← Retour

Histoire de la Monarchie de Juillet (Volume 2 / 7)

16px
100%

Parce que nous notons, sur ce point particulier, l'erreur du Roi, estimons-nous que le duc de Broglie fût, de son côté, sans faute? Il avait raison de ne pas juger le moment venu d'abandonner l'alliance anglaise, mais n'avait-il pas tort d'être trop roide avec les puissances continentales? De quelle façon ne traitait-il pas M. de Metternich, devenu sa bête noire! Non-seulement il pensait beaucoup de mal de lui, de ses idées, de son caractère, mais il mettait son point d'honneur à le lui faire savoir et prenait soin d'exprimer sa méfiance et son dédain, dans des lettres qu'il savait devoir être ouvertes par la police du chancelier[516]. Ces offenses ne sont jamais habiles ni prévoyantes, fût-ce contre une puissance avec laquelle on s'apprête à croiser le fer, à plus forte raison contre un gouvernement avec lequel on voulait vivre en paix, et dont même on devait bientôt désirer et rechercher l'alliance. Aussi M. de Sainte-Aulaire, avec la liberté que lui permettait une vieille amitié, reprochait à son chef de vouloir lui faire prendre une attitude trop hostile et trop méprisante[517].

Chez le duc de Broglie, c'était plus encore défaut de nature qu'erreur politique. Il avait, pour le poste qu'il occupait, des qualités de premier ordre: vues élevées et lointaines; instruction étendue; probité dont la candeur même devenait souvent une habileté, dans un milieu où l'on était blasé sur la rouerie[518]; caractère supérieur aux séductions vulgaires et aux petites lâchetés personnelles; souci exclusif du bien public; sens du commandement et de la responsabilité[519]. Mais à ces dons si rares se mêlait ce je ne sais quoi dont il avait conscience et qui lui faisait dire qu'il n'avait pas le maniement des hommes. Ne s'inquiétant pas assez de plaire, il était trop porté à croire qu'il lui suffisait d'avoir raison, et encore, dans sa manière d'avoir raison, y avait-il quelque chose d'inflexible, de cassant et de hautain. Trop peu de cet art, si essentiellement diplomatique, qui sait envelopper les pointes et s'arrêter au premier sang. Aussi, après quelque temps, les ambassadeurs et les ministres étrangers,—il est vrai que ce n'étaient pas les meilleurs amis de la France, et qu'ils n'avaient pas eu le dessus dans leurs chocs avec notre ministre,—se répandaient en récriminations sur la «roideur» et l'«aigreur» de M. de Broglie. N'eût-il pas mieux valu leur avoir infligé les mêmes échecs, sans leur avoir fourni les mêmes griefs?

VII

Si le duc de Broglie jugeait nécessaire de garder l'alliance de l'Angleterre, et au moins inopportun de rechercher celle des puissances continentales, il ne regardait pas, pour cela, comme satisfaisant et définitif le partage des puissances européennes tel que l'avait fait la révolution de 1830. On a vu comment, après le traité d'Unkiar-Skelessi, il s'en était tenu à une ferme protestation contre la politique russe en Orient et avait évité la rupture immédiate à laquelle semblait vouloir l'entraîner l'impétueuse irritation de lord Palmerston. Depuis, d'ailleurs, son attention avait été successivement sollicitée par les événements de Münchengraetz et les affaires d'Espagne. Mais, tout en laissant, pour le moment, la question d'Orient s'assoupir, il ne la perdait pas de vue et n'était nullement disposé à abandonner, dans l'avenir, le champ libre à la Russie, ni même à lui donner quitus du passé. Bien au contraire, les affaires d'Orient devinrent l'une de ses principales préoccupations. Il y entrevit l'occasion d'une grande opération de diplomatie et de guerre dont le résultat eût été de modifier gravement le classement des puissances. Dès le 4 février 1834, son plan était formé, et il l'avait exposé dans une longue lettre confidentielle à M. Bresson, notre ministre à Berlin[520]. Cette lettre, dont les contemporains n'ont pas soupçonné l'existence et qui n'a jamais été publiée, est trop remarquable et traite de questions aujourd'hui encore trop vivantes, pour qu'il ne soit pas intéressant d'en citer des passages étendus.

Le duc de Broglie, après avoir signalé le dessein formé par la Russie de s'approprier la meilleure partie des dépouilles de l'empire ottoman, entre autres Constantinople, se demandait comment cette puissance s'y prendrait pour arriver à ses fins. La réponse qu'il faisait témoigne de sa prophétique clairvoyance. «Est-ce de vive force, disait-il, enseignes déployées, en écrivant sur ses drapeaux qu'elle va s'emparer de Constantinople? Il faudrait être bon enfant pour le croire. Le bon sens, les antécédents, l'histoire du partage de la Pologne nous apprennent que les moyens les plus propres pour parvenir à ce but sont des occupations armées, colorées de divers prétextes: des occupations successives, si les premières rencontrent trop de difficultés de la part des autres puissances; des occupations prolongées, si la résistance est moindre; mais des occupations conduites jusqu'à ce point que la prise de possession de Constantinople soit considérée comme un fait accompli, c'est-à-dire comme un fait sur lequel tout le monde s'arrange et prend son parti. Aussi, lorsque M. de Metternich nous déclare que, si l'empereur Nicolas prétend s'emparer d'un seul village ottoman, l'empereur d'Autriche tirera son grand sabre, lorsqu'il nous déclare que l'empereur d'Autriche repousserait avec horreur la simple idée de recevoir en partage un seul village de l'empire ottoman, il fait un étalage de rhétorique fort inutile. L'occasion ne se présentera pas directement de déployer tant de courage et de désintéressement. L'empereur Nicolas n'élèvera jamais de prétentions directes et ostensibles à s'emparer de tout ou partie de l'empire ottoman; mais il s'y établira, si on le laisse faire, sous quelque prétexte, du consentement de l'Autriche, et, une fois établi, l'Autriche fera comme le chien qui portait au cou le déjeuner de son maître, elle acceptera sa part après coup, ce qu'elle ne ferait probablement pas, si on lui proposait de procéder au partage à main armée et de propos délibéré.»

Quel moyen de «prévenir un tel résultat»? Le duc de Broglie n'en voyait qu'un, et il ne craignait pas de l'appeler par son nom: «la guerre». «La guerre seule, disait-il, peut empêcher la Russie de s'emparer de Constantinople. Il faut que les deux puissances qui ont eu, dans le dix-huitième siècle, le tort et la honte de souffrir d'abord l'occupation armée de la Pologne, puis le partage de ce malheureux pays, soient bien déterminées à ne point souffrir d'abord l'occupation, puis ensuite le partage de la Turquie.» Mais ces deux puissances ne seront pas seules, et c'était là l'un des points importants du plan: «Si l'Angleterre et la France s'engagent à fond dans cette question, l'Autriche s'y engagera un peu plus tard, un peu de mauvaise grâce, mais enfin elle s'y engagera; car il est très-vrai qu'au fond elle ne désire point le partage de la Turquie et que les restes de l'empereur Nicolas ne lui font pas grande envie.» L'éminent homme d'État ajoutait que, pour ne pas rejeter l'Autriche dans les bras de la Russie, il fallait abandonner toute arrière-pensée de mettre Méhémet-Ali à la place du sultan. Il se dégageait ainsi de cet engouement égyptien qui devait, en 1840, coaliser l'Europe contre nous.

Voilà donc le plan. Quand convenait-il de le mettre à exécution? À la différence des politiciens qui ne voient que l'effet du moment et non l'intérêt permanent, et lointain du pays, le duc de Broglie était patient. Il cherchait moins à accomplir tout de suite quelque entreprise qui fît du bruit autour de son nom, qu'à choisir le moment vraiment opportun. Or, pour braver sans péril de révolution l'excitation et la secousse d'une telle guerre, et surtout pour obtenir l'alliance de l'Autriche, il lui paraissait nécessaire d'attendre que la France fût encore un peu plus loin de 1830. «Plus nous avançons, disait-il, plus la situation intérieure de la France se consolide, plus se développe son ascendant au dehors, plus grand sera alors le rôle que la France pourra jouer dans la guerre. Si la rivière coule du côté de la Russie en Orient, la rivière coule du côté de la France en Europe. Elle est placée naturellement à la tête du mouvement des esprits et des idées. Sa tâche, sa mission, c'est de contenir et de régler ce mouvement; quand elle y réussit, elle en est payée avec usure; il ne faut pas qu'elle se hasarde légèrement et sans nécessité à laisser les esprits se lancer de nouveau dans la carrière des révolutions et des aventures. Le temps approche où la guerre pourra être engagée, poursuivie, conduite dans des voies régulières et sans déchaîner toutes les imaginations. Il n'est pas encore venu. D'un autre côté, à mesure que nous nous éloignons de la révolution de Juillet, la coalition du Nord que cette révolution a ressuscitée et resserrée tend à s'affaiblir et à se disloquer. Plus nous différerons, plus nous aurons de chances de voir les alliés de la Russie se détacher d'elle, dans cette question.» Le noble duc ajoutait d'ailleurs, avec ce sens pratique qui distingue les hommes d'État des rêveurs: «Il faut que la Providence ait fait les trois quarts ou les cinq sixièmes de la besogne, pour que les plus fortes têtes puissent entrevoir le dénoûment et y travailler.»

