Histoire de la magie
CHAPITRE III.
LES MAGNÉTISEURS ET LES SOMNAMBULES.
SOMMAIRE.--M. le baron Du Potet et ses travaux sur la magie.--Expériences du miroir magique, analogues aux phénomènes d'hydromancie.--Les tables tournantes et la catastrophe de Victor Hennequin.--Le monstre et le magicien.
L'Église, dans sa haute sagesse, nous défend de consulter le sort et de violer par une indiscrète curiosité les secrets de l'avenir; mais de nos jours la voix de l'Église n'est plus guère entendue, et la foule revient aux devins et aux pythonisses; les somnambules sont devenues les oracles de ceux qui ne croient plus aux préceptes de l'Évangile, et l'on ne songe pas que la préoccupation d'un événement prédit supprime en quelque sorte notre liberté, et paralyse nos moyens de défense: en consultant la magie pour prévoir les événements futurs, nous donnons des arrhes à la fatalité.
Les somnambules sont les sybilles de notre époque, comme les sybilles étaient les somnambules de l'antiquité: heureux les consultants qui ne mettent pas leur crédulité au service de magnétiseurs immoraux ou insensés, car ils communieraient par le fait même de leur bénévole consultation à l'immoralité ou à la folie des inspirateurs de l'oracle: le métier de magnétiseur est facile et les dupes sont en grand nombre.
Il est donc important de connaître parmi ceux qui s'occupent du magnétisme, quels sont les hommes vraiment sérieux.
Le baron Du Potet est une nature exceptionnelle et particulièrement intuitive. Comme tous les contemporains, même les plus instruits, il ignore la kabbale et ses mystères, et cependant le magnétisme lui a révélé la magie; il a senti le besoin de révéler et de cacher cette science effrayante encore pour lui-même, et il a écrit un livre qu'il vend seulement à ses adeptes et sous le sceau du secret le plus absolu. Ce secret, nous ne l'avons pas promis à M. Du Potet, mais nous le garderons par respect pour les convictions de l'hiérophante; qu'il nous suffise de dire que son livre est le plus remarquable de tous les ouvrages de pure intuition; nous ne le croyons pas dangereux, parce que M. le baron Du Potet indique des forces dont il ne précise pas l'usage. Il sait qu'on peut nuire ou faire du bien, tuer ou sauver par les procédés magnétiques; mais ces procédés, il ne les indique pas d'une manière claire et pratique, et nous l'en félicitons d'ailleurs, car le droit de vie et de mort suppose une souveraineté divine, et cette souveraineté, nous regarderions comme un indigne celui qui, la connaissant et la possédant, consentirait à la vendre de quelque manière que ce fût.
M. Du Potet établit victorieusement l'existence de cette lumière universelle dans laquelle les crisiaques perçoivent toutes les images et tous les reflets de la pensée; il provoque des projections puissantes de cette lumière au moyen d'un appareil absorbant qu'il nomme le miroir magique: c'est tout simplement un cercle ou un carré couvert de charbon en poudre fine et tamisée. Dans cet espace négatif, la lumière projetée par le crisiaque et par le magnétiseur réunis, colore bientôt et réalise toutes les formes correspondantes à leurs impressions nerveuses. Dans ce miroir vraiment magique, apparaissent pour le sujet soumis au somnambulisme tous les rêves de l'opium ou du haschich, les uns riants, les autres lugubres; le malade doit être arraché à ce spectacle, si l'on ne veut pas qu'il tombe dans des convulsions.
Ces phénomènes sont analogues à ceux de l'hydromancie pratiquée par Cagliostro: l'eau, considérée attentivement, éblouit et trouble la vue; alors la fatigue des yeux favorise les hallucinations du cerveau. Cagliostro voulait pour ces expériences des sujets vierges et parfaitement innocents, afin de n'avoir pas à craindre les divagations nerveuses produites par les réminiscences érotiques. Le miroir magique de Du Potet est peut-être plus fatiguant pour le système nerveux tout entier, mais les éblouissements de l'hydromancie doivent avoir une influence plus redoutable sur le cerveau.
M. Du Potet est un de ces hommes fortement convaincus qui supportent courageusement les dédains de la science et les préjugés de l'opinion, en répétant tout bas la profession de foi secrète de Galilée: La terre tourne cependant!
On a découvert tout récemment que les tables tournent aussi, et que l'aimantation humaine donne aux objets mobiliers soumis à l'influence des crisiaques un mouvement de rotation. Les masses même les plus lourdes peuvent être soulevées et promenées dans l'espace par cette force, car la pesanteur n'existe qu'en raison de l'équilibre des deux forces de la lumière astrale, augmentez l'action de l'une des deux, l'autre cédera aussitôt. Or, si l'appareil nerveux aspire et respire cette lumière en la rendant positive ou négative, suivant les surexcitations personnelles du sujet, tous les corps inertes soumis à son action et imprégnés de sa vie deviendront plus légers ou plus lourds, suivant le flux et le reflux de la lumière qui entraîne dans le nouvel équilibre de son mouvement les corps poreux et mauvais conducteurs autour d'un centre vivant, comme les astres dans l'espace sont emportés, balancés, et gravitent autour du soleil.
Cette puissance excentrique d'attraction ou de projection suppose toujours un état maladif chez celui qui en est le sujet, les médiums sont tous des êtres excentriques et mal équilibrés; la médiomanie suppose ou occasionne une suite d'autres manies nerveuses, idées fixes, dérèglements d'appétits, érotomanie désordonnée, penchants au meurtre ou au suicide. Chez les êtres ainsi affectés, la responsabilité morale semble n'exister plus; ils font le mal avec la conscience du bien; ils pleurent de piété à l'église et peuvent être surpris dans de hideuses bacchanales; ils ont une manière de tout expliquer, c'est le diable, ce sont les esprits qui les obsèdent et les entraînent. Que leur voulez-vous? que leur demandez-vous? Ils ne vivent plus en eux-mêmes; c'est un être mystérieux qui les anime, c'est lui qui agit à leur place, et être se nomme légion!
Les essais réitérés d'une personne bien portante pour se créer des facultés de médium la fatiguent, la rendent malade, et peuvent déranger sa raison. C'est ce qui est arrivé à Victor Hennequin, ancien rédacteur de la Démocratie pacifique, et membre, après 1848, de l'Assemblée nationale: c'était un jeune avocat d'une parole abondante et facile, il ne manquait ni d'instruction, ni de talent, mais il était infatué de rêveries de Fourier: exilé après le 2 décembre, il se livra dans l'inaction de sa retraite aux expériences des tables tournantes; bientôt il fut atteint de médiomanie, et crut être l'instrument des révélations de l'âme de la terre. Il publia un livre intitulé: Sauvons le genre humain, c'était un mélange de souvenirs phalanstériens et de réminiscences chrétiennes, une dernière lueur de raison mourante y brille encore, mais les expériences continuèrent et la folie triompha. Dans un dernier ouvrage dont le premier volume a été seul publié, Victor Hennequin représente Dieu comme un immense polype placé au centre de la terre avec des antennes et des trompes contournées en vrilles qui vont et viennent à travers son cerveau et celui de sa femme Octavie. Bientôt après on apprit que Victor Hennequin était mort des suites d'un accès de démence furieuse dans une maison d'aliénés.
Nous avons entendu parler d'une dame du grand monde qui se livrait à des conversations avec les prétendus esprits des meubles, et qui, scandalisée outre mesure par les réponses inconvenantes de son guéridon, fit le voyage de Rome pour déférer le meuble hérétique au saint siège; elle avait emporté avec elle le coupable, et en fit un autodafé dans la capitale du monde chrétien. Mieux vaut brûler son mobilier que de se rendre folle, et en vérité pour cette dame le péril était imminent.
[496] Ne rions pas d'elle, nous, enfants d'un siècle de raison où des hommes sérieux, comme le comte de Mirville, attribuent au diable les phénomènes inexpliqués de la nature.
Dans un mélodrame qui se joue sur les boulevards, il est question d'un magicien qui, pour se faire un auxiliaire formidable, a créé un androïde, un monstre à griffes de lion, à cornes de taureau, à écailles de liévathan, il donne la vie à ce sphinx hybride, et aussitôt, épouvanté de son ouvrage, il prend la fuite. Le monstre le poursuit, apparaît entre lui et sa fiancée, incendie sa maison, brûle son père, enlève son fils, le poursuit jusque sur la mer, monte avec lui sur son vaisseau qu'il fait engloutir et finit lui-même par un coup de foudre. Ce spectacle affreux, risible à force d'épouvante, a été réalisé dans l'histoire de l'humanité, la poésie a été personnifiée le fantôme du mal lui a prêté toutes les forces de la nature. Elle voulait de cet épouvantail faire un auxiliaire à la morale, puis elle a eu peur de cette laideur enfantée par ses rêves. Depuis ce temps, le monstre nous poursuit à travers les âges, il apparaît hideux et grimaçant entre nous et les objets de nos amours, cauchemar immonde, il étouffe nos enfants pendant leur sommeil, il apporte dans la création, cette maison paternelle de l'humanité, l'incendie inextinguible de l'enfer, il brûle et torture à jamais nos pères et nos mères; il étend ses ailes noires pour nous cacher le ciel et il nous crie: Plus d'espérance! il monte en groupe et galope après nous comme le chagrin; il plonge dans l'océan du désespoir la dernière arche de notre espérance; c'est l'antique Arimanes des Perses, c'est le Typhon de l'Égypte, c'est le dieu noir des sectaires de Manès, du comte de Mirville et de la magie noire du diable, c'est l'horreur du monde et l'idole des mauvais chrétiens. Les hommes ont essayé d'en rire et ils en ont peur. Ils en font des caricatures, et ils tressaillent, parce qu'il leur semble voir ces caricatures mêmes s'animer pour se moquer d'eux à leur tour. Cependant son règne est passé, mais il ne périra pas écrasé par la foudre du ciel: la science a conquis le feu du tonnerre, et elle a fait des flambeaux, le monstre s'évanouira devant les splendeurs de la science et la vérité: le génie de l'ignorance et de la nuit ne peut être foudroyé que par la lumière!
CHAPITRE IV.
LES FANTAISISTES EN MAGIE.
SOMMAIRE.--Le Magicien, par Alphonse Esquiros.--Les livres et les miracles de Henri Delaage.--Les expériences du comte d'Ourches.--Le livre du baron de Guldenstabbé.--Un mot sur les nécromanciens et les vampires.--Le cartomancien Edmond.
Il y a une vingtaine d'années qu'un de nos amis d'enfance, Alphonse Esquiros, publia un livre de haute fantaisie, intitulé le Magicien. C'était tout ce que le romantisme d'alors pouvait imaginer de plus bizarre, l'auteur donnait à son magicien un sérail de femmes mortes, mais embaumées par un procédé retrouvé depuis par Gannal. Un androïde de bronze qui prêchait la chasteté, un hermaphrodite amoureux de la lune et qui entretenait avec elle une correspondance suivie, et bien d'autres choses encore que nous ne nous rappelons pas. Alphonse Esquiros, par la publication de ce roman, fonda une école de fantaisistes en magie dont le jeune et intéressant Henri Delaage est actuellement le représentant le plus distingué.
Henri Delaage est un écrivain fécond, un thaumaturge méconnu et un fascinateur habile. Son style n'est pas moins étonnant que les idées d'Alphonse Esquiros, son initiateur et son maître; ainsi dans son livre des Ressuscités, il dit en parlant d'une objection contre le christianisme: «Je vais prendre cette objection à la gorge, et quand je la lâcherai, la terre retentira sourdement sous le poids de son cadavre étranglé.» Il est vrai qu'il ne répond pas grand'chose ensuite à cette objection, mais que voulez-vous qu'on réponde à une objection étranglée, quand une fois la terre a retenti sourdement sous le poids de son cadavre?
Henri Delaage est, avons-nous dit, un thaumaturge méconnu; il a avoué, en effet, à une personne de notre connaissance que pendant un hiver où régnait impitoyablement cette affection de poitrine si fâcheuse qu'on nomme la grippe, il n'avait qu'à se présenter dans un salon pour guérir immédiatement toutes les personnes qui s'y trouvaient; il est vrai qu'il était la victime du miracle, car il y a gagné un léger enrouement qui ne l'a pas quitté depuis.
Plusieurs amis d'Henri Delaage nous ont assuré qu'il a le don d'ubiquité, on vient de le quitter au bureau de la Patrie, on le retrouve chez Dentu, son éditeur, on s'enfuit effrayé, on rentre chez soi et l'on y trouve... Delaage qui vous attendait.
Henri Delaage est aussi un fascinateur habile. Une dame du monde qui venait de lire un de ses livres, déclarait qu'elle ne connaissait rien au monde de plus beau et de mieux écrit, mais ce n'est pas seulement à ses livres que Delaage communique le don de beauté. Un jour nous venions de lire un feuilleton signé Fiorentino, où l'on disait que les charmes physiques du jeune magicien égalaient ou même surpassaient ceux des anges. Nous rencontrons Delaage et nous le questionnons avec curiosité sur cette révélation singulière. Delaage alors met la main dans son gilet, se tourne de trois quarts et lève en souriant les yeux vers le ciel... Heureusement nous avions sur nous l'Enchiridion de Léon III, qui est, comme on sait, un préservatif contre les enchantements, et la beauté angélique du fascinateur resta invisible à nos yeux.
