viril de la forme parfaite ne restera pas isolé. Une compagne va lui naître sous le doux ciel de l'Héllénie. La Vénus céleste, Vénus chaste et féconde, la triple mère des trois Grâces, sort à son tour, non plus des eaux dormantes du chaos, mais des ondes vivantes et agitées de cet archipel murmurateur de poésie où les îles pavoisées d'arbres verts et de fleurs semblent être les vaisseaux des dieux.

Le septénaire magique des Chaldéens se change en musique sur les sept cordes de la lyre d'Orphée. C'est l'harmonie qui défriche les forêts et les déserts de la Grèce. Aux chants poétiques d'Orphée, les rochers s'amollissent, les chênes se déracinent, et les bêtes sauvages se soumettent à l'homme. C'est par une semblable magie qu'Amphion bâtit les murs de Thèbes. La savante Thèbes de Cadmus, la ville qui est un pantacle comme les sept merveilles du monde, la cité de l'initiation. C'est Orphée qui a donné la vie aux nombres, c'est Cadmus qui a attaché la pensée aux caractères. L'un a fait un peuple amoureux de toutes les beautés, l'autre a donné à ce peuple une patrie digne de son génie et de ses amours.

Dans les traditions de l'ancienne Grèce, nous voyons apparaître Orphée parmi les héros de la toison d'or, ces conquérants primitifs du grand oeuvre. La toison d'or, c'est la dépouille du soleil, c'est la lumière appropriée aux usages de l'homme; c'est le grand secret des oeuvres magiques, c'est l'initiation enfin, que vont chercher en Asie les héros allégoriques de la toison d'or. D'une autre part, Cadmus est un exilé volontaire de la grande Thèbes d'Égypte. Il apporte en Grèce les lettres primitives et l'harmonie qui les rassemble. Au mouvement de cette harmonie, la ville typique, la ville savante, la nouvelle Thèbes se bâtit d'elle-même, car la science est tout entière dans les harmonies des caractères hiéroglyphiques, phonétiques et numéraux qui se meuvent d'eux-mêmes suivant les lois des mathématiques éternelles, Thèbes est circulaire et sa citadelle est carrée, elle a sept portes comme le ciel magique et sa légende deviendra bientôt l'épopée de l'occultisme et l'histoire prophétique, du génie humain.

Toutes ces allégories mystérieuses, toutes ces traditions savantes sont l'âme de la civilisation en Grèce, mais il ne faut pas chercher l'histoire réelle des héros de ces poèmes ailleurs que dans les transformations du symbolisme oriental apporté en Grèce par des hiérophantes inconnus. Les grands hommes de ce temps-là écrivaient seulement l'histoire des idées, et se souciaient peu de nous initier aux misères humaines de l'enfantement des empires. Homère aussi a marché dans cette voie; il met en oeuvre les dieux, c'est-à-dire les types immortels de la pensée, et si le monde s'agite c'est une conséquence forcée du froncement des sourcils de Jupiter. Si la Grèce porte le fer et le feu en Asie, c'est pour venger les outrages de la science et de la vertu sacrifiées à la volupté. C'est pour rendre l'empire du monde à Minerve et à Junon, en dépit de cette molle Vénus qui a perdu tous ceux qui l'ont trop aimée.

Telle est la sublime mission de la poésie: elle substitue les dieux aux hommes, c'est-à-dire les causes aux effets et les conceptions éternelles aux chétives incarnations des grandeurs sur la terre. Ce sont les idées qui élèvent ou qui font tomber les empires. Au fond de toute grandeur il y a une croyance, et pour qu'une croyance soit poétique, c'est-à-dire créatrice, il faut qu'elle relève d'une vérité. La véritable histoire digne d'intéresser les sages, c'est celle de la lumière toujours victorieuse des ténèbres. Une grande journée de ce soleil se nomme une civilisation.

La fable de la toison d'or rattache la magie hermétique aux initiations de la Grèce. Le bélier solaire dont il faut conquérir la toison d'or pour être souverain du monde est la figure du grand oeuvre. Le vaisseau des Argonautes construit avec les planches des chênes prophétiques de Dodone, le vaisseau parlant, c'est la barque des mystères d'Isis, l'arche des semences et de la rénovation, le coffre d'Osiris, l'oeuf de la régénération divine. Jason l'aventurier est l'initiable; ce n'est un héros que par son audace, il a de l'humanité toutes les inconstances et toutes les faiblesses, mais il emmène avec lui les personnifications de toutes les forces. Hercule qui symbolise la force brutale ne doit point concourir à l'oeuvre, il s'égare en chemin à la poursuite de ses indignes amours; les autres arrivent au pays de l'initiation, dans la Colchide, où se conservaient encore quelques-uns des secrets de Zoroastre; mais comment se faire donner la clef de ces mystères? La science est encore une fois trahie par une femme. Médée livre à Jason les arcanes du grand oeuvre, elle livre le royaume et les jours de son père; car c'est une loi fatale du sanctuaire occulte que la révélation des secrets entraîne la mort de celui qui n'a pu les garder.

Médée apprend à Jason quels sont les monstres qu'il doit combattre et de quelle manière il peut en triompher. C'est d'abord le serpent ailé et terrestre, le fluide astral qu'il faut surprendre et fixer; il faut lui arracher les dents et les semer dans une plaine qu'on aura d'abord labourée en attelant à la charrue les taureaux de Mars. Les dents du dragon sont les acides qui doivent dissoudre la terre métallique préparée par un double feu et par les forces magnétiques de la terre. Alors il se fait une fermentation et comme un grand combat, l'impur est dévoré par l'impur, et la toison brillante devient la récompense de l'adepte.

Là se termine le roman magique de Jason; vient ensuite celui de Médée, car dans cette histoire l'antiquité grecque a voulu renfermer l'épopée des sciences occultes. Après la magie hermétique vient la goétie, parricide, fratricide, infanticide, sacrifiant tout à ses passions et ne jouissant jamais du fruit de ses crimes. Médée trahit son père, comme Cham; assassine son frère, comme Caïn. Elle poignarde ses enfants, elle empoisonne sa rivale et ne recueille que la haine de celui par qui elle voulait être aimée. On peut s'étonner de voir que Jason maître de la toison d'or n'en devienne pas plus sage, mais souvenons-nous qu'il ne doit la découverte de ses secrets qu'à la trahison. Ce n'est pas un adepte comme Orphée, c'est un ravisseur comme Prométhée. Ce qu'il cherche ce n'est pas la science, c'est la puissance et la richesse. Aussi mourra-t-il malheureusement, et les propriétés inspiratrices et souveraines de la toison d'or ne seront-elles jamais comprises que par les disciples d'Orphée.