On voit tout de suite les avantages du plan de M. de Broglie. Au lieu de confirmer et d'irriter la Sainte-Alliance, comme eût fait l'intervention en Espagne, si passionnément demandée par M. Thiers; au lieu de nous mettre à la queue de cette Sainte-Alliance, comme il fût arrivé si, obéissant à une invitation peu désintéressée, nous avions rompu avec l'Angleterre pour nous rapprocher des puissances continentales, il dissolvait l'union des trois cours, et en détachait l'Autriche; sans nous séparer de l'Angleterre, il la rendait plus souple et plus aimable, en lui montrant qu'elle cessait d'être l'alliée unique; il fournissait à la France l'occasion d'un grand succès diplomatique et militaire, libérait, pour l'avenir, sa politique extérieure, et effaçait, sous ce rapport, les conséquences malheureuses de la révolution de 1830.

Ce plan était-il donc irréalisable? L'Angleterre se serait volontiers prêtée à l'exécuter. Lord Palmerston, si froid au début des affaires d'Orient, était devenu bientôt tout feu contre la Russie: nous n'avions que l'embarras de le contenir. Il nous proposa même, au mois de décembre 1835, un traité d'alliance, en vue de maintenir l'intégrité de l'empire ottoman, avec possibilité d'accession pour l'Autriche[521]. Le duc de Broglie accueillit l'idée avec réserve; pour les raisons que nous avons indiquées, il ne croyait pas encore le moment venu d'agir; il n'ignorait pas, d'ailleurs, que Louis-Philippe non-seulement était opposé à toute agression contre la Russie, mais qu'il se faisait honneur de son opposition auprès des ambassadeurs étrangers, disant très-haut et de façon à être entendu de ces derniers: «Je briserais mon conseil des ministres comme un roseau, plutôt que de céder sur ce point[522].» Le ministre néanmoins avait garde de rebuter l'allié qui s'offrait. Il prit l'attitude d'un homme disposé à étudier le projet qui lui était communiqué et répondit lui-même par des contre-propositions. Son intention évidente était de gagner du temps, de ménager et de réserver, pour un moment plus favorable, la bonne volonté du gouvernement anglais. Tout fut interrompu, en février 1836, par la chute du ministère du 11 octobre.

L'Autriche était moins prête et moins prompte à entrer dans les vues du duc de Broglie. C'est surtout pour l'attendre, pour lui laisser le temps d'accomplir son évolution, que notre ministre ne voulait rien brusquer. Si, en effet, le gouvernement de Vienne avait le sentiment, chaque jour plus vif, du péril que la politique russe lui faisait courir et de l'accord d'intérêts où il se trouvait avec la France en Orient, il ne lui en répugnait pas moins de tendre la main à la royauté de Juillet et de dissoudre lui-même la Sainte-Alliance qu'il avait mis tant de soin à reformer après 1830. Aussi, quand il rencontrait formulée l'idée d'une entente de l'Autriche et des deux puissances occidentales, le premier mouvement de M. de Metternich était-il de protester[523]. Cependant, vers la fin de 1835, il était visible que ces dispositions se modifiaient peu à peu à notre égard, surtout quand quelque événement mettait en plus vive lumière les desseins du Czar. L'ambassadeur français, M. de Sainte-Aulaire, qui, dès 1833, avait indiqué la question d'Orient comme celle où l'on pouvait préparer, pour l'avenir, un rapprochement avec l'Autriche[524], notait, au fur et à mesure, ce changement d'attitude. Il écrivait, le 23 novembre 1835, au duc de Broglie: «On est ici pour nous très-poli dans la forme, et, je crois, aussi très-bienveillant dans le fond. Les incartades de l'empereur Nicolas sont odieuses au gouvernement de Vienne: soyez-en sûr. Nos allures lui agréent au contraire beaucoup; cela est également certain, pour le moment[525].» Le chancelier se laissait plus souvent aller à se plaindre des envahissements incommodes de la Russie; il écoutait avec moins de trouble les insinuations de notre ambassadeur ou lui faisait même des confidences assez inattendues. Tout en écartant, autant qu'il le pouvait, la seule pensée d'une complication et d'un conflit avec son voisin du nord, tout en voulant prolonger le plus possible son rôle de conciliateur, il s'accoutumait insensiblement à chercher, dans les puissances occidentales, un point d'appui contre l'ambition moscovite.

Le duc de Broglie, si prévenu qu'il fût contre le gouvernement de Vienne, prenait acte de ces dispositions nouvelles et commençait à comprendre la nécessité de les cultiver. Il répondait à M. de Sainte-Aulaire, le 14 décembre 1835: «La disposition de M. de Metternich est de se dire: «L'empereur Nicolas est un fou: on ne sait trop sur quoi compter avec lui; il est possible qu'il fasse, du soir au lendemain, quelque incartade qui me mettrait dans un grand embarras. Le roi des Français est très-raisonnable; il ne fera point de folies; on sait à peu près à quoi s'en tenir avec lui. Mais c'est une terrible chose qu'une alliance avec la France: c'est un bien bon point d'appui que la Russie. Attendons, patientons; à chaque jour sa peine. En attendant, donnons-nous les airs du médiateur général, de l'homme qui tient dans sa main le sort de tout le monde.» Je pense, comme vous, que cette disposition d'esprit doit être cultivée, secondée, ménagée, plutôt qu'attaquée vivement.» Le duc de Broglie demandait même si, pour pressentir le chancelier, il n'y aurait pas lieu de lui proposer une entente sur quelque autre sujet moins effrayant, par exemple, sur l'évacuation d'Ancône. «Ne serait-il pas possible, écrivait-il, de remettre sur le tapis cette affaire de l'engagement réciproque, de l'accord préalable à l'évocation de la Romagne, en faisant sentir à M. de Metternich quel intérêt s'attache aujourd'hui à la parfaite harmonie entre l'Autriche et la France, en lui faisant entendre qu'au premier dissentiment, à la première complication entre ces deux puissances, la Russie poussera sur-le-champ ses affaires à Constantinople, assurée que l'Autriche lui appartient corps et bien? Si l'on parvenait à décider M. de Metternich à une convention sur ce sujet, cela aurait, outre l'avantage de la convention elle-même, l'avantage beaucoup plus grand d'un traité fait en vue d'une entente contre la Russie dans les affaires d'Orient[526].» Si l'Autriche était changée, M. de Broglie ne l'était-il pas quelque peu, et ne devait-il pas être alors le premier à reconnaître que naguère il avait traité trop durement ceux avec lesquels, si peu de temps après, il était amené à chercher un accord?

Qu'avec le temps et la pression des événements, l'Autriche dût finir par venir à nous, nous n'en voulons pour preuve que ce qui s'est passé depuis, en 1839, quand la question d'Orient s'est rouverte: le premier mouvement de l'Autriche a été de se joindre à la France et à l'Angleterre; elle ne s'est détachée de nous, à regret, que quand notre politique égyptienne nous eut brouillés avec le gouvernement de Londres[527].

Donc, qu'on regarde l'Angleterre ou l'Autriche, l'entreprise dont le duc Broglie avait tracé le plan, dès février 1834, n'avait rien de chimérique. Ce fut grand dommage pour la France et la monarchie de Juillet que le renversement du cabinet du 11 octobre n'ait pas permis à l'éminent homme d'État d'y donner suite, grand dommage aussi que M. Thiers y ait substitué plus tard la déplorable aventure de 1840. Il a fallu attendre jusqu'à la guerre de Crimée, pour voir réaliser par le second Empire le projet formulé, vingt ans auparavant, par un ministre de Louis-Philippe. En 1854-1855, la France, se dégageant enfin des suspicions créées par la république et le premier empire, et ravivées en 1830, a heureusement accompli ce dont on l'avait crue, ce dont elle s'était jugée elle-même, si longtemps, incapable, une grande guerre qui demeurât politique et localisée, qui ne fît pas surgir d'un côté la révolution, de l'autre la coalition. Cette guerre, heureuse entre toutes, non-seulement a ainsi libéré sa politique extérieure, mais elle lui a donné, en Europe, une situation incomparable avec laquelle on eût pu faire les plus grandes choses, si tout n'avait été aussitôt gâché et perdu par les rêveries et les complicités italiennes de Napoléon III. Eût-il donc été impossible d'avancer de plusieurs années cet événement? N'était-il pas juste que l'avantage en appartînt à la monarchie constitutionnelle, sans torts envers l'Europe, au lieu d'échoir, par une étrange ironie, à l'héritier même du conquérant contre lequel s'était formée la Sainte-Alliance?

