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Histoire de Paris depuis le temps des Gaulois jusqu'à nos jours - II

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§ II.

La rue et le quartier Saint-Antoine.

La place de Grève communiquait autrefois avec le quartier Saint-Antoine au moyen d'une arcade pratiquée dans l'épaisseur de l'Hôtel-de-Ville, laquelle s'ouvrait sur la rue du Martroy, ainsi appelée probablement de quelques martyrs qui furent enterrés dans un champ de sépultures dont nous allons parler. Elle se prolongeait par la rue du Monceau-Saint-Gervais, qui prenait son nom de l'éminence où elle était pratiquée, éminence formée anciennement d'immondices, et dont l'emplacement était, du temps des Romains, un cimetière [28]. Dans cette rue et devant le portail de Saint-Gervais, on a vu jusqu'en 1800 un arbre, dit l'orme Saint-Gervais, dont la première plantation remontait probablement au temps des Druides et qui peut-être a donné naissance au proverbe: Attendez-moi sous l'orme. Sous son ombrage, les juges rendaient la justice, les vassaux venaient payer leurs redevances, les bourgeois se réunissaient après la messe pour parler d'affaires, les amants se donnaient rendez-vous. A la place de la rue du Monceau, tortueuse, populaire et très-fréquentée, on avait ouvert, en 1836, une large et belle voie, dite François-Miron, qui dégageait la façade de l'église Saint-Gervais: on vient de la détruire pour ouvrir sur les derrières de l'Hôtel-de-Ville une vaste place, où l'on a construit une énorme caserne qui ressemble à la fois à un palais et à une forteresse, qu'on appelle Caserne Napoléon.

Le prolongement de la rue François-Miron était la rue du Pourtour-Saint-Gervais, qui longe l'église de même nom; elle vient d'être aussi détruite par son côté méridional. L'église Saint-Gervais est la plus ancienne du nord de Paris, car elle existait au VIe siècle sous l'épiscopat de saint Germain, qui, suivant Fortunat, venait y faire ses prières. A cette époque, cette basilique, ainsi que l'appelle le même poète, avec le grand orme qui ombrageait sa face, s'élevait sur une éminence battue par les vagues de la Seine dans ses inondations qui souvent couvraient toute la place de Grève; elle avait une enceinte qui la protégea contre les Normands, et autour d'elle était un bourg de pêcheurs et de bateliers dont la voie dite de la Mortellerie formait la grande rue. Elle fut reconstruite en 1212, en 1420 et en 1581; ses voûtes gothiques très-élevées sont aussi hardies qu'élégantes; son portail, d'architecture moderne, œuvre de Jacques Debrosses, date de 1616 et jouit d'une grande renommée: c'est une décoration en placage où l'on a appliqué assez étrangement les ordres antiques à une église du moyen âge; mais il a un aspect de grandeur qui séduit, et a servi de modèle pendant plus d'un siècle pour toutes les façades d'églises. L'église Saint-Gervais possède des vitraux de Jean Cousin et de Pinaigrier, des tableaux d'Albert Durer, de Champagne et de Lesueur, etc. Elle est célèbre, dans les troubles de la Ligue, par son curé Wincestre, l'un des ennemis acharnés de Henri III, et par sa confrérie du Cordon, qui «dressait des rôles de soupçonnés politiques» et dominait le conseil de l'Union. Bossuet, le 25 janvier 1686, prononça dans cette église l'oraison funèbre du chancelier Le Tellier. On y voit le tombeau somptueux de ce ministre, «qui mourut, dit son épitaphe, huit jours après qu'il eut scellé la révocation de l'édit de Nantes, content d'avoir vu consommer ce grand ouvrage.» On y trouvait aussi les sépultures du poète Scarron, né et mort à Paris, de Philippe de Champagne, du savant Ducange, des chanceliers Boucherat et Voisin, du ministre et prévôt des marchands Claude Lepelletier, de Crébillon, etc. En face de Saint-Gervais demeurait Voltaire, en 1733; la marquise du Châtelet et la duchesse de Saint-Pierre allaient souvent l'y surprendre et lui demander à souper.

La rue du Pourtour aboutit à la place Baudoyer, autrefois Bagauda et Baudet, qui tirait son nom d'une porte de Paris dont nous allons parler. Cette place étroite et mal bâtie, qui était dans le moyen âge le rendez-vous des oisifs et des nouvellistes, a été le théâtre d'un des plus terribles combats de juin 1848.

A la place Baudoyer commence la rue Saint-Antoine.

La rue Saint-Antoine, avec le faubourg du même nom, est une de ces rues populeuses qui sont des villes entières: c'est celle qui donne la vie à toute la partie orientale de Paris. Elle doit son nom à l'abbaye Saint-Antoine-des-Champs, vers laquelle elle conduisait; mais elle existait avant la fondation de cette abbaye, qui date de 1198, et s'appela d'abord rue de la Porte-Baudet, à cause d'une porte de l'enceinte de Philippe-Auguste, qui était située près de la rue Culture-Sainte-Catherine, puis rue du Pont-Perrin, à cause d'un pont construit sur un égout, vers la rue du Petit-Musc. Comme elle joignait la place de Grève à l'hôtel Saint-Paul, au palais des Tournelles, à la Bastille, elle a été le théâtre de fêtes, de joutes, de combats, enfin de tous les événements qui ont réjoui ou attristé ces demeures royales. C'est à la porte Saint-Antoine, au lieu même où l'on éleva la Bastille, qu'Étienne Marcel fut tué; c'est par la rue Saint-Antoine que les Parisiens envahirent trois fois l'hôtel Saint-Paul sous Charles VI; c'est dans la rue Saint-Antoine que se livra la bataille entre les Bourguignons et les Armagnacs, après que Perrinet-Leclerc eut livré aux premiers l'entrée de Paris; c'est là que les Anglais engagèrent leur dernier combat avant d'être chassés de la capitale; c'est là, devant le palais des Tournelles, que Henri II fut tué dans un tournoi; c'est là, à l'entrée de la rue des Tournelles, que les mignons de Henri III, Quélus, Maugirou et Livarot se battirent en duel contre d'Entragues, Riberac et Schomberg; c'est par la porte Saint-Antoine que le duc de Guise fit sortir les Suisses désarmés et tremblants après les barricades de 1588; c'est à la porte Saint-Antoine que les ligueurs firent leur dernière résistance aux troupes de Henri IV; c'est par la porte Saint-Antoine que Condé, battu par Turenne, se réfugia dans Paris. Dans les temps modernes, la rue Saint-Antoine, rue de grands hôtels et de grands seigneurs au XVIIe siècle, rue industrielle et marchande depuis cinquante ans, a été le théâtre de rassemblements non moins formidables, d'événements non moins sanglants: c'est à la porte Saint-Antoine que tonna, au 14 juillet 1789, le premier coup de canon qui devait ébranler tous les trônes; c'est dans la rue Saint-Antoine que, le 28 juillet 1830, se livra un combat acharné entre le peuple et la garde royale, qui, venant des boulevards, cherchait à gagner l'Hôtel-de-Ville; c'est à la porte Saint-Antoine que commença la grande émeute de 1832. C'est dans la rue Saint-Antoine que l'insurrection de juin 1848 se montra la plus redoutable et la plus furieuse: pendant trois jours, elle fut maîtresse de tout le quartier, cernant l'Hôtel-de-Ville et s'efforçant de l'enlever; et, quand elle se mit en retraite, le canon dut battre en brèche ses maisons, dont quelques-unes portent encore les traces de la lutte.

La rue Saint-Antoine doit sa principale illustration aux hôtels Saint-Paul et des Tournelles, séjours des rois de France pendant deux siècles.

L'hôtel Saint-Paul, qui occupait l'espace compris entre les rues Saint-Antoine, Saint-Paul, le quai des Célestins et le fossé de la Bastille, c'est-à-dire plus de trente arpents, se composait d'hôtels divers achetés ou construits par Charles V [29] et réunis entre eux sans ordre et sans plan par douze galeries, huit jardins, six préaux et un grand nombre de cours. Ces hôtels étaient: l'hôtel du Petit-Musc (au coin de la rue du Petit-Musc), l'hôtel du Pont-Perrin (à l'autre coin de la même rue), l'hôtel Beautreillis (rue Beautreillis), les hôtels de la Reine, d'Étampes et Saint-Maur (rue Saint-Paul), les hôtels de Sens, du Roi et des Lions, près de la Seine. On y trouvait de plus l'hôtel neuf d'Orléans, près de l'Arsenal, le couvent des Célestins, etc. Enfin, outre les hôtels, il y avait des bâtiments pour la conciergerie, la lingerie, la pelleterie, la bouteillerie, la fruiterie, la fauconnerie, la ménagerie, des forges pour l'artillerie, des écuries, celliers, colombiers, chantiers, etc. Ce n'était pas un palais, mais un manoir semblable à ceux qu'avaient les rois francs, une sorte de grande ferme romaine, comme le témoignent les noms des rues ouvertes sur son emplacement (la Cerisaie, le Beautreillis, les Lions, etc.), comme le témoigne le treillage dont étaient garnies les fenêtres «pour empescher les pigeons de faire leurs ordures dans les chambres.» L'hôtel Saint-Paul fut habité par Charles V et ses successeurs jusqu'à Louis XII. Il fut détruit et vendu sous François Ier, et l'on bâtit tout un quartier sur son emplacement. De toutes les maisons qui succédèrent à l'hôtel Saint-Paul, nous ne remarquerons que celle qui fut élevée à la place de l'hôtel du Petit-Musc: elle devint l'hôtel du Petit-Bourbon, qui fut habité successivement par Anne de Bretagne, la duchesse d'Étampes et Diane de Poitiers. Le duc de Mayenne, chef de la Ligue, l'acheta et le fit reconstruire par Ducerceau; après lui, il devint la demeure du comte d'Harcourt, puis «il fut vendu, dit Sauval, à Montauron (celui-là à qui Corneille a dédié Cinna), partisan si renommé, que la fortune éleva si haut que, se trouvant trop à l'étroit dans la maison d'un prince, il acheta quelques maisons pour être logé plus commodément.» A la fin du siècle dernier, cet hôtel appartenait au chancelier d'Ormesson. Aujourd'hui, c'est une maison particulière.

L'hôtel des Tournelles, bâti en 1390 par le chancelier d'Orgemont et acheté par Charles VI, ne devint célèbre que lorsque le duc de Bedford s'y logea, en 1422, et l'agrandit. Charles VII et Louis XI en firent leur demeure ordinaire. Louis XII y mourut. Sous François Ier, il devint un immense palais, décoré somptueusement à l'intérieur, renfermant dix corps de bâtiment assemblés très-confusément, douze galeries, deux parcs, sept jardins, et son enceinte comprenait tout le terrain qui s'étend entre les rues Saint-Antoine, des Tournelles, Saint-Gilles, Saint-Anastase, Thorigny, Payenne, Neuve-Sainte-Catherine et de l'Égout. A la mort de Henri II, cette maison royale cessa d'être habitée; les terrains et les bâtiments furent successivement vendus, et l'on établit sur une partie de son emplacement le marché aux chevaux. En 1604, Henri IV fit construire quelques bâtiments pour y fonder une manufacture de soieries; puis, changeant d'avis, il fit commencer une vaste place quadrangulaire, dite place Royale, et qui a soixante-dix toises de côté; il bâtit lui-même le pavillon et le côté parallèles à la rue Saint-Antoine, et céda les trois autres côtés à des particuliers, à la charge d'y élever des pavillons uniformes. Ces bâtiments sont en briques et soutenus par une suite d'arcades qui forment une galerie continue; le milieu de la place est occupé par un vaste préau fermé de grilles. En 1620, la place était terminée, et elle devint, pendant plus d'un siècle, le quartier de la mode et du beau monde. Quelle procession de femmes charmantes, de galants seigneurs, de beaux esprits a passé sous ces arcades aujourd'hui si tristes! que de fêtes et de duels dans cette promenade aujourd'hui si paisible! Le 6 mars 1612, Marie de Médicis y donna un magnifique carrousel pour célébrer son alliance avec l'Espagne. En 1627, Montmorency-Bouteville y engagea le fameux duel qui l'envoya à l'échafaud. En 1639, la place fut ornée d'une statue équestre portant cette inscription:

Pour la glorieuse et immortelle mémoire du très-grand et très-invincible Louis-Le-Juste, treizième du nom, roi de France et de Navarre. Armand, cardinal et duc de Richelieu, son premier ministre dans tous ses illustres et généreux desseins, comblé d'honneurs et de bienfaits par un si bon maître, lui a fait élever cette statue pour une marque éternelle de son zèle, de sa fidélité et de sa reconnoissance.

Cette statue fut détruite en 1792, et la place prit le nom d'abord des Fédérés, puis de l'Indivisibilité, puis des Vosges, en l'honneur du département qui, en l'an VIII, s'était le plus empressé de payer ses contributions. En 1792, on y éleva un des amphithéâtres d'enrôlement; en 1793, on y brûla «les drapeaux souillés des signes de la féodalité, les titres de noblesse, les brevets et décorations des chevaliers de Saint-Louis;» en 1794, on y établit, adossées aux grilles, soixante-quatre forges pour la fabrication des canons; en 1810, la ville y donna un grand banquet à la garde impériale; en 1814, la place reprit son nom, et on y éleva une nouvelle statue en marbre à Louis XIII, œuvre de Dupaty et de Cortot, qu'on aurait pu sans dommage laisser dans la carrière.

Il serait trop long d'énumérer les personnages illustres qui ont habité les beaux hôtels de la place Royale; nous n'en nommerons qu'un seul, parce qu'il résume la société si spirituelle et si séduisante du XVIIe siècle: dans un de ces hôtels est née, en 1626, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné. Tout le quartier Saint-Antoine, qui était alors le quartier du grand monde, est plein des souvenirs de cette femme charmante, l'honneur éternel de Paris, et pour laquelle, comme pour tant d'autres célébrités populaires, l'édilité parisienne n'a pas eu un souvenir.

Aujourd'hui, la place Royale, qui a gardé ses pavillons élégants et ses beaux hôtels, est une jolie promenade, mais que la noblesse et la magistrature ont depuis longtemps abandonnée, et qui ne voit guère, au lieu des beaux et des raffinés du XVIIe siècle, que les vieilles gens et les rentiers du Marais. Cette place, où se trouve, dans l'hôtel Villedeuil (nº 14), la mairie du huitième arrondissement, a été, pendant les journées de juin 1848, prise par les insurgés.

Outre les hôtels Saint-Paul et des Tournelles, la rue Saint-Antoine renfermait de nombreux hôtels de seigneurs, dont quelques-uns existent encore: l'hôtel de Beauvais, œuvre de Lepaute, où se plaçait ordinairement la famille royale pour voir les entrées solennelles; l'hôtel de Sully, bâti par Ducerceau pour le ministre de Henri IV, etc. Elle renfermait aussi plusieurs monuments religieux que nous allons décrire et dont un seul existe encore:

1º Le couvent-hospice du Petit-Saint-Antoine.--Le moyen âge avait des maladies étranges et terribles, fléaux de Dieu sous lesquels des populations entières mouraient sans murmure, et que la charité cherchait à conjurer par des fondations pieuses: de ces maladies était le feu sacré ou mal des Ardents, ou mal Saint-Antoine. Une congrégation s'étant formée pour soigner les infortunés atteints de ce mal, Charles V, en 1360, lui donna un manoir appelé la Saussaie, situé entre les rues Saint-Antoine et du Roi-de-Sicile, pour y établir un hôpital. Cette maison, rebâtie en 1689, devint un collége pour les religieux de l'ordre de Saint-Antoine et fut démolie en 1790. Sur son emplacement fut établi un passage dit du Petit-Saint-Antoine, qui a été détruit quand on a ouvert le prolongement de la rue de Rivoli.

2º L'église Saint-Louis-Saint-Paul.--Sur l'emplacement de cette église passait le mur d'enceinte de Philippe-Auguste: au XVe siècle, on y construisit un hôtel qui appartint aux Montmorency et fut donné en 1580 par le cardinal de Bourbon aux Jésuites «pour leur fonder, dresser et établir une maison professe.» Cette maison, dans laquelle ont demeuré les confesseurs des rois, les PP. Bourdaloue, Daniel, Gaillard, etc., fut donnée, après la destruction de l'ordre des Jésuites, aux chanoines réguliers de l'ordre de Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers; et on y établit, jusqu'en 1790, la bibliothèque publique de Paris. Elle est occupée aujourd'hui par le collége ou lycée Charlemagne. L'église a été bâtie en 1612 par les soins de Louis XIII et de Richelieu, qui y célébra lui-même la première messe; son portail, qui a un grand aspect, est chargé d'ornements de mauvais goût. Elle renfermait les cœurs de Louis XIII, de Louis XIV et de plusieurs autres princes, le tombeau du chancelier Birague, œuvre de Germain Pilon, le mausolée du père du grand Condé, œuvre de Sarrazin, le tombeau du savant Huet, évêque d'Avranches. C'est là que Bourdaloue a prononcé la plupart de ses sermons.

3º Le couvent de Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers.--«En 1201, dit Jaillot, quatre professeurs célèbres de l'Université de Paris, préférant la solitude au monde et la vie privée à la réputation que leurs lumières et leurs talents leur avaient acquise, se retirèrent dans une vallée déserte de la Champagne.» Ils y bâtirent des cellules et un oratoire; leurs écoliers les y suivirent; une congrégation se forma, dit l'ordre du Val-des-Écoliers, et, par un élan de ferveur digne de ces temps de foi naïve, l'ardente jeunesse dont elle se composait, mit son vœu de chasteté sous le patronage d'une vierge, sainte Catherine. En moins de trente ans, cet ordre comptait vingt prieurés; l'un d'eux fut établi à Paris en 1228 par Nicolas Giboin, bourgeois, qui donna à cet effet trois arpents de terre qu'il possédait près de la porte Baudet. L'église fut fondée par les sergents d'armes de la garde du roi, en mémoire de la bataille de Bouvines. Voici les inscriptions qu'on lisait sur deux pierres du portail, où l'on voyait l'effigie de saint Louis entre deux archers de sa garde:

«A la prière des sergents d'armes, monsieur sainct Loys fonda ceste église et y mist la première pierre; et fust pour la joye de la victoire qui fust au pont de Bovines, l'an 1214.»--«Les sergents d'armes pour le temps gardoient ledit pont, et vouèrent que si Dieu leur donnoit victoire, ils fonderoient une église en l'honneur de madame saincte Katherine; ainsi fust-il

Les sergents d'armes avaient fait de cette église le siége de leur confrérie, et presque tous y avaient leur sépulture. C'est là que furent enterrés les maréchaux de Champagne et de Normandie tués par l'ordre d'Étienne Marcel; c'est devant son portail que furent exposés les cadavres d'Étienne Marcel et de cinquante-quatre de ses compagnons tués à la porte Saint-Antoine; c'est dans son cimetière que furent enterrés secrètement Nicolas Desmarest et d'autres victimes de la réaction de 1383.

