Histoire de Paris depuis le temps des Gaulois jusqu'à nos jours - II
§ II.
La rue Vivienne et la place de la Bourse.
La rue Vivienne était jadis une voie romaine qui menait à Saint-Denis et qui était bordée, selon l'usage des anciens, de sépultures dont on a retrouvé de nombreux débris: parmi ces débris on a découvert des cuirasses de femme, dont on n'a pu expliquer l'origine; mais il n'en est pas moins constant que les modistes qui peuplent aujourd'hui cette rue ont eu pour ancêtres des amazones. La plus curieuse de ces antiquités est une urne carrée en marbre, dont la face principale est ornée d'une guirlande de fleurs et de fruits, laquelle entoure cette inscription si simple et si touchante:
ampudiæ amandæ.
vixit annis xvii.
pithusa mater fecit
[55].
Et voilà les premières Parisiennes dont l'histoire ait conservé les noms: une jeune fille morte à dix-sept ans! une mère désolée! Combien de fois, depuis quinze siècles, le drame que nous révèle ce petit monument s'est-il renouvelé sur les bords de la Seine! que d'Amandas moissonnées à la fleur de l'âge! que de Pithusas en pleurs! Depuis les tombes primordiales de la rue Vivienne, que de couches successives de sépulcres n'a-t-il pas fallu entasser pour former le sol actuel de Paris!
La rue Vivienne resta une route à travers champs pendant tout le moyen âge. Quelques maisons y furent construites dans le XVIe siècle, et elle prit alors son nom de la famille Vivien, qui y possédait de grands terrains; mais ce n'est qu'à l'époque où la construction du Palais-Royal recula les remparts de Paris jusqu'aux boulevards actuels qu'elle commença réellement à être habitée. Le cardinal Mazarin y fit construire un immense et magnifique palais, qui occupait l'espace compris entre les rues Neuve-des-Petits-Champs, Richelieu, Colbert et Vivienne, et il y rassembla d'incroyables richesses, cinq cents tableaux des plus grands peintres, quatre cents statues de marbre, de bronze, de porphyre, «tout ce que la Grèce et l'ancienne Rome avaient eu de plus précieux,» une bibliothèque de quarante mille volumes rares, etc. C'est dans la grande galerie où étaient entassées ces richesses, qui lui valurent tant de malédictions, que, dans les dernières années de sa vie, il se promenait enveloppé dans sa robe de camelot, en disant: «Il faut quitter tout cela!» A sa mort, ce palais fut partagé en deux hôtels, qui existent encore. Le premier, qui garda le nom de Mazarin, avait son entrée principale rue Neuve-des-Petits-Champs: il fut donné au duc de la Meilleraye, époux d'une nièce du cardinal, et devint en 1719 l'hôtel de la Compagnie des Indes. Quelques années après, on y établit la Bourse, plus tard le contrôle général des finances, et enfin, pendant la révolution, les bureaux du trésor public. Depuis que le ministère des finances a été transféré rue de Rivoli, cet hôtel fait partie de la Bibliothèque impériale. Le deuxième hôtel, formé du palais Mazarin, prit le nom de Nevers et fut donné au marquis de Mancini; il devint sous la Régence le siége de la banque de Law et avait alors sa principale entrée rue Vivienne: il fut acheté par le régent en 1721 et destiné à la bibliothèque du roi: nous en reparlerons.
En face du palais Mazarin étaient, dans la rue Vivienne, outre l'hôtel Colbert, dont nous avons déjà parlé, deux autres hôtels appartenant au frère et au neveu du grand ministre, Croissy et Torcy.
Sous la Régence, et grâce au contact de Law, de sa banque, de ses actions, la rue Vivienne commença à être habitée par le commerce. Sur la fin du règne de Louis XV, elle était devenue une rue alerte et galante, pleine de colifichets et de jolies femmes, s'étant fait du maniement des rubans et des dentelles l'industrie la plus active; elle était aussi une des rues de la finance, des parvenus, des turcarets. Aussi la révolution fut-elle vue d'un mauvais œil dans cette rue d'aristocrates en jupon ou à collet vert, et la section des Filles-Saint-Thomas, dont elle était le centre, se signala par son royalisme pendant toutes les journées révolutionnaires; c'est elle qui défendit le trône au 10 août et les girondins au 31 mai, qui marcha contre Robespierre au 9 thermidor, qui tira la Convention des mains des faubourgs au 1er prairial, enfin qui fit le 13 vendémiaire.
Sous l'Empire, la rue Vivienne parvint à conquérir deux maisons de la rue Neuve-des-Petits-Champs, qui lui barraient l'entrée du Palais-Royal, et alors au moyen du triste et utile passage du Perron, elle vit le mouvement et le commerce, concentrés jusque-là dans le royal bazar, s'écouler chez elle. Sous la Restauration, elle perça l'emplacement du couvent des Filles-Saint-Thomas, sur lequel l'on élevait la Bourse, puis celui de l'hôtel Montmorency-Luxembourg, dans la rue Saint-Marc, et elle s'en alla atteindre les boulevards dans leur partie la plus brillante et la plus active. Naître au Palais-Royal, non loin du Théâtre-Français, toucher à la Bourse et au Vaudeville, finir aux boulevards, près des Variétés, de l'Opéra-Comique et de l'Opéra, c'est une destinée unique dans les fastes des rues de Paris. Aussi la rue Vivienne, cette rue étroite, bordée en partie de constructions mesquines, et qui ne prend d'air que par le nord, est-elle connue jusqu'aux deux pôles: c'est la rue de la mode, de la toilette, de l'élégance et du caprice féminins, la rue des chapeaux, des rubans, des parures et de tous ces riens que l'industrie parisienne sait transformer en trésors.
La place de la Bourse a été ouverte sur l'emplacement du couvent des Filles Saint-Thomas, lequel datait de 1652 et avait été fondé par une princesse de Longueville. On sait qu'il fut le quartier général de l'insurrection du 13 vendémiaire. A sa place s'élève le palais de la Bourse, commencé en 1808 sur les dessins de Brongniart, achevé en 1826, et qui a coûté plus de huit millions. C'est un monument plus imposant par sa masse que par son élégance, et dont l'utilité est fort problématique: nos neveux auront peut-être peine à comprendre que, pour un marché aux écus, aux actions, aux rentes, où se font des transactions, la plupart aléatoires, la plupart réprouvées par la morale et par la loi, d'où il est souvent sorti des inspirations, des combinaisons fatales à l'honneur et aux libertés du pays, nous ayons bâti pompeusement une sorte de Parthénon de soixante-dix mètres de long sur quarante de large, avec colonnades, frises, statues, marbres, peintures, etc. c'est un temple élevé au seul dieu qui nous reste, le veau d'or.
Le palais de la Bourse renferme le Tribunal de commerce, qui juge annuellement 35,000 affaires!
La place de la Bourse, vaste et magnifique, est bordée de belles constructions; on y remarque le théâtre du Vaudeville, dont la salle, construite en 1827, a été successivement occupée par les théâtres des Nouveautés et de l'Opéra-Comique.
III.
La rue Richelieu.
C'est au Palais-Cardinal que cette rue doit sa naissance et sa fortune. Quand Richelieu eut fait démolir, pour construire son palais, le mur de Paris jusqu'à la rue du Rempart, il fit transporter la porte Saint-Honoré de cet endroit à la hauteur de la rue de la Concorde; alors, sur l'emplacement de la porte détruite, fut commencée une rue nouvelle, qui s'en alla d'abord jusqu'à la rue Feydeau, où fut placée une nouvelle porte, et, un siècle après, jusqu'au rempart construit par Louis XIII (boulevard des Italiens). Nous avons dit ailleurs que Molière est mort rue Richelieu. Regnard avait une maison au bout de cette rue, près du rempart, dans une partie de la ville encore déserte: fils d'un riche traitant, homme de plaisir autant qu'homme de lettres, il avait deviné les lieux que préfèrent aujourd'hui la finance et la mode. Voici la description qu'il en a faite:
Au bout de cette rue où le grand cardinal....
................
S'élève une maison modeste, retirée,
Dont le chagrin surtout ne connaît point l'entrée.
L'œil voit d'abord ce mont dont les antres profonds
Fournissent à Paris l'honneur de ses plafonds,
Où de trente moulins les ailes étendues
M'apprennent chaque jour quel vent chasse les nues.
Le jardin est étroit, mais les yeux, satisfaits,
S'y promènent au loin sur de vastes marais.
C'est là qu'en mille endroits laissant errer ma vue,
Je vois naître à loisir l'oseille et la laitue, etc.
Les financiers marchaient déjà, à cette époque, de pair avec les princes: aussi la table exquise, les vins choisis de Regnard attiraient-ils chez lui, au moins autant que son esprit, les personnes les plus distinguées par leur rang et leur goût, le duc d'Enghien, le prince de Conti, le président Lamoignon. L'aspect de ces lieux a bien changé, et l'on chercherait vainement la trace de la petite maison de Regnard au milieu de ces hautes maisons où pullulent les compagnies financières et les tailleurs, de ces restaurants, de ces cafés, de ces hôtels garnis, de ces boutiques pleines d'élégance et de luxe, de ce pavé sillonné sans cesse par des milliers de voitures, enfin de toute cette rue aussi riche que populeuse, qui est, comme la rue Vivienne, un centre d'affaires et de plaisirs.
La rue Richelieu, pendant la révolution, fut appelée rue de la Loi; une de ses maisons, l'hôtel Talaru (nº 60) devint une prison, la moins rigoureuse de toutes celles de cette époque, et où le maître de l'hôtel, avec plusieurs autres nobles, fut enfermé. Elle joua un rôle assez important pendant cette époque, et c'est par elle que les bataillons du 13 vendémiaire marchèrent à l'attaque de la Convention. Après leur défaite, les derniers boulets qu'ils lancèrent sur les vainqueurs endommagèrent les colonnes du Théâtre-Français, qui en portent encore les traces. Sous l'Empire et la Restauration, elle devint pour ainsi dite la rue des théâtres, à cause du Théâtre-Français et de l'Opéra, qu'elle possédait, des salles Feydeau et Favart, qui étaient sur ses côtés. Elle avait encore un établissement d'un autre genre et qui a augmenté sa célébrité: c'est la maison de jeu Frascati, ancien hôtel Lecoulteux, qui fut dans toute sa vogue sous le Directoire et sous l'Empire; ses jardins s'étendaient jusqu'aux boulevards et à la rue Neuve-Vivienne.
Les édifices publics que renferme la rue Richelieu sont:
1º Le Théâtre-Français, dont nous avons parlé tout à l'heure et dont nous résumons ici les pérégrinations à partir de Molière: à l'hôtel du Petit-Bourbon, de 1658 à 1660; au Palais-Royal, de 1660 à 1673; dans la rue Mazarine, de 1673 à 1688; dans la rue des Fossés-Saint-Germain, de 1688 à 1770; aux Tuileries, de 1770 à 1782; dans la salle de l'Odéon, de 1782 à 1799; dans la salle actuelle à dater de cette dernière époque.
2º La fontaine Molière, élevée en 1844 en face de la maison où notre grand comique est mort, le 17 février 1673, à l'âge de 51 ans. On l'enterra la nuit, sans cérémonie, dans le cimetière Saint-Joseph, le peuple menaçant de brûler la maison si l'on faisait des obsèques à ce comédien qu'il ne connaissait pas. Cette fontaine est un joli monument dû aux dessins de Visconti et qui est décoré de la statue en bronze de Molière.
3º La Bibliothèque impériale.--Commencée par Charles V et composée alors de 910 volumes, qui furent placés dans la tour du Louvre, elle fut dispersée sous Charles VI et réduite sous Charles VII à 850 volumes; refaite sous Louis XI et composée alors de 1890 volumes, elle fut transportée par Louis XII à Blois, et à Fontainebleau par François Ier, qui l'enrichit de manuscrits grecs et orientaux. Elle revint à Paris sous Henri IV, après s'être augmentée de la bibliothèque de Catherine de Médicis, et fut placée d'abord au collége de Clermont puis au couvent des Cordeliers. Sous Louis XIII, on la transféra rue de la Harpe, au-dessus de l'église Saint-Côme; et alors fut rendue l'ordonnance qui obligeait les libraires à déposer deux exemplaires des ouvrages publiés par eux à la bibliothèque du roi: elle contenait alors 11,000 imprimés et 6,000 manuscrits. Sous Louis XIV, elle fut placée par Colbert dans les maisons voisines de son hôtel de la rue Vivienne, rendue publique et augmentée des bibliothèques de Dupuy, de Gaignères, de Baluze, de Loménie de Brienne, du comte de Béthune, de Dufresne, de Fouquet, de nombreux manuscrits orientaux, d'estampes, de médailles, d'antiquités; à la mort du grand ministre, elle comptait 70,000 volumes. En 1721, le régent la transporta dans son local actuel, qui faisait partie, ainsi que nous venons de le dire, du grand palais Mazarin. En 1770, elle était riche de 200,000 volumes; en 1792, après la suppression des bibliothèques des couvents, de plus de 600,000; aujourd'hui, le total de ses richesses est inconnu et s'élève peut-être à un million de livres imprimés, à 80,000 manuscrits, à 1,500,000 estampes, à 100,000 médailles, outre une multitude d'antiquités et d'objets précieux provenant des trésors de Saint-Denis, de Sainte-Geneviève, de Saint-Germain-des-Prés, etc. C'est l'établissement de ce genre le plus complet qui soit au monde; mais il a été, jusqu'à ces dernières années, administré de telle sorte, que le catalogue complet des ouvrages qu'il possède est à peine entamé, que les caves et greniers sont encombrés de livres jetés pêle-mêle, que les recherches sérieuses y sont à peu près impossibles, les livres précieux étant inconnus aux employés, qui ne savent où ils sont, et les manuscrits étant peu ou point communiqués; la partie des estampes est seule mise dans un ordre régulier; quant aux médailles, on en a laissé voler la moitié en 1831.
4° La fontaine Richelieu.--A la place qu'elle occupe était jadis l'hôtel Louvois, dont la rue voisine prit le nom. En 1793, mademoiselle de Montansier y fit construire un théâtre, appelé d'abord de la Nation et des Arts, et qui fut occupé par l'Opéra depuis 1794 jusqu'en 1820. C'est là qu'a brillé cet essaim de zéphirs et de nymphes qu'on appelait Grassari, Albert, Branchu, Vestris, Gardel, Montessu, Bigottini; pieds légers, voix harmonieuses, charmes, sourires, hélas! évanouis. C'est en allant à ce théâtre que le premier consul faillit périr par la machine infernale; c'est en sortant de ce théâtre que le duc de Berry fut assassiné le 13 février 1820, à la porte de la rue Rameau: il y mourut le lendemain. En expiation de ce crime, l'Opéra fut transporté dans la salle provisoire qu'il occupe aujourd'hui; on démolit l'édifice, et sur son emplacement l'on construisit une chapelle expiatoire. Mais, en 1830, cette chapelle fut détruite avant d'avoir été achevée, et à sa place l'on fit une promenade qui est ornée d'une charmante fontaine élevée sur les dessins de Visconti. L'un des côtés de cette promenade est occupé par la rue Louvois, où se trouvait en 1792 (nº 6) le théâtre des Amis de la Patrie; il fut fermé plusieurs fois, rouvert en 1801 sous la direction de Picard, et occupé par le Théâtre-Italien en 1808; c'est aujourd'hui une maison particulière.
La rue Richelieu aboutit au boulevard des Italiens. Ce boulevard est, comme la rue que nous venons de décrire, le centre du Paris moderne, du Paris de l'élégance, du luxe et de la richesse; c'est aussi la base du quartier de la Chaussée-d'Antin. Son nom lui vient d'un théâtre qui a ses derrières sur le boulevard: ce théâtre fut construit en 1783, sur l'emplacement de l'hôtel Choiseul, pour les acteurs dits de la Comédie-Italienne, lesquels avaient été adjoints depuis 1762 à ceux de l'Opéra-Comique; ils devaient y représenter «des comédies françaises, des opéras bouffons, des pièces de chant, soit à vaudevilles, soit à ariettes et parodies.» Ces acteurs y jouèrent jusqu'en 1797; alors l'Opéra-Comique s'installa dans la salle Feydeau et y resta jusqu'en 1826, où il alla dans la salle Ventadour, rue Neuve-des-Petits-Champs; il quitta ce séjour en 1832 pour s'installer dans la salle de la place de la Bourse, où il resta jusqu'en 1840, et enfin il est retourné dans son ancien théâtre, qui, depuis son départ, avait été occupé avec le plus brillant succès par l'Opéra-Italien.
Les rues qui entourent ce théâtre portent des noms chers à l'Opéra-Comique: ceux de Marivaux, Favart, Grétry. Au nº 1 de la rue Grétry a demeuré Brissot; au nº 4 de la rue Favart a demeuré Collot-d'Herbois, et c'est là qu'il faillit être assassiné par Ladmiral.
Parmi les rues qui aboutissent rue Richelieu, nous remarquons:
1º Rue Neuve-Saint-Augustin, ouverte en 1650, et qui se terminait alors à la rue de Gaillon; elle renfermait de grands hôtels, dont les jardins se prolongeaient jusqu'au boulevard des Italiens: hôtel de Grammont, détruit en 1726 pour ouvrir la rue de même nom; hôtel de Gesvres, habité par une famille qui a donné à Paris presque tous ses gouverneurs; hôtel Desmarets, où est mort le fameux contrôleur général; hôtel de Lorges, bâti par le fermier général Frémont et vendu par le maréchal de Lorges à la princesse de Conti, fille de la Vallière: sur son emplacement a été ouverte la rue La Michodière; enfin l'hôtel d'Antin ou de Richelieu. Ce dernier avait été bâti en 1707 par le financier Lacour-Deschiens; il fut acheté en 1713 par le duc d'Antin, fils de madame de Montespan, et devint en 1737 la propriété du duc de Richelieu, si renommé par sa dépravation, ses basses complaisances pour Louis XV et les éloges de Voltaire. Ce seigneur y fit faire de grands embellissements et construire, avec le produit de ses pillages dans le Hanovre, un pavillon qui existe encore sur le boulevard, au coin de la rue Louis-le-Grand; il y mourut en 1788, âgé de 92 ans. Cet hôtel, où, pendant la révolution, on donna des fêtes publiques, fut vendu sous le Directoire; sur l'emplacement des jardins on ouvrit les rues de Hanovre et de Port-Mahon, qui rappellent les campagnes du duc de Richelieu; la maison devint la propriété d'une compagnie financière et a été récemment détruite pour prolonger la rue d'Antin.
Dans la rue Neuve-Saint-Augustin a demeuré et est mort en 1692 Tallemant des Réaux, l'auteur des historiettes sur les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Au nº 55 est mort en 1824 Girodet.
2º Rue Ménars, ouverte sur l'emplacement de l'hôtel du président de Ménars. Dans cette rue a demeuré Anacharsis Clootz, «l'orateur du genre humain, l'ennemi personnel de Jésus-Christ, qui, en s'en allant à l'échafaud, mourait de peur que ses complices ne crussent en Dieu, et leur prêcha le matérialisme jusqu'au dernier soupir [56].»
3º Rue Feydeau.--Dans cette rue, qui tire son nom d'une famille de magistrats, était un théâtre construit en 1791 pour une troupe de chanteurs italiens, auxquels succédèrent en 1797 les acteurs de l'Opéra-Comique. Ceux-ci y attirèrent la foule sous l'Empire et la Restauration jusqu'en 1826, où la salle fut détruite pour ouvrir une partie de la rue et de la place de la Bourse.