CHAPITRE XV
LA CHUTE DU MINISTÈRE DU 11 OCTOBRE
(Décembre 1835—février 1836)

I. Bon état des affaires au dedans et au dehors, vers la fin de 1835. Le ministère va-t-il en recueillir le bénéfice?—II. Discussion de l'Adresse de 1836. Incident sur la Pologne. Pressentiments dans les régions ministérielles. Déclaration de M. Humann sur la conversion des rentes. Démission du ministre des finances. Débat sur la conversion. Le ministère, mis en minorité, donne sa démission. Qu'y a-t-il derrière le vote de la Chambre? Manœuvre du tiers parti. Le groupe Ganneron. Dans quelle mesure faut-il y voir la main de Louis-Philippe?—III. Le Roi s'occupe de constituer un nouveau cabinet. Il veut en charger M. Thiers. Celui-ci est poussé par M. de Talleyrand. Premier refus de M. Thiers. Il finit par consentir. Séparation irrévocable de M. Guizot et de M. Thiers. Malheur de cette séparation qui a été mieux compris plus tard. Grandes choses accomplies dans les six premières années de la monarchie de Juillet.

I

À la fin de 1835, au moment où allait s'ouvrir la session de 1836, le gouvernement pouvait considérer avec quelque satisfaction l'état où il avait mis les affaires du pays. Au dehors, nulle complication n'était à craindre. La politique suivie avait eu ce résultat que la France, loin d'être menacée, était courtisée par les puissances que notre révolution avait le plus effarouchées. L'étranger commençait à prendre con-fiance dans la durée d'un régime qui lui avait d'abord semblé si précaire[528]. Au dedans, le procès des accusés d'avril et les lois de septembre avaient consommé l'éclatante et complète défaite du parti républicain. L'opposition dynastique, atteinte par la déconfiture de la faction avec laquelle elle s'était trop souvent compromise, cherchait, sans l'avoir encore trouvée, une nouvelle tactique pour remplacer celle qui lui avait si mal réussi[529]. Un peu de lustre militaire s'ajoutait heureusement à ces succès politiques. En Algérie, où, depuis cinq ans, nous avions tant tâtonné, le maréchal Clauzel venait de venger des échecs récents, par une heureuse expédition contre Mascara[530]. Le jeune duc d'Orléans avait obtenu d'y prendre part et s'y était montré aussi intelligent que brave; sa présence marquait l'importance que le pouvoir central, devenu plus libre de regarder au loin, allait désormais attacher aux opérations militaires d'outre-mer: première page d'une brillante histoire que notre armée n'a pas oubliée, celle des campagnes des Fils de France sur la terre d'Afrique. Dans le sein même du gouvernement, l'union la plus complète régnait entre les hommes considérables qui composaient ce cabinet d'un éclat et d'une autorité sans pareils; la leçon des crises récentes suffisait à prévenir toute tentation de désaccord. Ainsi, de quelque côté que l'on portât les yeux, l'horizon paraissait serein. Le pays goûtait cette paix et cette sécurité si nouvelles. Le commerce et l'industrie prenaient un développement inconnu jusqu'alors[531]. M. de Tocqueville écrivait à M. Senior: «Excepté l'agriculture qui souffre un peu, tout le reste prospère d'une manière surprenante; l'idée de la stabilité pénètre, pour la première fois depuis cinq ans, dans les esprits, et avec elle le goût des entreprises. L'activité presque fébrile qui nous caractérisa en tout temps quitte la politique, pour se porter vers le bien-être matériel. Ou je me trompe fort, ou nous allons voir, d'ici à peu d'années, d'immenses progrès dans ce sens... La nation a été horriblement tourmentée; elle jouit avec délices du repos qui lui est enfin donné[532]

De si heureux résultats n'allaient-ils pas profiter au ministère qui les avait obtenus? Son pouvoir n'en devait-il pas être affermi, sa durée garantie? Se flatter de cet espoir serait oublier que, dans la majorité conservatrice d'alors, le retour de la sécurité avait presque toujours pour conséquence l'indiscipline et les divisions. Dans son beau discours sur la loi de la presse, après avoir marqué la responsabilité que le cabinet assumait, le duc de Broglie avait ajouté, avec une mélancolique fierté: «Les périls s'éloigneront; avec le péril, le souvenir du péril passera; car nous vivons dans un temps où les esprits sont bien mobiles et les impressions bien passagères. Les haines et les ressentiments que nous avons amassés sur nos têtes subsisteront; car les haines sont vivaces et les ressentiments ne s'éteignent pas. À mesure que l'ordre se rétablira, le poste que nous occupons deviendra, de plus en plus, l'objet d'une noble ambition; les Chambres, dans un temps plus tranquille, verront les changements d'administration comme quelque chose qui compromet moins l'ordre public. Les hommes s'usent vite, d'ailleurs, messieurs, aux luttes que nous soutenons. Savez-vous ce que nous aurons fait? Nous aurons préparé, hâté l'avénement de nos successeurs. Soit, nous en acceptons l'augure avec joie, nous en embrassons avidement l'espérance.»

L'heure était proche où la prédiction du duc de Broglie allait s'accomplir.

II

Dans les premiers jours de la session, ouverte le 29 décembre 1835, rien cependant qui fît prévoir un accident. Le discours du trône n'était nullement provocant. Il «se félicitait de la situation du pays», constatait que «sa prospérité s'accroissait chaque jour, que sa tranquillité intérieure paraissait désormais hors d'atteinte et assurait sa puissance au dehors». Puis il terminait par ces paroles d'apaisement qui convenaient après la pleine victoire: «J'espère que le moment est venu pour la France de recueillir les fruits de sa prudence et de son courage. Éclairés par le passé, profitons d'une expérience si chèrement acquise; appliquons-nous à calmer les esprits, à perfectionner nos lois, à protéger, par de judicieuses mesures, tous les intérêts d'une nation qui, après tant d'orages, donne au monde civilisé le salutaire exemple d'une noble modération, seul gage des succès durables. Le soin de son repos, de sa liberté, de sa grandeur, est mon premier devoir; son bonheur sera ma plus chère récompense.»

Dans la discussion de l'Adresse, un seul épisode intéressa vivement la Chambre et l'opinion. Il s'agissait de la Pologne. Le Czar, en revenant de Tœplitz, vers la fin de 1835, s'était arrêté à Varsovie: il y avait manifesté, avec une affectation de dureté, ses ressentiments et ses menaces contre des sujets infidèles. Peu après, des ukases avaient supprimé les derniers vestiges du royaume de Pologne, et, en conséquence, l'exequatur avait été retiré au consul général de France à Varsovie. Il n'en fallait pas tant pour soulever l'opinion à Paris. Toute la presse, le Journal des Débats en tête, avait lancé de brûlants réquisitoires contre le despote moscovite. Le gouvernement, plus réservé parce qu'il était tenu à plus de prévoyance, n'avait rien dit de ces événements dans le discours du trône. Il eût désiré que l'Adresse gardât le même silence: c'était impossible avec l'excitation des esprits; il obtint du moins de la commission qu'elle se contentât de recommander, en termes généraux, «le maintien des droits consacrés par les traités», sans nommer la Pologne. Mais cela ne suffit pas à la Chambre; un amendement fut présenté, contenant un vœu pour «la conservation de l'antique nationalité polonaise». Vainement le duc de Broglie fit-il entendre le langage de la raison politique, l'amendement, appuyé par M. Saint-Marc Girardin et M. Odilon Barrot, fut adopté à une grande majorité. Ce vote tout sentimental n'indiquait pas d'hostilité contre le cabinet. Celui-ci, du reste, l'emporta sans difficulté dans tous les autres paragraphes de l'Adresse.