L'ordre de Sainte-Catherine fut réuni en 1629 à la congrégation de Sainte-Geneviève, et la maison de la rue Saint-Antoine devint le noviciat de cette congrégation. En 1767, comme les bâtiments tombaient en ruines, ce noviciat fut transféré dans la maison des Jésuites, dont l'ordre venait d'être supprimé. Dans cette translation, l'église, monument touchant d'une victoire nationale, dont le portail avait été reconstruit par François Mansard, semblait avoir droit à quelque respect; mais à cette époque, alors qu'on avait derrière soi la bataille de Rosbach, on la démolit, et, sur les plans de Soufflot, on construisit à sa place le triste marché que nous voyons aujourd'hui avec les rues étroites qui l'avoisinent, et on les baptisa, non pas de ces noms barbares et oubliés de Monsieur-Sainct-Loys et du Pont-de-Bovines, mais des noms illustres de MM. les ministres de cette époque.

4º Le temple des protestants de la confession de Genève.--Cet édifice occupe l'emplacement de l'hôtel de Cossé, où mourut le mignon de Henri III, Quélus, après le duel de la rue des Tournelles: «Ce fut dans une chambre, dit Saint-Foix, qu'on peut dire avoir été sanctifiée depuis, servant à présent de chœur aux Filles de la Visitation-Sainte-Marie.» En effet, c'est dans cet hôtel que ces religieuses, instituées par saint François de Sales, furent établies en 1629 par madame de Chantal, la sainte aïeule de madame de Sévigné. L'église, remarquable par son dôme et ses belles peintures, fut construite en 1634 par François Mansard. On y trouvait le tombeau du fameux ministre Fouquet, mort à Pignerol en 1680. La maison des Filles de la Visitation a été supprimée en 1790; sur l'emplacement du couvent on a ouvert une rue; l'église a été affectée en 1800 au culte protestant.

Plusieurs rues importantes ou célèbres aboutissaient ou aboutissent à la rue Saint-Antoine.

Place du Marché Saint-Jean.--C'était, dit-on, un ancien cimetière romain, sur l'emplacement duquel fut construit un hôtel qui appartenait au sire de Craon, assassin du connétable de Clisson. Cet hôtel ayant été détruit en expiation du crime, son emplacement redevint un cimetière, qui fut souvent le lieu d'exécutions judiciaires: ainsi, en 1535, un des premiers martyrs de la réforme, Étienne de la Forge, riche marchand de Paris, y fut brûlé. On supprima ce cimetière en 1772, et on le remplaça par un marché qui a été détruit en 1818. Cette place, avec ses abords, a été l'un des principaux théâtres de l'insurrection de juin. Elle a disparu dans les démolitions opérées derrière l'Hôtel-de-Ville, pour prolonger la rue de Rivoli.

2º Rue des Barres.--Elle doit son nom à un hôtel (nº 4) bâti en 1250 et qui appartenait, sous Charles IV, à Louis de Boisredon, l'un des amants d'Isabelle de Bavière. C'est là que ce chevalier fut pris par l'ordre du monarque, mis à la question, enfermé dans un sac et jeté à la rivière avec ces mots: Laissez passer la justice du roi. Cet hôtel devint ensuite la propriété des sires de Charny, et, au XVIIIe siècle, on y établit les bureaux de l'administration des aides. En 1792, il devint le chef-lieu de la section de la Maison Commune, et c'est là que le 9 thermidor, après la prise de l'Hôtel-de-Ville, fut transporté tout sanglant Robespierre le jeune, qui venait de se jeter par une fenêtre.

3º Rue Geoffroy-Lasnier .--Elle tire son nom d'une famille bourgeoise du XVIe siècle, qui possédait presque toute cette rue. Au nº 26 est établie la mairie du neuvième arrondissement, dans une maison qui fut bâtie, dit-on, pour le premier connétable de Montmorency.

4º Rues de Jouy et du Figuier.--La rue de Jouy doit son nom à un hôtel qui appartenait à l'abbé de Jouy et qui devint la propriété de Jean de Montaigu, surintendant des finances sous Charles VI. Dans la rue du Figuier est l'hôtel de Sens, un des débris les plus curieux de l'architecture du moyen âge. L'évêché de Paris étant autrefois dépendant de l'archevêché de Sens, les archevêques de Sens venaient souvent dans la capitale et y avaient un hôtel. Cet hôtel fut rebâti à la fin du XVe siècle par Tristan de Salazar, et il devint la demeure de plusieurs personnages célèbres, le chancelier Duprat, les cardinaux de Lorraine, Pellevé, Duperron, Marguerite de Valois après son divorce, etc. Il passa dans la suite aux archevêques de Paris, fut vendu en 1790, et, aujourd'hui à demi-détruit, renferme dans ses murs dégradés un établissement de roulage.

5º Rue Pavée [30]. --Dans cette rue étaient ou sont encore plusieurs hôtels célèbres:

1. L'hôtel de Brienne, qui a formé, avec l'hôtel de Sicile ou de la Force, la prison de ce nom. L'hôtel de la Force, situé rue du Roi-de-Sicile, était, dans l'origine, un vaste manoir qui appartint d'abord à Charles d'Anjou, frère de saint Louis, roi de Sicile, puis à Charles d'Alençon, fils de Philippe-le-Hardi, puis à Charles VI, qui l'acheta en 1390, «pour avoir en la ville un ostel auquel il se pust princièrement ordonner pour les joustes que faire se pourraient en la Couture Sainte-Catherine.» Il passa ensuite et successivement aux rois de Navarre, aux comtes de Tancarville, au cardinal de Meudon, qui le fit reconstruire dans le style de la renaissance, au chancelier Birague, qui en fit une somptueuse résidence, au ministre Chavigny, à Jacques Chaumont, duc de la Force, dont il prit définitivement le nom. En 1715, il fut partagé: une partie forma l'hôtel de Brienne, dit plus tard la petite-Force; l'autre fut acquise par le gouvernement, qui, en 1754, y plaça l'administration des revenus de l'École militaire. En 1780, la réforme effectuée dans les prisons ayant fait supprimer le Petit-Châtelet et le For-l'Évêque, on transforma les hôtels de la Force et de Brienne en prison pour les remplacer, et l'on y fit alors de vastes constructions, entre autres cette porte de la Petite-Force, dans la rue Pavée, dont l'architecture énergique disait si clairement qu'elle était une porte de prison. On déposa alors à la Force les débiteurs civils, les mendiants, les prostituées, les femmes condamnées, etc. En 1792, elle devint une prison politique, et c'est à sa porte, dans la petite rue des Ballets, que les 2 et 3 septembre, furent massacrés 167 détenus royalistes, parmi lesquels était la princesse de Lamballe. Plus tard, on y renferma Vergniaud, Valazé, Kersaint, Miranda, Hérault de Séchelles, Linguet et les soixante-treize députés girondins qui avaient fait une protestation contre la journée du 31 mai: parmi eux était Mercier, l'auteur spirituel et si hardi du Tableau de Paris. On y renferma aussi madame Dubarry, les ducs de Villeroy et de Charost, le constituant Levis de Mirepoix, l'astronome Bochard de Saron, l'aventurier baron de Trenck, Adam Lux, député de Mayence, etc. La plupart de ces détenus ne sortirent de la prison que pour aller à l'échafaud. Sous l'Empire, la Force resta en partie une prison politique, et c'est là que Mallet alla chercher ses complices, Lahorie et Guidal. Sous le règne de Louis-Philippe, on y renferma les républicains Godefroy Cavaignac, Guinard, Trélat, Gervais, Caussidière, Blanqui, Barbès, etc. La Force était, dans ces derniers temps, la prison la plus vaste et la plus irrégulière de Paris, le réceptacle de tous les crimes, de toutes les infamies, la sentine de la civilisation, l'effroi et le désespoir de l'homme qui croit à la grandeur de l'espèce humaine. On l'a détruite, depuis quelques années et l'on a ouvert une rue [31] sur son emplacement.

2. L'hôtel de Savoisy, qui appartint à un seigneur de la cour de Charles VI. Les valets de ce seigneur ayant insulté les suppôts de l'Université, il fut condamné à de grosses amendes et à la démolition de la maison: ce qui fut exécuté. On ne la rétablit que cent douze ans après, «par grâce spéciale de l'Université,» et elle devint, au XVIe siècle, l'hôtel de Lorraine ou Desmarets, dont une partie existe encore.

3. L'hôtel de Lamoignon.--Il avait été bâti par Diane, fille naturelle de Henri II; qui le légua à son neveu le duc d'Angoulême, bâtard de Charles IX. «Ce seigneur, dit Tallemant des Réaux, eût été l'un des plus grands hommes de son siècle, s'il eût pu se défaire de l'humeur d'escroc que Dieu lui avoit donnée. Quand ses gens lui demandoient leurs gages, il leur disoit: C'est à vous de vous pourvoir; quatre rues aboutissent à l'hôtel d'Angoulême; vous êtes en beau lieu, profitez-en.» Cet hôtel fut acheté par le président de Lamoignon en 1684; et c'est là que ce grand magistrat, l'ami de Boileau et de Racine, avait institué une Académie de belle littérature, dont étaient Guy Patin, son fils Charles, le père Rapin, etc. Dans cette maison, encore parfaitement conservée et où l'on a inscrit en lettres d'or le nom de Lamoignon, est né le vertueux Malesherbes.

6º Rue Culture-Sainte-Catherine.--En 1391, le connétable de Clisson, revenant le soir de l'hôtel Saint-Paul à son hôtel de la rue du Chaume, fut, dans la rue Culture-Sainte-Catherine, assailli par vingt meurtriers, à la tête desquels était le sire de Craon: percé de trois coups d'épée, il tomba de cheval et donna de la tête dans la porte d'un boulanger, qui s'ouvrit; les assassins, le croyant mort, se sauvèrent. Dans cette rue étaient ou sont encore plusieurs maisons célèbres: au nº 23 est l'hôtel de Ligneris, qui fut bâti en 1544, sur les dessins de Pierre Lescot, par Bullant, et décoré par Goujon; il passa en 1578 à la famille Carnavalet, qui y fit faire des embellissements par Ducerceau et François Mansard. Madame de Sévigné l'habita pendant sept ans, et c'est là qu'elle écrivit la plupart de ses lettres; son salon existe encore. Dans cet hôtel, qui rappelle tant de souvenirs, qui inspire de si douces émotions, fut établie, sous la République, la direction de la librairie, et, sous l'Empire, l'école des ponts et chaussées; aujourd'hui, c'est une maison d'éducation. Au nº 29 était le couvent des Filles bleues ou Annonciades célestes, établi en 1621 par la marquise de Verneuil, cette maîtresse de Henri IV dont l'ambition causa tant d'embarras à ce monarque. La veuve du maréchal de Rantzau, y prit le voile et y mourut.

La rue Culture-Sainte-Catherine aboutit à la rue Saint-Antoine dans une sorte de place qu'on appelle Birague, et où s'élevait une fontaine bâtie aux frais du chancelier du même nom. Cette place se trouve en partie absorbée par la nouvelle rue de Rivoli qui aboutit, en cet endroit, dans la rue Saint-Antoine.

7º Rue Saint-Paul, ainsi appelée d'une église de même nom. Cette église, d'abord chapelle d'un cimetière, devint paroisse en 1125 et fut rebâtie sous Charles V dans un style aussi lourd que massif. Elle renfermait des tableaux et des vitraux précieux, le mausolée de J. Hardouin Mansard, œuvre de Coysevox, le tombeau de Jean Nicot, qui rapporta d'Amérique le tabac, celui du sculpteur Biard, et, dans son cimetière, ceux de François Mansard, du maréchal de Biron, qui avait été décapité à la Bastille, de Rabelais, de Nicole Gilles, de la comtesse de la Suze, de Desmarets de Saint-Sorlin et de plusieurs autres écrivains. L'homme au masque de fer y fut aussi enterré en 1703 sous le nom de Marchiali. Nous avons dit que Henri III y avait fait élever des tombeaux magnifiques à trois de ses favoris, tombeaux qui furent détruits par le peuple en disant: «qu'il n'appartenoit pas à ces méchants, morts en reniant Dieu, sangsues du peuple et mignons du tyran, d'avoir si braves monuments et si superbes en l'église de Dieu, et que leurs corps n'étoient pas dignes d'autre parement que d'un gibet.» Cette église, supprimée en 1790, a été détruite en 1800.

A l'extrémité de la rue Saint-Paul, et donnant sur le quai des Ormes était une maison qu'on vient de démolir pour élargir ce quai, et qui appartenait en 1624 au poète Des Yveteaux, précepteur de Louis XIII. Elle passa à l'avocat Patru, puis à Sarrazin, puis à Segrais. Mademoiselle de Scudéry, Racan et Saint-Amand y demeurèrent. Dans le siècle suivant, elle appartenait à Lancry, peintre de madame de Pompadour. M. de Sénancour y a demeuré sous l'Empire.

Dans la rue Saint-Paul aboutissent: 1º la rue Neuve-Saint-Paul; au nº 10 de cette rue était l'hôtel de la marquise de Brinvilliers; 2º la rue des Barrés, ainsi appelée des Carmes, qui y avaient un couvent: comme ces religieux portaient un manteau marqué de bandes noires et blanches, le peuple les appelait les barrés. Le couvent fut donné, en 1260, par saint Louis à des religieuses qu'on appelait Béguines, et qui furent remplacées sous Louis XI par les filles de Sainte-Claire ou «religieuses de la tierce ordre pénitente et observance de monsieur saint François.» Ce roi, si dévot à la sainte Vierge et qui avait institué les trois récitations de l'Ave Maria, ordonna que le monastère en prendrait le nom. Ces religieuses se livraient à des austérités inconcevables: «Elles n'ont aucun revenu, dit Jaillot, ne vivent que d'aumônes, ne font jamais gras, même en maladie, jeûnent tous les jours, excepté le dimanche, marchent pieds nus et à plate terre, n'ont point de cellules ni de sœurs converses, ne portent point de linge, couchent sur la dure et vont au chœur à minuit, où elles restent debout jusqu'à trois heures; malgré cela, ce couvent a toujours été très-nombreux.»

Dans le couvent de l'Ave Maria était le tombeau de Mathieu Molé; aujourd'hui cette maison est devenue une caserne d'infanterie.

8º Rue du Petit-Musc.--Le vrai nom de cette rue est Pute y muce, parce qu'elle servait de repaire à des femmes perdues. A son extrémité, près de la Seine, était le couvent des Célestins. Ces religieux furent établis à Paris en 1352 par Garnier Marcel, parent du fameux prévôt des marchands, qui donna aux Célestins le terrain de leur couvent, où il fut lui-même enterré. Charles V bâtit le monastère et l'église en 1366, et l'on voyait sa statue et celle de sa femme sur le portail, avec le titre de fondateurs. L'un des fils de ce roi, le duc d'Orléans, qui fut assassiné par Jean-Sans-Peur, ajouta au côté droit de cette église une vaste chapelle, où il fut enterré avec sa femme, Valentine de Milan, et deux de ses fils. Cette chapelle, avec celles de Rostaing et de Gesvres qui y furent adjointes, composait une sorte d'église annexée à la première et qui était l'un des édifices les plus curieux de Paris par la quantité de marbres funéraires, de statues, de colonnes, qu'elle renfermait. «Il n'y a pas de lieu dans le royaume, dit Piganiol, plus digne de la curiosité des amateurs des beaux-arts, et les chefs-d'œuvre de sculpture y sont, pour ainsi dire, entassés.» En effet, on y trouvait, outre le tombeau d'Orléans, monument magnifique orné des statues des douze apôtres, les tombeaux de Renée d'Orléans-Longueville, des ducs de Brissac, de Tresmes, de Gesvres, de Sébastien Zamet, de l'amiral Henri Chabot: celui-ci avait été sculpté par Jean Cousin et Paul Ponce. Une colonne, œuvre de Paul Ponce, supportait dans une urne le cœur de François II; une autre, œuvre de Barthélemy Prieur, renfermait le cœur d'Anne de Montmorency; un obélisque, orné de bas-reliefs, de trophées et de statues, renfermait les cœurs des princes de Longueville: c'était l'un des plus beaux ouvrages de François Anguier; enfin, on y trouvait le magnifique groupe des trois Grâces, chef-d'œuvre de Germain Pilon, supportant dans une urne de bronze les cœurs de Henri II, de Charles IX et de François, duc d'Anjou. Outre les objets d'art contenus dans la chapelle d'Orléans, l'église renfermait encore les tombeaux de Lusignan, roi d'Arménie, de la duchesse de Bedford, fille de Jean-Sans-Peur, de la femme de Charles V, d'Antonio Perez, le favori disgracié de Philippe II, et d'une foule d'autres seigneurs et grandes dames. Enfin, le cloître, rebâti dans le XVIIe siècle, était orné d'une magnifique colonnade, de statues, de bas-reliefs, de plafonds peints, de pavés en mosaïque.

