← Retour

Histoire de la magie

16px
100%

Saint Pierre reprit:

«Pourquoi refuses-tu la paix? Ce sont les vices des hommes qui ont créé la guerre; la paix accompagne toujours la vertu.

--La vertu, c'est la force et le savoir-faire, dit Simon. Moi, j'affronte le feu, je m'élève dans les airs, je ressuscite les plantes, je change la pierre en pain; et toi, que fais-tu?

--Je prie pour toi, dit saint Pierre, afin que tu ne périsses pas victime de tes prestiges.

--Garde tes prières: elles ne monteront pas aussitôt que moi vers le ciel.

Et voilà le magicien qui s'élance par une fenêtre, et qui s'élève dans les airs. Avait-il quelque appareil aérostatique sous ses longs vêtements ou s'élevait-il, comme les convulsionnaires du diacre Paris, par une exaltation de lumière astrale, c'est ce que nous ne saurions dire. Pendant ce temps saint Pierre était à genoux et priait; tout à coup Simon pousse un grand cri et tombe: on le releva avec les cuisses brisées. Et Néron fit emprisonner saint Pierre, qui lui semblait être un magicien moins divertissant que Simon; celui-ci mourut de sa chute. Toute cette histoire, qui remonte aux rumeurs populaires de ce temps-là, est maintenant reléguée peut-être à tort parmi les légendes apocryphes. Elle n'en est pas moins remarquable et digne d'être conservée.

La secte de Simon ne s'éteignit pas avec lui, il eut pour successeur un de ses disciples, nommé Ménandre. Celui-ci ne se disait pas dieu, il se contentait du rôle de prophète; lorsqu'il baptisait ses prosélytes, un feu visible descendait sur l'eau; il leur promettait l'immortalité de l'âme et du corps au moyen de ce bain magique, et il y avait encore, du temps de saint Justin, des ménandriens qui se croyaient fermement immortels. La mort des uns ne désabusait pas les autres, car le défunt était immédiatement excommunié et considéré comme un faux frère. Les ménandriens regardaient la mort comme une véritable apostasie et complétaient leur phalange immortelle en enrôlant de nouveaux prosélytes. Ceux qui savent jusqu'où peut aller la folie humaine, ne s'étonneront pas si nous leur apprenons qu'en cette année même 1858, il existe encore en Amérique et en France des continuateurs fanatiques de la secte des ménandriens.

La qualification de magicien ajoutée au nom de Simon fit prendre en horreur la magie par les chrétiens; mais on n'en continua pas moins à honorer le souvenir des rois mages qui avaient adoré le Sauveur dans son berceau.


CHAPITRE III.

DU DIABLE.

SOMMAIRE.--Son origine; ce qu'il est suivant la foi et suivant la science.--Satan, ses pompes et ses oeuvres.--Les possédés de l'Évangile.--Le vrai nom du diable, suivant la kabbale et d'après les confessions des énergumènes.--Généalogie infernale.--Le bouc du sabbat.--L'ancien serpent et le faux Lucifer.


Le christianisme, en formulant nettement la conception divine, nous fait comprendre Dieu comme l'amour le plus pur et le plus absolu, et définit nettement l'esprit opposé à Dieu. C'est l'esprit d'opposition et de haine, c'est Satan. Mais cet esprit n'est pas un personnage, et il ne faut pas le comprendre comme une espèce de dieu noir; c'est une perversité commune à toutes les intelligences dévoyées. «Je me nomme Légion, dit-il dans l'Évangile, parce que nous sommes une multitude.»

L'intelligence naissante peut être comparée à l'étoile du matin, et si elle tombe volontairement dans les ténèbres après avoir brillé un instant, on peut lui appliquer cette apostrophe d'Isaïe au roi de Babylone: «Comment es-tu tombé du ciel, beau Lucifer, brillante étoile du matin!» Mais est-ce à dire pour cela que le Lucifer céleste, que l'étoile matinale de l'intelligence divine soit devenue un flambeau de l'enfer? Le nom de porte-lumière est-il justement donné à l'ange des égarements et des ténèbres? Nous ne le pensons pas, à moins qu'on n'entende comme nous, et suivant les traditions magiques, par l'enfer personnifié en Satan et figuré par l'ancien serpent, ce feu central qui s'enroule autour de la terre, dévorant tout ce qu'il produit et se mordant la queue comme le serpent de Chronos, cette lumière astrale dont le Seigneur parlait lorsqu'il disait à Caïn: «Si tu fais le mal, le péché sera aussitôt à tes portes, c'est-à-dire le désordre s'emparera de tous tes sens; mais je t'ai soumis la convoitise de la mort, et c'est à toi de lui commander.»

La personnification royale et presque divine de Satan est une erreur qui remonte au faux Zoroastre, c'est-à-dire au dogme altéré des seconds mages, les mages matérialistes de la Perse; ils avaient changé en dieux les deux pôles du monde intellectuel, et de la force passive ils avaient fait une divinité opposée à la force active. Nous avons signalé dans la mythologie de l'Inde la même monstrueuse erreur.

Arimanes ou Schiva, tel est le père du démon, comme le comprennent les légendaires superstitieux, et c'est pour cela que le Sauveur disait: «Le diable est menteur comme son père.»

L'Église, sur cette question, s'en rapporte aux textes de l'Évangile, et n'a jamais donné de décisions dogmatiques dont la définition du diable fût l'objet. Les bons chrétiens évitent même de le nommer, et les moralistes religieux recommandent à leurs fidèles de ne pas s'occuper de lui, mais de lui résister en ne pensant qu'à Dieu.

Nous ne pouvons qu'admirer cette sage réserve de l'enseignement sacerdotal. Pourquoi, en effet, prêterait-on la lumière du dogme à celui qui est l'obscurité intellectuelle et la nuit la plus sombre du coeur? Qu'il reste inconnu, cet esprit qui veut nous arracher à la connaissance de Dieu!

Nous ne prétendons pas ici faire ce que n'a pas fait l'Église, nous constatons seulement sur ce sujet quel fut l'enseignement secret des initiés aux sciences occultes.

Ils disaient que le grand agent magique, justement appelé Lucifer, parce qu'il est le véhicule de la lumière et le réceptacle de toutes les formes, est une force intermédiaire répandue dans toute la création; qu'elle sert à créer et à détruire, et que la chute d'Adam a été une ivresse érotique qui a rendu sa génération esclave de cette lumière fatale; que toute passion amoureuse qui envahit les sens est un tourbillon de cette lumière qui veut nous entraîner vers le gouffre de la mort; que la folie, les hallucinations, les visions, les extases, sont une exaltation très dangereuse de ce phosphore intérieur; que cette lumière enfin est de la nature du feu, dont l'usage intelligent échauffe et vivifie, dont l'excès au contraire brûle, dissout et anéantit.

L'homme serait appelé à prendre un souverain empire sur cette lumière et à conquérir par ce moyen son immortalité, et menacé en même temps d'être enivré, absorbé et détruit éternellement par elle.

Cette lumière, en tant que dévorante, vengeresse et fatale, serait le feu de l'enfer, le serpent de la légende; et l'erreur tourmentée dont alors elle serait pleine, les pleurs et le grincement de dents des êtres avortés qu'elle dévore, le fantôme de la vie qui leur échappe, et semble insulter à leur supplice, tout cela serait le diable ou Satan.

Les actions mal dirigées par le vertige de la lumière astrale, les mirages trompeurs de plaisir, de richesse et de gloire dont les hallucinations sont pleines, seraient les pompes et les oeuvres de l'enfer.

Le père Hilarion Tissot croit que toutes les maladies nerveuses accompagnées d'hallucinations et de délire sont des possessions du diable, et en comprenant les choses dans le sens des kabbalistes, il aurait pleinement raison.

Tout ce qui livre notre âme à la fatalité des vertiges est vraiment infernal, puisque le ciel est le règne éternel de l'ordre, de l'intelligence et de la liberté.

Les possédés de l'Évangile fuyaient devant Jésus-Christ, les oracles se taisaient devant les apôtres, et les malades d'hallucinations ont toujours manifesté une répugnance invincible pour les initiés et les sages.

La cessation des oracles et des possessions était une preuve du triomphe de la liberté humaine sur la fatalité. Quand les maladies astrales se montrent de nouveau, c'est un signe funeste qui annonce l'affaiblissement des âmes. Des commotions fatales suivent toujours ces manifestations. Les convulsions durèrent jusqu'à la révolution française, et les fanatiques de Saint-Médard en avaient prédit les sanglantes calamités.

Le célèbre criminaliste Torreblanca, qui a étudié à fond les questions de magie diabolique, en décrivant les opérations du démon, décrit précisément tous les phénomènes de perturbation astrale. Voici quelques numéros du sommaire de son chapitre XV de la Magie opératrice:

1. L'effort continuel du démon est tendu pour nous pousser dans l'erreur.

2. Le démon trompe les sens en troublant l'imagination, dont il ne saurait pourtant changer la nature.

3. Des apparences qui frappent la vue de l'homme se forme immédiatement un corps imaginaire dans l'entendement, et tant que dure le fantôme, les apparences l'accompagnent.

4. Le démon détruit l'équilibre de l'imagination par le trouble des fonctions vitales, soit maladie, soit irrégularité dans la santé.

5 et 6. Quand l'équilibre de l'imagination et de la raison est détruit par une cause morbide, on rêve tout éveillé, et l'on peut voir avec une apparence réelle ce qui n'existe réellement pas.

7. La vue cesse d'être juste quand l'équilibre est troublé dans la perception mentale des images.

8 et 9. Exemples de maladies où l'on voit les objets doubles, etc.

10. Les visions sortent de nous et sont des reflets de notre propre image.

11. Les anciens connaissaient deux maladies qu'ils nommaient, l'une frénésie (φρενιτις), l'autre corybantisme (κορυβαντιάσμος), dont l'une fait voir des formes imaginaires, l'autre fait entendre des voix et des sons qui n'existent pas, etc.

Il résulte de ces assertions, d'ailleurs fort remarquables, que Torreblanca attribue les maladies au démon, et que par le démon il entend la maladie elle-même; ce que nous entendrions bien volontiers avec lui si l'autorité dogmatique le permettait.

Les efforts continuels de la lumière astrale pour dissoudre et absorber les êtres appartiennent à sa nature même; elle ronge comme l'eau, à cause de ses courants continuels; elle dévore comme le feu, parce qu'elle est l'essence même du feu et sa force dissolvante.

L'esprit de perversité et l'amour de la destruction chez les êtres qu'elle domine n'est que l'instinct de cette force. C'est aussi un résultat de la souffrance de l'âme qui vit d'une vie incomplète et se sent déchirée par des tiraillements en sens contraires. Elle aspire à en finir, et craint cependant de mourir seule, elle voudrait donc anéantir avec elle la création tout entière.

Cette perversité astrale se manifeste ordinairement par la haine des enfants. Une force inconnue porte certains malades à les tuer, des voix impérieuses demandent leur mort. Le docteur Brierre de Boismont cite des exemples terribles de cette manie qui nous rappelle les crimes de Papavoine et d'Henriette Cornier 11.

Note 11: (retour) Histoire des hallucinations, 2e édition, 1853.

Les malades de perversion astrales sont malveillants et s'attristent de la joie des autres. Ils ne veulent pas surtout qu'on espère; ils savent trouver les paroles les plus navrantes et les plus désespérantes, même lorsqu'ils cherchent à consoler, parce que la vie est pour eux une souffrance et parce qu'ils ont le vertige de la mort.

C'est aussi la perversion astrale et l'amour de la mort qui font abuser des oeuvres de la génération, qui portent à en pervertir l'usage ou à les flétrir par des moqueries sacriléges et des plaisanteries honteuses. L'obscénité est un blasphème contre la vie.

Chacun de ces vices s'est personnifié en une idole noire ou un démon qui est une image négative et défigurée de la divinité qui donne la vie; ce sont les idoles de la mort.

Moloch est la fatalité qui dévore les enfants.

Satan et Nisroch sont les dieux de la haine, de la fatalité et du désespoir.

Astarté, Lilith, Nahéma, Astaroth, sont les idoles de la débauche et de l'avortement.

Adramelech est le dieu du meurtre.

Bélial, celui de la révolte éternelle et de l'anarchie. Conceptions funèbres d'une raison près de s'éteindre qui adore lâchement son bourreau pour obtenir de lui qu'il fasse cesser son supplice en achevant de la dévorer!

Le vrai nom de Satan, disent les kabbalistes, c'est le nom de Jéhovah renversé, car Satan n'est pas un dieu noir, c'est la négation de Dieu. Le diable est la personnification de l'athéisme ou de l'idolâtrie.

Pour les initiés, ce n'est pas une personne, c'est une force créée pour le bien, et qui peut servir au mal; c'est l'instrument de la liberté. Ils représentaient cette force qui préside à la génération physique sous la forme mythologique et cornue du dieu Pan; de là est venu le bouc du sabbat, le frère de l'ancien serpent, et le porte-lumière ou phosphore dont les poëtes on fait le faux Lucifer de la légende.


CHAPITRE IV.

DES DERNIERS PAÏENS.

SOMMAIRE.--Apollonius de Tyane; sa vie et ses prodiges.--Essais de Julien pour galvaniser l'ancien culte.--Ses évocations.--Jamblique et Maxime de Tyr.--Commencement des sociétés secrètes et pratiques défendues de la magie.


Le miracle éternel de Dieu, c'est l'ordre immuable de sa providence dans les harmonies de la nature; les prodiges sont des désordres et ne doivent être attribués qu'aux défaillances de la créature. Le miracle divin est donc une réaction providentielle pour rétablir l'ordre troublé. Lorsque Jésus guérissait les possédés, il les calmait et faisait cesser leurs actes merveilleux; lorsque les apôtres apaisaient l'exaltation des pythonisses, ils faisaient cesser la divination. L'esprit d'erreur est un esprit d'agitation et de subversion; l'esprit de vérité porte partout avec lui le calme et la paix.

