Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 02 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française
Les journées du 31 mars et du 1er avril furent employées à examiner la ligne des Danois, à sonder les passes, à convenir d'un plan d'attaque. Nelson, Parker, les plus vieux capitaines de la flotte, et le commandant de l'artillerie, firent eux-mêmes cette reconnaissance au milieu des glaces, et quelquefois sous les boulets de l'ennemi. Nelson soutint qu'avec dix vaisseaux, il se chargerait d'attaquer et d'enlever la droite de la ligne des Danois. Son projet était de descendre le long du Middel-Grund par la Passe-des-Hollandais, de le doubler ensuite, de remonter par la Passe-Royale, et de venir se placer vaisseau contre vaisseau, à cent toises de la ligne des Danois. Il voulait en outre qu'une division de la flotte, sous un brave officier, le capitaine Riou, attaquât la batterie fixe des Trois-Couronnes, et après en avoir éteint les feux, y débarquât un millier d'hommes pour la prendre d'assaut. Le commandant en chef Parker, se tenant à la tête de la réserve, ne devait pas s'engager dans cette manœuvre hardie; il était convenu qu'il demeurerait en arrière pour canonner la citadelle, et recueillir les bâtiments maltraités.
Cette manœuvre, téméraire comme celle d'Aboukir, ne pouvait réussir qu'avec beaucoup d'habileté et de bonheur. L'amiral Parker y consentit, à condition qu'on ne s'engagerait pas trop avant dans l'entreprise, si elle présentait de trop grandes difficultés, et donna 12 vaisseaux à Nelson, au lieu de 10 que celui-ci avait demandés. Le 1er avril au soir, Nelson descendit la Passe-des-Hollandais, et vint mouiller fort au-dessous de Copenhague, à un point de l'île d'Amack, appelé Drago. Il lui fallait, pour entrer dans la Passe-Royale et la remonter, un tout autre vent que celui qui l'avait aidé à descendre la Passe-des-Hollandais. Le lendemain au matin, le vent ayant justement soufflé dans une direction contraire à celle de la veille, il remonta la Passe-Royale, manœuvrant entre la ligne des Danois et le bas-fond du Middel-Grund. Toutes les passes avaient été sondées; mais, malgré ce soin, trois vaisseaux échouèrent sur le Middel-Grund, et Nelson ne se trouva en ligne qu'avec 9. Il ne se déconcerta point, et vint s'embosser très-près de la ligne des Danois, à une portée qui devait rendre horribles les effets de l'artillerie. Les trois vaisseaux échoués lui firent faute, surtout pour l'attaque de la batterie des Trois-Couronnes, qui ne put être tentée qu'avec des frégates.
À 10 heures du matin toute l'escadre anglaise était en position; elle recevait et rendait un feu épouvantable. Une division de bombardes, tirant peu d'eau, s'était placée sur le bas-fond du Middel-Grund, et envoyait sur Copenhague des bombes, qui passaient par-dessus les deux escadres. Les Danois avaient 800 bouches à feu en batterie, et causaient aux Anglais un dommage considérable. Les officiers commandant les bâtiments rasés déployèrent une rare intrépidité, et trouvèrent dans leurs artilleurs le plus noble dévouement. Le commandant du Provesten en particulier, qui occupait l'extrémité de la ligne au sud, se conduisit avec un courage héroïque. Nelson, sentant bien qu'il importait avant tout de priver la ligne danoise de l'appui qu'elle trouvait aux batteries de l'île d'Amack, avait dirigé quatre bâtiments contre le Provesten seul. M. de Lassen, commandant du Provesten, se défendit jusqu'à ce qu'il eût fait tuer cinq cents de ses artilleurs sur six cents; puis il se jeta à la nage avec les cent qui lui restaient, pour fuir son vaisseau en flammes. Il eut ainsi la gloire de ne pas amener son pavillon. Nelson reporta dès lors tous ses efforts contre les autres vaisseaux rasés, et réussit à en désemparer plusieurs. Cependant à l'autre bout de la ligne le capitaine Riou était fort maltraité. Trois vaisseaux anglais ayant échoué sur le Middel-Grund, il n'avait que des frégates à opposer aux batteries des Trois-Couronnes, et il en recevait un feu effroyable, sans espoir de l'éteindre, et de pouvoir donner l'assaut. Parker, voyant la résistance des Danois, et craignant que les vaisseaux anglais trop maltraités dans leur gréement, ne fussent exposés à échouer, voyant surtout le danger du capitaine Riou, donna l'ordre de cesser le combat. Nelson, apercevant ce signal au grand mât de Parker, laissa échapper un noble mouvement de colère. Il était privé de l'usage d'un œil: il se saisit de sa lunette; et la plaçant sur son œil borgne, il dit froidement: Je ne vois pas les signaux de Parker; et il ordonna de continuer le combat à outrance. Ce fut là une noble imprudence, suivie, comme il arrive souvent à l'imprudence audacieuse, d'un heureux succès.
Les bâtiments rasés des Danois, ne pouvant se mouvoir pour aller chercher un appui sous les batteries de terre, étaient exposés à un feu destructeur. Le Danebrog venait de sauter, avec un fracas horrible; plusieurs autres étaient désemparés, et s'en allaient à la dérive, après avoir fait des pertes d'hommes énormes. Mais les Anglais, de leur côté, n'étaient pas moins maltraités, et se trouvaient dans le plus grand péril. Nelson cherchant à s'emparer des bâtiments danois qui avaient amené leur pavillon, fut accueilli, en approchant des batteries de l'île d'Amack, par plusieurs décharges meurtrières. Dans ce moment, deux ou trois de ses vaisseaux se trouvaient à peu près réduits à l'impossibilité de manœuvrer, et, du côté des Trois-Couronnes, le capitaine Riou, obligé de s'éloigner, venait d'être coupé en deux par un boulet. Nelson, presque vaincu, ne se déconcerta pas, et eut l'idée d'envoyer un parlementaire au prince de Danemark, qui assistait dans l'une des batteries à cette horrible scène. Il lui fit dire que si l'on n'arrêtait pas le feu, qui l'empêchait de se saisir de ses prises, lesquelles lui appartenaient de droit, puisqu'elles avaient amené leur pavillon, il serait obligé de les faire sauter avec leurs équipages; que les Anglais étaient les frères des Danois, qu'ils s'étaient assez battus, et ne devaient pas se détruire.
Le prince, ébranlé par cet affreux spectacle, craignant pour la ville de Copenhague, désormais privée de l'appui des batteries flottantes, ordonna la suspension du feu. Ce fut une faute; car, encore quelques instants, et la flotte de Nelson, presque mise hors de combat, était obligée de se retirer à moitié détruite. Une sorte de négociation s'établit, et Nelson en profita pour quitter sa ligne d'embossage. Tandis qu'il se retirait, trois de ses vaisseaux, considérablement avariés, ne pouvant plus manœuvrer, échouèrent sur le Middel-Grund. Si, en cet instant, le feu avait duré encore, ces trois vaisseaux eussent été perdus.
Le lendemain, Nelson et Parker, après de grands efforts, relevèrent leurs bâtiments échoués, et entamèrent une négociation avec les Danois, dans le but de stipuler une suspension d'armes. Ils en avaient autant besoin que les Danois, car ils avaient 1,200 hommes morts ou blessés, et six vaisseaux horriblement ravagés. La perte des Danois n'était pas de beaucoup supérieure; mais ils avaient trop compté sur leur ligne de batteries flottantes, et maintenant que ces batteries étaient détruites, la partie basse de la ville, celle qui est baignée par la mer, était exposée au bombardement. Ils craignaient surtout pour le bassin qui contenait leurs bâtiments de guerre, lesquels, à moitié équipés, immobiles et serrés dans ce bassin, pouvaient être brûlés jusqu'au dernier. C'était pour eux le sujet d'une cruelle préoccupation. Ils tenaient, en effet, à leur escadre comme à leur existence maritime elle-même; car, cette escadre perdue, ils n'étaient pas en mesure de la remplacer. Dans ce moment, irrités par la souffrance et le danger, ils se plaignaient de leurs alliés, sans tenir compte des difficultés qui avaient empêché ceux-ci d'accourir sous les murs de Copenhague. Les vents contraires, les glaces, le défaut de temps, avaient retenu les Suédois et les Russes, sans qu'il y eût de leur faute. Il est vrai que, s'ils fussent venus avec leurs 20 vaisseaux se joindre à la flotte danoise dans la rade où l'on combattait, Nelson eût échoué dans son audacieuse entreprise, et les droits de la neutralité maritime auraient triomphé dans cette journée. Mais le temps avait manqué à tout le monde, et la promptitude des Anglais avait changé le destin de cette guerre.
Parker, qui avait craint la témérité de Nelson dans le combat du 2, jugeait maintenant très-bien la position des Danois, et entendait tirer toutes les conséquences de la bataille livrée. Il voulait que les Danois sortissent de la confédération des neutres, qu'ils ouvrissent leurs ports aux Anglais, et reçussent en outre une force anglaise, sous prétexte de les mettre à couvert contre le ressentiment de leurs alliés. Nelson eut le courage de descendre à terre le 3 avril pour porter ces propositions au prince royal. Il alla dans un canot à Copenhague, entendit les murmures de cette brave population indignée à son aspect, et trouva le prince royal inflexible. Ce prince, plus alarmé la veille qu'il ne l'aurait fallu du danger de Copenhague, ne voulut cependant jamais consentir à la honteuse défection qu'on lui proposait. Il répondit qu'il s'ensevelirait plutôt sous les cendres de sa capitale, que de trahir la cause commune. Nelson revint à bord du vaisseau amiral sans avoir rien obtenu.
Dans cet intervalle, les Danois, se voyant exposés au danger d'une seconde bataille, se mirent à l'œuvre, et ajoutèrent de nouveaux ouvrages à ceux qui existaient déjà. Ils rendirent plus redoutable encore la batterie des Trois-Couronnes, couvrirent de canons l'île d'Amack et la partie basse de la ville. Ils amenèrent les vaisseaux, objet de toute leur sollicitude, dans les bassins les plus éloignés de la mer, les couvrirent de fumier et de blindages, de manière à les préserver du feu, et finirent par se rassurer en voyant l'hésitation des Anglais, qui ne se montraient pas fort pressés de recommencer cette terrible lutte. Toute la population valide était réunie, partie sous les armes, partie occupée à préparer les moyens d'éteindre l'incendie.