Nous donnerons à Henri Delaage des éloges plus sérieux que ceux des admirateurs de sa beauté, il se déclare sincèrement catholique, et proclame hautement son respect et son amour pour la religion; or la religion pourra faire de lui un saint, ce qui est un titre plus estimable et plus glorieux que celui de sorcier.
C'est à cause de sa qualité de publiciste que nous avons nommé ce jeune homme le premier parmi les fantaisistes de la magie. Ce rang sous tous les autres rapports appartenait à M. le comte d'Ourches, homme vénérable par son âge qui consacre sa vie et sa fortune aux expériences magnétiques. Chez lui les meubles et les dames somnambules se livrent à des danses effrénées, les meubles se fatiguent et se brisent, mais les dames, à ce qu'on assure, ne s'en portent que mieux.
Pendant longtemps M. le comte d'Ourches a été dominé par une idée fixe: la crainte d'être enterré vivant, et il a fait plusieurs mémoires sur la nécessité de constater les décès d'une manière plus certaine qu'on ne le fait habituellement. M. d'Ourches avait d'autant plus raison de craindre, que son tempérament est pléthorique, et que son extrême susceptibilité nerveuse, journellement surexcitée par ses expériences avec les jolies somnambules, l'expose peut-être à des attaques d'apoplexie.
M. le comte d'Ourches est en magnétisme l'élève de l'abbé Faria, et en nécromancie il appartient à l'école du baron de Guldenstubbé.
Le baron de Guldenstubbé a publié un livre intitulé: Pneumatologie positive et expérimentale; la réalité des esprits et le phénomène merveilleux de leur écriture directe.
Voici comment il raconte lui-même sa découverte:
«Ce fut déjà dans le courant de l'année 1850, environ trois ans avant l'invasion de l'épidémie des tables tournantes, que l'auteur a voulu introduire en France les cercles du spiritualisme d'Amérique, les coups mystérieux de Rochester et récriture purement machinale des médiums. Il a rencontré malheureusement beaucoup d'obstacles de la part des autres magnétiseurs. Les fluidistes, et même ceux qui s'intitulèrent magnétiseurs spiritualistes, mais qui n'étaient en vérité que des somnambuliseurs de bas étage, traitèrent les coups mystérieux du spiritualisme américain de folies et de songes creux. Aussi ce n'est qu'au bout de plus de six mois, que l'auteur a pu former le premier cercle selon le mode des Américains, grâce au concours zélé que lui a prêté M. Roustan, ancien membre de la société des magnétiseurs spiritualistes, homme simple, mais plein d'enthousiasme pour la sainte cause du spiritualisme. Plusieurs autres personnes sont venues se joindre à nous, parmi lesquelles il faut citer feu l'abbé Châtel, le fondateur de l'Église française, qui, malgré ses tendances rationalistes, a fini par admettre la réalité d'une révélation objective et surnaturelle, condition indispensable du spiritualisme et de toutes les religions positives. On sait que les cercles américains sont basés (abstraction faite de certaines conditions morales, également requises) sur la distinction des principes magnétiques ou positifs et électriques ou négatifs.
»Ces cercles se composent de douze personnes, dont six représentent les éléments positifs, et les six autres, les éléments négatifs ou sensitifs. La distinction des éléments ne doit pas être faite d'après le sexe des personnes, bien que généralement les femmes aient des attributs négatifs et sensitifs, et que les hommes soient doués de qualités positives et magnétiques. Il faut donc bien étudier la constitution morale et physique de chacun, avant de former les cercles, car il y a des femmes délicates qui ont des qualités masculines, comme quelques hommes vigoureux ne sont que des femmes au moral. On place une table dans un endroit spacieux et aéré. Le médium (ou les milieux) doit s'asseoir au bout de la table et être entièrement isolé; il sert de conducteur à l'électricité par son calme et sa quiétude contemplative. Un bon somnambule est en général un excellent MÉDIUM. On place les six natures électriques ou négatives qu'on reconnaît généralement aux qualités affectueuses du coeur et à leur sensibilité, à droite du médium, en mettant immédiatement auprès du médium la personne la plus sensitive ou négative du cercle. Il en est de même quant aux natures positives que l'on place à gauche du médium, parmi lesquelles la personne la plus positive, la plus intelligente doit se mettre également auprès du médium. Pour former la chaîne, il faut que les douze personnes posent la main droite sur la table, et qu'elles mettent la main gauche du voisin dessus, en faisant ainsi le tour de la table de la même façon. Quant au médium ou aux milieux, s'il y en a plusieurs, ils restent entièrement isolés des douze personnes qui forment la chaîne.
»Nous avons obtenu au bout de plusieurs séances certains phénomènes remarquables, tels que des secousses simultanées, ressenties par tous les membres du cercle au moment de l'évocation mentale des personnes les plus intelligentes. Il en est de même des coups mystérieux et des sons étranges; plusieurs personnes même très insensibles ont eu des visions simultanées, bien qu'elles fussent restées à l'état ordinaire de veille. Quant aux sujets sensibles, ils ont acquis l'admirable faculté des médiums, d'écrire machinalement grâce à une attraction invisible, laquelle se sert d'un bras sans intelligence pour exprimer ses idées. Au surplus, les individus insensibles ressentaient cette influence mystérieuse d'un souffle externe, mais l'effet n'était pas assez fort pour mettre en mouvement leurs membres. Du reste, tous ces phénomènes obtenus selon le mode du spiritualisme américain, ont le défaut d'être encore plus ou moins indirects, parce qu'on ne peut pas se passer dans ces expériences de l'intermédiaire d'un être humain, d'un médium. Il en est de même des tables tournantes et parlantes qui n'ont envahi l'Europe qu'au commencement de l'année 1853.
»L'auteur a fait beaucoup d'expériences de tables avec son honorable ami, M. le comte d'Ourches, l'un des hommes les plus versés dans la magie et dans les sciences occultes. Nous sommes parvenus peu à peu à mettre les tables en mouvement sans attouchement quelconque; M. le comte d'Ourches les a fait soulever même sans attouchement. L'auteur a fait courir les tables avec une grande vitesse également sans attouchement et sans le concours d'un cercle magnétique. Il en est de même des vibrations des cordes d'un piano, phénomène obtenu déjà le 20 janvier 1856 en présence des comtes de Szapary et d'Ourches. Tous ces phénomènes révèlent bien la réalité de certaines forces occultes, mais ces faits ne démontrent pas suffisamment l'existence réelle et substantielle des intelligences invisibles, indépendantes de notre volonté et de notre imagination, dont on agrandit, il est vrai, démesurément, de nos jours le pouvoir. De là le reproche que l'on adresse aux spiritualistes américains de n'avoir que des communications insignifiantes et vagues avec le monde des esprits, qui ne se manifestent que par certains coups mystérieux, et par la vibration de quelques sons. En effet il n'y a qu'un phénomène direct, intelligent et matériel à la fois, indépendant de notre volonté et de notre imagination, tel que l'écriture directe des esprits, qu'on n'a pas même évoqués ni invoqués, qui puisse servir de preuve irréfragable de la réalité du monde surnaturel.
»L'auteur, étant toujours à la recherche d'une preuve intelligente et palpable en même temps, de la réalité substantielle du monde surnaturel, afin de démontrer par des faits irréfragables, l'immortalité de l'âme, n'a jamais cessé d'adresser des prières ferventes à l'Éternel de vouloir bien indiquer aux hommes un moyen infaillible pour raffermir la foi en l'immortalité de l'âme, cette base éternelle de la religion. L'Éternel, dont la miséricorde est infinie, a amplement exaucé cette faible prière. Un beau jour, c'était le premier août 1856, l'idée vint à l'auteur d'essayer si les esprits pouvaient écrire directement, sans l'intermédiaire d'un médium. Connaissant l'écriture directe et merveilleuse du Décalogue selon Moïse, et l'écriture également directe et mystérieuse durant le festin du roi Baltazar suivant Daniel, ayant en outre entendu parler des mystères modernes de Strattford en Amérique, où l'on avait trouvé certains caractères illisibles et étranges, tracés sur des morceaux de papier, et qui ne paraissaient pas provenir des médiums, l'auteur a voulu constater la réalité d'un phénomène dont la portée serait immense, s'il existait réellement.
»Il mit donc un papier blanc à lettres et un crayon taillé dans une petite boite fermée à clef, en portant cette clef toujours sur lui-même et sans faire part de cette expérience à personne. Il attendit durant douze jours en vain, sans remarquer la moindre trace d'un crayon sur le papier, mais quel fut son étonnement, lorsqu'il remarqua le 13 août 1856 certains caractères mystérieux, tracés sur le papier; à peine les eut-il remarqués qu'il répéta dix fois pendant cette journée, à jamais mémorable, la même expérience, en mettant toujours au bout d'une demi-heure, une nouvelle feuille de papier blanc dans la même boîte. L'expérience fut couronnée chaque fois d'un succès complet.
»Le lendemain, 14 août, l'auteur fit de nouveau une vingtaine d'expériences, en laissant la boîte ouverte et en ne la perdant pas de vue; c'est alors que l'auteur voyait que des caractères et des mots dans la langue esthonienne se formèrent ou furent gravés sur le papier, sans que le crayon bougea. Depuis ce moment, l'auteur, voyant l'inutilité du crayon, a cessé de le mettre sur le papier; il place simplement un papier blanc sur une table chez lui, ou sur le piédestal des statues antiques, sur les sarcophages, sur les urnes, etc., au Louvre, à Saint-Denis, à l'église Saint-Étienne-du-Mont, etc. Il en est de même des expériences faites dans les différents cimetières de Paris. Du reste, l'auteur n'aime guère les cimetières, la plupart des esprits préférant les lieux où ils ont vécu durant leur carrière terrestre, aux endroits où repose leur dépouille mortelle.»
Nous sommes loin de révoquer en doute les phénomènes singuliers observés par M. le baron, mais nous lui ferons observer que la découverte avait été faite avant lui par Lavater et qu'il y a encore loin de quelques lignes obtenues par M. de Guldenstubbé au portrait peint à l'aquarelle par le kabbaliste Gablidone.
Maintenant, au nom de la science, nous dirons à M. de Guldenstubbé, non pas pour lui qui ne nous croira pas, mais pour les observateurs sérieux de ces phénomènes extraordinaires:
Monsieur le baron, les écritures que vous obtenez ne viennent pas de l'autre monde; et c'est vous-même qui les tracez à votre insu.
Vous avez par vos expériences multipliées à l'excès et par l'excessive tension de votre volonté détruit l'équilibre de votre corps fluidique et astral, vous le forcez à réaliser vos rêves et il trace en caractères empruntés à vos souvenirs le reflet de vos imaginations et de vos pensées.
Si vous étiez plongé dans un sommeil magnétique parfaitement lucide, vous verriez le mirage lumineux de votre main s'allonger comme une ombre au soleil couchant, et tracer sur le papier préparé par vous ou vos amis les caractères qui vous étonnent.
Cette lumière corporelle qui émane de la terre et de vous est contenue par une enveloppe fluidique d'une extrême élasticité, et cette enveloppe se forme de la quintessence de vos esprits vitaux et de votre sang.
Cette quintessence emprunte à la lumière une couleur déterminée par votre volonté secrète, elle se fait ce que vous rêvez qu'elle est; alors les caractères s'impriment sur le papier comme les signes sur le corps des enfants qui ne sont pas encore nés sous l'influence des imaginations de leurs mères.
Cette encre que vous voyez apparaître sur le papier, c'est votre sang noirci et transfiguré. Vous vous épuisez à mesure que les écritures se multiplient. Si vous continuez vos expériences, votre cerveau s'affaiblira graduellement, votre mémoire se perdra; vous ressentirez dans les articulations des membres et des doigts d'inexprimables douleurs et vous mourrez enfin, soit foudroyé subitement, soit dans une longue agonie accompagnée d'hallucinations et de démence. Voici pour M. le baron de Guldenstubbé.
Maintenant nous dirons à M. le comte d'Ourches: Vous ne serez pas enterré vivant, mais vous risquez de mourir par les précautions mêmes que vous prendrez pour ne pas l'être.
Les personnes enterrées vivantes ne peuvent d'ailleurs avoir sous terre que des réveils rapides et de peu de durée, elles peuvent toutefois y vivre longtemps conservées par la lumière astrale dans un état complet de somnambulisme lucide.
Leurs âmes alors sont sur la terre encore enchaînées au corps endormi par une chaîne invisible, alors si ce sont des âmes avides et criminelles, elles peuvent aspirer la quintessence du sang des personnes endormies du sommeil naturel, et transmettre cette séve à leur corps enterré pour le conserver plus longtemps dans l'espérance vague qu'il sera enfin rendu à la vie. C'est cet effrayant phénomène qu'on appelle le vampirisme, phénomène dont la réalité a été constatée par des expériences nombreuses aussi bien attestées que tout ce qu'il y a de plus solennel dans l'histoire.