Telle fut l'action civilisatrice du christianisme naissant; mais les passions amies du trouble ne devaient pas lui laisser sans combats la palme de sa facile victoire. Le polythéisme expirant demanda des forces à la magie des anciens sanctuaires; aux mystères de l'Évangile on opposa encore ceux d'Éleusis. Apollonius de Tyane fut mis en parallèle avec le Sauveur du monde; Philostrate se chargea de faire une légende à ce dieu nouveau, puis vint l'empereur Julien, qui eût été adoré si le javelot qui le tua n'avait en même temps porté le dernier coup à l'idolâtrie césarienne; la renaissance violente et surannée d'une religion morte dans ses formes fut un véritable avortement, et Julien dut périr avec l'enfant décrépit qu'il s'efforçait de remettre au monde.

Ce n'en furent pas moins deux grands et curieux personnages que cet Apollonius et ce Julien, et leur histoire fait époque dans les annales de la magie.

En ce temps-là, les légendes allégoriques étaient à la mode; les maîtres incarnaient leur doctrine dans leur personne, et les disciples initiés écrivaient des fables qui renfermaient les secrets de l'initiation. L'histoire d'Apollonius par Philostrate, absurde si l'on veut la prendre à la lettre, est très curieuse si l'on veut, d'après les données de la science, en examiner les symboles. C'est une sorte d'évangile païen opposé aux Évangiles du christianisme; c'est toute une doctrine secrète qu'il nous est donné d'expliquer et de reconstruire.

Ainsi, le chapitre premier du livre troisième de Philostrate est consacré à la description de l'Hyphasis, fleuve merveilleux qui prend sa source dans une plaine et se perd dans des régions inaccessibles. L'Hyphasis représente la science magique, dont les premiers principes sont simples et les conséquences très difficiles à bien déduire. Les mariages sont inféconds dit Philostrate, s'ils ne sont pas consacrés avec le baume des arbres qui croissent aux bords de l'Hyphasis.

Les poissons de ce fleuve sont consacrés à Vénus; ils ont la crête bleue, les écailles de diverses couleurs et la queue de couleur d'or; ils relèvent cette queue quand ils veulent. Il y a aussi dans ce fleuve un animal semblable à un ver blanc; cet insecte fondu rend une huile brûlante qu'on ne peut garder que dans du verre. Ce n'est que pour le roi qu'on prend cet animal, parce qu'il est d'une force à renverser les murailles; sa graisse mise à l'air prend feu, et rien au monde n'est capable alors d'éteindre l'incendie.

Par les poissons du fleuve Hyphasis, Apollonius entend la configuration universelle, bleue d'un côté, multicolore au centre, dorée à l'autre pôle, comme les expériences magnétiques nous l'ont récemment fait connaître. Le ver blanc de l'Hyphasis c'est la lumière astrale, qui, condensée par un triple feu, se résoud en une huile qui est la médecine universelle. On ne peut garder cette huile que dans du verre, parce que le verre n'est pas conducteur de la lumière astrale, ayant peu de porosité; ce secret est gardé pour le roi, c'est-à-dire pour l'initié du premier ordre, car il s'agit d'une force capable de renverser des villes. Les grands secrets sont indiqués ici avec la plus grande clarté.

Dans le chapitre suivant, Philostrate parle des licornes. Il dit qu'on fait de leur corne des gobelets dans lesquels on doit boire pour se préserver de tous les poisons. La corne unique de la licorne représente l'unité hiérarchique: aussi, dit Philostrate, d'après Damis, ces gobelets sont réservés pour les rois. Heureux, dit Apollonius, celui qui ne s'enivrerait jamais qu'en buvant dans un pareil verre!

Damis dit aussi qu'Apollonius trouva une femme blanche jusqu'au sein et noire depuis le sein jusqu'en haut. Ses disciples étaient effrayés de ce prodige; mais Apollonius, qui savait ce qu'elle était, lui tendit la main. C'est, dit-il, la Vénus des Indes, et ses deux couleurs sont celles du boeuf Apis adoré des Égyptiens. Cette femme noire et blanche, c'est la science magique dont les membres blancs, c'est-à-dire les formes créées, révèlent la tête noire, c'est-à-dire la cause suprême ignorée des hommes. Philostrate et Damis le savaient bien, et sous ces emblèmes ils écrivaient avec discrétion la doctrine d'Apollonius. Les chapitres V, VI, VII, VIII, IX et X du troisième livre de la Vie d'Apollonius par Philostrate, contiennent le secret du grand oeuvre. Il s'agit des dragons qui défendent l'abord du palais des sages. Il y a trois sortes de dragons: ceux des marais, ceux de la plaine et ceux de la montagne. La montagne, c'est le soufre; le marais, c'est le mercure; la plaine, c'est le sel des philosophes. Les dragons de la plaine ont sur le dos des pointes en forme de scie, c'est la puissance acide du sel. Les dragons des montagnes ont les écailles de couleur dorée, ils ont une barbe d'or, et en rampant ils font un bruit semblable au tintement du cuivre; ils ont dans la tête une pierre qui opère tous les miracles; ils se plaisent au bord de la mer Rouge, et on les prend au moyen d'une étoffe rouge sur laquelle sont brodées des lettres d'or; ils reposent la tête sur ces lettres enchantées et s'endorment, on leur coupe alors la tête avec une hache. Qui ne reconnaît ici la pierre des philosophes, le magistère au rouge, et le fameux regimen ignis, ou gouvernement du feu, exprimé par les lettres d'or? Sous le nom de citadelle des sages, Philostrate décrit ensuite l'Athanor. C'est une colline toujours entourée d'un brouillard, ouverte du côté méridional; elle contient un puits large de quatre pas, d'où sort une vapeur azurée qui monte par la chaleur du soleil en déployant toutes les couleurs de l'arc-en-ciel; le fond du puits est sablé d'arsenic rouge; près du puits est un bassin plein de feu, d'où sort une flamme plombée, sans odeur et sans fumée, qui n'est jamais plus haute ni plus basse que les bords du bassin; là se trouvent aussi deux récipients de pierre noire contenant l'un la pluie et l'autre le vent. Quand la sécheresse est excessive, on ouvre le tonneau de la pluie, et il en sort des nuages qui humectent tout le pays. On ne saurait décrire plus exactement le feu secret des philosophes et ce qu'ils nomment leur bain-marie. On voit par ce passage que les anciens alchimistes, dans leur grand oeuvre, employaient l'électricité, le magnétisme et la vapeur.

Philostrate parle ensuite de la pierre philosophale, qu'il nomme indifféremment pierre ou lumière. «Il n'est permis à aucun profane de la chercher, car elle s'évanouit, si l'on ne sait pas la prendre avec les procédés de l'art. Les sages seuls, au moyen de certaines paroles et de certains rites, peuvent trouver la pantarbe, c'est le nom de cette pierre, qui de nuit a l'apparence d'un feu, étant enflammée et étincelante; et si on la regarde de jour, elle éblouit. Cette lumière est une matière subtile d'une force admirable, car elle attire tout ce qui est proche.» (Philostrate, Vie d'Apollonius de Tyane, livre III, chapitre XLVI.)

Cette révélation des doctrines secrètes d'Apollonius prouve que la pierre philosophale n'est autre chose qu'un aimant universel formé de lumière astrale condensée et fixée autour d'un centre. C'est un phosphore artificiel dont tant d'allégories et de traditions ne sauraient laisser l'existence douteuse, et dans lequel se concentrent toutes les vertus de la chaleur génératrice du monde.

Toute la vie d'Apollonius écrite par Philostrate, d'après Damis l'Assyrien, est un tissu d'apologues et de paraboles; c'était la mode alors d'écrire ainsi la doctrine cachée des grands initiateurs. On ne doit donc pas s'étonner de ce que ce récit contient des fables, mais sous l'allégorie de ces fables il faut trouver et comprendre la science occulte des hiérophantes.

Malgré sa grande science et ses brillantes vertus, Apollonius n'était pas le continuateur de l'école hiérarchique des mages. Son initiation venait des Indes, et il se livrait pour s'inspirer aux pratiques énervantes des brahmes; il prêchait ouvertement la révolte et le régicide: c'était un grand caractère égaré.

La figure de l'empereur Julien nous parait plus poétique et plus belle que celle d'Apollonius. Julien porta sur le trône du monde toute l'austérité d'un sage; il voulait transfuser la jeune sève du christianisme au corps de l'hellénisme vieilli. Noble insensé coupable seulement de trop aimer les souvenirs de la patrie et les images des dieux de ses pères. Julien, pour contre-balancer la puissance réalisatrice du dogme chrétien, appela aussi la magie noire à son aide, et s'enfonça, à la suite de Jamblique et de Maxime d'Éphèse, dans de ténébreuses évocations; ses dieux, dont il voulait ressusciter la beauté et la jeunesse, lui apparurent vieux et décrépits, inquiets de la vie et de la lumière et prêts à fuir devant le signe de la croix!

C'était fait pour toujours de l'hellénisme, le Galiléen avait vaincu. Julien mourut en héros, sans blasphémer son vainqueur, comme on l'a faussement prétendu. Ses derniers moments, qu'Ammien Marcellin nous raconte assez au long, furent ceux d'un guerrier et d'un philosophe; les malédictions du sacerdoce chrétien retentirent longtemps sur sa tombe, et cependant le Sauveur, qui doit tant aimer les nobles âmes, n'a-t-il pas pardonné à des adversaires moins intéressants et moins généreux que Julien?

Après la mort de cet empereur, l'idolâtrie et la magie furent enveloppées dans une même réprobation universelle. C'est alors que prirent naissance ces sociétés secrètes d'adeptes auxquelles se rallièrent plus tard les gnostiques et les manichéens; sociétés dépositaires d'une tradition mélangée de vérités et d'erreurs, mais qui se transmettaient, sous le sceau du serment le plus terrible, le grand arcane de l'ancienne toute-puissance et les espérances toujours trompées des cultes éteints et des sacerdoces déchus.


CHAPITRE V.

DES LÉGENDES.

SOMMAIRE.--La légende de saint Cyprien et de sainte Justine.--L'oraison de saint Cyprien.--L'âne d'or d'Apulée.--La fable de Psyché.--La procession d'Isis.--Étrange supposition de saint Augustin.--Philosophie des Pères de l'Église.


Les étranges récits contenus dans la légende dorée, quelque fabuleux qu'ils soient, n'en remontent pas moins à la plus haute antiquité chrétienne. Ce sont des paraboles plutôt que des histoires; le style en est simple et oriental comme celui des Évangiles, et leur existence traditionnelle prouve qu'une sorte de mythologie avait été inventée pour cacher les mystères kabbalistiques de l'initiation joannite. La légende dorée est un talmud chrétien écrit tout en allégories et en apologues. Étudiée sous ce point de vue tout nouveau à force d'être ancien, la légende dorée devient un livre de la plus grande importance et du plus haut intérêt.

Un des récits de cette légende pleine de mystères caractérise le conflit de la magie et du christianisme naissant d'une manière tout à fait dramatique et saisissante. C'est comme une ébauche anticipée des Martyrs de Chateaubriand et du Faust de Goethe fondus ensemble.

Justine était une jeune et belle vierge païenne, fille d'un prêtre des idoles, le type de Cymodocée. Sa fenêtre s'ouvrait sur une cour voisine de l'église des chrétiens; tous les jours elle entendait la voix pure et recueillie d'un diacre lire tout haut les saints Évangiles. Cette parole inconnue toucha et remua son coeur, si bien qu'un soir sa mère la voyant pensive et la pressant de lui confier les préoccupations de son âme, Justine se jeta à ses pieds en lui disant: «Mère, bénissez-moi ou pardonnez-moi, je suis chrétienne.»

La mère pleura en embrassant sa fille, et alla rejoindre son époux, à qui elle confia ce qu'elle venait d'apprendre.

Ils s'endormirent ensuite et eurent tous deux le même rêve. Une lumière divine descendait sur eux, et une voix douce les appelait en leur disant: «Venez à moi, vous qui êtes affligés et je vous consolerai; venez, les bien-aimés de mon père, et je vous donnerai le royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde.

Le matin venu, le père et la mère bénirent leur fille. Tous trois se firent inscrire au nombre des Catéchumènes, et, après les épreuves d'usage, ils furent admis au saint baptême.

Justine revenait blanche et radieuse de l'Église entre sa mère et son vieux père, lorsque deux hommes sombres, enveloppés dans leur manteau, passèrent comme Faust et Méphistophélès près de Marguerite: c'étaient le magicien Cyprien et son disciple Acladius. Les deux hommes s'arrêtèrent éblouis par cette apparition, Justine passa sans les voir et rentra chez elle avec sa famille.

La scène change, nous sommes dans le laboratoire de Cyprien, des cercles sont tracés, une victime égorgée palpite près d'un réchaud fumant; debout devant le magicien apparaît le génie des ténèbres.

--Me voici, car tu m'as appelé, parle! que me demandes-tu?

--J'aime une vierge.

--Séduis-la.

--Elle est chrétienne.

--Dénonce-la.

--Je veux la posséder et non la perdre; peux-tu quelque chose pour moi?

--J'ai séduit Ève, qui était innocente et qui s'entretenait tous les jours familièrement avec Dieu même. Si ta vierge est chrétienne, sache bien que c'est moi qui ai fait crucifier Jésus-Christ.

--Donc, tu me la livreras?

--Prends cet onguent magique, tu en graisseras le seuil de sa demeure, le reste me regarde.

Voici maintenant Justine qui dort dans sa petite chambre chaste et sévère, Cyprien est à la porte murmurant des paroles sacrilèges et accomplissant d'horribles rites; Satan se glisse au chevet de la jeune fille et lui souffle des rêves voluptueux pleins de l'image de Cyprien qu'elle croit rencontrer encore au sortir de l'Église; mais cette fois elle le regarde, elle l'écoute, et il lui dit des choses qui mettent le trouble dans son coeur; tout à coup elle s'agite, elle s'éveille et fait le signe de la croix; le démon disparaît et le séducteur, qui fait sentinelle à la porte, attend inutilement toute la nuit.