Les Célestins, qui n'ont rendu que de médiocres services à la religion et aux lettres, furent supprimés en 1780, et l'on fit de leur maison un hôpital. En 1792, cette maison devint un magasin d'approvisionnement pour les armées; l'église fut en partie démolie; ses monuments furent dispersés ou détruits; aujourd'hui, il en reste à peine quelques pans de muraille. Son emplacement est occupé par une vaste caserne qui ressemble à une citadelle, et l'on chercherait vainement dans cette masse de constructions modernes, au milieu de ses bruyants habitants, sur ce sol profané par les pieds des chevaux, quelque chose qui rappelle la paisible maison que les arts semblaient avoir prise pour asile et dont le nom vivra autant que ceux de nos grands statuaires du XVIe siècle.

Impasse Guémenée.--Cette impasse doit son nom à l'hôtel Lavardin ou Guémenée, dont l'entrée principale est sur la place Royale. Marion de Lorme demeurait dans cette impasse, près d'une maison appartenant au cardinal de Richelieu et où celui-ci, dit-on, recevait la belle courtisane.

10º Rue Lesdiguières, qui a été ouverte sur l'emplacement de l'hôtel Lesdiguières. Cet hôtel, situé rue de la Cerisaie, fut bâti par Zamet, financier florentin, venu en France à la suite de Catherine de Médicis et qui s'intitulait «seigneur de dix-huit cent mille écus;» il en fit un séjour de luxe et même de débauche, où Henri IV venait souvent. Gabrielle d'Estrées y dînait lorsqu'elle fut prise subitement du mal ou du poison dont elle mourut. A la mort de Zamet, cet hôtel fut vendu au connétable de Lesdiguières. C'est la que demeurait, chez sa nièce, la duchesse de Lesdiguières, dans les dernières années de sa vie, le fameux cardinal de Retz; c'est là qu'il recevait une société choisie: «Nous tâchons, dit madame de Sévigné, d'amuser notre bon cardinal. Corneille lui a lu une pièce qui sera jouée dans quelque temps et qui fait souvenir des anciennes; Molière lui lira samedi Trissotin, qui est une fort plaisante chose; Despréaux lui donnera son Lutrin et sa Poétique: voilà tout ce qu'on peut faire pour son service. «Le cardinal de Retz mourut à l'hôtel Lesdiguières en 1679. En 1716, cet hôtel passa au maréchal de Villeroy: c'est là que Pierre-le-Grand logea en 1717 et qu'il reçut les visites de Louis XV et du régent. Il a été démoli en 1760.

11º Rue des Tournelles.--Cette rue, aujourd'hui si obscure et si bourgeoise, était au XVIIe siècle la plus illustre, la plus fréquentée de Paris, à cause des personnages célèbres qui l'habitaient. On y trouvait en effet, au nº 32, l'hôtel de Ninon de Lenclos, cette moderne Léontium, mélange d'esprit, de raison, de décence, de caprice, de dérèglement, personnage étrange qui fut recherché, dans sa vieillesse comme dans l'éclat de sa beauté, par tous les gens d'esprit, de goût et de naissance; c'est là qu'elle recevait madame de Sévigné et madame Scarron, Condé et Molière; c'est là qu'elle devina Voltaire et qu'elle mourut en 1706. Son salon, où Molière lut le Tartufe en présence de Racine, de La Fontaine, de Chapelle, existe encore. On y trouvait de plus l'hôtel de Jules Hardouin Mansard, où ce grand architecte mourut; la maison de Mignard; celle de madame de Coulanges, cette amie si vive, si spirituelle de madame de Sévigné; celle de madame de la Fayette, où mourut mademoiselle Choin en 1741. Enfin, on y trouvait une maison où, en 1666, la veuve de Scarron se retira dans un petit appartement, où elle vécut solitaire, occupée de bonnes œuvres et de dévotion, «ayant disait-elle, pour principales lectures le livre de Job et celui des Maximes.» C'est là qu'on vint la chercher, en 1669, pour élever les enfants du roi et de madame de Montespan.

§ III.

La place de la Bastille et les boulevards.

La rue Saint-Antoine, à la hauteur de la rue des Tournelles, s'élargit en une vaste place, qui a trois parties distinctes: la première, plantée d'arbres, qui garde le nom de rue Saint-Antoine et va jusqu'aux boulevards; la deuxième, sous laquelle passe le canal Saint-Martin et où s'élève la colonne de Juillet; la troisième, qui est en avant du faubourg Saint-Antoine et où s'ouvrent trois grandes rues dont nous parlerons plus loin. Ces deux dernières parties portent le nom de place de la Bastille.

La Bastille, était une massive forteresse, de forme rectangulaire, qui occupait la première partie de la place dont nous venons de parler, l'emplacement de la rue de l'Orme jusqu'au petit Arsenal, et une partie du boulevard Bourdon. Sa face orientale, c'est-à-dire tournée vers le faubourg, et en avant de laquelle se trouvait une grosse courtine bastionnée construite sous Henri II, se composait de quatre tours ayant un développement de quarante toises; cette face se trouvait à cinquante pas de la colonne de Juillet, qui occupe l'emplacement même de la courtine. La face occidentale, composée aussi de quatre tours, regardait la rue Saint-Antoine; quant aux deux autres faces, elles se composaient de deux massifs de bâtiments servant à relier les deux faces principales, et elles regardaient, l'une la rue Jean-Beausire, l'autre l'Arsenal. L'entrée de la Bastille était dans la rue Saint-Antoine, vers le commencement de la rue de l'Orme, et elle se composait de cinq portes et de deux ponts-levis. Le bastion de Henri II était bordé d'un large fossé se prolongeant jusqu'à la Seine, le long des terrains de l'Arsenal, et qui existe encore avec ses hauts murs de revêtement: c'est aujourd'hui la gare de l'Arsenal, par laquelle le canal Saint-Martin se réunit à la Seine.

La Bastille a joué le principal rôle dans tous les combats dont Paris a été le théâtre jusqu'en 1789, et elle a été occupée ou attaquée par tous les partis pendant les guerres des Bourguignons et des Armagnacs, des Anglais, de la Ligue, de la Fronde. On sait comment nos pères, en prenant et en détruisant ce symbole de l'ancien régime, ont donné le signal d'une révolution qui a bouleversé le monde.

Comme prison d'État, la Bastille a eu la renommée la plus sinistre et a renfermé, avec des criminels, bien des victimes, bien des innocents. Ses hôtes les plus fameux ont été: le connétable de Saint-Pol, le duc de Nemours, l'évêque de Verdun sous Louis XI, Achille de Harlay sous la Ligue, Biron, qui y eut la tête tranchée, la maréchale d'Ancre, qui y fut jugée, Bassompierre, d'Ornano, Châteauneuf et tant d'autres ennemis de Richelieu, Fouquet, Pélisson, le masque de fer et une foule de protestants et de jansénistes sous Louis XIV; le duc de Richelieu, Voltaire, Lally-Tollendal, Labourdonnais sous Louis XV; Leprévôt de Beaumont, Linguet, Brissot, le cardinal de Rohan sous Louis XVI.

Après sa destruction, de nombreuses fêtes patriotiques furent données sur son emplacement: la plus brillante, la plus joyeuse fut celle du 14 juillet 1790; la plus étrange, la plus païenne fut celle du 10 août 1793. Du 21 au 25 prairial an II, la place de la Bastille servit aux exécutions du tribunal révolutionnaire et vit tomber quatre-vingt-dix-sept têtes. Ses ruines ne furent complétement déblayées que sous l'Empire, où l'on élargit la fin de la rue Saint-Antoine et l'on ouvrit le boulevard Bourdon.

Vers l'endroit où commence le boulevard Beaumarchais, à côté de la Bastille, à l'extrémité de la rue Saint Antoine, était autrefois une porte de la ville célèbre par la mort d'Étienne Marcel; elle fut remplacée sous Henri II par un arc de triomphe dont les sculptures étaient de Jean Goujon, et qui, restauré par Blondel en 1670 et consacré à la gloire de Louis XIV, fut démoli en 1778.

Au milieu de la place de la Bastille, au point où se rencontrent la rue et le faubourg Saint-Antoine avec la ligne des boulevards et le canal Saint-Martin, dans une des plus belles positions de la ville, s'élève une colonne de bronze, haute de cinquante-deux mètres, surmontée d'une statue de la Liberté. Elle a été édifiée en mémoire de la révolution de 1830 et renferme dans ses caveaux souterrains la sépulture des citoyens tués dans les journées de Juillet; on y a ajouté, depuis 1848, celle des victimes des journées de Février. C'est au pied de cette colonne que, le 27 février 1848, le Gouvernement provisoire, au milieu d'une foule immense, proclama la République. C'est là que, dans les tristes journées de juin, fut rassemblée une armée entière pour enlever le faubourg Saint-Antoine, dernière citadelle de l'insurrection; c'est là que vingt canons tiraient sur les maisons d'où partait un feu continu; c'est là que fut tué le général Négrier.

La place de la Bastille a sur sa droite les boulevards Contrescarpe et Bourdon qui bordent de chaque côté le bassin du canal Saint-Martin et aboutissent à la Seine en face du pont d'Austerlitz, sur la place Mazas.

Le boulevard Contrescarpe, formé de la contrescarpe de l'ancien fossé de la Bastille, est remarquable seulement par la rue nouvelle de Lyon qui mène à l'embarcadère du chemin de fer de Lyon.

Le boulevard Bourdon, ainsi nommé d'un colonel tué à Iéna, a été ouvert en 1806 sur l'emplacement de la Bastille et des jardins de l'Arsenal. Là sont les greniers de réserve pour l'approvisionnement de Paris, construits en 1807. C'est sur ce boulevard qu'a commencé l'insurrection de juin 1832.

La place Mazas où aboutissent les boulevards de la Contrescarpe et Bourdon, porte le nom d'un colonel tué à Iéna. De cette place qui borde la Seine et avoisine le pont d'Austerlitz, part un grand boulevard au N. E. qui porte le même nom et aboutit à la place du Trône. On y trouve une vaste prison, dite Mazas, ou la nouvelle Force, située en face de l'embarcadère du chemin de fer de Lyon. Cette prison occupe 33 hectares de terrain et a été construite dans le système d'isolement complet des détenus. A cet effet elle se compose de six ailes ou corps de bâtiments n'en formant réellement qu'un seul, puisque tous six se réunissent à un centre comme les rayons d'un éventail. De ce centre on embrasse d'un coup d'œil ce qui se passe dans les six galeries, et l'on fait partir tous les ordres. Les six galeries à deux étages renferment 1200 cellules. La prison Mazas a été ouverte en 1850. Les plus illustres détenus qu'elle ait renfermés sont les généraux et les représentants arrêtés dans la nuit du 2 décembre 1851.

Au boulevard Beaumarchais commence la ligne des boulevards intérieurs du nord, ces anciens remparts de la ville, qui ont été transformés depuis 1668 en une promenade de 4,600 mètres de longueur. Cette promenade est restée, pendant près d'un siècle, une sorte de désert où l'on menait paître les bestiaux, qui n'était bordée au nord que par les derrières des jardins de la ville, au midi que par de grands terrains en culture; elle n'était guère pratiquée que par des vagabonds et des malfaiteurs. Sous Louis XV, elle devint une promenade champêtre, terrassée, sablée, composée de deux et même, en quelques endroits, de quatre allées d'arbres, bordée de quelques petites maisons, de nombreux jardins, de guinguettes, de petits théâtres, où le peuple se portait le dimanche pour y trouver le grand air et les lieux de plaisir; le beau monde, le jeudi, pour y faire voir ses toilettes et ses équipages. Après la révolution, quelques boutiques commencèrent à s'y établir, quelques maisons bourgeoises à s'y construire, d'abord sur le côté septentrional qui touchait la ville, ensuite sur le côté méridional, qui resta longtemps bordé de rues basses établies sur les anciens fossés; mais c'est seulement depuis trente à quarante ans que les grands magasins, les riches boutiques, les splendides cafés, enfin la plupart des théâtres, en venant se presser sur les boulevards, les ont presque complètement transformés, et ont fait, de cette grande et unique voie de communication, le centre du Paris moderne, le centre de sa splendeur et de son luxe, de ses affaires et de ses plaisirs, la promenade la plus magnifique, la plus variée, la plus fréquentée de l'Europe, le lieu le mieux connu, le plus fameux du monde entier. L'ancienne défense de la grande cité en est aujourd'hui la parure: Paris s'est fait de sa vieille ceinture murale une écharpe verdoyante, pleine d'éclat et de séductions, tantôt large et tranquille, tantôt étroite et remuante, qui semble flotter, se gonfler, se serrer au gré capricieux de la mode et de la civilisation, et dont les deux bouts vont tremper dans la Seine, l'un près de la place où la révolution a commencé, l'autre près de la place où ses plus terribles événements se sont accomplis. Que de tumultes et de fêtes, que de triomphes et de douleurs, que de mascarades et de convois funèbres, que de rassemblements et de combats ont vus les boulevards! Ils ont vu les cortéges brillants de l'Empire, l'entrée des étrangers en 1814, les revues de la garde nationale sous Louis-Philippe, les convois funèbres de Périer, de Lamarque et de La Fayette, les troubles de 1820, les révolutions de 1830 et de 1848, l'insurrection de 1832, les manifestations du 16 avril et du 15 mai, la bataille des journées de juin! Les boulevards ont chacun sa physionomie, ses mœurs, son caractère, ses costumes; ils changent d'aspect avec chaque grande rue qui vient à les couper; nous les verrons successivement montrer leurs faces diverses à mesure que nous étudierons ces rues, et, pour le présent, nous ne parlerons que du boulevard Saint-Antoine ou Beaumarchais.

Ce boulevard est le premier qui ait été planté; il était encore, il y a quelques années, très-large, mais presque complétement désert, et, jusqu'en 1777, il resta bordé d'un fossé large et profond qui fut remplacé, à cette époque, par une rue basse, dite rue Amelot (nom du ministre de Louis XVI qui avait le département de Paris). En 1787, Beaumarchais acheta le terrain d'un vaste bastion qui était à l'extrémité de ce boulevard, près de la place de la Bastille, et s'y fit bâtir une magnifique maison avec un délicieux jardin qui a subsisté jusqu'en 1818. Il y mourut en 1799 et y fut enterré. Quand le canal Saint-Martin fut ouvert et qu'on voulut le faire déboucher dans le grand fossé de la Bastille, il fallut détruire la maison de Beaumarchais, et, sur l'emplacement du jardin, l'on construisit des maisons particulières. A dater de cette époque, le boulevard Saint-Antoine, qui prit en 1831 le nom de Beaumarchais, commença à devenir moins triste et moins désert. Enfin, en 1845, l'administration municipale ayant aliéné les contre-allées de la partie méridionale, il s'est élevé sur leur emplacement une suite de jolies maisons en pierre, chargées d'ornements et de sculptures, qui font du boulevard Beaumarchais une voie publique aussi magnifique que régulière, où le commerce, la population, le luxe même commencent à se porter.

§ IV.

Le faubourg Saint-Antoine.

C'est à de pauvres ouvriers cherchant la liberté du travail que le faubourg Saint-Antoine doit sa naissance. L'abbaye Saint-Antoine-des-Champs, fondée vers la fin du XIIe siècle, était un lieu privilégié, et son vaste enclos servait de refuge aux malheureuses «gens de mestier» qui travaillaient sans maîtrise. Autour de cet enclos et sous la protection des abbesses, dames de toutes les terres voisines, il se forma un bourg populeux auquel furent réunis plus tard les hameaux de Popincourt, de la Croix-Faubin, de Picpus, de Reuilly et de la Râpée.

Le bourg Saint-Antoine fut plusieurs fois dévasté dans les guerres des Anglais et dans celles de la Ligue. Devenu faubourg de Paris sous Louis XIII, il servit, de théâtre à la bataille entre Turenne et Condé. Quand la France devint industrielle, sous l'administration de Colbert, il commença à avoir de grandes fabriques, et sa population prit de l'importance. Enfin, quand la révolution éclata, il y joua le premier rôle et fut à la fois son quartier général et son armée d'avant-garde. Au 27 avril 1789, il préludait au tumulte révolutionnaire par l'incendie de la maison Réveillon; au 14 juillet, il était tout entier sous les murs de la Bastille; aux 5 et 6 octobre, il envoyait ses légions de femmes affamées à Versailles; au 10 août, conduit par le brasseur Santerre, qui avait sa demeure au nº 232 du faubourg, il conquérait les Tuileries. Il régna dans Paris pendant le règne des Montagnards, et il suffisait de ces mots: le faubourg descend! pour faire trembler la Convention. On l'appelait alors le faubourg de Gloire. Sa puissance tomba avec celle de Robespierre. On sait comment, au 1er prairial, il fut vaincu, et, le lendemain de cette journée, investi et forcé de livrer ses armes: ce fut pour lui une véritable abdication. Dès lors, il sembla tout entier voué à l'industrie, et se contenta d'envoyer ses enfants défendre la révolution sur les champs de bataille: parmi ces glorieux faubouriens, on compte Augereau et Westermann. Napoléon fut populaire dans le faubourg: il alla plusieurs fois le visiter, s'inquiéta de ses travaux, de sa prospérité, et il voulait faire construire une grande rue qui serait allée du Louvre à la barrière du Trône. Ce fut pourtant dans une maison du faubourg que fut ourdi l'audacieux complot qui pensa, en 1812, renverser le vainqueur de la Moskowa: au nº 333, au coin de la Petite rue Saint-Denis, se voit une maison de santé qui, aujourd'hui, renferme des aliénés: c'est de là qu'est sorti Mallet!