Si vous doutez de la possibilité de cette vie magnétique du corps humain dans la terre, lisez ce récit d'un officier anglais nommé Osborne, récit dont la fidélité a été attestée à M. le baron Du Potet par le général Ventura.
«Le 6 juin (1838), dit M. Osborne, la monotonie de notre vie de camp fut heureusement interrompue par l'arrivée d'un individu célèbre dans le Pendjab. Il jouit parmi les Sikhs d'une grande vénération à cause de la faculté qu'il a de rester enseveli sous terre aussi longtemps qu'il lui plaît. On rapportait dans le pays des faits si extraordinaires sur cet homme, et tant de personnes respectables en garantissaient l'authenticité, que nous étions extrêmement désireux de le voir. Il nous raconta lui-même qu'il exerçait ce qu'il appelle son métier (celui de se faire enterrer) depuis plusieurs années; on l'a vu en effet répéter cette étrange expérience sur divers points de l'Inde. Parmi les hommes graves et dignes de foi qui en rendent témoignage, je dois citer le capitaine Wade, agent politique à Lodhiana. Cet officier m'a affirmé très sérieusement avoir assisté lui-même à la résurrection de ce fakir après un enterrement qui avait eu lieu quelques mois auparavant, en présence du général Ventura, du maharadja et des principaux chefs sikhs. Voici les détails qu'on lui avait donnés sur l'enterrement, et ceux qu'il ajoutait, d'après sa propre autorité, sur l'exhumation.
»A la suite de quelques préparatifs qui avaient duré quelques jours et qu'il répugnerait d'énumérer, le fakir déclara être prêt à subir l'épreuve. Le maharadja, les chefs sikhs et le général Ventura se réunirent près d'une tombe en maçonnerie construite exprès pour le recevoir. Sous leurs yeux, le fakir ferma avec de la cire, à l'exception de la bouche, toutes les ouvertures de son corps qui pouvaient donner entrée à l'air; puis il se dépouilla des vêtements qu'il portait: on l'enveloppa alors d'un sac de toile, et, suivant son désir, on lui retourna la langue en arrière de manière à lui boucher l'entrée du gosier; aussitôt après cette opération le fakir tomba dans une sorte de léthargie. Le sac qui le contenait fut fermé, et un cachet y fut apposé par le maharadja. On plaça ensuite ce sac dans une caisse de bois cadenassée et scellée qui fut descendue dans la tombe: on jeta une grande quantité de terre dessus, on foula longtemps cette terre et on y sema de l'orge; enfin des sentinelles furent placées tout alentour avec l'ordre de veiller jour et nuit.
»Malgré toutes ces précautions, le maharadja conservait des doutes; il vint deux fois dans l'espace de dix mois, temps pendant lequel le fakir resta enterré, et il fit ouvrir devant lui la tombe; le fakir était dans le sac tel qu'on l'y avait mis, froid et inanimé. Les dix mois expirés, on procéda à l'exhumation définitive du fakir. Le général Ventura et le capitaine Wade virent ouvrir les cadenas, briser les scellés et élever la caisse hors de la tombe. On retira le fakir: nulle pulsation soit au coeur, soit au pouls, n'indiquait la présence de la vie. Comme première mesure destinée à le ranimer, une personne lui introduisit très doucement le doigt dans la bouche et replaça sa langue dans la position naturelle. Le sommet de la tête était seul demeuré le siège d'une chaleur sensible. En versant lentement de l'eau chaude sur le corps on obtint peu à peu quelques signes de vie: après deux heures de soins, le fakir se releva et se mit à marcher en souriant.
»Cet homme vraiment extraordinaire raconte que, durant son ensevelissement il a des rêves délicieux, mais que le moment du réveil lui est toujours très pénible; avant de revenir à la conscience de sa propre existence, il éprouve des vertiges.
»Il est âgé d'environ trente ans; sa figure est désagréable et a une certaine expression de ruse.
»Nous causâmes longtemps avec lui, et il nous offrit de se faire enterrer en notre présence. Nous le prîmes au mot, et nous lui donnâmes rendez-vous à Lahore en lui promettant de le faire rester sous terre tout le temps que durerait notre séjour dans cette ville.»
»Tel est le récit de M. Osborne. Cette fois encore le fakir se laissa-t-il enterrer? La nouvelle expérience pouvait être décisive. Voici ce qui arriva.
»Quinze jours après la visite du fakir à leur camp, les officiers anglais arrivèrent à Lahore; ils y choisirent un endroit qui leur parut favorable, firent construire une tombe en maçonnerie avec une caisse en bois bien solide, et demandèrent le fakir. Celui-ci les vint trouver le lendemain en leur témoignant le désir ardent de prouver qu'il n'était pas un imposteur. Il avait déjà, disait-il, subi les préparatifs nécessaires à l'expérience; son maintien trahissait cependant l'inquiétude et l'abattement. Il voulut d'abord savoir quelle serait sa récompense: on lui promit une somme de quinze cents roupies, et un revenu de deux mille roupies par an que l'on se chargerait d'obtenir du roi. Satisfait sur ce point, il voulut savoir quelles précautions on comptait prendre; les officiers lui firent voir l'appareil de cadenas et de clefs, et l'avertirent que des sentinelles choisies parmi les soldats anglais veilleraient alentour pendant une semaine. Le fakir se récria et exhala force injures contre les Frenghis, contre les incrédules qui voulaient lui ravir sa réputation; il exprima le soupçon que l'on voulût attenter à sa vie, il refusa de s'abandonner ainsi complètement à la surveillance des Européens, il demanda que les doubles clefs de chaque cadenas fussent remises à quelqu'un de ses coreligionnaires, et il insista surtout pour que les factionnaires ne fussent pas des ennemis de sa religion. Les officiers ne voulurent point accéder à ces conditions. Différentes entrevues eurent lieu sans résultat; enfin le fakir fit savoir par un des chefs sikhs que le maharadja l'ayant menacé de sa colère s'il ne remplissait pas son engagement avec les Anglais, il voulait se soumettre à l'épreuve, bien qu'entièrement convaincu que le seul but des officiers était de lui ôter la vie, et qu'il ne sortirait jamais vivant de sa tombe; les officiers déclarèrent que comme sur ce dernier point ils partageaient complètement sa conviction, et qu'ils ne voulaient pas avoir sa mort à se reprocher, ils le tenaient quitte de sa promesse.
»Ces hésitations et ces craintes du fakir sont-elles des preuves péremptoires contre lui? En résulte-t-il que toutes les personnes qui auparavant ont soutenu avoir vu les faits sur lesquels repose sa célébrité aient voulu en imposer ou aient été les dupes d'une habile fourberie? Nous avouons que nous ne pouvons douter, d'après le nombre et le caractère des témoins, que le fakir ne se soit fait souvent et réellement enterrer; mais admettant même qu'après l'ensevelissement il ait réussi chaque fois à communiquer avec le dehors, il serait encore inexplicable comment il aurait pu rester privé de respiration pendant tout le temps qui s'écoulait entre son enterrement et le moment où ses complices lui venaient en aide. M. Osborne cite en note un extrait de la Topographie médicale de Lodhiana, du docteur Mac Gregor, médecin anglais qui a assisté à une des exhumations, et qui, témoin de l'état de léthargie du fakir et de son retour graduel à la vie, cherche sérieusement à l'expliquer. Un autre officier anglais, M. Boileau, dans un ouvrage publié il y a quelques années, raconte qu'il a été témoin d'une autre expérience où tous les faits se sont passés de la même manière. Les personnes qui voudraient satisfaire plus amplement leur curiosité, celles qui verraient dans ce récit l'indication d'un curieux phénomène physiologique, peuvent remonter avec confiance aux sources que nous venons d'indiquer.»
Il existe encore un grand nombre de procès-verbaux sur l'exhumation des vampires. Les chairs étaient dans un état remarquable de conservation, mais elles suintaient le sang, leurs cheveux avaient cru d'une manière extraordinaire et s'échappaient par touffes entre les fentes du cercueil. La vie n'existait plus dans l'appareil qui sert à la respiration, mais seulement dans le coeur qui d'animal semblait être devenu végétal. Pour tuer le vampire, il fallait lui traverser la poitrine avec un pieu, alors un cri terrible annonçait que le somnambule de la tombe se réveillait en sursaut dans une véritable mort.
Pour rendre cette mort définitive, on entourait la tombe du vampire d'épées plantées en terre la pointe en l'air, car les fantômes de lumière astrale se décomposent par l'action des pointes métalliques qui, en attirant cette lumière vers le réservoir commun, en détruisent les amas coagulés.
Ajoutons, pour rassurer les personnes craintives, que les cas de vampirisme sont heureusement fort rares, et qu'une personne saine d'esprit et de corps ne saurait être la victime d'un vampire si elle ne lui a pas abandonné de son vivant son corps et son âme par quelque complicité de crime ou de passion déréglée.
Voici une histoire de vampire qui est rapportée par Tournefort, dans son Voyage au Levant:
«Nous fûmes témoins (dit l'auteur), dans l'île de Mycone, d'une scène bien singulière, à l'occasion d'un de ces morts, que l'on croit voir revenir, après leur enterrement. Des peuples du Nord les appellent Vampires; les Grecs les désignent sous le nom de Broucolaques. Celui dont on va donner l'histoire était un paysan de Mycone, naturellement chagrin et querelleur; c'est une circonstance à remarquer par rapport à de pareils sujets: il fut tué à la campagne, on ne sait par qui ni comment.
«Deux jours après qu'on l'eut inhumé dans une chapelle de la ville, le bruit courut qu'on le voyait la nuit se promener à grands pas: qu'il venait dans les maisons renverser les meubles, éteindre les lampes, embrasser les gens par derrière, et faire mille petits tours d'espiègle. On ne fit qu'en rire d'abord; mais l'affaire devint sérieuse, lorsque les plus honnêtes gens commencèrent à se plaindre. Les papas (prêtres grecs) eux-mêmes convenaient du fait, et sans doute qu'ils avaient leurs raisons. On ne manqua pas de faire dire des messes: cependant le paysan continuait la même vie sans se corriger. Après plusieurs assemblées des principaux de la ville, des prêtres et des religieux, on conclut qu'il fallait, je ne sais par quel ancien cérémonial, attendre les neuf jours après l'enterrement.
«Le dixième jour, on dit une messe dans la chapelle où était le corps, afin de chasser le démon que l'on croyait s'y être renfermé. Après la messe, on déterra le corps, et on en ôta le coeur; le cadavre sentait si mauvais qu'on fut obligé de brûler de l'encens; mais la fumée, confondue avec la mauvaise odeur, ne fit que l'augmenter, et commença d'échauffer ces pauvres gens. On s'avisa de dire qu'il sortait une fumée épaisse de ce corps. Nous, qui étions témoins, nous n'osions dire que c'était celle de l'encens.
«Plusieurs des assistants assuraient que le sang de ce malheureux était bien vermeil; d'autres juraient que le corps était encore tout chaud; d'où l'on concluait que le mort avait grand tort de n'être pas bien mort, ou, pour mieux dire, de s'être laissé ranimer par le diable; c'est là précisément l'idée qu'ils ont d'un broucolaque; on faisait alors retentir ce nom d'une manière étonnante. Une foule de gens, qui survinrent, protestèrent tout haut qu'ils s'étaient bien aperçus que ce corps n'était pas devenu roide, lorsqu'on le porta de la campagne à l'église pour l'enterrer; et que, par conséquent, c'était un vrai broucolaque; c'était là le refrain.
«Quand on nous demanda ce que nous croyions de ce mort, nous répondîmes que nous le croyions très bien mort; et que, pour ce prétendu sang vermeil, on pouvait voir aisément que ce n'était qu'une bourbe fort puante; enfin, nous fîmes de notre mieux pour guérir, ou du moins pour ne pas aigrir leur imagination frappée, en leur expliquant les prétendues vapeurs et la chaleur d'un cadavre.
«Malgré tous nos raisonnements, on fut d'avis de brûler le coeur du mort, qui, après cette exécution, ne fut pas plus docile qu'auparavant, et fit encore plus de bruit. On l'accusa de battre les gens la nuit, d'enfoncer les portes, de briser les fenêtres, de déchirer les habits et de vider les cruches et les bouteilles. C'était un mort bien altéré. Je crois qu'il n'épargna que la maison du consul, chez qui nous logions. Tout le monde avait l'imagination renversée. Les gens du meilleur esprit paraissaient frappés comme les autres. C'était une véritable maladie de cerveau, aussi dangereuse que la manie et que la rage. On voyait des familles entières abandonner leurs maisons, et venir des extrémités de la ville porter leurs grabats à la place pour y passer la nuit. Chacun se plaignait de quelque nouvelle insulte, et les plus sensés se retiraient à la campagne.