IV.
La Butte Saint-Roch, les rues Sainte-Anne et de Grammont.
La butte des Moulins ou Saint-Roch, formée par des dépôts d'immondices, était jadis couverte de moulins et servait de marché aux pourceaux; c'était aussi là qu'on bouillait les faux monnayeurs. Elle a joué un grand rôle dans les siéges de Paris, car de là on dominait la porte Saint-Honoré et l'on pouvait observer le Louvre. C'est par là que Jeanne d'Arc attaqua la ville: «Vint le roy Charles VII, dit une chronique, aux champs vers la porte Saint-Honoré, sur une manière de butte ou montagne qu'on nommoit le Marché aux pourceaux, et y fit dresser plusieurs canons et couleuvrines. Jehanne la Pucelle dit qu'elle vouloit assaillir la ville;... avec une lance elle sonda l'eau; quoi faisant elle eut, d'un trait d'arbalète, les deux cuisses percées.» On commença à bâtir sur cette butte sous Charles IX, mais les travaux furent interrompus pendant les guerres civiles. Ils furent repris sous Louis XIII: on abaissa la butte de moitié et l'on traça douze rues; mais les moulins subsistèrent jusqu'à la fin du XVIIe siècle, et, sous la Régence, il y avait encore de grands espaces vides. On sait quel rôle a joué la butte Saint-Roch au 13 vendémiaire.
La rue Sainte-Anne était autrefois une ruelle infecte de la butte des Moulins et qu'on appelait la rue au Sang ou de la Basse-Voirie: elle fut bâtie en 1633 et prit le nom de la reine Anne d'Autriche. La portion comprise entre les rues Neuve-des-Petits-Champs et Neuve-Saint-Augustin s'est appelée pendant quelque temps de Lionne, à cause de l'hôtel de ce grand ministre, dont nous avons déjà parlé. En 1792, on lui donna le nom d'Helvétius, cet écrivain étant né dans cette rue en 1715, et elle garda ce nom jusqu'en 1814. Au coin de la rue des Petits-Champs était un hôtel bâti par Lulli et qui porte encore les attributs de la musique; il fut habité par madame Dubarry pendant la révolution, et c'est là qu'elle fut arrêtée pour être conduite à l'échafaud. Au n° 63 était la communauté des Nouvelles-Catholiques, fondée en 1672 dans une maison qui avait été donnée par Turenne. La rue Sainte-Anne se prolonge jusqu'au boulevard des Italiens sous le nom de rue de Grammont, laquelle date de 1726.
V.
La place Vendôme et la rue de la Paix.
La place Vendôme occupe l'emplacement de l'hôtel Vendôme et du couvent des Capucines. L'hôtel Vendôme avait été construit en 1562 par le duc de Retz; Charles IX vint quelquefois y séjourner; il passa en 1603 à la duchesse de Mercœur et ensuite au duc de Vendôme, bâtard de Henri IV. Il avait près de dix-huit arpents d'étendue et occupait une grande partie des terrains compris entre la butte des Moulins et les rues Saint-Honoré et des Petits-Champs. C'est près du mur de cet hôtel, dans cette dernière rue, qu'eut lieu, en 1652, le duel entre les ducs de Beaufort et de Nemours, où celui-ci fut tué. En 1604, la veuve de Henri III et la duchesse de Mercœur firent construire, sur la partie de cet hôtel voisine de la rue Saint-Honoré, un couvent de Capucines, qui occupait la moitié de la place actuelle. En 1686, Louvois fit acheter et démolir l'hôtel Vendôme, ainsi que le couvent des Capucines, et sur leurs terrains on commença de bâtir, d'après les dessins de Hardouin Mansard, une place à la gloire de Louis XIV. Les monuments magnifiquement uniformes qui devaient décorer cette place étaient destinés à loger les académies, la bibliothèque du roi, etc. De plus, à la hauteur de la rue Neuve-des-Petits-Champs et de la rue Neuve-des-Capucines (celle-ci ne fut ouverte qu'en 1700), on construisit pour les Capucines un nouveau couvent, dont l'église fut placée au point de vue et dans l'axe de la place, c'est-à-dire sur l'emplacement actuel de la rue de la Paix, entre les anciens bâtiments du timbre et de la caserne des pompiers, qui sont des débris de ce couvent. Les constructions de la place Louis-le-Grand se trouvèrent suspendues en 1691, à la mort de Louvois, et elles furent vendues à la ville de Paris à la charge de les achever: mais elles ne furent terminées qu'en 1720 par les soins de Law et des autres financiers de l'époque, qui s'y firent bâtir de belles habitations. La place avait été, en 1699, décorée d'une statue en bronze du grand roi, fondue par Keller d'après Girardon, haute, avec son piédestal, de cinquante-deux pieds, et qui fut inaugurée avec des cérémonies si pompeuses que Louis XIV en fut mécontent. Cette place a été pendant près d'un siècle le théâtre d'une foire, dite de Saint-Ovide, à cause des reliques d'un saint que possédait l'église des Capucines. Elle a été aussi, pendant quelques mois, le rendez-vous des agioteurs de la banque de Law, après qu'ils eurent été expulsés de la rue Quincampoix. Le 20 juin 1792, le directoire du département de Paris, pour célébrer l'anniversaire du serment du jeu de paume, y fit brûler six cents volumes in-folio des titres de noblesse et des archives de l'ordre du Saint-Esprit, «en présence, dit le procès-verbal, du peuple debout et de Louis XIV à cheval.» Le 11 août suivant, la statue du grand roi fut renversée, et la place prit le nom des Piques. Le 24 janvier 1793, on y célébra les funérailles de Lepelletier de Saint-Fargeau, dont le lit de mort fut placé sur le piédestal de la statue détruite. Le 19 février 1796, on y brisa et brûla solennellement tous les instruments qui avaient servi à la fabrication des assignats. En 1806, on éleva, en mémoire de la campagne que termina le coup de tonnerre d'Austerlitz, une colonne en bronze, œuvre de Lepère et Gondoin, que surmontait une statue de Napoléon costumé en empereur romain, et qui avait été fondue par Lemot, sur les dessins de Chaudet. Cette colonne a soixante et onze mètres de hauteur et se trouve entourée d'un ruban en bas-relief qui représente la campagne de 1805, d'après les dessins de Bergeret. Elle a coûté 1 million 200,000 francs, non compris le bronze, qui fut fourni par les vaincus. C'est un des monuments les plus populaires de Paris, et il produit un effet magique par la belle place où il est situé et la belle rue qui y conduit. Le 6 avril 1814, les royalistes voulurent célébrer l'entrée des étrangers à Paris en renversant la statue de Napoléon: ils y attachèrent des cordes, et, à l'aide de chevaux, essayèrent de la renverser; leurs efforts ayant été inutiles, ils contraignirent les artistes qui l'avaient faite à la détacher de son glorieux piédestal, et elle rentra dans l'atelier du fondeur. A sa place l'on mit un drapeau blanc, auquel on a substitué en 1833 une nouvelle statue de Napoléon portant son costume populaire.
Sur la place Vendôme se trouvent: au n° 7, l'état-major de la place de Paris; au n° 9, l'état-major de la première division militaire; aux n° 11 et 13, le ministère de la justice, occupé jadis par le chancelier de France; en 1793, c'était le siége de l'administration civile, police et tribunaux, et sous le Consulat l'hôtel du préfet de Paris. Cet hôtel avait été bâti par les financiers Bourvalais et Villemarec, et il fut confisqué sur eux dans la taxe des traitants, au commencement de la Régence. «On a pris la maison de Bourvalais, dit Dangeau, en 1717, pour en faire la maison des chanceliers.»
La rue de la Paix a été ouverte sur l'emplacement du vaste couvent des Capucines. Ces religieuses, appelées aussi Filles de la Passion, se livraient aux plus grandes austérités; elles ne vivaient que d'aumônes, n'usaient jamais de viandes, marchaient pieds nus et allaient aux processions en portant une couronne d'épines sur la tête. C'était dans l'église de ces innocentes et sévères recluses que madame de Pompadour avait fait construire le tombeau où elle fut inhumée en 1764. On y trouvait aussi, dans des chapelles magnifiques, ceux de la veuve de Henri III, de la duchesse de Mercœur, du maréchal de Créqui, du ministre Louvois et de son fils Barbezieux, etc. En 1790, les bâtiments du couvent furent consacrés à la fabrication des assignats; l'église fut odieusement transformée en un théâtre de fantasmagorie; enfin, les jardins, qui s'étendaient jusqu'au boulevard des Capucines, devinrent une promenade publique avec danseurs de corde, un panorama et un cirque, où, en 1802, les Franconi commencèrent leur fortune. En 1806, Napoléon mit fin à ces dégradations en faisant ouvrir la rue magnifique qui a porté son nom jusqu'en 1814, et qui, depuis cette époque, s'appelle rue de la Paix.
La rue de la Paix aboutit au boulevard des Capucines. Ce boulevard, qui est, comme celui des Italiens, la base de la Chaussée-d'Antin, est moins fréquenté et moins commerçant, malgré ses belles maisons et ses riches habitants. Le côté du midi, n'étant pas de plain-pied avec la chaussée, s'appelle rue Basse-du-Rempart: au n° 6 est morte l'actrice Raucourt en 1815; au n° 40 a demeuré Hérault de Séchelles, avocat général au Parlement de Paris, président de la Convention au 31 mai, qui périt sur l'échafaud avec Danton; dans le passage Sandrié a logé, en 1841, Manuel Godoï, prince de la Paix, tombé alors dans l'indigence; au n° 68 demeurait, dans une maison qui a été démolie en 1843, la Duthé, maîtresse du comte d'Artois et courtisée par la foule des talons rouges et des financiers de l'époque; enfin, au coin de la rue Caumartin, dans une maison qui porte encore sur sa face les attributs de l'Opéra, a demeuré la danseuse Guimard avant d'aller occuper dans la Chaussée-d'Antin un hôtel dont nous parlerons.
On trouvait encore, il y a quelques années, au coin du boulevard et de la rue des Capucines, le ministère des affaires étrangères. L'hôtel qu'il occupait était l'ancien hôtel Bertin, qui fut embelli par le fermier général Reuilly et connu sous le nom d'hôtel de la Colonnade. Il fut habité sous l'Empire par Berthier et prit le nom d'hôtel de Wagram; il devint en 1816 le ministère des affaires étrangères et a vu passer bien des hommes d'État remarquables, bien des ministres éminents: est-ce leur faute ou celle de l'époque si, des actes diplomatiques qui sont sortis de cet hôtel, l'histoire en enregistrera un si petit nombre qui aient réellement servi à la gloire de la France? C'est devant cet hôtel que, le 23 février 1848, a éclaté la catastrophe qui renversa la monarchie constitutionnelle et amena la République. Cet hôtel est aujourd'hui détruit et remplacé par de belles maisons particulières.
L'hôtel qui attenait au ministère des affaires étrangères, et qui occupait le n° 16 de la rue des Capucines, était l'ancien hôtel des lieutenants généraux de police. Il devint en 1790 l'hôtel du maire de Paris et fut habité par Bailly, Pétion, Pache, etc.; en 1795, après le 13 vendémiaire, on y logea le général en chef de l'armée de l'intérieur, Bonaparte; enfin il devint l'hôtel des archives des affaires étrangères. Il est aujourd'hui détruit.
VI.
La rue Royale et l'église de la Madeleine.
La rue Royale a été ouverte en 1757 sur l'emplacement des anciens remparts et de l'ancienne porte Saint-Honoré, et, comme elle a été construite en même temps que la place de la Concorde (place Louis XV), elle participe à son ordonnance. Au nº 6, est morte à cinquante-deux ans, en 1817, une femme dont la renommée a excité la jalousie de Napoléon, Mme de Staël; au nº 13 est mort en 1817 un homme qui a régenté la littérature sous l'Empire, Suard.
Cette rue aboutit au boulevard de la Madeleine, qui a la même physionomie que le boulevard des Capucines et à l'extrémité duquel se trouve l'église de même nom. Cette église fut projetée en même temps que la place Louis XV, mais ne fut commencée qu'en 1764, sur un plan gigantesque dû à Constant d'Ivry. La révolution arriva quand les colonnes étaient à peine sorties de terre, et elles restèrent dans cet état jusqu'en 1806, où Napoléon ordonna de faire de l'église projetée un temple de la Gloire, dédié aux soldats de la grande armée; monument aussi froid qu'inutile, où, à certains jours, on aurait récréé nos braves avec le chant d'un hymne et la lecture d'un discours. Les constructions recommencèrent, d'après les plans de Vignon; mais les colonnes étaient seules élevées quand la Restauration arriva et rendit le monument au culte catholique. Cependant les travaux marchèrent lentement; 1830 survint, et la Madeleine fut menacée d'une métamorphose nouvelle, mais elle en fut quitte pour la peur de redevenir le temple d'une idéalité; achevée comme église sous la direction de Huvé, elle fut inaugurée en 1842. La Madeleine est la plus belle imitation de l'art antique qui ait été faite dans les temps modernes. Sa masse est imposante, sa façade grandiose, son fronton, dû au ciseau de Lemaire, plein de dignité, sa colonnade remplie de charme et de grandeur; mais c'est un monument qui n'est approprié ni à notre culte, ni à nos mœurs, ni à notre siècle: c'est toujours le Parthénon avec l'éternel fronton triangulaire, la masse carrée, la quadruple colonnade; et tout cela demande pour être beau, un air limpide, un ciel bleu, un soleil éclatant, du jour à pleins flots. Quant à l'intérieur, c'est une décoration d'Opéra attrayante et pompeuse, mais nullement chrétienne; la religion de nos pères est mal à l'aise au milieu de ces dorures, de ces velours, de ces peintures, qui font un si étrange contraste avec ses graves mystères et ses austères splendeurs, et elle céderait tous les colifichets païens que l'art moderne y a entassés pour un pauvre clocher de village que nos Pierre de Montreuil n'ont pas songé à lui donner.
CHAPITRE IX.
LE QUARTIER DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN.
Auprès de l'hôtel d'Antin ou de Richelieu, que nous venons de décrire, se trouvait sur le boulevard une porte de la ville appelée du nom de ce quartier porte Gaillon. A la place de cette porte, c'est-à-dire en face de la rue actuelle de Louis-le-Grand, s'ouvre une belle rue qui est l'artère principale du quartier de la Chaussée-d'Antin. Cette rue, dite de la Chaussée-d'Antin, se prolonge par la rue de Clichy jusqu'au mur d'enceinte, et elle est coupée à angle droit par la rue Saint-Lazare. En décrivant la croix formée par les rues de la Chaussée-d'Antin et Saint-Lazare avec celles qui débouchent dans ces deux rues, nous aurons décrit tout le vaste quartier qui s'interpose entre le faubourg Montmartre et le faubourg Saint-Honoré. Ce quartier sorti de terre depuis soixante ans, doit son origine, non, comme les quartiers du vieux Paris, à quelque saint patron, à quelque autel révéré, mais aux petites maisons des grands seigneurs, aux hôtels bâtis par eux pour des filles de théâtre, aux vastes jardins plantés par des turcarets et des maltôtiers. Il s'agrandit sans cesse; les larges rues, les belles maisons s'y ouvrent, s'y élèvent comme par enchantement; il est devenu le séjour du beau monde, de la mode, de la finance, du plaisir; enfin il menace d'envoyer Paris, par les Batignolles, joindre la Seine entre Neuilly et Clichy.
§ Ier.
Les rues de la Chaussée-d'Antin et de Clichy.
Il y a quatre-vingts ans à peine que tout l'espace compris entre la Ville-l'Évêque et le faubourg Montmartre était occupé par des champs cultivés, plantés d'arbres fruitiers, bordés de haies vives, ayant à peine quelques maisons parmi lesquelles la ferme des Mathurins (rue de la Ferme), la ferme de l'Hôtel-Dieu (rue Saint-Lazare, en face de la rue de Clichy), la tour des Dames, moulin appartenant aux religieuses de Montmartre, la ferme Chantrelle (rue Chantereine), la Grange-Batelière, etc. Cet espace était traversé par un chemin (rue Saint-Lazare), bordé de cabarets, de maisons rustiques, de jardins, lesquels formaient le hameau des Porcherons. Il tirait son nom d'un château dit aussi château du Coq, situé rue Saint-Lazare, près de la ferme de l'Hôtel-Dieu, et qui avait été bâti par Jean Bureau, grand maître de l'artillerie sous Charles VII. On en voyait encore, il y a quelques jours à peine, quelques restes et une porte ornée de sculptures au nº 99. La rue de Clichy s'appelait, à cause de ce château, le chemin du Coq. On allait aux Porcherons par un chemin tortueux et bordé d'un égout découvert, lequel partait du boulevard et portait plusieurs noms: chaussée des Porcherons, chaussée de la ferme de l'Hôtel-Dieu, chaussée de la Porte-Gaillon, chemin de la Grande-Pinte, enfin chaussée d'Antin, à cause de l'hôtel d'Antin ou Richelieu. Ce dernier nom lui est resté, et il a été donné à tout le quartier, quand les Porcherons sont devenus le chef-lieu de la richesse, du luxe et des arts. En 1720, le chemin fut redressé, nivelé, et son égout fut couvert; en 1760, on commença à y bâtir de beaux hôtels; en 1790, la rue de la Chaussée-d'Antin prit le nom de Mirabeau, ce grand orateur étant mort dans cette rue, au nº 42: on y grava, sur une plaque de marbre noir, ces vers de Chénier:
L'âme de Mirabeau s'exhala dans ces lieux.
Hommes libres, pleurez! tyrans, baissez les yeux!
Quand la trahison de Mirabeau eut été dévoilée, la rue perdit son nom et prit celui du premier département conquis par la République, le Mont-Blanc. En 1814, les émigrés crurent retrouver les jours de leur jeunesse en rendant au chemin des Porcherons son ancien nom. Il faut louer 1830 et 1848 de ne pas lui en avoir donné d'autre, car la rue qui est aujourd'hui presque exclusivement occupée par des hommes d'argent et des faiseurs d'affaires, n'a pas manqué d'hôtes illustres pour la baptiser. Ainsi, Grimm a demeuré au nº 3, Necker a habité le nº 7, qui devint ensuite l'hôtel de Mme Récamier; c'est là que cette femme célèbre attira toutes les illustrations du temps du Directoire et du Consulat, et fut l'objet des adulations, des adorations les plus étranges. Cet hôtel fut vendu sous l'Empire, et, après avoir eu de nombreux propriétaires, il devint en 1830 le séjour de l'ambassade de Belgique. Au nº 9 était l'hôtel de la danseuse Guimard, bâti avec l'argent du prince de Soubise, et qu'on appelait le temple de Terpsichore. Il y avait dans cet hôtel une salle de spectacle, pour laquelle Collé et Carmontel firent des pièces grivoises, qui avait pour acteurs la danseuse et des grands seigneurs, pour spectateurs des courtisans, des abbés de cour, etc. Cette maison, qui fut le théâtre de fêtes licencieuses, d'orgies dignes de l'antiquité, de plaisirs qui furent si promptement, si cruellement expiés, fut vendue en 1786 et devint en 1796 la propriété du banquier Perregaux: elle a été démolie dernièrement et remplacée par un immense magasin de nouveautés. Au nº 36 est mort, en 1821, Fontanes, ce grand maître de l'Université qui a tant adulé la fortune impériale. Joséphine Beauharnais, avant son mariage avec Bonaparte, demeurait au nº 62, dans la maison habitée ensuite par le général Foy et où ce grand orateur est mort en 1825. A la place de la cité d'Antin était l'hôtel de Mme Montesson, épouse de Philippe IV, duc d'Orléans, et dans lequel elle mourut en 1806; il communiquait avec un autre hôtel situé rue de Provence, où demeurait ce prince, et dans lequel était une salle de spectacle où il jouait la comédie. L'hôtel Montesson appartint ensuite au banquier Ouvrard, au receveur général Pierlot, etc. C'est là qu'en 1810 était l'ambassade d'Autriche et que fut donné le bal où périt la princesse Schwartzemberg avec une foule d'autres personnes. Enfin, la maison qui fait le coin oriental de la rue Saint-Lazare était l'hôtel du cardinal Fesch.