Le lendemain il recommence ses évocations, et il fait d'amers reproches à son infernal complice; celui-ci avoue son impuissance. Cyprien le chasse honteusement et fait apparaître un démon d'un ordre supérieur. Le nouveau venu se transforme tour à tour en jeune fille et en beau garçon pour tenter Justine par des conseils et des caresses. La vierge va succomber, mais son bon ange l'assiste; elle joint le souffle au signe de la croix et chasse le mauvais esprit. Cyprien alors invoque le roi des enfers. Satan vient en personne. Il frappe Justine de toutes les douleurs de Job et répand une peste affreuse dans Antioche, en faisant dire aux oracles que la peste cessera quand Justine apaisera Vénus et l'amour outragés. Justine prie publiquement pour le peuple, et la peste cesse. Satan est vaincu à son tour, Cyprien le contraint d'avouer la toute-puissance du signe de la croix et le brave en se marquant de ce signe. Il abjure la magie, il est chrétien, il devient évêque et retrouve Justine dans un monastère de vierges; ils s'aiment alors du pur et durable amour de la céleste charité, la persécution les atteint; on les arrête ensemble, ils sont mis à mort le même jour et vont consommer au sein de Dieu leur mariage mystique et éternel.

La légende fait saint Cyprien évêque d'Antioche, tandis que l'histoire ecclésiastique le fait évêque de Carthage. Peu importe d'ailleurs que ce soit ou non le même. L'un est un personnage poétique, l'autre est un père de l'Église et un martyr.

On trouve dans les anciens grimoires une oraison attribuée au saint Cyprien de la légende et qui est peut-être du saint évêque de Carthage. Les expressions obscures et figurées dont elle est remplie, auront peut-être fait supposer qu'avant d'être évêque et chrétien, Cyprien s'était adonné aux pratiques funestes de la magie noire.

En voici la traduction:

«Moi, Cyprien, serviteur de notre Seigneur Jésus-Christ, j'ai prié Dieu le père tout-puissant, et j'ai dit: tu es le Dieu fort, mon Dieu tout-puissant qui habites dans la grande lumière! Tu es saint et digne de louange, et depuis le temps ancien, tu as vu la malice de ton serviteur et les iniquités dans lesquelles j'étais plongé par la malice du démon. Je ne savais pas alors ton vrai nom, je passais au milieu des brebis et elles étaient sans pasteur. Les nuages ne pouvaient donner leur rosée à la terre, les arbres restaient sans fruits et les femmes en travail ne pouvaient être délivrées; je liais et je ne déliais point, je liais les poissons de la mer et ils n'étaient point libres, je liais les sentiers de la mer et je retenais ensemble bien des maux. Mais maintenant, Seigneur Jésus-Christ, mon Dieu, j'ai connu ton saint nom et je l'ai aimé, et je me suis converti de tout mon coeur, de toute mon âme et de toutes mes entrailles, me détournant de la multitude de mes fautes pour marcher dans ton amour et suivant tes commandements qui sont ma foi et ma prière. Tu es le verbe de vérité, la parole unique du père, et je te conjure maintenant de rompre la chaîne des nuées et de faire descendre sur tes enfants ta pluie bienfaisante comme du lait, et de délier les fleuves et de rendre libres les créatures qui nagent ainsi que celles qui volent; je te conjure de briser toutes les chaînes et toutes les entraves par la vertu de ton saint nom!»

Cette prière est évidemment très ancienne et elle renferme des souvenirs très remarquables des figures primitives de l'ésotérisme chrétien aux premiers siècles.

La qualification d'aurea ou dorée donnée à la légende fabuleuse des saints allégoriques en indique assez le caractère. L'or aux yeux des initiés est de la lumière condensée, ils appellent nombres d'or les nombres sacrés de la kabbale, vers dorés de Pythagore, les enseignements moraux de ce philosophe, et c'est pour la même raison qu'un livre mystérieux d'Apulée où un âne joue un grand rôle a été appelé l'âne d'or.

Les païens accusaient les chrétiens d'adorer un âne, et ils n'avaient point inventé cette injure, elle venait des juifs de Samarie qui, figurant les données de la kabbale sur la divinité par des symboles égyptiens, représentaient aussi l'intelligence par la figure de l'étoile magique adorée sous le nom de Rempham, la science sous l'emblème d'Anubis dont ils changeaient le nom en celui de Nibbas, et la foi vulgaire ou la crédulité sous la figure de Thartac, dieu qu'on représentait avec un livre, un manteau et une tête d'âne; suivant les docteurs samaritains, le christianisme était le règne de Thartac; c'étaient la foi aveugle et la crédulité vulgaire érigées en oracle universel et préférées à l'intelligence et à la science. C'est pourquoi dans leurs rapports avec les gentils, lorsqu'ils entendaient ceux-ci les confondre avec les chrétiens, ils se récriaient et priaient qu'on ne les confondît pas avec les adorateurs exclusifs de la tête d'âne.

Cette prétendue révélation fit beaucoup rire les philosophes, et Tertullien parle d'une caricature romaine exposée de son temps où l'on voyait Thartac dans toute sa gloire avec cette inscription qui fit rire Tertullien lui-même, auteur, comme l'on sait, du fameux credo quia absurdum: tête d'âne, Dieu des chrétiens.

L'âne d'or d'Apulée est la légende occulte de Thartac. C'est une épopée magique et une satyre contre le christianisme, que l'auteur avait sans doute professé pendant quelque temps. C'est du moins ce qu'il semble dire sous l'allégorie de sa métamorphose en âne.

Voici le sujet du livre d'Apulée: Il voyage en Thessalie, pays des enchantements; il reçoit l'hospitalité chez un homme dont la femme est sorcière; il séduit la servante de cette femme et croit surprendre par ce moyen les secrets de la maîtresse. La servante veut en effet livrer à son amant une composition au moyen de laquelle la sorcière se métamorphose en oiseau, mais elle se trompe de boîte et Apulée se trouve métamorphosé en âne.

La maladroite amante le console en lui disant que pour reprendre sa première forme il suffit de manger des roses, la rose est la fleur de l'initiation. Mais où trouver des roses pendant la nuit? Il faut attendre au lendemain. La servante mène l'âne à l'écurie, des voleurs surviennent, l'âne est pris et emmené. Plus moyen depuis lors de s'approcher des roses, les roses ne sont pas faites pour les ânes, et les jardiniers le chassent à coups de bâton.

Pendant sa longue et triste captivité il entend raconter l'histoire de Psyché, cette histoire merveilleuse et symbolique qui est comme l'âme et la poésie de la sienne. Psyché a voulu surprendre les secrets de l'amour comme Apulée ceux de la magie, elle a perdu l'amour, et lui la forme humaine; elle est errante, exilée, soumise à la colère de Vénus, il est esclave des voleurs. Mais Psyché doit remonter au ciel après avoir traversé l'enfer, et Lucius sera pris en pitié par les dieux. Isis lui apparaît en songe et lui promet que son prêtre averti par une révélation lui donnera des roses pendant les solennités de sa fête prochaine. Cette fête arrive, et Apulée décrit longuement la procession d'Isis, description précieuse pour la science, car on y trouve la clé des mystères égyptiens; des hommes déguisés marchent les premiers portant des animaux grotesques; ce sont les fables vulgaires: puis viennent des femmes semant des fleurs avec des miroirs sur leurs épaules qui réfléchissent l'image de la grande divinité. Ainsi les hommes vont en avant et formulent les dogmes que les femmes embellissent et reflètent sans le savoir par leur instinct maternel des vérités plus élevées; des hommes et des femmes viennent ensuite portant la lumière: c'est l'alliance des deux termes, l'actif et le passif générateurs de la science et de la vie.

Après la lumière, vient l'harmonie, représentée par de jeunes musiciens. Puis enfin les images des dieux au nombre de trois, suivies par le grand hiérophante qui porte non pas l'image, mais le symbole de la grande Isis, une boule d'or surmontée d'un caducée.

Lucius Apuleius voit dans la main du grand prêtre une couronne de roses; il s'approche et on ne le repousse pas; il mange des roses et redevient homme.

Tout cela est savamment écrit et entremêlé d'épisodes tantôt héroïques, tantôt grivois, comme il convient à la double nature de Lucius et de l'âne. Apulée a été en même temps le Rabelais et le Swedenborg de l'ancien monde prêt à finir.

Les grands réalisateurs du christianisme ne comprirent pas ou affectèrent de ne pas comprendre le mysticisme d'Apulée. Saint Augustin, dans la Cité de Dieu, se demande de l'air du monde le plus sérieux s'il faut croire que réellement Apulée ait été métamorphosé en âne. Ce père se montra même assez disposé à l'admettre, mais seulement comme un phénomène exceptionnel et qui ne tire pas à conséquence. Si c'est une ironie de la part de saint Augustin, il faut convenir qu'elle est cruelle; si c'est une naïveté... Mais saint Augustin, le délié rhéteur de Madaure, n'avait guère l'habitude d'être naïf.

Bien aveugles et bien malheureux, en effet, étaient ces initiés aux antiques mystères qui riaient de l'âne de Bethléem sans apercevoir l'enfant-Dieu qui rayonnait sur les pacifiques animaux de la crèche et sur le front duquel se reposait l'étoile conciliatrice du passé et de l'avenir!

Pendant que la philosophie convaincue d'impuissance insultait au christianisme triomphant, les pères de l'Église s'emparaient de toutes les magnificences de Platon et créaient une philosophie nouvelle fondée sur la réalité vivante du Verbe divin toujours présent dans son église, renaissant dans chacun de ses membres, immortel dans l'humanité; rêve d'orgueil plus grand que celui de Prométhée, si ce n'était en même temps une doctrine toute d'abnégation et de dévouement, humaine parce qu'elle est divine, divine parce qu'elle est humaine!


CHAPITRE VI.

PEINTURES KABBALISTIQUES ET EMBLÈMES SACRÉS.

SOMMAIRE.--Ésotérisme de l'Église primitive.--Peintures kabbalistiques et emblèmes sacrés des premiers siècles.--Les vrais et les faux gnostiqnes.--Profanation de la gnose.--Rites impurs et sacriléges.--La magie noire érigée en culte par les sectaires.--Montan et ses prophétesses.--Marcos et son magnétisme.--Les dogmes du faux Zoroastre reproduits dans l'Arianisme.--Perte des vraies traditions kabbalistiques.


L'Église primitive, obéissant au précepte formel du Sauveur, ne livrait pas ses plus saints mystères aux profanations de la foule. On n'était reçu au baptême et à la communion que par des initiations progressives. On tenait cachés les livres saints dont la lecture entière et l'explication surtout étaient réservées au sacerdoce. Les images étaient alors moins nombreuses et surtout moins explicites. On s'abstenait de reproduire la figure même du Sauveur; les peintures des catacombes sont pour la plupart des emblèmes kabbalistiques: c'est la croix édénique avec les quatre fleuves dans lesquels viennent boire des cerfs; c'est le poisson mystérieux de Jonas remplacé souvent par un serpent bicéphale; c'est un homme sortant d'un coffre qui rappelle celui d'Osiris. Le gnosticisme devait faire proscrire plus tard toutes ces allégories dont il abusa pour matérialiser et profaner les traditions saintes de la kabbale des prophètes.

Le nom de gnostique ne fut pas toujours dans l'Église un nom proscrit. Ceux des pères dont la doctrine se rattachait aux traditions de saint Jean employèrent souvent cette dénomination pour désigner le chrétien parfait; on la trouve dans saint Irénée et dans saint Clément d'Alexandrie. Nous ne parlons pas ici du grand Synésius qui fut un kabbaliste parfait, mais un orthodoxe douteux.

Les faux gnostiques furent tous des rebelles à l'ordre hiérarchique qui voulurent niveler la science en la vulgarisant, substituer les visions à l'intelligence, le fanatisme personnel à la religion hiérarchique, et surtout la licence mystique des passions sensuelles à la sage sobriété chrétienne et à l'obéissance aux lois, mère des chastes mariages et de la tempérance conservatrice.

Produire l'extase par des moyens physiques et remplacer la sainteté par le somnambulisme, telle fut toujours la tendance de ces sectes caïniques continuatrices de la magie noire de l'Inde. L'Église devait les réprouver avec énergie, elle ne fit pas défaut à sa mission: il est à regretter seulement que le bon grain scientifique ait souvent souffert lorsqu'on promena le fer et le feu dans les campagnes envahies par l'ivraie.

Ennemis de la génération et de la famille, les faux gnostiques s'efforçaient de produire la stérilité en multipliant la débauche; ils voulaient, disaient-ils, spiritualiser la matière, et ils matérialisaient l'esprit de la manière la plus révoltante. Ce n'étaient dans leur théologie qu'accouplements d'Eones et embrassements luxurieux. Ils adoraient comme les Brahmes la mort sous la figure du Lingham, leur création était un onanisme infini et leur rédemption un avortement éternel!

Espérant échapper à la hiérarchie par le miracle comme si le miracle en dehors de la hiérarchie prouvait autre chose que le désordre ou la fourberie, les gnostiques, depuis Simon le magicien, étaient grands faiseurs de prodiges; substituant au culte régulier les rites impurs de la magie noire, ils faisaient apparaître du sang au lieu du vin eucharistique, et remplaçaient le paisible et pur banquet du céleste agneau par des communions d'anthropophages. L'hérésiarque Marcos, disciple de Valentin, disait la messe avec deux calices; dans le plus petit, il versait du vin, puis il prononçait la formule magique et l'on voyait le plus grand s'emplir d'une liqueur sanglante qui montait en bouillonnant. Marcos, qui n'était point prêtre, voulait prouver par là que Dieu l'avait revêtu d'un sacerdoce miraculeux. Il conviait tous ses disciples à accomplir sous ses yeux la même merveille. Les femmes surtout obtenaient un succès pareil au sien, puis elles tombaient en convulsions et en extase. Marcos soufflait sur elles et leur communiquait sa démence au point de les engager à oublier pour lui, et par esprit de religion, toute retenue et toute pudeur.

Cette intrusion de la femme dans le sacerdoce fut toujours le rêve des faux gnostiques; car en nivelant ainsi les sexes, ils introduisaient l'anarchie dans la famille et posaient à la société une pierre d'achoppement. Le sacerdoce réel de la femme c'est la maternité, et le culte de cette religion du foyer c'est la pudeur. Les gnostiques ne le comprenaient pas ou plutôt ils le comprenaient trop, et en égarant les instincts religieux de la mère ils renversaient la barrière sacrée qui s'opposait à la licence de leurs désirs.