Enfin, après cinq jours d'attente, Nelson revint à Copenhague, malgré les dispositions menaçantes du peuple danois. La discussion fut vive, et il prit sur lui de faire des concessions, auxquelles l'amiral Parker ne l'avait pas autorisé. Il convint d'un armistice qui n'était qu'un véritable statu quo. Les Danois ne se retiraient point de la confédération, mais toutes hostilités étaient suspendues entre eux et les Anglais, pendant quatorze semaines, après quoi ils devaient se retrouver dans la même position qu'au jour de la signature de cette suspension d'armes. L'armistice comprenait seulement les îles danoises et le Jutland, mais pas le Holstein, de manière que les hostilités pouvaient continuer sur l'Elbe, et que dès lors ce fleuve restait interdit aux Anglais. Ceux-ci devaient se tenir à une portée de canon de tous les ports et vaisseaux danois, excepté dans la Passe-Royale, qu'ils avaient la faculté de traverser librement pour se rendre dans la Baltique. Défense leur était faite, par conséquent, de s'appuyer sur aucun des points du territoire danois. Il ne leur était permis d'y toucher que pour prendre des rafraîchissements et des vivres.
Ce fut là tout ce que Nelson put obtenir, et c'était, il faut le reconnaître, tout ce que sa victoire l'autorisait à exiger. Mais, tandis qu'il quittait Copenhague, une nouvelle sinistre s'y répandait, et le prince royal, qu'elle avait décidé à traiter, réussit à lui en soustraire la connaissance. On disait, en effet, dans ce moment, que Paul Ier venait de mourir subitement. Nelson partit sans connaître cette nouvelle, qui aurait certainement ajouté beaucoup à ses prétentions. L'armistice fut instantanément ratifié par l'amiral Parker. Le prince danois fit aussitôt avertir les Suédois de ne pas s'exposer inutilement aux coups des Anglais, auxquels ils eussent été incapables de résister. L'avis était nécessaire; car, après beaucoup d'efforts, Gustave-Adolphe était parvenu enfin à mettre sa flotte en état de sortir. Il avait même, dans l'ardeur de son zèle, destitué un contre-amiral, et mis en jugement un amiral, pour punir les lenteurs qu'il leur reprochait, du reste, injustement.
Tout cela était superflu. Paul Ier, en effet, avait succombé à Pétersbourg, dans la nuit du 23 au 24 mars. Un tel événement terminait, beaucoup plus sûrement que la victoire incomplète de Nelson, la confédération maritime des puissances du Nord. Paul Ier avait été l'auteur de cette confédération; il apportait à la faire réussir cette passion qu'il mettait à toutes choses, et certainement il eût déployé les plus grands efforts pour réparer le dommage, d'ailleurs fort partagé, de la bataille de Copenhague. Il aurait dirigé des forces de terre sur le Danemark, envoyé toutes les flottes neutres au détroit du Sund, et probablement fait expier aux Anglais leur cruelle entreprise contre la capitale des Danois. Mais ce prince avait poussé à bout la patience de ses sujets, et il venait d'expirer, victime d'une tragique révolution de palais.
Paul Ier était spirituel et point méchant, mais extrême dans ses sentiments, et, comme tous les caractères de cette espèce, capable de bonnes ou de mauvaises actions, suivant les mouvements désordonnés d'une âme violente et faible. Si une telle organisation est funeste chez les particuliers, elle l'est bien davantage chez les princes, bien davantage encore chez les princes absolus. Elle aboutit chez eux à la folie, quelquefois même à une folie sanguinaire. Aussi tout le monde commençait-il à trembler à Pétersbourg: les favoris de Paul les mieux traités n'étaient pas bien certains que leur faveur ne finirait pas par un exil en Sibérie.
Ce prince, sensible et chevaleresque, avait d'abord éprouvé une vive sympathie pour les victimes de la Révolution française, et une haine ardente contre cette révolution. Aussi, tandis que l'habile Catherine s'était bornée, pendant son règne, à exciter toute l'Europe contre la France sans remuer un soldat, Paul, arrivé au trône, avait envoyé Suwarow, avec cent mille Russes, en Italie. Dans la chaleur de son zèle, il avait interdit tout ce qui venait de France, livres, modes et costumes. C'était plus qu'il n'en fallait pour indisposer la noblesse russe, aimant, comme toute l'aristocratie européenne, à médire de la France, à condition toutefois de jouir de son esprit, de ses usages, de sa civilisation perfectionnée. Elle avait trouvé insupportable le zèle contre-révolutionnaire poussé à cet excès.
Bientôt on avait vu Paul, passant aux sentiments contraires, prendre ses alliés en haine, ses ennemis en affection, remplir ses appartements du portrait du général Bonaparte, boire publiquement à sa santé, et, poussant même plus loin le contraste, déclarer la guerre à la Grande-Bretagne. Cette fois il était devenu à la noblesse russe, non pas incommode, mais odieux; car il lésait, non plus ses goûts, mais ses intérêts.
Dans sa vaste étendue, le continent septentrional de l'Europe, fertile en céréales, bois, chanvres, minerais, a besoin de riches négociants étrangers qui recherchent ces marchandises naturelles, et donnent en échange de l'argent ou des objets manufacturés. Ce sont les Anglais qui se chargent de fournir à la Russie, pour les produits bruts de son sol, les produits artistement travaillés de leur industrie, et qui procurent ainsi aux fermiers russes le moyen de payer le fermage des terres à leurs seigneurs. Aussi le commerce anglais domine-t-il à Pétersbourg; et c'est là le lien qui, retenant en partie la politique russe enchaînée à la politique anglaise, retarde une rivalité tôt ou tard inévitable, entre ces deux grands copartageants de l'Asie.
L'aristocratie russe fut donc exaspérée de la nouvelle politique de Paul. Si elle avait blâmé chez ce prince un excès de haine contre la France, elle blâma bien autrement un excès d'amour, quand cet amour si étrange allait jusqu'à des résolutions ruineuses pour les intérêts de la grande propriété. À ces froissements de goûts et d'intérêts, Paul ajoutait des cruautés, qui n'étaient pas naturelles à son cœur, plutôt bon que méchant. Il avait envoyé une foule de malheureux en Sibérie. Touché de leurs souffrances, il en avait prononcé le rappel, mais sans leur rendre leurs biens. Ces infortunés remplissaient Pétersbourg de leur misère et de leurs plaintes. Importuné de ce spectacle, il les exila de nouveau. Chaque jour plus défiant, à mesure que la haine de ses sujets devenait plus sensible à ses yeux, il menaçait toutes les têtes. Il formait de sinistres projets, tantôt contre ses ministres, tantôt contre sa femme et ses enfants; et ce prince, qui n'était que fou, prenait toutes les allures d'un tyran. Il avait disposé le palais Michel, sa résidence ordinaire, comme une forteresse, avec bastions et fossés. On eût dit qu'il voulait s'y garder contre une attaque imprévue. La nuit même il obstruait la porte qui séparait son appartement de celui de l'impératrice, et préparait ainsi, sans s'en douter, les causes de sa fin tragique.
Un tel état de choses ne pouvait durer, et devait finir, comme il avait déjà fini plus d'une fois, dans cet empire qui a marché bien vite, il est vrai, vers la civilisation, mais en ayant la barbarie pour point de départ. L'idée de se défaire du malheureux Paul par les moyens ordinaires, c'est-à-dire par une révolution de palais, là où le palais est la nation, cette idée envahissait toutes les têtes. Admirez les effets des institutions! À une autre extrémité de l'Europe, sur l'un des premiers trônes du monde, se trouvait aussi un prince en démence, prince entêté, mais pieux et honnête, Georges III. Ce prince, privé souvent de sa raison pendant des mois entiers, venait de la perdre encore une fois, dans l'un des moments les plus graves pour l'Angleterre. Cependant les choses s'étaient passées de la manière la plus régulière et la plus simple. La constitution plaçant à côté du roi des ministres qui gouvernent pour lui, cette éclipse de la raison royale n'avait en rien nui aux affaires de l'État. M. Pitt avait gouverné pour Georges III, comme il le faisait depuis dix-sept ans; l'idée d'un crime atroce n'était venue à personne! À Pétersbourg, au contraire, la vue d'un prince en démence sur le trône faisait naître les projets les plus sinistres.
Il y avait alors à la cour de Russie un de ces hommes redoutables, qui ne reculent devant aucune extrémité; qui, dans un gouvernement régulier, deviendraient peut-être de grands citoyens, mais, dans un gouvernement despotique, deviennent des criminels, si le crime est, dans certaines occasions, l'un des moyens non pas approuvés, mais usités, de ce gouvernement. Il faut réprouver le crime en tout pays; il faut surtout réprouver les institutions qui le produisent.
Le comte Pahlen avait servi avec distinction dans l'armée russe. Il était imposant de sa personne, et cachait sous les formes dures et quelquefois familières d'un soldat, un esprit fin et profond. Il était doué en outre d'une audace singulière, et d'une présence d'esprit imperturbable. Gouverneur de Saint-Pétersbourg, chargé de la police de l'empire, initié, grâce à la confiance de son maître, à toutes les grandes affaires de l'État, il était par le fait plus que par son titre le principal personnage du gouvernement russe. Ses idées sur la politique de son pays étaient fortement arrêtées. La croisade contre la Révolution française lui avait paru aussi déraisonnable, que le nouveau zèle contre l'Angleterre lui paraissait intempestif. Une réserve prudente, une neutralité habile, au milieu de la formidable rivalité de la France et de l'Angleterre, lui semblaient la seule politique profitable à la Russie. N'étant ni Anglais, ni Français, mais Russe dans sa politique, il était Russe dans ses mœurs, et Russe comme on l'était du temps de Pierre-le-Grand. Convaincu que tout allait périr, si on n'abrégeait pas le règne de Paul, ayant même conçu des inquiétudes pour sa personne, depuis quelques signes de mécontentement échappés à l'empereur, il prit résolument son parti, et s'entendit avec le comte Panin, vice-chancelier, chargé des affaires étrangères. Tous deux crurent qu'il fallait mettre fin à une situation devenue alarmante pour l'empire aussi bien que pour les individus. Le comte Pahlen se chargea d'exécuter la terrible résolution qu'ils venaient de prendre en commun[33].