Sous la Restauration, le faubourg Saint-Antoine, toujours peuplé d'ouvriers pauvres et laborieux, resta paisible, oublieux de toute question politique, uniquement occupé des progrès de ses industries. En 1830, il prit part aux journées de juillet; la garde royale pénétra dans le faubourg, où des barricades avaient été élevées; mais elle ne put aller que jusqu'à la rue de Charonne, et, après un combat où plusieurs maisons furent canonnées, elle battit en retraite. En juin 1832, une partie de sa population prit part à la première insurrection républicaine; un combat fut livré sur la place de la Bastille, et la maison qui fait l'angle du faubourg et de la rue de la Roquette, maison habitée par l'épicier Pepin, ne fut soumise que par le canon. En février 1848, il crut trouver dans la République non-seulement la fin des souffrances réelles de sa population ouvrière, mais la réalisation de doctrines chimériques sur l'organisation du travail: aussi, quand il eut dépensé «ses trois mois de misère au service de la République,» égaré par la souffrance, le désespoir et des prédications anarchiques, il se révolta. Dans les néfastes journées de juin, le faubourg Saint-Antoine fut le quartier général et la citadelle de l'insurrection; il se liait avec les deux autres centres de la bataille, d'un côté par les faubourgs du Temple et Saint-Martin, d'un autre côté par les faubourgs Saint-Victor et Saint-Marcel, et lui-même devait occuper l'Hôtel-de-Ville. Pendant trois jours, il fut maître de son propre terrain, repoussa toute proposition d'accommodement et se fortifia; une immense barricade fermait la grande rue du faubourg et les rues de la Roquette et de Charonne, garnies de combattants; soixante autres barricades, élevées de vingt pas en vingt pas, hérissaient la grande rue et les rues voisines. Quand l'insurrection eut été vaincue dans tout le reste de Paris, le front de cette grande forteresse fut battu en brèche par plus de vingt mille hommes, pendant que ses flancs étaient attaqués de toutes parts; ses maisons furent criblées de boulets; une d'elles, à l'entrée de la rue de Roquette, fut entièrement incendiée et détruite. Ce fut au milieu de ce combat que l'archevêque de Paris se présenta à la grande barricade, la traversa par la maison qui fait l'angle du faubourg et de la rue de Charonne, et, au moment où il adressait des paroles de paix aux insurgés, tomba frappé mortellement d'une balle. Le lendemain, l'insurrection, voyant tout Paris soumis et la résistance inutile, capitula.

Le faubourg Saint-Antoine est une grande et large voie, entièrement peuplée de fabricants, principalement de fabricants d'ébénisterie, lesquels n'ont pas d'égaux dans le monde et dont les produits, chefs-d'œuvre de goût, d'élégance et de bon marché, vont partout, en Amérique comme en Europe, dans les plus modestes habitations comme dans les palais des rois. On y trouve aussi des filatures de coton, des fabriques de machines, des scieries de bois, des brasseries, etc. Dans cette grande cité du travail, il n'y a point de ces palais sculptés, de ces hôtels splendides que nous trouverons dans les quartiers de la finance et de la noblesse; il n'y a que des maisons hautes, profondes, humbles comme la population qui s'y presse, où l'on n'entend que le bruit de la scie et du marteau; et l'on n'y trouve, triste symbole de la misère, qui n'est que trop souvent la récompense de l'ingrat labeur, on n'y trouve d'autres édifices publics que deux hôpitaux.

1º L'Hospice des enfants malades.--Cet hôpital fut fondé en 1669 par la reine Marie-Thérèse pour les enfants trouvés; il fut affecté en 1800 et en 1809 aux orphelins des deux sexes; en 1840, il devint un hôpital-annexe de l'Hôtel-Dieu; en 1854, il a été transformé en hospice pour les enfants malades.

2º L'hôpital Saint-Antoine, qui occupe les bâtiments de l'abbaye de même nom. Cette abbaye fut fondée par Foulques de Neuilly, le prédicateur de la quatrième croisade; elle occupait tout l'espace compris entre la rue du faubourg, la grande et la petite rue de Reuilly, les rues de Charenton et Lenoir; son église, d'une architecture pleine d'élégance et de détails précieux, avait été bâtie par saint Louis. L'abbesse jouissait de 40,000 livres de revenu. Derrière ses murs, à l'angle des grande et petite rues de Reuilly, le 12 mai 1310, cinquante-quatre templiers furent brûlés. Son enclos était fortifié et servait de refuge aux habitants du bourg; mais, en 1590, il fut forcé successivement par les troupes de Henri IV et celles de la Ligue, et le couvent mis au pillage. En 1770, il fut magnifiquement reconstruit, et, en 1795, par un décret de la Convention, transformé en hôpital assimilé à l'Hôtel-Dieu et renfermant trois cent vingt lits.

Le faubourg se termine à la place et à la barrière du Trône, qui tirent leur nom d'un trône que les édiles parisiens y firent élever pour l'entrée de Louis XIV et de Marie-Thérèse en 1660. Les deux colonnes qui ornent la barrière étaient le commencement d'un monument qu'on devait construire en mémoire de cet événement, monument dont le plan avait été donné par Perrault, qui fut fait seulement en plâtre et démoli en 1716. Sous le règne de Louis-Philippe, on a placé sur ces colonnes les statues colossales de Philippe-Auguste et de saint Louis. Pendant les derniers temps de la terreur, l'échafaud fut dressé sur la place du Trône, et, en vingt jours, il s'y fit, au lieu même où le grand roi reçut l'hommage de ses sujets, un effroyable holocauste de quatre cent vingt-trois victimes. Le 30 mars 1814, la barrière du Trône, qui conduit au château de Vincennes, fut le théâtre d'un glorieux combat soutenu contre les Russes par la garde nationale et les élèves de l'École Polytechnique.

Six grandes rues partent du faubourg Saint-Antoine, comme les branches d'un arbre énorme; ce sont, à droite, les rues de Charenton, Reuilly, de Picpus; à gauche, les rues de la Roquette, de Charonne et de Montreuil.

1º La rue de Charenton commence à la place de la Bastille et finit à la barrière qui ouvre la route des départements de l'est; son extrémité s'appelait autrefois la vallée de Fécamp; elle est célèbre, en 1621, par une attaque des catholiques contre les protestants, qui revenaient de leur prêche de Charenton. Vers la fin de cette rue était jadis une maison de campagne, dont il ne reste plus que la porte d'entrée avec quelques murailles, et qui avait de magnifiques jardins s'étendant jusqu'à la rivière. On l'appelait la Folie-Rambouillet; elle avait été construite, au temps de Louis XIII, par un financier de ce nom, beau-père du chroniqueur Tallemant des Réaux. Sauval fait une description pompeuse de cette habitation, qui excita les murmures des associés de Rambouillet: «car c'étoit trop découvrir le profit qu'ils faisoient aux cinq grosses fermes.» Près de cette maison, dont une rue voisine a gardé le nom, était établie la plus formidable des barricades de Condé dans la bataille du faubourg Saint-Antoine, et c'est là que furent tués les plus illustres seigneurs des deux partis. «Le prince y reçut plusieurs coups dans la cuirasse, et ce fut une espèce de miracle qu'il n'y demeurât pas comme tant d'autres. Il faisoit alors une chaleur insupportable, et lui qui étoit armé et agissoit plus que tous les autres, étoit tellement fondu de sueur et étouffé dans ses armes, qu'il fut contraint de se faire débotter et désarmer, et de se jeter tout nu sur l'herbe d'un pré, où il se tourna et vautra comme les chevaux qui se veulent délasser; puis il se fit rhabiller et armer, et il retourna au combat [32]

On trouve dans la rue de Charenton: l'hospice des Quinze-Vingts, fondé par saint Louis pour trois cents aveugles, et qui fut établi dans la rue Saint-Honoré jusqu'en 1779; à cette époque, le cardinal de Rohan, si tristement fameux par l'affaire du collier, le transféra dans un hôtel de la rue de Charenton, occupé jusque-là par les mousquetaires noirs. Il renferme ou nourrit huit cents aveugles.

2º La rue de Reuilly doit son nom au château de Romiliacum, bâti par les rois de la première race. Ce château, qui était encore du domaine royal en 1359 et formait un fief seigneurial au XVIIIe siècle, était situé à la rencontre des grande et petite rues de Reuilly. C'est dans ce Versailles des Mérovingiens, au dire de Frédégaire, que Dagobert avait une sorte de harem, où il épousa successivement Gomatrude, Nanthilde. Au nº 24 était la manufacture de glaces établie en 1666 par Colbert; c'est aujourd'hui une caserne d'infanterie.

3º La rue de Picpus est célèbre par ses établissements charitables ou religieux. Au nº 8 est la maison hospitalière d'Enghien, fondée par la duchesse de Bourbon en 1819 et qui renferme cinquante lits. Aux nº 15, 17 et 19 se trouvait le couvent des chanoinesses, dites de Notre-Dame-de-Lépante, fondé en 1647, et dont une partie est occupée par la congrégation des Dames du Sacré-Cœur. Dans le cimetière de cette maison, qui servit de prison pendant la terreur, furent inhumées les cinq cent vingt victimes, suppliciées à la place de la Bastille et à la barrière du Trône. Il fut concédé par l'empereur aux familles de ces victimes, qui seules ont le droit d'y être enterrées. C'est là qu'est la sépulture de La Fayette. Au nº 23 est la maison mère des Dames de la congrégation de la Mère de Dieu. Au nº 37 se trouvait le couvent des Franciscains réformés, fondé en 1601 et regardé comme le chef-lieu de l'ordre. L'église renfermait les tombeaux du cardinal Duperron, du maréchal de Choiseul, etc.

4º La rue de la Roquette renfermait: 1º l'hôtel des chevaliers de l'arbalète et de l'arquebuse, compagnie royale dont les priviléges furent donnés par Louis VI et confirmés par tous les rois jusqu'à Louis XVI; 2º l'hôtel de Bel-Esbat, qui appartenait à Henri III, et où, en 1588, il faillit être enlevé par les ligueurs. Cet hôtel fut transformé, en 1636, en couvent des Hospitalières de la Charité-Notre-Dame, lequel renfermait un hospice pour les vieilles femmes. Il est aujourd'hui détruit, et à sa place on a construit en 1836 deux vastes bâtiments qui, sans doute, ont été placés l'un en face de l'autre pour faire image et comme enseignement philosophique: l'un est le Pénitencier des jeunes détenus, l'autre le Dépôt des condamnés. Ces deux prisons, dites modèles et remarquables en effet par leur construction, ont coûté près de quatre millions. Sur la place qui les sépare se font les exécutions criminelles.

La rue de la Roquette conduit au cimetière de l'Est ou du Père-Lachaise. Sur l'emplacement de ce cimetière il y avait, dans le XVe siècle, une maison de campagne appartenant à un épicier de Paris et qu'on appelait la Folie-Régnault. Elle fut achetée par les Jésuites de la rue Saint-Antoine en 1626, prit le nom de Mont-Louis et fut habitée et embellie par le père Lachaise, confesseur de Louis XIV. En 1763, on la vendit, et en 1804 la ville de Paris l'acheta pour y établir un cimetière. C'est la plus vaste nécropole de Paris et la plus heureusement située; du riant coteau qu'elle occupe, on découvre une grande partie de la ville et des campagnes voisines; son sol accidenté, coupé de ravins, de plateaux, de belles allées, de sentiers sinueux, couvert d'arbres, d'arbustes, de fleurs, où se pressent les monuments sépulcraux, chapelles, pyramides, pierres, croix de bois, est une promenade pittoresque où rien n'inspire la tristesse, où l'on pourrait croire, aux inscriptions placées sur les tombes, que la population de Paris est la plus vertueuse du globe. Là se voient le tombeau d'Abeilard et d'Héloïse, bijou gothique dont la place était dans une église et non en plein air [33], les sépultures de Molière et de La Fontaine, de Delille, de Boufflers, de Parny; les monuments de Masséna, de Gouvion-Saint-Cyr, de Foy, de Périer, etc. La mode, qui se mêle de tout, a fait de ce cimetière, destiné aux quartiers les plus populeux de Paris, le rendez-vous mortuaire de toutes les illustrations.

5º La rue de Charonne est une voie aussi populeuse, aussi industrielle, aussi pauvre que la rue du Faubourg-Saint-Antoine. C'est là surtout qu'on trouve ces vastes cours habitées par des centaines de familles, où, de la cave au grenier, toutes les chambres sont de petits ateliers d'ébénisterie. Cette rue renferme ou renfermait plusieurs couvents: au nº 86 est le couvent des Filles de la Croix, de l'ordre de Saint-Dominique, établi en 1641; les bâtiments n'ayant pas été aliénés pendant la révolution, ils ont été rendus à ces religieuses en 1817. Au nº 88 était le couvent de la Madeleine de Trainel, fondé en 1654; l'abbesse de Chelles, fille du régent, s'y retira pour s'y occuper de théologie, de chimie et d'histoire naturelle; elle y mourut en 1743. C'est là qu'est mort aussi le chancelier d'Argenson. Au nº 97 était le prieuré de Notre-Dame-de-Bon-Secours, l'asile ordinaire des femmes séparées de leurs maris. Il fut transformé sous l'empire en une filature de coton dirigée par l'illustre Richard Lenoir et que les événements de 1814 ruinèrent complètement. Napoléon visita plusieurs fois cet établissement et y assista à une grande fête. Il fut en 1846 transformé en hôpital, et aujourd'hui est détruit. Une rue a été ouverte sur son emplacement.

Près de la rue de Charonne est l'église paroissiale du huitième arrondissement, Sainte-Marguerite. On y remarque une descente de croix de Girardon et un monument élevé à la mémoire du fils de Louis XVI, lequel fut enterré dans le cimetière de cette église.

Dans la rue de Charonne débouche le passage Vaucanson, qui a été ouvert en 1840 sur l'emplacement de l'hôtel Mortagne, où demeurait l'illustre mécanicien. Dans cet hôtel était une collection de cinq cents machines léguée en 1782 au gouvernement par Vaucanson, et qui a été plus tard le noyau du Conservatoire des arts et métiers.

6º Nous n'avons rien à dire de la rue Montreuil, si ce n'est qu'elle conduit à un village célèbre par ses fruits, et qu'elle possède une caserne.

CHAPITRE II.

LA VIEILLE-RUE-DU-TEMPLE, LE MARAIS ET LA RUE DE MÉNILMONTANT.

La Vieille-Rue-du-Temple commence à la place Baudoyer et finit au boulevard du Temple sous le nom de Filles-du-Calvaire. C'est une rue étroite et mal bâtie dans sa partie inférieure, large et belle dans sa partie supérieure. La partie inférieure est très-ancienne, car elle était déjà dite vieille au XIIIe siècle; la partie supérieure n'a été bâtie que dans le XVIe: ce n'était, avant cette époque, qu'un chemin à travers champs et appelé de la Coulture-du-Temple ou de la Coulture-Barbette; les noms des rues voisines de l'Oseille et du Pont-aux-Choux indiquent quelle était la nature de ces champs. Comme la Vieille-Rue-du-Temple ne menait à aucun monument religieux, comme elle n'avait pas de porte sur le rempart de Charles VI, comme elle ne se prolongeait par aucun faubourg, elle n'a joué qu'un rôle très-médiocre dans l'histoire de Paris, excepté dans sa partie inférieure, où il y avait une porte de l'enceinte de Philippe-Auguste, dite porte Barbette, située près de la rue des Francs-Bourgeois. Nous avons dit ailleurs que l'hôtel voisin de cette porte, et qui lui avait donné son nom, appartenait à Isabelle de Bavière, et que c'est en sortant de cet hôtel que Louis, duc d'Orléans, en 1407, fut assassiné par les satellites de Jean-Sans-Peur.

Aujourd'hui, la Vieille-Rue-du-Temple est la principale artère du Marais. Ce quartier, le premier qui ait été régulièrement bâti, était sous Henri IV, Louis XIII et le commencement du règne de Louis XIV, le quartier de la noblesse; il devint plus tard celui de la magistrature, de la bourgeoisie retirée du commerce, et il prit de cette population paisible une renommée de calme et de placidité, mais aussi de sottise et d'ennui, qu'il n'a pas encore complètement perdu. «Là règne, disait Mercier en 1784, l'amas complet de tous les vieux préjugés.» Cependant, depuis trente ans, le Marais a changé d'aspect; c'est toujours un quartier bien aéré et bien bâti; mais il a été envahi par les fabriques soit du faubourg Saint-Antoine, soit du quartier Saint-Martin, qui se trouvaient trop pressées dans ces deux grands centres de l'industrie parisienne, et, de jour en jour, son ancienne population est obligée de s'en éloigner.

On trouve dans la Vieille-Rue-du-Temple:

1° Le Marché des Blancs-Manteaux.--Sur l'emplacement de ce marché se trouvait, au XVIe siècle, l'hôtel d'Adjacet, qui appartenait à l'un des favoris de Henri III; il passa au marquis d'O, autre favori du même roi, fut vendu en 1655 et devint le couvent des Hospitalières de Saint-Anastase. Ce couvent fut supprimé en 1790, et, sur ses débris, a été construit en 1813 le marché des Blancs-Manteaux.

2° L'Imprimerie impériale.--Elle est établie dans l'hôtel de Strasbourg, qui fut construit en 1712 par le cardinal de Rohan et qui communiquait avec l'hôtel de Soubise; cette imprimerie, fondée par le connétable de Luynes et complétée par Richelieu, non pour le service de l'État, mais uniquement dans l'intérêt des lettres, fut d'abord placée au Louvre, puis à l'hôtel où est aujourd'hui la Banque de France, enfin, en 1809, dans le bâtiment actuel. Ce n'est que depuis 1795 qu'elle est devenue l'imprimerie du gouvernement; elle occupe trois à quatre cents ouvriers, cent vingt-cinq presses ordinaires et dix presses mécaniques, et possède quarante-six alphabets des langues d'origine latine, seize des autres langues de l'Europe et cinquante-six des langues orientales.

Dans la Vieille-rue-du-Temple se trouvaient: l'hôtel d'Argenson, qui fut habité par le fameux garde des sceaux; l'hôtel Le Pelletier, qui fut habité par le prévôt des marchands, ministre sous Louis XIV, etc.

Dans la rue des Filles-du-Calvaire se trouvait un couvent, chef-lieu d'une congrégation, qui fut fondé en 1633 par le fameux P. Joseph, et où l'on conservait le cœur du fondateur. Sur ses débris on établit, en 1792, un théâtre qui a subsisté jusqu'en 1807 sous le nom de Théâtre de la Vieille-Rue-du-Temple. La rue Neuve-Ménilmontant a été ouverte sur son emplacement.

