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Histoire de la Monarchie de Juillet (Volume 5 / 7)

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Cet état d'esprit des ministres n'était pas le seul obstacle auquel se heurtait la bonne volonté de M. Guizot: il y en avait un plus embarrassant encore, c'était le sentiment régnant dans le Parlement, non seulement à gauche, où, sauf de rares exceptions, tout le monde repoussait une liberté qui pouvait profiter à la religion, mais aussi dans la majorité conservatrice, où le plus grand nombre, par fidélité à la mauvaise tradition de 1830, répugnait à laisser prendre au clergé plus d'action sur la société. Parmi ceux qui naguère s'étaient montrés bienveillants pour l'Église, plusieurs l'avaient crue vaincue et réduite pour toujours à l'état d'une cliente affaiblie, timide, qu'ils étaient alors flattés d'avoir sous leur protection. Mais la voir relever la tête, l'entendre parler un langage fier, mâle, hardi, cela les surprenait, les choquait et réveillait leurs vieilles préventions. Ils ne parvenaient pas d'ailleurs à comprendre les sentiments et les besoins au nom desquels parlaient les évêques. «Voilà de singulières querelles pour notre temps», écrivait l'un d'eux. Arborer le drapeau religieux, dix ans après la révolution de Juillet, leur paraissait une sorte de bizarrerie inexplicable, un éclat de mauvais goût, absolument comme si, dans un salon, ceux-là venaient tout à coup à parler bruyamment que leur situation obligeait à garder un silence modeste. On ne s'expliquait pas le rôle de M. de Montalembert. «Que veut-il? disait-on. Où cela peut-il le mener? Il ne tiendrait qu'à lui d'être ambassadeur en Belgique, et il se rend impossible de gaieté de cœur.» Aussi, en 1843, lorsque les bureaux de la Chambre des députés furent saisis d'une très modeste proposition, déposée par M. de Carné et tendant seulement à supprimer le certificat d'études, ne se trouva-t-il que deux bureaux sur neuf qui autorisèrent la lecture du projet; des ministériels s'étaient unis aux hommes de gauche, pour refuser même de l'examiner.

M. Guizot ne croyait pas possible d'aller à l'encontre de ces préventions. Aux catholiques qui se plaignaient, il répondait avec mélancolie: «Mais mettez-vous donc à ma place!» Attristé de ne pouvoir faire ce qu'il eût voulu, il gardait en ces questions une réserve qui ne convenait guère à son rôle de ministre dirigeant. Du 29 octobre 1840 au mois d'avril 1844, il ne prit pas une seule fois la parole dans les débats qui s'engagèrent sur la liberté d'enseignement ou autre sujet religieux. Il laissa au ministre des cultes et à celui de l'instruction publique le soin d'y représenter le gouvernement, ce qu'ils firent avec des différences d'accent qui à elles seules eussent suffi pour révéler qu'il n'y avait eu, sur ce point, ni attitude concertée ni impulsion donnée. Y aurait-il eu moyen, avec un peu de décision et de volonté, de dominer, de redresser une opinion qui n'était pas possédée par des passions bien profondes? Question délicate, qu'on doit se garder de trancher légèrement. En tout cas, M. Guizot ne paraît pas l'avoir essayé. Il n'avait pas l'habitude, on le sait, de violenter cette majorité dont il craignait toujours le démembrement, et plus d'une fois déjà, nous l'avons vu ainsi amené à suivre une politique qui n'était pas vraiment la sienne.

L'état d'esprit de M. Guizot et de ses collègues n'est pas le seul qu'il soit intéressant de connaître. Au-dessus du ministère était le Roi, qui, par son activité d'esprit, son sens politique si aiguisé, méritait d'exercer et exerçait en effet une action considérable sur la marche des affaires. Quelle était son opinion sur les questions soulevées par les réclamations des catholiques? Louis-Philippe était personnellement un homme du dix-huitième siècle: il en avait à la fois le scepticisme et la sensibilité. Mais, chez lui, le politique, par instinct et par expérience, sentait très vivement l'intérêt du gouvernement à vivre en paix avec le clergé. De concert avec ses ministères successifs, il s'était appliqué à remettre sur un bon pied les rapports des deux pouvoirs. Nous l'avons entendu, dès 1830, dire cette parole si juste dans sa vive familiarité: «Il ne faut jamais mettre le doigt dans les affaires de l'Église; il y reste.» N'eût-il pas eu cette raison politique de craindre les conflits, qu'il les eût évités pour ne pas attrister la reine Marie-Amélie. «Ne me faites pas d'affaires avec cette bonne reine», répétait-il souvent à M. Cousin quand celui-ci était son ministre. Seulement, s'il avait l'esprit trop fin pour ne pas voir les embarras et les périls d'une lutte avec le catholicisme, il ne se rendait peut-être pas aussi bien compte de l'efficacité et de la nécessité sociale de la religion; et surtout, il ne savait pas toujours discerner à quelles conditions on pouvait satisfaire les consciences. Il y avait là des idées et des sentiments qui lui étaient étrangers. Pas plus que certains députés de la majorité, il ne comprenait l'attitude de M. de Montalembert, et il avait coutume de demander quand le jeune pair entrerait dans les Ordres. La vraie portée de la lutte pour la liberté d'enseignement lui échappait, et il l'appelait parfois «une querelle de cuistres et de bedeaux». Ce n'est pas qu'il fût porté à prendre parti pour les «cuistres» contre les «bedeaux». Les prétentions de la philosophie inquiétaient son bon sens, et, dans le monde universitaire, on se plaignait généralement que «le parti prêtre fût soutenu par le château». D'autre part cependant, le Roi se méfiait de l'enseignement du clergé: il craignait que, des collèges ecclésiastiques, les enfants ne sortissent «carlistes». En somme, pour le moment, sa pensée ne se dégageait pas nettement. On sait d'ailleurs qu'il était dans la nature de cet esprit pourtant si brillant et si étendu, dans les habitudes de ce politique par certains côtés si consommé, de ne pas prendre volontiers parti sur les questions de principes, mais de louvoyer au milieu des faits avec une souplesse patiente et avisée, multipliant au besoin les inconséquences pour éviter les conflits. Rien chez lui de cette jeunesse chevaleresque, parfois un peu naïve et téméraire, qui se plaît à poser les grandes questions. Il aimait mieux tourner une difficulté que de l'aborder de front, ajourner un problème que de tenter de le résoudre. D'ailleurs, il croyait peu à la puissance du bien et beaucoup à celle du mal; il pensait qu'à combattre le mal de front, on risquait de se faire briser, et que le meilleur moyen de lui échapper était de ruser avec lui, en le cajolant. Ainsi l'avons-nous vu, au début, en user avec l'esprit révolutionnaire. Peut-être était-il disposé à traiter de même la passion antireligieuse, si celle-ci se montrait trop menaçante; non pas sans doute qu'il la partageât ou voulût lui céder; mais il estimait que c'était la seule manière, sinon de détruire, au moins de limiter son action malfaisante. Était-ce une tactique heureuse ou nécessaire dans les matières purement politiques? En tout cas, s'il était des questions où les expédients fussent insuffisants, où les courtes habiletés ne pussent prévenir les conflits, ni les petites caresses faire oublier les légitimes griefs, c'étaient celles qui intéressaient la conscience religieuse. Le Roi devait en faire l'expérience, parfois non sans surprise ni déplaisir; à ce point de vue, ses rapports avec Mgr Affre sont assez curieux à étudier.

Louis-Philippe avait été très ennuyé de l'opposition de Mgr de Quélen. Quand il fut question de lui trouver un successeur, fidèle à sa pratique constante dans les choix d'évêques, il voulut avant tout un prêtre justement considéré; mais il ne lui déplut pas d'appeler à ce siège élevé un personnage sans patronage et sans clientèle, que ne désignaient ni un grand nom, ni un talent hors ligne, ni une haute situation. Jugeant des choses ecclésiastiques par ce qui se passait dans la politique, il comptait ainsi, non pas pouvoir exercer sur le nouveau prélat une pression qui n'était pas dans ses desseins, mais lui en imposer, l'avoir dans sa main. Mgr Affre fut tout de suite fort attiré aux Tuileries, où il était aimablement accueilli. Le Roi se plaisait à ces bons rapports auxquels ne l'avait pas habitué la bouderie hautaine de Mgr de Quélen. Tel soir, par exemple, pendant une grande réception, il tenait le prélat assis à ses côtés sur un canapé, et répétait à tous ceux qui venaient le saluer: «Je cause avec mon cher archevêque.» Il se livrait avec lui à toute l'abondance de sa conversation, s'étendant sur le bien qu'il voulait au catholicisme: «Ah! si je n'étais pas là, s'écriait-il, tout serait bouleversé. Que deviendriez-vous? Que deviendrait la religion?» Il le consultait sur les choix épiscopaux. «Il est délicieux, disait-il, notre cher archevêque: comme il juge bien les hommes[528]!» Mgr Affre se prêtait à ces effusions avec une gravité peu souple. Nullement hostile à l'établissement de Juillet, fort mal vu pour cette raison du parti légitimiste, opposé par goût à toute démarche téméraire, plus que personne il désirait un accord entre le clergé et la monarchie de 1830. Mais il ne se payait pas de caresses auxquelles sa nature droite et un peu fruste était moins sensible qu'une autre; nul n'était plus éloigné de se réduire au rôle d'un prélat de cour qui éviterait avant tout de paraître gênant. Aussi, quand, après le projet de 1841, la question d'enseignement fut mise à l'ordre du jour, voulut-il user des relations que lui avait permises la faveur royale, pour aborder ce sujet. Ce n'était pas l'affaire du souverain, qui croyait pouvoir passer à côté de la question sans prendre parti. Aux premiers mots de l'archevêque, il changea la conversation. Plusieurs fois, le prélat revint au sujet loin duquel l'entraînaient les digressions calculées de son interlocuteur. Tout à coup Louis-Philippe lui dit: «Monsieur l'archevêque, vous allez prononcer entre ma femme et moi. Combien faut-il de cierges à un mariage? Je soutiens que six cierges suffisent; ma femme prétend qu'on en doit mettre douze. Je me rappelle fort bien qu'à mon mariage, c'était dans la chambre de mon beau-père, il n'y avait que six cierges.» Ces mots étaient dits avec cette bonhomie caressante, légèrement narquoise, qui était un des grands artifices du prince. «Il importe peu, répondit Mgr Affre d'un ton à la fois courtois et sérieux, que l'on allume six cierges ou douze cierges à un mariage, mais veuillez m'entendre sur une question plus grave.»—«Comment, monsieur l'archevêque! ceci est très grave, reprit en souriant le Roi; il y a division dans mon ménage: ma femme prétend avoir raison, je soutiens qu'elle a tort.» Sans répliquer, le prélat poursuivit sa défense de la liberté d'enseignement. Louis-Philippe l'interrompit: «Mais mes cierges, monsieur l'archevêque, mes cierges?» Son accent commençait à témoigner d'une certaine impatience. Mgr Affre ne se troubla pas et continua comme s'il ne se fût aperçu de rien. Le Roi alors, s'emportant: «Tenez, s'écria-t-il, je ne veux pas de votre liberté d'enseignement; je n'aime pas les collèges ecclésiastiques; on y apprend trop aux enfants le verset du Magnificat: Deposuit potentes de sede.» L'archevêque se leva et, après avoir salué, se retira. La dernière parole du Roi était moins l'expression réfléchie de sa pensée qu'une boutade comme il lui en échappait souvent dans l'intempérance de sa conversation: seulement, ce qui était vrai, c'est qu'il désirait gagner du temps et retarder le moment de se prononcer. L'archevêque revint, d'autres jours, à la charge; il ne fut pas plus heureux; Louis-Philippe ripostait en lui demandant «quelle différence il y avait entre Dominus vobiscum et pax tecum»; il se mettait à lui raconter l'histoire de sa première communion, des anecdotes de son exil, ou bien parlait sur tout autre sujet avec une imperturbable volubilité; puis il terminait ainsi son monologue: «Allons, bonjour, monsieur l'archevêque, bonjour.» Du reste, il était toujours fort gracieux avec le prélat, qu'il pensait avoir à la fois séduit et éconduit, comme il avait fait de tant d'hommes politiques. C'était là où il se trompait: quand on traite avec des hommes de foi, on peut les contredire; on ne leur fait pas, par de pareils moyens, perdre de vue ce qu'ils considèrent comme un devoir. Puisqu'on ne voulait pas l'entendre dans des conversations secrètes, Mgr Affre se résolut à parler publiquement. Le 1er mai 1842, présentant ses hommages au souverain, à l'occasion de sa fête, il exprima, d'ailleurs en termes réservés et convenables, le vœu du clergé de pouvoir «travailler plus librement à former le cœur et l'esprit de la jeunesse». Le Roi fut mécontent. «Où ai-je été prendre ce M. Affre? dit-il. C'est une pierre brute des montagnes. Je la briserais, si je n'en craignais les éclats.» De cette date commencèrent, entre le souverain et le prélat, des rapports assez tendus. Un jour, Mgr Affre terminait ainsi l'entretien auquel avait donné lieu l'un des incidents de la lutte: «Permettez-moi d'ajouter, Sire, que le gouvernement gagnerait beaucoup dans l'estime de tous, en laissant à l'Église son indépendance.» Le Roi se leva, croisa les bras et s'écria: «Ainsi je suis un persécuteur de l'Église!»—«Non, Sire, reprit l'archevêque; mais je maintiens que le gouvernement serait plus aimé, s'il ne contrariait pas notre action par de fréquentes et inutiles tracasseries.»—«Allons, bonjour, monsieur l'archevêque, bonjour.» Plus tard même, Louis-Philippe, que l'âge rendait plus irritable et plus impérieux, devait se laisser aller à des paroles véhémentes et comminatoires, où il y avait du reste plus de calcul que de colère et surtout que d'animosité efficace: «Je lui ai fait une peur de chien», disait-il après une scène de ce genre; mais, pour rien au monde, il n'eût mis la moindre de ses menaces à exécution. Il se trompait sur l'effet d'une telle attitude: son interlocuteur sortait des Tuileries moins intimidé qu'attristé. «Ces gens-là, disait-il, ne voient dans la religion qu'une machine gouvernementale; ils ne se doutent pas que nous avons une conscience.» Le résultat le plus clair fut que Mgr Affre, d'abord si bien disposé pour le régime de Juillet, s'en éloigna peu à peu. Malgré toute son habileté, le vieux roi se trouvait n'avoir contenté ni les universitaires ni le clergé.

VIII

Quand les gouvernements ne donnent pas l'impulsion, ils la reçoivent: c'est ce qui arrivait au ministère dans la question religieuse. Il ne voulait sans doute pas aller aux extrémités où le poussaient les adversaires du clergé; mais il se croyait obligé de céder à quelques-unes de leurs exigences. Sur plus d'un point, les bons rapports qui avaient commencé à s'établir entre l'Église et l'État se trouvaient ainsi un peu altérés. Jusqu'alors, les ministères successifs avaient gardé, en face de la restauration monastique entreprise par Lacordaire, une neutralité bienveillante, quoique un peu inquiète. Une fois les luttes de la liberté d'enseignement engagées, la bienveillance demeura au fond, mais elle n'osa plus se manifester, et l'inquiétude augmenta. Ainsi vit-on le ministre des cultes s'agiter pour empêcher que le nouveau Dominicain ne prêchât en froc: campagne aussi malheureuse que puérile; la liberté finit par l'emporter. La victoire dépassa même cette petite question de costume; en effet, Lacordaire, hardi avec prudence et finesse, fondait à cette époque les deux premières maisons de son Ordre, à Nancy d'abord, près de Grenoble ensuite. Le ministre protesta, mais en vain; il s'en consolait d'ailleurs, n'ayant eu d'autre dessein que de prendre ses sûretés, pour le cas où il serait harcelé par M. Isambert. Ces petites gênes n'entravaient donc pas sérieusement les progrès de la liberté religieuse; seulement, elles suffisaient pour que le gouvernement n'eût ni l'honneur ni le profit de ces progrès, pour que tout parût se faire malgré lui et presque contre lui. Même attitude à l'égard de la Compagnie de Jésus; le ministère n'avait contre elle aucun parti pris; M. Guizot et M. Martin du Nord étaient heureux, quand, dans les entretiens assez fréquents qu'ils avaient avec ses membres, ils pouvaient les rassurer; mais s'ils n'avaient pas peur des Jésuites, ils avaient peur de ceux qui cherchaient à leur en faire peur; ils ne voulaient pas frapper ces religieux, mais tâchaient, sans succès, il est vrai, de faire prendre des mesures contre eux par les évêques, ou essayaient d'obtenir de la compagnie elle-même quelque concession qui pût désarmer ses adversaires.

Le gouvernement n'avait pas seulement affaire aux congrégations; c'était avec les évêques, réclamant la liberté d'enseignement, que le conflit était le plus directement engagé et aussi le plus embarrassant. Le ministre des cultes répugnait aux mesures répressives, qui, en pareil cas, sont d'ordinaire odieuses ou inefficaces, quelquefois l'un et l'autre. Aussi essaya-t-il d'abord d'agir par des lettres non publiques, adressées à tel prélat ou à l'épiscopat tout entier; mais, qu'il usât de caresses ou de remontrances, l'effet était à peu près nul, et le ton sur lequel répondaient les évêques montrait combien peu ils étaient séduits ou effrayés. Il se laissa alors entraîner à frapper plus fort. L'évêque de Châlons, en novembre 1843, fut déféré pour abus au conseil d'État, à raison d'une lettre où il avait menacé éventuellement de retirer les aumôniers des collèges; la sentence, raillée par les catholiques, ne fut guère prise au sérieux que par M. Dupin. Au commencement de 1844, deux prêtres, auteurs de publications véhémentes contre le monopole universitaire, l'abbé Moutonnet à Nîmes, l'abbé Combalot à Paris, étaient poursuivis devant le jury; le premier fut acquitté, le second condamné à quinze jours de prison et à 4,000 francs d'amende; l'émotion produite fit plus de tort au gouvernement accusé de persécution, qu'au condamné qui refusa sa grâce et qui, passé aussitôt martyr, reçut de partout, même de certains évêchés, d'enthousiastes et publiques félicitations.