Ils n'avaient cependant pas tous la triste franchise de l'impudeur. Quelques-uns, comme les Montanistes, exagéraient au contraire la morale afin de la rendre impraticable. Montan, dont les âpres doctrines séduisirent le génie extrême et paradoxal de Tertullien, s'abandonnait avec Priscille et Maximille ses prophétesses, on dirait aujourd'hui ses somnambules, à tout le dévergondage des frénésies et des extases. Le châtiment naturel de ces excès ne manqua pas à leurs auteurs, ils finirent par la folie furieuse et le suicide.

La doctrine des Marcosiens était une kabbale profanée et matérialisée; ils prétendaient que Dieu avait tout créé au moyen des lettres de l'alphabet; que ces lettres étaient autant d'émanations divines ayant par elles-mêmes la puissance génératrice des êtres; que les paroles étaient toutes puissantes et opéraient virtuellement et réellement des prodiges. Tout cela est vrai en un sens, mais ce sens n'était pas celui des sectateurs de Marcos. Ils suppléaient aux réalités par les hallucinations et croyaient se rendre invisibles parce que dans l'état de somnambulisme ils se transportaient mentalement où ils voulaient. Pour les faux mystiques la vie doit se confondre souvent avec le rêve jusqu'à ce qu'enfin le rêve triomphant déborde et submerge la réalité: c'est alors le règne complet de la folie.

L'imagination, dont la fonction naturelle est d'évoquer les images des formes, peut aussi, dans un état d'exaltation extraordinaire, produire les formes elles-mêmes; comme le prouvent les phénomènes des grossesses monstrueuses et une multitude de faits analogues que la science officielle ferait mieux d'étudier que de les nier avec obstination.

Ce sont ces créations désordonnées que la religion flétrit avec raison du nom de miracles diaboliques, et tels étaient les miracles de Simon, des Ménandriens et de Marcos.

De notre temps encore un faux gnostique nommé Vintras, actuellement réfugié à Londres, fait apparaître du sang dans des calices vides et sur des hosties profanées.

Ce malheureux tombe alors dans des extases comme Marcos, et prophétise le renversement de la hiérarchie et le prochain triomphe d'un prétendu sacerdoce tout de visions, d'expansions libres et d'amour. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

Après le panthéisme polymorphe des gnostiques, vint le dualisme de Manès. Ainsi se formula en dogme religieux la fausse initiation des pseudo-mages de la Perse. Le mal personnifié devint un Dieu rival de Dieu même. Il y eut un roi de la lumière et un roi des ténèbres, et c'est à cette époque qu'il faut faire remonter cette idée funeste contre laquelle nous protestons de toutes nos forces, de la souveraineté et de l'ubiquité de Satan. Nous ne prétendons ici nier ni affirmer la tradition de la chute des anges, nous en rapportant comme toujours en matière de foi aux décisions suprêmes et infaillibles de la sainte Église catholique, apostolique et romaine. Mais si les anges déchus avaient un chef avant leur chute, cette chute doit les avoir précipités dans une complète anarchie tempérée seulement par la justice inflexible de Dieu; séparé de la divinité qui est le principe de la force et plus coupable que les autres, le prince des anges rebelles ne saurait être que le dernier et le plus impuissant des réprouvés.

Si donc il existe dans la nature une force qui attire les créatures oublieuses de Dieu vers le péché et vers la mort, cette force, que nous ne refusons pas de reconnaître comme capable de servir d'instrument aux esprits déchus, serait la lumière astrale; nous revenons sur cette idée, et nous tenons à l'expliquer parfaitement, afin qu'on en comprenne bien toute la portée et toute l'orthodoxie.

Cette révélation d'un des grands secrets de l'occultéisme fera comprendre tout le danger des évocations, des expériences curieuses, des abus du magnétisme, des tables tournantes et de tout ce qui tient aux prodiges et aux hallucinations.

Arius avait préparé les succès du manichéisme par sa création hybride d'un fils de Dieu différent de Dieu même: c'était en effet supposer le dualisme en Dieu; c'était admettre l'inégalité dans l'absolu, l'infériorité dans la suprême puissance. La possibilité du conflit, sa nécessité même entre le père et le fils, puisque l'inégalité entre les termes du syllogisme divin devait amener forcément une conclusion négative. Le verbe de Dieu devait-il être le bien ou le mal? Dieu même ou le diable? Telle était la portée immense d'une diphthongue ajoutée au mot grec ομουσιος pour en faire ομοιουσιος! En déclarant le fils consubstantiel au père, le concile de Nicée sauva le monde, et c'est ce que ne peuvent comprendre ceux qui ne savent pas que les principes constituent réellement l'équilibre de l'univers.

Le gnoticisme, l'arianisme, le manichéisme, étaient sortis de la kabbale mal entendue. L'Église alors dut interdire aux fidèles l'étude si dangereuse de cette science dont le suprême sacerdoce devait seul se réserver les clefs. La tradition kabbalistique paraît, en effet, avoir été conservée par les souverains pontifes au moins jusqu'à Léon III, auquel on attribue un rituel occulte qui aurait été donné par ce pontife à l'empereur Charlemagne, et qui reproduit tous les caractères même les plus secrets des clavicules de Salomon. Ce petit livre qui devait rester caché ayant été divulgué plus tard, dut être condamné par l'Église et tomba dans le domaine de la magie noire. On le connaît encore sous le nom d'Enchiridion de Léon III, et nous en possédons un ancien exemplaire très rare et très curieux.

La perte des clefs kabbalistiques ne pouvait entraîner celle de l'infaillibilité de l'Église toujours assistée de l'esprit saint, mais elle jeta de grandes obscurités dans l'exégèse et rendit complétement inintelligibles les grandes figures de la prophétie d'Ézéchiel et de l'apocalypse de saint Jean.

Puissent les successeurs légitimes de saint Pierre accepter l'hommage de ce livre et bénir les travaux du plus humble de leurs enfants, qui croit avoir trouvé une des clefs de la science et qui vient la déposer aux pieds de celui auquel seul il appartient d'ouvrir et de fermer les trésors de l'intelligence et de la foi!



CHAPITRE VII.

PHILOSOPHES DE L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE.

SOMMAIRE.--Dernières luttes et alliances définitives de l'ancienne initiation et du christianisme triomphant--Hypatie et Synésius.--Saint Denys l'aréopagiste.


L'école de Platon, prête à s'éteindre, jeta dans Alexandrie une grande lumière; mais déjà le christianisme, triomphant après trois siècles de combats, s'était assimilé tout ce qu'il y avait de vrai et de durable dans les doctrines de l'antiquité. Les derniers adversaires de la religion nouvelle croyaient arrêter la marche des hommes vivants en galvanisant des momies. Le combat ne pouvait déjà plus être sérieux et les païens de l'école d'Alexandrie travaillaient contre leur gré et à leur insu au monument sacré qu'élevaient pour dominer tous les âges les disciples de Jésus de Nazareth.

Ammonius Saccas, Plotin, Porphyre, Proclus sont de grands noms pour la science et pour la vertu. Leur théologie était élevée, leur doctrine morale, leurs moeurs austères. Mais la plus grande et la plus touchante figure de cette époque, la plus brillante étoile de cette pléiade, fut Hypathie, fille de Théon, cette chaste et savante fille que son intelligence et ses vertus devaient conduire au baptême mais qui mourut martyre de la liberté de conscience lorsqu'on entreprit de l'y traîner.

A l'école d'Hypathie se forma Synésius de Cyrène qui fut plus tard évêque de Ptolémaïde, l'un des plus savants philosophes et le plus grand poète du christianisme des premiers siècles; c'était lui qui écrivait:

«Le peuple se moquera toujours des choses faciles à comprendre, il a besoin d'impostures.»

Lorsqu'on voulut l'élever à la dignité épiscopale, il disait dans une lettre adressée à un de ses amis:

«Un esprit ami de la sagesse et qui contemple de près la vérité est forcé de la déguiser pour la faire accepter aux multitudes. Il y a en effet une grande analogie entre la lumière et la vérité, comme entre nos yeux et les intelligences ordinaires. Si l'oeil recevait tout à coup une lumière trop abondante, il serait ébloui, et les lueurs tempérées d'ombres sont plus utiles à ceux dont la vue est encore faible; c'est pour cela que, selon moi, les fictions sont nécessaires au peuple, et que la vérité devient funeste à ceux qui n'ont pas la force de la contempler dans tout son éclat. Si donc les lois sacerdotales permettent la réserve des jugements et l'allégorie des paroles, je pourrai accepter la dignité qu'on me propose, à condition qu'il me sera permis d'être philosophe chez moi et au dehors narrateur d'apologues et de paraboles.... Que peuvent avoir de commun, en effet, la vile multitude et la sublime sagesse? La vérité doit être tenue secrète et les foules ont besoin d'un enseignement proportionnel à leur imparfaite raison.»

Synésius eut tort d'écrire de pareilles choses. Quoi de plus maladroit, en effet, que de laisser voir une arrière-pensée lorsqu'on est chargé d'un enseignement public? C'est d'après de pareilles indiscrétions que bien des gens vont répétant encore de nos jours: il faut une religion pour le peuple! Mais qu'est-ce que le peuple? Personne ne veut en être lorsqu'il s'agit d'intelligence et de moralité.

Le livre le plus remarquable de Synésius est un Traité des songes. Il y développe les pures doctrines kabbalistiques et s'élève comme théosophe à une hauteur qui rend son style obscur et qui l'a fait soupçonner d'hérésie; mais il n'y avait en lui ni l'entêtement ni le fanatisme d'un sectaire. Il vécut et mourut dans la paix de l'Église, exposant franchement ses doutes, mais se soumettant à l'autorité hiérarchique: son clergé et son peuple ne voulurent rien exiger de plus.

Suivant Synésius, l'état de rêve prouve la spécialité et l'immatérialité de l'âme qui se crée alors un ciel, des campagnes, des palais inondés de lumière, ou des cavernes sombres, suivant ses affections et ses désirs. On peut juger du progrès moral par les habitudes des rêves, car en cet état le libre arbitre est suspendu, et la fantaisie s'abandonne tout entière aux instincts dominants. Les images se produisent alors, soit comme un reflet, soit comme une ombre de la pensée. Les pressentiments y prennent un corps, les souvenirs se mêlent aux espérances. Le livre des rêves s'écrit alors en caractères tantôt splendides tantôt obscurs, mais on peut trouver des règles certaines pour le déchiffrer et pour le lire.

Jérôme Cardan a écrit un long commentaire sur le Traité des songes de Synésius, et l'a en quelque sorte complété par un dictionnaire de tous les songes avec leur explication. Ce travail n'a rien de commun avec les petits livres ridicules qu'on trouve dans la librairie de pacotille, et il appartient réellement à la bibliothèque sérieuse des sciences occultes.

Quelques critiques ont attribué à Synésius les livres extrêmement remarquables qui portent le nom de saint Denis l'Aréopagite; ce qui est maintenant généralement reconnu, c'est qu'ils sont apocryphes et appartiennent à la belle époque de l'école d'Alexandrie. Ces livres, dont on ne peut comprendre toute la sublimité si l'on n'est initié aux secrets de la haute kabbale, sont le véritable monument de la conquête de cette science par le christianisme. Les principaux traités sont ceux des noms divins, de la hiérarchie dans le ciel et de la hiérarchie dans l'Église. Le traité des noms divins explique en les simplifiant tous les mystères de la théologie rabbinique. Dieu, dit l'auteur, est le principe infini et indéfinissable parfaitement un et indicible, mais nous lui donnons des noms qui expriment nos aspirations vers cette perfection divine; l'ensemble de ces noms, leurs relations avec les nombres, composent ce qu'il y a de plus élevé dans la pensée humaine, et la théologie est moins la science de Dieu que celle de nos aspirations les plus sublimes. L'auteur établit ensuite sur l'échelle primitive des nombres tous les degrés de la hiérarchie spirituelle toujours régie par le ternaire. Les ordres angéliques sont au nombre de trois et chaque ordre contient trois choeurs. C'est sur ce modèle que la hiérarchie doit s'établir aussi sur la terre. L'Église en présente le type le plus parfait: il y a les princes de l'Église, les évêques et les simples ministres. Parmi les princes, on compte des cardinaux-évêques, des cardinaux-prêtres et des cardinaux-diacres; parmi les évêques, il y a les archevêques, les évêques et les prélats coadjuteurs; parmi les ministres, il y a les curés, les simples prêtres et les diacres. On s'élève à cette sainte hiérarchie par trois degrés préparatoires, le sous-diaconat, les ordres mineurs et la cléricature. Les fonctions de tous ces ordres correspondent à celles des anges et des saints, et doivent glorifier les noms divins triples pour chacune des trois personnes, puisque dans chacune des hypostases divines on adore la trinité tout entière. Cette théologie transcendentale était celle de la primitive Église, et peut-être ne l'a-t-on attribuée à saint Denis l'Aréopagite que par suite d'une tradition qui remontait au temps même des apôtres et de saint Denis, comme les rabbins rédacteurs du Sépher Jézirah ont attribué ce livre au patriarche Abraham, parce qu'il contient les principes de la tradition conservée de père en fils dans la famille de ce patriarche. Quoi qu'il en soit, les livres de saint Denis l'Aréopagite sont précieux pour la science; ils consacrent l'union des initiations de l'ancien monde avec la révélation du christianisme, en alliant une intelligence parfaite de la suprême philosophie avec l'orthodoxie la plus complète et la plus irréprochable.



LIVRE IV.

LA MAGIE ET LA CIVILISATION.

ד, Daleth.


CHAPITRE PREMIER.

MAGIE CHEZ LES BARBARES.

SOMMAIRE.--Le monde fantastique des sorciers.--Prodiges accomplis et monstres vaincus pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne.--La Gaule magique.--Philosophie secrète des druides.--Leur théogonie, leurs rites.--Évocations et sacrifices.--Mission et influence des eubages.--Origine du patriotisme français.--Médecine occulte.