L'héritier du trône était le grand-duc Alexandre, dont le règne s'est écoulé de nos jours, jeune prince qui annonçait des qualités heureuses, et qui paraissait alors, ce qu'il n'a pas été depuis, facile à conduire. C'est lui que le comte Pahlen voulait faire arriver à l'empire, par une catastrophe prompte, et sans secousse. Il était indispensable de s'entendre avec le grand-duc héritier, pour avoir son concours d'abord, et aussi pour n'être pas, le lendemain de l'événement, traité en assassin vulgaire, qu'on immole en profitant de son crime. Il était difficile de s'ouvrir avec ce prince, rempli de bons sentiments, et incapable de se prêter à un attentat contre la vie de son père. Le comte Pahlen, sans s'ouvrir, sans avouer aucun projet, entretenait le grand-duc des affaires de l'État, et, à chaque extravagance de Paul, dangereuse pour l'empire, la lui communiquait, puis se taisait, sans tirer aucune conséquence. Alexandre en recevant ces communications, baissait les yeux avec douleur, et se taisait aussi. Ces scènes muettes, mais expressives, se renouvelèrent plusieurs fois. Enfin il fallut s'expliquer plus clairement. Le comte Pahlen finit par faire comprendre au jeune prince, qu'un tel état de choses ne pouvait se prolonger, sans amener la ruine de l'empire; et, se gardant bien de parler d'un crime, dont Alexandre n'aurait jamais écouté la proposition, il dit qu'il fallait déposer Paul, lui assurer une retraite tranquille, mais à tout prix arracher des mains de ce monarque le char de l'État, qu'il allait précipiter dans les abîmes.
Alexandre versa beaucoup de larmes, protesta contre toute idée de disputer l'empire à son père, puis céda peu à peu, devant les preuves nouvelles du danger dans lequel Paul était prêt à jeter les affaires de l'État, et la famille impériale elle-même. Paul, en effet, mécontent des lenteurs de la Prusse dans la querelle des neutres, parlait de faire marcher quatre-vingt mille hommes sur Berlin. À côté de cela, dans le délire de son orgueil, il voulait que le Premier Consul le prît pour arbitre en toutes choses, et que ce personnage si puissant ne fît la paix avec l'Allemagne, les cours de Piémont, de Rome, de Naples, et la Porte, que sur les bases tracées par la Russie; de sorte qu'on pouvait bientôt craindre de n'être pas même d'accord avec la France, dont on avait si chaudement adopté la politique. À ces raisons le comte Pahlen ajouta quelques inquiétudes sur la sûreté de la famille impériale, dont Paul commençait, disait-on, à se méfier.
Alexandre se rendit enfin, mais en exigeant du comte Pahlen le serment solennel qu'il ne serait pas attenté aux jours de son père. Le comte Pahlen jura tout ce que voulut ce fils inexpérimenté, qui croyait qu'on pouvait arracher le sceptre à un empereur, sans lui arracher la vie.
Restait à trouver des exécuteurs, car, en concevant un tel projet, le comte Pahlen regardait comme au-dessous de lui d'y mettre la main. Il les désigna dans sa pensée, mais se réservant, suivant la confiance qu'ils mériteraient, de les avertir plus ou moins tôt, du rôle qui leur était réservé. Les Soubow, parvenus par la faveur de Catherine, furent choisis comme les principaux instruments de la catastrophe. Le comte Pahlen ne les avertit que fort tard. Platon Soubow, le favori de Catherine, souple, remuant, était digne de figurer dans une révolution de palais. Son frère Nicolas, distingué seulement par une grande force physique, était digne d'y remplir les rôles subalternes. Valérien Soubow, brave et honnête militaire, ami du grand-duc Alexandre, avait mérité d'être exclu de ce complot. Ils avaient une sœur, liée avec toute la faction anglaise, amie de lord Withworth, l'ambassadeur d'Angleterre, et qui leur soufflait toutes les passions de la politique britannique. Le comte Pahlen se prépara beaucoup d'autres complices, les fit venir à Pétersbourg sous divers prétextes, mais sans leur rien découvrir. Il en est un qu'il avait mandé aussi à Pétersbourg, du concours duquel il ne doutait point, pas plus que de sa redoutable énergie: c'était le célèbre général Benningsen, Hanovrien attaché au service de Russie, le premier officier de l'armée russe à cette époque, qui plus tard, en 1807, eut l'honneur de ralentir en Pologne la marche victorieuse de Napoléon, et dont les mains, dignes de porter l'épée, n'auraient jamais dû s'armer d'un poignard.
Benningsen était réfugié à la campagne, craignant les effets de la colère de Paul, auquel il avait déplu. Le comte Pahlen le tira de sa retraite, l'initia au complot, et ne lui parla, si on en croit le général Benningsen lui-même, que du projet de déposer l'empereur. Benningsen donna sa parole, et la tint avec une effroyable fermeté.
On avait résolu de choisir pour l'exécution du complot un jour où le régiment de Semenourki, tout à fait dévoué au grand-duc Alexandre, serait de garde au palais Michel. Il fallut donc attendre. Mais le temps pressait, car Paul, dont la maladie faisait des progrès rapides, devenait chaque jour plus alarmant pour les intérêts de l'empire et pour la sûreté de ses serviteurs. Un jour, il saisit par le bras l'imperturbable Pahlen, et lui adressa ces étranges paroles: Étiez-vous à Pétersbourg en 1762 (c'était l'année où l'empereur, père de Paul, avait été assassiné, pour transmettre le trône à la grande Catherine)?—Oui, lui répondit le comte Pahlen avec sang-froid, j'y étais.—Quelle part avez-vous prise à ce qui se fit alors? ajouta l'empereur.—Celle d'un officier subalterne, à cheval dans les rangs de son régiment. Je fus témoin et point acteur dans cette catastrophe.—Eh bien, reprit Paul, en portant sur son ministre un regard défiant et accusateur, on veut recommencer aujourd'hui la révolution de 1762.—Je le sais, répondit sans se troubler le comte Pahlen; je connais le complot, j'en fais partie.—Quoi! s'écria Paul, vous êtes du complot?—Oui, mais pour être mieux averti, et plus en mesure de veiller sur vos jours.—Le calme de ce redoutable conjuré déconcerta les conjectures de Paul, qui cessa d'avoir des soupçons sur lui, mais qui continua d'être inquiet et agité.
Une circonstance presque d'intérêt public, si on peut employer un tel mot à propos d'un tel crime, vint se joindre à toutes les autres. Paul fit écrire le 23 mars à M. de Krudener, son ministre à Berlin, une dépêche par laquelle il lui enjoignait de déclarer à la cour de Prusse, que, si elle ne se décidait pas à promptement agir contre l'Angleterre, il allait faire marcher sur la frontière prussienne une armée de quatre-vingt mille hommes. Le comte Pahlen, voulant, sans se découvrir, engager M. de Krudener à n'attacher aucune importance à cette déclaration, ajouta de sa main le post-scriptum suivant: Sa Majesté Impériale est indisposée aujourd'hui. Cela pourrait avoir des suites[34].
C'était le 23 mars, jour choisi pour l'exécution du complot. Le comte Pahlen avait réuni chez lui, sous prétexte d'un dîner, les Soubow, Benningsen, beaucoup de généraux et d'officiers, sur lesquels on croyait pouvoir compter. On leur prodigua les vins de toute espèce. Pahlen et Benningsen n'en burent pas. Après le repas on fit part à ces conjurés du projet, pour lequel ils avaient été réunis. La plupart étaient initiés pour la première fois à ce terrible complot. On persuade aux conjurés qu'il s'agit seulement de forcer l'empereur à abdiquer. On ne leur dit pas qu'il fallait assassiner Paul; presque tous auraient reculé devant un tel crime. On leur dit qu'il fallait se rendre chez l'empereur pour exiger de lui qu'il abdiquât; qu'on délivrerait ainsi l'empire d'un danger imminent, et qu'on sauverait une foule de têtes innocentes, menacées par la folie sanguinaire de Paul. Enfin, pour achever de les persuader, on affirma devant eux que le grand-duc Alexandre, convaincu lui-même de la nécessité de sauver l'empire, avait connaissance du projet, et l'approuvait. Alors ces hommes, déjà pris de vin, n'hésitèrent plus, et pour la plupart (trois ou quatre exceptés) marchèrent en croyant qu'ils allaient déposer un empereur fou, et non verser le sang d'un maître infortuné.
La nuit paraissant assez avancée, les conjurés, au nombre de soixante environ, partent, divisés en deux bandes. Le comte Pahlen dirige l'une, le général Benningsen l'autre, tous deux revêtus de leur uniforme, portant écharpe et grand-cordon, marchant l'épée à la main. Le palais Michel était construit et gardé comme une forteresse; mais, devant les chefs qui conduisent les conjurés, les barrières s'abaissent, les portes s'ouvrent. La bande de Benningsen marche la première, et va droit à l'appartement de l'empereur. Le comte Pahlen reste en arrière avec sa réserve de conjurés. Cet homme, qui avait organisé le complot, ne daignait pas cependant assister à son exécution. Il était là, prêt à pourvoir seulement aux accidents imprévus. Benningsen pénètre jusqu'à l'appartement du monarque endormi. Deux heiduques le gardaient. Ces braves serviteurs, restés fidèles, veulent défendre leur souverain. L'un d'eux est renversé d'un coup de sabre, l'autre s'enfuit en criant au secours: cris inutiles, dans un palais dont la garde est confiée, presque entièrement à des complices du crime! Un valet de chambre, qui couchait près de l'empereur, accourt; on le force à ouvrir la porte de son maître. L'infortuné Paul aurait pu trouver un refuge dans la chambre de l'impératrice; mais, dans sa défiance ombrageuse, il avait soin, tous les soirs, de barricader la porte qui conduisait chez elle. Tout asile lui manquant, il se jette à bas de son lit, et se cache derrière les plis d'un paravent. Platon Soubow accourt auprès du lit impérial, et, le trouvant vide, s'écrie avec effroi: L'empereur s'est sauvé, nous sommes perdus!—Mais au même instant Benningsen aperçoit ce prince, marche à lui, l'épée à la main, et lui présentant l'acte d'abdication: Vous avez cessé de régner, lui dit-il; le grand-duc Alexandre est empereur. Je vous somme en son nom de résigner l'empire, et de signer l'acte de votre abdication. À cette condition, je réponds de votre vie.—Platon Soubow répète la même sommation. L'empereur, troublé, éperdu, leur demande ce qu'il a fait pour mériter un tel traitement.—Vous n'avez cessé de nous persécuter depuis des années, s'écrient les assassins à moitié ivres. Ils serrent alors de près le malheureux Paul, qui se débat et les implore vainement. Dans ce moment on entend du bruit: c'est le pas de quelques conjurés demeurés en arrière. Mais les assassins, croyant qu'on vient au secours de l'empereur, s'enfuient en désordre. Benningsen, inébranlable, reste seul en présence du monarque, et le contient avec la pointe de son épée. Les conjurés, s'étant reconnus les uns les autres, rentrent dans la chambre, théâtre du crime. Ils entourent de nouveau l'infortuné monarque, afin de le contraindre à donner son abdication. Celui-ci essaie un instant de se défendre. Horrible confusion, à la suite de laquelle Paul est égorgé. Dans le conflit, la lampe qui éclairait cette scène affreuse est renversée; Benningsen court en chercher une autre, et en rentrant il trouve Paul expirant sous les coups de deux des assassins. L'un lui avait enfoncé le crâne avec le pommeau de son épée; l'autre lui avait serré le cou avec son écharpe.