En même temps qu'il n'intimidait et ne contenait personne, le gouvernement se trouvait élargir lui-même le débat qu'il eût tant voulu étouffer. Dans les premiers jours de 1844, les évêques de la province de Paris ayant adressé au Roi un mémoire collectif sur la liberté d'enseignement, M. Martin du Nord crut devoir signifier à Mgr Affre que ce mémoire «blessait gravement les convenances» et constituait une infraction à celui des articles organiques qui interdisait toute délibération dans une réunion d'évêques non autorisée. «Il serait étrange, disait le ministre, qu'une telle prohibition pût être éludée au moyen d'une correspondance établissant le concert et opérant la délibération, sans qu'il y ait eu assemblée.» Qui aurait voulu fournir une occasion d'attaquer les articles organiques, en en faisant l'application la plus excessive et la plus ridicule, n'aurait pas agi autrement. Il n'y eut pas assez de sarcasmes, dans toute la presse catholique, sur «le concert par écrit» de M. Martin du Nord. L'archevêque de Paris répondit par une lettre légèrement ironique et fortement raisonnée, où il ne se contenta pas de démontrer ce qu'avait d'insoutenable cette extension donnée aux interdictions portées par les articles organiques; il protesta contre ces interdictions elles-mêmes, et demanda, au nom de la liberté religieuse, la revision de cette législation. Ce ne fut pas tout: la plupart des évêques de France (cinquante-cinq environ) écrivirent à l'archevêque de Paris pour approuver sa conduite et s'associer à ses protestations. Le ministre des cultes fut réduit à subir en silence la manifestation qu'il avait provoquée; ce pacifique, ce timide, si désireux d'éviter les conflits et d'écarter les grosses questions, se trouvait s'être mis tout l'épiscopat sur les bras et avoir soulevé le redoutable problème des articles organiques. Le P. de Ravignan disait alors dans une de ses lettres: «La question vraie est la liberté de l'Église. C'est une nouvelle voie qu'il faut ouvrir, une nouvelle ère à commencer; c'est, comme je le conçois, l'action ferme et prudente de l'autorité spirituelle, réclamant, par tous les moyens constitutionnels et légaux, le libre exercice de ses droits et sa place au soleil des institutions du pays.»

Somme toute, le gouvernement n'avait pas d'intentions méchantes: il n'avait même qu'une résolution bien arrêtée, celle de ne pas être persécuteur; et quand, dans l'émotion de la lutte, des journalistes ou même de vénérables prélats parlaient comme ils l'eussent fait en face de quelque Dioclétien, M. Martin du Nord était assez fondé à leur répondre: «Vous pouvez parler des persécutions sans crainte; il n'y a pas grand courage à braver des dangers imaginaires. Plus tard, les catholiques jugeront ce gouvernement avec plus de sang-froid et d'équité.» Mais, vers 1844, sous le coup de l'irritation causée par de petites vexations, le clergé était conduit à s'éloigner de la monarchie de Juillet dont naguère il se rapprochait, et l'un des plus modérés entre les polémistes catholiques, l'abbé Dupanloup, écrivait: «N'est-il pas évident qu'on nous méconnaît, et que, nous méconnaissant, on tend à nous pousser dans une opposition où nous ne sommes pas?... Il y a péril à nous accoutumer à ne rien attendre du présent, et à nous faire, las et déçus, porter nos regards vers l'avenir[529]

Si les catholiques étaient mécontents, leurs adversaires ne l'étaient pas moins. C'est la condition des politiques indécises et faibles, que tout le monde s'en plaint. Les universitaires se déclaraient mal défendus, presque trahis, et accusaient couramment le ministère et le Roi de complaisance envers le clergé; MM. Libri et Génin le disaient avec amertume, MM. Quinet et Michelet, avec menaces. On en voulait surtout à M. Martin du Nord, auquel on opposait M. Villemain. Ces plaintes n'étaient pas sans écho à la Chambre des députés; toutefois, jusqu'en 1844, ce ne fut qu'un écho peu retentissant; l'opposition parlementaire n'avait pas encore trouvé intérêt à s'emparer de la question et à la mettre au premier rang. M. Isambert fut à peu près seul, en 1842 et 1843, à dénoncer les défaillances du gouvernement dans les questions religieuses; il n'épargnait rien cependant pour inquiéter les esprits, proclamant que «c'était pire que sous le ministère Villèle», demandant gravement si l'on voulait ramener le pays «au moyen âge», et s'il y avait, «comme sous la Restauration, un gouvernement occulte, allié au parti jésuitique». M. Martin du Nord trahissait, dans ses réponses, l'embarras de sa situation; d'une part, il ne pouvait entendre tant d'attaques odieuses et absurdes, sans tâcher d'en effacer l'effet par quelques paroles douces et polies à l'adresse des évêques, parfois même sans élever quelques protestations chaleureuses. «On craint que la religion ne nous envahisse, s'écriait-il un jour; je suis loin de partager cette crainte, et je me félicite au contraire du développement des idées religieuses... Je ne cherche pas à obtenir l'assentiment d'hommes qui voient toujours dans la religion un péril pour le gouvernement.» Mais, aussitôt après, il croyait nécessaire de se faire pardonner cette bienveillance, en se vantant de toutes les mesures qu'il avait prises contre le clergé, en adressant des remontrances aux prélats, du haut de la tribune, et en donnant aux néo-gallicans la satisfaction d'adhérer à leurs prétentions. Ce qui apparaissait de plus clair au milieu de ces contradictions hésitantes, c'était le désir qu'avait le ministre, non de rien résoudre, mais de tout assoupir. Son idéal eût été que les évêques parlassent tout bas, et que M. Isambert ne parlât pas du tout; il semblait que cette double et un peu naïve supplication, adressée aux partis opposés, fût le dernier mot de chacun de ses discours.

On comprend sans doute qu'entre deux opinions extrêmes, un gouvernement veuille tenir une conduite intermédiaire: c'est souvent son devoir; mais la modération n'est pas l'incertitude et le laisser-aller; nulle politique au contraire n'exige une volonté plus résolue et plus précise, une ligne de conduite plus nettement arrêtée et plus fermement suivie. Le ministère ne le comprenait pas. Aussi ne gouvernait-il ni les esprits ni les événements, et, au lieu d'obtenir cette pacification qu'il croyait faciliter en éludant les questions, voyait-il les ardents des deux camps s'échauffer davantage, saisir l'opinion, donner le ton, échanger leurs défis et leurs coups par-dessus sa tête, sans presque s'inquiéter de ce qu'il pouvait penser et dire. C'est ce qui se produisit surtout dans la session de 1844, quand la question religieuse commença à occuper plus de place dans les débats parlementaires. À la tête de ceux qui prétendaient défendre, à la tribune, les droits de l'État contre le clergé, M. Dupin s'empara avec éclat du premier rôle. Prenant des mains de M. Isambert le drapeau que celui-ci avait tenu jusqu'alors d'une façon un peu ridicule, il fit une charge à fond contre le «parti prêtre», réprimanda les faiblesses ou les hésitations du gouvernement et lui dicta le programme d'une politique de combat[530]. Ce légiste, qui avait recueilli de l'ancien régime toutes les prétentions, tous les préjugés, tous les ressentiments du gallicanisme et du jansénisme parlementaires, n'avait pas l'esprit assez large et assez haut pour voir combien ces thèses étaient déplacées dans la société nouvelle; il se plaisait à ces luttes qu'il réduisait à une sorte de querelle de basoche et de sacristie. «Elles vont juste, écrivait alors M. Sainte-Beuve, à cette nature avocassière et bourgeoise de Dupin, le remettent en verve et le ravigotent.» D'ailleurs, sous son masque de paysan du Danube, se cachaient une finesse subalterne et une courtisanerie vulgaire: en flattant les passions anticléricales, il cherchait à retrouver quelque chose de la popularité qu'il avait perdue après 1830, et un peu de l'importance parlementaire que les mésaventures de son tiers parti et sa descente du fauteuil de la présidence avaient singulièrement diminuée[531]. Il lança son réquisitoire avec une verve un peu grossière, mais rapide et vigoureuse. Rien de neuf, de haut, de profond; c'était plein de ce que le duc de Broglie appelait «ces arguments à la Dupin, ces raisons de coin de rue». Un tel langage n'allait que mieux aux étroites rancunes, aux jalousies mesquines d'une partie de l'auditoire. Quel plaisir de voir maltraiter les évêques avec une sorte de familiarité rude, comme on ferait d'un employé mutin! Et puis, l'une des habiletés de cet orateur qu'on a appelé «le plus spirituel des esprits communs» était de donner aux préjugés terre à terre la tournure d'une saillie de bon sens. Sa parole fut singulièrement âpre. «Rappelons-nous, s'écria-t-il, que nous sommes sous un gouvernement qu'on ne confesse pas.» Et il termina par cette injonction fameuse: «Je vous y exhorte, gouvernement, soyez implacable!» Après coup, le mot «inflexible» fut substitué à celui d' «implacable». L'effet, fut considérable. «Jamais je n'avais vu l'assemblée plus unanime, écrivait le lendemain un spectateur... On eût dit que le clergé avait touché à toutes les libertés de la France, qu'il avait déchiré la Charte d'une main violente, et que nous allions revenir au temps de Grégoire VII!... M. Dupin est redevenu un homme populaire. Il a parlé en maître à tous les instincts révolutionnaires de la France. Plus il est brutal, et plus on l'écoute; plus il est incisif, et plus on l'applaudit; il a la verve et la passion de certains discours de Saurin, le protestant, et, à cette verve, à cette passion, il conserve la couleur catholique[532]

Vivement troublé de cette déclaration de guerre contre le clergé, que la majorité avait semblé faire sienne par ses applaudissements, le ministère n'osa ni la contredire ni l'approuver. Il lui fallut bientôt assister à la contre-partie. M. de Montalembert, arrivé récemment de Madère où il venait de passer deux ans, avait entendu, d'une des tribunes publiques, la harangue de M. Dupin. Quelques jours après, il y répondait à la Chambre des pairs: et certes il apparut que, si le gouvernement avait été embarrassé, les catholiques n'avaient pas été intimidés. La parole du jeune pair fut plus fière, plus provocante même que jamais. À peine s'arrêta-t-il à railler les vexations impuissantes du gouvernement: il prit à partie le réquisitoire prononcé à la Chambre des députés et le mit en pièces. «Arrière ces prétendues libertés!» s'écria-t-il en parlant des «libertés gallicanes». Puis il continua ainsi: «On vous dit d'être implacables ou inflexibles; mais savez-vous ce qu'il y a de plus inflexible au monde? Ce n'est ni la rigueur des lois injustes, ni le courage des politiques, ni la vertu des légistes; c'est la conscience des chrétiens convaincus. Permettez-moi de vous le dire, Messieurs, il s'est levé parmi vous une génération d'hommes que vous ne connaissez pas. Nous ne sommes ni des conspirateurs, ni des complaisants; on ne nous trouve ni dans les émeutes, ni dans les antichambres; nous sommes étrangers à toutes vos coalitions, à toutes vos récriminations, à toutes vos luttes de cabinet, de partis; nous n'avons été ni à Gand, ni à Belgrave-Square; nous n'avons été en pèlerinage qu'au tombeau des apôtres, des pontifes et des martyrs; nous y avons appris, avec le respect chrétien et légitime des pouvoirs établis, comment on leur résiste quand ils manquent à leurs devoirs, et comment on leur survit.» Il termina par ces paroles devenues aussitôt fameuses: «Quoi! parce que nous sommes de ceux qu'on confesse, croit-on que nous nous relevions des pieds de nos prêtres, tout disposés à tendre les mains aux menottes d'une légalité anticonstitutionnelle? Ah! qu'on se détrompe. Au milieu d'un peuple libre, nous ne voulons pas être des ilotes; nous sommes les successeurs des martyrs, et nous ne tremblerons pas devant les successeurs de Julien l'Apostat; nous sommes les fils des croisés, et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire[533].» Pendant que ce dialogue enflammé s'échangeait d'une tribune à l'autre et occupait l'attention publique, quelle pâle figure faisait le ministère! «Le cabinet s'est abstenu, écrivait alors M. de Tocqueville; il a laissé arriver les événements, il a laissé les passions grandir, il s'est tenu coi en face de toutes choses; c'est son habitude.»

IX

Si désireux qu'il fût de s'effacer, le gouvernement ne pouvait oublier que la promesse de la liberté d'enseignement, inscrite dans la Charte, lui imposait une mission à laquelle il ne lui était pas permis de se dérober indéfiniment. Force lui était de recommencer la tentative, déjà faite sans succès, en 1836 et en 1841, pour organiser cette liberté dans l'instruction secondaire. Il se décida donc, le 2 février 1844, à déposer un nouveau projet. Donnait-il cette fois satisfaction aux catholiques? Tout d'abord, il s'était gardé de répéter la maladresse commise en 1841, au sujet des petits séminaires; ceux-ci conservaient leurs privilèges et même recevaient quelques avantages. Par contre, les conditions du droit commun étaient singulièrement étroites. Les établissements libres se trouvaient placés sous l'autorité et la juridiction, non de l'État, juge impartial, mais du corps universitaire, leur concurrent. On leur imposait des formalités, des exigences de brevets, de grades, si multipliées et si gênantes que, dans beaucoup de cas, elles devaient équivaloir à une interdiction: n'allait-on pas jusqu'à stipuler que tous les surveillants seraient bacheliers? Le certificat d'études était maintenu: pour se présenter au baccalauréat, il fallait justifier qu'on avait fait sa rhétorique et sa philosophie, soit dans sa famille, soit dans les collèges de l'État, soit dans les institutions de plein exercice, ce dernier caractère n'étant acquis aux établissements libres que moyennant des conditions à peu près impossibles à réaliser. Enfin un article, visant spécialement les Jésuites, obligeait tous ceux qui voulaient enseigner à affirmer, par une déclaration écrite et signée, qu'ils «n'appartenaient à aucune association ou congrégation religieuse»: rien de plus contraire aux principes que cette interrogation inquisitoriale, obligeant un citoyen à se frapper par sa propre déclaration; c'était comme la violation du plus sacré des domiciles, celui de la conscience, et les catholiques étaient fondés à demander si les auteurs du projet avaient voulu recueillir, dans le naufrage de l'intolérance anglaise, l'odieuse formalité du Test. On était donc, cette fois encore, bien loin du grand acte de gouvernement et de justice qu'il eût été dans l'intérêt du ministère et dans le goût de M. Guizot d'entreprendre. Celui-ci cependant avait dit, quelques semaines auparavant, au P. de Ravignan: «On va s'occuper de la liberté d'enseignement. Il n'y aura pas de concessions, parce qu'un gouvernement n'en fait pas. Mais, sous certaines conditions, tous seront admis. Vous ne devez pas être exclus, pourvu que vous vous conformiez à ce qui sera exigé[534].» Depuis lors, que s'était-il donc passé? Le ministre des affaires étrangères avait-il, une fois de plus, laissé carte blanche à son collègue de l'instruction publique? Divers indices tendent à faire croire qu'il avait été question un moment de présenter un projet plus libéral, mais que les partisans de l'Université l'avaient fait écarter, en exploitant l'émotion produite, à la fin de 1843, par certaines polémiques épiscopales.

Les amis de la liberté d'enseignement n'étaient pas disposés à laisser passer sans résistance un tel projet. Précisément, à cette époque, le parti catholique en avait fini avec les tâtonnements du début; il était organisé; il avait arrêté son programme et sa tactique. Ce furent les chefs du clergé qui donnèrent le signal. De presque tous les évêchés, partirent des protestations émues, fermes, quelques-unes presque menaçantes, toutes n'invoquant que la liberté. Jamais on n'avait vu une manifestation aussi générale et aussi prompte de l'épiscopat. Si les critiques étaient parfois assez vives, les conclusions qui s'en dégageaient étaient, après tout, modérées et raisonnables; on pouvait les résumer ainsi: soustraire les établissements libres, non à la surveillance de l'État qu'on acceptait, mais à l'autorité de l'Université; diminuer les exigences de grades; supprimer le certificat d'études; n'exiger aucune déclaration relative aux congrégations religieuses, en s'en référant à la législation existante pour la situation de ces congrégations[535].