«Les citoyens les plus zélés pour le bien public croyaient qu'on avait manqué au point le plus essentiel de la cérémonie; il ne fallait, selon eux, célébrer la messe qu'après avoir ôté le coeur à ce malheureux. Ils prétendaient qu'avec cette précaution, on n'aurait pas manqué de surprendre le diable; et sans doute, il n'aurait eu garde d'y revenir; au lieu qu'ayant commencé par la messe, il avait eu tout le temps de s'enfuir, et de revenir à son aise.
«Après tous ces raisonnements, on se trouva dans le même embarras que le premier jour. On s'assembla soir et matin; on fit des processions pendant trois jours et trois nuits; on obligea les papas de jeûner; on les voyait courir dans les maisons, le goupillon à la main, jeter de l'eau bénite et en laver les portes: ils en remplissaient même la bouche de ce pauvre broucolaque.
«Dans une prévention si générale, nous prîmes le parti de ne rien dire. Non-seulement on nous aurait traités de ridicules, mais d'infidèles. Comment faire revenir tout un peuple? Tous les matins, on nous donnait la comédie, par le récit des nouvelles folies de cet oiseau de nuit; on l'accusait même d'avoir commis les péchés les plus abominables.
»Cependant nous répétâmes si souvent aux administrateurs de la ville, que, dans un pareil cas, on ne manquerait pas, dans notre pays, de faire le guet la nuit, pour observer ce qui se passerait, qu'enfin on arrêta quelques vagabonds, qui, assurément, avaient part à tous ces désordres: mais on les relâcha trop tôt; car, deux jours après, pour se dédommager du jeûne qu'ils avaient fait en prison, il recommencèrent à vider les cruches de vin, chez ceux qui étaient assez sots pour abandonner leurs maisons la nuit. On fut donc obligé d'en revenir aux prières.
»Un jour, comme on récitait certaines oraisons, après avoir planté je ne sais combien d'épées nues sur la fosse du cadavre, que l'on déterrait trois ou quatre fois par jour, suivant le caprice du premier venu, un Albanais, qui se trouvait là, s'avisa de dire, d'un ton de docteur, qu'il était fort ridicule en pareils cas, de se servir des épées des chrétiens. «Ne voyez-vous pas, pauvres gens, disait-il, que la garde de ces épées faisant une croix avec la poignée, empêche le diable de sortir de ce corps? Que ne vous servez-vous plutôt des sabres des Turcs?»
»L'avis de cet habile homme ne servit de rien; le broucolaque ne parut pas plus traitable, et on ne savait plus à quel saint se vouer, lorsque tout d'une voix, comme si l'on s'était donné le mot, on se mit à crier, par toute la ville, qu'il fallait brûler le broucolaque tout entier; qu'après cela ils défiaient le diable de revenir s'y nicher; qu'il valait mieux recourir à cette extrémité, que de laisser déserter l'île. En effet, il y avait déjà des familles qui pliaient bagage pour aller s'établir ailleurs.
«On porta donc le broucolaque, par ordre des administrateurs, à la pointe de l'île de Saint-Georges, où l'on avait préparé un grand bûcher avec du goudron, de peur que le bois, quelque sec qu'il fut, ne brûlât pas assez vite. Les restes de ce malheureux cadavre y furent jetés et consumés en peu de temps. C'était le premier jour de janvier 1701. Dès lors, on n'entendit plus de plaintes contre le broucolaque; on se contenta de dire que le diable avait été bien attrapé cette fois-là, et l'on fit quelques chansons pour le tourner en ridicule.»
Remarquons dans ce récit de Tournefort, qu'il admet la réalité des visions qui épouvantaient tout un peuple.
Qu'il ne conteste ni la flexibilité ni la chaleur du cadavre, mais qu'il cherche à les expliquer, et cela seulement dans le but fort louable sans doute de rassurer ces pauvres gens.
Qu'il ne parle pas de la décomposition du cadavre, mais seulement de sa puanteur; puanteur naturelle aux cadavres vampiriques comme aux champignons vénéneux.
Qu'il atteste enfin que le cadavre une fois brûlé, les prodiges et les visions cessèrent.
Mais nous voici bien loin des fantaisistes de la magie, revenons-y pour oublier les vampires, et disons quelques mots sur le cartomancien Edmond.
Edmond est le sorcier favori des dames du quartier de Notre-Dame-de-Lorette, il occupe, rue Fontaine-Saint-Georges, n. 30, un petit appartement assez coquet, son antichambre est toujours pleine de clientes et parfois aussi de clients. Edmond est un homme de grande taille, un peu obèse, son teint est pâle, sa physionomie ouverte, sa parole assez sympathique. Il paraît croire à son art et continuer en conscience les exercices et la fortune des Éteilla et des demoiselles Lenormand. Nous l'avons interrogé sur ses procédés, et il nous a répondu avec l'accent de la franchise et avec beaucoup de politesse qu'il a été depuis son enfance passionné pour les sciences occultes et qu'il s'est exercé de bonne heure à la divination; qu'il ignore les secrets philosophiques des hautes sciences et qu'il n'a pas les clefs de la kabbale de Salomon, mais qu'il est sensitif au plus haut point, et que la seule présence de ses clients l'impressionne si vivement qu'il sent en quelque sorte leur destinée. Il me semble, disait-il, que j'entends des bruits singuliers, des bruits de chaînes autour des prédestinés du bagne, des cris et des gémissements autour de ceux qui mourront de mort violente, des odeurs surnaturelles viennent m'assaillir et me suffoquent. Un jour, en présence d'une femme voilée et vêtue de noir, je me pris à tressaillir, je sentais une odeur de paille et de sang.... Madame, lui criai-je, sortez d'ici, vous êtes environnée d'une atmosphère de meurtre et de prison. Eh bien! oui, dit alors cette femme, en dévoilant son visage pâle, j'ai été accusée d'infanticide et je sors de prison. Puisque vous avez vu le passé, dites-moi aussi l'avenir.
Un de nos amis et de nos disciples en kabbale, parfaitement inconnu d'Edmond, est allé un jour le consulter, il avait payé d'avance et attendait les oracles, lorsque Edmond se levant avec respect le pria de reprendre son argent. Je n'ai rien à vous dire, ajouta-t-il; votre destinée est fermée pour moi avec la clef de l'occultisme; tout ce que je pourrais vous dire, vous le savez aussi bien que moi, et il le reconduisit en le saluant beaucoup.
Edmond s'occupe aussi d'astrologie judiciaire, il dresse au plus juste prix des horoscopes et des thèmes de nativité; il tient en un mot tout ce qui concerne son état. C'est d'ailleurs un triste et fatiguant métier que le sien: avec combien de têtes malades et de coeurs malsains ne doit-il pas être continuellement en rapport! et puis les sottes exigences des uns, les reproches injustes des autres, les confidences gênantes, les demandes de philtres et d'envoûtements, les obsessions des fous, tout cela, en vérité lui fait bien gagner son argent.
Edmond n'est à tout prendre qu'un somnambule comme Alexis, il se magnétise lui-même avec ses cartons bariolés de figures diaboliques, il s'habille de noir et donne ses consultations dans un cabinet noir: c'est le prophète du mystère.
CHAPITRE V.
SOUVENIRS INTIMES DE L'AUTEUR.
SOMMAIRE.--Influence des Illuminés et des maniaques sur les événements historiques.--Le mapah.--Sobrier et la révolution de février 1848.--Puissance magnétique de certains hommes.--Une somnambule statique.
En 1839, l'auteur de ce livre reçut un matin la visite d'Alphonse Esquiros.
--Venez-vous avec moi, voir le mapah, lui dit ce dernier.
--Qu'est-ce que c'est que le mapah?
--C'est un dieu.
--Merci, alors je n'aime que les dieux invisibles.
--Venez-donc, c'est le fou le plus éloquent, le plus radieux et le plus superbe qu'on ait jamais vu.
--Mon ami, j'ai peur des fous, la folie est contagieuse.
--Eh mon cher, je viens bien vous voir, moi!
--C'est vrai: et puisque vous y tenez, eh bien, allons voir le mapah.
Dans un affreux galetas, était un homme barbu, d'une figure majestueuse et prophétique, il portait habituellement sur ses habits une vieille pelisse de femme, ce qui lui donnait assez l'air d'un pauvre derviche, il était entouré de plusieurs hommes barbus et extatiques comme lui et d'une femme aux traits immobiles qui ressemblait à une somnambule endormie.
Ses manières étaient brusques mais sympathiques, son éloquence entraînante, ses yeux hallucinés; il parlait avec emphase, s'animait, s'échauffait jusqu'à ce qu'une écume blanchâtre vînt border ses lèvres. Quelqu'un a défini l'abbé de Lamennais, quatre-vingt-treize faisant ses pâques; cette définition conviendrait mieux au mysticisme du Mapah, on peut en juger par ce fragment échappé à son enthousiasme lyrique:
«L'humanité devait faillir: ainsi le voulait sa destinée, afin qu'elle fût elle-même l'instrument de sa reconstitution, et que dans la grandeur et la majesté du labeur humain passant par toutes ses phases de lumières et de ténèbres, apparussent manifestement la grandeur et la majesté de Dieu.
«Et l'unité primitive est brisée par la chute; la douleur s'introduit dans le monde sous la forme du serpent; et l'arbre de vie devient arbre de mort.
«Et les choses étant ainsi, Dieu dit à la femme: Tu enfanteras dans la douleur; puis il ajoute: C'est par toi que la tête du serpent sera écrasée.
«Et la femme est la première esclave; elle a compris sa mission divine, et le pénible enfantement a commencé.
«C'est pourquoi, depuis l'heure de la chute, la tâche de l'humanité n'a été qu'une tâche d'initiation, tâche grande et terrible; c'est pourquoi tous les termes de cette même initiation, dont notre mère commune Ève est l'alpha, et notre mère commune Liberté, l'oméga, sont également saints et sacrés aux yeux de Dieu.
«J'ai vu un immense vaisseau surmonté d'un mât gigantesque terminé en ruche, et l'un des flancs du vaisseau regardait l'Occident et l'autre l'Orient.
«Et, du côté de l'Occident, ce vaisseau s'appuyait sur les sommets nuageux de trois montagnes, dont la base se perdait dans une mer furieuse;
«Et chacune de ces montagnes portait son nom sanglant attaché à son flanc. La première s'appelait Golgotha; la seconde, mont Saint-Jean; la troisième Sainte-Hélène.
«Et au centre du mât gigantesque, du côté de l'Occident, était fixé une croix à cinq branches sur laquelle expirait une femme.
«Au-dessus de la tête de cette femme, on lisait:
France:
18 juin 1815;
Vendredi-Saint.
«Et chacune des cinq branches de la croix, sur laquelle elle était étendue, représentait une des cinq parties du monde; sa tête reposait sur l'Europe et un nuage l'entourait.
«Et du côté du vaisseau qui regardait l'Orient les ténèbres n'existaient pas; et la carène était arrêtée au seuil de la cité de Dieu sur le faîte d'un arc triomphal que le soleil illuminait de ses rayons.
«Et la même femme apparaissait de nouveau, mais transfigurée et
radieuse. Elle soulevait la pierre d'un sépulcre: sur cette
pierre il était écrit:
Restauration, jours du tombeau.
29 juillet 1830;
Pâques.»
Le mapah était, comme on le voit, un continuateur de Catherine Théot et de dom Gerle, et cependant étrange sympathie des folies entre elles, il nous déclara un jour confidentiellement qu'il était Louis XVII, revenu sur la terre pour une oeuvre de régénération, et que cette femme qui vivait avec lui avait été Marie-Antoinette de France. Il expliquait alors ses théories révolutionnaires jusqu'à l'extravagance, comme le dernier mot des prétentions violentes de Caïn, destinées à ramener par une réaction fatale le triomphe du juste Abel. Esquiros et moi, nous étions allés voir le mapah pour nous amuser de sa démence, et notre imagination resta frappée de ses discours. Nous étions deux amis de collège à la manière de Louis-Lambert et de Balzac, et nous avions souvent rêvé ensemble des dévouements impossibles et des héroïsmes inconnus. Après avoir entendu Ganneau, ainsi se nommait celui qui se faisait appeler le mapah, nous nous prîmes à penser qu'il serait beau de dire au monde le dernier mot de la révolution et de fermer l'abîme de l'anarchie, en nous y jetant comme Curtius. Cet orgueil d'écoliers donna naissance à l'Évangile du peuple et à la Bible de la liberté, folies qu'Esquiros et son malencontreux ami n'ont que trop chèrement payées.
Tel est le danger des manies enthousiastes, elles sont contagieuses, et l'on ne se penche pas impunément au bord des abîmes de la démence; mais voici quelque chose de bien autrement terrible.
Parmi les disciples du mapah, se trouvait un jeune homme nerveux et débile nommé Sobrier. Celui-là perdit complètement la tête, et se crut prédestiné à sauver le monde en provoquant la crise suprême d'une révolution universelle.
Arrivent les journées de février 1848. Une émeute avait provoqué un changement de ministère, tout était fini, les Parisiens étaient contents et les boulevards étaient illuminés.