Pendant ce temps, le comte Pahlen était toujours demeuré en dehors, avec la seconde bande des conjurés. Quand on vint lui dire que tout était achevé, il fit étendre le corps de l'empereur sur son lit, et plaça une garde de trente hommes à la porte de son appartement, avec défense de laisser pénétrer personne, même les membres de la famille impériale. Il se rendit ensuite chez le grand-duc, pour lui annoncer le terrible événement de cette nuit.
Le grand-duc, agité comme il devait l'être, lui demande, en le voyant arriver, ce qu'est devenu son père. Le silence du comte Pahlen lui apprend bientôt de quelles funestes illusions il s'était nourri, en croyant qu'il s'agissait seulement d'une abdication. La douleur du jeune prince fut grande; elle a fait, dit-on, le tourment secret de sa vie, car il avait reçu de la nature un cœur bon et généreux. Il se jeta sur un siége, fondant en larmes, ne voulant plus rien écouter, et accablant Pahlen de reproches amers, que celui-ci essuyait avec un sang-froid imperturbable.
Platon Soubow était allé chercher le grand-duc Constantin, qui avait tout ignoré, et qu'on a long-temps, et injustement, mêlé à cette sanglante catastrophe. Il accourut tremblant, croyant qu'on en voulait à toute sa famille, trouva son frère plongé dans le désespoir, et sut alors ce qui venait de se passer. Le comte Pahlen avait chargé une dame du palais, très-liée avec l'impératrice, de se rendre auprès d'elle, pour lui annoncer son tragique veuvage. Cette princesse courut en toute hâte à l'appartement de son époux, et tenta de pénétrer jusqu'à son lit de mort. Les gardes l'en empêchèrent. Revenue un moment de sa première affliction, elle sentit s'élever dans son cœur, avec les mouvements de la douleur, ceux de l'ambition. Elle se rappela Catherine, et voulut régner. Elle envoya plusieurs personnes: auprès d'Alexandre qu'on allait proclamer, en disant que le trône lui appartenait, que c'était elle et non pas lui, dont il fallait annoncer le règne. Nouvel embarras, nouvelles angoisses, pour le cœur déchiré de ce fils, qui, prêt à monter les marches du trône, avait à passer entre le cadavre d'un père assassiné, et une mère éplorée, demandant alternativement ou son époux ou la couronne! Cependant la nuit s'était écoulée dans ces affreuses convulsions; le jour approchait, il fallait ne pas laisser d'intervalle à la réflexion; il importait qu'en apprenant la mort de Paul, on apprît en même temps l'avénement de son successeur. Le comte Pahlen s'approcha du jeune prince: C'est assez pleurer comme un enfant, lui dit-il; venez régner.—Il l'arracha de ce lieu de douleur, et, suivi de Benningsen, vint le présenter aux troupes.
Le premier régiment qu'on rencontra était celui de Préobrajensky. Il fut froid, car il était dévoué à Paul Ier. Mais les autres, qui aimaient le jeune grand-duc, et qui d'ailleurs étaient sous l'influence du comte Pahlen, lequel exerçait beaucoup d'ascendant sur l'armée, n'hésitèrent pas à crier vive Alexandre! L'exemple fut suivi, et bientôt le jeune empereur fut proclamé, et mis en possession du trône. Il rentra, et se rendit avec son épouse, l'impératrice Élisabeth, au palais d'Hiver.
Tout le monde apprit avec effroi, dans Pétersbourg, cette catastrophe sanglante. L'impression qu'elle produisit prouva que les mœurs commençaient à changer dans l'empire, et que depuis 1762 la Russie avait déjà reçu les influences de l'Europe civilisée. On peut dire à son honneur, que si elle était déjà loin de 1762, elle est aujourd'hui plus loin encore de 1800. On éprouva donc d'honorables sentiments. On craignait Paul Ier et sa folie plus qu'on ne le haïssait, car il n était pas sanguinaire. Les horribles circonstances de sa mort furent à l'instant connues, et inspirèrent une profonde pitié. Son corps fut exposé suivant l'usage, mais avec des précautions infinies pour dissimuler ses blessures. Des gants d'uniforme cachaient les mutilations de ses mains. Un grand chapeau enveloppait son crâne. Sa figure était meurtrie, mais on disait qu'il était mort d'apoplexie.
Cette scène barbare fit en Europe un effet extraordinaire. Elle se répandit comme l'éclair à Vienne, à Berlin, à Londres et à Paris. Elle y produisit l'horreur et l'effroi. Il y avait quelques années, c'était Paris qui épouvantait le monde par le meurtre des rois; mais maintenant Paris donnait le spectacle de l'ordre, de l'humanité, du repos, et c'étaient les vieilles monarchies qui, à leur tour, faisaient le scandale de l'univers civilisé. Une année auparavant la royauté napolitaine s'était souillée du sang de ses sujets, aujourd'hui une révolution de palais ensanglantait le trône impérial de Russie.
Ainsi, dans ce siècle agité, tout le monde était appelé successivement à fournir de tristes exemples, et à donner de déplorables arguments à ses ennemis! Certes, si les nations veulent s'outrager les unes les autres, elles ont toutes dans leur histoire de quoi s'offenser; mais gardons-nous d'employer de tels souvenirs à un tel usage. Si nous racontons ces horribles détails, c'est que la vérité est le premier devoir de l'histoire, c'est que la vérité est la plus utile, la plus puissante des leçons, la plus capable d'empêcher le renouvellement de scènes pareilles; et, sans offenser aucune nation, disons encore une fois, que les institutions ont encore plus tort que les hommes, et que si à Pétersbourg on égorgeait un empereur pour amener un changement de politique, à Londres, au contraire, sans catastrophe sanglante, la politique de la paix y succédait à la politique de la guerre, par la simple substitution de M. Addington à M. Pitt.
Les particularités de cette catastrophe devinrent bientôt publiques par l'indiscrétion des assassins eux-mêmes. Notamment à Berlin, dont la cour était fort liée avec celle de Saint-Pétersbourg, les détails du crime se répandirent avec une singulière profusion. À Berlin s'était réfugiée la sœur des Soubow, et on avait cru la voir inquiète, troublée, comme une personne qui attendrait un grand événement. Elle avait un fils, qui fut l'officier même chargé de venir annoncer en Prusse le nouveau règne. Ce jeune homme fit, avec toute l'indiscrétion de son âge, le récit d'une partie des faits, et produisit à Potsdam un scandale qui indigna le jeune et vertueux roi de Prusse. La cour fit sentir à ce jeune homme l'inconvenance de sa conduite; mais il naquit de là une grave calomnie. Cette sœur des Soubow avait des liaisons d'amitié avec l'ambassadeur d'Angleterre, lord Withworth, qui figura peu de temps après à Paris, et y joua un rôle considérable. La mort de l'empereur Paul était d'une si grande utilité aux Anglais, elle venait si à propos achever la victoire incomplète de Copenhague, que le vulgaire en Europe attribua volontiers ce crime à la politique britannique. Les relations de l'ambassadeur anglais avec une famille si gravement mêlée à l'assassinat de Paul, vinrent ajouter de nouvelles vraisemblances à cette calomnie, et de nouveaux arguments à ceux qui ne veulent jamais voir dans les événements leurs causes générales et naturelles.
Cependant aucune de ces conjectures n'était fondée. Lord Withworth était un honnête homme, incapable de tremper dans un tel attentat. Son cabinet avait commis des actes injustifiables depuis quelques années, et en commit bientôt de plus difficiles à justifier encore; mais il fut aussi surpris que l'Europe de la mort du czar. Cependant le Premier Consul lui-même, malgré la haute impartialité de son jugement, ne laissa pas que de concevoir quelques soupçons, et il en fit naître beaucoup par la manière d'annoncer dans le Moniteur la mort de l'empereur Paul. C'est à l'histoire, dit le journal officiel, à éclaircir le mystère de cette mort tragique, et à dire quelle est dans le monde la politique intéressée à provoquer une telle catastrophe.
Cette mort délivrait l'Angleterre d'un cruel ennemi, et privait le Premier Consul d'un allié puissant, mais embarrassant, et devenu, dans les derniers jours, presque aussi dangereux qu'il était utile. Il est certain que, dans le délire de son orgueil, l'empereur défunt, croyant que le Premier Consul n'avait plus rien à lui refuser pour prix de son alliance, avait exigé des conditions à l'égard de l'Italie, de l'Allemagne, de l'Égypte, que jamais la France n'aurait pu admettre, et qui auraient peut-être apporté de grands obstacles à la paix, renaissante déjà de toutes parts. Le Premier Consul fit choix pour l'envoyer en Russie de son aide-de-camp de prédilection, de Duroc, déjà envoyé à Berlin et à Vienne. Il le chargea de se rendre à Pétersbourg, avec une lettre écrite de sa main, pour féliciter le nouvel empereur, pour essayer sur lui l'effet des flatteries d'un grand homme, et l'amener, s'il était possible, à de saines idées sur les rapports de la France et de la Russie.