Prométhée, la toison d'or, la Thébaïde, l'Iliade et l'Odyssée, cinq grandes épopées toutes pleines des grands mystères de la nature et des destinées humaines composent la Bible de l'ancienne Grèce, monument immense, entassement de montagnes sur des montagnes, de chefs-d'oeuvres sur des chefs-d'oeuvres, de formes belles comme la lumière sur des pensées éternelles et grandes comme la vérité!

Ce ne fut d'ailleurs qu'à leurs risques et périls que les hiérophantes de la poésie initièrent les populations de la Grèce à ces merveilleuses fictions conservatrices de la vérité. Eschyle qui osa mettre en scène les luttes gigantesques, les plaintes surhumaines et les espérances divines de Prométhée, le poète terrible de la famille d'Oedipe, fut accusé d'avoir trahi et profané les mystères, et n'échappa qu'avec peine à une sévère condamnation. Nous ne pouvons maintenant comprendre toute l'étendue de l'attentat du poëte. Son drame était une trilogie, et l'on y voyait toute l'histoire symbolique de Prométhée. Eschyle avait donc osé montrer au peuple assemblé Prométhée délivré par Alcide et renversant Jupiter de son trône. La toute-puissance du génie qui a souffert et la victoire définitive de la patience sur la force: c'était beau sans doute. Mais les multitudes ne pouvaient-elles pas y voir les triomphes futurs de l'impiété et de l'anarchie! Prométhée vainqueur de Jupiter ne pouvait-il pas être pris pour le peuple affranchi un jour de ses prêtres et de ses rois; et de coupables espérances n'entraient-elles pas pour beaucoup dans les applaudissements prodigués à l'imprudent révélateur?

Nous devons des chefs-d'oeuvre à ces faiblesses du dogme pour la poésie, et nous ne sommes pas de ces initiés austères qui voudraient comme Platon exiler les poètes, après les avoir couronnés; les vrais poètes sont des envoyés de Dieu sur la terre, et ceux qui les repoussent ne doivent pas être bénis du Ciel.

Le grand initiateur de la Grèce et son premier civilisateur en fut aussi le premier poète; car en admettant même qu'Orphée ne fût qu'un personnage mystique ou fabuleux, il faudrait croire à l'existence de Musée et lui attribuer les vers qui portent le nom de son maître. Peu nous importe d'ailleurs qu'un des Argonautes se soit ou non appelé Orphée, le personnage poétique a plus fait que de vivre; il vit toujours, il est immortel! La fable d'Orphée est tout un dogme, c'est une révélation des destinées sacerdotales, c'est une idéal nouveau issu du culte de la beauté. C'est déjà la régénération et la rédemption de l'amour. Orphée descend aux enfers chercher Eurydice, et il faut qu'il la ramène sans la regarder. Ainsi l'homme pur doit se créer une compagne, il doit l'élever à lui en se dévouant à elle, et en ne la convoitant pas. C'est en renonçant à l'objet de la passion qu'on mérite de posséder celui du véritable amour. Ici déjà on pressent les rêves si chastes de la chevalerie chrétienne. Pour arracher son Eurydice à l'enfer, il ne faut point la regarder!... Mais l'hiérophante est encore un homme, il faiblit, il doute, il regarde.

Ah miseram Eurydicen!...

Elle est perdue! la faute est faite, l'expiation commence; Orphée est veuf, il reste chaste. Il est veuf sans avoir eu le temps de connaître Eurydice, veuf d'une vierge il restera vierge, car le poëte n'a pas deux coeurs, et les enfants de la race des dieux aiment pour toujours. Aspirations éternelles, soupirs vers un idéal qu'on retrouvera au delà du tombeau, veuvage consacré à la muse sacrée. Quelle révélation avancée des inspirations à venir! Orphée portant au coeur une blessure que la mort seule pourra guérir, se fait médecin des âmes et des corps; il meurt, enfin, victime de sa chasteté; il meurt de la mort des initiateurs et des prophètes; il meurt après avoir proclamé l'unité de Dieu et l'unité de l'amour, et tel fut plus tard le fond des mystères dans l'initiation Orphique.

Après s'être montré si fort au-dessus de son époque, Orphée devait laisser la réputation d'un sorcier et d'un enchanteur. On lui attribue, comme à Salomon, la connaissance des simples et des minéraux, la science de la médecine céleste et de la pierre philosophale. Il savait tout cela, sans doute, puisqu'il personnifie dans sa légende l'initiation primitive, la chute et la réparation; c'est-à-dire les trois parties du grand oeuvre de l'humanité: voici en quels termes, suivant Ballanche, on peut résumer l'initiation orphique:

«L'homme, après avoir subi l'influence des éléments, doit faire subir aux éléments sa propre influence.

La création est l'acte d'un magisme divin continu et éternel.

Pour l'homme être réellement c'est se connaître.

La responsabilité est une conquête de l'homme, la peine même du péché est un nouveau moyen de conquêtes.

Toute vie repose sur la mort.

La palingénésie est la loi réparatrice.

Le mariage est la reproduction dans l'humanité du grand mystère cosmogonique. Il doit être un comme Dieu et la nature sont un.

Le mariage c'est l'unité de l'arbre de vie; la débauche c'est la division et la mort.

L'arbre de vie étant unique, et les branches qui s'épanouissent dans le ciel et fleurissent en étoiles correspondant aux racines cachées dans la terre.

L'astrologie est une synthèse.

La connaissance des vertus, soit médicales, soit magiques des plantes, des métaux, des corps, en qui réside plus ou moins la vie, est une synthèse.

Les puissances de l'organisation, à ses divers degrés, sont révélés par une synthèse.

Les agrégations et les affinités des métaux, comme l'âme végétative des plantes, comme toutes les forces assimilatrices, sont également révélées par une synthèse 5

Note 5: (retour) Ballanche, Orphée, liv. VIII, p. 169, édit. 1833.