Un jeune homme apparaît tout à coup dans les rues populeuses du quartier Saint-Martin. Il se fait précéder de deux gamins, l'un portant une torche, l'autre battant le rappel, un rassemblement nombreux se forme, le jeune homme monte sur une borne et harangue la foule. Ce sont des choses incohérentes, incendiaires, mais la conclusion, c'est qu'il faut aller au boulevard des Capucines porter au ministère la volonté du peuple.
Au coin de toutes les rues l'énergumène répète la même harangue, et il marche en tête du rassemblement, deux pistolets aux poings et toujours précédé de sa torche et de son tambour.
La foule des curieux qui encombrait les boulevards se joint par curiosité au cortège du harangueur. Bientôt ce n'est plus un rassemblement, c'est une masse de peuple qui roule sur le boulevard des Italiens.
Au milieu de cette trombe, le jeune homme et les deux gamins ont disparu, mais devant l'hôtel des Capucines un coup de pistolet est tiré sur la troupe.
Ce coup de pistolet, c'était la révolution, et il fut tiré par un fou.
Pendant toute la nuit, deux tombereaux chargés de cadavres se promenèrent dans les rues à la lueur des torches; le lendemain tout Paris était aux barricades, et Sobrier sans connaissance était rapporté chez lui. C'était Sobrier qui, sans savoir ce qu'il faisait, venait de donner une secousse au monde.
Ganneau et Sobrier sont morts, et l'on peut maintenant, sans danger pour eux, révéler à l'histoire ce terrible exemple du magnétisme des enthousiastes et des fatalités que peuvent entraîner après elles les maladies nerveuses de certains hommes. Nous tenons de source certaine les choses que nous racontons et nous pensons que cette révélation peut apporter un soulagement à la conscience du Bélisaire de la poésie, l'auteur de l'Histoire des Girondins.
Les phénomènes magnétiques produits par Ganneau durèrent même après sa mort. Sa veuve, femme sans instruction et d'une intelligence assez négative, fille d'un honnête Auvergnat, est restée dans le somnambulisme statique où son mari l'avait plongée. Semblable à ces enfants qui subissent la forme des imaginations de leurs mères, elle est devenue une image vivante de Marie-Antoinette prisonnière à la Conciergerie. Ses manières sont celles d'une reine à jamais veuve et désolée, parfois seulement elle laisse échapper quelques plaintes qui sont de s'écrier que son rêve la fatigue, mais elle s'indigne souverainement contre ceux qui cherchent à la réveiller; elle ne donne d'ailleurs aucun signe d'aliénation mentale; sa conduite extérieure est raisonnable, sa vie parfaitement honorable et régulière. Rien n'est plus touchant, selon nous, que cette obsession persévérante d'un être follement aimé qui se survit dans une hallucination conjugale. Si Artémise a existé, il est permis de croire que Mausole était aussi un puissant magnétiseur, et qu'il avait entraîné et fixé à jamais les affections d'une femme toute sensitive en dehors des limites du libre arbitre et de la raison.
CHAPITRE VI.
DES SCIENCES OCCULTES.
SOMMAIRE.--Coup d'oeil synthétique sur les sciences occultes.--La recherche de l'absolu.
Le secret des sciences occultes c'est celui de la nature elle-même, c'est le secret de la génération des anges et des mondes, c'est celui de la toute-puissance de Dieu!
Vous serez comme les Élohims, connaissant le bien et le mal, avait dit le serpent de la Genèse, et l'arbre de la science est devenu l'arbre de la mort.
Depuis six mille ans, les martyrs de la science travaillent et meurent au pied de cet arbre pour qu'il redevienne l'arbre de vie.
L'absolu cherché par les insensés et trouvé par les sages, c'est la vérité, la réalité et la raison de l'équilibre universel!
L'équilibre, c'est l'harmonie qui résulte de l'analogie des contraires.
Jusqu'à présent l'humanité a essayé de se tenir sur un seul pied, tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre.
Les civilisations se sont élevées et ont péri, soit par la démence anarchique du despotisme, soit par l'anarchie despotique de la révolte.
Tantôt les enthousiasmes superstitieux, tantôt les misérables calculs de l'instinct matérialiste ont égaré les nations, et Dieu pousse le monde enfin vers la raison croyante et les croyances raisonnables.
Nous avons eu assez de prophètes sans philosophie et de philosophes sans religion, les croyants aveugles et les sceptiques se ressemblent et ils sont aussi loin les uns que les autres du salut éternel.
Dans le chaos du doute universel et des conflits de la science et de la foi, les grands hommes et les voyants n'ont été que des artistes malades qui cherchaient la beauté idéale aux risques et périls de leur raison et de leur vie.
Aussi voyez-les tous encore, ces sublimes enfants, ils sont fantasques et nerveux comme des femmes, un rien les blesse, la raison les offense, ils sont injustes les uns envers les autres, et eux qui ne vivent que pour être couronnés, ils sont les premiers à faire dans leurs fantasques humeurs ce que Pythagore défend d'une manière si touchante dans ses symboles admirables, ils déchirent et foulent aux pieds les couronnes! Ce sont les aliénés de la gloire, mais Dieu, pour les empêcher de devenir dangereux, les contient avec les chaînes de l'opinion.
Le tribunal de la médiocrité juge le génie sans appel, parce que le génie étant la lumière du monde, est regardé comme nul et comme mort, dès qu'il n'éclaire pas.
L'enthousiasme du poëte est contrôlé par le sang-froid de la prosaïque multitude. L'enthousiaste que le bon sens public n'accepte pas, n'est point un génie, c'est un fou.
Ne dites pas que les grands artistes sont les esclaves de la foule ignorante, car c'est d'elle que leur talent reçoit l'équilibre de la raison.
La lumière, c'est l'équilibre de l'ombre et de la clarté.
Le mouvement, c'est l'équilibre de l'inertie et de l'activité.
L'autorité, c'est l'équilibre de la liberté et du pouvoir.
La sagesse, c'est l'équilibre dans les pensées.
La vertu, c'est l'équilibre dans les affections; la beauté, c'est l'équilibre dans les formes.
Les belles lignes sont les lignes justes, et les magnificences de la nature sont un algèbre de grâces et de splendeurs.
Tout ce qui est juste est beau: tout ce qui est beau doit être juste.
Le ciel et l'enfer sont l'équilibre de la vie morale; le bien et le mal sont l'équilibre de la liberté.
Le grand oeuvre, c'est la conquête du point central où réside la force équilibrante. Partout ailleurs, les réactions de la force équilibrée conservent la vie universelle par le mouvement perpétuel de la naissance et de la mort.
C'est pour cela que les philosophes hermétiques comparent leur or au soleil.
C'est pour cela que cet or guérit toutes les maladies de l'âme et donne l'immortalité. Les hommes arrivés à ce point central sont les véritables adeptes, ce sont les thaumaturges de la science et de la raison.
Ils sont maîtres de toutes les richesses du monde et des mondes, ils sont les confidents et les amis des princes du ciel, la nature leur obéit parce qu'ils veulent ce que veut la loi qui fait marcher la nature.
Voilà ce que le Sauveur du monde appelle le royaume de Dieu! c'est le sanctum regnum de la sainte kabbale. C'est la couronne et l'anneau de Salomon, c'est le sceptre de Joseph devant lequel s'inclinent les étoiles du ciel et les moissons de la terre.
Cette toute-puissance nous l'avons retrouvée, et nous ne la vendons pas, mais si Dieu nous avait chargé de la vendre, nous ne trouverions pas que ce soit assez de toute la fortune des acheteurs; nous leur demanderions encore, non pas pour nous, mais pour elle toute leur âme et toute leur vie!
CHAPITRE VII.
RÉSUMÉ ET CONCLUSION.
SOMMAIRE.--L'énigme du Sphinx.--Les questions paradoxales.--Portée des découvertes de la science magique dans l'ordre religieux, dans l'ordre moral et dans l'ordre politique.--Objet et but de cet ouvrage.
Il nous reste maintenant à résumer et à conclure.
Résumer l'histoire d'une science, c'est résumer la science. Aussi allons-nous récapituler les grands principes de l'initiation conservés et transmis à travers tous les âges.
La science magique est la science absolue de l'équilibre.
Cette science est essentiellement religieuse, elle a présidé à la formation des dogmes de l'ancien monde, et a été ainsi la mère nourrice de toutes les civilisations.
Mère pudique et mystérieuse, qui, en allaitant de poésie et d'inspiration les générations naissantes, couvrait son visage et son sein!
Avant tout principe, elle nous dit de croire en Dieu, et de l'adorer sans chercher à le définir, parce que souvent pour notre intelligence imparfaite, un Dieu défini est en quelque sorte un Dieu fini! Mais après Dieu, elle nous montre comme souverains principes des choses, les mathématiques éternelles et les forces équilibrées.
Il est écrit dans la Bible que Dieu a tout disposé par le poids, le nombre et la mesure, voici le texte:
Omnia in pondere et numero et mensurâ disposuit Deus.
Ainsi le poids, c'est-à-dire l'équilibre, le nombre ou la quantité et la mesure, c'est-à-dire la proportion, telles sont les bases éternelles ou divines de la science de la nature.
La formule de l'équilibre est celle-ci:
«L'harmonie résulte de l'analogie des contraires.»
Le nombre est l'échelle des analogies dont la proportion est la mesure.
Toute la philosophie occulte du Sohar pourrait s'appeler la science de l'équilibre.
La clef des nombres se trouve dans le Sepher Jézirah. La génération des nombres est analogue à la filiation des idées et à la production des formes.
En sorte que, dans leur alphabet sacré, les sages hiérophantes de la kabbale ont réuni les signes hiéroglyphiques des nombres, des idées et des formes.
Les combinaisons de cet alphabet donnent des équations d'idées, et mesurent, en les indiquant, toutes les combinaisons possibles dans les formes naturelles.
Dieu, dit la Genèse, a fait l'homme à son image: or, l'homme étant le résumé vivant de la création, il s'ensuit que la création aussi est faite à l'image de Dieu.
Il y a dans l'univers trois choses: l'esprit, le médiateur plastique et la matière.
Les anciens donnaient à l'esprit pour instrument immédiat, le fluide igné auquel ils prêtaient le nom générique de soufre; au médiateur plastique, le nom de Mercure à cause du symbolisme représenté par le caducée, et à la matière le nom de sel, à cause du sel fixe qui reste après la combustion et qui résiste à l'action du feu.
Ils comparaient le soufre au père, à cause de l'activité génératrice du feu; le mercure à la mère, pour sa puissance d'attraction et de reproduction; et le sel était pour eux l'enfant ou la substance soumise à l'éducation de la nature.
La substance créée pour eux était une, et ils la nommaient lumière.
Lumière positive ou ignée, le soufre volatil; lumière négative ou rendue visible par les vibrations du feu, le mercure fluide éthéré; et lumière neutralisée ou ombre, le mixte coagulé ou fixé sous la forme de terre ou de sel.
C'est pourquoi Hermès trismégiste s'exprime ainsi dans son symbole connu sous le nom de Table d'émeraude:
«Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut pour former les merveilles de la chose unique.»
C'est-à-dire que le mouvement universel est produit par les analogies du fixe et du volatil, le volatil tendant à se fixer, et le fixe à se volatiliser, ce qui produit un échange continuel entre les formes de la substance unique et, par cet échange, les combinaisons sans cesse renouvelées des formes universelles.
Le feu c'est Osiris ou le soleil, la lumière c'est Isis ou la lune, ils sont le père et la mère du grand Télesma, c'est-à-dire de la substance universelle, non qu'ils en soient les créateurs, mais ils en représentent les deux forces génératrices, et leur effort combiné produit le fixe ou la terre, ce qui fait dire à Hermès que leur force est parvenue à toute sa manifestation quand la terre en a été formée.
Osiris n'est donc pas Dieu, même pour les grands hiérophantes du sanctuaire égyptien. Osiris n'est que l'ombre lumineuse ou ignée du principe intellectuel de la vie, et c'est pour cela qu'au moment des dernières initiations on jetait en courant dans l'oreille de l'adepte cette révélation redoutable: Osiris est un dieu noir.
Malheur, en effet, au récipiendaire dont l'intelligence ne se serait pas élevée par la foi au-dessus des symboles purement physiques de la révélation égyptienne! Cette parole devenait pour lui une formule d'athéisme et son esprit était frappé d'aveuglement. Elle était au contraire pour le croyant d'un génie plus élevé, le gage des plus sublimes espérances. Enfant, semblait lui dire l'initiateur, tu prends une lampe pour le soleil, mais ta lampe n'est qu'une étoile de la nuit; il existe un véritable soleil; sors de la nuit et cherche le jour!
Ce que les anciens appelaient les quatre éléments n'étaient pas pour eux des corps simples, mais bien les quatre formes élémentaires de la substance unique. Ces quatre formes étaient figurées sur le sphinx: l'air par les ailes, l'eau par le sein de femme, la terre par le corps de taureau, le feu par les griffes du lion.
La substance une, trois fois triple en mode d'essence, et quadruple en forme d'existence, tel est le secret des trois pyramides triangulaires d'élévation, carrées par la base et gardées par le sphinx. L'Égypte, en élevant ces monuments, avait voulu poser les colonnes d'Hercule de la science universelle.