Duroc partit immédiatement, avec l'ordre de passer par Berlin. Il devait visiter une seconde fois la cour de Prusse, prendre des renseignements plus exacts sur les derniers événements survenus dans le Nord, et arriver ainsi à Pétersbourg, plus préparé sur les choses et les hommes qu'il allait voir.
L'Angleterre fut fort satisfaite, et devait l'être, en apprenant à la fois la victoire de Copenhague, et la mort du redoutable adversaire qui avait formé contre elle la ligue des neutres. On exalta le héros britannique, l'intrépide Nelson, avec un enthousiasme fort naturel, fort légitime, car les nations font bien, dans l'élan de leur joie, de célébrer, d'exagérer même leurs triomphes. Cependant, après le premier enthousiasme passé, quand les imaginations furent un peu refroidies, on apprécia mieux la prétendue victoire de Copenhague. Le Sund, disait-on, avait été peu difficile à forcer; l'attaque de Copenhague, dans une passe étroite, où les vaisseaux anglais ne pouvaient se mouvoir qu'avec beaucoup de péril, était un acte hardi, digne du vainqueur d'Aboukir. Mais la flotte anglaise avait été cruellement maltraitée, et, sans le trop grand empressement du prince royal de Danemark à écouter le parlementaire de Nelson, elle eût peut-être succombé. La victoire avait donc été bien près de la défaite, et de plus, le résultat obtenu n'était pas considérable; car on avait arraché aux Danois un simple armistice, après lequel la lutte devait recommencer. Si l'empereur Paul n'était pas mort, cette campagne que devait poursuivre la flotte anglaise, au milieu d'une mer close, où elle ne pouvait toucher nulle part, et dont les portes auraient pu se refermer sur elle, cette campagne navale présentait de grandes et terribles chances. Mais le coup frappé à propos sur les portiers de la Baltique, c'est-à-dire sur les Danois, était décisif; Paul n'était plus là pour ramasser le gant, et poursuivre la lutte. C'était une nouvelle preuve ajoutée aux mille preuves dont abonde l'histoire, qu'il y a en ce monde beaucoup de chances heureuses pour l'audace, surtout quand une suffisante habileté dirige ses coups.
Sur-le-champ les Anglais songèrent à profiter de cet heureux changement de règne, pour faire fléchir la rigueur de leurs maximes en fait de droit maritime, et arriver à une transaction honorable avec la Russie, et après la Russie avec toutes les puissances. Ils connaissaient le caractère doux et bienveillant du jeune prince qui montait sur le trône de Russie, car on allait alors jusqu'à le dire un peu faible; et ils se flattaient de plus, d'avoir recouvré une assez grande influence à Pétersbourg. Ils envoyèrent donc lord Saint-Helens dans cette capitale, avec les pouvoirs nécessaires pour négocier un arrangement. M. de Woronzoff, ambassadeur de Russie auprès de Georges III, entièrement dévoué à la politique britannique, ayant même encouru le séquestre de ses biens pour n'avoir pas voulu quitter Londres, son séjour habituel, M. de Woronzoff fut invité à y paraître officiellement, ce qu'il fit sur-le-champ. Les vaisseaux des neutres qui étaient retenus dans les ports anglais furent relâchés. Nelson, par ordre de son gouvernement, continua de croiser pacifiquement dans la Baltique, et fut chargé de déclarer aux cours du Nord, qu'il s'abstiendrait de toute hostilité, à moins qu'elles ne voulussent mettre en mer leurs flottes de guerre, auquel cas il les combattrait; Armistice naval dans la Baltique. que si, au contraire, ces flottes, restant dans leurs ports respectifs, ne cherchaient pas à faire leur jonction depuis long-temps annoncée avec l'escadre danoise, il s'interdirait tout acte hostile contre les côtes du Danemark, de la Suède, de la Russie, qu'il laisserait passer les bâtiments de commerce de ces puissances, et que les relations se trouveraient ainsi rétablies comme avant la rupture.
Le coup frappé sur Copenhague avait malheureusement produit son effet. Les petits neutres, tels que le Danemark et la Suède, quoique fort irrités pour leur compte à l'égard de l'Angleterre, n'étaient entrés dans la ligue que sous l'influence presque menaçante de Paul Ier. La Prusse, qui regardait ses intérêts maritimes comme les plus secondaires de ses intérêts nationaux, qui tenait par-dessus tout à la paix, et n'était entrée dans la querelle que poussée par la douce influence de Paul Ier et du Premier Consul, la Prusse se voyait avec joie sortie de ce mauvais pas. Elle était, comme les autres, fort disposée à se prêter au rétablissement des relations commerciales.
Bientôt tous les pavillons de commerce se montrèrent sur la Baltique, pavillons anglais, suédois, danois, russe, et la navigation reprit son activité accoutumée. Nelson laissait faire, et recevait en retour, le long des côtes du Nord, les rafraîchissements dont sa flotte avait besoin. Cet état d'armistice fut donc universellement accepté. Le cabinet russe, dirigé par le comte Pahlen, sans se livrer à l'influence anglaise, se montra disposé à terminer la querelle maritime, par une transaction qui assurât jusqu'à un certain point les droits des neutres. Il annonça qu'il recevrait le lord Saint-Helens. Déjà il avait autorisé le retour de M. de Woronzoff à Londres. M. de Bernstorff fut envoyé pour le Danemark en Angleterre.
Le Premier Consul, qui avait eu l'art de nouer cette redoutable coalition contre la Grande-Bretagne, coalition fondée d'ailleurs sur l'intérêt de toutes les nations maritimes, la vit avec regret abandonnée, par la faiblesse des confédérés. Il tâcha de leur faire honte de la promptitude avec laquelle ils reculaient; mais chacun s'excusait de sa conduite sur la conduite de son voisin. Le Danemark, justement enorgueilli de la sanglante bataille de Copenhague, disait qu'il avait rempli sa tâche, et que c'était aux autres à remplir la leur. La Suède se déclarait prête à combattre, mais elle ajoutait que, le pavillon danois, prussien, et surtout russe, parcourant les mers, elle ne voyait pas pourquoi les avantages du commerce seraient interdits à ses sujets seuls. La Prusse s'excusait de son inaction sur le changement survenu à Pétersbourg, et faisait du reste au cabinet français les protestations les plus réitérées de constance et de fermeté. Elle disait qu'on jugerait de sa persévérance, quand il faudrait conclure un arrangement, et arrêter définitivement les articles du droit maritime. La Russie affectait de ne pas délaisser les droite des neutres, et prétendait ne faire qu'une chose, c'était de mettre un terme à des hostilités commencées sans motifs suffisants.
Le Premier Consul, qui voulait au moins retarder le plus long-temps possible le raccommodement de la Prusse avec l'Angleterre, imagina un expédient fort habile, pour faire durer la querelle. Il avait offert Malte à Paul, il offrit le Hanovre à la Prusse. On a vu que la Prusse avait occupé cette province, si chère au cœur de Georges III, comme représaille des violences que le gouvernement anglais commettait à l'égard du pavillon neutre. La Prusse s'était difficilement résolue à un acte aussi grave; mais le secret penchant qui l'a toujours entraînée vers cette province, la plus souhaitable de toutes pour elle, celle qui arrondirait le mieux son territoire, ce penchant avait contribué à la décider, malgré son goût pour la paix et le repos. D'autres motifs l'avaient influencée. Elle avait une indemnité à réclamer en Allemagne, car elle était du nombre des princes séculiers qui devaient être indemnisés de leurs pertes sur la rive gauche du Rhin, par la sécularisation des États ecclésiastiques. Ses prétentions étaient fort grandes, et, dans l'espoir que le Premier Consul les favoriserait, elle avait voulu le satisfaire en occupant le Hanovre. Le général Bonaparte lui fit déclarer tout de suite, que si elle voulait garder le Hanovre, et en faire son indemnité, quoique cette indemnité fût dix fois supérieure à ce qui lui était dû, il y consentirait volontiers, sans aucune jalousie pour ce gros accroissement, accordé à une puissance voisine de la France. Cette proposition charma, et troubla tout à la fois le cœur du jeune monarque. L'offre était séduisante, mais la difficulté grande à l'égard de l'Angleterre. Cependant, sans accepter la proposition d'une manière définitive, le cabinet de Berlin répondit que le roi Frédéric-Guillaume était touché des bonnes dispositions du Premier Consul, qu'il n'avait aucun parti pris, qu'on devait réserver pour le moment où l'on négocierait la paix générale de l'Europe cette importante question territoriale; et il ajouta que, se fondant sur l'état présent des choses, qui était un armistice tacitement convenu, plutôt que formellement stipulé, il ne cesserait pas encore d'occuper le Hanovre.
Il n'en fallait pas davantage au Premier Consul, qui avait créé de la sorte entre les cours de Londres et de Berlin la plus grave des complications, et placé dans les mains d'une puissance qui lui était dévouée, un gage précieux, dont il pourrait profiter fort utilement dans les négociations avec l'Angleterre.
Le moment de ces négociations approchait enfin. L'Angleterre avait saisi avec empressement l'occasion de se relâcher de la rigueur de ses principes maritimes, pour conjurer le danger qui la menaçait du côté du Nord; elle désirait en finir, et avoir la paix, non-seulement avec les neutres, mais avec une puissance bien autrement redoutable que les neutres, avec la France, qui depuis dix ans remuait l'Europe, et commençait à menacer le sol britannique de sérieux dangers. Un moment, grâce à l'entêtement de M. Pitt, grâce à l'habileté du général Bonaparte, elle s'était vue seule contre tout le monde: sortie de cette position par une hardiesse heureuse, par un coup de bonne fortune, elle ne voulait pas retomber dans de semblables périls, par de semblables fautes. L'Angleterre pouvait d'ailleurs traiter aujourd'hui avec honneur, et il convenait, après avoir perdu tant d'occasions heureuses, de ne pas laisser échapper celle qui se présentait de nouveau. Pourquoi, disaient les gens raisonnables en Angleterre, pourquoi prolonger la guerre? nous avons pris toutes les colonies qui en valaient la peine; la France en même temps a battu tous les alliés que nous nous étions donnés; elle s'est agrandie à leurs dépens; elle est devenue la puissance la plus formidable du globe. Chaque jour ajouté à la lutte la rend plus redoutable, surtout par la conquête successive du littoral européen. Elle a soumis la Hollande et Naples, elle marche sur le Portugal. Il ne faut pas la faire plus grande encore, en s'obstinant follement à poursuivre la guerre. Si c'était pour le maintien des principes les plus salutaires que l'on combattait il y a quelques années, si c'était pour l'ordre social menacé par la Révolution française, ce n'est plus le cas aujourd'hui, car la France donne les plus beaux exemples d'ordre et de sagesse. Songerait-on à rétablir les Bourbons? mais c'est là justement la grande faute de M. Pitt, l'erreur de sa politique; et, si on a perdu sa puissante influence, ses grands talents, il faut recueillir du moins le seul avantage possible de sa retraite, c'est-à-dire renoncer à cet esprit haineux et inflexible, qui a jeté entre lui et le général Bonaparte les insultes les plus imprudentes et les plus grossières.