Voici les rues les plus remarquables qui débouchent dans la Vieille-Rue-du-Temple:

1° Rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie.--«Sous le règne de saint Louis, dit Saint-Foix, il n'y avait encore dans ce quartier que quelques maisons éparses et éloignées les unes des autres. Renaud de Brehan, vicomte de Podouse et de l'Isle, occupait une de ces maisons. Il avait épousé, en 1225, la fille de Léolyn, prince de Galles et était venu à Paris pour quelque négociation secrète contre l'Angleterre. La nuit du vendredi au samedi saint 1228, cinq Anglais entrèrent dans son vergier, le défièrent et l'insultèrent. Il n'avait avec lui qu'un chapelain et qu'un domestique; ils le secondèrent si bien que trois de ces Anglais furent tués; les deux autres s'enfuirent; le chapelain mourut le lendemain de ses blessures. Brehan, avant que de partir de Paris, acheta cette maison et le vergier, et les donna à son brave et fidèle domestique, appelé Galleran. Le nom de Champ-aux-Bretons, qu'on donna au jardin à l'occasion de ce combat, devint le nom de toute la rue.» Elle prit celui de Sainte-Croix quand les religieux de ce nom vinrent s'y établir en 1258. «Revint une autre manière de frères, dit Joinville, qui se faisoient appeler frères de Sainte-Croix, et requistrent au roy que il leur aidast. Le roi le fit voulentiers, et les hébergea en une rue appellée le quarrefour du Temple, qui ores est appellée la rue Sainte-Croix.» L'église, bâtie par Eudes de Montreuil, était petite et d'une construction très-élégante; elle renfermait des tableaux précieux et le tombeau de Barnabé Brisson, président du Parlement, qui fut pendu par les Seize. Les chanoines de Sainte-Croix furent supprimés en 1778; on détruisit leur couvent et leur église pendant la révolution, et l'on établit sur leur emplacement des maisons particulières et un passage qui aboutit rue des Billettes.

Cette rue, dite anciennement rue où Dieu fust bouilli, renfermait la chapelle des Miracles, bâtie en 1302 sur l'emplacement de la maison d'un juif qui fut brûlé pour avoir jeté, en 1298, dans une chaudière d'eau bouillante une hostie consacrée, laquelle était conservée en l'église de Saint-Jean-en-Grève. A la chapelle fut adjoint un couvent d'hospitaliers ou frères de la Charité-Notre-Dame, auxquels succédèrent en 1632 des Carmes. Alors, l'on remplaça la chapelle par une église qui fut entièrement reconstruite en 1754, et dont le portail est d'une élégante simplicité. Cette église est devenue, depuis 1812, le temple des protestants de la confession d'Augsbourg. Les restes de Papire Masson et le cœur d'Eudes de Mézeray y ont été déposés.

La rue des Billettes a pour prolongement la rue de l'Homme-Armé, qui, comme le Champ-aux-Bretons, doit probablement son nom à Renaud de Brehan. Dans cette rue était, dit-on, la maison de Jacques Cœur.

2º Rue des Rosiers.--A l'angle que cette rue fait avec celle des Juifs se trouvait une statue de la sainte Vierge, qui fut mutilée en 1528. Ce fut l'occasion de persécutions contre les protestants. François Ier vint lui-même en grand pompe remplacer l'image de pierre par une image d'argent. Celle-ci fut volée en 1545 et remplacée par une statue de pierre, qui existait encore en 1789.

3º Rue des Francs-Bourgeois.--Elle date du XIIIe siècle et portait d'abord le nom de Vieilles-Poulies; elle prit son nom actuel d'un hospice fondé en 1350 pour vingt-quatre bourgeois pauvres, et qui n'existait plus au XVIe siècle. Une partie de l'hôtel Barbette bordait cette rue, et il en reste la tourelle qui fait le coin de la Vieille-Rue-du-Temple. Au nº 7 était l'hôtel du maréchal d'Albret, qui de 1650 à 1670, fut un autre hôtel de Rambouillet pour la quantité de beaux esprits qui s'y réunissaient; c'était la maison que fréquentait d'ordinaire madame Maintenon après son veuvage, et c'est là qu'elle connut madame de Montespan. Au nº 13 était l'hôtel du chancelier Le Tellier, et c'est là qu'il mourut en 1685. Au nº 21 était l'hôtel du comte de Charolais, qui se rendit si fameux par ses cruautés et ses débauches.

4º Rue de Paradis.--Cette rue, par laquelle se prolonge la rue des Francs-Bourgeois, a pris une grande importance depuis qu'elle se continue par la rue Rambuteau, dont nous parlerons plus tard. Elle tire son nom d'une enseigne et renferme:

1. L'église de Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux, dont l'origine remonte à des religieux mendiants, dits serfs de la vierge Marie, qui s'établirent à Paris en 1258. «Revint, raconte Joinville, une autre manière de frères qu'on appelle l'ordre des Blancs-Manteaux, et qui requistrent au roy qu'il leur aydast qu'ils peussent demourer à Paris. Le roy leur acheta une maison et viez places entour pour eux hebergier, de lès la viez porte du Temple, assez près des tisserans.» Cet ordre ayant été supprimé en 1274, le couvent fut donné aux Guillelmites, et à ceux-ci succédèrent en 1618 les Bénédictins de Saint-Maur. La maison et l'église furent reconstruites en 1684 par les soins du chancelier Le Tellier, et c'est là que furent composés ces trésors d'érudition qui sont la gloire de notre pays, l'Art de vérifier les dates, la Collection des historiens de France, la Nouvelle diplomatique, etc. «Personne n'ignore, dit Jaillot, combien l'Église et l'État sont redevables aux Bénédictins: cette maison-ci en a produit et en possède encore qui sont à jamais recommandables par leurs vertus et leurs talents.» Ce monastère, dont il ne reste pas la moindre trace, a été détruit en 1797, et sur son emplacement on a ouvert en 1802 une rue dite des Guillelmites. L'église, qui n'a rien de remarquable, a été conservée; c'est l'une des succursales du septième arrondissement.

2. Le Mont-de-Piété, fondé en 1777, et dont les bâtiments furent achevés en 1786. «Ce bureau général d'emprunt sur nantissement, fondé uniquement, dit l'ordonnance de fondation, dans des vues de bienfaisance,» est l'une des institutions qui témoignent le plus tristement la gêne et la misère des classes populaires. De 1831 à 1845, il a prêté sur 19,382,000 articles une somme de 342,893,000 francs; les quatre cinquièmes des engagements ont été faits par des ouvriers ou journaliers. En 1849, l'ensemble des articles engagés s'est élevé à 1,135,000, et celui des sommes prêtées à 19,382,000 francs. En 1854, les articles engagés ont été au nombre de 1,584,149, et les sommes prêtées se sont élevées à 28,201,835 fr.

3° L'hôtel Soubise, où sont les Archives de l'État. Ce vaste hôtel, qui occupe une grande partie de l'espace compris entre les rues du Chaume, des Quatre-Fils et Vieille-du-Temple, est formé de: 1° l'hôtel de Clisson, situé rues du Chaume et des Quatre-Fils, et bâti en 1383; c'était, avons-nous dit dans l'Histoire générale de Paris, l'hôtel de la Miséricorde, et l'on avait décoré de M sa façade, pour perpétuer l'outrage fait aux Parisiens. Après la mort du connétable, il passa dans la maison de Penthièvre et fut acheté en 1553 par la duchesse de Guise. On voit encore, outre ses grosses tourelles et ses fortes murailles, son antique porte, qui sert d'entrée à l'École des Chartes. 2° L'hôtel de Navarre, situé rue de Paradis, qui appartint successivement aux maisons d'Évreux et d'Armagnac, fut confisqué sur ce duc de Nemours que fit mourir Louis XI, passa à la maison de Laval et fut acheté par la duchesse de Guise en 1556; 3° l'hôtel de la Roche-Guyon, situé Vieille-Rue-du-Temple. C'est de ces trois hôtels et de plusieurs autres maisons que le duc de Guise (celui qui fut assassiné au siége d'Orléans), se fit l'immense palais qui joua un si grand rôle dans les troubles de la Ligue. Cet hôtel resta dans la maison de Lorraine jusqu'en 1697, où il fut acheté par le prince de Soubise, qui le fit reconstruire presque entièrement et avec une grande magnificence. Il devint propriété nationale en 1793, et en 1808 on y transporta les Archives de l'État.

L'Assemblée constituante, le 7 septembre 1789, avait décrété que les pièces originales qui lui seraient adressées et la minute du procès-verbal de ses séances formeraient un dépôt qui porterait le nom d'Archives nationales. Ce dépôt, placé d'abord à Versailles, s'en alla à Paris avec l'Assemblée, fut placé au couvent des Capucins et s'enrichit des formes et des planches pour la confection des assignats, des caractères de l'imprimerie du Louvre, des machines de l'Académie des Sciences, etc. La Convention nationale régularisa ce dépôt par un décret du 7 messidor an II, et ordonna qu'on y renfermerait, outre les papiers des assemblées nationales, les sceaux de la République, les types des monnaies, les étalons des poids et mesures, les traités avec les puissances étrangères, le titre général de la fortune et de la dette publique, etc. Les archives, à la tête desquelles était Camus, s'en allèrent avec la Convention aux Tuileries, où elles furent logées à côté du comité de salut public, puis au Palais-Bourbon avec le Corps-Législatif. Napoléon, le 6 mars 1808, leur attribua l'ancien hôtel Soubise, et toutes les archives des pays conquis vinrent s'y entasser au nombre de 160,000 liasses. Ce dépôt devint alors si considérable que, malgré des constructions nouvelles, le vaste hôtel Soubise se trouva insuffisant, et que Napoléon ordonna de bâtir pour les archives, entre les ponts d'Iéna et de la Concorde, un immense palais qui devait avoir en capacité 100,000 mètres cubes, avec des jardins destinés à doubler l'établissement dans la suite des temps. La chute de l'Empire empêcha l'exécution du monument, et les étrangers vinrent, en pillant les archives, débarrasser l'hôtel Soubise de son encombrement. On réorganisa cet établissement en 1820, sous la direction du savant Daunou, et il est aujourd'hui partagé en six sections qui renferment l'ancien trésor des chartes, les archives domaniales, le dépôt topographique et 145,000 cartons, outre des curiosités historiques, telles que l'armoire de fer, les clefs de la Bastille, le livre rouge, etc. Depuis quelques années, on a fait des agrandissements énormes et des embellissements pompeux à cet établissement, qui ressemble, avec sa grande porte fastueusement décorée, ses colonnades, ses statues, à la demeure d'un monarque; mais les riches salons où l'on entasse les vieux papiers, les vérités cachées de notre histoire, sont à peu près inaccessibles au vulgaire.

5° Rue Barbette, qui tire son nom de l'hôtel Barbette. Cet hôtel avait été bâti par Étienne Barbette, prévôt des marchands et maître de la monnaie sous Philippe-le-Bel; il fut dévasté en 1306 dans une émeute populaire. Il fut acheté par Charles VI et devint le petit séjour d'Isabelle de Bavière, qui en fit un lieu de plaisance et de délices. (Voy. Hist. gén. de Paris, p. 31.) Au XVIe siècle, il appartenait à la maison de Brézé, et comme femme de Louis de Brézé, Diane de Poitiers possédait et habitait cet hôtel. A sa mort, on le démolit et on ouvrit sur son emplacement les rues Barbette, des Trois-Pavillons, qui a porté aussi le nom de Diane, etc.

6° Rue du Perche.--Elle renfermait un couvent de Capucins, fondé en 1622, par Athanase Molé, capucin, frère de Mathieu Molé. L'église existe encore sous le vocable de Saint-François d'Assise: c'est une des succursales du septième arrondissement. En face de la rue du Perche est celle des Coutures-Saint-Gervais, où se trouve l'hôtel de Juigné, l'un des plus magnifiques de Paris et qui est occupé par l'École centrale des manufactures.

7° Rue des Quatre-Fils, ainsi nommée d'une enseigne. Dans la maison n° 8, furent arrêtés, en 1804, le duc de Rivière et Jules de Polignac, complices de la conspiration de Georges Cadoudal. Au n° 22, demeurait madame Dudeffant, et c'est là qu'était ce salon si fréquenté par les beaux esprits et les seigneurs du XVIIIe siècle, dont d'Alembert et mademoiselle de l'Espinasse firent longtemps les honneurs.

8° Rue Saint-Louis.--Cette grande et belle rue, l'une des plus régulières de Paris, a été bâtie sur une partie du jardin des Tournelles; elle date du XVIIe siècle et était jadis remplie de grands hôtels appartenant à la noblesse et à la magistrature: l'hôtel d'Ecquevilly, qui a appartenu au chancelier Boucherat et à Claude de Guénégaud, et qui existe encore; l'hôtel Voisin, où est mort, en 1717, le chancelier de ce nom; l'hôtel Turenne, qui avait été acheté par l'illustre vainqueur des Dunes, et où il demeurait à l'époque de sa mort [34]; il fut vendu par son neveu le cardinal de Bouillon et donné par la duchesse d'Aiguillon aux religieuses bénédictines du Saint-Sacrement. Cet hôtel était au coin de la rue Saint-Claude: il fut détruit avec le couvent des Bénédictines, et sur son emplacement on a bâti récemment l'église Saint-Denis-du-Saint-Sacrement, qui est une des succursales du huitième arrondissement. Cette église est un de ces petits temples païens dont l'art moderne reproduit invariablement le type stérile et dont on peut faire au besoin un théâtre, un hospice ou une prison.

Parmi les rues qui débouchent dans la rue Saint-Louis, nous remarquerons celle des Minimes. Dans cette rue était le couvent des Minimes, fondé en 1609 par Marie de Médicis sur une partie du jardin des Tournelles, et qui a produit des théologiens et des savants, entre autres le P. Mersenne, l'ami de Descartes et de Gassendi. L'église, dont le portail avait été construit par François Mansard, ne fut terminée qu'en 1679: elle était richement décorée et renfermait les tombeaux du duc d'Angoulême, bâtard de Charles IX, de la famille Colbert de Villarceaux, du duc de la Vieuville, d'Abel de Sainte-Marthe, etc. Cette église a été détruite en 1798. Les bâtiments du couvent servent de caserne.

La rue des Filles-du-Calvaire aboutit à un boulevard de même nom, qui présente à peu près le même aspect que le boulevard Beaumarchais, et n'a rien de remarquable. Au-delà de ce boulevard, la rue de Ménilmontant sert de prolongement ou de faubourg à la Vieille-Rue-du-Temple. Cette rue n'était, il y a un demi siècle, qu'un chemin à travers les champs et marais qui couvraient tout l'espace compris entre les faubourgs Saint-Antoine et du Temple: ce n'est guère que depuis vingt-cinq ans qu'on a commencé à couvrir de maisons toutes ces cultures. Avant cette dernière époque, on ne voyait de rues que dans le voisinage des boulevards: ces rues, dites d'Angoulême, du Grand-Prieuré, de Malte, de Crussol, ont été ouvertes en 1781, d'après les plans de Perard de Montreuil, sur 24,000 toises de marais appartenant au grand prieuré de Malte, dont le titulaire était alors le duc d'Angoulême, et l'administrateur le baron de Crussol. La rue de Ménilmontant et les rues qui y aboutissent, aujourd'hui peuplées d'ouvriers et renfermant de grandes fabriques, ont été hérissées de barricades pendant l'insurrection de juin 1848.

La principale communication de la rue de Ménilmontant avec le faubourg Saint-Antoine s'effectue par la rue Popincourt, qui doit son origine à une maison bâtie par Jean de Popincourt, président du Parlement sous Charles VI. Dans cette maison était, au XVIe siècle, un temple protestant, qui fut dévasté par le connétable de Montmorency, lequel en reçut le nom de capitaine Brûle-Bancs. C'est de la terrasse du château de Popincourt que Mazarin fit voir à Louis XIV la bataille du faubourg Saint-Antoine. Une partie de cette propriété devint en 1636 un couvent d'Annonciades, qui fut supprimé en 1782. L'église existe encore au coin de la rue Saint-Ambroise, qui en a pris son nom: c'est une succursale du huitième arrondissement.

Dans la rue Popincourt débouche la rue des Amandiers, où se trouve l'abattoir Ménilmontant; l'avenue de cet abattoir se nomme Parmentier, parce qu'elle a été ouverte sur l'emplacement de la maison où est mort, en 1813, cet illustre agronome.

La rue de Ménilmontant tire son nom du village auquel elle conduit, et lui-même est ainsi appelé de sa situation sur le versant méridional du plateau de Belleville. Ce village, ou plutôt cette ville, a été, en 1814, l'un des théâtres de la bataille de Paris.

CHAPITRE III.

LA RUE ET LE FAUBOURG DU TEMPLE.

§ Ier.

La rue du Temple et le Temple.

La grande voie publique qui a pris le nom de l'ordre des Templiers commence à la place de Grève par une série de rues qui portaient encore, il y a quelques années, les noms des Coquilles, Barre-du-Bec, Sainte-Avoye, noms absorbés aujourd'hui dans celui du Temple. Elle n'était pas probablement comprise dans l'enceinte de Louis VI et s'est arrêtée d'abord près de la rue de Braque, où était une porte de l'enceinte de Philippe-Auguste, ensuite à la bastille du Temple, près de la rue Meslay, dite autrefois du Rempart, où était une porte de l'enceinte de Charles VI, démolie en 1684.

La rue des Coquilles se nommait autrefois Gentien, d'une famille célèbre qui a donné à la ville un prévôt des marchands et le savant auteur de l'Histoire de Charles VI: elle a pris son autre nom d'une maison dont toutes les fenêtres étaient ornées de coquilles sculptées. Cette maison, détruite récemment, était située au coin de la rue de la Tixeranderie et formait, en 1519, l'hôtel du président Louvet.

La rue Barre-du-Bec tirait son nom de l'abbé du Bec, qui avait, dit-on, son tribunal ou sa barre de justice dans cette rue, au n° 19.