Le projet avait été déposé d'abord à la Chambre des pairs. Le rapport, rédigé au nom de la commission, par le duc de Broglie, fut une œuvre considérable, dont les doctrines, les tendances et le ton tranchaient avec l'exposé des motifs de M. Villemain. Répudiant les sophismes sur l'État enseignant, il posait tout d'abord, avec une netteté supérieure, le principe même de la liberté d'enseignement qu'il déclarait être la conséquence nécessaire de la liberté de conscience. «Si l'État intervient, disait-il, ce n'est point à titre de souverain; c'est à titre de protecteur et de guide; il n'intervient qu'à défaut des familles..., et pour suppléer à l'insuffisance des établissements particuliers.» N'était-ce pas beaucoup, à cette époque, que de proclamer cette doctrine, dût-on n'en pas tirer immédiatement toutes les conséquences? «Le principe de la concurrence, à côté et en face de l'Université, a été posé par M. de Broglie, écrivait M. Sainte-Beuve; il est difficile que ce principe, dans de certaines limites, n'arrive pas à triompher.» Le rapporteur, préoccupé de satisfaire, sur un autre point, les consciences catholiques, reconnaissait hautement la nécessité de l'instruction religieuse. «Il ne suffit pas, disait-il, d'un enseignement vague et général, fondé sur les principes du christianisme, mais étranger au dogme et à l'histoire de la religion... Un tel enseignement aurait pour résultat d'ébranler dans l'esprit de la jeunesse les fondements de la foi, de donner aux enfants lieu de penser que la religion tout entière se réduit à la morale. Mieux vaudrait un silence absolu.» Et il ajoutait: «La loi, telle que nous la proposons, place au premier rang des études l'instruction morale et religieuse; elle veut que la morale trouve dans le dogme son autorité, sa vie, sa sanction; elle lui veut pour appui des pratiques régulières.» Son insistance même trahissait une certaine méfiance de l'enseignement universitaire, principalement de l'enseignement philosophique, et, sur ce point, sa parole prenait presque parfois le caractère d'une admonestation non dissimulée. Sans doute la commission était loin de faire une application complète des principes qu'elle avait si bien posés. Il eût fallu pour cela bouleverser radicalement le projet du gouvernement, ce qui n'était pas dans les habitudes circonspectes de la pairie. D'ailleurs, si, par logique comme par sentiment, l'éminent rapporteur était porté vers les solutions libérales, il paraissait retenu par une double crainte à laquelle les événements ne devaient pas donner raison: la crainte d'abord que cette liberté, qui n'avait pas encore été expérimentée, n'amenât un abaissement et une désorganisation des études: de là, l'adhésion donnée aux exigences de grades, la crainte ensuite qu'en heurtant les préjugés existants, on ne provoquât un soulèvement d'opinion plus nuisible à la religion qu'une loi temporairement restrictive; de là, l'exclusion des congrégations. Sur ce dernier point, le rapporteur passait rapidement, avec une gêne visible, ne présentant cet article que comme une concession momentanée à de fâcheuses préventions, comme l'application forcée d'une législation préexistante qu'il ne cherchait guère à justifier et qu'il se gardait surtout de présenter comme définitive[536]. La réserve et la timidité regrettables de la commission dans les questions d'application ne l'empêchaient pas cependant d'apporter au projet des améliorations notables. Les principales étaient fondées sur cette idée que, pour la constitution, la surveillance, la discipline des établissements libres, il n'était pas juste de donner toute l'autorité à l'Université, mais qu'il convenait de faire intervenir des personnages plus indépendants et plus impartiaux, appartenant à la magistrature, aux corps électifs, à la haute administration, au clergé, et représentant l'État, ou mieux encore la société. Plusieurs amendements étaient proposés dans cet esprit. La commission introduisait ainsi dans la législation un principe nouveau, fécond, essentiel à la liberté d'enseignement, et qui devait se retrouver dans les innovations les plus importantes de la loi de 1850. Les partisans du monopole se montrèrent fort mécontents du rapport. «Cousin est furieux, écrivait le duc de Broglie à son fils, le 19 avril 1844; il dit que l'Université est trahie, vendue, livrée à ses ennemis[537].» Quant aux catholiques, dans l'excitation de la lutte, ils étaient naturellement plus frappés de ce que l'on continuait à leur refuser que de ce qu'on commençait à leur accorder; néanmoins l'évêque de Langres et surtout l'abbé Dupanloup adressèrent alors à M. le duc de Broglie des lettres publiques où, tout en combattant sur plusieurs points ses conclusions, ils rendaient, sur d'autres, hommage à l'œuvre de la commission et surtout au langage du rapporteur.

Le débat s'ouvrit, à la Chambre des pairs, le 22 avril 1844, et se prolongea jusqu'au 24 mai, avec une gravité, un éclat qui en font l'un des épisodes parlementaires les plus remarquables de la monarchie de Juillet. La cause du monopole universitaire fut prise en main par M. Cousin, qui se prononça hautement contre toute liberté d'enseignement. Au grand étonnement de ceux qui se rappelaient son renom d'éloquence, l'ancien professeur n'avait guère réussi jusqu'alors, comme orateur parlementaire; cette fois, une passion profonde et le besoin de défendre sa propre situation le rendirent vraiment éloquent: ce furent ses grands jours de tribune. À tout propos, il parlait deux ou trois heures de suite, vraiment infatigable et intarissable, tantôt ironique, tantôt véhément, ou bien encore se posant en victime et, comme l'écrivait un spectateur, «faisant paraître l'Université devant la Chambre, en robe presque de suppliante ou d'accusée[538]». Malgré tout, sa parole eut plus de retentissement qu'elle n'exerça d'action. Les pairs demeuraient froids ou même étaient tentés de sourire à ses adjurations les plus solennelles, à ses plus pathétiques lamentations; la préoccupation trop visiblement personnelle de l'orateur les mettait en défiance; dans ses effets tragiques, ils étaient choqués d'une sorte d'exagération factice, et devinaient le comédien qui se trahissait jusque par l'accent, le geste, la mimique du visage. Sans doute ce comédien existait déjà chez M. Cousin, lors de ses grands succès de Sorbonne; mais alors, dans la jeunesse de tous, jeunesse du professeur, jeunesse de l'auditoire, jeunesse du siècle lui-même, l'admiration n'y avait pas regardé de si près; et puis, quand il ne s'agissait de rien moins que de renouveler l'esprit humain, était-il étonnant d'avoir des allures de prophète et d'hiérophante? Rien de pareil, en 1844, quand M. Cousin, ayant dépassé la cinquantaine et devenu un haut fonctionnaire, défendait son gouvernement philosophique devant des vieillards trop froids, trop sceptiques, trop expérimentés, pour être dupes de certains procédés.

À l'autre extrémité de la lice, était M. de Montalembert, assisté des rares champions de la liberté d'enseignement. Parmi ces derniers, il en était qu'on ne se fût pas attendu à voir là, entre autres le premier président Séguier, principal auteur de l'arrêt de 1826 contre les Jésuites, et le comte Arthur Beugnot, que ni ses antécédents ni ses relations n'avaient paru préparer à devenir un champion du clergé. Le jeune fondateur du parti catholique était dans la fleur de son talent, dans l'ardeur de ses généreuses convictions. Bien qu'il fût loin d'obtenir pour toutes ses idées l'adhésion de l'auditoire, il se faisait écouter avec une surprise attentive et sympathique. Sa parole hardiment accusatrice, prompte à porter les défis, avait un accent de confiance dans l'avenir que faisait encore ressortir l'attitude souvent gémissante de M. Cousin. Avec le philosophe, on eût cru entendre les adieux attristés d'une cause naguère triomphante, qui sentait approcher l'heure de la défaite; avec le catholique, c'était le fier salut d'une cause hier méconnue, mais assurée de vaincre demain.

Entre ces deux petits groupes extrêmes, flottait la masse de l'assemblée, disposée à les taxer l'un et l'autre d'exagération et résolue à leur imposer une transaction plus ou moins hétérogène; habituée à soutenir l'Université, mais agacée par ses prétentions, effarouchée par ses doctrines et surtout par ses défenseurs; bienveillante pour le catholicisme, par convenance politique plus que par foi religieuse, mais inquiète, dans sa sagesse timide, de ce que la thèse de la liberté d'enseignement avait de jeune, d'audacieux, d'inconnu; en ce qui touche les Jésuites, dégagée peut-être des passions, non des préjugés de son temps; portée, suivant l'expression de M. Beugnot, «à prendre un principe à droite, un principe à gauche, à les rapprocher malgré eux, et à faire ainsi adopter un projet qui ne fût ni complètement bon, ni tout à fait mauvais». Ce fut la commission qui exerça le plus d'influence sur cette masse flottante; elle eut pour principaux interprètes deux orateurs, l'un de grande autorité, le duc de Broglie, l'autre de rare habileté, M. Rossi. Le ministère, au contraire, ne sut pas prendre dans le débat le rôle directeur qui eût dû lui appartenir. M. Villemain, au lieu de se porter médiateur entre les deux opinions extrêmes, fut uniquement préoccupé de ne pas se laisser dépasser par M. Cousin en zèle universitaire; dans ses discours, beaucoup d'épigrammes aigres-douces à l'adresse de son rival, mais pas une vue d'homme d'État; son talent de parole lui-même était voilé; l'orateur sentait son insuccès et en souffrait beaucoup. D'ailleurs, comme pour diminuer encore l'action du cabinet, l'attitude du ministre de l'instruction publique se trouvait souvent contredite par celle du ministre des cultes, M. Martin du Nord, qui saisissait toutes les occasions de se poser presque en avocat et en protecteur du clergé. Quant à M. Guizot, qui, dans une discussion si importante, ne pouvait persister à se tenir à l'écart, sa parole, d'ordinaire si ferme, ne laissa pas que de paraître un peu embarrassée. Il sentait visiblement la faiblesse de la cause qu'il soutenait par nécessité parlementaire et la grandeur de celle qu'il combattait à regret. Aussi, évitant autant que possible de parler de la loi elle-même, il s'échappait à côté ou planait au-dessus. Comme pour s'excuser et se consoler des mesures restrictives qu'il se croyait obligé d'imposer au clergé, il faisait de la religion l'un des plus magnifiques éloges qui eussent été prononcés à la tribune française, rendait hommage à la sincérité et à la légitimité de l'opposition catholique, avertissait la société nouvelle qu'elle devait s'accoutumer à l'influence de l'Église, laissait voir que, dans sa pensée, la loi proposée n'était pas une solution définitive, et faisait espérer, pour l'avenir, la pleine liberté qu'il repoussait à contre-cœur dans le présent.

Les universitaires furent les premiers auxquels la Chambre des pairs infligea un échec. Voulant apporter une conclusion pratique aux défiances manifestées dans le rapport, M. de Ségur-Lamoignon avait proposé de restreindre le cours de philosophie. M. Cousin, personnellement visé, se défendit avec vivacité. On vit alors, non sans surprise ni sans émotion, M. de Montalivet appuyer la proposition: la situation de l'orateur auprès du Roi était telle, que chacun devina dans sa démarche la pensée du «château». L'intendant de la liste civile soutint qu'il convenait de donner à la fois un avertissement à certaines témérités de l'enseignement universitaire et une satisfaction aux griefs du clergé; il protesta, avec une grande énergie, contre cette philosophie officielle qu'on prétendait rendre indifférente à toutes les religions, par respect pour la liberté des cultes. L'effet fut considérable. Dès le lendemain, le Constitutionnel raillait avec amertume les conversions opérées par la parole du «favori» et dénonçait le «gouvernement occulte». Au nom de la commission, le rapporteur proposa un amendement inspiré par le même esprit, mais autrement libellé: il ne laissait plus au seul conseil royal de l'Université, c'est-à-dire à M. Cousin en ce qui concernait la philosophie, le droit d'arrêter le programme du baccalauréat, mais soumettait ce programme au conseil d'État. C'était l'application de ce que le duc de Broglie appelait «le principe de la loi»: principe en vertu duquel l'autorité sur l'enseignement libre devait appartenir à un pouvoir impartial, représentant l'État, ou mieux la société entière. L'amendement se trouvait atteindre M. Villemain, qui, intimidé par les universitaires, n'avait pu se décider à donner les satisfactions demandées par la commission sur la question des programmes. Toutefois, les sentiments du ministre à l'égard de M. Cousin lui apportaient quelque consolation dans cette mésaventure: il était, écrivait-on alors, «partagé entre la douleur de voir sa loi modifiée, l'Université un peu réduite, et le plaisir de voir la philosophie de son rival recevoir une chiquenaude». Aussi combattit-il mollement l'amendement, exprimant son regret qu'on voulût donner ce soufflet à la philosophie, mais indiquant que, si l'on tenait à le faire, il se résignait à présenter la joue de M. Cousin. Seul, celui-ci, stupéfait et désolé de l'abandon où il était réduit, se débattit avec une énergie désespérée, violent d'abord, suppliant ensuite, et humiliant l'orgueil de cette philosophie, naguère si hautaine, jusqu'à l'abriter derrière des noms catholiques. Rien n'y fit. L'amendement fut voté à une grande majorité. L'opinion considéra avec raison cet incident comme une leçon à l'adresse de M. Cousin, un échec pour l'Université, une marque solennelle de défiance à l'égard de ses doctrines, la négation de la prétention qu'elle avait d'être l'État et de dominer à ce titre les établissements particuliers[539]. «Le coup moral est porté», écrivait alors M. Sainte-Beuve, et l'Univers était fondé à dire: «N'est-ce pas la justification de toutes les réclamations de l'épiscopat et de toute notre polémique?» On avait voulu, en effet, comme le disaient M. de Montalivet et le duc de Broglie, tenir compte, dans une certaine mesure, des réclamations des évêques; mais n'était-il pas surprenant qu'on eût mieux aimé donner raison à leurs griefs religieux que satisfaction à leurs revendications libérales, qu'on eût trouvé plus facile de faire quelque chose contre l'Université que pour la liberté? Certaines personnes crurent deviner dans un tel choix l'action personnelle du Roi.

Ce vote émis, la haute assemblée se jugea quitte envers les catholiques. MM. Beugnot, de Barthélemy, Séguier et de Gabriac avaient présenté un contre-projet dont les principales dispositions étaient: le droit d'enseigner pour tout bachelier muni d'un certificat de moralité; la suppression du certificat d'études; des jurys d'examen composés mi-partie de professeurs de faculté, mi-partie de notables; à côté du conseil royal de l'Université, l'institution d'un conseil supérieur pour l'enseignement libre, composé de magistrats, de membres de l'Institut, de chefs d'institution et de l'archevêque de Paris. Tous les articles de ce contre-projet furent rejetés. La majorité se borna à accepter les améliorations réelles, quoique insuffisantes, par lesquelles la commission, appliquant «le principe de la loi», substituait ou associait d'autres autorités à l'Université, lorsqu'il s'agissait de l'enseignement libre. Quant à l'article excluant les membres des congrégations, elle l'adopta, mais tristement, d'un air un peu honteux, et sans prétendre faire ainsi une œuvre durable. Au vote sur l'ensemble de la loi, 85 voix se prononcèrent pour, 51 contre. C'était une très forte minorité pour la Chambre des pairs: un projet qui, dès le début, rencontrait tant d'adversaires sur un tel terrain, n'avait guère chance de réussir. Le rapporteur, M. de Broglie, était le premier à s'en rendre compte. «C'est une loi qui ne se fera pas», écrivait-il à son fils[540].

La discussion qui venait d'avoir lieu n'en était pas moins un fait considérable et plein de promesses. N'était-ce pas beaucoup que d'avoir vu le public oublier presque les luttes de portefeuille ou les spéculations de chemins de fer, pour s'intéresser à ces questions d'enseignement? Et de quel ton elles avaient été discutées! «Jamais, écrivait l'abbé Dupanloup, la grande et sainte Église catholique, l'épiscopat français, l'autorité pontificale, les congrégations, les Jésuites eux-mêmes n'ont été traités avec plus de gravité et de convenance.» Ajoutons que ce long débat avait servi à l'éducation du public; il lui avait révélé les diverses faces d'un problème pour lui tout nouveau, et la lumière ainsi faite profitait à la bonne cause. Aussi, du côté des catholiques, les cœurs étaient-ils à l'espérance. On y avait conscience que la petite armée, de formation si récente, venait de déployer et de planter noblement son drapeau. La direction était prise, l'élan donné, et chacun sentait que la victoire définitive n'était plus qu'une question de temps. «Il est très certain, écrivait M. Sainte-Beuve, qu'on ne conclura pas cette année; mais les idées germeront.» Et un autre spectateur, M. de Viel-Castel, ajoutait: «Cette cause gagne et gagnera chaque jour du terrain. Ce qui suffisait il y a trois ans ne suffira plus aujourd'hui; ce qui suffirait aujourd'hui ne suffira plus dans trois ans.»

X

Battus au Luxembourg, les universitaires cherchèrent une revanche au Palais-Bourbon. «Ils ont réussi, écrivait alors le duc de Broglie, à ameuter contre nous la Chambre des députés presque tout entière[541].» Ce fut ainsi, «sous le vent d'une réaction violente contre le clergé[542]», que fut nommée la commission chargée d'examiner le projet voté par l'autre assemblée. M. Thiers était parmi les élus, et se montrait l'un des plus zélés pour l'Université. D'où venait cette attitude, nouvelle chez lui? Il n'avait en ces matières aucune passion personnelle; fort étranger jusqu'à présent aux controverses de la liberté d'enseignement, il avait semblé d'abord n'y voir, lui aussi, qu'une «querelle de cuistres et de bedeaux». Mais l'émotion qui s'empara de la Chambre des députés à la suite de la discussion de la Chambre des pairs, les préventions hostiles au clergé qui s'y manifestèrent jusque dans les rangs des conservateurs, lui parurent fournir l'occasion d'une manœuvre d'opposition; en se faisant l'interprète de ces préventions, il entrevit la chance d'embarrasser le cabinet, peut-être de lui infliger un échec: il ne se plaça pas à un autre point de vue. Quant au mécontentement qu'en ressentiraient les catholiques, il ne s'en inquiétait pas: il n'avait pas encore reconnu dans la religion la puissance sociale dont il devait, après 1848, implorer le secours contre l'anarchie menaçante; la force à ménager lui paraissait ailleurs, du côté de la révolution; comme Louis-Philippe lui disait, à cette époque, qu'il fallait faire quelque concession au clergé, «que c'était encore quelque chose de très fort qu'un prêtre»: «Sire, répondit M. Thiers, il y a quelque chose de plus fort que le prêtre, je vous assure, c'est le jacobin[543]

Une fois dans la commission, M. Thiers se fit nommer rapporteur. Peu de semaines lui suffirent pour improviser sa petite enquête en causant avec quelques professeurs, et il fut aussitôt en mesure d'écrire un volumineux rapport, du reste assez superficiel. Son intention avait été de faire la contre-partie du rapport présenté à la Chambre des pairs. Le duc de Broglie avait proclamé les théories les plus libérales sur les droits respectifs de la famille et de l'État, et c'était visiblement à regret qu'il n'avait pas immédiatement tiré toutes les conséquences de ces théories. M. Thiers revendiquait au contraire, avec insistance, pour la puissance publique, le droit de former l'esprit de l'enfant; il ne dissimulait pas ses préférences pour le système en vertu duquel «la jeunesse serait jetée dans un moule et frappée à l'effigie de l'État»; il n'y renonçait que par l'obligation où il était «de se tenir dans la vérité de son temps et de son pays»; au moins, pour s'en rapprocher, cherchait-il à restreindre et à entraver, autant que possible, la liberté qu'il n'osait entièrement refuser. Aux méfiances témoignées par la Chambre des pairs sur l'enseignement philosophique, il opposait une apologie sans réserve de l'éducation intellectuelle, morale et même religieuse des collèges. Le duc de Broglie s'était appliqué à soustraire en partie les établissements libres à la domination de l'Université; M. Thiers déclarait que ces établissements devaient être «compris dans la grande institution de l'Université» qui avait mission de «les surveiller, contenir et ramener sans cesse à l'unité nationale». Il prétendait tout subordonner, dans l'éducation publique, à la préoccupation de conserver «l'esprit national» qui, selon lui, n'était autre que «l'esprit de la révolution»; l'Université lui paraissait seule propre à cette œuvre, et l'enseignement ecclésiastique lui inspirait une défiance qu'il ne dissimulait pas. Sans doute, il parlait du clergé avec politesse, trompant ainsi l'attente des sectaires qui s'étaient flattés de le voir se confondre dans leurs rangs; mais, derrière ces ménagements de forme, la malveillance et la menace étaient visibles. C'était, en tous points, le contraire des idées que M. Thiers devait, quelques années plus tard, faire prévaloir dans la loi de 1850.