Tous les esprits sensés en Angleterre étaient donc pour la paix. Deux grandes influences se prononçaient dans le même sens: le roi et le peuple. Le roi d'Angleterre, ce roi opiniâtre et pieux, qui refusait l'émancipation des catholiques à M. Pitt, par fidélité à la cause du protestantisme, n'en applaudissait pas moins au rétablissement du catholicisme en France, rétablissement qui déjà était annoncé comme prochain. Il y voyait le triomphe des principes religieux, et cela lui suffisait. Il avait la Révolution française en aversion, et, bien que le général Bonaparte eût fait essuyer de terribles échecs à la politique anglaise, il lui savait un gré infini de réagir contre cette révolution, et de remettre en honneur les vrais principes sociaux. Cette France, qui possède à un si haut degré la faculté de communiquer à tous les peuples les sentiments qu'elle éprouve, cette France étant calmée, ramenée à de saines idées, le roi Georges III regardait l'ordre social comme sauvé dans l'univers. Si, pour M. Pitt, la guerre avait été une guerre d'ambition nationale, pour le roi Georges III, elle avait été une guerre de principes. Il était donc acquis au générai Bonaparte, mais à sa manière, non pas à celle de Paul Ier. Revenu de l'accès qui avait paralysé sa raison pendant quelques mois, il était tout disposé à la paix, et poussait ses ministres à la conclure. Le peuple anglais, amoureux de nouveautés, regardait la paix avec la France comme la plus grande des nouveautés, car il y avait dix ans qu'on s'égorgeait dans le monde entier; attribuant surtout la disette à la lutte sanglante qui désolait la terre et les mers, il demandait qu'on se rapprochât de la France. Enfin, le nouveau premier ministre, M. Addington, ne pouvant prétendre à la gloire de M. Pitt, dont il était bien loin d'égaler les talents, la renommée, l'importance politique, M. Addington n'avait qu'une mission qui fût claire et concevable, c'était celle de faire la paix. Il la voulait donc, et M. Pitt, resté tout-puissant dans le parlement, la lui conseillait de son côté comme nécessaire. Les événements du Nord, loin d'exalter l'orgueil britannique, lui étaient, au contraire, une occasion plus commode et plus honorable de négocier. Le nouveau ministre y était résolu le jour de son avénement; et il ne fit que se confirmer dans cette résolution, en apprenant ce qui s'était passé à Copenhague et à Saint-Pétersbourg. Allant même plus loin, il prit le parti de faire auprès du Premier Consul une démarche directe, qui servit de pendant à celle que le Premier Consul avait faite à l'égard de l'Angleterre, lors de son avénement au pouvoir.
Lord Hawkesbury, qui était, dans le cabinet de du ministère M. Addington, secrétaire d'État pour les affaires étrangères, fit appeler M. Otto. Celui-ci remplissait à Londres, comme on l'a déjà vu, des fonctions diplomatiques, relatives aux prisonniers, et avait été chargé six mois auparavant des négociations entamées pour l'armistice naval. Il était l'intermédiaire tout naturel des nouvelles communications qui allaient s'établir entre les deux gouvernements. Lord Hawkesbury dit à M. Otto que le roi l'avait chargé d'une commission fort douce pour lui, laquelle sans doute ferait en France autant de plaisir qu'en Angleterre, et que cette commission consistait à proposer la paix. Il déclara que Sa Majesté était prête à envoyer un plénipotentiaire, même à Paris, si on le voulait, ou dans toute autre ville au gré du Premier Consul. Lord Hawkesbury ajoutait qu'il n'entendait offrir que des conditions honorables pour les deux pays, et, pour preuve de la franchise de cette réconciliation, il affirmait qu'à partir de ce jour toute trame dirigée contre le gouvernement actuel de la France, serait repoussée par le cabinet britannique. Il attendait, disait-il, la réciprocité de la part de la République française.
C'était désavouer la politique antérieure de M. Pitt, qui avait toujours affecté de poursuivre le rétablissement de la maison de Bourbon, et n'avait cessé de soudoyer les tentatives des émigrés et des Vendéens. On ne pouvait ouvrir plus dignement les négociations proposées. Lord Hawkesbury insista pour avoir une prompte réponse.
Le Premier Consul qui, dans le moment, n'aspirait qu'à tenir complètement la promesse faite à la France, de lui procurer l'ordre et la paix, le Premier Consul fut heureux de cette solution, qu'il avait pour ainsi dire commandée par ses succès, et par l'habileté de sa politique. Il accueillit les ouvertures de l'Angleterre avec autant d'empressement qu'on en mettait à les faire. Cependant une négociation d'apparat lui semblait gênante et peu efficace. Le souvenir de celle de lord Malmesbury, en 1797, qui n'avait été qu'une vaine démonstration de la part de M. Pitt, lui avait laissé une fâcheuse impression. Il pensait que si on était de bonne foi à Londres, comme véritablement on paraissait l'être, il suffisait de s'aboucher directement, sans éclat, au Foreign-Office, et là, d'y traiter avec franchise et simplicité des conditions de la paix. Il les regardait comme faciles, si on voulait sincèrement aboutir à un rapprochement; car, disait-il, l'Angleterre a pris les Indes, et nous, nous avons pris l'Égypte. Si nous convenons de garder, les uns et les autres, ces riches conquêtes, le reste est de peu d'importance. Que sont, en effet, quelques îles dans les Antilles ou ailleurs, que l'Angleterre détient à nous et à nos alliés, à côté des vastes possessions que nous avons conquises? Peut-elle refuser de les rendre, quand le Hanovre est dans nos mains, quand le Portugal doit y être bientôt, et que nous offrons de lui rendre ces royaumes, pour quelques îles de l'Amérique? La paix est donc facile, écrivit-il à M. Otto, si on la veut. Je vous autorise à traiter, mais directement avec lord Hawkesbury.—
Des pouvoirs furent envoyés à M. Otto, avec recommandation de ne rien publier, d'écrire le moins possible, de s'entendre verbalement, et de ne passer des notes que pour les questions les plus importantes. Il était impossible de tenir une pareille négociation absolument secrète; mais le Premier Consul prescrivit à M. Otto de demander, et d'observer de son côté, la plus grande discrétion, relativement aux questions qui seraient soulevées et discutées, de part et d'autre.
Lord Hawkesbury accepta cette manière de procéder, au nom du roi d'Angleterre, et il fut convenu que les conférences commenceraient tout de suite à Londres, entre lui et M. Otto. Elles commencèrent, effectivement, dans les premiers jours d'avril 1801 (milieu de germinal an IX).
Du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), au mois de germinal an IX (avril 1801), il s'était écoulé environ dix-huit mois, et la France en paix avec le continent, en négociation franche et sincère avec l'Angleterre, allait enfin obtenir, pour la première fois depuis dix ans, la paix générale sur terre et sur mer. La condition de cette paix générale, admise par toutes les parties contractantes, était la conservation de nos belles conquêtes.
FIN DU LIVRE NEUVIÈME ET DU TOME DEUXIÈME.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES
DANS LE TOME DEUXIÈME.
LIVRE CINQUIÈME.
HÉLIOPOLIS.
État de l'Égypte après le départ du général Bonaparte.—Profond chagrin de l'armée; son désir de retourner en France.—Kléber excite ce sentiment au lieu de le contenir.—Rapport qu'il fait sur l'état de la colonie.—Ce rapport, destiné au Directoire, parvient au Premier Consul.—Faussetés dont il est plein.—Grandes ressources de la colonie, et facilité de la conserver à la France.—Kléber, entraîné lui-même par le sentiment qu'il avait encouragé, est amené à traiter avec les Turcs, et les Anglais.—Coupable convention d'El-Arisch, stipulant l'évacuation de l'Égypte.—Refus des Anglais d'exécuter la convention, et leur prétention d'obliger l'armée française à déposer les armes.—Noble indignation de Kléber.—Rupture de l'armistice et bataille d'Héliopolis.—Dispersion des Turcs.—Kléber les poursuit jusqu'à la frontière de Syrie.—Prise du camp du visir.—Répartition de l'armée dans la Basse-Égypte.—Retour de Kléber au Kaire, afin de réduire cette ville qui s'était insurgée sur ses derrières.—Temporisation habile de Kléber.—Après avoir réuni ses moyens, il attaque et reprend le Kaire.—Soumission générale.—Alliance avec Murad-Bey.—Kléber, qui croyait ne pouvoir garder l'Égypte soumise, l'a reconquise en trente-cinq jours contre les forces des Turcs et contre les Égyptiens révoltés.—Ses fautes glorieusement effacées.—Émotion des peuples musulmans en apprenant que l'Égypte est aux mains des infidèles.—Un fanatique, parti de la Palestine, se rend au Kaire pour assassiner Kléber.—Mort funeste de ce dernier, et conséquences de cette mort pour la colonie.—Tranquillité présente.—Kléber et Desaix avaient succombé le même jour.—Caractère et vie de ces deux hommes de guerre. 1 à 72
LIVRE SIXIÈME.
ARMISTICE.