La rue de Clichy était encore, au milieu du XVIIIe siècle, un chemin qui conduisait des Porcherons à Clichy. Quelques petites maisons y furent bâties alors par les grands seigneurs qui allaient faire débauche aux Porcherons; l'une d'elles appartenait au maréchal de Richelieu et a servi d'hôtel d'abord à madame Hamelin, ensuite à la duchesse de Vicence; on a ouvert sur son emplacement la rue Moncey. Une autre, construite avec un luxe royal par le financier La Bouxière, devint le jardin du Petit-Tivoli, détruit récemment et sur l'emplacement duquel ont été construites quatre rues nouvelles. La caserne qui est à l'entrée de cette rue servait de dépôt au régiment des gardes françaises, et elle avait ainsi pour voisin le cabaret de Ramponeau; c'est de là que ces soldats sortirent le 13 juillet 1789, brisant les grilles, renversant devant eux les dragons de Lambesc, et marchèrent au pas de charge sur la place Louis XV, où ils se mirent à l'avant-garde du peuple contre les troupes royales.
Aujourd'hui, la rue de Clichy n'a rien de remarquable que la prison pour dettes et une église nouvelle dédiée à la Trinité. La barrière qui la termine devint célèbre en 1814 par le dévouement de la garde nationale, commandée par le maréchal Moncey. Elle conduit à une commune qui, par les mœurs de ses habitants et l'élégance un peu mensongère de ses maisons, prétend être la continuation ou le faubourg de la Chaussée-d'Antin: ce sont les Batignolles, qui n'avaient que trois à quatre maisons en 1814 et qui comptent aujourd'hui vingt-neuf mille habitants.
Près de la barrière de Clichy est le cimetière Montmartre ou du Nord, qui, malgré son voisinage des quartiers riches, ne contient qu'un petit nombre de tombes illustres.
De toutes les rues qui aboutissent rue de la Chaussée-d'Antin, nous ne remarquons que la rue de Provence, qui a été construite en 1776 sur le grand égout formé par l'ancien ruisseau de Ménilmontant. Elle présente à peu près le même caractère, le même aspect que la rue de la Chaussée-d'Antin, et communique par la rue Lepelletier à l'Opéra.
L'Opéra, dont le premier privilége date de 1669 [57], a d'abord été placé dans un jeu de paume de la rue Mazarine. Il fut transporté par Lulli, en 1673, au grand théâtre du Palais-Royal, dont nous avons parlé précédemment, et, après l'incendie de ce théâtre en 1781, dans la salle provisoire de la porte Saint-Martin; il y resta jusqu'en 1794, où il passa rue Richelieu, et, après la mort du duc de Berry, en 1820, il alla occuper la salle actuelle qui a été bâtie sur les jardins du président Pinon.
§ II.
La rue Saint-Lazare.
C'était autrefois, comme nous venons de le dire, la grande rue des Porcherons [58]. Quand les guinguettes de cette rue commencèrent à être moins fréquentées, les frères Ruggieri transformèrent en jardin public, sous le nom de Tivoli, une magnifique habitation construite par le financier Boutin et dont les jardins s'étendaient entre les rues de Clichy et Saint-Lazare jusqu'au mur d'enceinte; ils y donnèrent des spectacles d'illumination, et ce jardin devint à la mode pendant la révolution. Que de fêtes somptueuses, de jolies femmes, de plaisirs, de feux d'artifice y ont vus le Directoire, l'Empire et la Restauration! Tout cela n'est plus: fusées, danses, amours, tout s'est évanoui; frais ombrages, gazons fleuris, bosquets enchanteurs, tout a disparu devant le démon de la maçonnerie, et la vapeur règne à la place où les ballons, les montagnes russes, les concerts champêtres ont attiré la foule. Le grand Tivoli a été détruit en 1826.
La rue Saint-Lazare doit à l'Empire le commencement de son illustration; là étaient les hôtels du duc de Raguse, du général Ornano, de Ney, de Sébastiani, de madame Visconti, etc. Aujourd'hui, le débarcadère des chemins de fer de Rouen, de Saint-Germain, de Versailles lui a donné une nouvelle importance, qui ne peut que s'accroître dans l'avenir.
Des nombreuses rues qui débouchent dans la rue Saint-Lazare, et qui ont toutes la même physionomie, la même absence de souvenirs historiques, nous ne remarquons que la rue Laffitte, qui commence sur le boulevard des Italiens. Cette rue fut ouverte en 1770 sur des terrains vagues, appartenant au financier Laborde, et reçut le nom d'Artois; elle n'allait alors que jusqu'à la rue de Provence. Elle prit, pendant la révolution, le nom de Cérutti: c'était celui d'un ancien jésuite dont les ouvrages avaient subi les censures du Parlement, et qui fonda en 1789 un journal révolutionnaire où écrivirent Mirabeau et Talleyrand. Cérutti demeurait dans cette rue, nº 23, à l'hôtel Stainville, et, après avoir siégé à l'Assemblée législative, il y mourut. Dans le même hôtel a demeuré madame Tallien, et c'est là qu'elle recevait tous les hommes politiques de l'époque. La rue Cérutti devint, sous le Directoire et l'Empire, une rue à la mode, parce qu'elle conduisait au magnifique hôtel Thélusson, situé rue de Provence. Cet hôtel, ouvrage de Ledoux, qui le construisit pour madame Thélusson, veuve d'un banquier qui avait eu Necker pour commis, était une sorte de temple élevé sur des rochers garnis de fleurs et d'eaux jaillissantes, auquel on parvenait par un beau jardin et une grande arcade servant de porte; c'est là que furent donnés les premiers bals des victimes. Il appartint, sous l'Empire, à Murat; on le détruisit sous la Restauration pour prolonger la rue, qui avait repris son nom d'Artois, et pour ouvrir la vue de la façade étique de l'église Notre-Dame-de-Lorette. Après 1830, la rue a pris le nom de Laffitte, de l'hôtel de l'illustre financier qui y est situé. Cet hôtel appartenait autrefois au banquier Laborde, lequel possédait la plus grande partie des terrains de la Chaussée-d'Antin et qui a ouvert la plupart des rues de ce quartier. On sait que c'est là que se réunirent, en 1830, les députés au bruit de la fusillade de juillet, et que fut décidée la révolution qui transporta la couronne de la branche aînée à la branche cadette de Bourbon. La rue Laffitte renferme plusieurs hôtels appartenant à de riches banquiers, entre autres celui de M. de Rothschild. A son extrémité se trouve l'église de Notre-Dame-de-Lorette, qui a été construite de 1826 à 1836: c'est un édifice de mauvais goût, où l'on a entassé des tableaux sensuels, des statues païennes, des meubles de café, enfin toutes ces coquetteries d'un luxe profane qui déshonorent aujourd'hui, dans plus d'une église, les cérémonies catholiques.
CHAPITRE X.
RUE ET FAUBOURG SAINT-HONORÉ.
§ Ier.
La rue Saint-Honoré.
Cette rue, longue, sinueuse, profonde, a toujours été, à cause de son voisinage des Halles et du Palais-Royal, l'une des plus riches, des plus populeuses, des plus marchandes de la capitale. Elle s'est allongée successivement et parallèlement à la Seine, et a eu trois portes: la première, près de l'Oratoire, et qu'on a appelée longtemps, même après sa destruction, la barrière des Sergents; la deuxième, près de la rue du Rempart, et qui est célèbre par l'attaque de Jeanne d'Arc et par la prise de Paris sous Henri IV; la troisième, à l'entrée du faubourg, et qui n'était qu'un lourd pavillon construit en 1631, démoli en 1733. La rue Saint-Honoré doit son nom à une église fondée en 1204 et qui était située sur l'emplacement des passages Montesquieu: cette église était collégiale et ses canonicats étaient les plus riches de tout Paris; elle n'avait rien de remarquable que le tombeau, du cardinal Dubois, œuvre de Coustou le jeune, et elle a été détruite en 1792. C'est dans cette rue et les rues voisines qu'étaient jadis ces solides et riches maisons de commerce de draperie, de mercerie, de bonneterie, d'orfèvrerie d'où sont sorties, comme nous l'avons déjà remarqué pour la rue St-Denis, la haute bourgeoisie et la grande magistrature de la capitale. Les souvenirs historiques qu'elle rappelle sont nombreux. Saint-Mégrin, comme il sortait du Louvre, y fut assassiné, au coin de la rue de l'Oratoire, par les bravi du duc de Guise, «parce que le bruit couroit, dit l'Estoile, que ce mignon était l'amant de sa femme.» Elle fut le principal théâtre des barricades de 1648. Une émeute terrible y éclata en 1720, à l'occasion du système de Law. Au nº 372 était l'hôtel de madame Geoffrin, l'un de ces bureaux d'esprit du XVIIIe siècle, où grands seigneurs, écrivains, étrangers illustres se livraient à cette conversation instructive, légère, hardie, l'une des gloires de la France et de la capitale. C'est dans la rue Saint-Honoré que s'est tenu le club des Jacobins, dans un couvent dont nous parlerons tout à l'heure. Robespierre demeurait près de là, dans une maison qui a été détruite pour ouvrir la rue Duphot, maison qui appartenait au menuisier Duplay, juré au tribunal révolutionnaire, dont Robespierre était l'hôte et l'ami; c'était là aussi que demeurait Lebas, époux d'une des filles de Duplay. Dans la rue Saint-Honoré ont habité les girondins Lasource et Louvet, les montagnards Robespierre le jeune, Robert Lindet, Jean Debry, Soubrany, etc. C'est dans cette rue que s'est livré le principal combat du 13 vendémiaire.
Les édifices publics que renferme cette rue sont:
1º L'Oratoire.--La maison et l'église de l'Oratoire ont été construits sur l'emplacement de deux hôtels célèbres, l'hôtel de Bourbon, sis rue de l'Oratoire, l'hôtel du Bouchage, sis rue du Coq. L'hôtel de Bourbon avait été bâti par Robert de Clermont, fils de saint Louis, tige de la maison de Bourbon. L'hôtel du Bouchage, bâti ou reconstruit par le cardinal de Joyeuse, devint la demeure de Gabrielle d'Estrées, quand elle n'habitait pas les délicats déserts de Fontainebleau. C'est là, suivant Sauval, que Henri IV, en 1594, fut frappé d'un coup de couteau au visage par Jean Châtel. Cet hôtel fut vendu en 1616, par Catherine de Joyeuse, duchesse de Guise, au cardinal de Bérulle, pour y établir la congrégation des prêtres de l'Oratoire, destinée à former des ecclésiastiques pieux et savants. C'étaient des prêtres séculiers qui n'étaient liés que par une dépendance libre et volontaire, et dont Bossuet a dit: «C'est une congrégation à laquelle le fondateur n'a voulu donner d'autre esprit que l'esprit même de l'Église, d'autres règles que les saints canons, d'autres vœux que ceux du baptême et du sacerdoce, d'autres liens que ceux de la charité.» Cette congrégation, adversaire ferme et modérée de la compagnie de Jésus, a rendu les plus grands services à la religion et aux lettres: elle comptait quatre-vingts maisons en France, et de son sein sont sortis une foule d'hommes éminents, Mallebranche, Massillon, Mascaron, Terrasson, Charles Lecointe, Jacques Lelong, etc. Il faut leur ajouter quelques hommes de la révolution, entre autres Fouché, duc d'Otrante. L'église de l'Oratoire ne fut terminée qu'en 1745: on y voyait le mausolée du cardinal de Bérulle, œuvre magnifique de François Anguier. Cette institution si regrettable a été emportée par la révolution; les bâtiments, aujourd'hui détruits, ont longtemps renfermé les bureaux de la caisse d'amortissement et de la caisse des dépôts et consignations; l'église, après avoir servi à des assemblées politiques et littéraires jusqu'en 1802, est maintenant un temple protestant de la confession de Genève.
2º Le Palais-Royal, dont nous avons parlé.--En face de ce palais, la rue Saint-Honoré est interrompue par une place aujourd'hui complétement transformée et reconstruite. Elle avait été primitivement ouverte, par les ordres du cardinal de Richelieu, sur l'emplacement de l'hôtel Sillery, et elle fut achevée sous le régent. Alors on éleva sur cette place une fontaine, dite Château-d'Eau, dont les bâtiments renfermaient un corps de garde qui fut vigoureusement défendu le 24 février 1848 par les troupes royales. Sur cette même place, au coin de la rue Saint-Honoré, était le café de la Régence, qui date de 1695 et qui, dans le XVIIIe siècle, était le rendez-vous des écrivains, des artistes, des joueurs d'échecs; on sait qu'il était fréquenté par Rousseau, Diderot, etc. Cette place, à laquelle aboutissaient plusieurs rues qui ont disparu, est aujourd'hui ouverte au midi sur la rue de Rivoli.
3º L'église Saint-Roch, fondée en 1578 sur l'emplacement d'une antique chapelle de sainte Suzanne, dite de Gaillon, à cause du hameau où elle était située. Elle fut réédifiée en 1643, sur les dessins de Lemercier, et achevée en 1736. Son portail est l'œuvre très-médiocre de Jules Decotte. On trouve dans cette église, outre des tableaux précieux, le tombeau de Nicolas Mesnager, «cet homme, dit Piganiol, dont la mémoire doit être respectable à tous les bons Français;» celui de Lenôtre, par Coysevox; ceux du maréchal d'Asfeld et de Maupertuis, etc. On y a encore enterré le poète Regnier Desmarets, les sculpteurs François et Michel Anguier, madame Deshoulières, le grand Corneille. Enfin, l'on y a transporté les mausolées de Mignard, du comte d'Harcourt, du maréchal de Créqui, du cardinal Dubois, etc. Nous avons vu ailleurs que cette église a joué un rôle capital dans la bataille du 13 vendémiaire. Aujourd'hui, paroisse du deuxième arrondissement et fréquentée principalement par la population riche, elle est devenue en quelque sorte une église aristocratique et que recherche la mode. Elle est splendidement ornée; ses chapelles de la Vierge, dont la coupole a été peinte par Pierre, du Calvaire, décorée par Falconnet, de la Communion produisent un effet théâtral; enfin, c'est la première qui ait adopté pour les cérémonies du culte ces pompes mondaines, ces musiques brillantes, enfin tout ce luxe sans gravité que le clergé parisien a mis en usage et qui laisserait nos pères bien étonnés.
4º L'église de l'Assomption, qui appartenait à un couvent de femmes fondé en 1623 et dont les jardins et les bâtiments touchaient le jardin des Tuileries. Une partie de ces bâtiments sert aujourd'hui de caserne; sur l'emplacement des jardins on a prolongé la rue de Luxembourg; quant à l'église, bâtie en 1676, elle a été jusqu'à l'achèvement de la Madeleine, la paroisse du premier arrondissement, et aujourd'hui en est une annexe; elle est de forme circulaire et surmontée d'une coupole peinte par Lafosse.
La rue Saint-Honoré renfermait, avant la révolution, plusieurs autres édifices remarquables:
1º L'église Saint-Honoré, dont nous avons parlé.
2º L'hospice des Quinze-Vingts, qui occupait l'espace compris entre la place du Palais-Royal et la rue Saint-Nicaise. Il avait été fondé par saint Louis. «Li benoiez rois, dit le confesseur de la reine Marguerite, fist acheter une pièce de terre de lez Saint-Ennouré, où il fist faire une grante mansion parceque les poures avugles demorassent illecques perpetuelement jusques à trois cents; et ont tous les ans, de la borse du roi, pour potages et pour autres choses, rentes. En laquelle meson est une eglise que il fist fère en l'oneur de saint Remy pour ce que les dits avugles oient ilecques le service Dieu. Et plusieurs fois avint que li benoyez rois vint as jours de la feste saint Remy, où les dits avugles fesoient chanter solempnement l'office en l'eglise, les avugles presents entour le saint roy.» L'église occupait l'emplacement de la rue de Rohan. Dans l'intérieur de l'hospice se trouvait un enclos, un marché et de beaux bâtiments qui servaient de refuge aux ouvriers sans maîtrise. En 1780, le cardinal de Rohan, si tristement fameux par l'affaire du collier, avait sous sa dépendance l'hospice des Quinze-Vingts, en sa qualité de grand aumônier; il le transféra dans le faubourg Saint-Antoine et vendit les bâtiments et les terrains, pour une somme de six millions, à une compagnie financière qui ouvrit sur leur emplacement les rues de Chartres, de Valois, de Rohan, rues régulièrement bâties, mais petites et étroites, que l'on a récemment détruites pour achever le Louvre et la rue de Rivoli.
3º Le couvent des Jacobins ou Dominicains, fondé en 1611 et dont l'emplacement est occupé aujourd'hui par le marché Saint-Honoré. La bibliothèque de ce couvent était très-vaste et renfermait vingt mille volumes. L'église n'avait rien de remarquable que ses tableaux précieux et les mausolées du maréchal de Créqui et du peintre Mignard, œuvres de Coysevox et de Lemoine. On ne sait pourquoi elle était sous Louis XIV le rendez-vous des courtisans et des galants. «Là se trouve, dit Bussy-Rabutin, la fine fleur de la chevalerie.» C'est dans la bibliothèque et ensuite dans l'église de ce couvent que se tint le fameux club des Amis de la Constitution ou des Jacobins, qui dirigea la révolution et domina la France pendant plus de quatre ans, d'où sortirent les résolutions les plus énergiques, les plus sanglantes, où furent concertées les insurrections du 10 août et du 31 mai, qui reçut les inspirations de Robespierre, partagea sa puissance et tomba avec lui. Trois mois après sa mort, la salle des Jacobins, assiégée par la jeunesse dorée, fut envahie, dévastée et fermée. Un décret de la Convention (28 floréal an IV) ordonna la démolition de tout le couvent et la construction sur son emplacement d'un marché qui serait appelé du Neuf-Thermidor; mais cela ne fut exécuté qu'en 1810.