Déposé et lu à la Chambre le 13 juillet 1844, ce rapport fit un moment quelque bruit; les journaux de gauche et de centre gauche le portèrent aux nues; des universitaires vinrent en députation remercier leur avocat. Puis le silence se fit assez vite. Plusieurs causes y contribuèrent: la clôture de la session qui suivit de près; les préoccupations soulevées dans le public par la guerre du Maroc et par les complications un moment menaçantes de l'affaire Pritchard; la réserve des évêques qui, bien que fort prompts alors à prendre la parole, ne jugèrent pas nécessaire de réfuter M. Thiers. Il semblait du reste qu'il y eût, vers la seconde moitié de 1844, un moment de halte dans l'armée catholique; prélats et laïques avaient pris position avec éclat, et dit très haut ce qu'ils avaient à dire; ils comprenaient qu'un résultat immédiat n'était pas possible, et qu'il fallait laisser mûrir les idées nouvelles. Le gouvernement se félicitait naturellement de cette sorte d'accalmie, et, de son côté, il témoignait, par quelques-uns de ses actes, un certain désir de se rapprocher des catholiques; telle fut notamment l'interprétation donnée au changement qui se fit alors à la tête du ministère de l'instruction publique.

Dans les derniers jours de décembre 1844, une nouvelle sinistre s'était répandue dans Paris: M. Villemain, fléchissant sous le poids des chagrins de famille et des déboires politiques, avait eu un violent accès de folie. Quelques instants auparavant, il avait fait appeler ses jeunes enfants dont il s'occupait beaucoup depuis qu'il avait dû placer leur mère dans une maison de santé, et on l'avait entendu murmurer: «Pauvres enfants! le père et la mère!» Son mal s'était manifesté surtout par deux idées fixes: la crainte qu'on ne le soupçonnât d'avoir fait enfermer sa femme arbitrairement; la croyance qu'il était persécuté par les Jésuites[544]. La consternation fut générale. «On est tenté d'en vouloir à la politique, écrivait alors M. Sainte-Beuve, d'avoir ainsi détourné de sa voie, abreuvé et noyé dans ses amertumes une nature si fine, si délicate, si faite pour goûter elle-même les pures jouissances qu'elle prodiguait.» Quant au Constitutionnel, il montrait tout simplement dans cette maladie une trame des Jésuites. Ce fut pour M. Guizot l'occasion d'un acte significatif: il ne se contenta pas de désigner un intérimaire; avec une promptitude que M. Villemain devait, une fois rétabli, lui reprocher non sans aigreur, il remplaça définitivement le ministre dont il avait eu tant de fois à subir et à regretter le zèle universitaire. Son choix se porta sur M. de Salvandy, l'un des hommes politiques du régime de Juillet qui montraient le plus de bienveillance pour les personnes et les idées du monde religieux, étranger à l'Université, membre de la minorité dans la commission qui avait nommé naguère M. Thiers rapporteur de la loi d'instruction secondaire; nature un peu vaine et pompeuse, mais généreuse et sincère, manquant parfois de tact et de mesure, non d'esprit ni de cœur. Nul, parmi les catholiques, ne pouvait douter des bonnes intentions du nouveau ministre; la seule question était de savoir s'il aurait l'habileté et la force de les réaliser. L'un de ses premiers actes fut d'écrire à l'administrateur du Collège de France des remontrances sévères, mais impuissantes, au sujet des cours de MM. Quinet et Michelet, dont les «désordres», disait-il, «étonnaient et blessaient le sentiment public».

M. Villemain éloigné, personne parmi les ministres ne s'intéressait plus au sort de sa loi sur l'instruction secondaire et n'était pressé de la mener à fin. Louis-Philippe l'était moins encore que ses ministres; déjà, au lendemain de la discussion de la Chambre des pairs, il eût été disposé à en rester là, sans porter le projet à la Chambre des députés. «Le Roi est décidément contre la loi, écrivait alors le duc de Broglie; il la trouve trop libérale et trop défavorable au clergé[545].» Les catholiques ne pouvaient regretter l'abandon d'un projet qui les blessait par beaucoup de côtés. Mais ne fallait-il pas s'attendre que l'opposition fît obstacle à cette tactique d'ajournement, et que l'auteur du rapport notamment s'agitât pour le faire discuter? Il n'en fut rien. Le mobile esprit de M. Thiers se portait alors d'un autre côté: il avait cru découvrir dans l'affaire Pritchard une arme plus efficace contre le ministère. Personne ne se trouva donc, dans la session de 1845, pour demander la mise à l'ordre du jour de ce projet. Comme on disait en style de couloirs, c'était une affaire «enterrée».

XI

L'accalmie qui s'était produite chez les catholiques à la suite de la session de 1844 dura peu. Comment en effet pouvaient-ils désarmer, alors que non seulement on ne donnait pas satisfaction à leurs griefs, mais qu'ils étaient attaqués chaque jour plus violemment dans la presse ou au Collège de France? Dès le mois de janvier 1845, dans la discussion de l'adresse de la Chambre des pairs, le ministre des cultes eut à essuyer de nouveau le feu de M. de Montalembert. Peu après, il se trouvait, une fois de plus, aux prises avec tout l'épiscopat. Ce fut à propos d'un mandement, en date du 4 février 1845, dans lequel le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, avait condamné solennellement, «comme contenant des doctrines fausses et hérétiques, propres à ruiner les véritables libertés de l'Église», le Manuel du droit public ecclésiastique, récemment réédité par M. Dupin. Ce livre, publié pour la première fois sous la Restauration, était la collection des textes dans lesquels, depuis Pithou jusqu'à Napoléon Ier, s'était formulé le gallicanisme des légistes, répudié de tout temps par le clergé, même le moins ultramontain; compilation terne, lourde et fastidieuse, recouverte en quelque sorte d'une poussière d'ancien régime et imprégnée d'une odeur de basoche. La démarche du cardinal pouvait être diversement appréciée; pendant que les ardents y applaudissaient, d'autres, parmi lesquels l'archevêque de Paris, se demandaient si, pour atteindre un livre vieux de plusieurs années et dont la réédition n'avait eu aucun succès, c'était la peine de faire un acte aussi insolite, et que la situation de l'auteur condamné devait rendre aussi retentissant. Le gouvernement, ému des criailleries de M. Dupin, déféra le mandement au conseil d'État, qui déclara, le 9 mars, qu'il y avait abus. Les ministres ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'ils venaient de faire une maladresse. M. Beugnot eut beau jeu à dénoncer, devant la Chambre des pairs, la bizarre contradiction de cet État qui tenait à se proclamer «laïque» et qui voulait en même temps faire le «théologien». Dès le 11 mars, le cardinal de Bonald écrivit au garde des sceaux une lettre publique, plus railleuse et dédaigneuse encore qu'irritée, où, après avoir malmené le corps politique et laïque qui prétendait lui «enseigner la religion», il déclarait ne reconnaître qu'au Pape le droit de juger son jugement. «Jusque-là, ajoutait-il, un appel comme d'abus ne peut pas même effleurer mon âme... J'ai pour moi la religion et la Charte: je dois me consoler. Et quand, sur des points de doctrine catholique, le conseil d'État a parlé, la cause n'est pas finie.» C'était l'un des caractères de cette lutte, que le gouvernement ne pouvait toucher un évêque, sans que tous les autres prissent fait et cause pour lui; on revit ce qui s'était déjà vu à propos de la réprimande adressée par M. Martin du Nord à l'archevêque de Paris et à ses suffragants: en quelques jours, plus de soixante évêques déclarèrent adhérer aux doctrines proclamées par le cardinal de Bonald et blâmées par le conseil d'État. Bientôt aussi, les journaux religieux purent annoncer que, le 5 avril, la congrégation de l'Index avait condamné le Manuel. Pour l'amour de la théologie de M. Dupin, le gouvernement s'était donc mis en conflit avec l'Église tout entière, et il n'avait même pas pour soi l'opinion des indifférents et des frivoles. Cette fois, en effet, la cause religieuse avait, ce qui ne lui arrive pas toujours, les rieurs de son côté. Dans deux de ses pamphlets les plus vivement enlevés, Oui et non et Feu, feu, Timon s'était chargé, à la grande surprise et au grand déplaisir de ses amis politiques, de montrer à la partie du public qui ne lisait pas les mandements, où étaient non seulement la justice et la liberté, mais le bon sens. Son succès fut considérable; on en put juger au chiffre des éditions qui s'éleva, en un an, à près de vingt. La gauche, déconcertée et furieuse, essaya vainement d'écraser sous une espèce de charivari de presse l'écrivain que naguère elle applaudissait si fort quand il faisait une vilaine besogne[546]. Ce tapage ne profita pas à la cause des appels comme d'abus. En tout cas, c'était une singulière façon de réaliser le rêve de silence caressé par M. Martin du Nord; aussi n'est-on pas étonné d'entendre alors celui-ci déclarer, à la tribune, que «c'était une des époques les plus pénibles de sa vie». Le gouvernement eut au moins la sagesse de comprendre qu'il s'était engagé dans une sotte campagne, et de ne s'y pas obstiner: bravé, raillé, il se tint coi, avec une prudence tardive, mais méritoire. «Le mandement est et demeure supprimé», disait solennellement l'ordonnance. Singulière «suppression» dont le seul résultat fut d'augmenter la publicité du document. Le «comité pour la défense de la liberté religieuse» n'en fit pas moins réimprimer le mandement, y joignit toutes les lettres d'adhésion des évêques, et répandit ce volume par toute la France. S'il y avait quelque chose de «supprimé», c'était l'appel comme d'abus, surtout en matière doctrinale. Le gouvernement de Juillet le comprit: de 1845 à 1848, il ne devait plus recourir à ce moyen de répression.

Se sentant sur un mauvais terrain dans l'affaire du Manuel, les adversaires des catholiques recoururent à leur tactique habituelle; ils se mirent à crier plus fort que jamais: Au Jésuite! Depuis quelque temps, le journal de M. Thiers, le Constitutionnel, publiait, sous la forme alors nouvelle et fort en vogue du roman feuilleton, le Juif errant de M. Eugène Sue. Toutes les infamies débitées depuis deux ou trois ans contre les Jésuites, le romancier les mettait en action, les faisait vivre, les incarnait dans des personnages tels que nous en rencontrons tous les jours, et les jetait ainsi aux passions de la foule: forme particulièrement meurtrière et irréfutable de la calomnie. La Compagnie de Jésus était représentée dominant le monde par les moyens les plus vils et les plus criminels, fomentant et exploitant la luxure, organisant le vol et l'assassinat, ayant pour agents les «étrangleurs» de l'Inde, le tout assaisonné d'excitations socialistes et imprégné d'une sensualité malsaine. Cela pénétrait partout, dans les salons, les ateliers, les cabarets. Le peu scrupuleux imprésario du Constitutionnel, M. Véron, calculait avec satisfaction les 15 à 20,000 abonnés que lui rapportaient les 100,000 francs payés à l'auteur. Quant à M. Sue, il se vantait à bon droit de n'avoir pas fait une œuvre moins moralisatrice que MM. Libri, Génin, Quinet et Michelet; il leur faisait l'honneur de les saluer comme ses inspirateurs, et affirmait avoir été «déterminé» par leurs «hardis et consciencieux travaux» sur les «funestes théories de la Compagnie de Jésus», à «apporter aussi sa pierre à la digue puissante élevée contre un flot impur et toujours menaçant». Les défenseurs de l'Université se gardaient de répudier ce concours. Le Journal des Débats lui-même déclarait que ce roman «appartenait, par le sujet et l'intention, à la croisade antijésuitique», et il ajoutait: «Laissons toute liberté au pinceau de M. Eugène Sue.»

Quel moyen, du reste, n'était bon, du moment où il s'agissait de combattre ces religieux? Tout servait de prétexte: témoin le procès Affnaer. Cet Affnaer était un fripon vulgaire qui, employé à l'économat des Jésuites, leur avait escroqué 200,000 francs. Dénoncé et arrêté, il tâcha d'exploiter en sa faveur les passions régnantes et se mit à calomnier ceux qu'il venait de voler. La presse accueillit ce concours déshonorant et, sur la foi du misérable, prétendit dévoiler les mystères de la fortune et de l'organisation intérieure de la compagnie. Cette fantasmagorie dut s'évanouir au plein jour des débats publics. Mais la condamnation, prononcée le 9 avril 1845, n'en fut pas moins l'occasion d'un redoublement d'attaques: s'être laissé escroquer et surtout s'être plaint, c'était, disait-on, braver insolemment une législation qui ne permettait aux Jésuites ni de posséder ni même d'exister. Un cri s'éleva, demandant qu'il fût mis un terme à ce scandale. Quelques jours après le jugement, à propos d'une pétition des catholiques marseillais contre les cours de MM. Quinet et Michelet, M. Cousin déclara, à la Chambre des pairs, que le vrai désordre n'était pas ce qui se passait au Collège de France, mais l'existence des Jésuites en violation des lois: il demanda l'exécution de ces lois; puis, après avoir accompli un tel acte de courage, il s'écria d'un ton tragique qui fit sourire l'assemblée: «Je n'hésite pas à me déclarer l'adversaire de cette corporation: il m'en arrivera ce qui pourra!» M. Martin du Nord se borna à répondre vaguement qu'il y avait bien d'autres associations non autorisées, qu'il convenait d'apprécier les faits et de ne pas céder à des impatiences irréfléchies. La Chambre haute, peu disposée à suivre le véhément philosophe, se contenta de cette défaite. Mais ce n'était qu'une escarmouche préliminaire: une plus grosse bataille se préparait dans l'autre Chambre.

XII

L'opposition n'avait pas retiré de l'affaire Pritchard les avantages espérés; le ministère, un moment ébranlé au début de la session de 1845, s'était encore une fois raffermi. Ce fut sous l'impression de ce désappointement et par besoin de chercher un autre terrain d'attaque, que les adversaires de M. Guizot se trouvèrent ramenés à ces questions religieuses où ils avaient déjà fait une première excursion, à la fin de la session précédente, lors du rapport de M. Thiers. De ce rapport, il n'était plus parlé, et personne ne songea à en demander la discussion. Le bruit grandissant qui se faisait autour des Jésuites parut une indication du point où l'on pouvait utilement porter l'effort. Dans une conférence à laquelle prirent part MM. Thiers, Odilon Barrot, Dupin, de Rémusat, de Beaumont, de Malleville, Billault, Duvergier de Hauranne et quelques autres, il fut décidé d'interpeller le gouvernement sur la situation de la Compagnie de Jésus. Toutefois, quand il s'agit de décider qui porterait la parole, chacun, trouvant au fond la besogne peu glorieuse, invoqua quelque raison pour s'en dispenser: peu s'en fallut que l'affaire ne tombât à l'eau, faute d'interpellateur. M. Thiers alors se proposa: il n'est pas besoin de dire que son offre fut acceptée avec enthousiasme[547]. Ce n'était pas sans hésitation et sans répugnance qu'il s'engageait dans cette voie. Les Jésuites en eux-mêmes lui étaient absolument indifférents. «Je ne pense pas d'eux tout le mal qu'on en dit, déclarait-il, en 1844, dans un des bureaux de la Chambre; il y a là-dessus beaucoup d'exagération.» Et, dans son rapport, il avait affirmé «n'être pas animé, à l'égard de ces religieux, d'un petit esprit de calomnie et de persécution». Au pouvoir, il leur avait été plutôt bienveillant. Mais, en sommant le ministère d'agir contre eux, il croyait le placer dans l'alternative embarrassante et périlleuse, soit de se poser en protecteur des Jésuites devant l'opinion ameutée, soit de commencer une persécution moralement et peut-être juridiquement impraticable. C'était assez pour triompher de ses scrupules.