Vastes préparatifs pour secourir l'armée d'Égypte.—Arrivée de M. de Saint-Julien à Paris.—Impatience du cabinet français de traiter avec lui.—Malgré l'insuffisance des pouvoirs de M. de Saint-Julien, M. de Talleyrand l'entraîne à signer des articles préliminaires de paix.—M. de Saint-Julien signe, et part avec Duroc pour Vienne.—État de la Prusse et de la Russie.—Démarche adroite du Premier Consul à l'égard de l'empereur Paul.—Il lui renvoie six mille prisonniers russes sans rançon, et lui offre l'île de Malte.—Enthousiasme de Paul Ier pour le général Bonaparte, et mission donnée à M. de Sprengporten pour Paris.—Nouvelle ligue des neutres.—Les quatre grandes questions du droit maritime.—Rapprochement avec le Saint-Siége.—La cour d'Espagne, et son intimité avec le Premier Consul.—État intérieur de cette cour.—Envoi du général Berthier à Madrid.—Ce représentant du Premier Consul négocie un traité avec Charles IV, tendant à donner la Toscane à la maison de Parme, et la Louisiane à la France.—Érection du royaume d'Étrurie.—La France, reprend, faveur auprès des puissances de l'Europe.—Arrivée de M. de Saint-Julien à Vienne.—Étonnement de sa cour à la nouvelle des articles préliminaires signés sans pouvoirs.—Embarras du cabinet de Vienne, qui s'était engagé à ne pas traiter sans l'Angleterre.—Désaveu de M. de Saint-Julien.—Essai d'une négociation commune, comprenant l'Angleterre et l'Autriche.—Le Premier Consul, pour admettre l'Angleterre dans la négociation, exige un armistice naval, qui lui permette de secourir l'Égypte.—L'Angleterre refuse, non pas de traiter, mais d'accorder l'armistice proposé.—Le Premier Consul veut alors une négociation directe et immédiate avec l'Autriche, ou la reprise des hostilités.—Manière dont il a profité de la suspension d'armes pour mettre les armées française sur un pied formidable.—Effroi de l'Autriche, et remise des places de Philipsbourg, Ulm et Ingolstadt, pour obtenir une prolongation d'armistice continental.—Convention de Hohenlinden accordant une nouvelle suspension d'armes de quarante-cinq jours.—Désignation de M. de Cobentzel pour se rendre au congrès de Lunéville.—Fête du, 1er vendémiaire.—Translation du corps de Turenne aux Invalides.—Le Premier Consul profite du temps que lui laisse l'interruption des hostilités, pour s'occuper de l'administration intérieure.—Succès de ses mesures financières.—Prospérité de la Banque de France.—Payement des rentiers en argent.—Réparation des routes.—Rentrée des prêtres.—Difficultés pour la célébration du dimanche et du décadi.—Nouvelle mesure à l'égard des émigrés.—État des partis.—Leurs dispositions envers le Premier Consul.—Les révolutionnaires et les royalistes.—Conduite du gouvernement à leur égard.—Influences en sens contraires auprès du Premier Consul.—Rôle que jouent auprès de lui MM. Fouché, de Talleyrand et Cambacérès.—Famille Bonaparte.—Lettres de Louis XVIII au Premier Consul, et réponse faite à ce prince.—Complot de Ceracchi et Aréna.—Agitation des esprits en apprenant ce complot.—Les amis imprudents du Premier Consul veulent en profiter pour l'élever trop tôt au pouvoir suprême.—Pamphlet écrit dans ce sens par M. de Fontanes.—Obligation où l'on est de désavouer ce pamphlet.—Lucien Bonaparte privé du ministère de l'intérieur, est envoyé en Espagne. 73 à 215
LIVRE SEPTIÈME.
HOHENLINDEN.
Paix avec les États-Unis et les Régences Barbaresques.—Réunion du Congrès de Lunéville.—M. de Cobentzel se refuse à une négociation séparée, et veut au moins la présence d'un plénipotentiaire anglais, pour couvrir la négociation réelle entre l'Autriche et la France.—Le Premier Consul, afin de hâter la conclusion, ordonne la reprise des hostilités.—Plan de la campagne d'hiver.—Moreau est chargé de franchir l'Inn, et de marcher sur Vienne.—Macdonald avec une seconde armée de réserve a ordre de passer des Grisons dans le Tyrol.—Brune avec 80 mille hommes est destiné à forcer l'Adige et le Mincio.—Plan du jeune archiduc Jean, devenu généralissime des armées autrichiennes.—Son projet de tourner Moreau, manqué par des fautes d'exécution.—Il s'arrête en route, et veut assaillir Moreau dans la forêt de Hohenlinden.—Belle manœuvre de Moreau, supérieurement exécutée par Richepanse.—Mémorable bataille de Hohenlinden.—Grands résultats de cette bataille.—Passage de l'Inn, de la Salza, de la Traun, de l'Ens.—Armistice de Steyer.—L'Autriche promet de signer la paix immédiatement.—Opérations dans les Alpes et en Italie.—Passage du Splugen par Macdonald, au milieu des horreurs de l'hiver.—Arrivée de Macdonald dans le Tyrol italien.—Dispositions, de Brune pour passer le Mincio sur deux points.—Vice de ces dispositions.—Le général Dupont essaie un premier passage à Pozzolo, et attire sur lui seul le gros de l'armée autrichienne.—Le Mincio est forcé, après une effusion de sang inutile.—Passage du Mincio et de l'Adige.—Heureuse fuite du général Laudon au moyen d'un mensonge.—Les Autrichiens battus demandent un armistice en Italie.—Signature de cet armistice à Trévise.—Reprise des négociations à Lunéville.—Le principe d'une paix séparée admis par M. de Cobentzel.—Le Premier Consul veut faire payer à l'Autriche les frais de cette seconde campagne, et lui impose des conditions plus dures que dans les préliminaires de M. de Saint-Julien.—Il pose pour ultimatum la limite du Rhin en Allemagne, la limite de l'Adige en Italie.—Courageuse résistance de M. de Cobentzel.—Cette résistance, quoique honorable, fait perdre à l'Autriche un temps précieux.—Pendant qu'on négocie à Lunéville, l'empereur Paul, à qui le Premier Consul avait cédé l'île de Malte, la réclame des Anglais, qui la refusent.—Colère de Paul Ier.—Il appelle à Pétersbourg le roi de Suède, et renouvelle la ligue de 1780.—Déclaration des neutres.—Rupture de toutes les cours du Nord avec la Grande-Bretagne.—Le Premier Consul en profite pour être plus exigeant envers l'Autriche.—Il veut, outre la limite de l'Adige, l'expulsion de l'Italie de tous les princes de la maison d'Autriche.—Le grand-duc de Toscane doit avec le duc de Modène être transporté en Allemagne.—M. de Cobentzel finit par céder, et signe avec Joseph Bonaparte, le 9 février 1801, le célèbre traité de Lunéville.—La France obtient pour la seconde fois la ligne du Rhin dans toute son étendue, et reste à peu près maîtresse de l'Italie.—L'Autriche est rejetée au delà de l'Adige.—La République Cisalpine doit comprendre le Milanais, le Mantouan, le duché de Modène et les Légations.—La Toscane destinée à la maison de Parme, sous le titre de royaume d'Étrurie.—Le principe des sécularisations posé pour l'Allemagne.—Grands résultats obtenus par le Premier Consul dans l'espace de quinze mois. 216 à 302
LIVRE HUITIÈME.
MACHINE INFERNALE.
Complots dirigés contre la vie du Premier Consul.—Trois agents de Georges, les nommés Carbon, Saint-Réjant, Limoëlan, forment le projet de faire périr le Premier Consul par l'explosion d'un baril de poudre.—Choix de la rue Saint-Nicaise et du 3 nivôse, pour l'exécution de ce crime.—Le Premier Consul sauvé par la dextérité de son cocher.—Émotion générale.—Le crime attribué aux révolutionnaires, et aux faiblesses du ministre Fouché pour eux.—Déchaînement des nouveaux courtisans contre ce ministre.—Son silence et son sang-froid.—Il découvre en partie la vérité, et la fait connaître; mais on n'en persiste pas moins à poursuivre les révolutionnaires.—Irritation du Premier Consul.—Projet d'une mesure arbitraire.—Délibération à ce sujet dans le sein du Conseil d'État.—On se fixe après de longues discussions, et on aboutit à la résolution de déporter un certain nombre de révolutionnaires sans jugement.—Quelques résistances, mais bien faibles, opposées à cet acte arbitraire.—On examine s'il aura lieu par une loi, ou par une mesure spontanée du gouvernement, déférée seulement au Sénat, sous le rapport de la constitutionnalité.—Ce dernier projet l'emporte.—La déportation prononcée contre cent trente individus qualifiés de terroristes.—Fouché, qui les savait étrangers à l'attentat du 3 nivôse, consent néanmoins à la mesure qui les proscrit.—Découverte des vrais auteurs de la machine infernale.—Supplice de Carbon et de Saint-Réjant.—Injuste condamnation de Topino-Lebrun, Aréna, etc.—Session de l'an IX.—Nouvelles manifestations de l'opposition dans le Tribunat.—Loi des tribunaux spéciaux pour la répression du brigandage sur les grandes routes.—Plan de finances pour la liquidation des années V, VI, VII et VIII.—Budget de l'an IX.—Règlement définitif de la dette publique.—Rejet par le Tribunat, et adoption par le Corps Législatif, de ce plan de finances.—Sentiments qu'éprouve le Premier Consul.—Continuation de ses travaux administratifs.—Routes.—Canal de Saint-Quentin.—Ponts sur la Seine.—Travaux du Simplon.—Religieux du grand Saint-Bernard établis au Simplon et au Mont-Cenis. 303 à 360
LIVRE NEUVIÈME.
LES NEUTRES.