La magie noire reculait devant la lumière du christianisme, Rome était conquise par la croix et les prodiges se réfugiaient dans ce cercle d'ombre que les provinces barbares faisaient autour de la nouvelle splendeur romaine. Entre un grand nombre de phénomènes étranges, en voici un qui fut constaté sous le règne de l'empereur Adrien:

A Tralles en Asie, une jeune fille noble nommée Philinnium, originaire de Corinthe, et fille de Démostratès et de Charito, s'était éprise d'un jeune homme de basse condition nommé Machatès. Un mariage était impossible, Philinnium, comme nous l'avons dit, était noble et c'était de plus une fille unique et [229] une riche héritière. Machatès était un homme du peuple et tenait une hôtellerie 12. La passion de Philinnium s'exaspéra par les obstacles; elle s'échappa de la maison paternelle, et vint trouver Machatès. Un commerce illégitime s'établit entre eux et dura six mois, après lesquels la jeune fille fut découverte par ses parents, reprise par eux et sévèrement séquestrée. On prit même des mesures pour quitter le pays et emmener Philinnium à Corinthe; mais alors la jeune fille, qui avait sensiblement dépéri depuis qu'elle était séparée de son amant, fut atteinte d'une maladie de langueur, elle ne souriait plus, ne dormait plus, refusait toute nourriture, et définitivement elle mourut.

Note 12: (retour) Cette circonstance, qui ne se trouve pas dans Phlégon, a été ajoutée par les démonographes français.


Imp. Caron-Delamarre, Quai des Gds Augustins, 17, Paris


Les parents renoncèrent alors à leur départ, et achetèrent un caveau funéraire où la jeune fille fut déposée couverte des plus riches vêtements. Cette sépulture était dans un enclos appartenant à la famille, où personne n'entra plus, car les païens n'avaient pas coutume d'aller prier près de la tombe des morts.

Machatès ignorait ce qu'était devenue sa maîtresse: tout s'était passé en secret, tant cette noble famille craignait le scandale. La nuit qui suivit la sépulture de Philinnium, le jeune homme était prêt à se coucher, lorsque sa porte s'ouvrit lentement, il s'avança tenant sa lampe à la main, et reconnut Philinnium magnifiquement parée, mais pâle, froide, et le regardant avec des yeux d'une effrayante Fixité.

Machatès courut à elle, la prit dans ses bras, lui fit mille questions et mille caresses, ils passèrent enfin la nuit ensemble, mais avant le jour Philinnium se leva et disparut pendant que son amant était encore plongé dans un profond sommeil.

La jeune fille avait une vieille nourrice qui la pleurait et qu'elle avait tendrement aimée. Peut-être cette femme avait-elle été complice des égarements de la pauvre morte, et depuis qu'on avait enseveli sa bien-aimée elle ne dormait plus, et se relevait souvent la nuit dans une sorte de délire pour aller rôder autour de la demeure de Machatès. Quelques jours donc après ce que nous venons de raconter, la nourrice passant le soir à une heure assez avancée près de la maison du jeune homme vit de la lumière dans sa chambre. Elle s'approcha, et regardant par les fentes de la porte, elle reconnut Philinnium qui était assise près de son amant, le contemplant sans rien dire et s'abandonnant à ses caresses.

La pauvre femme tout éperdue courut chez ses maîtres, éveilla la mère et lui raconta ce qu'elle venait de voir; la mère la traita d'abord de visionnaire et de folle, puis enfin vaincue par ses instances, elle se lève et se rend à la maison de Machatès. Tout dormait déjà, elle frappe, personne ne lui répond; elle regarde par les fentes de la porte, la lampe était éteinte, mais un rayon de la lune éclairait encore la chambre. Sur un siége, Charito reconnut les vêtements de sa fille et dans le lit, malgré l'ombre de l'alcôve, elle distingua la forme de deux personnes qui dormaient.

L'épouvante saisit la mère, elle retourna chez elle en chancelant, n'eut pas le courage de visiter le sépulcre de sa fille et passa le reste de la nuit dans l'agitation et dans les larmes.

Le lendemain elle retourna au logis de Machatès et le questionna avec douceur. Le jeune homme avoua que Philinnium revenait le voir toutes les nuits. «Pourquoi me la refuser, dit-il à la mère, nous sommes fiancés devant les dieux;» et, ouvrant un coffre, il montra à Charito l'anneau et la ceinture de sa fille. «Elle me les a donnés la nuit dernière, ajouta-t-il, en me jurant de n'appartenir jamais qu'à moi; ne cherchez donc plus à nous séparer puisqu'une promesse mutuelle nous réunit.

--Iras-tu donc à ton tour la trouver dans sa tombe, dit la mère. Philinnium est morte depuis quatre jours et c'est sans doute une sorcière ou une stryge qui aura pris sa figure pour te tromper; tu es le fiancé de la mort, demain tes cheveux blanchiront, après-demain on pourra t'ensevelir aussi, et c'est de cette manière que les dieux vengent l'honneur d'une famille outragée.»

Machatès pâlit et trembla en entendant ce langage, il craignit d'avoir été le jouet des puissances infernales; il dit à Charito d'amener son mari le soir même, il les ferait cacher près de sa chambre, et à l'heure où le fantôme entrerait, il donnerait un signal pour les prévenir.

Ils vinrent en effet, et à l'heure accoutumée Philinnium entra chez Machatès, qui s'était couché tout habillé et faisait semblant de dormir.

La jeune fille se déshabille et vient se placer près de lui, Machatès donne le signal, Démostratès et Charito entrent avec des flambeaux à la main, et poussent un grand cri en reconnaissant leur fille.

Philinnium alors lève sa tête, pâle puis elle se dresse tout entière sur le lit, et dit d'une voix creuse et terrible: «O mon père et ma mère, pourquoi avez-vous été jaloux de mon bonheur, et pourquoi me poursuivez-vous au delà même de la tombe? Mon amour avait fait violence aux dieux infernaux, la puissance de la mort était suspendue, trois jours encore et j'étais rendue à la vie! mais votre curiosité cruelle anéantit le miracle de la nature: vous me tuez une seconde fois!...»

En achevant ces paroles elle tomba sur le lit comme une masse inerte. Ses traits se flétrirent tout à coup, une odeur cadavéreuse remplit la chambre, et on ne vit plus que les restes défigurés d'une fille morte depuis cinq jours.

Le lendemain toute la ville fut bouleversée par la nouvelle de ce prodige. On courut au cirque où toute l'histoire fut publiquement racontée, puis la foule se porta au caveau mortuaire de Philinnium. La jeune fille n'y était plus, mais on trouva à sa place un anneau de fer et une coupe dorée qu'elle avait reçus en présents de Machatès. On retrouva le cadavre dans la chambre de l'hôtellerie; Machatès avait disparu.

Les devins furent consultés et ordonnèrent d'enterrer les restes de Philinnium hors de l'enceinte de la ville. On fit des sacrifices aux furies et au Mercure terrestre, on conjura les dieux mânes et l'on fit des offrandes à Jupiter hospitalier.

Phlégon, affranchi d'Adrien, qui fut témoin oculaire de ces faits et qui les raconte dans une lettre particulière, ajoute qu'il dut employer son autorité pour calmer la ville agitée par un événement si extraordinaire, et finit son récit par ces mots: «Si vous jugez à propos d'en informer l'empereur, faites-le-moi savoir afin que je vous envoie quelques-uns de ceux qui ont été témoins de toutes ces choses.»

C'est donc une histoire bien avérée que celle de Philinnium. Un grand poète allemand en a fait le sujet d'une ballade que tout le monde sait par coeur, et qui est intitulée la Fiancée de Corinthe. Il suppose que les parents de la jeune fille étaient chrétiens, ce qui lui donne l'occasion de faire une opposition fort-poétique des passions humaines et des devoirs de la religion. Les démonographes du moyen âge n'eussent pas manqué d'expliquer la résurrection ou peut-être la mort apparente de la jeune Grecque par une obsession diabolique. Nous y voyons, pour notre part, une léthargie hystérique accompagnée de somnambulisme lucide; le père et la mère de Philinnium la tuèrent en la réveillant et l'imagination publique exagéra toutes les circonstances de cette histoire.

Le Mercure terrestre auquel les devins ordonnèrent des sacrifices n'est autre chose que la lumière astrale personnifiée. C'est le génie fluidique de la terre, génie fatal pour les hommes qui l'excitent sans savoir le diriger; c'est le foyer de la vie physique et le réceptacle aimanté de la mort.

Cette force aveugle que la puissance du christianisme allait enchaîner et repousser dans le puits de l'abîme, c'est-à-dire au centre de la terre, manifesta ses dernières convulsions et ses derniers efforts chez les Barbares par des enfantements monstrueux. Il n'est guère de régions où les prédicateurs de l'Évangile n'aient eu à combattre des animaux aux formes hideuses, incarnations de l'idolâtrie agonisante. Les vouivres, les graouillis, les gargouilles, les tarasques, ne sont pas uniquement des allégories. Il est certain que les désordres moraux produisent des laideurs physiques et réalisent en quelque sorte les épouvantables figures que la tradition prête aux démons. Les ossements fossiles, à l'aide desquels la science de Cuvier a reconstruit des monstres gigantesques, appartiennent-ils réellement tous à des époques antérieures à notre création? Est-ce une allégorie que cet immense dragon que Régulus dut attaquer avec des machines de guerre, et qu'on trouva, au dire de Tite-Live et de Pline, sur les bords du fleuve Bagrada? Sa peau qui avait cent vingt pieds de long fut envoyée à Rome, et y fut conservée jusqu'à l'époque de la guerre contre Numance. C'était une tradition chez les anciens, que les dieux irrités par des crimes extraordinaires, envoyaient des monstres sur la terre, et cette tradition est trop universelle pour n'être point appuyée sur des faits réels, les récits qui s'y rapportent appartiennent moins souvent à la mythologie qu'à l'histoire.

Dans tous les souvenirs qui nous restent des peuples barbares à l'époque où le christianisme les conquit à la civilisation, nous trouvons avec les dernières traces de la haute initiation magique répandue autrefois par tout le monde, les preuves de l'obscurcissement qu'avait subi cette révélation primitive et de l'avilissement idolâtrique dans lequel le symbolisme de l'ancien monde était tombé; partout régnaient, au lieu des disciples des mages, les devins, les sorciers et les enchanteurs. On avait oublié le Dieu suprême pour diviniser les hommes. Rome avait donné cet exemple à ses provinces, et l'apothéose des Césars avait appris au monde la religion des dieux de sang. Les Germains, sous le nom d'Irminsul, adoraient cet Arminius, ou Hermann, qui fit pleurer à Auguste les légions de Varus, et lui offraient des victimes humaines. Les Gaulois donnaient à Brennus les attributs de Taranis et de Teutatès, et brûlaient en son honneur des colosses d'osier remplis de Romains. Partout régnait le matérialisme, car l'idolâtrie n'est pas autre chose, et la superstition toujours cruelle parce qu'elle est lâche.

La Providence qui prédestinait la Gaule à devenir la France très chrétienne y avait pourtant fait briller la lumière des éternelles vérités. Les premiers druides avaient été les vrais enfants des mages, et leur initiation venait de l'Égypte et de la Chaldée, c'est-à-dire des sources pures de la kabbale primitive: ils adoraient la trinité sous les noms d'Isis ou Ilésus, l'harmonie suprême; de Belen ou Bel, qui signifie en assyrien le Seigneur, nom correspondant à celui d'Adonaï; et de Camul ou Camaël, nom qui dans la kabbale personnifie la justice divine. Au-dessous de ce triangle de lumière ils supposaient un reflet divin, composé aussi de trois rayons personnifiés: d'abord Teutatès ou Teuth, le même que le Thoth des Égyptiens, le verbe ou l'intelligence formulée, puis la force et la beauté dont les noms variaient comme les emblèmes. Ils complétaient enfin le septénaire sacré par une image mystérieuse qui représentait le progrès du dogme et ses réalisations futures: c'était une jeune fille voilée tenant un enfant dans ses bras, et ils dédiaient cette image à la vierge qui deviendra mère 13.

Note 13: (retour)

On a trouvé à Chartres une statue druidique ayant cette forme et cette inscription:

VIRGINI PARITURAE.

Les anciens druides vivaient dans une rigoureuse abstinence, gardaient le plus profond secret sur leurs mystères, étudiaient les sciences naturelles et n'admettaient parmi eux de nouveaux adeptes qu'après de longues initiations. Ils avaient à Autun un collége célèbre dont les armoiries, au dire de Saint-Foix, subsistent encore dans cette ville: elles sont d'azur à la couchée de serpents d'argent surmontée d'un gui de chêne garni de ses glands de sinople; c'est pour le distinguer des autres guis que le blason donne des glands au gui de chêne, mais la branche de chêne seule porte des glands. Le gui est un feuillage parasite qui ne fructifie pas comme l'arbre qui l'a porté.

Les druides ne construisaient pas de temples, ils accomplissaient les rites de leur religion sur les dolmens et dans les forêts. On se demande encore à l'aide de quelles machines ils ont pu soulever les pierres colossales qui formaient leurs autels, et qui se dressent encore sombres et mystérieuses sous le ciel nuageux de l'Armorique. Les anciens sanctuaires avaient leurs secrets qui ne sont pas venus jusqu'à nous.

Les druides enseignaient que l'âme des ancêtres s'attache aux enfants; qu'elle est heureuse de leur gloire ou tourmentée de leur honte; que les génies protecteurs s'attachent aux arbres et aux pierres de la patrie; que le guerrier mort pour son pays a expié toutes ses fautes et rempli dignement sa tâche, il devient alors un génie, et désormais il exerce le pouvoir des dieux. Aussi chez les Gaulois le patriotisme était-il une religion: les femmes et les enfants même s'armaient, s'il le fallait, pour repousser l'invasion, et les Jeanne d'Arc, les Jeanne Hachette de Beauvais, n'ont fait que continuer les traditions de ces nobles filles des Gaules.

Ce qui attache au sol de la patrie, c'est la magie des souvenirs.

Les druides étaient prêtres et médecins; ils guérissaient par le magnétisme, et ils attachaient leur influence fluidique à des amulettes. Le gui de chêne et l'oeuf de serpent étaient leurs panacées universelles, parce que ces substances attirent d'une manière toute particulière la lumière astrale. La solemnité avec laquelle on récoltait le gui, attirait sur ce feuillage la confiance populaire et le magnétisait à grands courants. Aussi opérait-il des cures merveilleuses, surtout lorsqu'il était appliqué par les eubages avec des conjurations et des charmes. N'accusons pas nos pères de trop de crédulité, ils savaient peut-être ce que nous ne savons plus.