M. Guizot n'avait consenti qu'à regret, dans le projet de 1844, à interdire l'enseignement aux congrégations; au moins s'était-il flatté que, moyennant cette sorte de rançon, la Compagnie de Jésus ne serait pas inquiétée dans son existence. Il l'avait dit alors, et d'autres défenseurs du projet, M. Portalis par exemple, l'avaient répété. Or voilà que les ennemis des Jésuites, encouragés et non désarmés par cette concession, manifestaient des exigences plus grandes. Quelque temps, le ministre avait espéré pouvoir les éluder: «Il y a une forte tempête, disait-il au P. de Ravignan; je m'y opposerai. J'ai parlé au Roi, au conseil. Il ne faut pas commettre une grande injustice. Aucune mesure n'a été prise. Laissons passer le flot.» Mais ce flot grossissait chaque jour davantage. Quand il fut connu que M. Thiers était décidé à parler, le ministère fut bien obligé de s'avouer qu'il n'y avait plus moyen de faire la sourde oreille. Quel parti prendre? Défendre, sinon les Jésuites, du moins leur liberté, se mettre hardiment en travers du préjugé et de la passion, c'eût été une noble et peut-être habile politique; elle était en tout cas conforme aux sympathies personnelles de M. Guizot. Mais, après ce qui s'était passé depuis quatre ans, pouvait-on s'attendre à voir le gouvernement la pratiquer? Il croyait les esprits si montés, il craignait tant d'être, sur cette question, abandonné par ses propres amis, qu'il jugeait toute résistance de front impossible, périlleuse pour la religion, mortelle peut-être pour la dynastie; il lui semblait que la monarchie de Juillet serait compromise, comme l'avait été celle de Charles X, si elle s'associait ainsi à une cause impopulaire, et Louis-Philippe déclarait ne pas vouloir «risquer sa couronne pour les Jésuites». Ô brièveté de la sagesse politique, quand elle prétend discerner ce qui perd et ce qui sauve les pouvoirs! On jetait des religieux par-dessus bord pour alléger le navire qui portait la fortune de la monarchie; et quand, peu après, soufflera la tourmente, ce sera ce grand et beau navire qui sombrera, tandis que la petite barque des Jésuites arrivera au port; la révolution qui jettera la famille d'Orléans en exil fera disparaître, au moins pour quelque temps, les derniers vestiges de proscription pesant sur la Compagnie de Jésus, et M. Thiers lui-même proclamera, devant le pays, cette sorte d'émancipation.

Si le gouvernement ne croyait pas pouvoir défendre les Jésuites, il était, cependant bien résolu à ne pas s'engager dans une de «ces luttes du pouvoir civil contre les influences religieuses», qui, suivant la parole de M. Guizot, «prennent aisément l'apparence et aboutissent souvent à la réalité de la persécution». Sur ce point, sa prudence ne parlait pas moins haut que sa justice. Rien de plus aisé que de pérorer sur les «lois du royaume» frappant la Compagnie de Jésus; rien de plus incertain, de plus difficile et de plus périlleux que de les appliquer, pour un gouvernement dont l'honneur était de ne pouvoir et de ne vouloir jamais faire acte d'arbitraire. D'ailleurs, M. Guizot savait bien que, si M. Thiers le poussait dans cette aventure, ce n'était pas avec l'espérance de l'en voir sortir; il comprenait que l'opposition lui tendait un piège où elle comptait enlever au ministère la vie et l'honneur. Ne trouverait-on donc pas quelque moyen détourné et pacifique de supprimer en quelque sorte la matière du conflit? Déjà plusieurs fois, pendant les dernières années, on avait demandé, en vain, il est vrai, aux évêques de sacrifier eux-mêmes les Jésuites. Ce que les évêques refusaient, n'y aurait-il pas chance de l'obtenir du Pape? Le gouvernement résolut de l'essayer, imitant l'exemple de la Restauration qui, lors des ordonnances de 1828, dans une situation analogue, s'était adressée à Rome pour sortir de peine[548]. Nous ne blâmons ni le procédé, ni l'intention; M. Guizot a déclaré plus tard n'avoir agi que «dans l'intérêt de la liberté d'association et d'enseignement» qui eût souffert d'une intervention directe de l'autorité civile, tandis que «porter la question devant le pouvoir spirituel, supérieur religieux des Jésuites, c'était faire appel à la liberté même et aux concessions volontaires[549]». Seulement, quand on voit tous les gouvernements, à tour de rôle, provoquer ainsi eux-mêmes la papauté à régler la conduite du clergé et des catholiques dans les affaires françaises, peut-on ensuite leur reconnaître grand droit à se plaindre de ce qu'ils appellent les progrès de l'ultramontanisme?

Dès que l'idée de ce recours à Rome s'était présentée à l'esprit de M. Guizot, il avait choisi in petto son négociateur: c'était M. Rossi. Ce personnage s'était distingué, à la Chambre des pairs, dans la discussion de 1844, où il avait pris adroitement position entre M. de Montalembert et M. Cousin, visant évidemment à la succession de M. Villemain, compromis et usé. Il n'eut pas le portefeuille: l'ambassade de Rome lui échut à la place. La Providence, qui se joue des calculs les plus habiles, le conduisait ainsi à une destinée qu'il eût été alors le dernier à prévoir: envoyé à Rome pour y arracher, au nom des préjugés voltairiens et de la timidité ministérielle, le sacrifice des Jésuites, il devait y rester pour succomber martyr de l'indépendance pontificale et dire en allant au-devant des assassins: «Qu'importe, la cause du Pape est la cause de Dieu!» Existence singulière entre toutes que celle de cet Italien au pâle visage, au regard de lynx, au profil d'aigle, si souvent transplanté et déraciné, poussé par les hasards de la vie dans les pays les plus divers, les sociétés les plus dissemblables, chaque fois y reconstruisant à nouveau l'édifice de sa fortune, et partout, en dépit de difficultés souvent immenses, s'élevant au premier rang! Jeune homme, à Bologne, il est à la tête du barreau. Émigré en 1815, il se réfugie à Genève; professeur, député, il devient l'homme le plus important de la république. 1830 l'appelle en France: accueilli d'abord par les sifflets des étudiants, il est, au bout de peu d'années, pair de France, membre de l'Institut, doyen de la Faculté de droit, ambassadeur et comte. En 1848, il perd tout; il reçoit ce coup avec le sang-froid d'un joueur pour lequel la fortune n'a plus de surprises; ce sexagénaire change une fois de plus de patrie et recommence une nouvelle carrière; ministre de Pie IX, il rencontre, pour couronner et ennoblir une existence où l'ambition avait paru parfois tenir plus de place que le sacrifice, l'héroïsme tragique de sa mort. Vie plus agitée et plus remplie que féconde, où les événements semblent n'avoir jamais permis à M. Rossi de donner sa mesure: il n'en a pas moins laissé à ceux qui l'ont approché, l'impression d'un homme d'État qui eût été égal aux plus grands rôles, et l'histoire doit reconnaître en lui le dernier descendant de ces politiques que jadis l'Italie donnait ou plutôt prêtait aux autres nations.

Ce fut le 2 mars 1845 que le gouvernement accrédita M. Rossi auprès du Pape, avec mission d'obtenir la dissolution et la dispersion des Jésuites en France. Ce choix, qui surprit à Paris, déplut à Rome, où l'on fit tout d'abord très froid accueil à l'envoyé français. Son passé, sa qualité d'émigré, son mariage avec une protestante, son indifférence notoire dans les questions religieuses, tout en lui était fait pour éveiller les ombrages de la cour et de la société pontificales. Mais il n'était pas de ceux qu'une telle réception pouvait démonter. Que de fois n'avait-il pas dû se pousser dans des milieux hostiles! Il avait l'art de plaire avec souplesse et dignité, la hardiesse sensée, la sagacité froide et prompte, et, dans la volonté comme dans l'action, une persévérance impassible qui donnait bientôt aux autres le sentiment qu'il finirait par l'emporter. Il avait aussi cette patience qui est peut-être la qualité la plus nécessaire pour traiter avec Rome; deux mois durant, il resta dans une sorte d'inaction, laissant les mauvaises volontés s'émousser, les curiosités ou les prudences s'étonner, puis s'inquiéter de son silence, travaillant seulement à se faire sous main des amis dans la prélature et la curie.

Pendant ce temps, les événements se précipitaient à Paris. L'interpellation était annoncée pour le 2 mai, et l'approche de ce jour avivait encore la polémique. M. Thiers avait cette fortune étrange de voir la campagne qu'il dirigeait en réalité contre le ministère, secondée passionnément par le principal organe de ce ministère. Le Journal des Débats, en effet, dépassait en violence toutes les feuilles de gauche, traitant les Jésuites «d'hypocrites patentés, de marchands d'indulgences, de pourvoyeurs d'absolutions, de colporteurs de pieuses calomnies». «Vous êtes, leur criait-il, un monument vivant du mépris de la loi; rien qu'à ce titre, je vous repousse; car vous n'êtes pas des proscrits honteux qui cachent leur nom et qui implorent la générosité d'un adversaire.» Ces excitations n'étaient pas sans produire quelque émotion dans le populaire: des placards injurieux et menaçants étaient collés sur la porte des Jésuites; des bruits d'émeute circulaient dans certains quartiers; la police avait dû se mettre sur ses gardes.

Enfin, au jour fixé, M. Thiers monta à la tribune, pour demander «l'exécution des lois de l'État à l'égard des congrégations religieuses». Il fut courtois et relativement modéré dans la forme, par souci évident de se distinguer de ceux avec qui il faisait campagne. Remontant jusqu'à l'ancien régime, il prétendit rechercher quelles lois étaient applicables contre les Jésuites. Malgré la clarté habituelle de son talent, il ne resta de sa longue dissertation qu'une impression confuse et incertaine. Sa gêne fut plus grande encore, quand il fallut donner la raison de fait qui justifiait l'application de la loi. Il n'en indiqua pas d'autre que la lutte soutenue par les évêques contre l'Université. Mais pourquoi frapper les Jésuites, non les évêques? C'est, disait l'orateur, que les Jésuites «étaient probablement les auteurs du trouble». À l'égard du gouvernement, il affecta de vouloir uniquement lui venir en aide; il n'ignorait pas qu'il est aussi fatal à un cabinet de se laisser protéger que de se laisser vaincre par l'opposition; de telles protestations lui paraissaient d'ailleurs le meilleur moyen de cacher le piège qu'il tendait. Deux procureurs généraux appuyèrent M. Thiers: celui de la Cour de cassation, M. Dupin, et celui de la cour royale de Paris, M. Hébert. Le premier, tout meurtri encore de la condamnation récente du Manuel, soutenait presque une cause personnelle: on le vit à l'amertume vulgaire de son langage. La gauche, par l'organe de son chef, n'exprima qu'un regret: c'est qu'on voulût encore garder des ménagements et qu'on s'en prît seulement aux Jésuites. La cause de la liberté était perdue d'avance: toutefois elle fut défendue par M. de Lamartine avec quelque incohérence, par M. de Carné avec une vaillante droiture, par M. Berryer avec une puissance éloquente. C'était la première fois que le grand orateur légitimiste intervenait dans la campagne de la liberté religieuse. Il sentait combien ce débat était supérieur à la plupart de ceux auxquels il se mêlait d'ordinaire, et il en était ému. Le P. de Ravignan, qui était allé le voir le matin, l'avait trouvé se promenant dans sa chambre. «Ah! sans doute, s'écria Berryer, la cause est perdue, et cependant elle sera gagnée. Pour le présent, je suis désespéré; je vois d'ici tous ces hommes au parti pris d'avance, comme un mur de marbre devant moi. Seulement, je suis indigne d'être l'avocat d'une pareille cause; ne me remerciez pas, mais priez pour moi.» Dans le parti catholique, certains ne voyaient pas sans quelque inquiétude l'intervention de M. Berryer: on craignait qu'il ne cherchât à rattacher la cause de la liberté religieuse à celle de son parti politique. Il n'en fit rien; il parla en libéral, en jurisconsulte, en chrétien, s'appliquant à montrer, avec une vigueur lumineuse, quelle était la situation des congrégations d'après les lois et d'après notre droit public: réfutation souveraine, et l'on peut dire définitive, de tous ceux qui, alors ou depuis, ont prétendu évoquer, contre les Ordres religieux, les vieilles lois de proscription. Pour dissimuler ce que la politique du gouvernement avait, en cette circonstance, de timide et d'un peu subalterne, il eût fallu la grande et haute parole de M. Guizot: mais celui-ci était alors malade au Val-Richer. M. Martin du Nord le remplaça. On sentait que son honnêteté eût désiré résister, mais qu'il se croyait obligé de céder du moment où l'exigence devenait trop vive. Il accepta pleinement la thèse juridique de M. Thiers. À peine essaya-t-il quelques atténuations, en ce qui touchait les reproches faits au clergé. En fin de compte, il se borna à prier qu'on ne le forçât pas à aller trop vite et qu'on lui laissât le choix des moyens; il indiqua d'ailleurs lequel il emploierait d'abord: «Je crois, disait-il, que, s'il est possible d'arriver à une mesure quelconque de concert avec l'autorité spirituelle, ce concours offrira des avantages incontestables.» M. Thiers, convaincu qu'on échouerait à Rome, n'éleva pas d'objection: seulement il précisa impérieusement que, «quel que fût le résultat des négociations, les lois seraient appliquées», et le ministre, toujours docile, adhéra à cette déclaration.

Le cabinet aurait désiré que la discussion se terminât par l'ordre du jour pur et simple: il n'osa le demander et subit un ordre du jour imposé par M. Thiers et ainsi motivé: «La Chambre, se reposant sur le gouvernement du soin de faire exécuter les lois de l'État, passe à l'ordre du jour.» Une trentaine de députés furent seuls à protester. Les conservateurs votèrent en masse avec la gauche. Plusieurs en souffraient. «Je rougis, disait l'un d'eux à M. Beugnot, du rôle que le ministère nous a fait jouer.» Quant au gouvernement, il s'était fait une idée telle du péril, qu'il se déclara satisfait du résultat. «Vous appelez cela une défaite, disait le Roi au nonce. En effet, dans d'autres temps, c'en eût été une peut-être; aujourd'hui, c'est un succès, grâce aux fautes du clergé et de votre cour. Nous sommes heureux de nous en être tirés à si bon marché[550].» L'opposition ne s'employait pas pourtant à diminuer, pour le ministère, les humiliations de la capitulation. Dès le lendemain, le journal de M. Thiers, le Constitutionnel, notait que «l'opposition avait fait une fois de plus l'office de gouvernement». Le cabinet, ajoutait-il, «a trouvé la Chambre plus redoutable encore que les Jésuites; il aura contre les Jésuites le courage du poltron acculé à l'abîme». M. Thiers trouvait-il le plaisir de sa victoire sans mélange? Certaines paroles un peu inquiètes de la fin de son discours laissaient entrevoir chez lui comme une impression tardive de ce que cette campagne avait de peu honorable et de dangereux. En somme, triste discussion; les témoins observèrent que, pendant ces deux jours, la Chambre avait été visiblement «mal à l'aise, indécise, étonnée de sa froideur et de sa gêne», et l'abbé Dupanloup put écrire: «On voulait du bruit, du scandale, une manifestation; on a eu tout cela; mais on en a été médiocrement satisfait; c'est un spectacle curieux aujourd'hui d'étudier l'embarras où cette discussion laisse tout le monde[551]

Ceux qui souffraient le moins de cet embarras étaient les catholiques. Ils croyaient entrer dans «l'ère de la persécution»; mais leur courage ne s'en troublait pas. Ils n'en étaient plus à ces époques de timidité plaintive où, devant une menace, ils ne savaient guère que gémir aux portes d'un palais. C'était sur la place publique qu'ils étaient résolus à porter leurs réclamations et leur résistance. En dépit de leur petit nombre, de l'impopularité trop réelle attachée à ce nom de Jésuite sur lequel ils étaient réduits à livrer la bataille, ils semblaient éprouver un frémissement joyeux à la pensée de paraître, devant l'opinion et devant la justice, comme les confesseurs de la liberté religieuse; ils espéraient même, à la faveur de ce rôle, rompre cette tradition d'impopularité. Du reste, pas de divergence parmi eux. Laïques, évêques, congréganistes de tous les Ordres, étaient d'accord pour se défendre par les armes du droit commun. Mgr Parisis «conjurait» publiquement les religieux menacés de ne «faire aucune concession» et de «subir tous les genres de persécution, plutôt que de sacrifier le principe de liberté qui est humainement aujourd'hui le boulevard de l'Église»; et il ajoutait: «Plutôt cent ans de guerre que la paix à ce prix[552].» Les Jésuites de France étaient pleinement entrés dans ces sentiments. Appuyés sur une consultation qui établissait leur droit et la manière de le faire sauvegarder par les tribunaux, ils avaient envoyé à toutes leurs maisons, pour le cas où le pouvoir voudrait y porter la main, un programme de résistance légale et des formulaires de protestation où ils tenaient ce viril et libéral langage: «Français, jouissant des droits de la cité, nous invoquons l'appui protecteur des lois communes à tous, et nous protestons, avec toute l'énergie de notre conscience, contre une violation inexplicable des droits religieux et des garanties constitutionnelles les plus avérées. Nous ne pouvons croire que des clameurs aveugles et un nom calomnié, sans coupables désignés, sans délit imputé, sans un fait articulé, suffisent, dans un pays libre, pour faire expulser et proscrire des religieux, des prêtres, des Français, égaux devant la loi à tous les autres Français.» Les catholiques ne se contentaient pas de préparer la défensive, ils prenaient hardiment l'offensive. En même temps que plusieurs évêques protestaient publiquement, MM. de Montalembert, Beugnot et de Barthélemy soulevaient la question devant la Chambre des pairs (11 et 12 juin 1845). Tous trois, le premier avec un éclat de passion dédaigneuse et vengeresse, le second avec un grand sens politique, le troisième avec une connaissance étendue du problème juridique, mirent en vive lumière l'inanité des griefs allégués contre la Compagnie de Jésus, l'illégalité et le péril des mesures qu'on voulait prendre contre elle. Ils flétrirent la conduite de l'opposition libérale, donnant un démenti à tous ses principes, et aussi la faiblesse du ministère, livrant la liberté religieuse à des passions qui n'étaient ni les siennes ni même celles de ses amis, mais celles de ses ennemis. Le ministre des cultes, obligé de dire pourquoi il s'en prenait aux Jésuites, ne sut guère leur reprocher que «d'être venus hautement, à la face du pays, déclarer ce qu'ils étaient[553]». Singulier grief, en vérité, dans un temps de publicité, et tout au moins fort différent du reproche de dissimulation qu'on adressait d'ordinaire à ces religieux.