En somme, la discussion avait été singulièrement paisible, et les votes peu disputés. Le Journal des Débats le remarquait[533]. «Nous signalons avec plaisir, disait-il, le caractère de modération qui a marqué toute cette discussion. Le calme est dans la Chambre comme il est dans le pays... La passion manque, parce que la cause qui passionnait n'existe plus, et que, la question révolutionnaire vidée, il n'y a pas de question purement parlementaire qui puisse émouvoir fortement la Chambre et le pays. Il n'y en a pas, parce qu'au fond tout ce que le pays demandait, la révolution de Juillet le lui a donné.» Mais la feuille ministérielle ajoutait aussitôt: «Le calme ne doit pas nous engourdir, à Dieu ne plaise! Ce serait une puérilité de croire que tout soit fini, et qu'un jour de calme soit l'éternité!... Le danger resserre les rangs de tous les bons citoyens; la sécurité les relâche et les ouvre, si l'on n'y prend garde... Une époque est finie, l'époque des violences révolutionnaires et du tumulte des rues. Une autre commence, qui aura aussi ses difficultés et ses périls. Le calme dont nous jouissons n'est qu'un moment de halte après une journée fatigante; c'est la récompense de cinq années de peine et de travail, moment heureux dont il faut savoir profiter pour assurer l'avenir. Les jours de danger nous ont trouvés fermes et courageux; il faut espérer que les jours de prospérité ne nous trouveront pas insouciants et présomptueux.» Ce langage révélait quelque inquiétude dans les régions ministérielles, peut-être une sorte de pressentiment.

Le jour même où paraissait cet article, le 14 janvier 1836, M. Humann, ministre des finances, lisait à la Chambre l'exposé des motifs du budget de 1837. Personne ne s'attendait à voir sortir une crise d'un document de ce genre. Mais à peine le ministre eut-il commencé, que l'attention, d'ordinaire assez distraite pendant de telles lectures, fut saisie par une déclaration imprévue sur la conversion des rentes 5 pour 100: M. Humann présentait comme nécessaire et imminente cette mesure que M. de Villèle avait tentée sans succès, en 1824. L'accueil de la Chambre fut généralement favorable. Par contre, surprise et irritation des autres membres du cabinet, qui n'avaient ni approuvé ni même connu d'avance cette déclaration. Le procédé était si insolite qu'on y a soupçonné quelque complot mystérieux, tendant à la dislocation du ministère. Rien de pareil. Personne ne se cachait derrière M. Humann. Celui-ci, a écrit son collègue M. Guizot, était «un esprit à la fois profond et gauche, obstiné et timide devant la contradiction, persévérant dans ses vues, quoique embarrassé à les produire et à les soutenir». Il tenait beaucoup à la conversion et s'imagina ainsi l'avancer. Il eût été flatté d'ailleurs de marquer son ministère par un acte important où son initiative personnelle eût été bien manifeste. «Que voulez-vous? disait M. Royer-Collard avec sa moue railleuse, M. Guizot a sa loi sur l'instruction primaire, M. Thiers sa loi sur l'achèvement des monuments publics; Humann aussi veut avoir sa gloire.» «Il y eut de sa part, dit encore M. Guizot, une imprudence un peu égoïste et sournoise, mais point d'intrigue.»

Devant les réclamations fort vives de ses collègues, M. Humann dut reconnaître l'incorrection de sa conduite, et donna sa démission: M. d'Argout prit sa place. Mais les choses n'en restèrent pas là. Dès le premier jour, une interpellation avait été annoncée. Le débat s'ouvrit, le 18 janvier. Loin de se dérober, le duc de Broglie aborda sans ménagement la question de la conversion. «On nous demande, dit-il, s'il est dans les intentions du gouvernement de proposer la mesure dans cette session. Je réponds: Non. Est-ce clair?» L'impatience et la roideur de ce langage piquèrent la Chambre. Le fameux: «Est-ce clair?» fut aussitôt commenté et envenimé par tous ceux qui désiraient un conflit. Des députés répondirent à la provocation qu'ils prétendaient leur avoir été faite, en déposant des propositions de conversion. De part et d'autre, on résolut d'en finir promptement, et la discussion de l'une des propositions, celle de M. Gouin, fut fixée au 4 février.

Le ministère engageait ainsi son existence sur une question spéciale et tout à fait étrangère à la direction de la politique générale. Mauvais terrain pour une bataille parlementaire: il s'exposait à rencontrer contre lui, outre l'opposition, prompte à saisir toute occasion de lui faire échec, ceux des conservateurs qui pensaient autrement que lui sur ce problème économique. L'idée de la conversion paraissait alors assez populaire: les porteurs de rente étaient encore peu nombreux en dehors de Paris; la province ne voyait donc dans cette mesure que l'avantage d'alléger le budget, et de l'alléger aux dépens des capitalistes parisiens, ce qui ne déplaisait pas à ses petites jalousies. Aussi, quand vint le débat, le gouvernement, par l'organe de M. Thiers et de M. Duchâtel, eut beau combattre avec force la proposition et se borner à demander un ajournement, les esprits étaient prévenus et montés; l'ajournement fut repoussé par 194 voix contre 192 (5 février). Au sortir de la séance, tous les ministres portèrent au Roi leur démission.

Bien petit grain de sable pour arrêter une machine si puissante et qui semblait marcher si bien! Disproportion singulière entre la cause apparente et l'effet réel, surtout si l'on pense que cet ajournement, repoussé au prix d'une crise ministérielle, prévaudra en fait, sans que personne y trouve à redire, et que, le cabinet tombé, il ne sera pas donné suite à la proposition de conversion! N'y avait-il donc pas, derrière ce vote, autre chose que la question financière qui avait fourni l'occasion et le terrain de la bataille? À bien chercher, on y eût découvert les mêmes causes qui avaient amené les crises ministérielles de la fin des années précédentes, et surtout l'action dissolvante du tiers parti. Celui-ci avait été plus mortifié et irrité que découragé et affaibli par ses récentes mésaventures. Pour n'avoir plus osé faire une guerre ouverte qui n'était pas, du reste, dans ses goûts, il n'en avait pas moins poursuivi ses manœuvres souterraines. Aux conservateurs de frontière, on insinuait que les ministres dont l'énergie avait vaincu le désordre, n'étaient peut-être pas les plus propres à l'œuvre d'apaisement qui devait suivre le combat. On invoquait le besoin d'hommes nouveaux, argument qui, depuis Aristide, a toujours réussi auprès des médiocrités envieuses. On exploitait l'impopularité de M. Guizot, accusé vaguement de vouloir ramener les idées de la Restauration. On irritait toutes les petites blessures qu'avait pu faire la roideur un peu gauche du duc de Broglie, toutes les jalousies qu'éveillait sa haute considération[534]. Ce travail n'avait pas été sans obtenir quelque succès. Au début même de la session, un groupe d'une cinquantaine de députés, venus les uns du tiers parti, les autres de la majorité ministérielle, s'était constitué et se réunissait d'habitude dans l'hôtel de M. Ganneron. Leur prétention était d'être entièrement «indépendants» à l'égard du cabinet. Le bruit courait qu'ils s'étaient engagés à toujours voter ensemble. Ce Ganneron était un riche fabricant de chandelles, esprit court et fantasque, mais qui s'était fait une sorte d'importance politique, depuis que, présidant le tribunal de commerce, au début de la révolution de Juillet, il avait déclaré l'illégalité des Ordonnances. Conservateur et ministériel tant qu'il avait eu peur des émeutes, il se trouvait maintenant assez rassuré pour se poser en «indépendant». Le groupe Ganneron paraît avoir joué un rôle décisif et fatal dans l'affaire de la conversion.

On a voulu voir là également la main du Roi. N'a-t-on pas été jusqu'à accuser ce dernier d'avoir tramé, contre son ministère, une sorte de complot machiavélique? Pure fantasmagorie. Ce qui est vrai, c'est qu'autour du Roi, plus d'un conseiller poussait, depuis quelque temps, au renversement du cabinet, entre autres M. de Talleyrand, le plus écouté de tous. Celui-ci en voulait au duc de Broglie de ne l'avoir pas suivi dans l'évolution par laquelle il s'était éloigné de l'Angleterre, pour se rapprocher des trois cours orientales[535]. De l'hôtel de la rue Saint-Florentin, partaient, contre le ministre des affaires étrangères, des condamnations en forme d'oracles, qui circulaient à la cour et dans le monde politique. Le duc y était déclaré absolument impropre à la diplomatie et convaincu de s'être mis à dos tous les représentants des puissances étrangères[536]. Ces derniers, et particulièrement les ambassadeurs d'Autriche et de Prusse dont nous avons signalé ailleurs les relations fréquentes avec le Roi, secondaient, autant qu'il était en leur pouvoir, les efforts de M. de Talleyrand. Louis-Philippe, bien que ses rapports personnels avec le duc de Broglie fussent moins tendus depuis un an, ne refusait pas d'écouter ce qu'on disait contre le président de son conseil. Il l'avait vu sans plaisir rentrer en mars 1835; il était préparé à voir sans regret son nouveau départ; peut-être même, suivant l'expression du général de Ségur, en «attendait-il l'occasion[537]». Il sentait le duc peu disposé à le suivre dans ses tentatives pour se rapprocher des puissances continentales. Un autre ministre, surtout si l'on avait soin de le choisir de tempérament moins inflexible, n'entrerait-il pas plus facilement dans l'idée royale?