Les progrès du magnétisme feront découvrir un jour les propriétés absorbantes du gui de chêne. On saura alors le secret de ces excroissances spongieuses qui attirent le luxe inutile des plantes et se surchargent de coloris et de saveur: les champignons, les truffes, les galles d'arbres, les différentes espèces de gui, seront employés avec discernement par une médecine nouvelle à force d'être ancienne. On ne rira plus alors de Paracelse qui recueillait l'usnée sur les crânes des pendus; mais il ne faut pas marcher plus vite que la science, elle ne recule que pour mieux avancer.


CHAPITRE II

INFLUENCE DES FEMMES.

SOMMAIRE.--Influence des femmes chez les Gaulois.--Les vierges de l'île de Sayne.--La magicienne Velléda.--Bertha la fileuse.--Mélusine.--Les elfes et les fées.--Sainte Clotilde et sainte Geneviève.--La sorcière Frédégonde.


La Providence en imposant à la femme les devoirs si sévères et si doux de la maternité, lui a donné droit à la protection et au respect de l'homme. Assujettie par la nature même aux conséquences des affections qui sont sa vie, elle conduit ses maîtres avec les chaînes que l'amour lui donne; plus elle est soumise aux lois qui constituent et qui protègent son honneur, plus elle est puissante et respectée dans le sanctuaire de la famille. Pour elle, se révolter, c'est abdiquer, et lui prêcher une prétendue émancipation, c'est lui conseiller le divorce en la vouant d'avance à la stérilité et au mépris.

Le christianisme seul a pu légitimement émanciper la femme en l'appelant et à la virginité à la gloire du sacrifice. Numa avait pressenti ce mystère lorsqu'il instituait les vestales; mais les druides devançaient le christianisme en écoutant les inspirations des vierges, et en rendant des honneurs presque divins aux prêtresses de l'île de Sayne.

En Gaule, les femmes ne régnaient pas par leur coquetterie et par leurs vices, mais elles gouvernaient par leurs conseils. On ne faisait ni la paix ni la guerre sans les avoir consultées; les intérêts du foyer et de la famille étaient ainsi plaidés par les mères, et l'orgueil national devenait juste lorsqu'il était ainsi tempéré par l'amour maternel de la patrie.

Chateaubriand a calomnié Velléda en la faisant succomber à l'amour d'Eudore. Velléda vécut et mourut vierge. Elle était déjà vieille quand les Romains envahirent les Gaules: c'était une espèce de pythie qui prophétisait dans les grandes solennités, et dont on recueillait les oracles avec vénération; elle était vêtue d'une longue robe noire sans manches, la tête couverte d'un voile blanc qui lui descendait jusqu'aux pieds; elle portait une couronne de verveine et avait à sa ceinture une faucille d'or; son sceptre avait la forme d'un fuseau, son pied droit était chaussé d'une sandale et son pied gauche portait une sorte de chaussure à poulaine. On a pris plus tard les statues de Velléda pour celles de Berthe au long pied. La grande prêtresse, en effet, portait les insignes de la divinité protectrice des druidesses; c'était Hertha ou Wertha, la jeune Isis gauloise, la reine du ciel, la vierge qui devait enfanter. On la représentait avec un pied sur la terre et l'autre sur l'eau, parce qu'elle était reine de l'initiation et qu'elle présidait à la science universelle des choses. Le pied qu'elle posait sur l'eau était ordinairement porté par une barque analogue à la barque ou à la conque de l'ancienne Isis. Elle tenait le fuseau des Parques chargé d'une laine moitié blanche et moitié noire, parce qu'elle préside à toutes les formes et à tous les symboles, et qu'elle tisse le vêtement des idées. On lui donnait aussi la forme allégorique des sirènes moitié femme et moitié poisson, ou le torse d'une belle jeune fille et deux jambes faites en serpents, pour signifier la mutation et la mobilité continuelle des choses, et l'alliance analogique des contraires dans la manifestation de toutes les forces occultes de la nature. Sous cette dernière forme, Hertha prenait le nom de Mélusine ou Mélosina (la musicienne, la chanteuse), c'est-à-dire la sirène révélatrice des harmonies. Telle est l'origine des images et des légendes de la reine Berthe et de la fée Mélusine. Cette dernière se montra, dit-on, dans le XIe siècle à un seigneur de Lusignan; elle en fut aimée et consentit à le rendre heureux, à condition qu'il ne chercherait pas à épier les mystères de son existence; le seigneur le promit, mais la jalousie le rendit curieux et parjure; il épia Mélusine, et la surprit dans ses méthamorphoses, car une fois par semaine la fée reprenait ses jambes de serpents. Il poussa un cri auquel répondit un autre cri plus désespéré et plus terrible. Mélusine avait disparu, mais elle revient encore en poussant des clameurs lamentables toutes les fois qu'une personne de la maison de Lusignan est sur le point de mourir.

Cette légende est imitée de la fable de Psyché, et se rapporte, comme cette fable, au danger des initiations sacrilèges ou à la profanation des mystères de la religion et de l'amour; le récit en est emprunté aux traditions des anciens bardes, et elle sort évidemment de la savante école des druides. Le XIe siècle s'en est emparé et l'a mise à la mode, mais elle existait déjà depuis longtemps.

L'inspiration en France semble appartenir surtout aux femmes; les elfes et les fées y ont précédé les saintes, et les saintes françaises ont presque toutes quelque chose de féerique dans leur légende. Sainte Clotilde nous a fait chrétiens, sainte Geneviève nous a conservés Français en repoussant par l'énergie de sa vertu et de sa foi l'invasion menaçante d'Attila. Jeanne d'Arc... mais celle-ci était plutôt de la famille des fées que de la hiérarchie des saintes; elle mourut comme Hypathie, victime des dons merveilleux de la nature et martyre de son caractère généreux. Nous en reparlerons plus tard. Sainte Clotilde fait encore des miracles dans nos provinces. Nous avons vu aux Andelys la foule des pèlerins se presser autour d'une piscine où l'on plonge tous les ans la statue de la sainte; le premier malade qui descend ensuite dans l'eau est immédiatement guéri, c'est du moins ce que proclame tout haut la confiance populaire. C'était une énergique femme et une grande reine que cette Clotilde, aussi fut-elle éprouvée par les plus poignantes douleurs: son premier fils mourut après avoir reçu le baptême, et sa mort fut regardée comme le résultat d'un maléfice; le second tomba malade et allait mourir... Le caractère de la sainte ne fléchit pas et le Sicambre ayant un jour besoin d'un courage plus qu'humain se souvint du dieu de Clotilde. Veuve après avoir converti et fondé en quelque sorte un grand royaume, elle vit égorger pour ainsi dire sous ses yeux les deux enfants de Clodomir. C'est par de semblables douleurs que les reines de la terre ressemblent à la reine du ciel.

Après la grande et resplendissante figure de Clotilde, nous voyons apparaître dans l'histoire, comme un repoussoir hideux, le funeste personnage de Frédégonde, cette femme dont le regard est un maléfice, cette sorcière qui tue les princes. Frédégonde accusait volontiers ses rivales de magie et les faisait mourir au milieu des supplices qu'elle seule méritait. Il restait à Chilpéric un fils de sa première femme: ce jeune prince, qui se nommait Clovis, s'était épris d'une jeune fille du peuple dont la mère passait pour sorcière. On accusa la mère et la fille d'avoir troublé par des philtres la raison de Clovis, et d'avoir fait mourir par des envoûtements magiques les deux enfants de Frédégonde. Les deux malheureuses femmes furent arrêtées; Klodswinthe, la jeune fille, fut battue de verges, on lui coupa ses beaux cheveux, et Frédégonde les attacha elle-même à la porte de l'appartement du jeune prince, puis on fit mettre Klodswinthe en jugement. Ses réponses simples et fermes étonnèrent les juges: quelqu'un conseilla, dit un chroniqueur, de la soumettre à l'épreuve de l'eau bouillante; un anneau béni fut jeté dans une cuve placée sur un grand feu, et l'accusée, vêtue de blanc, après s'être confessée et avoir communié, dut plonger son bras dans la cuve et chercher l'anneau. A l'immobilité des traits de Klodswinthe, tout le monde crut qu'un miracle s'était accompli, mais un cri de réprobation et d'horreur s'éleva quand la malheureuse enfant retira son bras affreusement brûlé. Alors elle demanda la permission de parler, et dit à ses juges et au peuple: «Vous demandiez un miracle à Dieu pour preuve de mon innocence. Dieu ne veut pas qu'on le tente et il ne suspend pas les lois de la nature suivant le caprice des hommes; mais il donne la force à ceux qui croient en lui, et il a fait pour moi une merveille bien plus grande que celle qu'il vous a refusée. Cette eau m'a brûlée, et j'y ai plongé mon bras tout entier et j'ai cherché et ramené l'anneau. Je n'ai ni crié, ni pâli, ni défailli dans cette horrible torture. Si j'étais magicienne, comme vous le dites, j'aurais employé des maléfices pour ne pas brûler, mais je suis chrétienne et Dieu m'a fait la grâce de le prouver par la constance des martyrs.» Cette logique n'était pas de nature à être comprise à une époque si barbare. Klodswinthe fut reconduite en prison en attendant le dernier supplice, mais Dieu la prit en pitié et l'appela à lui, dit la chronique où nous avons puisé ces détails. Si ce n'est qu'une légende, il faut convenir qu'elle est belle et mérite d'être conservée.

Frédégonde perdait une de ses victimes, mais les deux autres ne lui échappèrent pas. La mère de Klodswinthe fut mise à la torture, et, vaincue par les tourments, elle avoua tout ce qu'on voulut, même la culpabilité de sa fille, même la complicité de Clovis. Frédégonde, armée de ses aveux, obtint du féroce et imbécile Chilpéric l'abandon de son fils. Le jeune prince fut arrêté et poignardé dans sa prison. Frédégonde déclara qu'il avait voulu échapper à ses remords par le suicide. Le cadavre du malheureux Clovis fut mis sous les yeux de son père, le poignard était encore dans la plaie. Chilpéric regarda froidement ce spectacle; il était entièrement dominé par Frédégonde qui le trompait effrontément avec les officiers de son palais. On se cachait si peu que le roi eut malgré lui des preuves de son déshonneur. Au lieu de tuer sur-le-champ la reine et son complice, il partit sans rien dire pour la chasse. Il eût peut-être souffert cet outrage sans se plaindre de peur de déplaire à Frédégonde, mais cette femme eut honte pour lui, elle lui fit l'honneur de croire à sa colère afin d'avoir un prétexte pour l'assassiner; il l'avait rassasiée de crimes et de bassesses, elle le fit tuer par dégoût.

Frédégonde, qui faisait brûler comme sorcières les femmes coupables seulement de lui avoir déplu, s'exerçait elle-même à la magie noire, et protégeait ceux qu'elle croyait vraiment sorciers. Agéric, évêque de Verdun, avait fait arrêter une pythonisse qui gagnait beaucoup d'argent en faisant retrouver les objets perdus et en dénonçant les voleurs; c'était vraisemblablement une somnambule. On exorcisa cette femme, le diable déclara qu'il ne sortirait point tant qu'on le tiendrait enchaîné, mais que si on laissait la pythonisse seule dans une église, sans surveillant et sans gardes, il sortirait certainement. On donna dans le piège, et ce fut la femme qui sortit; elle se réfugia auprès de Frédégonde qui la cacha dans son palais et finit par la soustraire aux exorcismes et probablement au bûcher: elle fit donc cette fois une bonne action par erreur et pour le plaisir de mal faire.


CHAPITRE III.

LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS.

SOMMAIRE.--Dispositions de la loi salique contre les sorciers.--Un passage analogue du Talmud.--Décisions des conciles.--Charles Martel accusé de magie.--Le cabaliste Zédéchias.--Visions épidémiques du temps de Pépin le Bref.--Palais et vaisseau aériens.--Les sylphes mis en jugement et condamnés à ne plus reparaître.


Sous les rois de France de la première race, le crime de magie n'entraînait la mort que pour les grands, et il s'en trouvait qui faisaient gloire de mourir pour un crime qui les élevait au-dessus du vulgaire, et les rendait redoutables même aux souverains. C'est ainsi que le général Mummol, torturé par ordre de Frédégonde, déclara n'avoir rien souffert et provoqua lui-même les épouvantables supplices à la suite desquels il mourut, en bravant ses bourreaux que tant de constance avait forcés en quelque sorte de lui faire grâce.

Dans les lois saliques, que Sigebert attribue à Pharamond, et qu'il suppose avoir été promulguées en 424, on trouve les dispositions suivantes:

«Si quelqu'un a traité hautement un autre d'héréburge ou strioporte, c'est le nom de celui qui porte le vase de cuivre au lieu où les stryges font leurs enchantements, et s'il ne peut l'en convaincre, qu'il soit condamné à une amende de sept mille cinq cents deniers qui font cent quatre-vingts sous et demi.»

«Si quelqu'un traite une femme libre de stryge ou de prostituée sans pouvoir prouver son dire, qu'il soit condamné à une amende de deux mille cinq cents deniers qui font soixante-deux sous et demi.»

«Si une stryge a dévoré un homme et qu'elle en soit convaincue, elle sera condamnée à payer huit mille deniers, qui font deux cents sous.»

On voit qu'en ce temps-là, l'anthropophagie était possible à prix d'argent et que la chair humaine ne coûtait pas cher.

On payait cent quatre-vingt-sept sous et demi pour calomnier un homme: pour douze sous et demi de plus, on pouvait l'égorger et le manger, c'était plus loyal et plus complet.

Cette étrange législation nous rappelle un passage non moins singulier du Talmud que le célèbre rabbin Jéchiel expliqua d'une manière fort remarquable en présence d'une reine que le livre hébreu ne nomme pas: c'est sans doute la reine Blanche, car le rabbin Jéchiel vivait du temps de saint Louis.

Il s'agissait de répondre aux objections d'un juif converti, nommé Douin, et qui avait reçu au baptême le prénom de Nicolas. Après plusieurs discussions sur les textes du Talmud, on en vint à ce passage:

«Si quelqu'un a offert du sang de ses enfants à Moloch, qu'il soit puni de mort.» C'est la loi de Moïse.

Le Talmud ajoute en forme de commentaire: «Celui donc qui aura offert non-seulement du sang, mais tout le sang et toute la chair de ses enfants, en sacrifice à Moloch, ne tombe pas sous les prescriptions de la loi, et aucune peine n'est portée contre lui.»