Aussi les sables ont monté, les siècles ont passé et les pyramides toujours grandes proposent aux nations leur énigme dont le mot a été perdu. Quant au sphinx, il semble avoir sombré dans la poussière des âges. Les grands empires de Daniel ont régné tour à tour sur la terre, et se sont enfoncés de tout leur poids dans le tombeau. Conquêtes de la guerre, fondations du travail, oeuvres des passions humaines, tout s'est englouti avec le corps symbolique du sphinx; maintenant la tête humaine se dresse seule au-dessus des sables du désert, comme si elle attendait l'empire universel de la pensée.
Devine ou meurs! tel était le terrible dilemme posé par le sphinx aux aspirants à la royauté de Thèbes. C'est qu'en effet les secrets de la science sont ceux de la vie; il s'agit de régner ou de servir, d'être ou de ne pas être. Les forces naturelles nous briseront, si elles ne nous servent à conquérir le monde. Roi ou victime, il n'y a pas de milieu entre cet abîme et cette sommité, à moins qu'on ne se laisse tomber dans la masse de ceux qui ne sont rien, parce qu'ils ne se demandent jamais pourquoi ils vivent ni ce qu'ils sont.
Les formes du sphinx représentent aussi par analogie hiéroglyphique les quatre propriétés de l'agent magique universel, c'est-à-dire de la lumière astrale: dissoudre, coaguler, réchauffer, refroidir. Ces quatre propriétés dirigées par la volonté de l'homme, peuvent modifier toutes les formes de la nature, et produire, suivant l'impulsion donnée, la vie ou la mort, la santé ou la maladie, l'amour ou la haine, la richesse même ou la pauvreté. Elles peuvent mettre au service de l'imagination tous les reflets de la lumière; elles sont la solution paradoxale des questions les plus téméraires qu'on puisse poser à la haute magie.
Les questions paradoxales de la curiosité humaine, les voici; nous allons les poser et y répondre:
1. Peut-on échapper à la mort?
2. La pierre philosophale existe-t-elle, et comment faire pour la trouver?
3. Peut-on se faire servir par les esprits?
4. Qu'est-ce que la clavicule, l'anneau et le sceau de Salomon?
5. Peut-on prévoir l'avenir par des calculs certains?
6. Peut-on faire à son gré du bien ou du mal par influence magique?
7. Que faut-il pour être un vrai magicien?
8. En quoi consistent précisément les forces de la magie noire?
Nous appelons paradoxales ces questions qui sont en dehors de toute science, et qui semblent être d'avance résolues négativement par la foi.
Ces questions sont téméraires si elles sont faites par un profane, et leur solution complète donnée par un adepte ressemblerait à un sacrilège.
Dieu et la nature ont fermé le sanctuaire intime de la haute science, en sorte qu'au delà de certaine limite celui qui sait, parlerait inutilement, il ne se ferait plus comprendre; la révélation du grand arcane magique est donc heureusement impossible.
Les solutions que nous allons donner seront donc la dernière expression du verbe magique; nous les rendrons aussi claires qu'elles peuvent être, mais nous ne nous chargeons pas de les faire comprendre à tous nos lecteurs.
1. Peut-on échapper à la mort?
2. La pierre philosophale existe-t-elle, et comment faire pour la trouver?
RÉPONSES.
On peut échapper à la mort de deux manières, dans le temps et dans l'éternité.
Dans le temps, en guérissant toutes les maladies et en évitant les infirmités de la vieillesse;
Et dans l'éternité, en perpétuant par le souvenir l'identité personnelle dans les transformations de l'existence.
Posons d'abord en principes:
1° Que la vie résultant du mouvement ne peut se conserver que par la succession et le perfectionnement des formes;
2° Que la science du mouvement perpétuel est la science de la vie;
3° Que cette science a pour objet la juste pondération des influences équilibrées;
4° Que tout renouvellement s'opère par la destruction, et qu'ainsi toute génération est une mort, et toute mort une génération.
Maintenant établissons avec les anciens sages que le principe universel de la vie est un mouvement substantiel ou une substance éternellement et essentiellement mue et motrice, invisible et impalpable, à l'état volatil, et qui se manifeste matériellement en se fixant par les phénomènes de la polarisation.
Cette substance est indéfectible, incorruptible, et par conséquent immortelle.
Mais ses manifestations par la forme sont éternellement changées par la perpétuité du mouvement.
Ainsi tout meurt parce que tout vit, et si l'on pouvait éterniser une forme, on arrêterait le mouvement et l'on aurait créé la seule véritable mort.
Emprisonner à jamais une âme dans un corps humain momifié, telle serait la solution horrible du paradoxe magique de l'immortalité prétendue dans le même corps et sur la même terre.
Tout se régénère par le dissolvant universel qui est la substance première.
Ce dissolvant concentre sa force dans la quintessence, c'est-à-dire au centre équilibrant d'une double polarité.
Les quatre éléments des anciens sont les quatre forces polaires de l'aimant universel représenté par une croix.
Cette croix qui tourne indéfiniment autour de son centre, en posant ainsi l'énigme de la quadrature du cercle.
Le Verbe créateur se fait entendre du milieu de la croix et il crie: Tout est consommé.
C'est dans la juste proportion des quatre formes élémentaires qu'il faut chercher la médecine universelle des corps, comme la médecine de l'âme nous est présentée par la religion en celui qui s'offre éternellement sur la croix pour le salut du monde.
L'aimentation et la polarisation des corps célestes résultent de leur gravitation équilibrée autour des soleils, qui sont les réservoirs communs de leur électro-magnétisme.
La vibration de la quintessence autour des réservoirs communs se manifeste par la lumière, et la lumière révèle sa polarision par les couleurs.
Le blanc est la couleur de la quintessence. Vers son pôle négatif, cette couleur se condense en bleu et se fixe en noir; mais vers son pôle positif, elle se condense en jaune et se fixe en rouge.
La vie rayonnante va donc toujours du noir au rouge, en passant par le blanc; et la vie absorbée redescend du rouge au noir, en traversant le même milieu.
Les quatre nuances intermédiaires ou mixtes produisent avec les trois couleurs de la syllepse de l'analyse et de la synthèse lumineuse, ce qu'on appelle les sept couleurs du prisme ou du spectre solaire.
Ces sept couleurs forment sept atmosphères ou sept zones lumineuses autour de chaque soleil, et la planète dominante dans chaque zone se trouve aimentée d'une manière analogue à la couleur de son atmosphère.
Les métaux dans les entrailles de la terre se forment comme les planètes dans le ciel, par les spécialités d'une lumière latente qui se décompose en traversant divers milieux.
S'emparer du sujet dans lequel la lumière métallique est latente, avant qu'elle se soit spécialisée, et la pousser à l'extrême pôle positif, c'est-à-dire au rouge vif, par un feu emprunté à la lumière même, tel est tout le secret du grand oeuvre.
On comprend que cette lumière positive à son extrême degré de condensation est la vie même devenue fixe, et peut servir de dissolvant universel et de médecine à tous les règnes de la nature.
Mais pour arracher à la marcassite, au stibium, à l'arsenic des philosophes son sperme métallique vivant et androgyne, il faut un premier dissolvant qui est un menstrue minéral salin, il faut de plus le concours du magnétisme et de l'électricité.
Le reste se fait de soi-même, dans un seul vase, dans un seul athanor, et par le feu gradué d'une seule lampe; c'est, disent les adeptes, un travail de femmes et d'enfants.
Ce que les chimistes et les physiciens modernes appellent chaleur, lumière, électricité, magnétisme, n'était pour les anciens que les manifestations phénoménales élémentaires de la substance unique appelée aour, od, tik et ob, par les Hébreux. Od est le nom de l'actif, ob le nom du passif, et aour, dont les philosophes hermétiques ont fait leur or, est le nom du mixte androgyne et équilibré.
L'or vulgaire c'est l'aour métallisé, l'or philosophique c'est l'aour à l'état de pierrerie soluble.
En théorie, suivant la science transcendantale des anciens, la pierre philosophale qui guérit toutes les maladies et opère la transmutation des métaux, existe donc incontestablement. Existe-t-elle et peut-elle exister en fait? Si nous l'affirmions, on ne nous croirait pas, donnons donc cette affirmation comme une solution paradoxale aux paradoxes exprimés par les deux premières questions et passons au second chapitre.
Remarque.--Nous ne répondons pas à la question subsidiaire: Comment faire pour la trouver, parce que M. de La Palisse lui-même répondrait à notre place que pour trouver il est indispensable de chercher, à moins qu'on ne trouve par hasard. Nous en avons dit assez pour diriger et faciliter les recherches.
QUESTIONS 3. ET 4.
3.--Peut-on se faire servir par les esprits?
4.--Qu'est-ce que la clavicule, le sceau et l'anneau de Salomon.
RÉPONSES.
Lorsque le Sauveur du monde eut triomphé, dans sa tentation du désert, des trois convoitises qui asservissent l'âme humaine:
La convoitise des appétits, la convoitise des ambitions et celle des cupidités.
Il est écrit que les anges s'approchèrent de lui et le servirent.
Car les esprits sont au service de l'esprit souverain, et l'esprit souverain est celui qui enchaîne les turbulences déréglées et les entraînements injustes de la chair.
Remarquons bien toutefois qu'il est contre l'ordre de la Providence d'intervertir la série naturelle des communications entre les êtres.
Nous ne voyons pas que le Sauveur et les apôtres aient évoqué les âmes des morts.
L'immortalité de l'âme étant un des dogmes les plus consolants de la religion, doit-être réservée aux aspirations de la foi, et ne sera par conséquent jamais prouvée par des faits accessibles à la critique de la science.
Aussi l'ébranlement ou la perte de la raison est-elle et sera-t-elle toujours le châtiment de ceux qui auront la témérité de regarder, dans l'autre vie, avec les yeux de celle-ci.
Aussi les traditions magiques font-elles toujours apparaître les morts évoqués, avec des visages tristes et colères.
Ils se plaignent d'avoir été troublés dans leur repos et ne profèrent que des reproches et des menaces.
Les clefs ou clavicules de Salomon sont des forces religieuses et rationnelles exprimées par des signes, et qui servent moins à évoquer les esprits qu'à se préserver soi-même de toute aberration dans les expériences relatives aux sciences occultes.
Le sceau résume les clefs, l'anneau en indique l'usage.
L'anneau de Salomon est à la fois circulaire et carré, et il figure ainsi le mystère de la quadrature du cercle.
Il se compose de sept carrés disposés de manière à former un cercle. On y adapte deux chatons, l'un circulaire, l'autre carré, l'un en or, l'autre en argent.
La bague doit être faite de filigrane des sept métaux.
Dans le chaton d'argent on enchâsse une pierre blanche, et dans le chaton d'or une pierre rouge avec ces signatures:
Sur la pierre blanche, le signe du macrocosme;
Sur la pierre rouge, le signe du microcosme.
Lorsqu'on met l'anneau à son doigt, une des pierres doit être au dedans de la main, l'autre au dehors, suivant qu'on veut commander aux esprits de lumière ou aux puissances des ténèbres.
Expliquons en quelques paroles la toute-puissance de cet anneau.
La volonté est toute-puissante, lorsqu'elle s'arme des forces vives de la nature.
La pensée est oisive et morte tant qu'elle ne se manifeste pas par le verbe ou par le signe, elle ne peut donc alors ni exciter, ni diriger la volonté.
Le signe étant la forme nécessaire de la pensée est l'instrument indispensable de la volonté.
Plus le signe est parfait, plus la pensée est fortement formulée, et plus par conséquent la volonté est dirigée avec puissance.
La foi aveugle transporte les montagnes, que sera-ce donc de la foi éclairée par une science complète et immuable?
Si notre âme pouvait concentrer toute son intelligence et toute son énergie dans l'émission d'une seule parole, cette parole pour elle ne serait-elle pas toute-puissante?
L'anneau de Salomon avec son double sceau, c'est toute la science et toute la foi des mages résumées en un signe.
C'est le symbole de toutes les forces du ciel et de la terre et des lois saintes qui les régissent, soit dans le macrocosme céleste, soit dans le microcosme humain.
C'est le talisman des talismans et le pantacle des pantacles.
L'anneau de Salomon est tout-puissant, si c'est un signe vivant, mais il est inefficace, si c'est un signe mort; la vie des signes c'est l'intelligence et la foi, intelligence de la nature, foi en son moteur éternel.
L'étude approfondie des mystères de la nature peut éloigner de Dieu l'observateur inattentif chez qui la fatigue de l'esprit paralyse les élans du coeur.
C'est en cela que les sciences occultes peuvent être dangereuses et même fatales à certaines âmes.
L'exactitude mathématique, la rigueur absolue des lois de la nature, l'ensemble et la simplicité de ces lois, donnent à plusieurs l'idée d'un mécanisme nécessaire, éternel, inexorable, et la Providence disparaît pour eux derrière les rouages de fer d'une horloge au mouvement perpétuel.
Ils ne réfléchissent pas au fait redoutable de la liberté et de l'autocratie des créatures intelligentes.