On a dit que le beau est la splendeur du vrai. C'est donc à cette grande lumière d'Orphée qu'il faut attribuer la beauté de la forme révélée pour la première fois en Grèce. C'est à Orphée que remonte l'école du divin Platon, ce père profane de la haute philosophie chrétienne. C'est à lui que Pythagore et les illuminés d'Alexandrie ont emprunté leurs mystères. L'initiation ne change pas; nous la retrouvons toujours la même à travers les âges. Les derniers disciples de Pascalis Martinez sont encore les enfants d'Orphée, mais ils adorent le réalisateur de la philosophie antique, le verbe incarné des chrétiens.

Nous avons dit que la première partie de la fable de la toison d'or renferme les secrets de la magie orphique, et que la seconde partie est consacrée à de sages avertissements contre les abus de la goétie ou de la magie ténébreuse.

La goétie ou fausse magie, connue de nos jours sous le nom de sorcellerie, ne saurait être une science; c'est l'empirisme de la fatalité. Toute passion excessive produit une force factice dont la volonté ne saurait être maîtresse, mais qui obéit au despotisme de la passion. C'est pour cela qu'Albert le Grand disait: «Ne maudissez personne lorsque vous êtes en colère.» C'est l'histoire de la malédiction d'Hippolyte par Thésée. La passion excessive est une véritable folie. Or la folie est une ivresse ou congestion de lumière astrale. C'est pour cela que la folie est contagieuse, et que les passions en général portent avec elles un véritable maléfice. Les femmes, plus facilement entraînées par l'ivresse passionnée, sont en général meilleures sorcières que les hommes ne peuvent être sorciers. Le mot sorcier désigne assez les victimes du sort et pour ainsi dire les champignons vénéneux de la fatalité.

Les sorcières chez les Grecs, et spécialement en Thessalie, pratiquaient d'horribles enseignements et s'abandonnaient à d'abominables rites. C'étaient en général des femmes perdues de désirs qu'elles ne pouvaient plus satisfaire, des courtisanes devenues vieilles, des monstres d'immoralité et de laideur. Jalouses de l'amour et de la vie, ces misérables femmes n'avaient d'amants que dans les tombes, ou plutôt elles violaient les sépultures pour dévorer d'affreuses caresses la chair glacée des jeunes hommes. Elles volaient les enfants dont elles étouffaient les cris en les pressant contre leurs mamelles pendantes. On les appelait des lamies, des stryges, des empuses; les enfants, ces objets de leur envie et par conséquent de leur haine, étaient sacrifiés par elles; les unes, comme la Canidie dont parle Horace, les enterraient jusqu'à la tête, et les laissaient mourir de faim, en les entourant d'aliments auxquels ils ne pouvaient atteindre; les autres leur coupaient la tête, les pieds et les mains, et faisaient réduire leur graisse et leur chair dans des bassins de cuivre, jusqu'à la consistance d'un onguent qu'elles mêlaient aux sucs de la jusquiame, de la belladone et des pavots noirs. Elles emplissaient de cet onguent l'organe sans cesse irrité par leurs détestables désirs; elles s'en frottaient les tempes et les aisselles, puis elles tombaient dans une léthargie pleine de rêves effrénés et luxurieux. Il faut bien oser le dire: voilà les origines et les traditions de la magie noire; voilà les secrets qui se perpétuèrent jusque dans notre moyen âge; voilà, enfin, quelles victimes prétendues innocentes l'exécration publique, bien plus que la sentence des inquisiteurs, condamnait à mourir dans les flammes. C'est en Espagne, et en Italie surtout, que pullulait encore la race des stryges, des lamies et des empuses; et ceux qui en doutent peuvent consulter les plus savants criminalistes de ces pays, résumés par François Torreblanca, avocat royal à la chancellerie de Grenade, dans son Epitome delictorum.

Médée et Circé sont les deux types de la magie malfaisante chez les Grecs. Circé est la femme vicieuse qui fascine et dégrade ses amants; Médée est l'empoisonneuse hardie qui ose tout, et qui fait servir la nature même à ses crimes. Il est, en effet, des êtres qui charment comme Circé, et près desquels on s'avilit; il est des femmes dont l'amour dégrade les âmes; elles ne savent inspirer que des passions brutales; elles vous énervent, puis elles vous méprisent. Ces femmes, il faut comme Ulysse, les faire obéir et les subjuguer par la crainte, puis savoir les quitter sans regret. Ce sont des monstres de beauté; elles sont sans coeur; la vanité seule les fait vivre. L'antiquité les représentait encore sous la figure des sirènes.

Quant à Médée, c'est la créature perverse, qui veut le mal et qui l'opère. Celle-ci est capable d'aimer et n'obéit pas à la crainte, mais son amour est plus redoutable encore que la haine. Elle est mauvaise mère et tueuse de petits enfants. Elle aime la nuit et va cueillir au clair de la lune des herbes malfaisantes pour on composer des poisons. Elle magnétise l'air, elle porte malheur à la terre, elle infecte l'eau, elle empoisonne le feu. Les reptiles lui prêtent leur bave: elle murmure d'affreuses paroles; des traces de sang la suivent, des membres découpés tombent de ses mains. Ses conseils rendent fou, ses caresses font horreur.

Voilà la femme qui a voulu se mettre au-dessus des devoirs de son sexe, en s'initiant elle-même à des sciences défendues. Les hommes se détournent et les enfants se cachent quand elle passe. Elle est sans raison et sans amour, et les déceptions de la nature révoltée contre elle sont le supplice toujours renaissant de son orgueil.


CHAPITRE VI.

MAGIE MATHÉMATICIENNE DE PYTHAGORE.

SOMMAIRE.--Les Vers dorés et les symboles de ce maître.--Les mystères cachés dans la vie et les instincts des animaux.--Loi d'assimilation.--Secret des métamorphoses, ou comment on peut se changer en loup.--Éternité de la vie dans la continuité de la mémoire.--Le fleuve d'oubli.


Numa, dont nous avons indiqué les connaissances magiques, avait eu pour initiateur un certain Tarchon, disciple d'un Chaldéen nommé Tagès. La science alors avait ses apôtres, qui parcouraient le monde pour y semer des prêtres et des rois. Souvent même la persécution aidait à l'accomplissement des desseins de la Providence, et c'est ainsi que vers la soixante-deuxième olympiade, quatre générations après le règne de Numa, Pythagore, de Samos, vint en Italie pour échapper à la tyrannie de Polycrate.