L'attitude prise par les catholiques faisait désirer plus vivement encore au gouvernement que la cour de Rome le tirât de l'impasse où il s'était fourvoyé. De ce côté, étaient son unique ressource et son espoir. «Je compte beaucoup sur le Pape, disait M. Martin du Nord à un évêque vers le milieu de juin; je parierais trois contre un qu'il tranchera la difficulté.» Au contraire, ni les catholiques ni les opposants de gauche ne croyaient au succès de M. Rossi. De temps à autre, le Constitutionnel annonçait, avec une satisfaction non dissimulée, que la négociation ne marchait pas. Le 2 juillet 1845, l'Univers recevait une lettre de Rome, en date du 20 juin, faisant savoir que la congrégation des affaires ecclésiastiques avait repoussé la demande du gouvernement français et que, «dès ce moment, la mission de M. Rossi était terminée». La plupart des journaux acceptèrent cette nouvelle comme officielle, et le Constitutionnel publia, le 5 juillet, un grand article où il triomphait, contre le ministère, de l'échec des négociations, et le menaçait, s'il n'agissait pas directement contre les Jésuites, d'une injonction explicite dans la prochaine adresse. Telle était la situation quand, le lendemain, 6 juillet, le Moniteur publia la note suivante: «Le gouvernement du Roi a reçu des nouvelles de Rome. La négociation dont il avait chargé M. Rossi a atteint son but. La congrégation des Jésuites cessera d'exister en France et va se disperser d'elle-même; ses maisons seront fermées, et ses noviciats seront dissous.» La surprise et l'émotion furent vives, les catholiques consternés, les opposants déroutés, les ministériels triomphants. On n'y comprenait rien. Que s'était-il donc passé à Rome?

XIII

M. Rossi était sorti de sa réserve après l'interpellation de M. Thiers[554]. La discussion et le vote de la Chambre lui avaient servi d'argument auprès du Pape. Tracer un tableau plus menaçant qu'exact des passions soulevées contre les Jésuites, sans prendre du reste à son compte les reproches adressés à cet Ordre; faire entrevoir les plus grands périls pour la religion, notamment la dissolution légale de toutes les congrégations et même le schisme, si l'on ne faisait pas quelque sacrifice aux préjugés régnants; insinuer que ce sacrifice ne serait que temporaire, et qu'on se contenterait d'une «sécularisation de six mois»; faire miroiter, comme compensation, toutes sortes de faveurs pour le clergé, la solution de la question d'enseignement et la modification des articles organiques,—tels furent les moyens par lesquels le négociateur chercha à agir sur Grégoire XVI et sur son entourage. D'abord insinuant, il prit peu à peu un ton plus raide. De Paris, le Roi le secondait: «Savez-vous ce qui arrivera, disait Louis-Philippe au nonce, si vous continuez de laisser marcher et de marcher vous-même dans la voie où l'on est? Vous vous rappelez Saint-Germain l'Auxerrois, l'archevêché saccagé, l'église fermée pendant plusieurs années. Vous reverrez cela pour plus d'un archevêché et d'une église. Il y a, me dit-on, un archevêque qui a annoncé qu'il recevrait les Jésuites dans son palais, si l'on fermait leur maison. C'est par celui-là que recommencera l'émeute. J'en serai désolé; ce sera un grand mal et un grand embarras pour moi et pour mon gouvernement. Mais, ne vous y trompez pas, je ne risquerai pas ma couronne pour les Jésuites; elle couvre de plus grands intérêts que les leurs. Votre cour ne comprend rien à ce pays-ci, ni aux vrais moyens de servir la religion[555].» Au fond, le Roi ne croyait probablement pas la situation aussi mauvaise, et surtout il n'était nullement disposé à laisser faire l'émeute, comme en 1831; mais il jugeait utile d'effrayer.

Blessé de la pression qu'on prétendait exercer sur lui, Grégoire XVI était en même temps troublé des éventualités dont on le menaçait. Le vieux pontife et ses conseillers, tous hommes d'un autre temps, ne se sentaient pas sur un terrain connu et sûr, quand il leur fallait prendre un parti au sujet de la France de 1830. Leur finesse italienne pressentait une exagération dans les paroles de M. Rossi; mais comment discerner l'exacte vérité, au milieu de ces batailles de presse et de parlement si étrangères à leurs mœurs? Comment mesurer la force réelle de cette opinion publique avec laquelle leur chancellerie n'était pas accoutumée à traiter? Ils entendaient bien les catholiques de France les conjurer de tout refuser, et n'auraient pas voulu les contrister; mais ils ne pouvaient s'empêcher de trouver un peu étrange et inquiétante leur manière de défendre la religion. On avait remarqué que, malgré certaines sollicitations, le Pape n'avait jamais voulu approuver ni encourager la conduite du nouveau parti religieux[556], et M. Rossi savait bien toucher la corde sensible, quand il répétait à tout propos que ce parti était «la coda di Lamennais». De plus, le gouvernement pontifical, sachant gré à la monarchie de Juillet du mal qu'elle n'avait pas fait et de celui qu'elle avait empêché après 1830, désirait la ménager par prudence autant que par justice, par prévoyance autant que par gratitude. Pour tous ces motifs, il était, en face de la demande qui lui était adressée, indécis et anxieux; il usait alors de sa ressource habituelle en pareil cas: il ne disait rien et attendait.

Le ministère français, qui ne pouvait s'accommoder de ce silence, devint plus pressant. La congrégation des affaires ecclésiastiques fut alors convoquée; à l'unanimité, elle décida que le Pape ne pouvait accorder ce qui lui était demandé. C'est la délibération que, quelque temps après, faisait connaître l'Univers. Était-ce donc un échec complet pour M. Rossi? Une mesure aussi extrême et aussi absolue n'eût pas été dans les traditions de la diplomatie pontificale. En même temps qu'on sauvegardait le principe par la décision de la congrégation, on donnait à entendre au négociateur français que, si le Pape ne devait rien ordonner, il serait probablement possible d'obtenir des Jésuites eux-mêmes quelques concessions volontaires. C'était inviter ceux qui faisaient un crime aux religieux d'avoir un supérieur étranger, à invoquer l'autorité de ce supérieur. Mais M. Rossi était tenu de réussir à tout prix: il savait que son gouvernement, sans passion propre en cette affaire, serait heureux de tout expédient qui, à défaut d'un succès réel, en donnerait l'apparence, permettrait de déjouer la tactique de M. Thiers, et tirerait tant bien que mal les ministres d'embarras. Il accepta donc avec empressement l'ouverture qui lui était faite. Ses demandes, bien moins absolues qu'au début, finirent par se réduire à ceci: «que les Jésuites se missent dans un état qui permît au gouvernement de ne pas les voir, et qui les fît rester inaperçus, comme ils l'avaient été jusqu'à ces dernières années.» Le cardinal Lambruschini, secrétaire d'État, estima un accord possible sur ce terrain: «Les maisons peu nombreuses, disait-il, pourraient très facilement être inaperçues; les grandes et celles qui sont placées dans les localités où les passions sont trop violentes, seraient réduites à un petit nombre d'individus.» De son côté, le P. Roothaan, général de la congrégation, déjà travaillé par plusieurs intermédiaires, notamment par l'abbé de Bonnechose, depuis cardinal, était préparé à entrer dans cette voie. Seulement, tandis que le Pape désirait que les concessions parussent un acte volontaire du général, celui-ci se préoccupait de dégager sa responsabilité, en ayant sinon un ordre, du moins un conseil du pontife. Il reçut ce conseil[557]. Dès le 13 juin, au lendemain de la réunion de la congrégation des affaires ecclésiastiques, deux cardinaux s'étaient rendus chez le P. Roothaan et l'avaient engagé, de la part de Grégoire XVI, à faire quelques sacrifices pour avoir la paix et pour laisser passer la tourmente. Le général invita aussitôt les supérieurs français à disperser les maisons de Paris, Lyon et Avignon. À la suite d'une nouvelle démarche faite par d'autres cardinaux, le 21 juin, il ajouta la maison de Saint-Acheul et les noviciats trop nombreux. «Nous devons, écrivait-il, tâcher de nous effacer un peu, et expier ainsi la trop grande confiance que nous avons eue à la belle promesse de liberté qui se trouve dans la Charte et qui ne se trouve que là.» Il n'était du reste question que de déplacer des religieux, nullement de fermer des maisons: l'existence de la compagnie en France ne recevait aucune atteinte. À ceux qui lui demandaient davantage, le général répondit que des mesures plus radicales dépassaient son pouvoir, et qu'il faudrait un ordre du Pape. Cet ordre ne vint pas.

Tel fut le dernier mot des concessions faites par les Jésuites, fort différent, on le voit, de la note du Moniteur. Cette note avait été rédigée sur une dépêche de M. Rossi, qui disait seulement: «Le but de la négociation est atteint... La congrégation va se disperser d'elle-même, les noviciats seront dissous, et il ne restera dans les maisons que les ecclésiastiques nécessaires pour les garder, vivant d'ailleurs comme des prêtres ordinaires.» Dans sa préoccupation de frapper plus vivement le monde parlementaire, le rédacteur de la note officielle n'avait pas voulu voir que, si M. Rossi parlait de «congrégation dispersée» et de «noviciats dissous», il ne parlait pas de «congrégation cessant d'exister» et de «maisons fermées». La dépêche elle-même, bien que moins brutalement inexacte, dépassait cependant, sur certains points, les concessions consenties par le P. Roothaan. Ce dernier malentendu tenait sans doute à ce que M. Rossi n'avait voulu traiter avec les Jésuites que par intermédiaires. L'envoyé français n'en était pas du reste seul responsable, car il avait lu, à deux reprises, sa dépêche au cardinal Lambruschini qui l'avait approuvée, après discussion. Le secrétaire d'État ne devait pas ignorer que le Père général n'avait pas autant concédé. Pourquoi donc n'avait-il pas signalé l'erreur? Était-ce de sa part timidité ou finesse? Avait-il craint le conflit qu'aurait pu provoquer une trop pleine lumière? Avait-il considéré que cet éclaircissement ne rentrait pas dans son rôle qui était celui d'un témoin, non d'un acteur direct? Avait-il cru deviner qu'après tout notre négociateur aimait mieux un malentendu dont on verrait plus tard à se tirer, qu'un échec immédiat? Avait-il pressenti que les religieux menacés gagneraient plus qu'ils ne perdraient dans la confusion de cet imbroglio? On ne saurait le dire. Interrogé ultérieurement par les Jésuites français, il tenta de justifier sa conduite, dans une dépêche au nonce du Pape à Paris[558]: il y prouva facilement qu'il n'avait jamais connu ni accepté la note du Moniteur; mais, sur l'approbation donnée par lui à la dépêche du négociateur français, ses explications n'éclaircirent rien. M. Rossi était bien Italien, et il l'avait montré dans cette affaire. Peut-être le cardinal Lambruschini ne l'était-il pas moins.

XIV

Dès le lendemain de la note du Moniteur, les journaux catholiques recevaient de Rome des nouvelles qui leur permettaient d'en contester l'exactitude. Seulement, ils ne savaient, au sujet de la négociation, que ce que les Jésuites pouvaient leur en apprendre; ils ignoraient quel avait été au juste le rôle de la cour romaine; celle-ci gardait le silence; ce qu'elle avait voulu, c'était la pacification, et elle redoutait sans doute de la voir compromise, si l'on arrivait trop tôt à préciser le malentendu. Les autres journaux pressentaient bien qu'il y avait là quelque équivoque, peut-être une sorte de mystification: mais qui en était victime? Le ministère lui-même aurait été bien gêné de faire pleine lumière et surtout de justifier la rédaction de sa note. Interrogé, à la Chambre des pairs, par M. de Boissy, le 16 juillet 1845, M. Guizot resta dans les généralités, rendant hommage à la sagesse du Pape, même à celle des Jésuites, et M. de Montalembert, tout frémissant et irrité qu'il fût, déclara n'avoir pas de données assez certaines pour contredire les assertions ministérielles. Du reste, la fin de la session vint bientôt dispenser le gouvernement de toute explication. En somme, malgré l'embarras que pouvait éprouver le cabinet, l'impression générale fut qu'il avait remporté un succès: il avait réussi là où l'on croyait qu'il échouerait. L'opposition en était toute désappointée. Comme naguère, lors du traité supprimant le droit de visite, ses prévisions étaient dérangées, ses manœuvres déjouées. M. Thiers, qui, au lendemain de son interpellation, croyait M. Guizot pris au piège, fut réduit à battre en retraite. Le terrain religieux ne lui était décidément pas propice; il se hâta de le quitter; du moment que les Jésuites ne lui servaient plus contre le cabinet, il n'avait aucun goût à s'en occuper davantage; il ne devait plus prononcer leur nom jusqu'au jour où, en 1850, il le fera pour les défendre. Quant à M. Guizot, il triomphait. «L'issue de l'affaire des Jésuites, écrivait-il à M. de Barante le 18 juillet, est une des choses qui, dans le cours de ma vie politique, m'ont donné le plus de sérieuse et profonde satisfaction, non seulement à cause de son importance parlementaire et momentanée, mais encore et surtout comme preuve que le bon pacte d'intelligence et d'alliance entre l'Église catholique et l'État constitutionnel peut être fondé et que la bonne politique peut réussir à se faire comprendre et accepter. L'œuvre sera difficile et longue; mais enfin la voilà commencée[559].» Le ministre ajoutait, le 22 juillet, dans une lettre adressée à une de ses amies d'outre-Manche: «Londres et Rome, les deux capitales des deux grandes fois modernes, m'ont témoigné de la considération et de la confiance. J'en jouis beaucoup[560]

Toutes les difficultés cependant n'étaient pas résolues. Restait l'exécution matérielle des mesures annoncées par la note du Moniteur. Les Jésuites de France étaient prêts à obéir à leur supérieur, avec cet esprit de discipline qui est l'honneur et la force de leur compagnie; mais ils avaient la mort dans l'âme, presque la rougeur au front. Jamais la soumission n'avait été si dure à l'âme du P. de Ravignan; il disait «ne pouvoir plus se montrer à aucun des pairs de France, des députés et des avocats qui avaient préparé et approuvé la consultation de M. de Vatimesnil». Dès le 10 juillet, ces religieux chargèrent le comte Beugnot de faire savoir au gouvernement que, «par un motif de paix» et en réservant leurs droits, ils étaient disposés à exécuter les instructions de leur général, mais rien de plus; au cas d'exigences plus grandes, «on serait, déclaraient-ils, nécessairement replacé sur le terrain des discussions et des résistances légales». Le ministre ne fut pas satisfait: il lui fallait, conformément à la note du Moniteur, toutes les maisons fermées, ou du moins gardées chacune par trois religieux au plus, les noviciats dissous, sauf un pour les missions, les Jésuites n'existant plus à l'état de congrégation. Il ajouta cependant «qu'il ne voulait pas user de violence, et que, si les Jésuites ne s'exécutaient pas d'eux-mêmes, il adresserait ses plaintes au Pape, assuré d'en obtenir tout ce qu'il demanderait[561]».

La difficulté se trouvait donc de nouveau reportée à Rome. M. Guizot sentait où était son point faible: il ne possédait aucune pièce écrite du gouvernement pontifical, à l'appui des affirmations de M. Rossi; aussi avait-il chargé ce dernier de tâcher d'en obtenir une, et avait-il suggéré, dans ce dessein, les procédés les plus ingénieux. Mais la cour romaine était sur ses gardes; elle répondit adroitement et poliment, sans se laisser surprendre la déclaration désirée, et en renvoyant soigneusement aux Jésuites eux-mêmes les remerciements qu'on lui adressait. D'ailleurs, elle témoignait alors un vif mécontentement des inexactitudes de la note du Moniteur. M. Rossi, interpellé, dut la désavouer et même faire savoir indirectement au couvent du Gesù qu'il ne fallait pas prendre à la lettre les termes de cette note. Interrogé d'un autre côté par les Jésuites de France, le cardinal Lambruschini leur faisait dire par le nonce qu'il n'avait jamais été question, à Rome, de consentir aux mesures indiquées par le Moniteur, et qu'à toute demande de ce genre, le Pape ferait une réponse négative. Sa dépêche se terminait par ces paroles: «Votre Excellence pourra dire aux Jésuites, sous forme de conseil, de s'en tenir à ce que le Père général leur écrira de faire; car ils ne sont pas obligés d'outrepasser les instructions de leur chef.» Or le P. Roothaan déclarait au P. de Ravignan que les sacrifices faits «étaient le nec plus ultra», et il ajoutait: «Si le gouvernement ne s'en contente pas, nous ferons valoir nos droits constitutionnels.» L'un de ses assistants, le P. Rozaven, écrivait à M. de Montalembert: «Nous imiterons M. Martin du Nord, qui se croise les bras et nous laisse agir. Nous croiserons aussi les bras et le laisserons venir. Quand on veut assassiner quelqu'un, il faut qu'on ait le courage d'immoler la victime; la prier de s'immoler elle-même, pour s'en épargner la peine, c'est pousser la prétention trop loin.»