La rue Sainte-Avoye avait pris son nom d'un couvent fondé en 1228, en l'honneur de sainte Hedwige ou Avoye, et qui fut occupé, en 1623, par des Ursulines. Ce couvent (n° 47), aujourd'hui détruit, a servi de temple israélite sous l'Empire. Dans cette rue étaient:

1° L'hôtel de Mesmes, bâti par le connétable de Montmorency, et où il vint mourir en 1567, après la bataille de Saint-Denis. Henri II y séjourna quelquefois. Henri III y dansa aux noces du duc d'Épernon. Plus tard, il devint l'hôtel de la famille de Mesmes, de ces grands diplomates qui ont donné à la France l'Alsace et la Franche-Comté, qui ont signé les traités de Westphalie et de Nimègue. Sous l'empire, on y établit l'administration des droits réunis, et, sous le gouvernement de Juillet, on l'a détruit pour ouvrir la rue Rambuteau.

2° Les hôtels de St-Aignan, Caumartin, la Trémoille, etc. Ces grandes demeures de l'aristocratie du XVIIe siècle sont aujourd'hui encombrées de marchandises et principalement de barils d'huile et de tonnes de sucre, car les anciennes rues Sainte-Avoye, Barre-du-Bec, des Coquilles sont les succursales du commerce d'épicerie, dont les rues de la Verrerie et des Lombards sont la métropole.

La rue du Temple, proprement dite, était jadis un vaste marais ou culture situé hors des murs de la ville: vers le milieu du XIIe siècle, les moines-chevaliers du Temple, défenseurs du saint sépulcre, y bâtirent un grand manoir, qui devint le chef-lieu de leur ordre. La grosse tour fut construite en 1212, par le frère Hubert; et quand l'enclos eut été entouré de murailles et garni de tourelles, quand il commença à se couvrir de maisons, l'ensemble de ces constructions fut appelé la ville neuve du Temple et devint une forteresse imprenable. Philippe-Auguste, en partant pour la croisade, ordonna d'y déposer ses revenus; Louis IX y logea Henri III d'Angleterre, et ses successeurs y enfermèrent leur trésor; Philippe-le-Bel y chercha un asile contre la fureur populaire. Les richesses qui y furent amassées par les Templiers étaient réputées les plus grandes du monde, et elles n'ont pas été une des moindres causes de leur ruine. Le 13 octobre 1307, Philippe IV se transporta au Temple avec ses gens de loi et ses archers, mit la main sur le grand maître, Jacques de Molay, et s'empara du trésor de l'ordre. Le même jour et à la même heure, tous les Templiers furent arrêtés par tout le royaume. Alors commença ce procès mystérieux, qui est resté pour la postérité un problème insoluble, et après lequel périrent sur l'échafaud ou dans les prisons les derniers défenseurs du saint sépulcre. Les biens de l'ordre furent donnés aux hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, qui se transformèrent dans la suite en chevaliers de Malte. Le Temple devint la maison provinciale du grand prieuré de France, et la grosse tour renferma successivement le trésor, l'arsenal et les archives de l'ordre. Alors l'on n'entendit plus parler de cet édifice, si ce n'est dans les guerres des Anglais et celles de la Ligue, où l'on s'en disputa souvent la possession. En 1667, le grand prieur Jacques de Souvré fit détruire les tours et les murailles crénelées de l'enclos, restaurer l'église, embellir les jardins, qui furent rendus publics; enfin il fit bâtir, en avant du vieux manoir, un vaste hôtel, qui a été récemment détruit. Ce fut le théâtre des plaisirs de son successeur, Philippe de Vendôme, dont les soupers donnèrent au Temple une célébrité nouvelle, par le choix, l'esprit, le scepticisme des convives. Là brillait le galant abbé de Chaulieu, qui mourut en chrétien fervent dans ce palais où il avait vécu en nonchalant épicurien. Là, le jeune Voltaire vint compléter les leçons qu'il avait commencé de recevoir dans la société de Ninon de Lenclos. Le grand prieuré, qui donnait 60,000 livres de revenu, passa ensuite au prince de Conti, qui, en 1765, y donna asile à Jean-Jacques Rousseau, les lettres de cachet ne pouvant pénétrer dans cette enceinte privilégiée. Le dernier titulaire fut ce duc d'Angoulême qui est mort, il y a quelques années, dans l'exil; et son père (Charles X) y vint quelquefois renouveler les soupers du prince de Vendôme. Les fleurs de ces fêtes étaient à peine fanées, les échos de ce voluptueux séjour murmuraient encore de tant de rires, de petits vers, de chants obscènes, quand Louis XVI et sa famille furent amenés au Temple pour y expier ces plaisirs. Ce ne fut pas dans l'hôtel du grand prieur qu'ils furent enfermés, mais dans le donjon du frère Hubert, vaste tour quadrangulaire, flanquée à ses angles de quatre tourelles, et qui, élevée de cent cinquante pieds, dominait tout le quartier de sa masse sombre et sinistre; on n'y arrivait que par trois cours garnies de murs, très-élevés; on n'y montait que par un escalier fermé à chaque étage de portes de fer [35]. Après l'horrible drame qui se passa dans ses murs, après que le malheureux fils de Louis XVI y fut mort de misère et d'abrutissement, après que sa fille, seul reste de la famille royale, en fut sortie, la tour du Temple eut d'autres hôtes: d'abord les vaincus du camp de Grenelle, qui n'en sortirent que pour être fusillés; ensuite les proscrits du 18 fructidor, qu'on transféra de là dans les cages ambulantes qui les conduisirent à Sinamary; les conspirateurs royalistes Brottier, Duverne de Presles, Laville-Heurnois, Montlosier, etc. Sydney Smith y fut captif en 1796 et délivré deux ans après par le dévouement de ses amis. Toussaint-Louverture y resta pendant quelques mois. Pichegru y vint avec Cadoudal, Moreau, les frères Polignac, etc.; il y fut trouvé mort dans son lit. Le capitaine anglais Wright s'y coupa la gorge. Le gouvernement impérial fit disparaître cet édifice, qui rappelait tant de sinistres événements. Bonaparte, à peine consul, l'avait visité et avait dit: «Il y a trop de souvenirs dans cette prison-là, je la ferai abattre.» En 1810, l'hôtel du grand prieur était devenu une caserne de gendarmerie; on commençait à y bâtir la façade qu'on a récemment démolie, et l'on devait y placer le ministère des cultes; la plupart des autres bâtiments du Temple n'existaient plus; on avait démoli l'église, qui était de construction romane, avec son portail en forme de dôme et les mausolées élevés à des chevaliers du Temple et de Malte. En 1814, l'hôtel projeté du ministre des cultes devint l'un des quartiers généraux des armées alliées; il eut le même sort en 1815, et la cavalerie prussienne campa dans l'enclos et les jardins. En 1816, il fut donné par Louis XVIII à une abbesse de la maison de Condé, qui s'y enferma avec des Bénédictines du Saint-Sacrement pour pleurer et prier sur les infortunes royales. Cette princesse ajouta à l'hôtel Souvré une jolie chapelle, dont l'entrée était rue du Temple. Après la révolution de 1848, les Bénédictines abandonnèrent le palais du Temple, qui resta pendant plusieurs années sans destination; il vient d'être détruit, et sur son emplacement on a ouvert un jardin.

A côté du Temple était un vaste enclos qui s'étendait jusqu'aux remparts de la ville et qui, de temps immémorial, servait d'asile aux criminels, aux débiteurs, aux banqueroutiers, aux ouvriers qui travaillaient sans maîtrise. Grâce à ce privilége, l'enclos se couvrit de maisons, qui louées à des prix très-élevés, procuraient un revenu considérable au grand prieur, lequel y avait d'ailleurs droit de haute et basse justice. Celles qui avoisinaient l'église formaient une suite de baraques qu'on appelait les charniers du Temple et qui servaient de marché. En 1781, on construisit sur une partie des jardins, au levant de l'église et de la grosse tour, un bâtiment d'architecture bizarre: c'est la Rotonde du Temple, élevée sur les dessins de Pérard de Montreuil, vaste et lourde construction de forme elliptique, dont le rez-de-chaussée figure une galerie couverte percée de quarante-quatre arcades. Cette maison est habitée par des ouvriers et des petits marchands; elle a appartenu à Santerre, qui y est mort en 1808. L'enclos du Temple devint en 1790 propriété nationale; lorsque l'église, la tour, les charniers eurent été détruits, on construisit, sur leur emplacement, en 1809, un vaste marché, formé de quatre grands hangars en charpentes, sombres, hideux, ouverts à tout vent, où campent plus de six mille marchands et où viennent s'étaler tous les débris des vanités et des misères de Paris: c'est la halle aux vieilleries et le marché très-abondant et très-utile où le peuple monte à bas prix sa toilette et son ménage. Plusieurs rues furent alors ouvertes et qui portent des noms de l'expédition d'Égypte: Perrée, Dupetit-Thouars, Dupuis, etc. La grande porte de l'enclos, qui était située en face de la rue des Fontaines, n'a été détruite qu'en 1818.

La rue du Temple renfermait jadis plusieurs établissements religieux: 1° le couvent des Filles Sainte-Élisabeth, fondé en 1614 par Marie de Médicis et dont l'église fut construite en 1630. Ces religieuses appartenaient au tiers ordre de Saint-François et se vouaient à l'éducation des jeunes filles. Les bâtiments, qui, depuis la révolution, avaient été convertis en magasins de farine, sont occupés aujourd'hui par des écoles municipales. L'église a été rendue au culte en 1809. 2° Le couvent des Franciscains de Notre-Dame-de-Nazareth, fondé par le chancelier Séguier en 1630, et dont l'église belle et vaste renfermait les tombeaux de cette famille. Il ne reste aucune trace de ce couvent, qui occupait tout l'espace compris entre les rues Neuve-Saint-Laurent et Notre-Dame-de-Nazareth.

Le quartier du Temple est un des plus importants, des plus populeux, des plus industrieux de la capitale. La partie qui avoisine le Marais a l'aspect de ce dernier quartier; elle est, comme lui, coupée de rues droites et belles, couverte d'anciennes et grandes maisons, où jadis demeurait la magistrature, et qui sont aujourd'hui envahies par l'industrie; ainsi en est-il des rues des Chantiers, d'Anjou, de Vendôme, etc. La partie qui avoisine le quartier Saint-Martin est, comme ce quartier, remplie de rues sales, humides et étroites, couverte de hautes et laides maisons, entièrement peuplées d'ouvriers; ainsi en est-il des rues des Gravilliers, Phélipeaux, Transnonain, etc. La population de ce quartier peut être regardée comme le type de la population ouvrière de Paris; elle a tous ses défauts et ses qualités: laborieuse, gaie, spirituelle, mais insouciante, prodigue, amie du plaisir; ardente, généreuse, brave, éclairée, mais mobile, présomptueuse, facile à égarer, prompte à se faire des idoles, plus prompte à les détruire; pauvre, désintéressée, passionnée pour la gloire du pays, mais turbulente, indocile, encline au bruit et au désordre, hostile à l'autorité. En 1792, la section des Gravilliers comptait parmi les plus révolutionnaires; la rue Transnonain et les rues voisines furent le principal théâtre de l'insurrection de 1834; dans la révolution de février, dans les journées de juin 1848, les rues du quartier du Temple ont été hérissées de barricades et ensanglantées par des combats.

Les industries qui dominent dans le quartier du Temple sont celles des bronzes, de la bijouterie, de la tabletterie, etc.; elles font à l'étranger l'honneur de Paris et de la France.

Parmi les rues qui débouchent ou qui débouchaient dans la rue du Temple, nous remarquons:

1º Rue de la Tixeranderie, l'une des plus anciennes rues de Paris, qui avait pris ce nom dans le XIIIe siècle des tisserands qui y demeuraient. C'était une des plus importantes et des mieux peuplées du vieux Paris. Elle a été récemment détruite, et son sol est occupé par la rue de Rivoli et la place de l'Hôtel-de-Ville; avec elle ont disparu les rues du Coq, des Deux-Portes, des Mauvais-Garçons, qui y aboutissaient, ainsi que les hôtels célèbres qu'elle renfermait et dont voici les principaux: 1º hôtel de Sicile, entre les rues des Coquilles et du Coq, habité, au XIVe siècle, par les rois de Naples de la maison d'Anjou; en fouillant les fondations de cet hôtel en 1682, on y a trouvé plusieurs tombeaux romains.--2º Hôtel de la reine Blanche, entre les rues du Coq et des Deux-Portes, habité par Blanche de Navarre, veuve de Philippe de Valois; il en restait quelques débris, entre autres une tourelle au coin de la rue du Coq.--3º Hôtel Saint-Faron, appartenant aux abbés de Saint-Faron de Meaux.--4º Au coin de la rue du Coq était le modeste appartement habité par Scarron, ce créateur de la littérature facile, si célèbre de son temps, aujourd'hui presque oublié; c'est là qu'il épousa, en 1652, Mlle d'Aubigné; c'est là que les deux époux, malgré leur pauvreté, recevaient toutes les illustrations du XVIIe siècle, Turenne, madame de Sévigné, Mignard, Ninon de Lenclos, le duc de Vivonne, le maréchal d'Albret, le coadjateur de Retz; c'est là que s'étaient rassemblés les plus ardents frondeurs et que s'étaient faits les plus piquants libelles contre Mazarin; c'est là que le spirituel Cul-de-jatte mourut; et sa jeune veuve, qui devait s'asseoir à côté de Louis XIV, presque sur le trône de France, se trouva si pauvre, qu'elle fut obligée de quitter ce chétif appartement pour se retirer dans un couvent de la rue Saint-Jacques.

La rue de la Tixeranderie a joué un grand rôle dans la bataille de juin 1848; c'est à l'entrée de cette rue, du côté de l'Hôtel-de-Ville, que le général Duvivier reçut une blessure mortelle.

2º Rue de la Verrerie.--Elle date du XIIe siècle et tire son nom des verriers qui y étaient établis, suivant les habitudes du moyen âge, les métiers de cette époque ayant tendance à se réunir dans les mêmes lieux, à s'associer par des intérêts communs, à contracter, sous le patronage d'un saint, les liens d'une pieuse fraternité. Dans cette rue demeurait, en 1392, Jacquemin Gringonneur, qu'on croit être l'inventeur ou du moins le restaurateur de l'invention des cartes à jouer: «Ce fut, dit un chroniqueur, pour l'esbattement du seigneur roy Charles VI.» Au coin de la rue de la Poterie était l'hôtel d'Argent, où les comédiens italiens s'établirent en 1600. Aujourd'hui, la rue de la Verrerie, une des plus tumultueuses et des plus commerçantes de Paris, renferme principalement les négociants en épiceries, ou, comme l'on dit aujourd'hui, en denrées coloniales.

3° Rue Rambuteau.--Cette grande et belle voie publique a été ouverte récemment pour faire communiquer la place Royale et le faubourg Saint-Antoine avec les Halles: elle part de la rue de Paradis, traverse l'ancien hôtel de Mesmes, absorbe la rue des Ménétriers, occupe la place du couvent Saint-Magloire, absorbe la rue de la Chanverrie et arrive à la pointe Saint-Eustache: elle a pris ses aises aux dépens de tout ce réseau inextricable de sales maisons qui se pressaient de la rue Sainte-Avoye aux Halles, coupant à droite et à gauche un morceau à chaque rue, mais aussi donnant de l'air et du soleil à trois quartiers. Le commerce et l'industrie se sont emparés de cette rue nouvelle, dont quelques maisons sont assez élégamment construites: l'une d'elles (n° 49) a sur sa façade un buste de Jacques Cœur, élevé par les soins de la ville, avec cette inscription: A Jacques Cœur Prudence, Probité, Désintéressement. On croit que ce financier avait une maison dans le voisinage, les uns disent rue de l'Homme-Armé, les autres rue Beaubourg.

4° Rue de Braque.--Il y avait là une porte de Paris, près de laquelle un bourgeois, Arnoul de Braque, fit construire une chapelle et un hospice en 1348. Marie de Médicis, en 1613, y transféra les religieux de la Merci. On sait que ces religieux aux trois vœux ordinaires de religion joignaient celui «de sacrifier leurs biens, leur liberté et leur vie pour le rachat des captifs.» Ce couvent et son église furent rebâtis au XVIIIe siècle, au coin de la rue du Chaume: ils sont aujourd'hui à demi-détruits. La grande salle du couvent a servi de théâtre pendant la révolution.

5° Rue des Vieilles-Audriettes.--Elle tire son nom d'un couvent de religieuses hospitalières dont le fondateur s'appelait Audry. Au coin de la rue du Temple était une échelle patibulaire de cinquante pieds de haut, élevée par le grand prieur du Temple pour les criminels de sa juridiction: ses débris ont subsisté jusqu'en 1789.

6° Rue Chapon.--Dans cette rue était un couvent de Carmélites, fondé en 1617, et qui occupait l'espace compris entre les rues Chapon, Montmorency et Transnonain. Ce couvent ayant été détruit en 1790, plusieurs maisons furent construites sur son emplacement: dans l'une des maisons de la rue Transnonain [36], un amateur de théâtre, nommé Doyen, fit construire une salle de spectacle, où la plupart des acteurs célèbres du XIVe siècle ont débuté. A la mort de Doyen, cette salle fut démolie, et à sa place on bâtit une maison qui devint horriblement célèbre le 14 avril 1834 par le massacre de quatorze de ses habitants.

7° Rue Portefoin ou Portefin, ainsi appelée d'un bourgeois qui l'habitait au XIVe siècle. A l'extrémité de cette rue se trouvaient l'église et l'hospice des Enfants-Rouges, fondé par François Ier et sa sœur Marguerite de Valois, «pour les pauvres petits enfants orphelins qui ont été et seront d'ores en avant trouvés dans l'Hôtel-Dieu.» On les appela d'abord Enfants-Dieu et plus tard Enfants-Rouges, à cause de la couleur de leurs vêtements. Cet hospice fut supprimé en 1772 et réuni au grand hospice des Enfants-Trouvés. On donna les bâtiments aux Pères de la Doctrine chrétienne, qui les occupèrent jusqu'en 1790. Ils furent vendus en 1797, et sur leur emplacement on a ouvert une rue. Le ministre Machault et le constituant Duport ont demeuré rue des Enfants-Rouges. Au coin de la rue d'Anjou était l'hôtel du maréchal de Tallard, qui existe encore.