4º Le couvent des Feuillants, sur l'emplacement duquel a été ouverte la rue de Castiglione. Ces religieux, dont la règle était très-austère, furent appelés à Paris par Henri III en 1587. Leur église, dont le portail avait été bâti en 1676 par François Mansard et qui regardait la place Vendôme, renfermait, outre des peintures de Vouet, les sépultures des maréchaux de Marillac, d'Harcourt, d'Huxelles, de la famille Rostaing, etc. Leur enclos s'étendait jusqu'au Manége des Tuileries et à la terrasse qu'on appelle encore des Feuillants. On allait à ce Manége par un passage étroit qui séparait les Feuillants de leurs voisins les Capucins, et qui a été le témoin de scènes terribles pendant la révolution, puisque c'est par ce passage que la foule arrivait à la salle où siégèrent les Assemblées constituante et législative, ainsi que la Convention nationale. Après la journée du Champ-de-Mars, les constitutionnels s'étant divisés, ceux qui approuvaient la conduite de La Fayette et de Bailly formèrent dans ce couvent, en opposition au club des Jacobins, un club qui prit le nom de Feuillants, mais qui dura à peine quelques mois, et le nom de Feuillants devint un titre de proscription pendant la terreur. En 1793, on établit dans ce couvent l'administration de la fabrication des fusils, et la salle même où avaient siégé les assemblées nationales devint un dépôt d'armes. En 1796, la salle du Manége redevint le lieu des séances du conseil des Cinq-Cents; la maison des Feuillants continua à être un dépôt d'armes, et l'on mit dans le jardin un parc d'artillerie. En 1804, ce couvent à été détruit.
5º Le couvent des Capucins, fondé par Catherine de Médicis en 1576; il était situé entre les couvents des Feuillants et de l'Assomption et occupait l'emplacement des nº 351 à 369. C'était la plus considérable maison de Capucins qui fût en France; elle renfermait cent cinquante religieux. «Ces religieux, dit Jaillot, doivent la considération dont ils jouissent à la régularité avec laquelle ils remplissent les devoirs d'un état austère; ils s'adonnent principalement à l'étude des langues grecque et hébraïque.» Leur église était belle et possédait un Christ mourant de Lesueur; on y voyait le tombeau du cardinal-maréchal de Joyeuse, lequel était mort capucin dans ce couvent, et celui du père Joseph du Tremblay, le bras droit du cardinal de Richelieu. Les bâtiments ont servi pendant la révolution à loger les archives nationales. Sur l'emplacement des jardins qui touchaient le jardin des Tuileries, on a ouvert les rues de Rivoli, Mont-Thabor, etc.
6º Le couvent des Filles de la Conception, fondé en 1635, et sur l'emplacement duquel on a ouvert la rue Duphot.
Parmi les nombreuses rues qui débouchent ou débouchaient dans la rue Saint-Honoré, nous remarquons (outre celles que nous avons déjà décrites dans le quartier du Palais-Royal):
1º Rue des Bourdonnais.--Elle tire son nom d'une famille parisienne célèbre au XIIIe siècle. Au nº 11 était la maison des Carneaux, à l'enseigne de la Couronne d'or. C'était un hôtel qui appartenait au duc d'Orléans, frère du roi Jean, lequel le vendit à la famille de la Trémoille, et il devint la maison seigneuriale de cette famille. Reconstruit sous Louis XII, il fut habité par le chancelier Anne Dubourg et le président de Bellièvre. Cet hôtel était en 1652 le lieu d'assemblée des six corps de marchands, et c'est là que fut décidée la reddition de Paris à Louis XIV. Il a été récemment détruit; mais sa principale tourelle, chef-d'œuvre de bon goût et d'élégance, a été transportée au Palais des Beaux-Arts. La rue des Bourdonnais est, depuis plus de trois siècles, célèbre par ses marchands de drap.
L'impasse des Bourdonnais était autrefois une voirie dite marché aux pourceaux, place aux chats, fosse aux chiens, et où l'on suppliciait les faux monnayeurs et les hérétiques.
2º Rue de la Tonnellerie.--Ce n'était, au XIIe siècle, qu'un chemin habité par des Juifs, et où s'établirent, quand les Halles furent construites, des marchands de futailles. On la nommait aussi rue des Grands-Piliers. Sur la maison nº 3 se lit cette inscription: J. Baptiste Poquelin de Molière. Cette maison a été batie sur l'emplacement de celle ou il naquit en 1620. Cette inscription repose sur une erreur longtemps accréditée: il est aujourd'hui parfaitement démontré que Molière est né rue Saint-Honoré au coin de la rue des Vieilles-Étuves.
3º Rue du Roule.--C'est une des voies les plus fréquentées de Paris, à cause de son prolongement par la rue des Prouvaires, qui aboutit à l'église Saint-Eustache et aux Halles, et par la rue de la Monnaie, qui aboutit au Pont-Neuf. Cette dernière rue a pris son nom de l'hôtel des Monnaies, qui y fut établi depuis le XIIIe siècle jusqu'en 1771: sur son emplacement ont été ouvertes les rues Boucher et Étienne.
4º Rue de l'Arbre-Sec.--Elle doit son nom, comme la plupart des anciennes rues, à une enseigne. La fontaine qui existe au coin de la rue Saint-Honoré, bâtie sous François Ier, a été réédifiée en 1776 par Soufflot. Près d'elle existait autrefois la Croix du Trahoir, théâtre de nombreuses exécutions et de nombreuses émeutes. Le premier jour des barricades de 1648, il y eut là un furieux combat entre les bourgeois et les chevau-légers du maréchal de la Meilleraye, et dont celui-ci ne se tira que par l'assistance du cardinal de Retz. Le lendemain, quand le Parlement revint du Palais-Royal, où il n'avait pu obtenir la liberté de Broussel, il fut arrêté à la barricade de la Croix du Trahoir par une troupe furieuse que commandait un marchand de fer nommé Raguenet. «Un garçon rôtisseur, raconte le cardinal de Retz, mettant la hallebarde dans le ventre du premier président, lui dit: Tourne, traître, et si tu ne veux être massacré, toi et les tiens, ramène-nous Broussel ou le Mazarin en otage.» Mathieu Molé rallia les magistrats qui s'enfuyaient, retourna au Palais-Royal et obtint la liberté de Broussel.
La rue de l'Arbre-Sec est coupée par la rue des Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois, qui tire son nom des fossés creusés par les Normands autour de l'église Saint-Germain. Dans cette rue était dans le XIVe siècle l'hôtel des comtes de Ponthieu. C'est là que demeurait l'amiral de Coligny et qu'il fut assassiné [59]. Il devint ensuite l'hôtel de Montbazon, et, dans le XVIIIe siècle, fut transformé en auberge: «La maison de l'amiral et ses dépendances appartiennent aujourd'hui, disent les auteurs des Hommes illustres de la France (1747), à M. Pleurre de Romilly, maître des requêtes. Cet hôtel ne forme maintenant qu'une auberge assez considérable qu'on appel hôtel de Lizieux. Il n'y a presque rien de changé dans l'extérieur ni même dans l'intérieur du principal corps de logis. La grandeur et la hauteur des pièces annoncent que ç'a été autrefois la demeure d'un grand seigneur. La chambre où couchait l'amiral est occupée aujourd'hui par M. Vanloo, de l'Académie royale de peinture.» Dans cette maison est née l'actrice Sophie Arnould, en 1744, et c'est là qu'elle fut enlevée par le comte de Lauraguais.
5º Rue d'Orléans.--Elle tire son nom de l'hôtel de Bohême ou d'Orléans, vers lequel elle conduisait. Dans cette rue étaient, au XVIIe siècle, les plus fameuses estuves de Paris, tenues par un nommé Prudhomme, et qui ont joué un rôle très-important dans les troubles de la Fronde: elles ont vu dans leurs réduits secrets le prince de Condé, le duc de Beaufort, le cardinal de Retz; elles ont été le théâtre de rendez-vous galants, de conspirations politiques, de rassemblements d'hommes de guerre, etc. On y trouvait aussi l'hôtel d'Aligre ou de Vertamont, qui avait été bâti sous Henri II: il appartint successivement à Diane de Poitiers, à Robert de la Mark, duc de Bouillon, au vicomte de Puysieux, à Achille de Harlay, au président de Vertamont, etc. Au nº 10 de cette rue a demeuré le girondin Valazé.
6º Rue des Poulies et place du Louvre.--Dans cette rue, aujourd'hui presque entièrement reconstruite, était l'hôtel d'Alençon, bâti en 1250 par Alphonse, comte de Poitiers, frère de saint Louis, et qui fut possédé par le comte d'Alençon, fils de ce même roi. Après lui, il eut pour possesseurs Enguerrand de Marigny, Charles de Valois, le marquis de Villeroy, Henri III, le duc de Retz, la duchesse de Longueville. C'est là que fut conduit Ravaillac après l'assassinat de Henri IV. Il devint en 1709 l'hôtel du marquis d'Antin et fut détruit pour former les hôtels de Conti et d'Aumont, lesquels ont été démolis lorsque fut ouverte la place du Louvre.
Sur la place du Louvre aujourd'hui agrandie et reconstruite, se trouve l'église Saint-Germain-l'Auxerrois. Cette église a été bâtie, les uns disent par Childebert et Ultrogothe en 580, les autres, avec plus de raison, par Chilpéric Ier, en l'honneur de saint Germain, évêque de Paris, dont le tombeau devait y être et n'y fut jamais transféré. On l'appelait alors vulgairement Saint-Germain-le-Rond, à cause de sa forme circulaire. Saint Landry, évêque de Paris, y fut enterré en 655. Les Normands, pendant le siége de Paris, la prirent et la fortifièrent; à leur départ, ils la laissèrent en ruines. Le roi Robert la fit reconstruire, et, pour ne pas la confondre avec Saint-Germain-des-Prés, on la nomma par erreur Saint-Germain-l'Auxerrois, quoique saint Germain d'Auxerre n'ait rien de commun avec cette église. C'était alors et elle resta longtemps l'unique paroisse du nord de Paris. Au commencement du XIVe siècle, elle fut entièrement rebâtie, et c'est de cette époque que datent sa façade, son porche, ses clochers. L'église Saint-Germain était collégiale et n'est devenue paroissiale qu'en 1744: son chapitre, très-puissant et très-riche, nommait à six cures de Paris; à cause de son voisinage du Louvre et des Tuileries, elle a pris une grande part aux événements de notre histoire. Le fait le plus triste qu'elle rappelle est la Saint-Barthélémy, dont le signal fut donné par sa grosse cloche. Elle était ornée de sculptures de Jean Goujon, de tableaux de Lebrun, de Philippe de Champagne, de Jouvenet, et surtout de monuments funéraires. Il serait impossible d'énumérer les hommes célèbres qui y ont été enterrés: dans la dernière restauration qu'elle a subie, la terre qu'on remua sous les dalles de la nef et du chœur n'était pour ainsi dire composée que d'ossements et de cendres de morts, et il en était de même de la terre du cloître. Nommons seulement les chanceliers d'Aligre, Ollivier, de Bellièvre, la famille des Phélippeaux, qui a fourni dix ministres, le poète Malherbe, l'architecte Levau, le médecin Guy Patin, le peintre Stella, le graveur Warin, l'orfévre Balin, les sculpteurs Sarrazin et Desjardins, les deux Coypel, l'architecte d'Orbay, le géographe Sanson, le médecin Dodart, Coysevox, madame Dacier, le comte de Caylus, etc. On sait comment cette église fut horriblement dévastée le 13 février 1831; elle a été restaurée avec autant de luxe que d'intelligence et rendue au culte. C'est la paroisse du quatrième arrondissement.
L'église Saint-Germain-l'Auxerrois était entourée d'un cloître dont on a formé plus tard la place Saint-Germain et les rues des Prêtres et Chilpéric, aujourd'hui en partie détruites; on y pénétrait de la place du Louvre par une ruelle où se trouvait une maison dite du Doyenné, occupée en 1599 par une tante de Gabrielle d'Estrées et où celle-ci, subitement prise de convulsions dans un dîner chez Zamet, se fit transporter et mourut. Elle fut ensuite occupée par le savant Bignon, doyen de Saint-Germain, qui y recevait les érudits et les gens de lettres.
Dans ce même cloître, rue des Prêtres, nº17, est le Journal des Débats, qui date de 1789.
7º Rue de Grenelle, ainsi appelée de Henri de Guernelles, qui l'habitait au XIIIe siècle. Dans cette rue était l'hôtel du président Baillet, qui, en 1605, passa au duc de Montpensier, en 1612 au duc de Bellegarde, en 1632 au chancelier Séguier, lequel l'enrichit de peintures de Vouet, d'une belle bibliothèque et d'une chapelle. «Sous ce nouveau propriétaire, dit Jaillot, protecteur éclairé des sciences, des arts et des talents, cet hôtel devint le temple des Muses, l'asile des savants et le berceau de l'Académie française; c'est là que le chancelier a eu plus d'une fois l'honneur de recevoir Louis XIV et la famille royale, et qu'en 1656 la reine Christine de Suède honora l'Académie de sa présence.» L'Académie française siégea dans l'hôtel Séguier jusqu'en 1673. En 1699, les fermiers généraux achetèrent cette maison avec ses dépendances et y établirent leurs bureaux et leurs magasins: elle prit alors le nom d'hôtel des Fermes. «Là s'engouffre, dit Mercier, l'argent arraché avec violence de toutes les parties du royaume, pour qu'après ce long et pénible travail, il rentre altéré dans les coffres du roi.» En 1792, l'hôtel des Fermes, devenu propriété nationale, fut converti en maison de détention, puis en théâtre; il a été ensuite partagé en plusieurs propriétés particulières. Près de l'hôtel des Fermes se trouvait, dans le XVIe siècle, l'hôtel du vidame de Chartres, où Jeanne d'Albret mourut le 9 juin 1572.
8º Rue Pierre Lescot.--Cette rue, qui n'existe plus, datait du XIIIe siècle et se nommait Jean-Saint-Denis, nom qu'elle perdit en 1807 pour prendre celui du chanoine de Paris qui a été le premier architecte du Louvre. C'était, ainsi que les rues voisines de la Bibliothèque, du Chantre, etc., une des plus tristes et des plus misérables de Paris: ses maisons, étroites, humides, infectes, étaient occupées par des auberges de bas lieu ou des maisons de prostitution, repaires immondes d'où sortaient trop souvent des aventuriers, des gens sans aveu, des repris de justice. Toutes ces rues ont été détruites pour l'achèvement du Louvre et la continuation de la rue de Rivoli.
9º Rue Saint-Thomas du Louvre.--Cette rue, que nous ne nommons qu'à cause de ses souvenirs historiques, puisqu'elle vient de disparaître dans les démolitions faites pour achever le Louvre, commençait à la place du Palais-Royal et se prolongeait autrefois jusqu'à la Seine. Elle datait du XIIIe siècle et tirait son nom d'une église dédiée à saint Thomas de Cantorbéry, qui fut fondée par Robert de Dreux, fils de Louis VI. Cette église, qui était sise au coin de la rue du Doyenné, fut reconstruite en 1743 sous le nom de Saint-Louis et renfermait le tombeau du cardinal Fleury. Elle fut consacrée au culte protestant pendant la révolution et aujourd'hui est détruite. En face de cette église était l'hôpital, le collége et l'église Saint-Nicolas, qui furent supprimés en 1740.
Dans cette rue se trouvait le fameux hôtel Rambouillet, qui porta successivement les noms d'O, de Noirmoutiers, de Pisani, et qui prit celui de Rambouillet lorsque Charles d'Angennes, marquis de Rambouillet, épousa Catherine de Vivonne, fille du marquis de Pisani, et vint s'y établir. C'était une grande maison avec de beaux jardins, décorée à l'intérieur avec une richesse pleine de goût, et qui occupait l'emplacement d'une partie de la rue de Chartres, dans le voisinage de la place du Palais-Royal; sa façade intérieure dominait les jardins des Quinze-Vingts et de l'hôtel de Longueville, et avait la vue sur le jardin de Mademoiselle ou la place actuelle du Carrousel. Nous avons dit ailleurs (Hist. gén. de Paris, p. 62) quelle célébrité il acquit dans le XVIIe siècle. Cet hôtel passa au duc de Montausier par son mariage avec l'illustre Julie d'Angennes, puis aux ducs d'Uzès. En 1784 il fut détruit, et l'on construisit sur son emplacement une salle de danse dite Vauxhall d'hiver, qui devint en 1790 le club des monarchiens et en 1792 le théâtre du Vaudeville, détruit par un incendie en 1836.
A côté de l'hôtel Rambouillet était l'hôtel de Longueville, bâti par Villeroy, ministre de Henri III; ce monarque l'habita et y reçut la couronne de Pologne. Il appartint ensuite à Marguerite de Valois, puis au marquis de la Vieuville, puis à la duchesse de Chevreuse, qui en fit le chef-lieu de la Fronde: c'est là que se passèrent toutes ces intrigues «où la politique et l'amour se prêtaient mutuellement des prétextes et des armes,» et que le cardinal de Retz raconte avec tant de complaisance; c'est là qu'il venait passer une partie des nuits avec mademoiselle de Chevreuse. «J'y allois tous les soirs, dit-il, et nos vedettes se plaçoient réglément à vingt pas des sentinelles du Palais-Royal, où le roi logeoit.» Cet hôtel, après avoir appartenu à la maison de Longueville, fut vendu en 1749 aux fermiers généraux, qui y établirent le magasin général des tabacs. On y ouvrit, sous le Directoire, des salles de jeu et un bal qui n'était fréquenté que par des femmes débauchées. Il est aujourd'hui détruit.
Dans la rue Saint-Thomas du Louvre ont demeuré: Voiture [60], qui avait une maison voisine de l'hôtel de Rambouillet; la comtesse de Mailly, maîtresse de Louis XV; le girondin Grangeneuve; le dantoniste Bazire, etc.
10º Rue Saint-Nicaise. Cette rue, qui vient aussi de disparaître dans la construction de la rue de Rivoli, avait été ouverte dans le XVIe siècle sur l'emplacement des anciens murs de la ville, et elle se prolongeait autrefois jusqu'à la galerie du Louvre en s'ouvrant vers le milieu pour former le côté oriental de la place du Carrousel. On sait que le crime du 3 nivôse détruisit ou ébranla la partie septentrionale de cette rue et amena la démolition de la plupart de ses bâtiments: il ne resta donc de cette partie que sept à huit maisons voisines de la rue de Rivoli et aujourd'hui détruites [61]. Quant à la partie méridionale, elle fut entièrement démolie pour agrandir la place du Carrousel. Cette rue, autrefois très-importante, renfermait de nombreux hôtels: de Roquelaure ou de Beringhen, de Coigny, d'Elbeuf, qui a été habité sous l'Empire par Cambacérès, etc. Dans cette rue ont demeuré le conventionnel Duquesnoy, condamné à mort à la suite des journées de prairial et qui se poignarda après sa condamnation; le poète impérial Esmenard, le naturaliste Lamétherie, etc.
11° Rue du Dauphin.--C'était autrefois le cul-de-sac Saint-Vincent; on lui donna le nom du Dauphin en 1744, parce que le fils de Louis XV passa par cette rue pour aller à Saint-Roch remercier Dieu de la guérison de son père. Cette rue, alors fort étroite, ouvrait une communication très-importante avec la cour du Manège et le jardin des Tuileries; aussi a-t-elle joué un grand rôle dans les journées révolutionnaires, surtout au 13 vendémiaire: c'est là que Bonaparte avait fait dresser sa principale batterie et qu'il mitrailla les royalistes sur les marches de Saint-Roch. La rue du Dauphin prit alors le nom de la Convention, qu'elle perdit en 1814 pour reprendre son ancien nom. On l'a encore appelée du Trocadero de 1825 à 1830.
12° Rue de Castiglione.--Nous avons dit que la rue de Castiglione a été ouverte sur l'emplacement du couvent des Feuillants, d'après un décret consulaire du 17 vendémiaire an X; mais les constructions ne commencèrent qu'en 1812. Cette rue est composée, comme la rue de Rivoli, de maisons ou plutôt de palais uniformes, avec une double galerie à portiques.