Un homme dispose à son gré de l'existence d'êtres organisés comme lui; il peut atteindre les oiseaux dans l'air, les poissons dans l'eau, les bêtes sauvages dans les forêts; il peut couper ou incendier les forêts elles-mêmes, miner et faire sauter les rochers et les montagnes, changer autour de lui toutes les formes, et malgré les analogies ascendantes de la nature, il ne croirait pas à l'existence d'êtres intelligents comme lui qui pourraient à leur gré déplacer, briser et incendier les mondes, souffler sur les soleils pour les éteindre, ou les broyer pour en faire des étoiles... des êtres si grands qu'ils échappent à sa vue, comme nous échappons sans doute à celle de la mite ou du ciron.... Et si de pareils êtres existent sans que l'univers soit mille fois bouleversé, ne faut-il pas admettre qu'ils obéissent tous à une volonté suprême, à une force puissante et sage, qui leur défend de déplacer les mondes, comme elle nous défend de détruire le nid de l'hirondelle et la crysalide du papillon? Pour le mage qui sent cette force au fond même de sa conscience, et qui ne voit plus dans les lois de l'univers que les instruments de la justice éternelle, le sceau de Salomon, ses clavicules et son anneau sont les insignes de la suprême royauté.
QUESTIONS 5 ET 6.
5. Peut-on prévoir l'avenir par des calculs certains?
6. Peut-on faire du bien ou du mal par influence magique?
RÉPONSES.
Deux joueurs d'échec d'égale force, sont assis à une table, ils commencent la partie, lequel des deux gagnera?
--Celui qui sera le plus attentif à son jeu.
Si je connais les préoccupations de l'un et de l'autre, je puis prédire certainement le résultat de leur partie.
Au jeu d'échecs, prévoir c'est gagner, il en est de même au jeu de la vie.
Rien dans la vie n'arrive par hasard, le hasard, c'est l'imprévu; mais l'imprévu de l'ignorant avait été prévu par le sage.
Tout événement, comme toute forme, résulte d'un conflit ou d'un équilibre de forces, et ces forces peuvent être représentées par des nombres.
L'avenir peut donc être d'avance déterminé par le calcul.
Toute action violente est balancée par une réaction égale, le rire pronostique les larmes, et c'est pour cela que le Sauveur disait: Heureux ceux qui pleurent!
C'est pour cela aussi qu'il disait: Celui qui s'élève, sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé.
Aujourd'hui Nabuchodonosor se fait Dieu, demain il sera changé en bête.
Aujourd'hui Alexandre fait son entrée dans Babylone, et se fait offrir de l'encens sur tous les autels, demain il mourra brutalement ivre.
L'avenir est dans le passé; le passé est dans l'avenir.
Quand le génie prévoit, il se souvient.
Les effets s'enchaînent si nécessairement et si exactement aux causes et deviennent ensuite eux-mêmes des causes d'effets nouveaux si conformes aux premiers dans leur manière de se produire, qu'un seul fait peut révéler au voyant toute une généalogie de mystères.
Quand le Christ est venu, il est certain que l'Antéchrist viendra: mais la venue de l'Antéchrist précédera le triomphe du Saint-Esprit.
Le siècle d'argent où nous vivons est le précurseur des plus abondantes charités et des bonnes oeuvres les plus grandes qu'on ait encore vues dans le monde.
Mais il faut savoir que la volonté de l'homme modifie les causes fatales, et qu'une seule impulsion donnée par un homme peut changer l'équilibre de tout un monde.
Si telle est la puissance de l'homme dans le monde qui est son domaine, que doivent donc être les génies des soleils!
Le moindre des égrégores pourrait d'un souffle, en dilatant subitement le calorique latent de notre terre, la faire éclater et disparaître comme un petit nuage de cendre.
L'homme aussi peut d'un souffle faire évanouir toute la félicité d'un de ses semblables.
Les hommes sont aimantés comme les mondes, ils rayonnent leur lumière spéciale comme les soleils.
Les uns sont plus absorbants, les autres irradient plus volontiers.
Personne n'est isolé dans le monde, tout homme est une fatalité ou une providence.
Auguste et Cinna se rencontrent: tous deux sont orgueilleux et implacables, voilà la fatalité.
Cinna veut fatalement et librement tuer Auguste, Auguste est entraîné fatalement à le punir, il veut lui pardonner et librement il lui pardonne. Ici la fatalité se change en providence, et le siècle d'Auguste inauguré par cette bonté sublime devient digne de voir naître celui qui dira: Pardonnez à vos ennemis! Auguste, en faisant grâce à Cinna, a expié toutes les vengeances d'Octave.
Tant que l'homme est asservi aux exigences de la fatalité, c'est un profane, c'est-à-dire un homme qu'il faut repousser loin du sanctuaire de la science.
La science, en effet, serait entre ses mains un instrument terrible de destruction.
L'homme libre au contraire, c'est-à-dire celui qui domine par l'intelligence les instincts aveugles de la vie, celui-là est essentiellement conservateur et réparateur, car la nature est le domaine de sa puissance, le temple de son immortalité.
Quand le profane voudrait bien faire, il ferait mal.
L'initié libre ne peut pas vouloir mal faire; s'il frappe, c'est pour châtier et pour guérir.
Le souffle du profane est mortel, celui de l'initié est vivifiant.
Le profane souffre pour faire souffrir les autres, l'initié souffre pour que les autres ne souffrent pas.
Le profane trempe ses flèches dans son propre sang et les empoisonne; l'initié, libre avec une goutte de son sang, guérit les plus cruelles blessures.
QUESTIONS 7 ET 8.
7. Que faut-il faire pour être un vrai magicien?
8. En quoi consistent précisément les forces de la magie noire?
RÉPONSES.
L'homme qui dispose des forces occultes de la nature, sans s'exposer à être écrasé par elles, celui-là est un vrai magicien.
On le reconnaît à ses oeuvres et à sa fin, qui est toujours un grand sacrifice.
Zoroastre a créé les dogmes et les civilisations primitives de l'Orient, et a disparu comme Oedipe dans un orage.
Orphée a donné la poésie à la Grèce, et avec cette poésie la beauté de toutes les grandeurs, et il a péri dans une orgie à laquelle il refusait de se mêler.
Julien, malgré toutes ses vertus, n'a été qu'un initié à la magie noire. Il est mort victime et non martyr; sa mort a été une destruction et une défaite, il ne comprenait pas son époque.
Il connaissait le dogme de la haute magie, mais il en appliquait mal le rituel.
Apollonius de Thyane et Synesius n'ont été autre chose que de merveilleux philosophes, ils ont cultivé la vraie science, mais ils n'ont rien fait pour la postérité.
Les mages de l'Évangile régnaient alors dans les trois parties du monde connu, et les oracles se taisaient en écoutant les vagissements du petit enfant de Bethléem.
Le roi des rois, le mage des mages, était venu dans le monde, et les cultes, les lois, les empires, tout était changé!
Entre Jésus-Christ et Napoléon, le monde merveilleux reste vide.
Napoléon, ce Verbe de la guerre, ce messie armé, est venu fatalement et sans le savoir, compléter la parole chrétienne. La révélation chrétienne ne nous apprenait qu'à mourir, la civilisation napoléonienne doit nous apprendre à vaincre.
De ces deux Verbes contraires en apparence, le dévouement et la victoire, souffrir, mourir, combattre et vaincre, se forme le grand arcane de l'HONNEUR!
Croix du Sauveur, croix du brave, vous n'êtes pas complètes l'une sans l'autre, car celui-là seul sait vaincre qui sait se dévouer et mourir!
Et comment se dévouer et mourir, si l'on ne croit pas à la vie éternelle?
Napoléon qui était mort en apparence, devait revenir dans le monde en la personne d'un homme réalisateur de son esprit.
Salomon et Charlemagne reviendront aussi en un seul monarque, et alors saint Jean l'Évangéliste, qui, selon la tradition, doit revivre à la fin des temps, ressuscitera aussi en la personne d'un souverain pontife, qui sera l'apôtre de l'intelligence et de la charité.
Et ces deux princes réunis, annoncés par tous les prophètes, accompliront le prodige de la régénération du monde.
Alors fleurira la science des vrais magiciens: car, jusqu'à présent, nos faiseurs de prodiges ont été pour la plupart des hommes fatals et des sorciers, c'est-à-dire des instruments aveugles du sort.
Les maîtres que la fatalité jette au monde sont bientôt renversés par elle. Ceux qui triomphent par les passions seront la proie des passions. Lorsque Prométhée fut jaloux de Jupiter et lui déroba sa foudre, il voulut se faire aussi un aigle immortel, mais il ne créa et n'immortalisa qu'un vautour.
La fable dit encore qu'un roi impie nommé Ixion voulut faire violence à la reine du ciel, mais il n'embrassa qu'une nuée mensongère, et fut lié par des serpents de feu à la roue inexorable de la fatalité.
Ces profondes allégories menacent les faux adeptes, les profanateurs de la science, les séides de la magie noire.
La force de la magie noire c'est la contagion du vertige, c'est l'épidémie de la déraison.
La fatalité des passions est comme un serpent de feu qui roule et se tortille autour du monde en dévorant les âmes.
Mais l'intelligence paisible, souriante et pleine d'amour, figurée par la mère de Dieu, lui pose le pied sur la tête.
La fatalité se dévore elle-même; c'est l'antique serpent de Chronos qui ronge éternellement sa queue.
Ou plutôt se sont deux serpents ennemis qui se battent et se déchirent de morsures, jusqu'à ce que l'harmonie les enchante et les fasse s'enlacer paisiblement autour du caducée d'Hermès.
CONCLUSION.
Croire qu'il n'existe pas dans l'être un principe intelligent universel et absolu, c'est la plus téméraire et la plus absurde de toutes les croyances.
Croyance, parce que c'est la négation de l'indéfini et de l'indéfinissable.
Croyance téméraire, parce qu'elle est isolante et désolante; croyance absurde, parce qu'elle suppose le plus complet néant, à la place de la plus entière perfection.
Dans la nature, tout se conserve par l'équilibre et se renouvelle par le mouvement.
L'équilibre, c'est l'ordre; et le mouvement, c'est le progrès.
La science de l'équilibre et du mouvement est la science absolue de la nature.
L'homme, par cette science, peut produire et diriger des phénomènes naturels en s'élevant toujours vers une intelligence plus haute et plus parfaite que la sienne.
L'équilibre moral, c'est le concours de la science et de la foi, distinctes dans leurs forces et réunies dans leur action pour donner à l'esprit et au coeur de l'homme une règle qui est la raison.
Car, la science qui nie la foi est aussi déraisonnable que la foi qui nie la science.
L'objet de la foi ne saurait être ni défini ni surtout nié par la science, mais la science est appelée elle-même à constater la base rationnelle des hypothèses de la foi.
Une croyance isolée ne constitue pas la foi parce qu'elle manque d'autorité, et par conséquent de garantie morale, elle ne peut aboutir qu'au fanatisme ou à la superstition.
La foi est la confiance que donne une religion, c'est-à-dire une communion de croyance.
La vraie religion se constitue par le suffrage universel.
Elle est donc essentiellement et toujours catholique, c'est-à-dire universelle. C'est une dictature idéale acclamée généralement dans le domaine révolutionnaire de l'inconnu.
La loi d'équilibre, lorsqu'elle sera mieux comprise, fera cesser toutes les guerres et toutes les révolutions du vieux monde. Il y a eu conflit entre les pouvoirs comme entre les forces morales. On blâme actuellement les papes de se cramponner au pouvoir temporel, sans songer à la tendance protestante des princes pour l'usurpation du pouvoir spirituel.
Tant que les princes auront la prétention d'être papes, le pape sera forcé, par la loi même de l'équilibre, à la prétention d'être roi.
Le monde entier rêve encore l'unité de pouvoir, et ne comprend pas la puissance du dualisme équilibré.
Devant les rois usurpateurs de la puissance spirituelle, si le pape n'était plus roi, il ne serait plus rien. Le pape dans l'ordre temporel subit comme un autre les préjugés de son siècle. Il ne saurait donc abdiquer son pouvoir temporel quand cette abdication serait un scandale pour la moitié du monde.
Quand l'opinion souveraine de l'univers aura proclamé hautement qu'un prince temporel ne peut pas être pape, quand le czar de toutes les Russies et le souverain de la Grande-Bretagne auront renoncé à leur sacerdoce dérisoire, le pape saura ce qui lui reste à faire.
Jusque-là, il doit lutter et mourir, s'il le faut, pour défendre l'intégrité du patrimoine de saint Pierre.
La science de l'équilibre moral fera cesser les querelles de religion et les blasphèmes philosophiques. Tous les hommes intelligents seront religieux, quand il sera bien reconnu que la religion n'attente pas à la liberté d'examen, et tous les hommes vraiment religieux respecteront une science qui reconnaîtra l'existence et la nécessité d'une religion universelle.
Cette science répandra un jour nouveau sur la philosophie de l'histoire et donnera un plan synthétique de toutes les sciences naturelles. La loi des forces équilibrées et des compensations organiques révélera une physique et une chimie nouvelles; alors de découvertes en découvertes, on en reviendra à la philosophie hermétique, et l'on admirera ces prodiges de simplicité et de clarté oubliés depuis si longtemps.