Suite des négociations avec les diverses cours de l'Europe.—Traité avec la cour de Naples.—Exclusion des Anglais des ports des Deux-Siciles, et obligation contractée par le gouvernement napolitain, de recevoir à Otrante une division française.—L'Espagne promet d'exiger par la force l'interdiction aux Anglais des côtes du Portugal.—Vastes projets maritimes du Premier Consul, tendant à faire agir de concert les forces navales de l'Espagne, de la Hollande et de la France.—Moyens imaginés pour secourir l'Égypte.—L'amiral Ganteaume, à la tête d'une division, sort de Brest par une tempête, et se dirige vers le détroit de Gibraltar, pour se rendre aux bouches du Nil.—Coalition générale de toutes les nations maritimes contre l'Angleterre.—Préparatifs des neutres dans la Baltique.—Ardeur belliqueuse de Paul Ier.—Détresse de l'Angleterre.—Une affreuse disette la tourmente.—Son état financier et commercial avant la guerre, et depuis.—Ses charges et ses ressources également doublées.—Déchaînement contre M. Pitt.—Son dissentiment avec Georges III, et sa retraite.—Ministère Addington.—L'Angleterre, malgré ses embarras, fait tête à l'orage, et envoie dans la Baltique les amiraux Nelson et Parker, pour rompre la coalition des neutres.—Plan de Nelson et de Parker.—Ils se décident à forcer le passage du Sund.—La côte suédoise étant mal défendue, la flotte anglaise passe le Sund, presque sans difficulté.—Elle se porte devant Copenhague.—L'avis de Nelson, avant de s'engager dans la Baltique, est de livrer bataille aux Danois.—Description de la position de Copenhague, et des moyens adoptés pour défendre cette importante place maritime.—Nelson fait une manœuvre hardie, et vient s'embosser dans la Passe royale, en face des bâtiments danois.—Bataille meurtrière.—Vaillance des Danois, et danger de Nelson.—Il envoie un parlementaire au prince régent de Danemark, et obtient par ce moyen les avantages d'une victoire.—Suspension d'armes de quatorze semaines.—Dans l'intervalle, on apprend la mort de Paul Ier.—Événements qui se sont passés en Russie.—Exaspération de la noblesse russe contre l'empereur Paul, et disposition à se débarrasser de ce prince par tous les moyens, même par un crime.—Le comte Pahlen.—Son caractère et ses projets.—Sa conduite avec le grand-duc Alexandre.—Projet d'assassinat caché sous un projet d'abdication forcée.—Scène affreuse au palais Michel, dans la nuit du 23 mars.—Mort tragique de Paul Ier.—Avénement d'Alexandre.—La coalition des neutres dissoute par la mort de l'empereur Paul.—Armistice de fait dans la Baltique.—Le Premier Consul essaie, en offrant le Hanovre à la Prusse, de la retenir dans la ligue des neutres.—L'Angleterre, satisfaite d'avoir dissous cette ligue par la bataille de Copenhague, et d'être délivrée de Paul Ier, songe à profiter de l'occasion, pour traiter avec la France, et pour réparer les fautes de M. Pitt.—Le ministère Addington fait offrir la paix au Premier Consul, par l'intermédiaire de M. Otto.—Acceptation de cette proposition, et ouverture à Londres d'une négociation entre la France et l'Angleterre.—La paix va devenir générale sur terre et sur mer.—Progrès de la France depuis le 18 brumaire. 361 à 451
FIN DE LA TABLE DU DEUXIÈME VOLUME.
Note 1: Tout cela est extrait de la nombreuse correspondance du Premier Consul avec les départements de la guerre et de la marine.[Retour au texte principal]
Note 2: Ce n'est pas de fantaisie que je peins les émigrés de ce temps. Le langage que je leur prête est littéralement extrait des volumineuses correspondances adressées à Louis XVIII, et rapportées par ce prince en France. Laissées pendant les Cent-Jours aux Tuileries, déposées depuis aux archives des affaires étrangères, elles contiennent le singulier témoignage des illusions et des passions de ce temps. Quelques-unes sont fort spirituelles, et toutes fort curieuses.[Retour au texte principal]
Note 3: Napoléon a dit à Sainte-Hélène que M. de Cobentzel avait voulu venir à Paris pour gagner du temps. C'est une erreur de mémoire. La correspondance diplomatique prouve le contraire.[Retour au texte principal]
Note 4: Le centre était de 30 mille hommes; mais la division polonaise de Kniacewitz, qui avait rejoint le général Decaen, et la réserve d'artillerie, devaient le porter à 34 ou 35 mille hommes environ.[Retour au texte principal]
Note 5: Napoléon l'a dit par erreur à Sainte-Hélène. Les ordres écrits existent, et ont été imprimés dans le mémorial de la guerre.[Retour au texte principal]
Note 6: Histoire de la Révolution française.[Retour au texte principal]
Note 7: M. de Bourrienne dit qu'il sauta de joie, et ce narrateur est peu suspect, car, bien qu'il dût tout à Napoléon, il n'a pas semblé s'en souvenir dans ses Mémoires.[Retour au texte principal]
Note 8: Lettre du roi de Prusse du 14 janvier, communiquée par M. de Lucchesini.[Retour au texte principal]
Note 9: Lettre du 1er pluviôse (21 janvier). (Dépôt de la Secrétairerie d'État.)[Retour au texte principal]
Note 10: J'ai comparé les dates de tous les actes de l'instruction, avec les dates des résolutions prises à l'égard du parti révolutionnaire, et il en résulte que, du 11 au 14 nivôse (du 1er au 4 janvier), on ne savait qu'une chose, c'est que les confrontations avec les hommes qualifiés de terroristes n'en avaient fait reconnaître aucun. On avait donc de fortes raisons de croire que le parti révolutionnaire était étranger au crime de la rue Saint-Nicaise; mais on ne put en avoir la certitude complète que beaucoup plus tard, c'est-à-dire le 28 nivôse (18 janvier), jour de l'arrestation et de la reconnaissance complète de Carbon par les vendeurs du cheval, de la charrette et du baril. L'acte contre les révolutionnaires est du 14 nivôse (4 janvier): il n'est donc pas vrai, comme on l'a dit quelquefois, que cette proscription ait eu lieu en parfaite connaissance des vrais auteurs du crime, et qu'on ait frappé les révolutionnaires en sachant qu'ils étaient innocents. L'acte n'en est pas moins grave; mais il faut le donner tel qu'il est, sans l'exagérer ni l'atténuer.[Retour au texte principal]
Note 11: Lettre du 1er nivôse an IX (dépôt de la secrétairerie d'État).[Retour au texte principal]
Note 12: Voici à ce sujet une lettre curieuse:
«Le Premier Consul au ministre de la police générale.
»Je vous prie, citoyen ministre, de prévenir par une petite circulaire les rédacteurs des quatorze journaux, de ne rien mettre qui puisse instruire l'ennemi des différents mouvements qui s'opèrent dans nos escadres, à moins que cela ne soit tiré du journal officiel.
Paris, le 1er ventôse an IX.» (Dépôt de la secrétairerie d'État.)[Retour au texte principal]
Note 13: 3 à 4 millions sterling.[Retour au texte principal]
Note 14: 25 ou 26 millions sterling.[Retour au texte principal]
Note 15: 69 millions sterling.[Retour au texte principal]
Note 16: Je tire tous ces chiffres des propositions de finances présentées au Parlement en juin 1801 par M. Addington, successeur de M. Pitt.[Retour au texte principal]
Note 17: 484,365,474 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 18: 20 millions 144 mille livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 19: Plus de 300 millions sterling.[Retour au texte principal]
Note 20: 298 millions sterling.[Retour au texte principal]
Note 21: 12,724,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 22: 19,659,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 23: 29,945,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 24: 7,633,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 25: 24,905,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 26: 33,991,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 27: 7,320,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 28: 15,587,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 29: Un million sterling.[Retour au texte principal]
Note 30: 5,500,000 livres sterling.[Retour au texte principal]
Note 31: J'ai obtenu les détails que je rapporte ici, de plusieurs contemporains de M. Pitt, très-liés avec lui, mêlés aux négociations ministérielles de cette époque, et occupant encore aujourd'hui des situations éminentes en Angleterre.[Retour au texte principal]
Note 32: Des assertions fort erronées ont été émises sur ce sujet. J'ai eu recours aux témoignages les plus authentiques et les plus élevés. Les chancelleries de France, de Suède, de Danemark, contiennent la preuve de ce que j'avance ici. Ceux qui ont écrit le contraire, Napoléon entre autres, n'ont fait que répéter les assertions du temps. Le second passage du Sund, qui eut lieu en 1807, époque à laquelle la Suède était ennemie du Danemark, et vit avec plaisir le triomphe des Anglais, a contribué à accréditer l'idée d'une perfidie de la part des Suédois. Mais la première fois, c'est-à-dire en 1801, la Suède agit avec une parfaite loyauté; elle voulait le succès commun, et l'aurait assuré si elle l'avait pu.[Retour au texte principal]
Note 33: Les détails qui suivent sont les plus authentiques qu'on puisse se procurer sur la mort de Paul Ier. En voici la source. La cour de Prusse fut vivement touchée de la mort de Paul Ier; elle fut surtout indignée du cynisme avec lequel certains complices du crime vinrent s'en vanter à Berlin. Elle obtint par diverses voies, et surtout par une personne très-bien informée, des particularités fort curieuses, qui furent réunies dans un mémoire communiqué au Premier Consul. Ce sont ces particularités que M. Bignon, alors secrétaire d'ambassade auprès de la cour de Prusse, put connaître, et qu'il a rapportées dans son ouvrage. Mais les détails les plus secrets restaient encore inconnus, lorsqu'une rencontre singulière a mis la France en possession du seul récit digne de foi qui existe peut-être sur la mort de Paul Ier. Un émigré français, qui avait passé sa vie au service de Russie, et qui s'y était acquis une certaine renommée militaire, était devenu l'ami du comte Pahlen et du général Benningsen. Se trouvant avec eux dans les terres du comte Pahlen, il obtint un jour de leur propre bouche le récit circonstancié de tout ce qui s'était passé à Pétersbourg, dans la tragique nuit du 23 au 24 mars. Comme cet émigré mettait un grand soin à recueillir par écrit tout ce qu'il voyait ou apprenait, il écrivit sur-le-champ le récit fait par ces deux acteurs principaux, et l'inséra dans les précieux mémoires qu'il a laissés. Ces mémoires manuscrits sont aujourd'hui la propriété de la France. Ils rectifient beaucoup d'assertions inexactes ou vagues, et, du reste, ne compromettent pas plus qu'ils ne l'étaient, les noms déjà compromis dans ce grave événement. Seulement ils donnent des détails précis et vraisemblables, au lieu des détails faux ou exagérés qu'on connaissait déjà. C'est en comparant ces renseignements, émanés de témoins si bien informés, avec les renseignements recueillis par la cour de Prusse, que nous avons composé le récit historique qui suit, et qui nous semble le seul vraiment digne de foi, peut-être le seul complet, que la postérité pourra jamais obtenir de cette tragique catastrophe.[Retour au texte principal]
Note 34: Cette dépêche fut montrée à l'ambassadeur de France, le général Beurnonville, qui manda sur-le-champ ces détails à son gouvernement.[Retour au texte principal]