Le gouvernement rencontrait donc une certaine résistance à Rome aussi bien qu'en France. Il essaya quelque temps d'en triompher, mais avec une mollesse dont il faut faire honneur à sa bienveillante prudence. D'ailleurs, pendant ce temps, les Chambres s'étaient séparées: les journaux parlaient d'autre chose. Le ministère, plus libre de suivre ses propres inspirations, renonça sans bruit aux mesures annoncées avec tant d'éclat dans le Moniteur, et finit par se contenter de celles qu'avait consenties le Père général. L'exécution, commencée en août, était terminée au 1er novembre: elle ne toucha que les maisons de Paris, Lyon, Avignon et les noviciats de Saint-Acheul et de Laval. Il y eut des déplacements, des disséminations, des morcellements gênants, pénibles et coûteux pour la compagnie; mais pas un Jésuite ne quitta la France, pas une maison ne fut fermée: il s'en ouvrit au contraire de nouvelles[562]. M. Guizot laissa faire et n'exigea pas davantage. On ne devait revenir sur cette affaire, dans le Parlement, que deux ans plus tard. Le 10 février 1847, un député, M. de la Plesse, appuyé par M. Dupin, demanda où en étaient les «négociations commencées avec la cour de Rome, relativement à l'existence de certaine corporation religieuse». M. Guizot se borna à répondre, en termes vagues, que les négociations continuaient, mais que le changement de pontificat les avait retardées. Aucune suite ne fut donnée à cet incident, dont le seul résultat fut de faire constater que la question n'intéressait plus personne. Il convient de louer la modération par laquelle le ministère avait effacé en partie les effets de sa faiblesse. M. Guizot s'en est plus tard fait honneur; parlant de cette exécution si restreinte et si peu en rapport avec ce qui avait été d'abord annoncé: «J'ai fait en sorte, en 1845, dit-il, que le gouvernement et le public français s'en contentassent, et j'y ai réussi. Je demeure convaincu que, par là, j'ai bien compris et bien servi, dans un moment très critique, la cause de la liberté d'association et d'enseignement[563]

Les catholiques n'étaient pas, sur le moment, disposés à se laisser convaincre qu'ils devaient être satisfaits. Ils avaient pris position, préparé leurs armes, échauffé leurs troupes, défié leurs adversaires, et à l'heure où, devant le public attentif à l'éclat de ces préliminaires, la bataille allait s'engager, voilà que, suivant la parole de Montalembert, «leur avant-garde était obligée tout d'un coup, par l'ordre de son chef, de poser les armes et de défiler, sans mot dire, sous le feu de l'ennemi». Que leur importait que le mal matériel fût peu de chose? Il y avait là une mortification plus sensible que bien des défaites, parce qu'elle paraissait toucher à l'honneur. D'ailleurs, ne pouvait-on pas craindre que l'armée tout entière ne fût dissoute, ou que du moins elle ne perdît pour toujours l'élan et la confiance? Ne semblait-il pas que Rome donnait raison ainsi à ceux qui traitaient les chefs du parti catholique d'irréguliers compromettants? «Ce fut un moment terrible», a écrit plus tard M. de Montalembert. Le respect seul empêchait que cette émotion ne se traduisît en plaintes publiques contre la papauté. Mgr Parisis écrivit à un prélat romain une longue lettre, destinée à être montrée, où il exposait, avec une fermeté triste et parfois un peu âpre, comment la conduite suivie risquait de blesser, de décourager les catholiques, de les rendre défiants envers Rome[564]. Il s'étonnait que l'autorité suprême, qui jusqu'alors n'avait cru devoir donner aucun encouragement aux défenseurs de la liberté religieuse en France, ne fût sortie de sa réserve que pour les frapper, sur la demande de leurs ennemis. «Ma raison en est confondue, s'écriait-il, autant que mon cœur en est broyé.» Il insistait principalement sur ce qu'il y avait «d'offensant pour l'épiscopat français» dans la façon d'agir du Pape, qui ne l'avait même pas consulté, dans une question le touchant de si près. Parmi les catholiques, il en était un cependant qui trouvait qu'après tout, étant donnée la situation, il n'y avait pas à regretter les résultats de la négociation: ce n'était ni un timide ni un tiède, c'était Lacordaire. Il ne niait pas que la «résistance extrême» n'eût pu avoir «plus de grandeur et de fierté»; mais n'eût-on pas risqué d'y perdre tout ce qu'on avait gagné pour l'existence des Ordres religieux? «Au contraire, ajoutait-il, en cédant quelque chose, on consacrait ce qui n'était pas touché, on apaisait les esprits, on donnait au gouvernement la force de se séparer de nos ennemis, on lui ôtait les chances terribles d'une persécution, on rentrait dans la voie de conciliation suivie depuis 1830... Il fallait au gouvernement, aux Chambres, une porte pour sortir du mauvais pas où tous s'étaient jetés: cette porte leur est ouverte.» Lacordaire constatait qu'en fait les Jésuites eux-mêmes n'étaient pas sérieusement atteints. «Nous sommes battus en apparence, victorieux en réalité... Je crois qu'en matière religieuse, le succès sans le triomphe est ce qu'il y a de mieux[565].» Qui oserait affirmer que, sur plus d'un point, les faits n'aient pas donné raison à Lacordaire? Grâce aux résultats quelque peu équivoques de la négociation de M. Rossi et des demi-concessions consenties par Rome, la question des Jésuites disparaissait, sans que les Jésuites disparussent eux-mêmes. Presque aussitôt, il se faisait sur eux un silence complet qui révèle d'ailleurs combien le tapage de tout à l'heure avait été factice et superficiel. Désormais la question de la liberté d'enseignement se posait, mieux dégagée des passions et des mots par lesquels on avait cherché et trop souvent réussi à l'obscurcir et à l'irriter[566]. Enfin, si la tactique du parti catholique était un moment désorientée, si l'élan de ses troupes se trouvait ralenti, si la continuation de la guerre était rendue plus difficile, la paix, qui après tout était le but, ne devenait-elle pas plus facile?

En effet, il semble y avoir, à la fin de 1845, une sorte de détente dans les luttes religieuses naguère si ardentes, comme une trêve acceptée tacitement par les deux partis. La presse éteint son feu. D'autres sujets occupent le Parlement. Les évêques se sont retirés de la place publique où, à plusieurs reprises, dans ces dernières années, ils sont descendus en masse, mais où ils comprennent sans doute que leur présence est anormale et doit être passagère. À peine Mgr Parisis et le cardinal de Bonald continuent-ils à publier, l'un des écrits de polémique, l'autre des mandements sur la liberté de l'Église. Et puis, voici qu'au nom de la cause religieuse, des hommes prennent la parole qui «croient à la possibilité d'une transaction, au pouvoir du temps et de la modération pour mener à bonne fin les questions difficiles[567]». L'abbé Dupanloup fait paraître son bel écrit de la Pacification religieuse, dont le titre seul est un programme. «Ce livre, déclare-t-il en commençant, est une invitation faite à la paix, au nom de la justice. J'ai cru les circonstances favorables. Les jours de trêve qui nous sont donnés permettent la réflexion dont ce livre a besoin pour être bien compris.» Loin de vouloir «jeter de nouvelles causes d'irritation dans une controverse qui, peut-être, dit-il, n'a déjà été que trop vive», il demande qu'à la guerre succède enfin la paix fondée sur la justice et la liberté. Il l'appelle avec des accents singulièrement émus: «N'y aura-t-il donc pas en France, s'écrie-t-il, un homme d'État qui veuille attacher son nom à ce nouveau et glorieux concordat?» Pour son compte, il s'applique à rendre la conciliation facile; sans rien abandonner des droits des catholiques, il leur recommande la patience et la modération, évite tout ce qui pourrait blesser, cherche ce qui rapproche, et, par les déclarations les plus libérales, s'efforce de dissiper les préventions que la société politique conserve encore contre le clergé. À la même époque, le Correspondant publie un article remarqué de M. Beugnot. L'auteur rend hommage à l'ardeur qui a été déployée jusqu'alors par le parti catholique et qui était nécessaire pour lancer la question. Mais, à son avis, cette première partie de l'œuvre est accomplie. Il met en garde contre les mécomptes auxquels l'analogie expose souvent en politique; le mirage de la révolution de 1688 avait trompé les hommes de 1830; suivant M. Bougot, les chefs du mouvement religieux en France ne commettraient pas une moindre erreur s'ils s'imaginaient être dans une situation pareille à celle des agitateurs catholiques d'Irlande et de Belgique qui pouvaient mettre en branle des nations entières. Quant à lui, il n'a pas de ces illusions. Sa prudence un peu sceptique se ferait plutôt une trop petite idée de la force de son parti. S'il croit au succès final, c'est dans un temps éloigné. En attendant, les catholiques doivent se préparer des alliés, et, malgré les préjugés régnants, M. Beugnot ne l'estime pas impossible, au moins à la Chambre des pairs; mais, pour cela, ils doivent se montrer plus modérés, plus prudents qu'ils ne l'ont été jusqu'alors, éviter de «rallumer le feu des passions religieuses», et surtout ne pas reproduire contre l'enseignement de l'Université des accusations qui «ont pris, dans la discussion, une place beaucoup trop grande», et qui, «quoique fondées, ne serviraient aujourd'hui qu'à irriter les esprits, sans profit pour la liberté». «Les temps sont changés, dit M. Beugnot, la circonspection est aujourd'hui un devoir[568].» Sans doute, ces idées pacifiques et modératrices n'étaient pas acceptées par tous. M. de Montalembert, par exemple, se montrait plus préoccupé du péril des défaillances que de celui des imprudences, et ne croyait pas que l'heure de traiter fût encore venue. L'Univers reprochait à M. Dupanloup d'être trop conciliant. M. Lenormant, dans le Correspondant, désavouait à demi l'article de M. Beugnot[569]. Mais ces dissidences n'ôtaient pas leur valeur aux manifestations si considérables faites par les hommes de transaction. D'ailleurs, il était visible que, parmi les catholiques, on ne retrouverait plus, après cette interruption, l'élan des premiers assauts. Une époque était finie dans l'histoire du parti religieux, celle qu'on pourrait appeler l'époque des luttes héroïques.

Le ministère comprenait-il pleinement le devoir que lui imposaient ces dispositions d'une partie des catholiques? Tout au moins, il paraissait désireux de faire durer la trêve, en accordant à ceux-ci quelques satisfactions. M. de Salvandy, au concours général de 1845, parlait, en termes très chrétiens, des limites dans lesquelles les cours de philosophie devaient se renfermer, et protestait énergiquement contre «l'impiété dans l'enseignement», qui serait, disait-il, «un crime public». Après de nouveaux efforts, il parvenait, malgré la résistance des professeurs du Collège de France, à empêcher la continuation du cours de M. Quinet, ce qui valait au ministre l'honneur d'une petite émeute d'étudiants, venant crier: À bas les Jésuites! sous ses fenêtres, comme naguère sous celles de M. de Villèle. Une autre mesure eut alors un plus grand retentissement. À l'ancien conseil royal de l'Université, omnipotent à raison de son petit nombre, de sa permanence et de son inamovibilité, une ordonnance du 7 décembre 1845 substitua hardiment et subitement un conseil de trente membres, dont vingt étaient nommés chaque année. Par cette modification d'organisation intérieure, le ministre n'accordait sans doute aux catholiques aucun des droits qu'ils réclamaient; mais il frappait un corps qui s'était montré fort hostile à leurs revendications; il démantelait la forteresse du monopole où commandait M. Cousin, et dégageait le pouvoir ministériel d'une subordination qui ne lui eût jamais permis le moindre pas vers la liberté. Le «coup d'État» de M. de Salvandy, comme on disait alors, fut vivement attaqué par les amis de l'Université. Le Constitutionnel le dénonça comme une concession au clergé et une clause secrète du marché passé à Rome par M. Rossi. Des débats furent soulevés à ce sujet, dans les deux Chambres; mais le public s'intéressait médiocrement aux ressentiments personnels des membres de l'ancien conseil; l'attaque fut sans résultat, ou du moins elle n'en eut pas d'autre que de faire prononcer par M. Guizot un discours qui fut un événement.

Au cours de la discussion, M. Thiers et M. Dupin avaient essayé de réveiller les préventions antireligieuses sous l'empire desquelles avait été voté, huit mois auparavant, l'ordre du jour contre les Jésuites. M. de Salvandy, intimidé et embarrassé, crut nécessaire de protester de son zèle universitaire et de répudier toute intention de faire des concessions aux catholiques. Mais M. Guizot, plus fier, s'impatienta de cette attitude subalterne: il n'admit pas qu'une fois encore son cabinet suivît docilement M. Thiers, pour ne pas être battu par lui; il voulut lui échapper et le dominer, en s'élevant dans les hautes régions. Dès ses premières paroles, on vit combien il se dégageait des idées étroites ou timides dont s'étaient trop souvent inspirés en ces matières les orateurs du ministère. Il avoua les «vices» de l'organisation universitaire: «Tous les droits en matière d'instruction publique n'appartiennent pas à l'État, dit-il; il y en a qui sont, je ne veux pas dire supérieurs aux siens, mais antérieurs, et qui coexistent avec les siens. Les premiers sont les droits des familles; les enfants appartiennent aux familles avant d'appartenir à l'État... Le régime de l'Université n'admettait pas ce droit primitif et inviolable des familles. Il n'admettait pas non plus, du moins à un degré suffisant, un autre ordre de droits, et je me sers à dessein de ce mot, les droits des croyances religieuses... Napoléon ne comprit pas toujours que les croyances religieuses et les hommes chargés de les maintenir dans la société ont le droit de les transmettre, de génération en génération, par l'enseignement, telles qu'ils les ont reçues de leurs pères... Le pouvoir civil doit laisser le soin de cette transmission des croyances entre les mains du corps et des hommes qui ont le dépôt des croyances.» Aussi, loin de vouloir éluder la promesse de la liberté d'enseignement, le ministre proclamait très haut qu'il importait à l'État, à la monarchie, de la remplir. Parlant de la lutte engagée entre l'Église et l'Université, il déclara que le rôle du gouvernement était non de prendre parti pour l'Université, comme avaient fait souvent les ministres, mais de s'élever «au-dessus» de cette lutte, afin de «la pacifier». C'était pour faciliter cette pacification, ajoutait-il, qu'on avait supprimé l'ancien conseil royal directement engagé dans le conflit avec le clergé. Il terminait en proclamant une fois de plus sa volonté de sauvegarder la liberté et la paix religieuses[570].

L'effet fut immense. L'opposition, interdite, avait écouté dans un morne silence. La majorité, qui naguère, dans ces mêmes questions, suivait M. Thiers, était conquise, émue, ravie qu'on lui proposât pour programme ces hautes pensées. «J'ai rarement vu un enthousiasme aussi général», écrivait un contemporain. L'un des députés s'approchant de M. Guizot comme il descendait de la tribune: «Monsieur, lui dit-il, votre haute raison a fait taire mes mauvais instincts.» Devant ce grand succès, M. Thiers ne reprit la parole que pour constater sa déroute et en appeler à l'avenir. Vainement M. Dupin tenta un retour offensif, et jeta à la Chambre le mot de «moines», du même accent dont un musulman prononce le mot «chiens» en parlant des chrétiens; il dut, devant les murmures d'impatience, battre en retraite comme M. Thiers. L'impression s'étendit hors du Parlement. L'acte parut si «considérable» aux journaux de la gauche, qu'ils y dénoncèrent un changement de «la politique du règne». Les amis de la liberté religieuse applaudissaient. «M. Guizot, disait le Correspondant, a dû voir par l'unanimité de la presse religieuse quel est le fond des cœurs catholiques. Quand des paroles de paix et d'impartialité se font entendre, ils s'émeuvent et oublient facilement le passé.» L'auteur de l'article allait jusqu'à comparer l'effet produit par les paroles du ministre à l'enthousiasme ressenti lorsque le premier Consul avait rouvert les églises.

Ces belles espérances ne devaient pas entièrement se réaliser. Sans doute, dans les dernières années de la monarchie, on ne reverra plus rien de pareil aux luttes passionnées qui, de la présentation du projet de 1841 à la fin de la mission de M. Rossi en juillet 1845, ont tant agité les catholiques. Mais ce ne sera pas encore le règne de la pleine paix religieuse, fondée sur la satisfaction des droits. Le gouvernement de Juillet tombera sans avoir réalisé l'intention sincère qu'il avait de résoudre le problème de la liberté de l'enseignement secondaire. Ce sera son malheur et peut-être le châtiment de ses timidités et de ses préventions, que les nobles idées qui avaient été semées et avaient germé sous son règne, ne mûriront et ne seront moissonnées qu'après sa chute. Toutefois, si sévère que l'on soit dans l'appréciation de la politique religieuse alors suivie, il ne serait pas juste de confondre, dans une mesure quelconque, la monarchie constitutionnelle avec les gouvernements qui se sont faits les persécuteurs de l'Église. Rien de commun entre des hommes politiques qui voulaient sincèrement résister à la perversion intellectuelle, mais qui croyaient à tort pouvoir le faire avec la seule doctrine du «juste milieu», qui, en déclinant, pour cette résistance, le concours des catholiques militants, s'imaginaient seulement écarter une exagération en sens contraire,—et les sectaires qui, à d'autres époques, ont poursuivi plus ou moins ouvertement une œuvre de destruction religieuse et sociale. Rien de commun entre les conservateurs qui, en face de questions toutes nouvelles, ont craint de s'engager dans des chemins alors inconnus, qui n'ont pas su devancer les préjugés régnants, pour inaugurer une réforme légitime, et les révolutionnaires qui prétendraient aujourd'hui revenir en arrière et supprimer les droits acquis. Ajoutons que, si le gouvernement du roi Louis-Philippe a eu le tort d'hésiter à accorder aux catholiques une liberté nouvelle, il leur a du moins toujours assuré, même quand il pouvait en être gêné, l'usage des libertés publiques au moyen desquelles leur cause devait finir par triompher. Fait bien rare, la lutte, loin de l'échauffer et de le porter à la violence, ne faisait qu'augmenter son désir de pacification. Semblait-il parfois poussé par les circonstances à prendre des mesures vexatoires, il ne tardait pas à s'arrêter, par un sentiment naturel de modération, de bienveillance et d'honnêteté politique. En somme, ces années ont été, pour l'Église, des années de combats, non des années de souffrances. Bien au contraire, on aurait peine à trouver, dans ce siècle, une époque où les catholiques aient davantage ressenti cette confiance intime, cette impulsion victorieuse d'une cause en progrès, où surtout ils aient pu se croire aussi près de dissiper les malentendus qui éloignent l'esprit moderne de la vieille foi, et de résoudre ainsi le plus difficile et le plus important des problèmes qui pèsent sur notre temps. Que ce gouvernement ait eu tout le mérite, et le mérite voulu, des avantages recueillis par le catholicisme sous son règne, nous ne le prétendons pas; mais on ne peut nier qu'il n'y ait été pour quelque chose, ne serait-ce que par le bienfait de ces lois et de ces mœurs sous l'empire desquelles le monopole et l'oppression ne pouvaient longtemps résister aux réclamations des intérêts et aux protestations des consciences.