8° Rue des Fontaines.--Dans cette rue se trouve la prison, autrefois le couvent des Madelonnettes. Ce couvent fut fondé en 1620, pour les filles débauchées, par un bourgeois Robert de Montry, et par une grande dame, la marquise de Meignelay. Il formait trois divisions: celle des filles débauchées qu'on y renfermait de gré ou de force; celle des filles repenties; celle des religieuses de Saint-Michel, qui gouvernaient les unes et les autres. En 1793, cette maison devint une prison politique pour les suspects, et qui eut le privilége de ne fournir aucun de ses hôtes pour l'échafaud. C'est là que furent renfermés l'abbé Barthélémy, le poète Champfort, le ministre Fleurieu, le général Lanoue, les acteurs du Théâtre-Français, etc. En 1795, on en fit ce qu'elle est encore, une maison de détention pour les femmes condamnées. L'église, qui datait de 1680, a été détruite.

9° Rue Meslay.--Elle s'appelait d'abord rue du Rempart, et, à son extrémité, près de la rue Saint-Martin, était une butte où il y avait trois moulins. C'est dans cette rue que se trouvait l'hôtel du commandant de la garde de Paris: en 1788, une troupe de jeunes gens, ayant brûlé devant cet hôtel l'effigie du ministre Brienne, fut assaillie par les soldats et en partie massacrée.

10° Rue de Vendôme, ouverte en 1696 sur les terrains de l'ordre de Malte, lorsque Philippe de Vendôme en était grand prieur. Dans cette rue était l'hôtel du général Friant, l'un des volontaires parisiens de 1792; c'est aujourd'hui la mairie du sixième arrondissement.

§ II.

Le boulevard et le faubourg du Temple.

Le boulevard du Temple est la promenade la plus populaire de Paris: la foule des ouvriers et des marchands de tous les quartiers voisins s'y entasse tous les soirs devant ses théâtres, ses cafés, ses cabarets, ses fruitières en plein vent. Cependant, quelque fréquenté, quelque animé que paraisse ce boulevard, il n'a plus l'aspect franchement gai, naïvement joyeux qu'il avait jadis, quand on y voyait d'un côté, outre les théâtres de la Gaîté, de l'Ambigu-Comique, des Funambules, Saqui, le café-spectacle du Bosquet, le restaurant du Cadran-Bleu, les farces jouées sur des tréteaux par Bobèche et Galimafré, les figures de cire de Curtius, des escamoteurs, des paillasses, des phénomènes vivants; et d'un autre côté, le Jardin Turc, le Jardin des Princes, les Montagnes lilliputiennes et autres lieux de plaisir chéris des bourgeois du quartier. La civilisation, en répandant jusque dans les classes ouvrières les goûts puérils d'un luxe mensonger, a ôté aux quartiers populeux de Paris leur aspect modeste, pauvre et grossier, pour leur donner un faux air de distinction, une triste régularité et les apparences charlataniques d'une splendeur sous laquelle se cachent le vice et la misère.

On y trouve: 1º Le Théâtre-Lyrique, fondé en 1847 sur l'emplacement d'un bel hôtel qui avait été bâti et habité par le malheureux Foulon.--2º Le Cirque-Olympique, fondé par les frères Franconi en 1780 dans le faubourg du Temple, transféré en 1802 dans le jardin des Capucines, en 1806 rue Mont-Thabor, en 1816 dans le faubourg du Temple, en 1827 sur le boulevard du Temple.--3º Le théâtre des Folies Dramatiques, fondé en 1830 sur l'emplacement de l'Ambigu-Comique.--4º Le théâtre de la Gaîté, fondé en 1770 par Nicolet, sous le nom de Salle des grands danseurs; Taconnet, comme acteur et auteur, lui donna la vogue; quant au public qui le fréquentait, voici ce qu'en dit l'Almanach des spectacles de 1791: «Ce spectacle est d'un genre tout à fait étranger aux autres; on y allait autrefois pour y jouir d'une liberté qu'on ne trouvait nulle part ailleurs: on y chantait, on y riait, on y faisait une connaissance, et quelquefois plus encore, sans que personne y trouvât à redire; chacun y était aussi libre que dans sa chambre à coucher.» Il prit le nom de théâtre de la Gaîté en 1792, fut reconstruit en 1808, incendié en 1835, et aujourd'hui continue à attirer la foule.--5º Le théâtre des Délassements-Comiques, fondé en 1774 sous le nom de théâtre des Associés, et qui devint en 1815 le théâtre des danseurs de corde de madame Saqui; depuis 1830, on y joue des drames et des vaudevilles. On y trouvait encore le théâtre des Élèves, fondé en 1778, brûlé en 1798, reconstruit sous le nom de Panorama dramatique en 1821, et aujourd'hui détruit.

Une des maisons de ce boulevard, aujourd'hui reconstruite, et qui portait alors le nº 50 est affreusement célèbre: c'est de là que, le 28 juillet 1835 est partie la mitraillade de Fieschi.

Le faubourg du Temple a été ouvert sur l'ancien clos de Malevart. Ce n'était encore qu'un chemin à travers champs au XVIe siècle. On commença à y bâtir sous Louis XIII, et sous Louis XV ses cabarets étaient le rendez-vous du peuple. L'un d'eux, nommé Courtille (jardin), obtint une grande célébrité: c'est là que fut arrêté Cartouche en 1721. Sur son emplacement est une caserne d'infanterie, et son nom a été transporté à la grande rue de Belleville, dont nous allons parler. Plus loin était le cabaret de Ramponeau, qui eut, en 1760, une telle vogue, que les grands seigneurs et les grandes dames allaient le visiter. En face de la Courtille était le jardin des Marronniers, qui attira la foule jusque dans les premières années de la restauration: il est aujourd'hui détruit, comme tous ces grands jardins de fêtes publiques tant aimés de nos pères, et avec tant de raison. Aujourd'hui le faubourg du Temple est, comme la rue de même nom, peuplé d'ouvriers, mais appartenant à des industries moins heureuses, plus tristes, plus pauvres, moins éclairées. Il a été l'un des théâtres les plus sanglants de la bataille de juin; toute la rue, surtout aux abords du canal Saint-Martin, était hérissée de barricades.

De toutes les rues qui aboutissent dans le faubourg du Temple, nous ne remarquerons que la rue Bichat, qui mène à l'hôpital Saint-Louis. Cet hôpital fondé par Henri IV en 1607, pour les maladies contagieuses, était, avant 1789, le plus beau de Paris: néanmoins, on n'y comptait alors que 300 lits et souvent 6 à 700 malades. Il renferme aujourd'hui 825 lits.

A la barrière du faubourg du Temple commence une longue et montueuse rue, qui est la voie principale de la commune de Belleville, commune très-populeuse qui ne compte pas moins de 36,000 habitants. Cette rue s'appelle, dans sa partie inférieure, la Courtille. C'est là que le peuple va chercher ses plaisirs dans des salles nues, puantes, hideuses, où le vin frelaté n'est pas même égayé par l'ombre d'une charmille, où la danse ignoble se cache du grand air et du soleil, et n'a pour horizon que des murs peints et enfumés, où les regards ne peuvent s'arrêter que sur des rues fétides et boueuses, de laides maisons meublées de milliers de tables, une foule souvent immonde et brutale, quelquefois criminelle; c'est là le théâtre des plus honteuses orgies du carnaval; c'est là que, dans ces jours de joie bestiale se donne un spectacle à faire douter de notre civilisation, de l'avenir de notre pays, de la dignité humaine. Ô les frais ombrages, les riants gazons, les gais refrains, les joyeuses parties de la vieille Courtille, qu'êtes-vous devenus!

CHAPITRE IV.

LA RUE ET LE FAUBOURG SAINT-MARTIN.

§ Ier.

La rue Saint-Martin.

Cette grande voie publique, l'une des plus anciennes et des plus importantes de Paris, doit son nom et son origine à l'abbaye Saint-Martin-des-Champs, qui y était située. Elle a eu quatre portes: la première, de l'enceinte de Louis VI, près de l'église Saint-Merry; la deuxième, de l'enceinte de Philippe-Auguste, près de la rue Grenier Saint-Lazare; la troisième, de l'enceinte de Charles VI, près de la rue Neuve-Saint-Denis; la quatrième, de l'enceinte de Louis XIII, près du boulevard; celle-ci étant très-forte, flanquée de six tours rondes, avec un large fossé et un pont-levis. La partie de cette rue voisine de la Seine, a été récemment détruite et reconstruite jusqu'à l'endroit où elle se trouve coupée par la nouvelle rue de Rivoli. Cette partie était auparavant étroite, sale, obscure, et prenait les noms de Planche-Mibray et des Arcis, qui ont disparu.

Le premier nom vient des mares boueuses que le fleuve déposait dans ses inondations, et qu'on traversait sur des planches au carrefour des rues de la Vannerie et de la Coutellerie. C'est ce que démontrent les vers suivants du moine René Macé, où il est question de l'entrée de l'empereur Charles IV à Paris:

L'empereur vint par la Coutellerie
Au carrefour nommé la Vannerie,
Où fut jadis la planche de Mibray;
Tel nom portoit pour la vague et le bray,
Getté de Seyne en une creuse tranche,
Entre le pont que l'on passoit à planche,
Et on l'ostoit pour estre en seureté.

Cette ruelle fangeuse et basse datait du XIe siècle, et elle était principalement fréquentée à cause des moulins qui se trouvaient près de là sur la rivière. On commença à l'exhausser et à l'assainir quand le pont Notre-Dame fut construit, c'est-à-dire au commencement du XVe siècle.

L'origine du nom de la rue des Arcis ou Arsis, est inconnue: on pourrait croire qu'il vient de la porte de l'enceinte de Louis VI, qui se nommait Archet-Saint-Merry, si un acte de 1136 n'appelait pas cette rue de Arsionibus, qui est peut-être le nom de quelque famille bourgeoise. Près de l'Archet-Saint-Merry, l'abbé Suger avait une maison qui lui avait coûté mille livres.

Dans cette rue était l'église Saint-Jacques-la-Boucherie, dont la fondation remonte au XIe siècle et qui tirait son surnom de la grande boucherie de la ville, située près du Châtelet. Elle avait été rebâtie en 1250 et en 1520. Comme elle se trouvait située dans le quartier le plus commerçant de Paris, elle était le siége des confréries des bouchers, des peintres, des chapeliers, des armuriers, des bonnetiers, et l'on pouvait dire que c'était l'église la plus bourgeoise de Paris, la plupart de ses nombreuses chapelles ayant été fondées par des bourgeois, et ses murs étant couverts d'inscriptions, d'épitaphes, de donations bourgeoises. Parmi ces donations, il y en avait des touchantes, surtout celles qui avaient été faites par des femmes: L'une établissait une école et catéchisme pour les orphelins; l'autre fondait des messes «pour les pauvres âmes des suppliciés;» une troisième donnait des toiles pour l'ensevelissement des pauvres, etc. Parmi les bienfaiteurs de Saint-Jacques-la-Boucherie, il en est deux qui y avaient leur sépulture dans de belles chapelles et dont les noms méritent une place distinguée dans l'histoire de Paris: ce sont les bourgeois Colin Boulard et Nicolas Flamel. Le premier était un marchand qui demeurait au coin des rues de la Vannerie et Planche-Mibray, à l'enseigne de la Chaise; il avait des relations de commerce ou de banque avec la moitié de l'Europe, et il se rendit utile à l'État et à la capitale principalement en deux circonstances. «Charles VI, raconte Juvénal des Ursins, ayant assemblé ses gens contre les Anglois, qui étoient en Flandre, difficulté y eut grande comme un si grant oist pouvoit avoir vivres, et fut mandé Colin Boulard, lequel se fit fort de trouver du bled et mener à l'ost pour cent mille hommes pendant quatre mois.» En 1388, «pour ce que, dit le même historien, on avoit vivres à Paris à grande difficulté, Colin Boulard envoya vers le Rhin, et par sa diligence en amenoit et faisoit venir vivre largement.» La municipalité parisienne a oublié ce digne citoyen comme tant d'autres illustrations de la capitale, et rien dans Paris ne rappelle le nom de Colin Boulard, qui du moins était autrefois connu par sa chapelle «armoriée et peincte.» Nicolas Flamel, qui avait fait bâtir le petit portail de Saint-Jacques, sur lequel était son «imaige en pierre» avec celle de sa femme, a été plus heureux: nous en parlerons tout à l'heure. Dans cette église étaient encore enterrés Jean Bureau, maître de l'artillerie sous Charles VII, mort en 1463, grand citoyen qui a contribué activement à l'expulsion des Anglais et dont la renommée n'est pas assez populaire; l'illustre Fernel, mort en 1558, et dont le tombeau était, dans le XVIIe siècle, au dire de Guy Patin, l'objet d'une sorte de pèlerinage de la part des médecins.

L'église Saint-Jacques a été démolie en 1792, et sur son emplacement on ouvrit un marché qui est aujourd'hui détruit; il en reste une tour très-élégante, qui date de 1508, et qui, élevée de 52 mètres, domine une grande partie de la capitale. Cette tour vient d'être richement restaurée et entourée d'un joli jardin. Elle est surmontée de la statue colossale de saint Jacques; les niches sont partout ornées de statues de saints; enfin sous la voûte est une statue de Pascal. La tour Saint-Jacques se trouve aujourd'hui comprise dans la nouvelle rue de Rivoli dont elle est le plus bel ornement.

La rue Saint-Martin, proprement dite, celle qui commence à la rue des Lombards, a joué dans les temps anciens un grand rôle: dans sa partie inférieure, elle était habitée par les métiers les plus sales et les plus turbulents, dont les noms sont restés aux rues voisines; dans sa partie supérieure, elle renfermait trois églises et le grand prieuré de Saint-Martin, qui était une vraie forteresse; elle a donc dû prendre part à tous les événements de l'histoire de Paris, et l'on trouve son nom dans les luttes des Armagnacs et des Bourguignons, dans les troubles de la Ligue, dans presque toutes les journées révolutionnaires. Dans les temps plus modernes, son importance politique n'a pas été moindre: elle a été le théâtre principal de l'insurrection de 1832; c'est entre les rues Maubuée et du Cloître-Saint-Merry qu'était la place d'armes des républicains. Elle a figuré encore dans l'émeute du 12 mai 1839, dans les journées de février, dans la bataille de juin 1848, enfin c'est là qu'a eu lieu l'échauffourée du 13 juin 1849. Aujourd'hui qu'elle a repris son calme et sa vie ordinaires, c'est une de ces rues dont l'aspect étonne et effraye le paisible provincial, par sa population variée, nombreuse, affairée, ses maisons encombrées de fabricants, ses boutiques pleines de monde et de marchandises, son pavé incessamment sillonné d'innombrables voitures, enfin par le tapage assourdissant de toute cette cohue, d'où l'on ne saurait sortir sain et sauf, si l'on n'est doué de la facilité de locomotion que possèdent si bien ces natifs de la moderne Athènes, que Jean-Jacques appelle les Parisiens du bon Dieu.

Les édifices publics que renferme la rue Saint-Martin sont:

1° L'église Saint-Merry.--On présume que, sur l'emplacement de cette église, deux saints solitaires, Médéric et Frodulphe (saint Merry et saint Frou), occupaient vers la fin du VIIe siècle, un ermitage, auprès duquel ils élevèrent un oratoire. Vers la fin du IXe siècle, cet oratoire fut reconstruit par Odon le Faulconier, l'un des capitaines qui défendirent Paris contre les Normands, et il y eut son tombeau. A cette chapelle succéda, dans le XIIe siècle, une église qui fut reconstruite en 1530 et achevée seulement en 1612: bien qu'elle ait été faite en pleine renaissance, elle porte tous les caractères des édifices du moyen âge, et son portail est rempli de détails élégants. A l'époque de cette reconstruction, on retrouva le tombeau de Odon avec cette modeste inscription: Hic jacet vir bonæ memoriæ, odo l'alconarius, fundator hujus ecclesiæ.

L'église Saint-Merry était collégiale, c'est-à-dire qu'elle avait un chapitre de chanoines, lequel dépendait de Notre-Dame. Elle est remarquable par ses ornements de sculpture, ses vitraux peints par Pinaigrier, ses tableaux sur bois du XVIe siècle, etc. On y a enterré: Jourdain de l'Isle, seigneur gascon, qui, en 1325, «fut exécuté au commun patibulaire,» pour meurtres et brigandages; Raoul de Presles, savant de la cour de Charles V; Chapelain, «le bel esprit de son temps, dit Piganiol, le plus loué, le mieux renté, le plus critiqué;» Arnauld de Pomponne, ministre des affaires étrangères sous Louis XIV, le signataire du traité de Nimègue, l'un des membres de cette grande famille parisienne des Arnauld, qui a tant honoré la religion, la France et les lettres. Enfin, on y célèbre avec beaucoup de pompe la fête d'une sainte moderne, d'une Parisienne née près de cette église en 1565 et qui y fut enterrée, Barbe Avrillot, femme du ligueur Accarie, connue en religion sous le nom de Marie de l'Incarnation, et béatifiée en 1792. L'église Saint-Merry est la paroisse du septième arrondissement.

2° L'église Saint-Nicolas-des-Champs.--C'était, au VIIIe siècle, une chapelle destinée aux serfs et vassaux de l'abbaye Saint-Martin. Elle fut reconstruite et agrandie au XIe siècle, et, quoique située hors de la ville, devint, au XIIIe, église paroissiale pour les rues suivantes, ainsi que le témoigne le livre des tailles de 1292: «Les rues de Symon franque, de la Plastrière, des Estuves, des Jugléeurs, de Brianbourg, du Temple, de Quiquempoist, la rue où l'on cuit les oës.» Elle a subi plusieurs reconstructions, dont la dernière est du XVIIe siècle, et qui ont fait d'elle un monument sans style, sans grâce, étouffé par les maisons voisines; son portail date de 1420. Elle renferme les tombeaux de Guillaume Budé, de Henri et Adrien de Valois, ces infatigables rechercheurs de notre histoire, de Mlle de Scudéry, de Pierre Gassendi, de Théophile Viaud, etc. C'est la paroisse du sixième arrondissement.