Les ennemis du cabinet s'étaient d'ailleurs efforcés de réveiller chez le prince sa vieille répugnance pour les ministères imposants qui lui laissaient trop peu d'action et de prestige; on tâchait de lui faire voir dans l'union du 11 octobre une coalition menaçante qu'il avait intérêt à dissoudre. Certaines gens, rapporte M. Guizot, disaient à la couronne qu'au lieu d'un cabinet unique avec lequel il lui fallait compter, elle pouvait s'en ménager deux, dont un toujours en réserve et prêt à remplacer l'autre. Ces insinuations et ces conseils, habilement présentés, n'étaient pas mal reçus. Quant au péril d'affaiblir ainsi le gouvernement, nous avons déjà vu que le Roi croyait pouvoir n'en pas tenir compte; ayant le sentiment très-fondé de sa capacité, mais se faisant illusion sur l'étendue de son action, «il était porté à croire, comme le dit encore M. Guizot, que, par lui-même, il suffirait toujours pour faire prévaloir la bonne politique». Tout cela sans doute ne prouve pas que Louis-Philippe ait comploté la chute de son cabinet; mais cela explique comment il le vit tomber sans faire effort ni pour le maintenir, ni pour le restaurer.

III

Conduit à constituer un ministère nouveau, le Roi s'adressa d'abord, sans succès, à M. Humann, au comte Molé et au maréchal Gérard. Il fit aussi appeler les personnages importants du tiers parti, MM. Dupin, Passy et Sauzet; ceux-ci, peu soucieux de recommencer le fiasco du ministère des trois jours, apportèrent plus d'objections que de solutions, prêts à être ministres, non à se charger de faire un ministère. Le Roi avait probablement prévu ces refus, et ce n'est pas de ces côtés qu'il désirait vraiment réussir. Dès le premier jour, reprenant du reste un dessein ancien, il avait résolu de détacher M. Thiers de ses anciens collègues et d'en faire le chef de la nouvelle administration. Nous avons déjà eu occasion de noter le faible du prince pour ce jeune et brillant homme d'État. Au lendemain d'une victoire sur les oppositions de gauche, un ministère Thiers, sans les doctrinaires, lui paraissait avoir cet avantage de marquer, à l'intérieur, une sorte de détente, sans cependant être en réalité un désaveu ou un abandon de la politique suivie jusqu'alors. L'humble origine et la fortune récente de celui dont on voulait faire un président du conseil, son autorité morale encore contestée, et aussi la mobilité de son esprit, faisaient supposer qu'il n'apporterait pas, dans ses rapports avec la couronne, trop d'arrogance ou d'entêtement. D'ailleurs, au besoin, ne pourrait-on pas avoir raison de ses résistances, en lui faisant entrevoir un ministère Guizot?

M. de Talleyrand patronnait chaleureusement M. Thiers; se flattait-il de le dominer? À l'entendre, c'était l'homme indispensable. «M. Thiers, disait-il sentencieusement, n'est pas parvenu, il est arrivé.» Il lui obtenait même l'appui de ceux des ambassadeurs étrangers qui désiraient avant tout ne plus avoir affaire au duc de Broglie. Il leur faisait valoir que son protégé s'était montré récemment opposé à l'alliance proposée par l'Angleterre à la France, en vue d'une action en Orient[538]. Peut-être était-ce déjà par l'effet de ces recommandations qu'en septembre 1835, M. de Metternich, tout en tâchant d'exciter le Roi contre le duc de Broglie, avait glissé quelques compliments à l'adresse de M. Thiers, qu'il «regardait, disait-il, comme doué d'un esprit plus droit que plusieurs de ses collègues[539]».

Que M. Thiers fût ou non au courant de ces manœuvres, sa tenue n'en avait pas moins été très-correcte avant et pendant la crise. Loin d'avoir trempé dans l'intrigue sous laquelle était tombé le cabinet, il avait pris la parole contre la conversion. Aux premières offres que lui fit le Roi, il répondit par un refus. «M. Thiers, écrivait, le 6 février, un ami de M. de Broglie, s'exprime avec une extrême vivacité. Il veut qu'on ne puisse conserver aucun doute sur sa ferme intention de ne pas se séparer de ses collègues. Cela dérange singulièrement les calculs des intrigants qui comptaient sur son concours pour composer un ministère.» Il déclarait hautement, devant de nombreux députés, que «celui des ministres du 11 octobre qui reparaîtrait sur le banc ministériel mériterait d'en être chassé à coups de pied[540]». Quel était le motif du jeune ministre? était-ce intelligence patriotique des avantages de l'union qu'on l'invitait à rompre? était-ce, malgré sa confiance en soi, souci des risques qu'il courait, en brusquant trop la fortune et en voulant marcher seul[541]? Toujours est-il que sa résistance fut d'abord très-nette et très-sincère. Les tentateurs ne s'en émurent pas outre mesure; ils connaissaient cette ambitieuse imagination, et ils comptaient sur elle pour développer les germes qu'ils y avaient jetés. Quel rêve, pour le journaliste d'hier, de se voir à trente-huit ans président du conseil, comme Casimir Périer, comme le maréchal Soult, comme le duc de Broglie, et avant M. Guizot! Son esprit si ardemment curieux et si vite blasé n'était-il pas possédé depuis quelque temps du désir de manier les affaires étrangères, désir que M. de Talleyrand avivait encore, en lui répétant que l'Europe le désirait et l'attendait? On lui persuadait qu'il mènerait à bonne fin le projet de mariage du duc d'Orléans avec une archiduchesse d'Autriche. Allait-il sacrifier de si brillantes visées pour rester à jamais lié à des collègues avec lesquels il avait peu d'affinités, dont il avait toujours jalousé la considération supérieure, et dont l'impopularité lui avait tant de fois paru compromettante? De toutes parts, il se voyait pressé par le Roi, par M. de Talleyrand, par ses amis particuliers de la Chambre qui se trouvaient être, pour la plupart, les ennemis des doctrinaires, et jusque par les opposants de gauche qui, comprenant de quel intérêt il était pour eux de diviser les hommes du 11 octobre, lui faisaient espérer leur bienveillance. Enfin, pour piquer son amour-propre, on lui rapportait que les doctrinaires traitaient son élévation à la présidence du conseil de scandale impossible et promettaient à sa présomption le plus prompt châtiment. Il y avait là de quoi ébranler un cœur plus fidèle, plus austère et plus ferme. Aussi s'aperçut-on bientôt qu'il s'habituait peu à peu à l'idée d'une séparation. Toutefois, pour faire le pas décisif, il eût voulu y être poussé ou au moins autorisé par ses anciens collègues eux-mêmes. On disait généralement que les membres du cabinet s'étaient engagés, les uns envers les autres, à s'en aller ou à rentrer tous ensemble. L'engagement avait-il été formel, ou n'était-ce qu'une obligation morale, résultant de la situation plus encore que des paroles échangées? Toujours est-il que M. Thiers se sentait gêné, tant qu'il n'avait pas été délié par le duc de Broglie dont l'autorité morale lui imposait. Il lui fit, à plusieurs reprises, des insinuations dans ce sens, affectant de le prendre pour confident de ses incertitudes et de ses scrupules; mais le duc ne voulait pas comprendre. Le Roi se décida alors à intervenir et à demander à M. de Broglie de rendre la liberté à son jeune collègue. L'ancien président du conseil était trop fier pour refuser. Il déclara donc que M. Thiers était entièrement libre; seulement, avec une clairvoyance à laquelle ne se mêlait aucune petite jalousie, il invita Louis-Philippe à bien réfléchir, avant de donner suite à son dessein, l'avertissant que s'il élevait une fois M. Thiers au premier rang, il devrait l'y garder toujours; car il ne pourrait l'en faire descendre sans risquer de le rejeter dans le parti révolutionnaire. Le Roi n'était pas en disposition d'écouter l'avertissement; il se borna à remercier le duc de Broglie d'avoir levé l'obstacle devant lequel hésitait M. Thiers, et il le fit avec une effusion qui révélait tout le prix qu'il attachait avoir aboutir sa combinaison.