Le grand vulgarisateur de la philosophie des nombres avait alors parcouru tous les sanctuaires du monde; il était venu en Judée, où il s'était fait circoncire pour être admis aux secrets de la kabbale, que lui communiquèrent, non sans une certaine réserve, les prophètes Ézéchiel et Daniel. Puis, il s'était fait admettre, non sans peine, à l'initiation égyptienne, sur la recommandation du roi Amasis. La puissance de son génie suppléa aux communications imparfaites des hiérophantes, et il devint lui-même un maître et un révélateur.

Pythagore définissait Dieu: une vérité vivante et absolue revêtue de lumière.

Il disait que le verbe était le nombre manifesté par la forme.

Il faisait tout descendre de la tétractys, c'est-à-dire du quaternaire.

Dieu, disait-il encore, est la musique suprême dont la nature est l'harmonie.

Suivant lui, l'expression la plus haute de la justice c'est le culte; le plus parfait usage de la science c'est la médecine; le beau c'est l'harmonie, la force c'est la raison, le bonheur c'est la perfection, la vérité pratique c'est qu'il faut se méfier de la faiblesse et de la perversité des hommes.

Lorsqu'il fut venu s'établir à Crotone, les magistrats de cette ville, voyant quel empire il exerçait sur les esprits et sur les coeurs, le craignirent d'abord, puis ensuite le consultèrent. Pythagore leur conseilla de sacrifier aux muses et de conserver entre eux la plus parfaite harmonie, car, leur disait-il, ce sont les conflits entre les maîtres qui révoltent les serviteurs; puis il leur donna le grand précepte religieux, politique et social:

«Il n'y a aucun mal qui ne soit préférable à l'anarchie.»

Sentence d'une application universelle et d'une profondeur presque infinie, mais que notre siècle même n'est pas encore assez éclairé pour bien comprendre.

Il nous reste de Pythagore, outre les traditions de sa vie, ses vers dorés et ses symboles; ses vers dorés sont devenus des lieux communs de morale vulgaire, tant ils ont eu de succès à travers les âges. En voici une traduction:

Εκητα χρυσα.


Aux dieux, suivant les lois, rends de justes hommages;

Respecte le serment, les héros et les sages;

Honore tes parents, tes rois, tes bienfaiteurs;

Choisis pour tes amis les hommes les meilleurs.

Sois obligeant et doux, sois facile en affaires.

Ne hais pas ton ami pour des fautes légères;

Sers de tout ton pouvoir la cause du bon droit:

Qui fait tout ce qu'il peut fait toujours ce qu'il doit.

Mais sache réprimer comme un maître sévère,

L'appétit, le sommeil, Vénus et la colère.

Ne forfais à l'honneur ni de près ni de loin,

Et seul, sois pour toi-même un rigoureux témoin.

Sois juste en actions et non pas en paroles;

Ne donne pas au mal de prétextes frivoles.

Le sort nous enrichit, il peut nous appauvrir;

Mais, faibles ou puissants, nous devons tous mourir.

A ta part de douleurs ne sois point réfractaire;

Accepte le remède utile et salutaire,

Et sache que toujours les hommes vertueux,

Des mortels affligés sont les moins malheureux.

Aux injustes propos que ton coeur se résigne;

Laisse parler le monde et suis toujours ta ligne.

Mais surtout ne fais rien par l'exemple emporté,

Qui soit sans rectitude et sans utilité.

Fais marcher devant toi le conseil qui t'éclaire,

Pour que l'absurdité ne vienne pas derrière.

La sottise est toujours le plus grand des malheurs,

Et l'homme sans conseil répond de ses erreurs.

N'agis point sans savoir, sois zélé pour apprendre:

Prête à l'étude un temps que le bonheur doit rendre.

Ne sois pas négligent du soin de ta santé;

Mais prends le nécessaire avec sobriété.

Tout ce qui ne peut nuire est permis dans la vie;

Sois élégant et pur sans exciter l'envie.

Fuis et la négligence et le faste insolent:

Le luxe le plus simple est le plus excellent.

N'agis point sans songer à ce que tu vas faire,

Et réfléchis, le soir, sur ta journée entière.

Qu'ai-je fait? qu'ai-je ouï? que dois-je regretter?

Vers la vertu divine ainsi tu peux monter.

Jusqu'ici les vers dorés ne semblent être que les leçons d'un pédagogue. Ils ont pourtant une toute autre portée. Ce sont les lois préliminaires de l'initiation magique, c'est la première partie du grand oeuvre, c'est-à-dire la création de l'adepte parfait. La suite le fait voir et le prouve:

Pythagore disait: «De même qu'il y a trois notions divines et trois régions intelligibles, il y a aussi un triple verbe, car l'ordre hiérarchique se manifeste toujours par trois. Il y a la parole simple, la parole hiéroglyphique et la parole symbolique; en d'autres termes, il y a le verbe qui exprime, le verbe qui cache, et le verbe qui signifie; toute l'intelligence hiératique est dans la science parfaite de ces trois degrés.»

Il enveloppait donc la doctrine de symboles, mais il évitait avec soin les personnifications et les images qui selon lui enfantent tôt ou tard l'idolâtrie. On l'a accusé même de détester les poëtes, mais c'était seulement aux mauvais poëtes que Pythagore interdisait l'art des vers.

Ne chante point de vers, si tu n'as point de lyre,

dit-il dans ses symboles. Ce grand homme ne pouvait ignorer la relation exacte qui existe entre les sublimes pensées et les belles expressions figurées, ses symboles mêmes sont pleins de poésie.

N'arrache point les fleurs qui forment des couronnes.

C'est ainsi qu'il recommande à ses disciples de n'amoindrir jamais la gloire et de ne point flétrir ce que le monde semble avoir besoin d'honorer.

Pythagore était chaste, mais loin de conseiller le célibat à ses disciples il se maria lui-même et eut des enfants. On cite une belle parole de la femme de Pythagore; on lui demandait si la femme qui vient d'avoir des relations avec un homme n'avait pas besoin de quelques expiations, et combien de temps après elle pouvait se croire assez pure pour s'approcher des choses saintes.--Tout de suite, dit-elle, si c'est avec son mari; si c'est avec un autre, jamais!

C'est par cette sévérité de principes, c'est avec cette pureté de moeurs qu'on s'initiait dans l'école de Pythagore aux mystères de la nature, et qu'on prenait assez d'empire sur soi-même pour commander aux forces élémentaires. Pythagore possédait cette faculté qu'on nomme chez nous seconde vue et qui s'appelait alors divination. Un jour il était avec ses disciples sur le bord de la mer. Un vaisseau se montre à l'horizon: «Maître lui dit un des disciples, pensez-vous que je serais riche si l'on me donnait la cargaison de ce vaisseau?--Elle vous serait bien inutile, dit Pythagore.--Eh bien! je la garderais pour mes héritiers.--Vous voudriez donc leur laisser deux cadavres?»