13° Rue de Luxembourg, ouverte en 1722 sur l'emplacement de l'hôtel de Luxembourg. Au n° 15 a demeuré Cambon, le célèbre financier de la Convention, à qui l'on doit la création du grand livre de la dette publique; au n° 21 a demeuré le conventionnel Romme, qui se poignarda comme Duquesnoy après sa condamnation; au n° 27 a demeuré Casimir Périer.
14° Rue Saint-Florentin.--C'est une rue peu ancienne et où néanmoins se sont accomplis de graves événements. On l'appela d'abord le cul-de-sac de l'Orangerie, et de chétives maisons y abritaient les orangers des Tuileries. Une partie appartenait, en 1730, à Louis XV; une autre partie à Samuel Bernard. Ce cul-de-sac devint une rue, en 1757, lorsque l'on construisit la place Louis XV, et il prit le nom du comte de Saint-Florentin (Phélipeaux, duc de la Vrillière), ministre de la maison du roi, qui y fit construire un vaste hôtel, où il donna des fêtes dignes de sa frivolité. Cet hôtel appartint ensuite au duc de l'Infantado, grand d'Espagne; il devint propriété nationale et fut acquis en 1812 par l'ancien évêque d'Autun, Talleyrand-Périgord. C'est là que cet homme, à qui l'on a attribué plus d'esprit, d'importance et de rouerie qu'il n'en a eu réellement, a fait la Restauration de 1814; c'est là qu'il est mort. L'hôtel Saint-Florentin appartient aujourd'hui à un autre Samuel Bernard, M. de Rothschild, et se trouve occupé par l'ambassade d'Autriche. Dans la rue Saint-Florentin a demeuré Pétion.
§ II.
Le faubourg Saint-Honoré.
Ce faubourg, qui prenait dans sa partie supérieure le nom de faubourg du Roule, n'a commencé à se couvrir de maisons que vers le milieu du XVIIIe siècle; la partie supérieure était même, il y a moins de cinquante ans, bordée entièrement de jardins et de cultures. Aujourd'hui, c'est le quartier du monde riche, de la noblesse moderne, des étrangers opulents. Ses vastes hôtels sont accompagnés de beaux jardins qui donnent la plupart sur les Champs-Élysées. Il ne s'y est passé aucun événement important. Le peuple n'a dans ces parages que quatre à cinq pauvres rues; l'industrie n'y a point porté ses merveilles et ses misères; enfin ses pavés n'ont jamais été remués par l'insurrection. Au n° 3 demeurait le gén. Changarnier lorsqu'il fut arrêté le 2 décembre. Au n° 30 a demeuré Guadet, l'une des gloires de la Gironde. Au n° 31 est l'hôtel Marbeuf, qui a été habité par Joseph Bonaparte et où est mort Suchet. Aux nº 41 et 43 est l'hôtel Pontalba, palais magnifique, bâti en partie sur l'emplacement de l'hôtel Morfontaine. Au nº 49 est l'hôtel Brunoy, habité en 1815 par le maréchal Marmont et plus tard par la princesse Bagration. Au nº 51 est mort Beurnonville, ministre de la guerre en 1793, maréchal de France en 1816. Au nº 55 est l'hôtel Sébastiani, si tristement célèbre par le meurtre de la duchesse de Praslin: c'est là qu'est mort le maréchal Sébastiani. Au nº 90 est l'hôtel Beauvau, dans lequel est mort en 1703 le marquis de Saint-Lambert, le poëte oublié des Saisons, l'amant de madame Du Châtelet et de madame d'Houdetot, le rival préféré de Voltaire et de Rousseau, dont il fut l'ami. Au nº 118 est mort en 1813 le mathématicien Lagrange.
Les édifices que renferme cette rue sont peu nombreux:
1º Le palais de l'Élysée.--C'était, dans l'origine, l'hôtel d'Évreux, bâti par le comte d'Évreux en 1718. Madame de Pompadour l'acheta, l'agrandit et l'habita à peine pendant quelques jours. Louis XV en fit le garde-meuble de la couronne jusqu'en 1773, où il fut vendu au financier Beaujon, qui y prodigua les ameublements, les tableaux, les bronzes, les marbres. En 1786, il fut acheté par la duchesse de Bourbon, dont il prit le nom. Devenu propriété nationale, il fut loué à des entrepreneurs de fêtes publiques, qui lui donnèrent le nom d'Élysée; ses appartements furent alors transformés en salles de bal et de jeu. En 1803, il fut vendu à Murat, qui le céda à Napoléon en 1808. L'empereur aimait cette habitation, dont l'architecture est aussi simple qu'élégante et dont les jardins sont magnifiques: il s'y retira après le désastre de Waterloo; c'est là qu'il signa sa deuxième abdication; c'est de là qu'il partit pour Sainte-Hélène. A la deuxième Restauration, l'empereur de Russie en fit sa résidence; puis il fut donné au duc de Berry. En 1830, il fut compris dans les domaines de la liste civile. La Constitution de 1848 l'assigna pour résidence au président de la République; et c'est là en effet qu'habita le prince Louis-Napoléon Bonaparte jusqu'à son élection au trône impérial. Depuis cette époque on l'a restauré et agrandi magnifiquement.
2º L'église Saint-Philippe-du-Roule, bâtie en 1769 et qui n'a rien de remarquable.
3º L'hôpital militaire du Roule, établi depuis 1848 dans les bâtiments des écuries du roi Louis-Philippe.
4º L'hôpital Beaujon, fondé en 1784 par le financier Beaujon pour vingt-quatre orphelins, et transformé en hôpital général en 1795. C'est un édifice solide, élégant, bien distribué, qui renferme quatre cents lits.
5º La chapelle Beaujon.--Cette chapelle est tout ce qui reste de l'habitation magnifique et voluptueuse que le financier Beaujon s'était construite et dont les jardins s'étendaient jusqu'à la barrière de l'Étoile. Ces jardins, vendus pendant la révolution, devinrent publics, et l'on y donna des fêtes sous la Restauration. Bâtiments et jardins sont aujourd'hui détruits et remplacés par un quartier nouveau, dit de Chateaubriand. Dans une avenue de ce quartier est mort le romancier Balzac.
Les rues principales qui aboutissent dans le faubourg Saint-Honoré sont:
1º Rue des Champs-Élysées.--Au nº 4 ont habité successivement le maréchal Serrurier, le maréchal Marmont, le conventionnel Pelet de la Lozère, qui y est mort en 1841. Au nº 6 a demeuré Junot.
2º Rue de la Madeleine.--Au coin de la rue de la Ville-l'Évêque était l'ancienne église de la Madeleine, qui datait de la fin du XVe siècle et avait été reconstruite par les soins de mademoiselle de Montpensier en 1660: elle a été détruite en 1792. Près de cette église était le couvent des Bénédictines de la Ville-l'Évêque, fondé en 1613 par deux princesses de Longueville.
La rue de la Ville-l'Évêque tire son nom d'une ferme que les évêques de Paris possédaient depuis le XIIIe siècle. Dans cette rue ont demeuré Fabre d'Églantine et Amar. Au nº 4 demeure M. Guizot; au nº 44 M. de Lamartine.
3º Rue d'Anjou.--Au nº 6 est mort La Fayette le 20 mai 1834. Au nº 15 est mort Benjamin Constant. Au nº 19 a demeuré l'ex-capucin Chabot, qui périt avec Danton. Au nº 27 était l'hôtel du marquis de Bouillé, si célèbre par la fuite de Louis XVI; il fut ensuite habité par l'abbé Morellet et par le marquis d'Aligre. Au nº 28 était la maison de Moreau, qui, après le jugement de ce général, fut achetée par Napoléon et donnée par lui à Bernadotte, «comme si, dit Rovigo [62], cette maison n'eût pas dû cesser d'être un foyer de conspiration contre lui.» Au nº 48 était le cimetière de la Madeleine. C'est là que furent inhumées les victimes de la catastrophe du 30 mai 1770, celles du 10 août, Louis XVI et Marie-Antoinette, enfin les nombreux suppliciés sur la place Louis XV. Au mois de janvier 1815, des fouilles furent faites dans ce cimetière: l'on retrouva quelques restes du roi et de la reine, que l'on transporta à Saint-Denis, et l'on construisit sur cet emplacement un vaste monument funéraire avec une chapelle expiatoire.
Dans la rue d'Anjou débouche la rue Lavoisier, où est morte Mlle Mars.
4º Rue de Monceaux.--A l'extrémité de cette rue, entre les rues de Chartres, de Valois et le mur d'enceinte, se trouve un vaste jardin construit en 1778 par le duc d'Orléans, sur les dessins de Carmontel, et avec d'énormes dépenses. Il est rempli de curiosités, d'objets d'art et d'arbres rares. En 1794, il fut exploité comme jardin public, et l'on y a donné des fêtes jusqu'en 1801. Sous l'Empire, il fut placé dans le domaine de la couronne et rendu, en 1814, à la famille d'Orléans. Ce délicieux séjour est le dernier des grands jardins qui existaient autrefois dans Paris. Il a été en 1848 le chef-lieu des ateliers nationaux.
CHAPITRE XI.
LA RUE DE RIVOLI, LE LOUVRE, LES TUILERIES, LA PLACE DE LA CONCORDE ET LES CHAMPS-ÉLYSÉES.
§ Ier.
La rue de Rivoli.
La rue de Rivoli forme aujourd'hui la plus belle et la plus longue rue de Paris, et par l'avenue des Champs-Élysées, d'une part, par la rue et le faubourg Saint-Antoine d'autre part, elle unit la barrière de l'Étoile à la barrière du Trône, distantes de près de 8 kilom. Elle date de deux époques. La première partie, de la place de la Concorde à la rue de l'Échelle, a été décrétée en 1802 et commencée en 1811. Elle a été ouverte sur l'emplacement des anciennes écuries du roi, de la cour du Manège, d'une partie des couvents des Feuillants, des Capucins et de l'Assomption. Elle borde magnifiquement le jardin des Tuileries. On y remarque le ministère des finances, vaste bâtiment compris entre quatre rues et dont la construction a coûté plus de 10 millions. La deuxième partie, de la rue de l'Échelle à la place Birague, date de 1851, et a été achevée en moins de cinq ans; elle a absorbé ou détruit les rues Saint-Nicaise, de Chartres, Saint-Thomas-du-Louvre, Froidmanteau, Pierre Lescot, etc., dont nous avons parlé dans la rue Saint-Honoré. Après avoir bordé le Louvre, elle coupe successivement les rues de l'Arbre-Sec, du Roule, Saint-Denis, le boulevard de Sébastopol, la rue Saint-Martin; elle longe la place de l'Hôtel-de-Ville et va se confondre, vers la place Birague, avec la rue Saint-Antoine. De la place de la Concorde à la place du Louvre elle est composée de maisons uniformes, d'une architecture simple et peu gracieuse, avec galeries et portiques. Les monuments qu'elle borde à partir de la place Birague, sont la caserne Napoléon, l'Hôtel-de-Ville et la tour Saint-Jacques-la-Boucherie, monuments dont nous avons déjà parlé, puis le Louvre et les Tuileries.
§ II.
Le Louvre.
L'origine du Louvre est inconnue. On croit qu'il existait dans ce lieu, vers le VIIe siècle, un édifice royal qui, détruit par les Normands, fut reconstruit par Hugues Capet. Philippe-Auguste le rebâtit presqu'entièrement et en fit un château-fort destiné à fermer la rivière et à contenir Paris. Ce château occupait, sur une longueur de soixante-deux toises, l'espace compris entre la Seine et la place de l'Oratoire, et, sur une largeur de cinquante-huit toises, l'espace compris entre le milieu de la cour actuelle du Louvre et le prolongement de l'ancienne rue Froidmanteau. Sa façade orientale achevait le mur d'enceinte, qui se terminait par la tour qui fait le coin, en face de la tour de Nesle. La porte principale était à peu près au milieu de la grande cour actuelle, et en face d'elle s'ouvrait une rue, dite Jehan-Éverout, qui aboutissait devant l'église Saint-Germain-l'Auxerrois. Une autre porte se trouvait près de la rivière. Dans l'intérieur était une cour de trente-quatre toises de long sur trente-trois de large, au milieu de laquelle s'élevait la grosse tour, qui avait treize pieds d'épaisseur, cent quarante-quatre de circonférence, et quatre-vingt-seize de hauteur. Cette tour, si fameuse dans notre histoire, était entourée d'un fossé et communiquait avec le château par une galerie de pierre; elle renfermait plusieurs chambres où logèrent d'abord les rois et qui furent ensuite converties en prisons. Là furent renfermés Ferrand, comte de Boulogne, fait prisonnier à Bouvines, le comte Guy de Flandre, Enguerrand de Marigny, Charles-le-Mauvais, etc. Les bâtiments qui entouraient la grande cour étaient de massives constructions appuyées sur vingt fortes tours et surmontées de tourelles de diverses formes; ils renfermaient, outre de grandes salles, une chapelle, un arsenal, des magasins de vivres, etc.
Bien que le château du Louvre fût le symbole de la suzeraineté des rois de France, il fut rarement habité par eux. Le mariage de Henri V d'Angleterre avec la fille de Charles VI y fut célébré. Charles-Quint y logea pendant son séjour à Paris. A cette époque, François Ier avait commencé à faire démolir la grosse tour et une partie du château, et à faire construire sur leur emplacement, d'après les dessins de Pierre Lescot, un palais moderne qu'on appelle aujourd'hui le vieux Louvre et qui est l'expression la plus brillante et la plus complète de la renaissance française. Ce palais consistait uniquement en deux pavillons unis par une galerie et qui sont aujourd'hui le pavillon de l'Horloge et le pavillon voisin de l'ancienne entrée du musée. La façade orientale est très-riche et ornée à profusion de sculptures de Jean Goujon et de Pierre Ponce: c'était celle de la cour d'honneur; la façade occidentale était très-simple et presque nue, comme devant donner sur les cours de service, et elle est restée dans cet état jusqu'en 1857. Tout l'intérieur fut splendidement décoré par les mêmes artistes, principalement l'escalier dit de Henri II et la grande salle où l'on admire les cariatides de Jean Goujon. Quant aux parties de l'ancien château féodal qui ne gênaient pas le palais moderne, elles furent conservées et ne disparurent entièrement que sous Louis XIV.
Henri II continua l'œuvre de son père: il fit ajouter au pavillon du midi une aile dirigée vers la Seine (galerie d'Apollon), et dont Pierre Lescot fut encore l'architecte. A sa mort, le palais des Tournelles, qui était le séjour des rois de France depuis Charles VII, fut abandonné, et François II, Charles IX, Henri III habitèrent le Louvre. Charles IX acheva l'aile méridionale et la compléta par le pavillon dit de la Reine; il fit aussi commencer l'aile en retour sur le bord de la rivière jusqu'au pavillon des Campanilles: c'est le commencement de la galerie dit Louvre Le et l'œuvre de Ducerceau. Le 19 août 1572, en l'honneur du mariage de Henri de Navarre avec Marguerite de Valois, un grand tournoi fut exécuté dans la cour du Louvre, et, cinq jours après, Charles IX, sa mère, son frère et les Guise donnèrent dans ce palais le signal de la Saint-Barthélémy. «Les protestants, dit Mézeray, qui étaient logés dans le Louvre, ne furent pas épargnés; après qu'on les eut désarmés et chassés des chambres où ils couchaient, on les égorgea tous, les uns après les autres, et on exposa leurs corps tout nus à la porte du Louvre; la reine mère était à une fenêtre et se repaissait de ce spectacle.» Une tradition, qui n'a d'autre garant que Brantôme, raconte que le roi tira lui-même sur les huguenots qui s'enfuyaient; si cette tradition est vraie, ce serait du pavillon de la Reine que Charles IX aurait commis ce crime; et, pendant la révolution, on a vu, au-dessous de la fenêtre qui est à l'extrémité méridionale de la galerie d'Apollon, un poteau portant cette inscription: c'est de cette fenêtre que l'infâme Charles IX, d'exécrable mémoire, a tiré sur le peuple avec une carabine.
C'est du Louvre que s'enfuit Henri III, cerné par les barricades de la Ligue. En 1591, le duc de Mayenne fit pendre dans la salle des cariatides quatre des Seize. C'est dans une salle du Louvre que se tinrent les États-Généraux en 1593.
Henri IV continua d'habiter le Louvre: il eut le premier la pensée de réunir ce palais aux Tuileries, qui venaient d'être construites et qui n'étaient, dans la pensée des fondateurs, qu'une maison de plaisance hors de la ville, sans liaison aucune, soit avec le nouveau palais du Louvre, soit avec la partie de l'ancien château féodal qui était encore debout. «La galerie des Tuileries, dit Sauval, est un ouvrage que Henri IV vouloit pousser tout le long de la rivière jusqu'au palais des Tuileries, qui faisoit alors partie du faubourg Saint-Honoré, afin, par ce moyen, d'être dehors et dedans la ville quand il lui plairoit et de ne se pas voir enfermé dans des murailles où l'honneur et la vie de Henri III avoient presque dépendu du caprice et de la frénésie d'une populace irritée.» Il fit donc continuer la galerie commencée par Charles IX jusqu'au pavillon du grand guichet. «Son intention, dit Palma Caillet, était de consacrer la partie inférieure de la galerie à l'établissement de diverses manufactures et au logement des plus experts artistes de toutes les nations.»
Louis XIII habita le Louvre. C'est sur le pont-levis qui faisait face à l'église Saint-Germain que le maréchal d'Ancre fut assassiné sous les yeux du jeune roi, qui, de sa fenêtre, complimenta les meurtriers. Sous ce règne, on ajouta au vieux Louvre la partie qui va du pavillon de l'Horloge au pavillon du nord; on commença les façades intérieures des deux corps de bâtiments du nord et du midi, et l'on projeta de remplacer l'entrée du château féodal par une façade magnifique, au levant; de sorte que le plan carré de la cour du Louvre est l'œuvre des architectes de Louis XIII, Lemercier et Sarrazin.
Louis XIV, après les troubles de la Fronde, habita le Louvre pendant quelques années: alors on fit disparaître la sombre porte aux quatre tours rondes qui regardait Saint-Germain, et à sa place on construisit, de 1666 à 1670, la fameuse colonnade de la face extérieure du levant, œuvre de Perrault et l'un des plus parfaits monuments qui existent au monde [63]. On commença aussi, sur les plans du même architecte, les faces extérieures des corps de bâtiments du nord et du midi; mais celles-ci restèrent, comme les faces intérieures, inachevées, dégradées, sans toiture, protégées à peine par quelques planches; et la grande cour ne fut, pendant un siècle et demi, qu'un amas immonde de gravois et d'ordures. Enfin, on continua la grande galerie de la Seine depuis le pavillon du grand guichet jusqu'aux Tuileries, et les deux palais se trouvèrent ainsi en partie réunis.
Pendant le règne de Louis XV, on ne fit au Louvre, outre les travaux nécessaires pour empêcher sa ruine, que la façade septentrionale de la cour, qui fut prolongée depuis l'avant-corps jusqu'à la colonnade par Gabriel. Sous Louis XVI, on eut l'idée de faire du Louvre un grand musée de peinture et de sculpture, idée qui ne fut mise à exécution que sous la République. Quand la révolution arriva, ce palais était occupé: par les quatre académies, qui tenaient leurs séances dans les salles du rez-de-chaussée donnant sur l'ancienne place du Muséum, par l'imprimerie royale, par les ateliers des médailles, qui étaient placés sous la grande galerie, par les expositions de peinture qui se faisaient dans la galerie d'Apollon, enfin par des logements et ateliers concédés à des peintres et à des sculpteurs.