A la lecture de cet incompréhensible raisonnement tous les assistants se récrièrent; les uns riaient de pitié, les autres frémissaient d'indignation.

Rabbi Jéchiel obtint avec peine le silence, on l'écouta enfin, mais avec une défaveur marquée, et comme en condamnant d'avance tout ce qu'il allait dire.

«La peine de mort chez nous, dit alors Jéchiel, n'est pas une vengeance; c'est une expiation et par conséquent une réconciliation.

»Tous ceux qui meurent par la loi d'Israël, meurent dans la paix d'Israël; ils reçoivent la réconciliation avec la mort et dorment avec nos pères. Nulle malédiction ne descend avec eux dans la tombe, ils vivent dans l'immortalité de la maison de Jacob.

»La mort est donc une grâce suprême, c'est une guérison par le fer d'une plaie envenimée; mais nous n'appliquons pas le fer aux incurables; nous n'avons plus de droit sur ceux que la grandeur de leur forfait retranche à jamais d'Israël.

»Ceux-là sont morts, et il ne nous appartient plus d'abréger le supplice de leur réprobation sur la terre, ils appartiennent à la colère de Dieu.

»L'homme n'a le droit de frapper que pour guérir, c'est pour cela que nous ne frappons pas les incurables.

»Le père de famille ne châtie que ses enfants et il se contente de fermer sa porte aux étrangers.

»Les grands coupables contre lesquels notre loi ne prononce aucune peine, sont par ce fait même excommuniés à jamais, et cette réprobation est une peine plus grande que la mort.»

Cette réponse de Jéchiel est admirable, et l'on y sent respirer tout le génie patriarchal de l'antique Israël. Les juifs sont véritablement nos pères dans la science, et si au lieu de les persécuter nous avions cherché à les comprendre, ils seraient maintenant sans doute moins éloignés de notre foi.

Cette tradition talmudique prouve combien est ancienne chez les juifs la croyance à l'immortalité de l'âme. Qu'est-ce, en effet, que cette réintégration du coupable dans la famille d'Israël par une mort expiatoire, si ce n'est une protestation contre la mort même et un sublime acte de foi en la perpétuité de la vie? Le comte Joseph de Maistre comprenait bien cette doctrine lorsqu'il élevait jusqu'à une espèce de sacerdoce exceptionnel la mission sanglante du bourreau. Le supplice supplie, dit ce grand écrivain, et l'effusion du sang n'a pas cessé d'être un sacrifice. Si la peine capitale n'était pas une suprême absolution, elle ne serait qu'une représaille de meurtre: l'homme qui subit sa peine accomplit toute sa pénitence et rentre par la mort dans la société immortelle des enfants de Dieu.

Les lois saliques étaient celles d'un peuple encore barbare où tout se rachetait, comme à la guerre, avec une rançon. L'esclavage existait encore, et la vie humaine n'avait qu'une valeur discutable et relative. On peut toujours acheter ce qu'on a le droit de vendre, et l'on ne doit que de l'argent pour la destruction d'un objet qui coûte de l'argent.

La seule législation forte de cette époque était celle de l'Église, aussi les conciles portèrent-ils contre les stryges et les empoisonneurs qui prenaient le nom de sorciers, les peines les plus sévères. Le concile d'Agde dans le bas Languedoc, tenu en 506, les excommunie; le premier concile d'Orléans, tenu en 511, défend expressément les opérations divinatoires; le concile de Narbonne, en 589, frappe les sorciers d'une excommunication sans espérance, et ordonne qu'ils soient faits esclaves et vendus au profit des pauvres. Ce même concile ordonne de fustiger publiquement les amateurs du diable, c'est-à-dire sans doute ceux qui s'en occupaient, qui le craignaient, qui l'évoquaient, qui lui attribuaient une partie de la puissance de Dieu. Nous félicitons sincèrement les disciples de M. le comte de Mirville de n'avoir pas vécu de ce temps-là.

Pendant que ces choses se passaient en France, un extatique venait de fonder en Orient une religion et un empire. Mahomet était-il un fourbe ou un halluciné? Pour les musulmans, c'est encore un prophète, et pour les savants qui connaissent à fond la langue arabe, le Coran sera toujours un chef-d'oeuvre.

Mahomet était un homme sans lettres, un simple conducteur de chameaux, et il créa le monument le plus parfait de la langue de son pays. Ses succès ont pu passer pour des miracles, et l'enthousiasme guerrier de ses successeurs menaça un instant la liberté du monde entier; mais toutes les forces de l'Asie vinrent un jour se briser contre la main de fer de Charles-Martel. Ce rude guerrier ne priait guère lorsqu'il fallait combattre; manquait-il d'argent, il en prenait dans les monastères et dans les églises, il donna même des bénéfices ecclésiastiques à des soldats. Dieu, dans l'opinion du clergé, ne devait pas bénir ses armes, aussi ses victoires furent-elles attribuées à la magie. Ce prince avait tellement soulevé contre lui l'opinion religieuse, qu'un vénérable personnage, saint Eucher, évêque d'Orléans, le vit plongé dans les enfers. Le saint évêque, alors en extase, apprit d'un ange qui le conduisait en esprit à travers les régions d'outre-tombe, que les saints dont Charles-Martel avait spolié ou profané les églises lui avaient interdit l'entrée du ciel, avaient chassé son corps même de la sépulture, et l'avaient précipité au fond de l'abîme. Eucher donna avis de cette révélation à Boniface, évêque de Mayence, et à Fulrad, archichapelain de Pépin le Bref. On ouvrit le tombeau de Charles-Martel, le corps n'y était plus, la pierre intérieure était noircie et comme brûlée, une fumée infecte s'en exhala et un énorme serpent en sortit. Boniface adressa à Pépin le Bref et à Carloman le procès-verbal de l'exhumation, ou plutôt de l'ouverture du tombeau de leur père, en les invitant à profiter de ce terrible exemple et à respecter les choses saintes. Mais était-ce bien les respecter que de violer ainsi la sépulture d'un héros sur la foi d'un rêve pour attribuer à l'enfer ce travail de destruction si complètement et si vite achevé par la mort?

Sous le règne de Pépin le Bref, des phénomènes fort singuliers se montrèrent publiquement en France. L'air était plein de figures humaines, le ciel reflétait des mirages de palais, de jardins, de flots agités, de vaisseaux les voiles au vent et d'armées rangées en bataille. L'atmosphère ressemblait à un grand rêve. Tout le monde pouvait voir et distinguer les détails de ces fantastiques tableaux. Était-ce une épidémie attaquant les organes de la vision ou une perturbation atmosphérique qui projetait des mirages dans l'air condensé? N'était-ce pas plutôt une hallucination universelle produite par quelque principe enivrant et pestilentiel répandu dans l'atmosphère? Ce qui donnerait plus de probabilité à cette dernière supposition, c'est que ces visions exaspéraient le peuple; on croyait distinguer en l'air des sorciers qui répandaient à pleines mains les poudres malfaisantes et les poisons. Les campagnes étaient frappées de stérilité, les bestiaux mouraient, et la mortalité s'étendait même sur les hommes.

On répandit alors une fable qui devait avoir d'autant plus de succès et de crédit, qu'elle était plus complètement extravagante. Il y avait alors un fameux kabbaliste, nommé Zédéchias, qui tenait école de sciences occultes, et enseignait non pas la kabbale, mais les hypothèses amusantes auxquelles la kabbale peut donner lieu et qui forment la partie exotérique de cette science toujours cachée au vulgaire. Zédéchias amusait donc les esprits avec la mythologie de cette kabbale fabuleuse. Il racontait comment Adam, le premier homme, créé d'abord dans un état presque spirituel, habitait au-dessus de notre atmosphère où la lumière faisait naître pour lui et à son gré les végétations les plus merveilleuses; là il était servi par une foule d'êtres de la plus grande beauté, créés à l'image de l'homme et de la femme, dont ils étaient les reflets animés, et formés de la plus pure substance des éléments: c'étaient les sylphes, les salamandres, les ondins et les gnomes; mais dans l'état d'innocence, Adam ne régnait sur les gnomes et sur les ondins que par l'entremise des sylphes et des salamandres qui, seuls, avaient le pouvoir de s'élever jusqu'à son paradis aérien.

Rien n'égalait le bonheur du couple primitif servi par les sylphes; ces esprits mortels étant d'une incroyable habileté pour bâtir, tisser, faire fleurir la lumière en mille formes plus variées que l'imagination la plus brillante et la plus féconde n'a le temps de les concevoir. Le paradis terrestre, ainsi nommé parce qu'il reposait sur l'atmosphère de la terre, était donc le séjour des enchantements; Adam et Ève dormaient dans des palais de perles et de saphirs, les roses naissaient autour d'eux et s'étendaient en tapis sous leurs pieds; ils glissaient sur l'eau dans des conques de nacre tirées par des cygnes, les oiseaux leur parlaient avec une musique délicieuse, les fleurs se penchaient pour les caresser; la chute leur fit tout perdre en les précipitant sur la terre; les corps matériels dont ils furent couverts, sont les peaux de bêtes dont il est parlé dans la Bible. Ils se trouvèrent seuls et nus sur une terre qui n'obéissait plus aux caprices de leurs pensées; ils oublièrent même la vie édénique, et ne l'entrevirent plus dans leurs souvenirs que comme un rêve. Cependant, au-dessus de l'atmosphère, les régions paradisiaques s'étendaient toujours, habitées seulement par les sylphes et les salamandres qui se trouvaient ainsi gardiens des domaines de l'homme, comme des valets affligés qui restent dans le château d'un maître dont ils n'espèrent plus le retour.

Les imaginations étaient pleines de ces merveilleuses fictions lorsqu'apparurent les mirages du ciel et les figures humaines dans les nuées. Plus de doute alors, c'étaient les sylphes et les salamandres de Zédéchias qui venaient chercher leurs anciens maîtres; on confondit les rêves avec la veille, et plusieurs personnes se crurent enlevées par les êtres aériens; il ne fut bruit que de voyages au pays des sylphes, comme parmi nous on parle de meubles animés et de manifestations fluidiques. La folie gagna les meilleures têtes, et il fallut enfin que l'Église s'en mêlât. L'Église aime peu les communications surnaturelles faites à la multitude; de semblables révélations détruisant le respect dû à l'autorité et la chaîne hiérarchique de l'enseignement ne sauraient être attribuées à l'esprit d'ordre et de lumière. Les fantômes des nuages furent donc atteints et convaincus d'être des illusions de l'enfer; le peuple alors, désireux de s'en prendre à quelqu'un, se croisa en quelque sorte contre les sorciers. La folie publique se termina par une crise de fureur: les gens inconnus qu'on rencontrait dans les campagnes étaient accusés de descendre du ciel et tués sans miséricorde; plusieurs maniaques avouèrent qu'ils avaient été enlevés par des sylphes ou par des démons; d'autres, qui s'en étaient déjà vantés, ne voulurent plus ou ne purent plus s'en dédire: on les brûlait, on les jetait à l'eau et on croirait à peine, dit Garinet 14, quel grand nombre ils en firent périr ainsi dans tout le royaume. Ainsi se dénouent ordinairement les drames où les premiers rôles sont joués par l'ignorance et par la peur.

Note 14: (retour) Garinet, Histoire de la magie en France, 1818, 1 vol. in-8.

Ces épidémies visionnaires se reproduisirent sous les règnes suivants, et la toute-puissance de Charlemagne dut intervenir pour calmer l'agitation publique. Un édit, renouvelé depuis par Louis le Débonnaire, défendit aux sylphes de se montrer sous les peines les plus graves. On comprit qu'a défaut des sylphes ces peines atteindraient ceux qui se vanteraient de les avoir vus et on finit par ne les plus voir; les vaisseaux aériens rentrèrent dans le port de l'oubli et personne ne prétendit plus avoir voyagé dans le ciel. D'autres frénésies populaires remplacèrent celle-là, et les splendeurs romanesques du grand règne de Charlemagne vinrent fournir aux légendaires assez d'autres prodiges à croire et d'autres merveilles à raconter.


CHAPITRE IV.

LÉGENDES DU RÈGNE DE CHARLEMAGNE.

SOMMAIRE.--L'épée enchantée et le cor magique de Roland.--L'Enchiridion de Léon III.--Le sabbat--Les tribunaux secrets ou les francs-juges.--Dispositions des Capitulaires contre les sorciers.--La chevalerie errante.


Charlemagne est le véritable prince des enchantements et de la féerie, son règne est comme une halte solennelle et brillante entre la barbarie et le moyen âge; c'est une apparition de majesté et de grandeur qui rappelle les pompes magiques du règne de Salomon, c'est une résurrection et une prophétie. En lui l'empire romain, enjambant les origines gauloises et franques, reparaît dans toute sa splendeur; en lui aussi, comme dans un type évoqué et réalisé par divination, se montre d'avance l'empire parfait des âges de la civilisation mûrie, l'empire couronné par le sacerdoce et appuyant son trône contre l'autel.

A Charlemagne commence l'ère de la chevalerie et l'épopée merveilleuse des romans; les chroniques du règne de ce prince ressemblent toutes à l'histoire des quatre fils Aymon ou d'Oberon l'enchanteur. Les oiseaux parlent pour remettre dans le bon chemin l'armée française égarée dans les forêts; des colosses d'airain se dressent au milieu de la mer et montrent à l'empereur les voies ouvertes de l'Orient. Roland, le premier des paladins, possède une épée magique, baptisée comme une chrétienne et nommée Durandal; le preux parle à son épée, et elle semble le comprendre, rien ne résiste à l'effort de ce glaive surnaturel. Roland possède aussi un cor d'ivoire si artistement fait, que le moindre souffle y produit un bruit qui s'entend de vingt lieues à la ronde et qui fait trembler les montagnes; lorsque Roland succombe à Roncevaux, plutôt écrasé que vaincu, il se soulève encore comme un géant sous un déluge d'arbres et de roches roulantes, il sonne du cor, et les Sarrazins prennent la fuite. Charlemagne, qui est à plus de dix lieues de là, entend le cor de Roland et veut aller à son secours; mais il en est empêché par le traître Ganelon qui a vendu l'armée française aux barbares. Roland, se voyant abandonné, embrasse une dernière fois sa Durandal, puis, réunissant toutes ses forces, il en frappe à deux mains un quartier de montagne contre lequel il espère la briser pour ne pas la laisser tomber au pouvoir des infidèles, le quartier de montagne est pourfendu sans que Durandal soit ébréchée. Roland la serre sur sa poitrine et meurt avec une mine si haute et si fière que les Sarrazins n'osent descendre pour l'approcher et lancent encore en tremblant une grêle de flèches contre leur vainqueur qui n'est plus.