Dès lors, M. Thiers ne se défendit plus. Son parti pris, il ne fut pas long à constituer son ministère. Tout fut terminé le 22 février. Il garda trois membres de l'ancien cabinet, le maréchal Maison, l'amiral Duperré et le comte d'Argout, et il leur adjoignit trois députés du tiers parti, MM. Passy, Sauzet et Pelet de la Lozère, ainsi que M. de Montalivet, qui avait la confiance du Roi. Il eût voulu conserver aussi M. Duchâtel, mais celui-ci refusa.

Dans la dissolution qui venait de s'accomplir, il y avait de l'irréparable. Le ministère tombé n'était pas de ceux qui ont chance de se relever. Cette chute brisait à jamais l'union fragile, mais précieuse et féconde entre toutes, qui, commencée sous l'autorité de Casimir Périer, confirmée dans le cabinet du 11 octobre, avait rassemblé sous le même drapeau, dans le même faisceau, des hommes comme le duc de Broglie, M. Guizot et M. Thiers. Le drapeau replié, le faisceau rompu, chacun de ces hommes reprenait sa liberté d'action, et dès lors devaient éclater entre eux les contradictions de leurs origines, de leurs natures et de leurs doctrines. La formation du nouveau ministère hâta l'explosion de ces contradictions. Pendant que M. Thiers prenait le pouvoir dans des conditions qui le forçaient à incliner vers la gauche, M. Guizot se retrouvait le chef des conservateurs purs, dans une attitude d'observation peu bienveillante, inquiet pour ses idées et froissé dans son ambition, attendant impatiemment le moment où il pourrait à la fois rétablir la vraie politique de résistance et regagner l'avance que son jeune rival venait de prendre sur lui[542]. Quelques esprits clairvoyants, soucieux d'empêcher ou d'atténuer une séparation si fâcheuse, eussent désiré que M. Guizot fût porté à la présidence de la Chambre. M. Duvergier de Hauranne s'en ouvrit à M. Thiers. «Vous avez, lui dit-il, M. Guizot et vous, servi puissamment, par votre union, notre cause commune. Il faut que, séparés, vous la serviez encore tous les deux. Puis donc que vous ne pouvez plus faire partie du même ministère, que l'un soit chef du cabinet et l'autre président de la Chambre. Ainsi vos amis ne se diviseront pas, la majorité restera unie, et, ce qui est, à la vérité, une considération secondaire, M. Dupin, qui depuis trois ans travaille à vous diviser, sera puni par son propre succès.» En parlant ainsi, M. Duvergier de Hauranne regardait avec attention son interlocuteur. Tout alla bien jusqu'à l'allusion faite à la présidence de la Chambre. Mais, à ce mot, il vit la lèvre du jeune ministre se recourber et son sourcil se froncer. Il lui fut clair, dès ce moment, que si M. Thiers entrait au ministère, ce serait pour rompre avec M. Guizot et chercher son appui ailleurs[543]. Quant au duc de Broglie, il vit tomber le ministère qu'il présidait, avec tristesse pour son pays, sans regret pour lui-même, emportant, des intrigues qu'il avait vues s'agiter autour de lui et contre lui, une impression de dégoût sans aigreur, mais non sans mépris, qui augmenta encore son éloignement naturel pour le pouvoir. Aussi, étranger désormais aux compétitions de personnes, supérieur aux coteries, s'en tiendra-t-il, jusqu'à la fin de la monarchie, au rôle d'une sorte de politique consultant, servant parfois de parrain ou de conseiller aux ministres, mais résolu à ne plus être leur collègue; heureux d'ailleurs de pouvoir reprendre des études fièrement solitaires dont il ne sentira même pas le besoin de livrer le résultat au public, et surtout de se livrer aux méditations philosophiques et religieuses, si droites et si viriles, qui devaient, par une montée laborieuse, mais constante, l'élever peu à peu jusqu'à la pleine possession de la vérité chrétienne.

Pendant son existence, le ministère du 11 octobre, à la différence du ministère Périer, n'avait pas toujours été apprécié à sa valeur par l'opinion conservatrice. Mais si tout le monde ne vit pas, au moment même, ce qu'avait d'irrémédiable et de néfaste la séparation des hommes qui venaient de gouverner ensemble la France pendant plus de trois ans, on allait bientôt s'en rendre compte, au spectacle de la longue crise qui devait se prolonger de 1836 à 1840: triste période de décomposition parlementaire et d'instabilité ministérielle, qui aboutira au dedans au démoralisant scandale de la coalition, au dehors à la périlleuse mésaventure de 1840, et dont les fâcheuses conséquences pèseront jusqu'à la révolution de Février sur notre politique intérieure et extérieure. Combien alors d'hommes politiques comprendront trop tard et regretteront amèrement le mal fait à la cause conservatrice, au régime parlementaire, à la monarchie, à la France, par la rupture consommée en février 1836!

Avant de passer à cette nouvelle phase de la monarchie de Juillet, jetons, de haut et de loin, un dernier et rapide regard sur les années qui viennent de s'écouler. Considérons les grands résultats d'ensemble, sans nous arrêter aux petites misères de détail, conséquences nécessaires de tout gouvernement humain, pas plus nombreuses, mais seulement plus en vue avec le régime parlementaire. Que voyons-nous? En 1830, la révolution maîtresse de toutes les institutions et de tous les esprits, avec une puissance d'élan à laquelle rien ne semble devoir résister; au dedans, le règne de l'anarchie, l'émeute dans la presse, dans les clubs et dans la rue, toutes les forces gouvernementales désorganisées, toutes les autorités sociales sans crédit sur la foule, sans confiance en elles-mêmes, la menace d'une immense faillite pesant sur les fortunes privées et sur la fortune publique, le désordre ayant son contre-coup dans les intelligences et dans les âmes, l'effondrement des croyances, la guerre au christianisme, des aberrations comme le saint-simonisme; au dehors, la France suspecte, mise au ban de l'Europe monarchique, et le péril imminent d'une guerre où, sans finances, avec une armée affaiblie, il nous faudrait combattre seuls contre une nouvelle coalition. Six ans s'écoulent, et au dedans la révolution est contenue, les émeutes écrasées, les clubs fermés, les sociétés secrètes dissoutes, la presse réprimée, la sécurité rétablie; le gouvernement a reconquis sa force matérielle et une partie de son autorité morale; le crédit public est restauré, le commerce et l'industrie jouissent d'une prospérité sans précédent; la religion même a retrouvé, auprès de la société moderne, une popularité qu'elle n'avait pas connue depuis longtemps. Au dehors, la paix est assurée, tous les périls extérieurs sont écartés, des avantages considérables, comme la constitution de la Belgique, ont été obtenus, d'autres peuvent être espérés; la France de 1830 a obligé l'Europe à compter avec elle et lui a appris à compter sur elle. Et cette victoire sur la révolution a été remportée sans qu'il en ait rien coûté à la liberté, sans un acte arbitraire, sans une heure de dictature. C'est à la tribune même que cette émouvante et décisive bataille a été livrée et gagnée.

Avec les premières années de la Restauration, ces débuts de la monarchie de Juillet sont une des périodes les plus honorables de l'histoire des gouvernements libres. Nous ne méconnaissons pas les différences des deux époques. Mais enfin, dans l'une et l'autre, la royauté constitutionnelle a eu ce mérite, rare entre tous, de remonter la pente sur laquelle les événements l'avaient placée; elle l'a fait par sa volonté, et par la vertu même de son institution. Après 1815, elle s'était élevée généreusement à la liberté, malgré tout ce qui menaçait de la faire retomber dans l'ancien régime. Après 1830, elle a courageusement rétabli l'ordre et restauré l'autorité, malgré tout ce qui la poussait vers la révolution.

FIN DU TOME SECOND.