Le vaisseau entra dans le port un instant après; il rapportait le corps d'un homme qui avait voulu être enseveli dans sa patrie.

On raconte que les animaux obéissaient à Pythagore. Un jour, au milieu des jeux olympiques, il appela un aigle qui traversait le ciel; l'aigle descendit en tournoyant et continua son vol à tire d'aile quand le maître lui fit signe de s'en aller. Une ourse monstrueuse ravageait l'Apulie, Pythagore la fit venir à ses pieds et lui ordonna de quitter le pays; depuis elle ne reparut plus; et comme on lui demandait à quelle science il devait un pouvoir aussi merveilleux:

--A la science de la lumière, répondait-il.

Les êtres animés, en effet, sont des incarnations de lumière; les formes sortent des pénombres de la laideur pour arriver progressivement aux splendeurs de la beauté, les instincts sont proportionnels aux formes, et l'homme, qui est la synthèse de cette lumière dont les animaux sont l'analyse, est créé pour leur commander; mais parce qu'au lieu d'être leur maître, il s'est fait leur persécuteur et leur bourreau, ils le craignent et se révoltent contre lui. Ils doivent cependant sentir la puissance d'une volonté exceptionnelle qui se montre pour eux bienveillante et directrice, ils sont alors invinciblement magnétisés, et un grand nombre de phénomènes modernes peuvent et doivent nous faire comprendre la possibilité des miracles de Pythagore.

Les physionomistes ont remarqué que la plupart des hommes rappellent par quelques traits de leur physionomie la ressemblance de quelque animal. Cette ressemblance peut bien n'être qu'imaginaire et se produire par l'impression que font sur nous les diverses physionomies, en nous révélant les traits saillants du caractère des personnes. Ainsi nous trouverons qu'un homme bourru ressemble à un ours, un homme hypocrite à un chat et ainsi des autres. Ces sortes de jugements s'exagèrent dans l'imagination et se complètent dans les rêves, où souvent les personnes qui nous ont péniblement impressionné pendant la veille, se transforment en animaux et nous font éprouver toutes les angoisses du cauchemar. Or les animaux sont comme nous et plus que nous sous l'empire de l'imagination, car ils n'ont pas le jugement pour en rectifier les écarts. Aussi s'affectent-ils à notre égard suivant leurs sympathies ou leurs antipathies surexcitées par notre magnétisme. Ils n'ont d'ailleurs aucune conscience de ce qui constitue la forme humaine et ne voient en nous que d'autres animaux qui les dominent. Ainsi le chien prend son maître pour un chien plus parfait que lui. C'est dans la direction de cet instinct que consiste le secret de l'empire sur les animaux. Nous avons vu un célèbre dompteur de bêtes féroces fasciner ses lions en leur montrant un visage terrible et se grimer lui-même en lion furieux; ici s'applique à la lettre le proverbe populaire: «Il faut hurler avec les loups, et bêler avec les agneaux.» D'ailleurs chaque forme animale représente un instinct particulier, une aptitude ou un vice. Si nous faisons prédominer en nous le caractère de la bête, nous en prenons de plus en plus la forme extérieure, au point d'en imprimer l'image parfaite dans la lumière astrale et de nous voir nous-mêmes, dans l'état de rêve ou d'extase, tels que nous serions vus par des somnambules ou des extatiques, et tels que nous apparaissons sans doute aux animaux. Que la raison s'éteigne alors, que le rêve persévérant se change en folie et nous voici changés en bêtes comme le fut Nabuchodonosor. Ainsi s'expliquent les histoires de loups-garoux dont quelques-unes ont été juridiquement constatées. Les faits étaient constants, avérés, mais ce qu'on ignorait c'est que les témoins n'étaient pas moins hallucinés que les loups-garoux eux-mêmes.

Les faits de coïncidence et de correspondances des rêves ne sont ni rares ni extraordinaires. Les extatiques se voient et se parlent d'un bout du monde à l'autre dans l'état d'extase. Nous voyons une personne pour la première fois; et il nous semble que nous la connaissons depuis longtemps, c'est que nous l'avons souvent déjà rencontrée en rêve. La vie est pleine de ces singularités, et pour ce qui est de la transformation des êtres humains en animaux, nous en rencontrons des exemples à chaque pas. Combien d'anciennes femmes galantes et gourmandes, réduites à l'état d'idiotisme après avoir couru toutes les gouttières de l'existence, ne sont plus que de vieilles chattes uniquement éprises de leur matou!

Pythagore croyait par-dessus tout à l'immortalité de l'âme et à l'éternité de la vie. La succession continuelle des étés et des hivers, des jours et des nuits, du sommeil et du réveil, lui expliquaient assez le phénomène de la mort. L'immortalité spéciale de l'âme humaine consistait selon lui dans la prolongation du souvenir. Il prétendait se rappeler, dit-on, ses existences antérieures, et s'il est vrai qu'il le prétendait, c'est qu'il trouvait, en effet, quelque chose de pareil dans ses réminiscences, car un tel homme n'a pu être ni un charlatan ni un fou. Mais il est probable qu'il croyait retrouver ces anciens souvenirs dans ses rêves, et l'on aura pris pour une affirmation positive ce qui n'était de sa part qu'une recherche et une hypothèse; quoi qu'il en soit, sa pensée était grande et la vie réelle de notre individualité ne consiste que dans la mémoire. Le fleuve d'oubli des anciens était la vraie image philosophique de la mort. La Bible semble donner à cette idée une sanction divine lorsqu'elle dit au livre des Psaumes: «La vie du juste sera dans l'éternité de la mémoire 6
Imp. Caron-Delamarre, Quai de Gds. Augustins, 17, Paris.

Note 6: (retour) In memoria æterna erit justus.


CHAPITRE VII.

LA SAINTE KABBALE.

SOMMAIRE.--Les noms divins.--Le tétragramme et ses quatre formes. --Le mot unique qui opère toutes les transmutations.--Les clavicules de Salomon perdues et retrouvées.--La chaîne des esprits.--Le tabernacle et le temple.--L'ancien serpent.--Le monde des esprits suivant le Sohar.--Quels sont les esprits qui apparaissent.--Comment on peut se faire servir par les esprits élémentaires.