Cette mesure et cette équité dans l'appréciation de la politique religieuse de la monarchie de 1830, les catholiques ne pouvaient pas l'avoir sur le moment, en pleine bataille. Ne voyant que ce qu'on tardait à leur accorder, ils s'éloignèrent chaque jour davantage de cette monarchie, à ce point que plusieurs la virent tomber sans regret ou même saluèrent la révolution de Février comme une délivrance. La justice n'est venue que plus tard, sous la leçon des événements et par l'effet des comparaisons. Quelques-uns cependant, et non des moins illustres, ne l'ont pas fait longtemps attendre. Dès juillet 1849, M. de Montalembert, qui avait été l'un des plus passionnés dans la lutte, mais dont l'âme généreuse ne supportait pas un moment la pensée d'être injuste envers des vaincus, se reprochait publiquement d'avoir poussé trop loin et trop vivement son opposition contre le gouvernement du roi Louis-Philippe, de n'avoir pas bien «apprécié toutes ses intentions», et de n'avoir pas assez «pris compassion de ses difficultés[571]». Un peu plus tard, il faisait remonter jusqu'à l'époque de la monarchie de Juillet l'origine et l'honneur de tous les succès remportés depuis par la cause catholique; il rappelait à ses coreligionnaires tout ce qu'ils avaient alors gagné, grâce aux libertés publiques, «grâce à ce culte du droit, à cette horreur de l'arbitraire qu'inspirait le régime parlementaire[572]». Et, dans le même temps, tandis que M. de Montalembert s'honorait par cet aveu, les conservateurs qui lui avaient, avant 1848, marchandé la liberté d'enseignement, éclairés par des événements redoutables, confessaient eux aussi leur erreur passée et la réparaient en faisant avec les catholiques la grande loi de 1850. Ne convenait-il pas de terminer par le spectacle de cette réconciliation l'histoire des luttes qui, pendant quelques années, avaient malheureusement séparé des causes et des hommes faits pour être unis? Aussi bien le rapprochement ainsi opéré entre le parti de la liberté religieuse et celui de la monarchie constitutionnelle a-t-il été définitif: rien depuis n'est venu le troubler, et tout au contraire a contribué à le rendre plus étroit.

FIN DU TOME CINQUIÈME.

TABLE DES MATIÈRES

LIVRE V
LA POLITIQUE DE PAIX.
(1841-1845)

 Pages

Chapitre premier.—l'affaire du droit de visite et les élections générales de 1842 (juillet 1841-juillet 1842). 1

I. Que faire? M. Guizot comprenait bien le besoin que le pays avait de paix et de stabilité, mais cette sagesse négative ne pouvait suffire. 2

II. Les troubles du recensement. L'attentat de Quénisset. 7

III. Les acquittements du jury. Affaire Dupoty. Élection et procès de M. Ledru-Rollin. 11

IV. Ouverture de la session de 1842. Débat sur la convention des Détroits. 17

V. Convention du 20 décembre 1841 sur le droit de visite. Agitation imprévue contre cette convention. Discussion à la Chambre et vote de l'amendement de M. Jacques Lefebvre. 22

VI. M. Guizot est devenu un habile diplomate. Ses rapports avec la princesse de Lieven. Lord Aberdeen. 32

VII. Mécontentement des puissances à la suite du vote de la Chambre française sur le droit de visite. La France ne ratifie pas la convention. Les autres puissances la ratifient, en laissant le protocole ouvert. 36

VIII. Situation difficile de M. Guizot en présence de l'agitation croissante de l'opinion française contre le droit de visite, des irritations de l'Angleterre et des mauvaises dispositions des cours continentales. Comment il s'en tire. 40

IX. Débats sur la réforme parlementaire et sur la réforme électorale. Victoire du cabinet. Mort de M. Humann, remplacé au ministère des finances par M. Lacave-Laplagne. 50

X. Les chemins de fer. Tâtonnements jusqu'en 1842. Projet d'ensemble déposé le 7 février 1842. Discussion et vote. Importance de cette loi. 59

XI. Élections du 9 juillet 1842. Leur résultat incertain. Joie de l'opposition et déception du ministère. 74

Chapitre II.—la mort du duc d'orléans (juillet-septembre 1842). 79

I. La catastrophe du chemin de la Révolte. L'agonie du prince royal. La duchesse d'Orléans. 79

II. Douleur générale. Le duc d'Orléans était très aimé et méritait de l'être. Inquiétude en France et au dehors. 85

III. Nécessité d'une loi de régence. Attitude de l'opposition. Projet préparé par le gouvernement. M. Thiers presse l'opposition de l'accepter. 91

IV. Ouverture de la session. Discussion de la loi de régence. M. de Lamartine et M. Guizot. M. Odilon Barrot attaque la loi. M. Thiers lui répond et se sépare de lui avec éclat. Vote de la loi. 99

V. Scission du centre gauche et de la gauche. Le pays est calme et rassuré. 113

Chapitre III.—le ministère dure et s'affermit (septembre 1842-septembre 1843). 119

I. Le ministère s'occupe de compléter sa majorité. Il obtient à Londres la clôture du protocole relatif à la ratification de la convention du 20 décembre 1841. 119

II. Négociations pour l'union douanière avec la Belgique. Résistances des industriels français. Opposition des puissances. Susceptibilités des Belges. Devant ces difficultés, le gouvernement renonce à ce projet. 124

III. Ouverture de la session de 1843. Silence de M. Thiers. M. de Lamartine passe à l'opposition. Son rôle politique depuis 1830, et comment il a été amené à se déclarer l'adversaire du gouvernement. 135

IV. Avantages que l'opposition trouve à porter le débat sur les affaires étrangères. Le droit de visite à la Chambre des pairs. À la Chambre des députés, le projet d'adresse demande la revision des conventions de 1831 et de 1833. M. Guizot n'ose le combattre, mais se réserve de choisir le moment d'ouvrir les négociations. Vote dont chaque parti prétend s'attribuer l'avantage. 150

V. La loi des fonds secrets. Intrigues du tiers parti. Succès du ministère. 161

VI. La difficulté diplomatique de la question du droit de visite. Débats du parlement anglais. Dispositions de M. de Metternich. 167

VII. Les affaires d'Espagne. Espartero régent. L'Angleterre n'accepte pas nos offres d'entente. L'ambassade de M. de Salvandy. 172

VIII. La question du mariage de la reine Isabelle. Le gouvernement du roi Louis-Philippe renonce à toute candidature d'un prince français, mais veut un Bourbon. La candidature du prince de Cobourg. Le cabinet français fait connaître ses vues aux autres puissances. Accueil qui leur est fait. Chute d'Espartero. Son contre-coup sur l'attitude du gouvernement anglais. 178

IX. La reine Victoria se décide à venir à Eu. Le débarquement et le séjour. Conversations politiques sur le droit de visite et sur le mariage espagnol. Satisfaction de la reine Victoria et du roi Louis-Philippe. Effet en France et à l'étranger. Bonne situation du ministère du 29 octobre. 190

Chapitre IV.—l'entente cordiale entre la france et l'angleterre (septembre 1843-février 1844). 206

I. Lord Aberdeen et ses rapports avec le cabinet français. Les voyages du duc de Bordeaux en Europe. Sur la demande du gouvernement du Roi, la reine Victoria décide de ne pas recevoir le prétendant. Les démonstrations de Belgrave square. Leur effet sur le roi Louis-Philippe. Cet incident manifeste les bons rapports des deux cabinets. 206

II. Le discours du trône en France proclame l'entente cordiale. Discussion sur ce sujet dans la Chambre des députés. M. Thiers rompt le silence qu'il gardait depuis dix-huit mois. L'entente cordiale ratifiée par la Chambre. 219

III. Débats du parlement anglais. Discours de sir Robert Peel. 226

IV. La dotation du duc de Nemours. Une manifestation des bureaux empêche la présentation du projet désiré par le Roi. Article inséré dans le Moniteur. Mauvais effet produit. 229

V. L'incident de Belgrave square devant les Chambres. Le projet d'adresse «flétrit» les députés légitimistes. Premier débat entre M. Berryer et M. Guizot. Faut-il maintenir le mot: flétrit? Nouveau débat. M. Berryer rappelle le voyage de M. Guizot à Gand. Réponse du ministre. Scène de violence inouïe. Le vote. Réélection des «flétris». Reproches faits par le Roi à M. de Salvandy. Conséquences fâcheuses que devait avoir pour la monarchie de Juillet l'affaire de la «flétrissure». 233

Chapitre V.—bugeaud et abd el-kader (1840-1844). 251

I. Abd el-Kader recommence la guerre à la fin de 1839. Le maréchal Valée reçoit des renforts. La campagne de 1840. Ses médiocres résultats. 251

II. Débats à la Chambre des députés. Idées exprimées par le général Bugeaud. M. Thiers songe à le nommer gouverneur de l'Algérie, mais n'ose pas. Cette nomination est faite par le ministère du 29 octobre. 262

III. Antécédents et portrait du général Bugeaud. 268

IV. Système de guerre que le nouveau gouverneur veut appliquer en Afrique et qu'il a proclamé à l'avance. 274

V. Les lieutenants qu'il va trouver en Algérie. Changarnier. La Moricière. Ce dernier, comme commandant de la division d'Oran, a été le précurseur du général Bugeaud. 279

VI. Le gouverneur entre tout de suite en campagne, au printemps de 1841. Occupation de Mascara et destruction des établissements d'Abd el-Kader. 287

VII. L'armée apprend à vivre sur le pays. Campagne de l'automne de 1841. 292

VIII. La Moricière s'installe à Mascara. Sa campagne d'hiver autour de cette ville. Les résultats obtenus. Bugeaud défend La Moricière contre les bureaux du ministère de la guerre. Bedeau à Tlemcen. 299

IX. Le sergent Blandan. Expédition du Chélif au printemps de 1842 et soumission des montagnes entourant la Métidja. La Moricière continue ses opérations autour de Mascara. 309

X. Campagne de l'automne 1842. Changarnier et l'Oued-Fodda. Grands résultats de l'année 1842. 316

XI. Retour offensif d'Abd el-Kader dans l'Ouarensenis au commencement de 1843. Fondation d'Orléansville. 320

XII. La smala. Le duc d'Aumale. Surprise et dispersion de la smala. Effet produit. 323

XIII. Bugeaud est nommé maréchal. Ses difficultés avec le général Changarnier. 334

XIV. Abd el-Kader est rejeté sur la frontière du Maroc. 338

XV. Le gouvernement du peuple conquis. Les bureaux arabes. La colonisation. 341

XVI. L'Algérie et le Parlement. Rapports du gouverneur avec M. Guizot et avec le maréchal Soult. Bugeaud et la presse. 346

XVII. Bugeaud a eu le premier rôle dans la conquête. Ses lieutenants. L'armée d'Afrique. La guerre d'Algérie a-t-elle été profitable à notre éducation militaire? 355

Chapitre VI.—taïti et le maroc (février-septembre 1844). 364

I. Le protectorat de la France sur les îles de la Société. Le protectorat est changé en prise de possession. Le gouvernement français ne ratifie pas cette prise de possession. Il est violemment critiqué dans la Chambre et dans la presse. 364

II. Impression produite en Angleterre. Voyage du Czar à Londres. 373

III. Abd el-Kader sur la frontière du Maroc. Attaque des Marocains. Envoi d'une escadre sous les ordres du prince de Joinville. Instructions adressées au prince et au maréchal Bugeaud. Attitude de l'Angleterre. Impatience du maréchal et réserve du prince. 381

IV. Incident Pritchard. Grande émotion en Angleterre et en France. Négociations entre les deux cabinets. Excitation croissante de l'opinion des deux côtés du détroit. 389

V. Bombardement de Tanger. Bataille d'Isly. Bombardement de Mogador et occupation de l'île qui ferme le port de cette ville. 396

VI. Effet produit par ces faits d'armes en Angleterre. Un conflit avec la France paraît menaçant. Attitude de l'Europe. 401

VII. Le gouvernement français comprend la nécessité d'en finir. Arrangement de l'affaire Pritchard et traité avec le Maroc. Attaques des oppositions en France et en Angleterre. Injustice de ces attaques. 407

Chapitre VII.—l'épilogue de l'affaire pritchard (septembre 1844-septembre 1845). 417

I. La visite de Louis-Philippe à Windsor. 417

II. Ouverture de la session de 1845. Les menées de l'opposition. M. Molé et M. Guizot à la Chambre des pairs. Le débat de l'adresse à la Chambre des députés. Le paragraphe relatif à l'affaire Pritchard n'est voté qu'à huit voix de majorité. 421

III. Le ministère doit-il se retirer? Il se décide à rester. Polémiques de la presse de gauche. La loi des fonds secrets au Palais-Bourbon et au Luxembourg. Le ministère est vainqueur. Rencontre de M. Guizot et de M. Thiers. Maladie de M. Guizot. 432

IV. Les premiers pourparlers sur l'affaire du droit de visite. Nomination de deux commissaires, le duc de Broglie et le docteur Lushington. L'opposition prédit l'insuccès. Le duc de Broglie à Londres. Les négociations. Le traité du 29 mai 1845. 444

V. Effet du traité à Paris et à Londres. Seconde visite de la reine Victoria à Eu. Succès du cabinet. Discours prononcé par M. Guizot devant ses électeurs. 453

Chapitre VIII.—la liberté d'enseignement. 459

I. La paix religieuse sous le ministère du 1er mars et au commencement du ministère du 29 octobre. 459

II. Le projet déposé en 1841 sur la liberté d'enseignement. Les évêques, menacés dans leurs petits séminaires, élèvent la voix. C'est la lutte qui commence. 464

III. L'irréligion dans les collèges. M. Cousin et la philosophie d'État. Attaques des évêques contre cette philosophie. Livres et brochures contre l'enseignement universitaire. L'Univers et M. Veuillot. Dans le sein même du catholicisme, on blâme certains excès de la polémique. 468

IV. M. Cousin et ses disciples en face de ces attaques. Renaissance du voltairianisme. 479

V. M. de Montalembert et le parti catholique. Il ne veut agir qu'avec les évêques. Difficulté de les amener à ses idées et à sa tactique. Mgr Parisis. M. de Montalembert secoue la torpeur des laïques. Il manque parfois un peu de mesure. L'armée catholique fait bonne figure au commencement de 1844. 483

VI. L'Université et ses défenseurs repoussent la liberté. Diversions tentées par les partisans du monopole. Les «Cas de conscience». Les Jésuites. Les cours de M. Quinet et de M. Michelet au Collège de France. Le livre du P. de Ravignan De l'existence et de l'Institut des Jésuites. 497

VII. Les dispositions du gouvernement. M. Guizot, M. Martin du Nord et M. Villemain. La majorité. Le Roi. Ses relations avec Mgr Affre. 514

VIII. Les bons rapports du gouvernement avec le clergé sont altérés. Difficultés avec les évêques. Mécontentement des universitaires. Attitude effacée du ministère dans les débats soulevés à la Chambre. M. Dupin et M. de Montalembert. 525

IX. Le projet de loi déposé en 1844 sur l'enseignement secondaire. Le rapport du duc de Broglie. La discussion. Échecs infligés aux universitaires et aux catholiques. 533

X. Le rapport de M. Thiers. M. Villemain remplacé par M. de Salvandy. 543

XI. L'affaire du Manuel de M. Dupin. Nouvelles attaques contre les Jésuites. 548

XII. M. Thiers s'apprête à interpeller le gouvernement sur les Jésuites. Le gouvernement embarrassé recourt à Rome. Mission de M. Rossi. La discussion de l'interpellation. Les catholiques se préparent à la résistance. Note du Moniteur annonçant le succès de M. Rossi. 552

XIII. M. Rossi à Rome. Le Pape conseille aux Jésuites de faire des concessions. Équivoque et malentendu. 563

XIV. Effet produit en France. Les mesures d'exécution. Tristesse des catholiques. Était-elle fondée? Apaisement à la fin de 1845. Un discours de M. Guizot. Les catholiques et la monarchie de Juillet. 568

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

PARIS.—TYPOGRAPHIE DE E. PLON, NOURRIT ET Cie, RUE GARANCIÈRE, 8.

Notes

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