TABLE DES MATIÈRES

LIVRE II
LA POLITIQUE DE RÉSISTANCE
(13 MARS 1831—22 FÉVRIER 1836)
(SUITE)

 Pages

Chapitre IV.La résistance de Casimir Périer (mars 1831—mai 1832) 1

I. Lutte de Casimir Périer contre le parti révolutionnaire. Répression des émeutes. Celles-ci deviennent plus rares. Insurrection de Lyon, en novembre 1831. Troubles de Grenoble, en mars 1832. 1

II. Procès politiques. Le jury. Scandale de ses acquittements. Violences qui suivent ses rares condamnations. Audace des accusés à l'audience. Le ministre continue néanmoins à ordonner des poursuites. 8

III. Périer fait surtout appel à l'opinion. Comment il use de la presse et de la tribune. Périer orateur. Il raffermit et échauffe la majorité. Il combat l'opposition. Tactique de celle-ci pour seconder ou couvrir les séditieux. Langage que lui lient le ministre. Attitude de Périer en face des émeutes qui suivent la prise de Varsovie et dans la discussion sur la révolte de Lyon. Il souffre et s'épuise dans ces luttes sans cesse renouvelées. 12

Chapitre V.Les lieutenants de Casimir Périer (mars 1831—mai 1832). 28

I. Casimir Périer sait grouper autour de lui les orateurs les plus considérables. M. Dupin. Son importance à cette époque. Sa fidélité et sa résolution au service de Périer. Ses rancunes contre le parti révolutionnaire et ses inquiétudes personnelles. Caractère de sa résistance. 28

II. M. Guizot. Ce qu'était alors son talent oratoire. Champion décidé de la résistance. Sa préoccupation des principes. Sa thèse sur l'origine de la monarchie nouvelle. Son impopularité. Ce que pensaient de lui le Roi et Périer. 32

III. M. Thiers. Ses variations au lendemain de 1830. Successivement collaborateur du baron Louis et de M. Laffitte. Défenseur ardent de Casimir Périer. Son défaut d'autorité. En quoi sa conception de la monarchie différait de celle de M. Guizot. Son discours en faveur de la pairie. Ses débuts oratoires. Il est très-attaqué par la gauche. La supériorité de talent est du côté du ministère. 37

Chapitre VI.Les faiblesses de la politique de Casimir Périer. 50

I. Périer est obligé de combattre avec des armes émoussées et faussées. On rappelle aux ministres leur passé. État des esprits dans le parti conservateur. Le sentiment monarchique y fait défaut. Question de la liste civile. Pamphlets de M. de Cormenin. Débat à la Chambre. 50

II. Concessions que Périer se croit obligé de faire au trouble des esprits. Question de la pairie. Discours de Royer-Collard. Suppression de l'hérédité. 61

III. Politique religieuse. Amélioration produite par l'avénement de Périer. Dispositions du clergé. Attitude du Pape. Sentiments personnels de Périer. Le gouvernement n'ose rouvrir Saint-Germain l'Auxerrois et rebâtir l'archevêché. Dispersion des Trappistes de la Meilleraye. Interdiction des processions. Obsèques de l'évêque Grégoire. Affaire de l'abbé Guillon. Vexations des municipalités. Le christianisme banni de toutes les solennités officielles. La religion maintenue dans l'enseignement public. Le budget des cultes à la Chambre. Langage élevé de M. Guizot. 68

Chapitre VII.Maladie et mort de Casimir Périer (mars—mai 1832). 96

I. Résultats de la politique de Périer. Succès complet à l'extérieur; moins complet, mais considérable, à l'intérieur. Ce succès proclamé par les amis et reconnu par les adversaires. C'est l'ouvre personnelle de Périer. Sa tristesse. D'où venait-elle? 96

II. Le choléra. Physionomie de Paris en proie au fléau. Dévouement du clergé. Émeutes hideuses révélant la maladie morale de la nation. 106

III. Casimir Périer atteint par le choléra. Violences de son agonie. Manifestations haineuses de ses adversaires et désolation de ses amis. Sa mort, le 16 mai 1832. Depuis lors, la gloire de Casimir Périer n'a fait que grandir. 111

Chapitre VIII.L'épilogue du ministère Casimir Périer (mai—octobre 1832). 116

I. On ne remplace pas Casimir Périer, tout en prétendant conserver son «système». Y a-t-il velléité de réduire rétrospectivement le rôle de Périer? Sentiments du Roi à cet égard. Son désir de gouverner et de paraître gouverner. Il ne veut pas, du reste, faire fléchir la résistance. 116

II. Effet produit dans le gouvernement par la disparition de Périer. Reprise d'agitation dans le parti révolutionnaire. L'opposition parlementaire publie son «compte rendu». 122

III. L'enterrement du général Lamarque, le 5 juin, est l'occasion d'une émeute. Énergie de la répression. La lutte se prolonge le 6 juin. Victoire du gouvernement. Attitude des chefs du parti républicain pendant ces deux journées. Démarche de MM. O. Barrot, Laffitte et Arago auprès de Louis-Philippe. 126

IV. Les journaux de gauche protégent les vaincus des 5 et 6 juin. L'ordonnance d'état de siége et les polémiques qu'elle soulève. Arrêt de la Cour de cassation. Retrait de l'ordonnance. 136

V. Les royalistes se soulèvent en Vendée, en même temps que les républicains à Paris. La presse légitimiste après 1830. Chateaubriand. M. de Genoude. Tentative d'union des opposants de droite et de gauche. Cette hostilité des royalistes nuisible à la fois au gouvernement de Juillet et à la cause légitimiste. 139

VI. Le parti d'action parmi les royalistes. Le complot des Prouvaires. Rêve d'une prise d'armes en Vendée et dans le Midi. La duchesse de Berry et Charles X. La duchesse prépare une expédition en France. Son débarquement. Elle échoue dans le Midi. Tentative de soulèvement en Vendée. Elle est aussitôt réprimée. 149

VII. La double victoire de la monarchie de Juillet sur les républicains et les légitimistes est complétée par la mort du duc de Reichstadt. L'autorité du ministère n'est pas cependant rétablie. Il paraît incapable de tirer parti de ses victoires. Même insuffisance pour la politique étrangère. Le cabinet n'est pas en mesure de se présenter devant les Chambres. Le Roi se résigne à un remaniement ministériel. 158

Chapitre IX.La formation et les débuts du ministère du 11 octobre. 166

I. Louis-Philippe, obligé à regret de modifier son ministère, s'adresse à M. Dupin. Refus de ce dernier. Ses motifs. Le maréchal Soult chargé de former un cabinet de coalition conservatrice. Difficultés venant des préventions soulevées contre M. Guizot. Ouvertures faites au duc de Broglie. 166

II. Antécédents du duc de Broglie, peu populaire, mais très-respecté. Son éloignement pour le pouvoir. Il ne veut pas entrer au ministère sans M. Guizot. 172

III. On accepte M. Guizot en le plaçant au ministère de l'instruction publique. Composition et programme du cabinet. 176

IV. Nécessité pour le ministère d'en imposer à l'opinion. Occasion fournie par la question belge. Convention du 22 octobre avec l'Angleterre. Les troupes françaises en marche contre Anvers. 178

V. Mesures prises par M. Thiers pour se saisir de la duchesse de Berry. Trahison de Deutz. Que faire de la prisonnière? On écarte l'idée d'un procès. La princesse transférée à Blaye. 183

VI. Ouverture de la session. Discussion de l'Adresse. Succès du ministère. 187

VII. Siége et prise d'Anvers. Résultats heureux de cette expédition pour la Belgique et pour la France. 189

VIII. Débats à la Chambre, sur la duchesse de Berry. Le bruit se répand que celle-ci est enceinte. Agitation des esprits et conduite du gouvernement. Après son accouchement et la déclaration de son mariage secret, la princesse est mise en liberté. Sentiments du Roi en cette affaire. Faute commise. 192

IX. Les royalistes obligés de renoncer à la politique des coups de main. Berryer. Son origine. Son attitude après 1830. Il cherche à être l'orateur de toute l'opposition. Son succès. Avantages qui en résultent pour le parti royaliste. Berryer est cependant attaqué par une fraction de ce parti. 200

X. Chateaubriand se tient à l'écart, découragé, bien que non adouci. Son état d'esprit. Sa triste vieillesse. 205

XI. Fécondité législative des sessions de 1832 et 1833. Calme et prospérité du pays. Après tant de secousses, était-on donc enfin arrivé à l'heure du repos? 208

Chapitre X.Les insurrections d'avril (juin 1833—juin 1834). 213

I. La Société des Droits de l'homme. Elle entretient et excite les passions révolutionnaires. Préparatifs d'émeute en vue des fêtes de Juillet. La question des «forts détachés». L'émeute avorte. 213

II. Agitation socialiste. Déclaration par laquelle la Société des Droits de l'homme se met sous le patronage de Robespierre. Effet produit. Attitude des républicains modérés, particulièrement de Carrel. Ce dernier est sans autorité et jalousé dans son parti. Ses déboires et sa tristesse. 220

III. Efforts du gouvernement pour réprimer le désordre. Faiblesses du jury. L'affaire des crieurs publics met en lumière l'insuffisance de la législation. Les conservateurs comprennent la nécessité de lois nouvelles. 227

IV. Session de 1834. Loi sur les crieurs publics. Loi sur les associations. Cette dernière est une loi de défiance et de déception. À qui la faute? 233

V. Irritation des sociétés révolutionnaires. Appel à l'insurrection. Embarras des chefs. La situation à Lyon. Bataille dans les rues de cette ville, du 9 au 13 avril. Défaite des insurgés. Émotion produite par les nouvelles de Lyon. L'émeute éclate à Paris et est promptement vaincue. Autres tentatives d'insurrection en province. 241