Remontons maintenant aux sources de la vraie science et revenons à la sainte kabbale, ou tradition des enfants de Seth, emportée de Chaldée par Abraham, enseignée au sacerdoce égyptien par Joseph, recueillie et épurée par Moïse, cachée sous des symboles dans la Bible, révélée par le Sauveur à saint Jean, et contenue encore tout entière sous des figures hiératiques analogues à celles de toute l'antiquité dans l'Apocalypse de cet apôtre.

Les kabbalistes ont en horreur tout ce qui ressemble à l'idolâtrie; ils donnent pourtant à Dieu la figure humaine, mais c'est une figure purement hiéroglyphique.

Ils considèrent Dieu comme l'infini intelligent, aimant et vivant. Ce n'est pour eux ni la collection des êtres, ni l'abstraction de l'Être ni un être philosophiquement définissable. Il est dans tout, distinct de tout et plus grand que tout. Son nom même est ineffable: et encore ce nom n'exprime-t-il que l'idéal humain de sa divinité. Ce que Dieu est par lui-même il n'est pas donné à l'homme de le comprendre.

Dieu est l'absolu de la foi; mais l'absolu de la raison c'est l'ÊTRE.

L'Être est par lui-même et parce qu'il est. La raison d'être de l'Être c'est l'Être même. On peut demander: «Pourquoi existe-t-il quelque chose, c'est-à-dire pourquoi telle ou telle chose existe-t-elle?» Mais on ne peut sans être absurde demander: «Pourquoi l'Être est-il?» Ce serait supposer l'Être avant l'Être.

La raison et la science nous démontrent que les modes d'existence de l'Être s'équilibrent suivant des lois harmonieuses et hiérarchiques. Or la hiérarchie se synthétise en montant et devient toujours de plus en plus monarchique. La raison cependant ne peut s'arrêter à un chef unique sans s'effrayer des abîmes qu'elle semble laisser au-dessus de ce suprême monarque, elle se tait donc et cède la place à la foi qui adore.

Ce qui est certain, même pour la science et pour la raison, c'est que l'idée de Dieu est la plus grande, la plus sainte et la plus utile de toutes les aspirations de l'homme; que sur cette croyance repose la morale avec sa sanction éternelle. Cette croyance est donc dans l'humanité le plus réel des phénomènes de l'Être, et si elle était fausse, la nature affirmerait l'absurde, le néant formulerait la vie, Dieu serait en même temps et ne serait pas.

C'est à cette réalité philosophique et incontestable, qu'on nomme l'idée de Dieu, que les kabbalistes donnent un nom; dans ce nom sont contenus tous les autres. Les chiffres de ce nom produisent tous les nombres, les hiéroglyphes des lettres de ce nom expriment toutes les lois et toutes les choses de la nature.

Nous ne reviendrons pas ici sur ce que nous avons dit dans notre dogme de la haute magie sur le tétragramme divin, nous ajouterons seulement que les kabbalistes l'écrivent de quatre principales manières:

הוהי

JHVH,

qu'ils ne prononcent pas, mais qu'ils épèlent: Jod, he vau hé, et que nous prononçons Jéhovah, ce qui est contraire à toute analogie, car le tétragramme ainsi défiguré se trouverait composé de six lettres.

ינדא

ADNI,

que nous prononçons Adonaï, ce nom veut dire Seigneur.

היהא

AHIH,

que nous prononçons Eieie, ce nom signifie Être.

אלכא

AGLA,

qui se prononce comme il s'écrit, et qui renferme hiéroglyphiquement tous les mystères de la kabbale.

En effet la lettre Aleph א est la première de l'alphabet hébreu; elle exprime l'unité, elle représente hiéroglyphiquement le dogme d'Hermès: «Ce qui est supérieur est analogue à ce qui est inférieur.» Cette lettre, en effet, a comme deux bras dont l'un montre la terre et l'autre le ciel avec un mouvement analogue.

La lettre Ghimel ג est la troisième de l'alphabet; elle exprime numériquement le ternaire et hiéroglyphiquement l'enfantement, la fécondité.

La lettre Lamed ל est la douzième; elle est l'expression du cycle parfait. Comme signe hiéroglyphique, elle représente la circulation du mouvement perpétuel, et le rapport du rayon à la circonférence.

La lettre Aleph répétée est l'expression de la synthèse.

Le nom d'AGLA signifie donc:

L'unité qui par le ternaire accomplit le cycle des nombres pour retourner à l'unité;

Le principe fécond de la nature qui fait un avec lui;

La vérité première qui féconde la science et la ramène à l'unité;

La syllepse, l'analyse, la science et la synthèse;

Les trois personnes divines qui sont un seul Dieu. Le secret du grand oeuvre, c'est-à-dire la fixation de la lumière astrale par une émission souveraine de volonté, ce que les adeptes figuraient par un serpent percé d'une flèche formant avec elle la lettre Aleph א.

Puis les trois opérations, dissoudre, sublimer, fixer, correspondant aux trois substances nécessaires, sel, soufre et mercure, le tout exprimé par la lettre Ghimel ג.

Puis les douze clefs de Basile (Valentin) exprimées par Lamed ל.

Enfin l'oeuvre accomplie conformément à son principe et reproduisant le principe même.

Telle est l'origine de cette tradition kabbalistique qui met toute la magie dans un mot. Savoir lire ce mot et le prononcer, c'est-à-dire en comprendre les mystères et traduire en actions ces connaissance absolues, c'est avoir la clef des merveilles. Pour prononcer le nom d'AGLA, il faut se tourner du côté de l'orient, c'est-à-dire s'unir d'intention et de science à la tradition orientale. N'oublions pas que suivant la kabbale, le Verbe parfait est la parole réalisée par des actes. De là vient cette expression qui se retrouve plusieurs fois dans la Bible: «Faire une parole» (facere verbum), dans le sens d'accomplir une action.

Prononcer kabbalistiquement le nom d'AGLA, c'est donc subir toutes les épreuves de l'initiation et en achever toutes les oeuvres.