Charlemagne donnant un trône à la papauté et recevant d'elle l'empire du monde, est le plus grandiose de tous les personnages de notre histoire.

Nous avons parlé de l'Enchiridion, ce petit livre renfermant avec les plus belles prières chrétiennes les caractères les plus cachés de la Kabbale. La tradition occulte attribue ce petit livre à Léon III, et affirme qu'il fut donné par le pontife à Charlemagne comme le plus rare de tous les présents. Le souverain propriétaire de ce livre, et sachant dignement s'en servir, devait être le maître du monde. Cette tradition n'est peut-être pas à dédaigner.

Elle suppose:

1° L'existence d'une révélation primitive et universelle, expliquant tous les secrets de la nature et les accordant avec les mystères de la grâce, conciliant la raison avec la foi parce que toutes deux sont filles de Dieu et concourent à éclairer l'intelligence par leur double lumière;

2° La nécessité où l'on a toujours été réduit de cacher cette révélation à la multitude, de peur qu'elle n'en abuse en l'interprétant mal, et qu'elle ne se serve contre la foi des forces de la raison ou des puissances de la foi même pour égarer la raison que le vulgaire n'entend jamais bien;

3° L'existence d'une tradition secrète réservant aux souverains pontifes et aux maîtres temporels du monde la connaissance de ces mystères;

4° La perpétuité de certains signes ou pantacles exprimant ces mystères d'une manière hiéroglyphique, et connus des seuls adeptes.

L'Enchiridion serait un recueil de prières allégoriques, ayant pour clefs les pantacles les plus mystérieux de la kabbale.

Nous décrivons ici la figure des principaux pantacles de l'Enchiridion.

Le premier, qui est gravé sur la couverture même du livre, représente un triangle équilatéral renversé, inscrit dans un double cercle. Sur le triangle sont écrits de manière à former le tau prophétique, les deux mots םיהלאד Éloïm, et תואבא Sabaoth, qui signifie le Dieu des armées, l'équilibre des forces naturelles et l'harmonie des nombres. Aux trois côtés du triangle sont les trois grands noms הוהי, Jéhovah, יכבא, Adonaï, אכלא, Agla; au-dessus du nom de Jéhovah est écrit en latin formatio, au-dessus d'Adonaï, reformatio, et au-dessus d'Agla, transformatio. Ainsi la création est attribuée au Père, la rédemption ou la réforme au Fils, et la sanctification ou transformation au Saint-Esprit, suivant les lois mathématiques de l'action de la réaction et de l'équilibre. Jéhovah est en effet aussi la genèse ou la formation du dogme par la signification élémentaire des quatre lettres du tétragramme sacré; Adonaï est la réalisation de ce dogme en forme humaine, dans le Seigneur visible, qui est le fils de Dieu ou l'homme parfait; et Agla, comme nous l'avons assez longuement expliqué ailleurs, exprime la synthèse de tout le dogme et de toute la science kabbalistique, en indiquant clairement par les hiéroglyphes dont ce nom admirable est formé le triple secret du grand oeuvre.

Le deuxième pantacle est une tête à triple visage, couronnée d'une tiare et sortant d'un vase plein d'eau. Ceux qui sont initiés aux mystères du Sohar comprendront l'allégorie de cette tête.

Le troisième est le double triangle formant l'étoile de Salomon.

Le quatrième est l'épée magique, avec cette légende: Deo duce, comite ferro, emblème du grand arcane et de la toute-puissance de l'initié.

Le cinquième est le problème de la taille humaine du Sauveur, résolu par le nombre quarante: c'est le nombre théologique des Séphiroths, multiplié par celui des réalisations naturelles.

Le sixième est le pantacle de l'esprit, signifié par des ossements qui forment deux E et deux taus: T.

Le septième, et le plus important, est le grand monogramme magique, expliquant les clavicules de Salomon, le tétragramme, le signe du labarum et le mot suprême des adeptes (voyez Dogme et rituel de la haute magie, explication des figures du tome 1). Ce caractère se lit en faisant tourner la page comme une roue, et se prononce rota tarot ou tora (voyez Guilhaume Postel, Clavis absconditorum a constitutione mundi).

La lettre A est souvent remplacée dans ce caractère par le nombre de la lettre, qui est 1.

On trouve aussi dans ce signe la figure et la valeur des quatre emblèmes hiéroglyphiques du tarot, le bâton, la coupe, l'épée et le denier. Ces quatre hiéroglyphes élémentaires se retrouvent partout dans les monuments sacrés des Égyptiens, et Homère les a figurés dans sa description du bouclier d'Achille, en les plaçant dans le même ordre que les auteurs de l'Enchiridion.

Mais ces explications, s'il fallait les appuyer de toutes leurs preuves, nous entraîneraient ici hors de notre sujet, et demanderaient un travail spécial que nous espérons bien mettre en ordre et publier un jour.

L'épée ou le poignard magique figuré dans l'Enchiridion paraît avoir été le symbole secret du tribunal des francs-juges. Ce glaive, en effet, est fait en forme de croix, il est caché et comme enveloppé dans la légende; Dieu seul le dirige, et celui qui frappe ne doit compte de ses coups à personne. Terrible menace et non moins terrible privilège! le poignard vehmique, en effet, atteignait dans l'ombre des coupables dont le crime même restait souvent inconnu. A quels faits se rattache cette effrayante justice? Il faut ici pénétrer dans des ombres que l'histoire n'a pu éclaircir, et demander aux traditions et aux légendes une lumière que la science ne nous donne pas.

Les francs-juges furent une société secrète opposée, dans l'intérêt de l'ordre et du gouvernement, à des sociétés secrètes anarchiques et révolutionnaires.

Les superstitions sont tenaces, et le druidisme dégénéré avait jeté de profondes racines dans les terres sauvages du Nord. Les insurrections fréquentes des Saxons attestaient un fanatisme toujours remuant et que la force morale était impuissante à réprimer; tous les cultes vaincus, le paganisme romain, l'idolâtrie germaine, la rancune juive, se liguaient contre le christianisme victorieux. Des assemblées nocturnes avaient lieu, et les conjurés y cimentaient leur alliance par le sang des victimes humaines: une idole panthéistique aux cornes de bouc et aux formes monstrueuses présidait à des festins qu'on pourrait appeler les agapes de la haine. Le sabbat, en un mot, se célébrait encore dans toutes les forêts et dans tous les déserts des provinces encore sauvages; les adeptes s'y rendaient masqués et méconnaissables; l'assemblée éteignait ses lumières et se dispersait avant le point du jour; les coupables étaient partout, et nulle part on ne pouvait les saisir. Charlemagne résolut de les combattre avec leurs propres armes.

En ce même temps, d'ailleurs, les tyrannies féodales conspiraient avec les sectaires contre l'autorité légitime: les sorcières étaient les prostituées des châteaux; les bandits initiés au sabbat partageaient avec les seigneurs le fruit sanglant de leurs rapines; les justices féodales étaient vendues au plus offrant, et les charges publiques ne pesaient de tout leur poids que sur les faibles et sur les pauvres.

Charlemagne envoya en Westphalie, où le mal était le plus grand, des agents dévoués chargés d'une mission secrète. Ces agents attirèrent à eux et se lièrent par le serment et la surveillance mutuelle tout ce qui était énergique parmi les opprimés, tout ce qui aimait encore la justice, soit parmi le peuple, soit parmi la noblesse; ils découvrirent à leurs adeptes les pleins pouvoirs qu'ils tenaient de l'empereur, et instituèrent le tribunal des francs-juges.

C'était une police secrète ayant droit de vie et de mort. Le mystère qui entourait les jugements, la rapidité des exécutions, tout frappa l'imagination de ces peuples encore barbares. La sainte vehme prit de gigantesques proportions; on frissonnait en se racontant des apparitions d'hommes masqués, des citations clouées aux portes des seigneurs les plus puissants au milieu même de leurs gardes et de leurs orgies, des chefs de brigands trouvés morts avec le terrible poignard cruciforme dans la poitrine, et sur la bandelette attachée au poignard l'extrait du jugement de la sainte vehme.

Ce tribunal affectait dans ses réunions les formes les plus fantastiques: le coupable cité dans quelque carrefour décrié y était pris par un homme noir qui lui bandait les yeux et le conduisait en silence; c'était toujours le soir, à une heure avancée, car les arrêts ne se prononçaient qu'à minuit. Le criminel était introduit dans de vastes souterrains, une seule voix l'interrogeait; puis on lui ôtait son bandeau: le souterrain s'illuminait dans toutes ses profondeurs immenses, et l'on voyait les francs-juges tous vêtus de noir et masqués. Les sentences n'étaient pas toujours mortelles, puisqu'on a su comment les choses se passaient, sans que jamais un franc-juge ait révélé quoi que ce soit, car la mort eût frappé à l'instant même le révélateur. Ces assemblées formidables étaient quelquefois si nombreuses, qu'elles ressemblaient à une armée d'exterminateurs: une nuit l'empereur Sigismond lui-même présidait la sainte vehme, et plus de mille francs-juges siégeaient en cercle autour de lui.

En 1400, il y avait en Allemagne cent mille francs-juges. Les gens à mauvaise conscience redoutaient leurs parents et leurs amis: «Si le duc Adolphe de Sleiswyek vient me faire visite, disait un jour Guillaume de Brunswick, il faudra bien que je le fasse pendre, si je ne veux pas être pendu.»

Un prince de la même famille, le duc Frédéric de Brunswick, qui fut empereur un instant, avait refusé de se rendre à une citation des francs-juges; il ne sortait plus qu'armé de toutes pièces et entouré de gardes; mais un jour il s'écarta un peu de sa suite et eut besoin de se débarrasser d'une partie de son armure: on ne le vit pas revenir. Ses gardes entrèrent dans le petit bois où le duc avait voulu être seul un instant; le malheureux expirait, ayant dans les reins le poignard de la sainte vehme, et la sentence pendue au poignard. On regarda de tous côtés, et l'on vit un homme masqué qui se retirait en marchant d'un pas solennel... Personne n'osa le poursuivre!

On a imprimé dans le Reichsthetaer de Müller le code de la cour vehmique, retrouvé dans les anciennes archives de Westphalie; voici le titre de ce vieux document:

«Code et statuts du saint tribunal secret des francs-comtes et francs-juges de Westphalie qui ont été établis en l'année 772 par l'empereur Charlemagne, tels que les dits statuts ont été corrigés en 1404 par le roi Robert, qui y a fait en plusieurs points les changements et les augmentations qu'exigeait l'administration de la justice dans les tribunaux des illuminés, après les avoir de nouveau revêtus de son autorité.»

Un avis placé à la première page défend sous peine de mort, à tout profane, de jeter les yeux sur ce livre.

Le nom d'illuminés qu'on donne ici aux affiliés du tribunal secret révèle toute leur mission: ils avaient à suivre dans l'ombre les adorateurs des ténèbres, ils circonvenaient mystérieusement ceux qui conspiraient contre la société à la faveur du mystère; mais ils étaient les soldats occultes de la lumière, ils devaient faire éclater le jour sur toutes les trames criminelles, et c'est ce que signifiait cette splendeur subite qui illuminait le tribunal lorsqu'il prononçait une sentence.

Les dispositions publiques de la loi sous Charlemagne autorisaient cette guerre sainte contre les tyrans de la nuit. On peut voir dans les Capitulaires de quelles peines devaient être punis les sorciers, les devins, les enchanteurs, les noueurs d'aiguillette, ceux qui évoquent le diable, et les empoisonneurs au moyen de prétendus philtres amoureux.

Ces mêmes lois défendent expressément de troubler l'air, d'exciter des tempêtes, de fabriquer des caractères et des talismans, de jeter des sorts, de faire des maléfices, de pratiquer les envoûtements, soit sur les hommes, soit sur les troupeaux. Les sorciers, astrologues, devins, nécromanciens, mathématiciens occultes, sont déclarés exécrables et voués aux mêmes peines que les empoisonneurs, les voleurs et les assassins. On comprendra cette sévérité, si l'on se rappelle ce que nous avons dit des rites horribles de la magie noire et de ses sacrifices infanticides; il fallait que le danger fût grand, puisque la répression se manifestait sous des formes si multipliées et si sévères.

Une autre institution qui remonte aux mêmes sources que la sainte vehme, fut la chevalerie errante. Les chevaliers errants étaient des espèces de francs-juges qui en appelaient à Dieu et à leur lance de toutes les injustices des châtelains et de toute la malice des nécromans. C'étaient des missionnaires armés qui pourfendaient les mécréants après s'être munis du signe de la croix; ils méritaient ainsi le souvenir de quelque noble dame, et sanctifiaient l'amour par le martyre d'une vie toute de dévouement. Que nous sommes loin déjà de ces courtisanes païennes auxquelles on immolait des esclaves, et pour lesquelles les conquérants de l'ancien monde brûlaient des villes! Aux dames chrétiennes il faut d'autres sacrifices; il faut avoir exposé sa vie pour le faible et l'opprimé, il faut avoir délivré des captifs, il faut avoir puni les profanateurs des affections saintes, et alors ces belles et blanches dames aux jupes armoriées, aux mains délicates et pâles, ces madones vivantes et fières comme des lis, qui reviennent de l'Église, leurs livres d'heures sous le bras et leurs patenôtres à leur ceinture, détacheront leur voile brodé d'or ou d'argent, et le donneront pour écharpe au chevalier agenouillé devant elles qui les prie en songeant à Dieu!

Ne nous souvenons plus des erreurs d'Ève, elles sont mille fois pardonnées et compensées par cette grâce ineffable des nobles filles de Marie!


CHAPITRE V.

MAGICIENS.

SOMMAIRE.--Excommunication du roi Robert--Saint Louis et le rabbin Jéchiel.--La lampe magique et le clou enchanté.--Albert le Grand et ses prodiges.--L'androïde.--Le bâton de saint Thomas d'Aquin.

Chargement de la publicité...