VI. Lois pour augmenter l'effectif de l'armée et pour interdire la détention des armes de guerre. Découragement des républicains. Mort de La Fayette. Élections de juin 1834, marquant la défaite du parti révolutionnaire. Grand élan de prospérité matérielle. 249

Chapitre XI.Les crises ministérielles et le tiers parti (avril 1834—mars 1835). 253

I. Le traité des 25 millions avec les États-Unis. La Chambre rejette le crédit. Démission du duc de Broglie. Pourquoi le Roi accepte facilement cette démission. Reconstitution du cabinet. 253

II. Difficultés entre le maréchal Soult et ses collègues. Rupture à l'occasion de la question algérienne. Démission du maréchal. Il est remplacé par le maréchal Gérard. Faute commise. 258

III. Discrédit de la gauche parlementaire. Le tiers parti. Ce qu'il était. Rôle qu'y jouait M. Dupin. Le Constitutionnel. 262

IV. Première manœuvre du tiers parti dans l'Adresse de 1834. II sort plus nombreux des élections de juin 1834. 266

V. Nouvelle manœuvre dans l'Adresse d'août 1834. Agitation pour l'amnistie. Le maréchal Gérard, poussé par le tiers parti, se prononce en faveur de l'amnistie. Il donne sa démission. 268

VI. Embarras pour trouver un président du conseil. Le Roi ne veut pas du duc de Broglie. Mauvais effet produit par la prolongation de la crise. M. Guizot et M. Thiers décident de céder la place au tiers parti. Démission des ministres. Le Roi essaye vainement de détacher M. Thiers de M. Guizot. Le ministère des trois jours. Reconstitution de l'ancien cabinet sous la présidence du maréchal Mortier. 273

VII. Le gouvernement oblige la Chambre à se prononcer. Vote d'un ordre du jour favorable. Débat sur la construction d'une salle d'audience pour la cour des pairs. Incertitudes de la majorité. Polémiques sur l'absence d'un vrai président du conseil. Nouveaux efforts pour séparer M. Thiers et M. Guizot. Divisions entre les ministres. Démission du maréchal Mortier. 282

VIII. M. Guizot est résolu à exiger la rentrée du duc de Broglie. Après avoir vainement essayé d'autres combinaisons, le Roi consent à cette rentrée. Résistance de M. Thiers, qui finit aussi par céder. Reconstitution du cabinet sous la présidence du duc de Broglie. 292

Chapitre XII.Le procès d'avril et les lois de septembre (mars—décembre 1835). 296

I. Succès parlementaires du ministère. Le traité des 25 millions approuvé par la Chambre. Discussion sur les fonds secrets. Accord de M. Guizot et de M. Thiers. Bons rapports du duc de Broglie et du Roi. 296

II. Procès des insurgés d'avril. L'affaire des défenseurs. La révolte à l'audience. M. Pasquier. Attitude du parti républicain. La prétendue lettre des défenseurs. Discrédit des accusés. La cour parvient à dominer toutes les tentatives d'obstruction. Condamnation des accusés lyonnais. Le dernier arrêt est rendu le 28 janvier 1836. Tort que se sont fait les républicains. 302

III. La machine infernale du boulevard du Temple. Fieschi, Morey et Pépin. Leur procès. Responsabilité du parti républicain dans ce crime. 312

IV. Effet produit par l'attentat. Lois proposées sur le jury, sur les actes de rébellion et sur la presse. Accueil fait par l'opinion. La discussion. Discours de Royer-Collard et du duc de Broglie. Résultat des lois de septembre. 318

V. Le parti républicain est pleinement vaincu. État d'esprit de Carrel. Son duel avec M. de Girardin et sa mort. 329

Chapitre XIII.La question religieuse sous le ministère du 11 octobre (octobre 1832—février 1836). 333

I. Les préventions irréligieuses, non complétement dissipées, sont cependant moins fortes. Dispositions de la Chambre. Amendement excluant les prêtres des conseils généraux et leur refusant la présence de droit dans les comités de surveillance des écoles. Votes émis relativement à la réduction du nombre des évêchés. L'intolérance a diminué dans les conseils électifs et dans les administrations. Témoignage de M. de Tocqueville. 333

II. Conduite du ministère dans les affaires religieuses. Malgré quelques incertitudes, il y a amélioration. Faits à l'appel. Les congrégations tolérées. Les nominations d'évêques. M. Guizot et la loi de l'enseignement primaire. La religion dans l'école publique. Le curé dans le comité de surveillance. Circulaires pour l'exécution de cette partie de la loi. La liberté de l'enseignement. M. Guizot et les congrégations enseignantes. Projet sur l'instruction secondaire. Le gouvernement accusé de réaction religieuse. 339

III. La religion regagne ce qu'elle avait perdu dans les âmes. Déception douloureuse du rationalisme. Aveux et gémissements des contemporains. Retour à la religion, surtout dans la jeunesse. Affluence dans les églises. Élan dans le sein du catholicisme. Ozanam et la jeunesse catholique. La Société de Saint-Vincent de Paul. Les conférences de Notre-Dame. 350

Chapitre XIV.La politique étrangère sous le ministère du 11 octobre (octobre 1832—février 1836). 359

I. La question de paix ou de guerre, débattue depuis 1830, est maintenant résolue. État des affaires de Belgique, d'Italie et de Pologne. 359

II. Guerre entre l'Égypte et la Turquie. Méhémet-Ali. Le sultan vaincu fait appel aux puissances. Accueil fait à cet appel. La Porte demande le secours de la Russie. Le ministère du 11 octobre cherche à écarter cette puissance. L'amiral Roussin à Constantinople. Paix entre le sultan et le pacha. Traité d'Unkiar-Skelessi. Son effet en Europe. 362

III. Le Czar voudrait pousser à une croisade contre la France. Dispositions qu'il rencontre en Autriche et en Prusse. Entrevue de Münchengraetz. Froideur du gouvernement de Berlin. Les trois notes adressées à la France. Réponse haute et roide du duc de Broglie. Inefficacité de la manifestation des puissances. Entrevues de Kalisch et de Tœplitz. 373

IV. Entente de la France et de l'Angleterre. Efforts faits par M. de Talleyrand pour la transformer en une alliance formelle et générale. Traité de la Quadruple Alliance. 386

V. Origine et portée de la Quadruple Alliance. Question de la succession royale en Espagne et en Portugal. Mauvais état des affaires d'Isabelle. Le gouvernement espagnol demande l'intervention de la France. Discussion au sein du ministère français. M. Thiers et le Roi. On décide de refuser l'intervention. 389

VI. Les désagréments de l'alliance anglaise. Le duc de Broglie veut cependant y demeurer fidèle. M. de Talleyrand et Louis-Philippe désirent la relâcher et se rapprocher des puissances continentales. Sentiment du duc de Broglie sur ces dernières. Relations du Roi avec les ambassadeurs et les ministres étrangers. Sur certains points, cependant, mauvaise volonté persistante des puissances. En quoi le Roi se trompait et en quoi le duc de Broglie était trop roide. 399

VII. Plan du duc de Broglie, dans la question d'Orient, pour rapprocher l'Autriche des deux puissances occidentales. Dans quelle mesure l'Angleterre et l'Autriche étaient disposées à y concourir. Combien il est malheureux que ce plan n'ait pu être réalisé. 418

Chapitre XV.La chute du ministère du 11 octobre (décembre 1835—février 1836). 426

I. Bon état des affaires au dedans et au dehors, vers la fin de 1835. Le ministère va-t-il en recueillir le bénéfice? 426

II. Discussion de l'Adresse de 1836. Incident sur la Pologne. Pressentiments dans les régions ministérielles. Déclaration de M. Humann sur la conversion des rentes. Démission du ministre des finances. Débat sur la conversion. Le ministère, mis en minorité, donne sa démission. Qu'y a-t-il derrière le vote de la Chambre? Manœuvre du tiers parti. Le groupe Ganneron. Dans quelle mesure faut-il y voir la main de Louis-Philippe? 428

III. Le Roi s'occupe de constituer un nouveau cabinet. Il veut en charger M. Thiers. Celui-ci est poussé par M. de Talleyrand. Premier refus de M. Thiers. Il finit par consentir. Séparation irrévocable de M. Guizot et de M. Thiers. Malheur de cette séparation, qui a été mieux compris plus tard. Grandes choses accomplies dans les six premières années de la monarchie de Juillet. 435

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

PARIS. TYPOGRAPHIE DE E. PLON, NOURRIT ET Cie, RUE GARANCIÈRE, 8.

Notes

Chargement de la publicité...