Nous avons dit dans notre dogme de la haute magie comment le nom de Jéhovah se décompose en soixante et douze noms explicatifs, qu'on appelle Schemhamphoras. L'art d'employer ces soixante et douze noms et d'y trouver les clefs de la science universelle, est ce que les kabbalistes ont nommé les clavicules de Salomon. En effet, à la suite des recueils d'évocations et de prières qui portent ce titre, on trouve ordinairement soixante et douze cercles magiques formant trente-six talismans. C'est quatre fois neuf, c'est-à-dire le nombre absolu multiplié par le quaternaire. Ces talismans portent chacun deux des soixante et douze noms avec le signe emblématique de leur nombre et de celle des quatre lettres du nom de Jéhovah à laquelle ils correspondent. C'est ce qui a donné lieu aux quatre décades emblématiques du tarot: le bâton figurant le Jod; la coupe, le hé; l'épée, le vaf; et le denier, le hé final. Dans le tarot on a ajouté le complément de la dizaine, qui répète synthétiquement le caractère de l'unité.

Les traditions populaires de la magie disaient que le possesseur des clavicules de Salomon peut converser avec les esprits de tous les ordres et se faire obéir par toutes les puissances naturelles. Or, ces clavicules plusieurs fois perdues, puis retrouvées, ne sont autre chose que les talismans des soixante et douze noms et les mystères des trente-deux voies hiéroglyphiquement reproduits par le tarot. A l'aide de ces signes et au moyen de leurs combinaisons infinies, comme celles des nombres et des lettres, on peut, en effet, arriver à la révélation naturelle et mathématique de tous les secrets de la nature, et entrer, par conséquent, en communication avec la hiérarchie entière des intelligences et des génies.

Les sages kabbalistes se tiennent en garde contre les rêves de l'imagination et les hallucinations de la veille. Aussi évitent-ils toutes ces évocations malsaines qui ébranlent le système nerveux et enivrent la raison. Les expérimentateurs curieux des phénomènes de vision extranaturelle ne sont guère plus sensés que les mangeurs d'opium et de haschish. Ce sont des enfants qui se font du mal à plaisir. On peut se laisser surprendre par l'ivresse; on peut même s'oublier volontairement au point de vouloir en éprouver les vertiges; mais à l'homme qui se respecte une seule expérience suffit; et les honnêtes gens ne s'enivrent pas deux fois.

Le comte Joseph de Maistre dit qu'on se moquera un jour de notre stupidité actuelle comme nous nous moquons de la barbarie du moyen âge. Qu'eût-il pensé, s'il eût vu nos tourneurs de tables? et s'il eût entendu nos faiseurs de théories sur le monde occulte des esprits? Pauvres gens que nous sommes! Nous n'échappons à l'absurde que par l'absurde contraire. Le XVIIIe siècle croyait protester contre la superstition en niant la religion, et nous protestons contre l'impiété du XVIIIe siècle en revenant aux vieux contes de grand'mères; ne pourrait-on être plus chrétien que Voltaire et se dispenser de croire encore aux revenants?

Les morts ne peuvent pas plus revenir sur la terre qu'ils ont quittée, qu'un enfant ne pourrait rentrer dans le sein de sa mère.

Ce que nous appelons la mort, est une naissance dans une vie nouvelle. La nature ne défait pas ce qu'elle a fait dans l'ordre des progressions nécessaires de l'existence, et elle ne saurait donner le démenti à ses lois fondamentales.

L'âme humaine, servie et limitée par des organes, ne peut qu'au moyen de ces organes mêmes se mettre en rapport avec les choses du monde visible. Le corps est une enveloppe proportionnelle au milieu matériel dans lequel l'âme ici-bas doit vivre. En limitant l'action de l'âme il la concentre et la rend possible. En effet, l'âme sans corps serait partout, mais partout si peu, qu'elle ne pourrait agir nulle part; elle serait perdue dans l'infini, elle serait absorbée et comme anéantie en Dieu.

Supposez une goutte d'eau douce enfermée dans un globule et jetée dans la mer: tant que le globule ne sera pas brisé, la goutte d'eau subsistera dans sa nature propre, mais si le globule se brise, cherchez la goutte d'eau dans la mer.

Dieu en créant les esprits n'a pu leur donner une personnalité consciencieuse d'elle-même qu'en leur donnant une enveloppe qui centralise leur action et l'empêche de se perdre en la limitant.

Quand l'âme se sépare du corps, elle change donc nécessairement de milieu puisqu'elle change d'enveloppe. Elle part revêtue seulement de sa forme astrale, de son enveloppe de lumière et elle monte d'elle-même au-dessus de l'atmosphère comme l'air remonte au-dessus de l'eau en s'échappant d'un vase brisé.

Nous disons que l'âme monte parce que son enveloppe monte, et que son action et sa conscience sont comme nous l'avons dit attachées à son enveloppe.

L'air atmosphérique devient solide pour ces corps de lumière infiniment plus légers que lui et qui ne pourraient redescendre qu'en se chargeant d'un vêtement plus lourd, mais où prendraient-ils ce vêtement au-dessus de notre atmosphère? Ils ne pourraient donc revenir sur la terre qu'en s'y incarnant de nouveau, leur retour serait une chute, ils se noieraient comme esprits libres et recommenceraient leur noviciat. Mais la religion catholique n'admet pas qu'un pareil retour soit possible.

Les kabbalistes formulent par un seul axiome toute la doctrine que nous exposons ici:

«L'esprit, disent-ils, se revêt pour descendre et se dépouille pour monter.»

La vie des intelligences est toute ascensionnelle; l'enfant dans le sein de sa mère vit d'une vie végétative et reçoit la nourriture par un lien qui s'attache comme l'arbre est attaché à la terre et nourri en même temps par sa racine.

Lorsque l'enfant passe de la vie végétative à la vie instinctive et animale, son cordon se brise, il peut marcher.

Lorsque l'enfant se fait homme, il échappe aux chaînes de l'instinct et peut agir en être raisonnable.

Lorsque l'homme meurt, il échappe à ces lois de la pesanteur qui le faisaient toujours retomber sur la terre.

Lorsque l'âme a expié ses fautes, elle devient assez forte pour quitter les ténèbres extérieures de l'atmosphère terrestre et pour monter vers le soleil.

Alors commence la montée éternelle de l'échelle sainte, car l'éternité des élus ne saurait être oisive; ils vont de vertus en vertus, de félicité en félicité, de triomphe en triomphe, de splendeur en splendeur.

La chaîne toutefois ne saurait être interrompue et ceux des plus hauts degrés peuvent encore exercer une influence sur les plus bas, mais suivant l'ordre hiérarchique, et de la même manière qu'un roi en gouvernant sagement fait du bien au dernier de ses sujets.