La philosophie alors sera exacte comme les mathématiques, car les idées vraies, c'est-à-dire, identiques à l'être, constituant la science de la réalité fournissent avec la raison et à la justice des proportions exactes et des équations rigoureuses comme les nombres. L'erreur donc ne sera plus possible qu'à l'ignorance; le vrai savoir ne se trompera plus.
L'esthétique cessera d'être subordonnée aux caprices du goût qui change comme la mode. Si le beau est la splendeur du vrai, on devra soumettre à d'infaillibles calculs le rayonnement d'une lumière dont le foyer sera incontestablement connu et déterminé avec une rigoureuse précision.
La poésie n'aura plus de tendances folles et subversives. Les poètes ne seront plus ces enchanteurs dangereux que Platon bannissait de sa république en les couronnant de fleurs; ils seront les musiciens de la raison et les gracieux mathématiciens de l'harmonie.
Est-ce à dire que la terre deviendra un Eldorado? Non, car, tant qu'il y aura une humanité, il y aura des enfants, c'est-à-dire des faibles, des petits, des ignorants et des pauvres.
Mais la société sera gouvernée par ses véritables maîtres, et il n'y aura plus de mal sans remède dans la vie humaine.
On reconnaîtra que les miracles divins sont ceux de l'ordre éternel, et l'on n'adorera plus les fantômes de l'imagination sur la foi des prodiges inexpliqués. L'étrangeté des phénomènes ne prouve que notre ignorance devant les lois de la nature. Quand Dieu veut se faire connaître à nous, il éclaire notre raison et ne cherche pas à la confondre ou à l'étonner.
On saura jusqu'où s'étend le pouvoir de l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. On comprendra que lui aussi, il est créateur dans sa sphère, et que sa bonté dirigée par l'éternelle raison est la providence subalterne des êtres placés par la nature, sous son influence et sous sa domination; la religion alors n'aura plus rien à craindre du progrès, et en prendra la direction.
Un docteur justement vénéré dans les enseignements du catholicisme, le bienheureux Vincent de Lérins, exprime admirablement cet accord du progrès et de l'autorité conservatrice.
Selon lui, la vraie foi n'est digne de notre confiance que par cette autorité invariable qui en rend les dogmes inaccessibles aux caprices de l'ignorance humaine. «Et cependant, ajoute Vincent de Lérins, cette immobilité n'est pas la mort; nous conservons, au contraire, pour l'avenir, un germe de vie. Ce que nous croyons aujourd'hui sans le comprendre, l'avenir le comprendra et se réjouira d'en avoir connaissance. Posteritas intellectum gratuletur, quod ante vetustas non intellectum venerabatur. Si donc on nous demande: Est-ce que tout progrès est exclu de la religion de Jésus-Christ? Non sans doute, et nous en espérons un très grand.
«Quel homme, en effet, serait assez jaloux des hommes, assez ennemi de Dieu, pour vouloir empêcher le progrès? Mais il faut que ce soit réellement un progrès, et non pas un changement de croyance. Le progrès, c'est l'accroissement et le développement de chaque chose dans son ordre et dans sa nature. Le désordre, c'est la confusion, et le mélange des choses et de leur nature. Sans aucun doute, il doit y avoir, tant pour tous les hommes en général que pour chacun en particulier, selon la marche naturelle des âges de l'Église, différents degrés d'intelligence, de science et de sagesse, mais en telle sorte que tout soit conservé, et que le dogme garde toujours le même esprit et la même définition. La religion doit développer successivement les âmes, comme la vie développe les corps qui grandissent et sont pourtant toujours les mêmes.
«Quelle différence entre la fleur enfantine du premier âge et la maturité de la vieillesse! Les vieillards sont pourtant les mêmes, quant à la personne, qu'ils étaient dans l'adolescence; il n'y a que l'extérieur et les apparences de changés. Les membres de l'enfant au berceau sont bien frêles, et pourtant ils ont les mêmes principes rudimentaires et les mêmes organes que les hommes; ils grandissent sans que leur nombre augmente, et le vieillard n'a rien de plus en cela que n'avait l'enfant. Et cela doit être ainsi, sous peine de difformité ou de mort.
«Il en est ainsi de la religion de Jésus-Christ, et le progrès pour elle s'accomplit dans les mêmes conditions et suivant les mêmes lois. Les années la rendent plus forte et la grandissent, mais n'ajoutent rien à tout ce qui compose son être. Elle est née complète et parfaite dans ses proportions, qui peuvent croître et s'étendre sans changer. Nos pères ont semé du froment, nos neveux ne doivent pas moissonner de l'ivraie. Les récoltes intermédiaires ne changent rien à la nature du grain; nous devons le prendre et le laisser toujours le même.
«Le catholicisme a planté des roses, devons-nous y substituer des ronces? Non sans doute, ou malheur à nous! Le baume et le cinname de ce paradis spirituel ne doivent pas se changer sous nos mains en aconit et en poison. Tout ce qui, dans l'Église, cette belle campagne de Dieu, a été semé par les pères, doit y être cultivé et entretenu par les fils: c'est cela qui toujours doit croître et fleurir; mais cela peut grandir et doit se développer. Dieu permet en effet que les dogmes de cette philosophie céleste soient, par le progrès du temps, étudiés, travaillés, polis en quelque sorte; mais ce qui est défendu, c'est de les changer; ce qui est un crime, c'est de les tronquer et de les mutiler. Qu'ils reçoivent une nouvelle lumière et des distinctions plus savantes, mais qu'ils gardent toujours leur plénitude, leur intégrité, leur propriété.»
Considérons donc comme acquises au profit de l'Église universelle toutes les conquêtes de la science dans le passé, et promettons-lui, avec Vincent de Lérins, l'héritage complet des progrès à venir! A elle toutes les grandes aspirations de Zoroastre et toutes les découvertes d'Hermès! À elle la clef de l'arche sainte, à elle l'anneau de Salomon, car elle représente la sainte et immuable hiérarchie. Ses luttes l'ont rendue plus forte, ses chutes apparentes la rendront plus stable; elle souffre pour régner, elle tombe pour grandir en se relevant, elle meurt pour ressusciter!
«Il faut vous tenir prêts, dit le comte Joseph de Maistre, pour un événement immense dans l'ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs; des oracles redoutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arrivés. Plusieurs prophéties contenues dans l'Apocalypse se rapportaient à nos temps modernes. Un écrivain est allé jusqu'à dire que l'événement avait déjà commencé, et que la nation française devait être le grand instrument de la plus grande des révolutions. Il n'y a peut-être pas un homme véritablement religieux en Europe (je parle de la classe instruite) qui n'attende dans ce moment quelque chose d'extraordinaire. Or, n'est-ce rien que ce cri général qui annonce de grandes choses? Remontez aux siècles passés, transportez-vous à la naissance du Sauveur; à cette époque, une voix haute et mystérieuse, partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas: «L'Orient est sur le point de triompher... Le vainqueur partira de la Judée... Un enfant divin nous est donné; il va paraître; il descend du plus haut des cieux; il ramènera l'âge d'or sur la terre.» Ces idées étaient universellement répandues, et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poète latin s'en empara, et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion. Aujourd'hui, comme au temps de Virgile, l'univers est dans l'attente. Comment mépriserions-nous cette grande persuasion, et de quel droit condamnerions-nous les hommes qui, avertis par ces signes divins, se livrent à de saintes recherches?
«Voulez-vous une preuve de ce qui se prépare? cherchez-la dans les sciences; considérez bien la marche de la chimie, de l'astronomie même, et vous verrez où elles nous conduisent. Croiriez-vous, par exemple, que Newton nous ramène à Pythagore, et qu'incessamment il sera démontré que «les corps célestes sont mus précisément, comme le corps humain, par des intelligences qui leur sont unies» sans qu'on sache comment: c'est cependant ce qui est sur le point de se vérifier, sans qu'il y ait bientôt aucun moyen de disputer. Cette doctrine pourra sembler paradoxale sans doute, et même ridicule, parce que l'opinion environnante en impose; mais attendez que l'affinité naturelle de la religion et la science les réunissent dans la tête d'un seul homme de génie. L'apparition de cet homme ne saurait être éloignée. Alors des opinions qui nous paraissent aujourd'hui ou bizarres ou insensées seront des axiomes dont il ne sera pas permis de douter, et l'on parlera de notre stupidité actuelle comme nous parlons de la superstition du moyen âge 24.»
Au tome dixième de ses oeuvres, page 697, saint Thomas dit cette belle parole: «Tout ce que Dieu veut est juste, mais le juste ne doit pas être nommé ainsi uniquement parce que Dieu le veut: non ex hoc dicitur justum quod Deus illud vult.» La doctrine morale de l'avenir est renfermée là tout entière; et de ce principe fécond on peut immédiatement déduire celui-ci: Non-seulement il est bien, au point de vue de la foi, de faire ce que Dieu commande, mais encore, au point de vue de la raison, il est bon et raisonnable de lui obéir. L'homme donc pourra dire: Je fais le bien non-seulement parce que Dieu le veut, mais aussi parce que je le veux. La volonté humaine sera ainsi soumise et libre en même temps; car la raison, démontrant d'une façon irrécusable la sagesse des prescriptions de la foi, agira de son propre mouvement en se réglant d'après la loi divine, dont elle deviendra en quelque sorte la sanction humaine. Alors il n'y aura plus ni superstition, ni impiété possible, on le comprend facilement d'après ce que nous venons de dire: donc, en religion et en philosophie pratique, c'est-à-dire en morale, l'autorité absolue existera et les dogmes moraux pourront seulement alors se révéler et s'établir.
Jusque-là, nous aurons la douleur et l'effroi de voir tous les jours remettre en question les principes les plus simples et les plus communs du droit et du devoir entre les hommes. Sans doute, on fera taire les blasphémateurs; mais autre chose est imposer silence, autre chose, persuader et convertir.
Tant que la haute magie a été profanée par la méchanceté des hommes, l'Église a dû la proscrire. Les faux gnostiques ont décrié le nom si pur d'abord du gnosticisme, et les sorciers ont fait tort aux enfants des mages; mais la religion, amie de la tradition et gardienne des trésors de l'antiquité ne saurait repousser plus longtemps une doctrine antérieure à la Bible, et qui accorde si parfaitement avec le respect traditionnel du passé, les espérances les plus vivantes du progrès et de l'avenir?
Le peuple s'initie par le travail et par la foi à la propriété et à la science. Il y aura toujours un peuple, comme il y aura toujours des enfants; mais quand l'aristocratie devenue savante sera une mère pour le peuple, les voies de l'émancipation seront ouvertes à tous, émancipation personnelle, successive, progressive, par laquelle tous les appelés pourront, par leurs efforts, arriver au rang des élus. C'est ce mystère d'avenir que l'initiation antique cachait sous ses ombres; c'est pour ces élus de l'avenir que sont réservés les miracles de la nature assujettis à la volonté de l'homme. Le bâton sacerdotal doit être la baguette des miracles, il l'a été du temps de Moïse et d'Hermès, et il le sera encore. Le sceptre du mage redeviendra celui du roi ou de l'empereur du monde, et celui-là sera de droit le premier parmi les hommes, qui se montrera de fait le plus fort par la science et par la vertu.
Alors la magie ne sera plus une science occulte que pour les ignorants, mais elle sera pour tous une science incontestable. Alors la révélation universelle ressoudera les uns aux autres tous les anneaux de sa chaîne d'or. L'épopée humaine sera terminée et les efforts même des Titans n'auront servi qu'à rehausser l'autel du vrai Dieu.
Alors toutes les formes qu'a successivement revêtues la pensée divine renaîtront immortelles et parfaites.
Tous les traits qu'avait esquissés l'art successif des nations se réuniront et formeront l'image complète de Dieu.
Le dogme épuré et sorti du chaos produira naturellement la morale infaillible, et l'ordre social se constituera sur cette base. Les systèmes qui se heurtent maintenant sont les rêves du crépuscule. Laissons-les passer. Le soleil luit et la terre poursuit sa marche; insensé serait celui qui douterait du jour!
Il en est qui disent: Le catholicisme n'est plus qu'un tronc aride, portons-y la hache.
Insensés! ne voyez-vous pas que sous l'écorce desséchée se renouvelle sans cesse l'arbre vivant. La vérité n'a ni passé ni avenir; elle est éternelle. Ce qui finit ce n'est pas elle, ce sont nos rêves.
Le marteau et la hache qui détruisent aux yeux des hommes, ne sont dans la main de Dieu que la serpe de l'émondeur, et les branches mortes, c'est-à-dire les superstitions et les hérésies, en religion, en science et en politique, peuvent seules être coupées sur l'arbre des croyances et des convictions éternelles.
Notre Histoire de la magie a eu pour but de démontrer que, dans le principe, les grands symboles de la religion ont été en même temps ceux de la science alors cachée.
Que la religion et la science, réunies dans l'avenir, s'entr'aident donc et s'aiment comme deux soeurs, puisqu'elles ont eu le même berceau!