Un décret de la Convention transforma le Louvre en musée de peinture et de sculpture: l'ouverture en fut faite le 24 thermidor an II. Ce musée se composait alors d'environ cinq cents tableaux des premiers maîtres, provenant des palais royaux et des églises, et qui furent placés dans la grande galerie. Nos victoires dans les Pays-Bas et en Italie l'enrichirent de nouveaux chefs-d'œuvre. En 1800, Bonaparte y ajouta le musée des Antiques. Quand il fut empereur, il ne se contenta pas de compléter le musée, qui, en 1814, renfermait douze cent vingt-quatre tableaux, outre la Vénus de Médicis, l'Apollon Pythien, le Laocoon, etc.; il résolut d'achever «l'œuvre des sept rois, ses prédécesseurs,» en terminant le Louvre. Alors il fit restaurer, raccorder, compléter les quatre faces de la cour du Louvre, et, pour la première fois, le monument, quoique inachevé, présenta un ensemble plein d'harmonie et de majesté. Il fit aussi commencer la galerie septentrionale parallèle à la galerie de la rivière et qui devait, comme celle-ci, rejoindre les Tuileries. Enfin, son projet était de ne faire des Tuileries et du Louvre qu'un palais unique, le plus vaste et le plus magnifique du monde, en coupant le grand espace qui les sépare par un corps de bâtiments transversal, lequel aurait corrigé aux yeux le défaut de parallélisme de deux monuments. Tout cela ne put être fait; la cour et les abords du Louvre, avec l'intervalle qui sépare ce palais de celui des Tuileries, restèrent un assemblage de maisons en ruines, de constructions interrompues, de rues à moitié démolies, de masures provisoires.
On sait comment l'invasion étrangère dépouilla le musée de ses principaux chefs-d'œuvre. La Restauration ne fit rien pour l'achèvement du Louvre. Sous Louis-Philippe, de grandes améliorations furent faites dans l'intérieur du palais: on restaura les appartements habités par Henri II, Charles IX et Henri IV; on créa un musée des antiquités égyptiennes et assyriennes, un musée naval, un musée des peintres espagnols, etc. Mais la cour du Louvre resta un cloaque à peine pavé, et on éleva maladroitement, dans ce palais pleins des souvenirs de François Ier, de Henri IV, de Louis XIV et de Napoléon, une statue au duc d'Orléans, statue très-mauvaise, et qui a disparu en 1848. Depuis 1852, la réunion si longtemps projetée des deux palais a été commencée, par les ordres de Napoléon III, et d'après les plans de Visconti, et elle se trouve aujourd'hui presque complétement opérée. Le défaut de parallélisme est en partie dissimulé par la construction de deux vastes séries de bâtiments ou de palais qui ôtent à la place sa trop grande étendue, et par deux jardins intermédiaires qui doivent être ornés des statues de Louis XIV et de Napoléon. Le fond de la place est formé par l'ancienne façade occidentale du vieux Louvre, façade dont nous venons de parler, et qui a été mise en harmonie avec les bâtiments nouveaux. Il serait impossible d'énumérer maintenant, et avant que tout ne soit terminé, les innombrables détails d'architecture et de sculpture de cette immense agglomération de palais, qui sont comme sortis de terre en moins de quatre ans, et qui doivent renfermer deux ministères, une bibliothèque, des écuries, une salle d'exposition, etc. Contentons-nous de dire pour ce qui regarde l'ancien Louvre que la façade méridionale de la grande galerie, dont les charmants détails de sculpture avaient presque entièrement disparu, a été entièrement restaurée, que la cour du Louvre a été enfin nivelée, pavée, décorée, et doit être ornée d'une statue de François Ier; enfin, que le musée, mieux disposé, enrichi de nouveaux chefs-d'œuvre, débarrassé des expositions annuelles de peinture, présente aujourd'hui, malgré les pertes irréparables de 1815, la plus belle, la plus glorieuse collection d'objets d'art qui existe au monde.
§ III.
La place du Carrousel, le palais et le jardin des Tuileries.
La place du Carrousel, le palais et le jardin des Tuileries ont été construits sur des terrains vagues où s'élevaient, au XIIIe siècle, plusieurs fabriques de tuiles. Dans le siècle suivant, Pierre Desessarts, prévôt de Paris, y avait un logis et quarante arpents de terre labourable qu'il donna à l'hospice des Quinze-Vingts. Au commencement du XVIe siècle, Neuville de Villeroy, secrétaire des finances, fit bâtir dans ce lieu un bel hôtel, que François Ier acheta pour sa mère, la duchesse d'Angoulême, et où celle-ci demeura pendant quelques années. Catherine de Médicis, après la mort de son mari, étant venue habiter le Louvre, fit l'acquisition de cet hôtel et de plusieurs propriétés voisines, et, sur leur emplacement, elle fit construire, par Philibert Delorme, le palais des Tuileries. Ce palais se composait alors d'un gros pavillon surmonté d'une coupole auquel attenaient deux corps de logis terminés chacun par un autre pavillon: édifice plein de simplicité et d'élégance, dont l'unité se trouve aujourd'hui détruite par les constructions disparates qu'on y a ajoutées. Il avait pour dépendances: au levant, des terres cultivées qui s'étendaient jusqu'à la rue Saint-Nicaise prolongée jusqu'à la rivière; au couchant, un vaste jardin d'agrément ayant les limites du jardin actuel et dans lequel on trouvait un bois, un étang, une orangerie, un labyrinthe, une volière, des écuries et logements pour les valets, etc. Le palais était complétement isolé de ses dépendances, c'est-à-dire qu'il était séparé et des terrains de la rue Saint-Nicaise et du jardin d'agrément par deux murailles, le long desquelles étaient pratiquées deux ruelles, la première située dans le prolongement de la rue des Pyramides et qu'on appelait rue des Tuileries.
Catherine de Médicis ne vit pas l'achèvement de ce palais, dans lequel elle n'habita pas. Henri III en fit quelquefois sa maison de plaisance c'est par là qu'il s'enfuit de Paris en 1588. Sous Henri IV et sous Louis XIII, on le prolongea du côté du midi par un vaste corps de bâtiment, auquel fut ajouté un gros pavillon (pavillon de Flore): c'est l'œuvre barbare de Ducerceau, qui ne s'inquiéta nullement de la mettre en harmonie avec celle de Delorme. Sous Louis XIV, on fit du côté du nord un corps de bâtiment et un pavillon (pavillon Marsan) symétriques; on changea la forme du dôme qui surmontait le pavillon du milieu; on commença la galerie du bord de l'eau pour joindre les Tuileries au Louvre; enfin, on fit sur l'ensemble du palais des restaurations et décorations qui avaient pour but de lui rendre une sorte de régularité et qui sont l'œuvre de Levau. Ces changements donnèrent à l'édifice un développement de 168 toises au lieu de 86 qu'il avait dans l'origine. On fit aussi des améliorations à l'intérieur: la plus remarquable fut la construction (1662), sur les dessins de Veragani, d'une salle de spectacle, dite salle des machines, et qui était la plus vaste de l'Europe. Elle pouvait contenir sept à huit mille spectateurs et occupait toute la largeur de l'aile septentrionale: la scène avait 41 mètres de profondeur et 11 de hauteur; la salle avait 30 mètres de profondeur sur 16 de largeur et 16 de hauteur. C'est là que fut représentée la Psyché de Molière. Nous en reparlerons.
Malgré tous ces embellissements, et bien que ce palais fût regardé comme l'habitation officielle des rois de France, les Tuileries ne furent habitées que passagèrement par Henri IV, par Louis XIII et par Louis XIV, et lorsque celui-ci eut transporté sa résidence à Versailles, elles parurent définitivement abandonnées.
Sous Louis XIII et sous Louis XIV, les dépendances du palais subirent aussi de grands changements. Dans les terrains voisins de la rue Saint-Nicaise, on fit un jardin d'agrément dit de Mademoiselle, parce qu'il fut planté par les soins de mademoiselle de Montpensier, qui habita pendant quelque temps les Tuileries. En 1662, Louis XIV le fit détruire et ouvrir sur son emplacement une vaste place, où il donna la fameuse fête équestre ou carrousel, d'où cette place a pris son nom. Quant au jardin des Tuileries, Louis XIII le ferma par une muraille, un fossé et un bastion voisin de la porte de la Conférence; puis il y fit bâtir de petites maisons, où il logeait ses favoris, comme le valet de chambre Renard, dont nous avons parlé (Hist. gén. de Paris, p. 66). Ces maisons furent le théâtre de plus d'une orgie, de plus d'un scandale: c'est là que les chefs de la Fronde faisaient les assemblées que Mazarin appelait sabbats [64]. Sous Louis XIV, Lenôtre changea toute l'ordonnance de ce jardin: il le réunit au palais, enleva la muraille, planta le bois, construisit les terrasses, enfin lui donna cet air de majesté et d'élégance qui en fit sur-le-champ le rendez-vous et la promenade favorite des Parisiens. «Dans ce lieu si agréable, dit une lettre de 1692, on raille, on badine, on parle d'amours, de nouvelles, d'affaires et de guerres. On décide, on critique, on dispute, on se trompe les uns les autres, et avec tout cela le monde se divertit.» Le jardin avait alors à peu près l'aspect que nous lui voyons aujourd'hui, excepté: 1º aux deux extrémités occidentales, où était l'orangerie et plusieurs bâtiments qui, du temps de Napoléon, ont été démolis pour prolonger les terrasses voisines; 2º le long de la terrasse des Feuillants, où, à la place de cette grande promenade vide que l'on remplit dans l'été avec des caisses d'orangers, étaient des parterres et des tapis de gazon, qui ont été détruits en 1793; 3º du côté de la rue de Rivoli, où était un grand mur couvert de charmilles qui fermait la terrasse des Feuillants, dont nous avons parlé (voir rue Saint-Honoré, p. 243), et dont le jardin n'était séparé de celui des Tuileries que par une cour longue occupant l'emplacement de la rue de Rivoli. Cette cour avait son entrée dans la rue du Dauphin, communiquait avec le jardin des Tuileries, près du château, et avait à son extrémité des écuries bâties par Catherine de Médicis. Au couchant du couvent des Feuillants étaient les jardins des Capucins et de l'Assomption (voir rue Saint-Honoré, p. 242 et 244), qui bordaient aussi le jardin des Tuileries.
Louis XV habita les Tuileries pendant sa minorité. Alors la muraille qui fermait le jardin au couchant fut remplacée par une grille et par un pont tournant. On construisit aussi, sur l'emplacement des écuries de Catherine de Médicis, un vaste bâtiment renfermant l'Académie royale d'équitation pour les jeunes gentilshommes, qui venaient y apprendre, en outre, la danse, l'escrime et les mathématiques. Ce bâtiment est le fameux Manége qui a joué un si grand rôle dans la révolution; il avait une porte sur la terrasse des Feuillants. En 1730, la salle des machines fut donnée à l'architecte-décorateur Servandoni, qui y fit représenter, pendant quinze ans, des pantomimes qui eurent le plus grand succès. En 1764, l'Opéra y fut établi, en attendant la reconstruction de la salle du Palais-Royal. En 1770, on y installa la Comédie-Française, en attendant la construction de la salle dite aujourd'hui Odéon; elle y resta douze ans. C'est là que, le 30 mars 1778, Voltaire reçut, en face de la cour, en face du prince qui fut Charles X, le triomphe qui présageait la révolution! De 1782 à 1789, la salle resta vide: une troupe italienne venait à peine de s'y installer qu'on la fit déloger pour faire place à Louis XVI, que le peuple ramenait du château de Versailles.
Depuis le commencement du siècle, les alentours des Tuileries avaient subi de grands changements: la place du Carrousel avait été partagée en plusieurs places, cours et rues; l'espace compris entre la grille actuelle et le château était occupé par trois cours: au sud, la cour des Princes, au milieu, la cour Royale, au nord, la cour des Suisses; toutes trois irrégulières et fermées par des bâtiments. La cour Royale s'ouvrait à l'intérieur par une grande porte pratiquée dans une muraille crénelée et garnie d'une galerie de bois; elle était bordée à droite et à gauche par deux corps de bâtiments irréguliers qui la séparaient des deux cours voisines, mais sans toucher au palais. Au levant de ces trois cours était une rue dite du Carrousel et qui était le prolongement de la rue de l'Échelle: elle aboutissait à la place du Carrousel, formée de deux carrés inégaux, le petit Carrousel et le grand Carrousel, qui se confondait au levant avec la rue Saint-Nicaise. Ce grand Carrousel était situé en face de la cour Royale: du côté du nord il communiquait avec une large rue dite cour du Bord de l'eau (en face de la cour des Princes), par laquelle on atteignait le quai et la rivière, mais en passant sous la galerie du Louvre et par les guichets, alors fermés et gardés.
La révolution de 1789 vint donner au palais des Tuileries son importance et sa célébrité. Cet édifice, qui semblait le temple de la monarchie et qui néanmoins avait été si rarement habité par les rois de l'ancien régime, devint dès lors le séjour des différents pouvoirs qui ont gouverné la France pendant soixante années.
L'Assemblée nationale s'était installée au Manége, lequel avait trois entrées, par la rue Saint-Honoré, par la cour du Dauphin, par la terrasse des Feuillants; alors cette terrasse et le jardin entier devinrent le théâtre de rassemblements continuels. Quand la famille royale fit la tentative de fuite qui échoua à Varennes, ce fut par la cour Royale qu'elle sortit et sur la place du petit Carrousel qu'elle se donna rendez-vous. Quand elle revint, ce fut par le pont Tournant et par le jardin, qu'envahissait une foule menaçante, qu'elle rentra aux Tuileries. Alors, et pour empêcher les insultes à la famille royale, le jardin fut fermé au public pendant plusieurs mois, moins la terrasse des Feuillants, qu'on appelait terrain national. Nous avons raconté ailleurs la marche que suivit le peuple quand il envahit le palais dans la journée du 20 juin, comment il l'attaqua et le prit dans la journée du 10 août. Alors les bâtiments des trois cours furent incendiés et détruits, excepté du côté de la rue de l'Échelle, où le massif qui touchait le château et dans lequel se trouvait l'imprimerie de l'Assemblée fut conservé.
La Convention nationale siégea au Manége depuis le 22 septembre 1792 jusqu'au 10 mai 1793: ce fut donc dans cette salle qu'eut lieu le procès de Louis XVI. Au 10 mai, elle se transporta dans le palais des Tuileries et y siégea jusqu'à la fin de sa session. La salle des séances fut construite sur l'emplacement de la salle des machines, c'est-à-dire de ce royal théâtre inauguré par la Psyché de Molière et où Voltaire avait été couronné. Cette salle, construite à la hâte, avait la forme d'un parallélogramme étroit et peu commode: «Elle ressemblait, dit Prud'homme, non au sanctuaire des lois, à l'aréopage de la République, mais à une vaste école de droit à l'usage de quelques centaines de juristes.» Les tribunes publiques placées vers le plafond dans les deux extrémités, pouvaient contenir deux à trois mille personnes. L'entrée principale était voisine de la terrasse des Feuillants; «le beau vestibule de Philibert Delorme, dit Prud'homme, le magnifique escalier rebâti sous les yeux de Colbert, l'ancienne chapelle devenue un temple à la liberté, ne conduisent qu'à une porte latérale et à un couloir, par lequel on arrive aux gradins quarrés longs où siége la Convention.» C'est là que sont passées les plus terribles journées de la révolution, le 31 mai, le 9 thermidor, le 12 germinal, le 1er prairial, le 13 vendémiaire, etc. Le gouvernement s'installa dans les autres parties du palais: dans l'aile méridionale siégèrent le comité de salut public, les comités des finances et de la marine, etc.; dans le pavillon du milieu, le comité de la guerre; dans l'aile septentrionale, les comités de législation, d'agriculture, d'instruction publique, etc. Le comité de sûreté générale s'installa dans l'hôtel de Brienne, situé sur la place du Carrousel et qui a été détruit en 1808.
A la Convention succéda, dans la grande salle des Tuileries, le conseil des Anciens; le conseil des Cinq-Cents siégea au Manége: ils restèrent dans ces deux édifices jusqu'à la révolution du 18 brumaire. Le 19 février 1800, le premier consul Bonaparte vint prendre demeure dans le palais des rois: il habita toute la partie comprise entre le pavillon de Flore et celui de l'Horloge, c'est-à-dire celle qui avait été occupée par Louis XVI et le comité du salut public, et où depuis furent placés les appartements de Louis XVIII, de Charles X et de Louis-Philippe. Les appartements du rez-de-chaussée, du côté du jardin, furent destinés à Joséphine. Lebrun occupa le pavillon de Flore; Cambacérès alla se loger sur la place du Carrousel, dans l'hôtel d'Elbeuf. Le conseil d'État siégea dans une partie de la grande galerie, à côté de l'appartement de Bonaparte. Alors on fit disparaître les traces des boulets du 10 août et les inscriptions révolutionnaires qui étaient sur les portes du château; on détruisit la salle de la Convention, dont on fit plus tard une chapelle et une salle de spectacle; on déblaya les bâtiments ruinés de la cour des Suisses, de la cour Royale, de la cour des Princes, et l'on en fit une seule et vaste cour où Bonaparte fit manœuvrer ses soldats. On détruisit le Manége, la cour du Dauphin, etc., et sur leur emplacement on ouvrit, ainsi que nous l'avons vu, les rues de Rivoli et de Castiglione.
Cependant la place du Carrousel était restée à peu près ce qu'elle était avant 1789: l'explosion de la machine infernale en commença le dégagement; la partie occidentale de la rue Saint-Nicaise fut presque entièrement détruite, sauf quelques maisons entre les rues de Rivoli et Saint-Honoré, qui ont subsisté jusqu'en 1853; alors la rue du Carrousel disparut, et la place se trouva agrandie de telle sorte qu'on put y faire manœuvrer une armée et éviter dorénavant les attaques embusquées d'un nouveau 10 août. Sous l'Empire, on sépara cette place de la cour des Tuileries par une longue grille, devant laquelle on éleva en 1803, à la gloire de l'armée, un arc de triomphe, qui est l'œuvre de Percier et de Fontaine. Enfin, on commença la réunion des Tuileries et du Louvre par une grande rue, qui devait être, dans la pensée impériale, une grande place, et qui est devenue, depuis l'achèvement du Louvre, la place Napoléon III.
Il s'est fait, depuis cette époque jusqu'à nos jours, un si étrange va-et-vient de royautés triomphantes, de royautés déchues, dans cette grande hôtellerie des Tuileries, qu'il suffira de les énumérer par quelques dates. En 1814, le 29 janvier, adieux de Napoléon à la garde nationale, à laquelle il confie sa femme et son fils; le 29 mars, départ de l'impératrice et du roi de Rome; le 3 mai, entrée de Louis XVIII dans ce palais, que son frère avait quitté vingt-deux ans auparavant pour aller au Temple. En 1815, le 20 mars, fuite du même roi devant l'échappé de l'île d'Elbe, qui, vingt heures après, vient prendre sa place; le 12 juin, départ de Napoléon pour Waterloo; le 23 juin, Fouché et son gouvernement provisoire s'installent aux Tuileries; le 8 juillet, retour de Louis XVIII. En 1830, le 29 juillet, prise des Tuileries par le peuple insurgé. En 1831, le 16 octobre, Louis-Philippe s'établit dans ce palais. En 1848, le 24 février, fuite de ce roi et prise des Tuileries par le peuple, qui inscrit sur les murs: Hôtel des Invalides civils. Depuis cette époque jusqu'en 1852 le palais reste inhabité, sauf le pavillon Marsan, où l'on place l'état major de la garde nationale. Enfin en 1852 il est restauré avec une grande magnificence, et après le rétablissement de l'empire, Napoléon III vient y prendre séjour.