D'échelons en échelons, les prières montent et les grâces descendent sans se tromper jamais de chemin.

Mais les esprits une fois montés ne redescendent plus, car à mesure qu'ils montent les degrés se solidifient sous leurs pieds.

Le grand chaos s'est affermi, dit Abraham, dans la parabole du mauvais riche; et ceux qui sont ici ne peuvent plus descendre là-bas.

L'extase peut exalter les forces du corps sidéral au point de lui faire entraîner dans son élan le corps matériel, ce qui prouve que la destinée de l'âme est de monter.

Les faits de suspension aérienne sont possibles: mais il est sans exemple qu'un homme ait pu vivre sous terre ou dans l'eau.

Il serait également impossible qu'une âme séparée de son corps pût vivre, même un seul instant, dans l'épaisseur de notre atmosphère. Les âmes des morts ne sont donc pas autour de nous comme le supposent les tourneurs de tables. Ceux que nous aimons peuvent nous voir encore et nous apparaître, mais seulement par mirage et par reflet dans le miroir commun qui est la lumière. Ils ne peuvent plus d'ailleurs s'intéresser aux choses mortelles, et ne tiennent plus à nous que par ceux de nos sentiments qui sont assez élevés pour avoir encore quelque chose de conforme ou d'analogue à leur vie dans l'éternité.

Telles sont les révélations de la haute kabbale contenues et cachées dans le livre mystérieux de Sohar. Révélations hypothétiques sans doute pour la science, mais appuyées sur une série d'inductions rigoureuses en partant des faits mêmes que la science conteste le moins; or il faut aborder ici un des secrets les plus dangereux de la magie. C'est l'hypothèse plus que probable de l'existence des larves fluidiques connues dans l'ancienne théurgie sous le nom d'esprits élémentaires. Nous en avons dit quelques mots dans notre Dogme et rituel de la haute magie 7, et le malheureux abbé de Villars, qui s'était joué de ces terribles révélations, a payé de sa vie son imprudence. Ce secret est dangereux en ce qu'il touche de près au grand arcane magique. En effet, évoquer les esprits élémentaires, c'est avoir la puissance de coaguler les fluides par une projection de lumière astrale. Or cette puissance ainsi dirigée ne peut produire que des désordres et des malheurs comme nous le prouverons plus tard. Voici maintenant la théorie de l'hypothèse avec les preuves de la probabilité:

L'esprit est partout, c'est lui qui anime la matière; il se dégage de la pesanteur en perfectionnant son enveloppe qui est sa forme. Nous voyons, en effet, la forme progresser avec les instincts jusqu'à l'intelligence et la beauté; ce sont les efforts de la lumière attirée par l'attrait de l'esprit, c'est le mystère de la génération progressive et universelle.

Note 7: (retour) Dogme et Rituel de la haute magie, 1856, 2 vol. in-8 avec 23 fig.

La lumière est l'agent efficient des formes et de la vie, parce qu'elle est en même temps mouvement et chaleur. Lorsqu'elle parvient à se fixer et à se polariser autour d'un centre, elle produit un être vivant, puis elle attire pour le perfectionner et le conserver toute la substance plastique nécessaire. Cette substance plastique formée en dernière analyse de terre et d'eau, a été avec raison appelée dans la Bible le limon de la terre.

Mais la lumière n'est point l'esprit, comme le croient les hiérophantes indiens, et toutes les écoles de goétie; elle est seulement l'instrument de l'esprit. Elle n'est point le corps du protoplastes, comme le faisaient entendre les théurgistes de l'école d'Alexandrie; elle est la première manifestation physique du souffle divin. Dieu la crée éternellement, et l'homme, à l'image de Dieu, la modifie et semble la multiplier.

Prométhée, dit la fable, ayant dérobé le feu du ciel, anima des images faites de terre et d'eau, et c'est pour ce crime qu'il fut enchaîné et foudroyé par Jupiter.

Les esprits élémentaires, disent les kabbalistes dans leurs livres les plus secrets, sont les enfants de la solitude d'Adam; ils sont nés de ses rêves, lorsqu'il aspirait à la femme que Dieu ne lui avait pas donnée encore.

Paracelse dit que le sang perdu, soit régulièrement, soit en rêve, par les célibataires des deux sexes, peuple l'air de fantômes.

Nous croyons indiquer assez clairement ici, d'après les maîtres, l'origine supposée de ces larves sans qu'il soit besoin de nous expliquer davantage.

Ces larves ont donc un corps aérien formé de la vapeur du sang. C'est pour cela qu'elles cherchent le sang répandu et se nourrissaient autrefois de la fumée des sacrifices.

Ce sont les enfants monstrueux de ces cauchemars impurs qu'on appelait autrefois les incubes et les succubes.

Lorsqu'ils sont assez condensés pour être vus, ce n'est qu'une vapeur colorée par le reflet d'une image; ils n'ont pas de vie propre, mais ils imitent la vie de celui qui les évoque comme l'ombre imite le corps.

Ils se produisent surtout autour des idiots et des êtres sans moralité que leur isolement abandonne à des habitudes déréglées.

La cohésion des parties de leur corps fantastique étant très faible, ils craignent le grand air, le grand feu et surtout la pointe des épées.

Ils deviennent en quelque sorte des appendices vaporeux du corps réel de leurs parents, puisqu'ils ne vivent que de la vie de ceux qui les ont créés ou qui se les approprient en les évoquant. En sorte que si on blesse leurs apparences de corps, le père peut être réellement blessé, comme l'enfant non encore né est réellement blessé ou défiguré par les imaginations de sa mère.

Le monde entier est plein de phénomènes qui justifient ces révélations singulières et ne peuvent s'expliquer que par elles.

Ces larves attirent à elles la chaleur vitale des personnes bien portantes, et épuisent rapidement celles qui sont faibles.

De là sont venues les histoires de vampires, histoires affreusement réelles et périodiquement constatées comme chacun sait.

C'est pour cela qu'à l'approche des médiums, c'est-à-dire des personnes obsédées par les larves, on sent un refroidissement dans l'atmosphère.

Ces larves ne devant l'existence qu'aux mensonges de l'imagination exaltée et au dérèglement des sens, ne se produisent jamais en présence d'une personne qui sait et qui peut dévoiler le mystère de leur monstrueuse naissance.

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