3° Le Conservatoire des arts et métiers, autrefois le prieuré de Saint-Martin-des-Champs.--On croit que c'était une abbaye dont la fondation se perd dans les premiers temps de la monarchie, et qui fut détruite presque entièrement par les Normands. Elle fut réédifiée en 1060 par Henri Ier et Philippe Ier, convertie, en 1079, en prieuré dépendant de l'abbaye de Cluny, et en 1130 fortifiée. Son enclos, qui avait quatorze arpents, s'étendait de la rue au Maire à la rue du Vert-Bois, en comprenant le marché Saint-Martin et les rues voisines; il était entouré de murs très-hauts et très-épais, crénelés, garnis de grosses tourelles, qui faisaient ressembler l'abbaye à une place forte. Son aspect était aussi imposant que pittoresque, à cause de l'encadrement que lui formaient, au nord, un bois de chênes (rue du Vert-Bois) et une éminence garnie de moulins (rue Meslay); au couchant, un ruisseau (rue du Ponceau), traversant une vaste prairie qui le séparait du beau couvent des Filles-Dieu; au midi, les villages de Bourg-l'Abbé et de Beaubourg, couverts de frais ombrages; enfin, au levant, les champs arrosés de plusieurs sources, que dominait le manoir des Templiers. Dans son enceinte privilégiée, et où les ouvriers pouvaient travailler sans maîtrise, étaient trois chapelles, des granges, des moulins, un four, un hôpital, une prison, dont une tour existe encore près de la rue du Vert-Bois, enfin un champ clos pour les combats judiciaires. L'église est l'une des antiquités les plus précieuses de Paris; la partie la plus ancienne est le sanctuaire qui date du XIe siècle; sa nef, aussi belle que hardie, et qui, malgré sa largeur, n'est soutenue par aucun rang de colonnes, sert aujourd'hui de salle d'exposition pour les machines. Le réfectoire, qui est parfaitement conservé et du style gothique le plus pur, a été construit par Pierre de Montereau. Les autres bâtiments sont presque tout modernes, principalement l'ancienne maison claustrale, qui est très-belle et date du XVIIIe siècle. C'est à cette époque que les murailles et les tours furent détruites, et des maisons bâties sur leur emplacement; que le clos des duels fut changé en un marché, qui forme aujourd'hui une place; que le réseau de petites rues, qui s'étend de cette place à la rue Saint-Martin, fut construit, etc. Dès la fondation du prieuré, il s'était formé, à l'ombre de ses murs, un village, qui devint le quartier Saint-Martin, et qui était placé sous la juridiction temporelle des religieux. La rue au Maire a pris son nom de l'officier qui rendait la justice aux vassaux de Saint-Martin, et qui avait son tribunal et sa geôle à l'endroit où se trouve aujourd'hui la porte latérale de Saint-Nicolas-des-Champs. La puissance spirituelle du prieur s'étendait bien au delà de ce quartier, car il avait les nominations de vingt-neuf maisons du même ordre, de cinq cures de la capitale, de vingt-cinq cures du diocèse de Paris, de trente cures dans diverses parties de la France; son revenu s'élevait à 45,000 livres: aussi cette dignité était-elle vivement recherchée, et Richelieu est compté parmi les prieurs de Saint-Martin-des-Champs. Ce couvent supprimé en 1790, fut occupé en mars 1792 par un institut d'éducation, que dirigeait Léonard Bourdon, sous les auspices de la municipalité, et qu'on appelait l'école des Jeunes Français: on apprenait gratuitement aux élèves les langues modernes, les exercices militaires, la fortification et des métiers[37]. Cette école cessa d'exister en 1795, et alors un décret de la Convention, rendu sur le rapport de Grégoire, établit à sa place un conservatoire des arts et métiers, qui renferme les modèles des machines et outils propres à l'industrie et à l'agriculture. Cet établissement, négligé sous l'Empire, a pris une grande extension depuis la Restauration, et surtout depuis quelques années; on y a attaché des cours publics de mathématiques, de physique, de chimie, de mécanique appliquées aux arts, d'économie industrielle, de dessin des machines, etc. Il occupe l'église, le réfectoire et les bâtiments claustraux; on lui a ajouté de vastes annexes et une entrée monumentale près de l'ancienne prison de l'abbaye. A la place des jardins se trouve un beau marché, qui fut, pendant les Cent-Jours, transformé en atelier d'armes.

Le 13 juin 1849, le Conservatoire a été le lieu de refuge du parti de la Montagne, qui essaya d'y faire un appel aux armes contre le gouvernement et l'Assemblée législative.

Avant la révolution, on voyait encore dans la rue Saint-Martin la chapelle Saint-Julien-des-Ménétriers, qui appartenait à la communauté des maîtres de musique et de danse de la ville de Paris. Son origine était due à deux compagnons ménétriers qui l'avaient fondée vers l'an 1328, avec un hôpital destiné à héberger les ménétriers, jongleurs et joueurs de vielle qui étaient de passage à Paris. L'architecture de sa façade était curieuse: on y voyait sculptés tous les instruments de musique du moyen âge, avec les statues de saint Genest et de saint Julien jouant du violon. La rue voisine, rue étroite et infecte, dite des Jugléeurs ou des Ménétriers, et qui a disparu dans la rue Rambuteau, était, dès le XIIe siècle, occupée entièrement par les artistes et les saltimbanques de cette époque, qui se consolaient de leurs misères présentes par la vue de l'asile réservé à leur vieillesse: elle devint, les arts ayant toujours assez mal vécu avec la morale, une caverne de libertins où les cris de la débauche troublèrent souvent les saints de la chapelle, et où le pouvoir et ses archers firent mainte expédition. Dans cette rue est né Talma, le 15 janvier 1763.

La rue Saint-Martin, rue occupée de tout temps par des marchands et des ouvriers, ne renferme aucune maison célèbre. Nous citerons seulement: au nº 107, le théâtre Molière, construit en 1791, qui devint en 1793 le théâtre des Sans-culottes et qui a été fermé en 1807; il a essayé plusieurs fois de se rouvrir et n'est plus aujourd'hui qu'une maison particulière; au nº 151, l'hôtel Budé ou de Vic, bâti par le savant Guillaume Budé, prévôt des marchands, et où il mourut en 1540.

Les rues qui débouchent dans la rue Saint-Martin présentent toutes à peu près le même caractère: elles sont étroites, boueuses, bordées de hautes maisons, encombrées de voitures, peuplées presque entièrement de marchands, de fabricants et d'ouvriers.

Nous nommons d'abord la rue des Écrivains qui a disparu et se trouve absorbée dans la nouvelle rue de Rivoli. Cette rue s'appelait d'abord Pierre-Olet et prit son autre nom des échoppes d'écrivains qui, dans le moyen âge, s'appuyaient sur les murs de Saint-Jacques-la-Boucherie. Dans cette rue, à l'angle de la rue Marivaux était la maison de Nicolas Flamel, écrivain public, qui se livrait aussi à l'alchimie, et dont la vie mystérieuse a été le sujet des contes les plus bizarres. Il paraît que cet homme, qui dépensa sa fortune en fondations pieuses et charitables, était devenu riche en faisant secrètement la banque pour les juifs chassés de France en 1394. Nos heureux ancêtres, qui ne connaissaient pas comme nous les mystères de la finance et la race des gens d'affaires, croyaient qu'il n'était pas possible de passer licitement de la pauvreté à la richesse; ils ne purent donc expliquer la fortune subite de Flamel qu'en disant qu'il avait découvert la pierre philosophale, et ils le regardèrent comme sorcier. Aussi crut-on pendant longtemps que sa maison renfermait des trésors, et l'on y fit des fouilles jusque dans le siècle dernier. On a donné le nom de Nicolas Flamel à la rue de Marivaux. Dans cette rue, au coin de l'impasse des Étuves, est une maison de bains, qui est probablement l'établissement le plus ancien de Paris; en effet, ces estuves existaient dès le XIIIe siècle, et le rôle de la taille de 1292 donne à l'estuveur le nom de Martin le Biau.

2º Rue des Lombards.--Elle tire son nom des banquiers italiens qui, au XIIIe siècle, y étaient établis, ainsi que dans les rues voisines. Ces banquiers étaient très-riches, et dans le rôle de la taille de 1292 ils sont taxés les premiers et à part; l'un d'eux, Gandouffle, est imposé à 114 livres 10 sous, ce qui équivaudrait aujourd'hui à 2,637 francs et fait supposer un revenu de 130,000 francs. On trouvait aussi dans cette rue la maison dite le Poids du roy, où se conservaient les étalons des poids et mesures de Paris. Depuis le milieu du XVIIe siècle jusqu'à l'Empire, les confiseurs donnèrent à la rue des Lombards une célébrité à laquelle n'ont pas peu contribué les poètes qui fabriquaient pour leurs bonbons des devises amoureuses à six livres le cent. Aux confiseurs ont succédé les marchands en gros d'huiles, de fromage, de sucre, etc., dont les magasins, laids, sombres, profonds, nous donnent une idée de ce qu'étaient les modestes boutiques de nos pères.

3º Rue du Cloître-Saint-Merry. Dans cette rue était l'hôtel du président Baillet, où fut établie, en 1570, la juridiction des consuls ou le tribunal de commerce. Ce tribunal y est modestement resté jusqu'en 1826; il était composé de cinq membres élus par les six corps marchands, et, pendant deux siècles, il a rendu, sans code, sans digeste, sans avocats, une justice sommaire, rapide, gratuite, et qui ne fut jamais suspectée.

4º Rue des Vieilles-Étuves. Les maisons de bains ou estuves étaient, au moyen âge, fort communes, et plusieurs rues en ont pris leur nom. Ce n'était pas un luxe inutile dans une ville aussi sale et aussi puante qu'était alors Paris. «Avant le XVIIe siècle, dit Sauval, on ne pouvait faire un pas sans en trouver.» Les barbiers estuvistes allaient crier dans les rues:

Seignor, quar vous allez baingner
Et estuver sans deslayer,
Li bains sont chaus, c'est sans mentir.

Sous Louis XIII et Louis XIV, les estuves devinrent des maisons d'un genre particulier et qui étaient tout à la fois des hôtels garnis, des restaurants, des lieux de plaisir et de rendez-vous galants. Les baigneurs (ainsi appelait-on les maîtres de ces établissements, qui avaient privilége du roi) étaient des hommes experts dans tous les secrets de la toilette, coiffeurs, parfumeurs, tailleurs, entremetteurs de débauches, agents d'intrigues, confidents de tous les gens de plaisir, de toutes les femmes galantes. On allait passer quelques jours chez le baigneur pour raison de santé, au retour d'une campagne ou d'un voyage; on y allait pour disparaître un instant du monde, pour échapper à la curiosité de ses amis ou à la poursuite de ses ennemis; on y allait pour y trouver des femmes de cour déguisées et masquées ou des bourgeoises séduites et achetées; on y allait pour faire des parties de vin, de jeu et de débauche [38]. Louis XIV lui-même, dans sa jeunesse, allait souvent coucher chez le baigneur Lavienne, qui devint son valet de chambre.

Les étuves de la rue Saint-Martin étaient au coin de la rue Beaubourg et avaient pour enseigne le Lion d'argent.

5º Rue aux Ours.--Elle date du XIIIe siècle, et s'appelait encore, en 1770, de son vrai nom aux Oües ou aux Oies, à cause des nombreux rôtisseurs qui l'habitaient. Dans cette rue débouche la rue Salle-au-Comte qui disparaît aujourd'hui et se trouve absorbée dans le boulevard de Sébastopol. Au coin de la rue aux Ours et de la rue Salle-au-Comte était, avant la révolution, une statue de la Vierge, dite Notre-Dame-de-la-Carole, devant laquelle, chaque année, le 3 juillet, se brûlait un colosse d'osier habillé en soldat suisse, au milieu d'un grand feu d'artifice. Cette cérémonie devait son origine à un sacrilége commis, dit-on, en 1418, par un soldat ivre, qui, ayant donné un coup d'épée à la statue, en fit jaillir du sang. Les détails de cette histoire étaient exposés dans une chapelle de l'abbaye Saint-Martin; mais ils n'en étaient pas pour cela plus authentiques, et la critique si sagace des érudits du XVIIe siècle en avait fait depuis longtemps justice. En 1793, la statue de la Vierge fut détruite et remplacée pendant quelque temps par le buste de Marat. Dans cette rue Salle-au-Comte était une fontaine qui portait le nom du chancelier de Marle et fut construite par lui. Ce magistrat habitait l'hôtel voisin de cette fontaine et qui avait été bâti par le comte de Dammartin vers la fin du XIIIe siècle: c'est là qu'il fut arrêté par les Bourguignons en 1418, conduit à la Conciergerie et massacré quelques jours après. Sauval raconte qu'un procureur au Châtelet, qui avait acheté en 1663 ce manoir seigneurial, s'y trouvait logé trop à l'étroit.

Dans la rue aux Ours débouche, parallèlement aux rues Saint-Martin et Saint-Denis, la rue Quincampoix, dont le nom vient probablement d'un de ses habitants. «C'est, dit Lemontey, un défilé obscur de quatre cent cinquante pas de long sur cinq de large, bordé par quatre-vingt-dix maisons d'une structure commune et dont le soleil n'éclaire jamais que les étages les plus élevés.» Cette rue est très-ancienne: au XIIIe siècle, elle était peuplée de merciers et d'orfèvres, fréquentée par les dames et même servant de promenade à la mode. Les merciers, à cette époque, vendaient tous les objets de luxe et de parure pour les femmes. C'était une corporation très-importante, très-nombreuse, et plus riche toute seule, dit Sauval, que les autres cinq corps de marchands. Il serait très-difficile d'énumérer tout ce qui faisait alors partie de la boutique d'un mercier, chapeaux, étoffes de soie, hermines, tissus de lin, broderies, joyaux, aumônières, parfums; etc. Les plus riches merciers de la rue Quincampoix étaient les d'Espernon, dont un est taxé dans la taille de 1313 à 90 livres. Dans le XVIe siècle, la vogue marchande de cette rue était passée, et elle avait quelques hôtels de grands seigneurs. De ce nombre était l'hôtel de Beaufort, dont un passage a conservé le nom, où demeura le roi des halles, le héros de la populace de Paris à l'époque de la Fronde: «Il disoit tout haut, raconte Gui Patin, que si on le persécutoit à la cour, il viendroit se loger au milieu des halles, où plus de vingt mille hommes le garderoient[39].» Vers la fin du règne de Louis XIV, cette rue devint le séjour des juifs qui faisaient la banque et des courtiers qui tripotaient des gains illicites sur les billets de l'État ou sur les emprunts du grand roi. A l'époque du système de Law, elle fut le centre de l'agiotage dont la fièvre agita toute la France, et alors elle se trouva encombrée de joueurs depuis les caves jusqu'aux greniers: on s'y pressait, on s'y écrasait, on y achetait la moindre place au poids de l'or; une chambre s'y louait dix louis par jour. De là nous sont venus les ventes à terme, la prime, le report et toutes les autres inventions, roueries et manœuvres de bourse. C'est dans cette rue, dans le cabaret de l'Épée-de-Bois, au coin de la petite rue de Venise, que le comte de Horn assassina un des agioteurs pour lui voler son portefeuille; il fut arrêté, condamné et exécuté sur la roue. Aujourd'hui, la rue Quincampoix est bien déchue de ses honneurs du XIIIe et du XVIIe siècles: triste et sale, elle n'est plus habitée que par des commerçants et des fabricants. Elle a pour prolongement une ruelle boueuse qu'on appelait des Cinq-Diamants: là demeurait Chapelain.

6º Rue Grenétat.--Cette rue date du XIIIe siècle et s'appelait alors de la Trinité, à cause d'un hôpital dont nous parlerons au chapitre suivant. Elle prit plus tard le nom de Darne-Estal ou Darnetal, d'un bourgeois qui l'habitait; et ce nom est devenu, en s'altérant successivement, Guernetat et Grenétat. Cette rue, très-fréquentée, très-populeuse, est, avec les rues qui l'avoisinent, l'un des grands centres de l'industrie parisienne, principalement en tabletterie. C'est là que l'émeute du 12 mai 1839 a livré son dernier combat.

Le grand îlot de maisons compris entre les rues aux Ours, Grenétat, Saint-Martin et Saint-Denis, était coupé par une rue parallèle à ces deux dernières et qu'on appelait Bourg-l'Abbé, rue aujourd'hui absorbée par le boulevard de Sébastopol. Le Bourg-l'Abbé dépendait de l'abbaye Saint-Martin et datait du Xe siècle: c'était un lieu de plaisance et de promenade pour les Parisiens de la Cité, qui allaient y visiter une chapelle dédiée à saint Georges et cachée sous de frais ombrages. Lorsque l'enceinte de Philippe-Auguste fut construite, il devint faubourg de Paris et toucha la muraille. Son principal chemin prit alors le nom de rue du Bourg-l'Abbé et continua à être fréquenté, non plus seulement à cause de sa chapelle, mais à cause de ses habitants, dont les mœurs faciles et les goûts ingénus donnèrent lieu à ce proverbe: «Gens du Bourg-l'Abbé qui ne demandent qu'amour et simplesse.» Tout était bien changé, et depuis longtemps, dans la rue Bourg-l'Abbé, dont le nom même vient de disparaître: plus d'ombrages, de simplesse, de chapelle; c'était une de ces ruches d'ouvriers où, du soir au matin, à tous les étages, dans toutes les chambres, dans tous les coins, on n'entendait que le bruit du marteau, le cri de la lime, des chants souvent et quelquefois des plaintes.

La rue Bourg-l'Abbé a été le principal théâtre de l'émeute du 12 mai 1839.

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