§ IV.
La place de la Concorde, les Champs-Élysées, l'Arc de l'Étoile.
Au commencement du XVIIe siècle, tout le terrain compris entre la Seine et les Champs-Élysées était une vaste culture, ouverte seulement par quelques sentiers et bornée au couchant par les villages pittoresques de Chaillot et du Roule. En 1628, Marie de Médicis fit construire sur ce terrain, le long de la rivière, depuis la porte de la Conférence jusqu'à Chaillot, une promenade composée de trois allées d'arbres, bordée de fossés revêtus de pierre et fermée par deux grilles. On l'appela le Cours-la-Reine et il devint le rendez-vous des seigneurs et des dames de la cour, auxquels il était réservé: on ne s'y promenait qu'en voiture ou à cheval, et Sauval dit que les cavaliers y avaient continuellement le chapeau à la main. En 1670, on planta d'arbres tous les terrains qui étaient en culture jusqu'au faubourg Saint-Honoré, mais en leur laissant leur aspect pittoresque, leurs gazons, leurs inégalités, leurs petits sentiers et même leurs baraques de chaume: c'était une sorte de jardin anglais auquel on donna le nom de Champs-Élysées. Un nouveau cours y fut ouvert dans l'axe de la grande allée des Tuileries: «Ses belles allées, dit Piganiol, s'étendent jusqu'au Roule et aboutissent en forme d'étoile à une hauteur d'où l'on découvre une partie de la ville et des environs.» Cette promenade si attrayante n'en resta pas moins un désert pendant plus d'un siècle; les quartiers voisins étaient encore, à cette époque, hors de la ville et peu habités; les Champs-Élysées étaient un refuge pour les malfaiteurs; enfin, pour s'aventurer dans ces allées, dans ces bosquets, il fallait traverser les mares de boue qui les séparaient des Tuileries. En 1748, Louis XV ordonna d'élever la statue que la ville de Paris venait de lui voter «sur l'emplacement situé entre le fossé qui termine le jardin des Tuileries, l'ancienne porte et le faubourg Saint-Honoré, les allées de l'ancien et du nouveau cours et le quai qui borde la Seine.» La statue, modelée par Bouchardon, ne fut achevée qu'en 1763. Alors la place dite de Louis XV fut découpée par l'architecte Gabriel en fossés plantés d'arbres avec balustrades et petits pavillons, et, pour la fermer du côté du nord, on commença la construction des deux vastes palais que nous voyons aujourd'hui, et dont l'un fut destiné au garde-meuble. En même temps, on déplanta tous les Champs-Élysées, on nivela le terrain et on le replanta en quinconces, avec de nouvelles allées dites de Marigny, de Gabriel, d'Antin, des Veuves, etc. Tout cela fut exécuté par les ordres du marquis de Marigny, frère de la marquise de Pompadour. La place Louis XV commença alors à prendre de la vie; mais elle n'était pas achevée quand elle fut sinistrement inaugurée, en 1770, par les fêtes du mariage du dauphin. La révolution arriva et lui donna une sanglante célébrité: au 14 juillet, les Gardes françaises en chassèrent les troupes royales; le 10 août, les derniers Suisses échappés des Tuileries s'y firent tuer en combattant; le 11 août, la statue de Louis XV fut abattue, et à sa place fut dressée une grande statue de plâtre peint, œuvre de Lemot, et figurant la Liberté assise et coiffée du bonnet phrygien; le 23 août, le conseil général de la commune ordonna que la guillotine serait dressée sur cette place pour l'exécution des conspirateurs royalistes: le hideux instrument de mort y resta en permanence pendant deux ans et y faucha plus de quinze cents têtes. C'est là qu'ont été exécutés Louis XVI, Marie-Antoinette, les Girondins, Charlotte Corday, madame Roland, Barnave, Danton, Hébert, Robespierre, les membres de la Commune de Paris, les condamnés de prairial, Soubrany, Bourbotte, Duroy, etc. La place avait pris le nom de la Révolution, et, en 1795, elle fut décorée des beaux chevaux de Marly, qui sont à l'entrée de la grande allée.
Sous le Directoire, la gigantesque statue qui, les pieds dans le sang, avait présidé aux sacrifices révolutionnaires, fut détruite; on décréta l'érection d'une colonne triomphale à la gloire de nos armées, colonne dont pas une pierre ne fut posée; enfin l'on donna à la place le beau nom de la Concorde. Sous l'Empire et la Restauration, on ne fit rien pour l'embellissement de cette place, qui, mal pavée et mal nivelée, devint peu à peu impraticable. En 1826, elle fut donnée à la ville de Paris, qui y fit élever deux fontaines monumentales, des statues, des colonnes rostrales, formant une sorte de décoration d'opéra d'un goût équivoque, mais séduisant. On y construisit aussi le piédestal d'un monument qui devait être consacré à Louis XVI; mais la révolution de juillet le fit disparaître, et, sur son emplacement, on dressa, en 1836, l'obélisque de Louqsor [65], monument jadis élevé dans Thèbes à la gloire de Sésostris et qui est un souvenir de notre expédition d'Égypte. Du pied de cet obélisque on jouit d'une des plus belles perspectives qui soient au monde: au nord, c'est la rue Royale, magnifiquement terminée par l'église de la Madeleine; au levant, c'est le jardin et le château des Tuileries; au sud, c'est la Seine avec le pont de la Concorde, que termine le palais Bourbon; au couchant, c'est la grande allée des Champs-Élysées, qui est couronnée par l'Arc de triomphe de l'Étoile. Depuis ces embellissements, les Champs-Élysées, où l'on a bâti un cirque hippique, un théâtre, des fontaines, des cafés, sont devenus une promenade très-populaire et très-fréquentée. C'est là que se font les fêtes publiques, les grandes entrées triomphales, la promenade de Longchamp, etc. Enfin depuis 1852, on a fait disparaître de la place de la Concorde les fossés qui en coupaient inutilement l'étendue, et l'on a construit dans les Champs-Élysées le palais de l'Industrie où s'est fait en 1855 la grande exposition universelle. Les Champs-Élysées et la place de la Concorde ont été, dans ces derniers temps, le théâtre d'événements remarquables: là, le 25 février 1848, Louis-Philippe, qui venait de signer une inutile abdication, fuyant l'insurrection qui s'emparait des Tuileries, est monté dans la modeste voiture qui l'emporta dans l'exil.
Deux beaux monuments, œuvres de Gabriel, et imités de la colonnade du Louvre, décorent le côté septentrional de la place de la Concorde: l'un est l'hôtel Crillon, propriété particulière; l'autre est l'hôtel du ministère de la marine: celui-ci renfermait jadis le garde-meuble, c'est-à-dire un trésor rempli de richesses plus curieuses qu'utiles, comme les diamants de la couronne, la chapelle en or du cardinal Richelieu, des vases donnés par les princes orientaux, des armures, des tapisseries, etc. Le 17 septembre 1792, ce garde-meuble fut volé, mais l'on retrouva la plus grande partie des objets dérobés, et le trésor se compose encore aujourd'hui d'une valeur de 21 millions.
La grande allée des Champs-Élysées, qui forme la plus belle entrée de la capitale, se termine par la barrière de l'Étoile, qui mène à Neuilly. Au delà de cette barrière se trouve un arc de triomphe élevé à la gloire des armées françaises et l'un des plus complets monuments de l'Europe. Il fut commencé sur les dessins de Chalgrin, et la première pierre en fut posée le 15 août 1806. Les travaux, interrompus en 1814, furent repris en 1823, époque où l'on voulut consacrer ce monument à la mémoire de l'expédition d'Espagne; interrompus de nouveau en 1830, ils furent repris en 1832, sous la direction de M. Blouet, et achevés en 1836. Sa hauteur est de 50 mètres; sa largeur, de 45; son épaisseur, de 22. C'est le plus colossal monument de ce genre qui existe au monde, et il tire de sa situation sur une éminence, à l'extrémité de l'avenue des Champs-Élysées, un caractère indéfinissable de grandeur et de majesté. Chacune des grandes faces présente deux groupes de sculpture qui expriment l'histoire de la France de 1792 à 1814: des bas-reliefs figurent les principaux événements de nos grandes guerres; enfin, sur les faces intérieures sont inscrits les noms de nos victoires et de nos généraux.
Au delà des Champs-Élysées, à gauche de la grande avenue, sur un coteau qui domine la Seine, se trouve un quartier qui semble un village dans Paris, n'étant composé que de maisons de campagnes et de jardins: c'est Chaillot, qui, au VIIe siècle, s'appelait Nimio, et, au XIe siècle, Nigeon. A cette dernière époque, il formait une seigneurie, qui tomba dans le domaine de la couronne en 1450 et fut donnée par Louis XI à Philippe de Comines. On croit que l'illustre historien y composa une partie de ses mémoires. Le château de Nigeon ou de Chaillot passa à Catherine de Médicis, puis au maréchal de Bassompierre, puis à Marie de Médicis, puis, en 1651, à Henriette, veuve de Charles Ier, qui y établit les religieuses de la Visitation-Sainte-Marie. C'est la qu'elle passa les dernières années de sa vie; c'est là qu'elle mourut en 1669. Bossuet, dans la chapelle de ce couvent, prononça l'oraison funèbre de cette princesse. C'est là aussi que mademoiselle de la Vallière essaya de s'enfermer, à l'époque des premières infidélités de Louis XIV; c'est là que le jeune roi vint l'arracher deux fois à cette sainte retraite et à son repentir. Ce couvent fut détruit en 1790; on ouvrit sur son emplacement plusieurs rues, et l'on projeta, sous l'Empire, de construire sur ce coteau, d'où l'on jouit d'une vue magnifique, un palais destiné au roi de Rome, et dont les jardins devaient s'étendre jusqu'à Saint-Cloud.
Le village de Chaillot fut érigé en 1659 en faubourg de Paris: il fut réuni à la capitale et compris dans son mur d'enceinte en 1787. Il possède une église fort ancienne, sous le vocable de saint Pierre, et ne renferme d'autre établissement public que la maison de Sainte-Perrine, autrefois abbaye, aujourd'hui établissement de retraite pour les vieillards.
Chaillot a eu des habitants célèbres: le président Jeannin, l'historien Mézeray, le maréchal de Vivonne, l'illustre Bailly, etc. Tallien y est mort en 1820, Barras en 1829, madame d'Abrantès en 1838, etc.
Ce quartier ne se trouve séparé que par le mur d'octroi d'une commune très-populeuse qui doit être prochainement confondue dans Paris; c'est Passy, qui renferme 12,000 habitants, de nombreuses maisons de campagne et des fabriques importantes; il a été habité par les financiers Lapopilinière et Bertin, l'actrice Contat, le comte d'Estaing, Raynal, Piccini, André Chénier, Franklin, Béranger, etc. Au delà de Passy se trouve le bois de Boulogne, transformé aujourd'hui en magnifique jardin anglais avec des massifs d'arbres rares, des lacs, des rivières, des cascades, etc. Ce bois délicieux qui est entouré des belles communes de Neuilly, de Boulogne, d'Auteuil, et au delà de la Seine, de St-Cloud, est devenu la plus belle promenade de Paris. Il est traversé en partie par un chemin de fer.
LIVRE III.
PARIS MÉRIDIONAL.
CHAPITRE PREMIER.
LA PLACE MAUBERT, LA RUE SAINT-VICTOR, LE JARDIN DES PLANTES ET LA SALPÉTRIÈRE.
La place Maubert, qui semble plutôt une large rue qu'une place, tire son nom de Jean Aubert, deuxième abbé de Sainte-Geneviève, cette place étant autrefois dans la justice et la censive de l'abbaye. Elle était couverte de maisons dès le XIIe siècle, et, pendant tout le moyen âge, elle a joué le premier rôle comme rendez-vous des écoliers, des bateliers, des oisifs, des tapageurs. De nombreuses émeutes y ont éclaté: c'est là que se rassemblèrent les bandes qui firent le massacre des prisons en 1418; c'est là qu'ont commencé les barricades de 1588. Un marché y était établi de temps immémorial, qui a été transféré en 1819 sur l'emplacement du couvent des Carmes. Enfin, on y a fait de nombreuses exécutions capitales: c'est là que furent brûlés pour crime d'hérésie, en 1533, maître Alexandre d'Évreux et son disciple Jean Pointer; en 1535, Antoine Poille, pauvre maçon; en 1540, Claude Lepeintre, ouvrier orfèvre du faubourg Saint-Marcel. C'est là que périt en 1546, à l'âge de trente-sept ans, l'illustre et malheureux Étienne Dolet, l'ami de Rabelais et de Marot, imprimeur, traducteur de Platon, poète, orateur, l'un des esprits éminents de ce XVIe siècle où la philosophie et la science eurent tant de victimes; accusé d'athéisme il fut condamné «pour blasphèmes, sédition et exposition de livres prohibés et damnés, à être mené dans un tombereau depuis la Conciergerie jusqu'à la place Maubert, où seroit plantée une potence autour de laquelle il y auroit un grand feu, auquel, après avoir été soulevé en ladite potence, il seroit jeté et brûlé avec ses livres, son corps converti en cendres. Et néanmoins est retenu in mente curiœ que où ledit Dolet fera aucun scandale ou dira aucun blasphème, sa langue lui sera coupée et sera brûlé tout vif.»
De la place Maubert partent deux des principales artères du Paris méridional: la rue Saint-Victor, qui mène au Jardin-des-Plantes et à la Salpêtrière; la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, qui mène par la rue Mouffetard à la barrière Fontainebleau. Ces deux grandes voies publiques composent, avec celles qui y aboutissent, la partie la plus pauvre, la plus triste, la plus laide de Paris, et les deux quartiers qu'on appelle vulgairement faubourg Saint-Victor, faubourg Saint-Marceau.
La rue Saint-Victor doit son nom et son origine à la célèbre abbaye vers laquelle elle conduisait; elle ne s'étendait d'abord que jusqu'aux rues des Fossés-Saint-Victor et Saint-Bernard, en avant desquelles était jadis une porte de l'enceinte de Philippe-Auguste, démolie en 1684. Là commençait le faubourg où était située l'abbaye et qui est aujourd'hui dénommée comme continuation de la rue Saint-Victor. Au delà des rues Copeau et Cuvier, elle portait, depuis 1626, le nom de Jardin du Roi, à cause du Jardin-des-Plantes, dont l'entrée principale était alors dans cette rue; à ce nom a été substitué celui de Geoffroy-Saint-Hilaire. Au delà de la rue du Fer-à-Moulin, la grande voie dont nous nous occupons prend le nom de rue du marché aux chevaux, à cause de l'établissement de même nom qu'elle renferme, et elle atteint sous ce nom le boulevard de l'Hôpital; enfin, on peut regarder comme sa continuation la rue d'Austerlitz, qui aboutit à la barrière d'Ivry.
Les monuments ou établissements publics que renferment la rue Saint-Victor et les rues qui la continuent sont:
1º L'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.--C'était autrefois une chapelle bâtie dans le clos ou fief du même nom qui dépendait de l'abbaye Saint-Victor: elle fut transformée en paroisse en 1656 et renfermait les tombeaux de Jean de Selve, négociateur du traité de Madrid, du savant Jérôme Bignon, avocat général au Parlement de Paris et grand maître de la bibliothèque du roi Louis XIII, de Charles Lebrun, le peintre favori de Louis XIV, des membres de la famille Voyer d'Argenson, etc. On y a placé dernièrement celui du poëte Santeul, moine de Saint-Victor. Cette église est une succursale du douzième arrondissement. Auprès d'elle est un séminaire qui a été fondé en 1644; détruit en 1792, il fut rétabli en 1811.
2º La halle aux vins. (Voir les quais, page 48.)
3º Le Jardin des Plantes, qui a été fondé en 1633 par Bouvard et Guy de la Brosse: ces médecins du roi Louis XIII achetèrent à cet effet quatorze arpents de terrain cultivés, au milieu desquels se trouvait la butte des Copeaux, formée par des dépôts d'immondices, butte avec laquelle on a construit le joli labyrinthe du jardin. Ce jardin, cinq fois moins étendu qu'il n'est aujourd'hui, était alors borné au nord par un vieux mur, au delà duquel, et jusqu'à la Seine, étaient des marais cultivés qui sont aujourd'hui compris dans l'enceinte de l'établissement. Guy de la Brosse y rassembla environ trois mille plantes et y fonda des cours de botanique, de chimie, d'anatomie et d'histoire naturelle. L'œuvre fut continuée successivement, avec autant de zèle que de succès par Vallot, d'Aquin, Fagon, Tournefort, Jussieu et principalement par Buffon. De nouveaux cours furent créés, des amphithéâtres et des galeries construits, et le jardin s'enrichit de collections données par l'Académie des sciences, les missionnaires, les souverains étrangers. Un décret de la Convention, du 14 juin 1793, organisa l'établissement en Muséum d'histoire naturelle et y créa douze chaires; Chaptal, sous l'Empire, lui donna une nouvelle extension, et enfin Cuvier a fait du jardin et du muséum le plus magnifique établissement de ce genre qui existe dans le monde. Ses bâtiments aussi simples qu'élégants, ses collections si riches, son jardin si pittoresque excitent une admiration bien légitime; mais, quand on arrive pour visiter ces merveilles par le quartier que nous décrivons, on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a peut-être dans Paris cent mille individus croupissant dans des taudis sans feu, sans air, sans pain, qui seraient heureux de loger là où sont entretenus avec une sollicitude si minutieuse les pierres, les fossiles, les singes, les girafes; et l'on se demande si tant de luxe était nécessaire aux progrès des sciences naturelles et au profit que peuvent en tirer les arts utiles.
4º L'hôpital de la Pitié.--En 1622, le gouvernement de Louis XIII ayant ordonné d'enfermer les mendiants, dont le nombre était devenu prodigieux et le vagabondage plein de dangers, les magistrats achetèrent à cet effet cinq maisons, dont la principale fut la Pitié. En 1657, quand l'hôpital général de la Salpêtrière fut ouvert, on destina la Pitié aux enfants trouvés et aux orphelins auxquels on apprenait des métiers. En 1809, cet hôpital devint et il est resté un annexe de l'Hôtel-Dieu, qui renferme six cents lits placés dans vingt-trois salles.
5º Le marché aux chevaux, fondé en 1641 sur un terrain dit la Folie-Eschalait, par les soins de Baranjon, apothicaire et valet de chambre du roi.
Les monuments publics que renfermait jadis la rue Saint-Victor étaient:
1º Le collége du cardinal Lemoine, fondé en 1302, et où Turnèbe, Buchanan, Muret ont professé. Sur son emplacement l'on voit une belle rue qui mène du pont de la Tournelle à la rue Saint-Victor.
2º Le collége des Bons-Enfants, près de la porte Saint-Victor et dont le clos était traversé par la muraille de Philippe-Auguste; il avait été fondé dans le XIIIe siècle et comptait parmi ses élèves Calvin. En 1624, il se trouvait presque abandonné, lorsque saint Vincent de Paul y établit le séminaire des Prêtres de la Mission ou de Saint-Firmin, qui subsista jusqu'à la révolution. Alors les bâtiments furent transformés en prisons, et c'est là que, dans les journées de septembre, quatre-vingt-onze prêtres furent massacrés, parmi lesquels le vénérable curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Gros, membre de l'Assemblée constituante. Une partie de l'édifice fut ensuite vendue, et dans l'autre partie on établit, en 1817, l'institution des jeunes aveugles, qui y est restée jusqu'en 1842. Cette dernière partie est occupée aujourd'hui par une caserne.
3º L'abbaye Saint-Victor occupait tout l'espace compris entre les rues Saint-Victor, des Fossés-Saint-Bernard, Cuvier et la Seine, et avait dans sa juridiction et sa censive presque tout le quartier. Elle avait été fondée en 1110 par Guillaume de Champeaux. Cet illustre chef de l'école de Paris, ayant été vaincu dans les combats de la dialectique et de la théologie par Abeilard, son disciple, se retira près d'une antique chapelle dédiée à saint Victor, dans les champs solitaires qui existaient entre la Seine et la Bièvre, et s'y bâtit une retraite qui devint bientôt, par la protection de Louis VI, une abbaye. Ses disciples l'y suivirent; il reprit ses leçons; Abeilard y vint encore engager contre lui des tournois d'éloquence, de subtilité et d'érudition, où Guillaume fut de nouveau vaincu; mais l'abbaye Saint-Victor n'en devint pas moins l'école la plus florissante de la France, et ses nombreux écoliers attirèrent la population sur la rive gauche de la Seine, dans le voisinage de la montagne Sainte-Geneviève, qui commença dès lors à se couvrir de rues et de maisons. Pendant tout le moyen âge, cette abbaye garda sa célébrité, avec sa règle austère et ses florissantes études. La plupart de ses abbés ont laissé un nom dans l'histoire de l'Église, principalement Hugues de Champeaux, Hugues de Saint-Victor, Richard de Saint-Victor, etc. Saint Bernard la visita plusieurs fois et entretint avec elle des relations continuelles. Saint Thomas de Cantorbéry l'habita lorsqu'il vint se réfugier en France. Un grand nombre d'évêques de Paris, parmi lesquels Maurice de Sully, ont voulu mourir dans cette sainte maison et y être inhumés. Son cimetière renfermait plus de dix mille morts, parmi lesquels le théologien Pierre Comestor, le poète Santeul, le jésuite Maimbourg, etc. Cette abbaye a gardé jusqu'à la révolution sa réputation scientifique: sa bibliothèque, d'abord composée d'ouvrages ridicules, au dire de Rabelais et de Scaliger, devint très-précieuse lorsqu'elle fut dotée, en 1652 et 1707, par deux savants magistrats, Henri Dubouchet et le président Cousin: elle renfermait plus de vingt mille manuscrits. L'abbaye avait conservé de sa première fondation son cloître percé de jolies arcades soutenues par des groupes de colonnettes, et quelques parties de son église, qui avait été reconstruite sous François Ier, entre autres un élégant clocher et une crypte souterraine. L'enclos était traversé par un canal dérivé de la Bièvre en 1148.
L'abbaye Saint-Victor fut supprimée et détruite en 1790; la plus grande partie des terrains a été attribuée à la halle aux vins en 1808; l'autre partie a servi à former les deux rues Guy-de-la-Brosse et Jussieu et la petite place Saint-Victor, etc. L'administration municipale n'a pas eu un souvenir pour l'abbaye, dont les écoles ont amené le peuplement de la montagne Sainte-Geneviève, et, au lieu de donner aux rues ouvertes sur ses ruines les noms ou de Guillaume de Champeaux, ou de Hugues de Saint-Victor, ou de Maurice de Sully, ou même les noms plus populaires, plus mondains d'Abeilard et de Santeul, elle leur a donné ceux des fondateurs du Jardin-des-Plantes. Il restait de l'abbaye, au coin de la rue de Seine, une tour, dite Alexandre, à laquelle était adossée une fontaine et qui jadis servait de prison pour les jeunes nobles débauchés: elle a été détruite en 1840 et remplacée par une fontaine monumentale élevée à la gloire de Cuvier.
Voici les rues les plus remarquables qui aboutissent aux rues Saint-Victor, Geoffroy-Saint-Hilaire, etc.:
1º Rue de Bièvre.--Cette rue est ainsi appelée d'un canal qui fut dérivé de la rivière de Bièvre dans le XIIe siècle, à travers l'abbaye Saint-Victor et le clos du Chardonnet, et qui s'écoulait par cette rue dans la Seine. Ce canal existait encore, sous forme d'un large égout, à la fin du XVIIe siècle. Dans la rue de Bièvre était le collége Saint-Michel, qui, suivant Piganiol, «a servi d'hospice,» au fameux cardinal Dubois, lequel y fut admis d'abord comme valet, ensuite comme boursier.
2º Rue des Bernardins.--Elle tire son nom d'un collége fondé en 1244 pour les religieux de l'ordre de Cîteaux. Le jardin de ce collége a servi à ouvrir, en 1773, le marché aux Veaux, ainsi que les rues de Pontoise et de Poissy. Quant aux bâtiments, il en reste une partie située rue de Pontoise et où l'on remarque un vaste réfectoire divisé en trois nefs, construction du XIVe siècle, aussi élégante que hardie; ces bâtiments ont servi longtemps de dépôt d'archives pour la ville; aujourd'hui, ils sont transformés en caserne de sapeurs-pompiers. L'église n'existe plus; elle datait de 1388 et avait été commencée par le pape Benoît XII; quoique non achevée, elle passait pour un chef-d'œuvre. Elle servit de prison en 1792, et, dans les journées de septembre, soixante-dix individus, condamnés aux galères et qui s'y trouvaient renfermés, y furent massacrés.
Dans la rue des Bernardins était la maison de la famille Bignon, famille parisienne qui a rendu les plus grands services aux sciences et a donné d'illustres magistrats.
3º Rue des Fossés-Saint-Victor.--Elle a été bâtie sur l'emplacement de l'enceinte de Philippe-Auguste et quelques maisons gardent des vestiges de cette enceinte. Au nº 13 a demeuré Buffon. Au nº 23 est une maison qui a été habité par le poète Baïf, où il réunissait les beaux esprits de son temps et dans laquelle Charles IX et Henri III assistèrent à des représentations musicales. Cette maison devint, en 1633, le couvent des religieuses anglaises de Notre-Dame de Sion, fut vendue en 1790 et a été rachetée en 1816 par les mêmes religieuses. Auprès d'elle est une maison qui a été bâtie par le grand peintre Lebrun et où il est mort. Au nº 27 était le collége ou séminaire des Écossais, fondé par Philippe-le-Bel, rebâti en 1662 pour les catholiques de la Grande-Bretagne; la chapelle renfermait les tombeaux de plusieurs princes de la maison des Stuart. Au nº 24 a demeuré l'auteur des Essais historiques sur Paris, Saint-Foix. Au nº 37 était la congrégation des prêtres de la Doctrine chrétienne, fondée en 1627 par Gondi, archevêque de Paris, pour former des professeurs et des prédicateurs. La bibliothèque était très-riche et publique. Cette maison occupait une partie du clos des arènes, dans lequel, du temps des Romains, était un cirque pour les jeux publics. Ce cirque avait été rétabli par le roi Chilpéric, et l'on en voyait encore des débris au XIIIe siècle.
Au coin des rues Saint-Victor et des Fossés-Saint-Victor était la maison de l'épicier Desrues, fameux empoisonneur, qui fut brûlé en place de Grève en 1770.
4º Rue Lacépède, qui jusqu'à ces dernières années s'est appelée Copeau, du clos des Coupeaux, sur lequel elle a été ouverte. Dans cette rue est la prison de Sainte-Pélagie, dont l'entrée est rue de la Clef. Cette prison était autrefois un refuge, fondé en 1681 par madame Beauharnais de Miramion [66], pour les filles débauchées, et où l'on renfermait aussi, par l'ordre des magistrats, les femmes de mauvaise vie. En 1792, cette maison devint une prison pour les criminels ordinaires; mais cela n'empêcha pas d'y mettre des détenus politiques, et l'on y renferma successivement royalistes, girondins, montagnards, chouans, opposants au régime impérial. Madame Roland, Joséphine Beauharnais, Charles Nodier y ont été détenus. En 1797, elle devint la prison des détenus pour dettes et une maison de correction pour les enfants vagabonds; elle resta en même temps une maison de réclusion pour les condamnés politiques, principalement pour les écrivains. Aussi a-t-elle eu des hôtes célèbres sous la Restauration et le gouvernement de Louis-Philippe: Béranger, Châtelain, Jay, Jouy, Armand Carrel, Marrast, Godefroy Cavaignac, Lamennais, etc. En 1828, la maison fut dédoublée et partagée en deux prisons, l'une de la dette, l'autre de la détention: de celle-ci s'évadèrent en 1835 vingt-huit détenus républicains. Cette même année, les prisonniers pour dettes furent transférés rue de Clichy, et Sainte-Pélagie est restée dès lors une prison pour tous les délits ou crimes civils ou politiques.
5º Rue d'Orléans, ainsi appelée d'un séjour qui avait appartenu au duc d'Orléans, frère de Charles VI. Ce séjour était compris entre les rues d'Orléans, Fer-à-Moulin, Mouffetard et Jardin-des-Plantes; c'était une habitation toute champêtre, traversée par la Bièvre, accompagnée de saulsayes et d'un jardin où «étoient cerisier, lavande, romarin, pois, fèves, treilles, haies, choux, porées pour les lapins et chenevis pour les oiseaux.» Le duc d'Orléans y donna plusieurs fêtes. Cette propriété passa dans la maison d'Anjou-Sicile et fut habitée par Marguerite d'Anjou, veuve de Henri VI d'Angleterre; elle fut réunie à la couronne sous Louis XI, vendue à la famille de Mesmes au XVIe siècle, et divisée en plusieurs logis. Dans l'un d'eux fut établi, en 1656, le couvent des Filles de la Croix, pour l'éducation des enfants pauvres.
6º Rue Censier.--C'était autrefois une impasse qui avait été ouverte dans les jardins du séjour d'Orléans: on l'appela, comme toutes les impasses, rue sans chef, et, par corruption, Sencée et Censier. Elle est bordée par la Bièvre et habitée principalement par des tanneries.
Au coin de la rue du Pont-aux-Biches, sur les bords de la rivière, était autrefois l'hospice de Notre-Dame de la Miséricorde, appelé vulgairement les Cent-Filles, et qui avait été fondé en 1624 par le président Séguier. C'était à l'époque où le nombre des pauvres était devenu très-considérable dans Paris et où la charité privée venait en aide à la sollicitude du gouvernement pour le diminuer. Le président Séguier acheta une partie du séjour d'Orléans et y fonda un hôpital pour cent jeunes filles nées à Paris et orphelines de père et de mère, auxquelles on donnait une éducation chrétienne, un métier et une dot, et qui n'en sortaient qu'à vingt ans. Par un privilége royal, les compagnons d'arts et métiers qui, après avoir fait leur apprentissage, épousaient les filles de cet hôpital, étaient reçus maîtres sans faire de chef-d'œuvre et sans payer les droits de réception. L'administration de ce bel établissement appartenait au Parlement et à la famille du fondateur. Il fut détruit en 1790, et la propriété de la maison a été donnée à l'administration des hôpitaux de Paris.
7º Rue Fer-à-Moulin, ou, plus exactement, Permoulin, du nom d'un de ses habitants. Cette rue existait dès le XIIe siècle et faisait partie du hameau de Richebourg. Elle renfermait des hôtels ou séjours remarquables appartenant aux comtes de Boulogne, aux comtes de Forez, aux comtes d'Armagnac, etc. On y trouve la maison de Scipion, ainsi appelée d'un hôtel bâti par Scipion Sardini, sous Henri III, qui fut acquis par la ville de Paris en 1622 pour en faire un hospice, et qui est aujourd'hui la boulangerie des hôpitaux civils de Paris.
8º Rue des Fossés-Saint-Marcel, bâtie sur les fossés qui entouraient le bourg Saint-Marcel. C'est une rue triste, tortueuse, pleine de masures, à peine habitée. On y trouvait le cimetière Clamart, ainsi appelé d'un hôtel de même nom, sur l'emplacement duquel il a été ouvert: c'était là qu'on enterrait les malheureux morts à l'hôtel-Dieu [67] et les suppliciés; il est aujourd'hui fermé. Dans la foule des morts tristement fameux que renferme ce coin de terre, il faut nommer Pichegru.
9º Boulevard de l'Hôpital.--En 1760, Louis XV ordonna «l'établissement et la construction d'un nouveau rempart au midi de la ville, pour la commodité des abords et l'embellissement de cette partie de la capitale, ledit rempart devant commencer à la barrière de la rue de Varennes, du côté des Invalides, et finir au bord de la rivière de Seine, sur le port hors Tournelle.» Ainsi fut formée, à l'imitation des boulevards intérieurs du nord, qui commençaient à devenir une promenade fréquentée, la série des boulevards intérieurs du midi, qui commencent place Valhubert, en face le pont d'Austerlitz, longent le mur d'enceinte de la ville, depuis la barrière d'Italie jusqu'à la hauteur du cimetière Montparnasse, et, se continuant dans l'intérieur de la ville, se terminent près de l'entrée de l'hôtel des Invalides. Ces boulevards ont été pendant longtemps de grandes chaussées bordées de beaux arbres, mais boueuses, désertes, où s'élevaient à peine quelques rares maisons. Depuis quelques années, ils ont été assainis, réparés et sont bordés presque partout de constructions; mais ils sont loin d'avoir l'animation et la population des boulevards du nord; ce sont des voies de communication ordinaires et non le rendez-vous de la mode, du luxe et des plaisirs.
Le boulevard de l'Hôpital commence à la place Valhubert et finit à la barrière d'Italie. Il est assez fréquenté, à cause des établissements publics qu'il renferme; mais il n'en est pas moins aussi triste que le quartier qu'il avoisine, et il n'est bordé, surtout dans sa partie orientale, que par des masures. On y trouve:
1º L'embarcadère du chemin de fer d'Orléans.
2º L'hospice de la Vieillesse-Femmes ou l'hôpital général de la Salpêtrière.
Au commencement du règne de Louis XIII, le nombre des mendiants et des vagabonds s'était accru de telle sorte, que le gouvernement, les magistrats parisiens et quelques personnes charitables cherchèrent à le diminuer en ouvrant des asiles à ces malheureux: ainsi, en 1615, Marie de Médicis transforma l'établissement de la Savonnerie en hôpital pour les pauvres; en 1622, la ville de Paris acheta pour le même objet la maison de Scipion, l'hospice de la Pitié, etc. Tout cela devint insuffisant après les troubles de la Fronde et l'accroissement continuel que prenait Paris: le nombre des mendiants s'éleva jusqu'à quarante mille, et les moyens de police étant alors presque nuls ou réduits à quelques ordonnances du Parlement, il devint menaçant pour la tranquillité publique. «Il n'était pas facile, dit Jaillot, de dissiper une foule de vagabonds qui ne connaissaient de loi que leur cupidité, qui demandaient avec arrogance et souvent n'obtenaient que par violence ou par adresse les secours dont ils étaient indignes, et qui, par leur nombre ou par leur audace, étaient capables de se porter aux plus grands excès pour se maintenir dans leur indépendance.» Alors, en 1656, le roi, sur la proposition de Pomponne de Bellièvre, premier président du Parlement, se décida à porter remède au mal. Son ordonnance de fondation de l'hospice général des pauvres est un véritable monument de sagesse et de dignité. «Comme nous sommes redevables, dit-il, à la miséricorde divine de tant de grâces et d'une visible protection qu'elle a fait paraître sur notre conduite à l'avénement et dans l'heureux cours de notre règne, par le succès de nos armes et le bonheur de nos victoires, nous croyons être plus obligés de lui en témoigner nos reconnaissances par une royale et chrétienne application aux choses qui regardent son honneur et son service... considérant les pauvres mendiants comme membres vivants de Jésus-Christ et non pas comme membres inutiles de l'État, et agissant en la conduite d'un si grand œuvre, non par ordre de police, mais par le motif de la charité... A ces causes... nous ordonnons que les pauvres mendiants valides de l'un et l'autre sexe soient enfermés, pour être employés aux ouvrages, travaux de manufactures, selon leur pouvoir... Donnons à cet effet, par les présentes, la maison et l'hôpital, tant de la Grande et Petite Pitié que du Refuge, sis au faubourg Saint-Victor, la maison et l'hôpital de Scipion et la maison de la Savonnerie; ensemble maisons et emplacement de Bicêtre... Voulons que les lieux servant à enfermer les pauvres soient nommés l'Hôpital général des pauvres; que l'inscription en soit mise, avec l'écusson de nos armes, sur le portail de la maison de la Pitié; entendons être conservateur et protecteur dudit hôpital,» etc.
Les établissements indiqués étant insuffisants pour contenir les pauvres, on éleva, d'après les dessins de Libéral Bruant, sur l'emplacement d'une salpêtrière bâtie par Louis XIII, l'église et les vastes bâtiments qui existent aujourd'hui, et l'on y enferma jusqu'à cinq mille pauvres, aveugles, enfants, aliénés, etc.; les autres se dispersèrent ou furent renvoyés dans leurs provinces. En 1662, ce nombre était déjà doublé; mais les directeurs, ne pouvant les nourrir, allaient être forcés de leur ouvrir les portes, quand on se décida à mettre les hommes à Bicêtre, à la Pitié, etc., et à ne garder à la Salpêtrière que les femmes et les enfants. En 1720, on y créa une maison de travail pour huit cents orphelins, deux cent cinquante cellules pour loger de vieux ménages, et une prison pour les femmes débauchées. Dans les dernières années de l'ancien régime, le nombre de ces femmes était devenu si grand à Paris, que chaque semaine la police en enlevait une centaine: «On les conduit, dit Mercier, dans la prison de la rue Saint-Martin, et, le dernier vendredi du mois, elles reçoivent à genoux la sentence qui les condamne à être enfermées à la Salpêtrière. Le lendemain, on les fait monter dans un chariot qui n'est pas couvert; elles sont toutes debout et pressées: l'une pleure, l'autre gémit; celle-ci se cache le visage; les plus effrontées soutiennent les regards de la populace, qui les apostrophe; elles ripostent indécemment et bravent les huées qui s'élèvent sur leur passage. Ce char scandaleux traverse une partie de la ville en plein jour.» En 1789, la Salpêtrière était le réceptacle de toutes les misères et infirmités humaines: il y avait sept à huit mille femmes indigentes et autant de détenues, des femmes enceintes, des enfants trouvés, des fous, des épileptiques, des estropiées, des incurables de tout genre. Aujourd'hui et depuis 1802, l'hospice est destiné spécialement aux vieilles femmes âgées de soixante-dix ans, ou insensées, ou aveugles, ou accablées de maladies incurables. Il en renferme près de six mille. C'est le plus vaste hôpital de l'Europe, ou, pour mieux dire, une ville d'hospices, qui a ses rues, ses quartiers, son marché, et qui se compose de quarante-cinq corps de bâtiments ayant une superficie de trente hectares. L'église est très-belle: c'est un dôme octogone percé de huit arcades, sur lesquelles s'ouvrent autant de nefs.