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Histoire littéraire d'Italie (3/9)

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Il eut, dans ses amours avec elle, Politien pour rival. De là vinrent les inimitiés qui divisèrent ces deux poëtes; elles s'exhalèrent avec violence dans les vers de Politien; on n'en voit aucune trace dans ceux de Marulle. Il était aimé: la modération lui était plus facile. En général, presque aucune de ses épigrammes n'est mordante; aucune ne blesse la décence; et il a ces deux avantages sur plusieurs des poëtes les plus célèbres de son temps.

Il donna le titre de Naturels à ses Hymnes 681, parce qu'il y traite souvent les plus grands objets de la nature. Ce n'est point aux Saints du calendrier qu'ils sont adressés, mais aux Dieux de la mythologie, à Jupiter, à Minerve, à Bacchus, à Pan, à Saturne, à l'Amour, à Vénus, à Mars, etc. Quelques-uns, comme l'hymne au Soleil, qui commence le troisième livre, sont de petits poëmes, où Marulle semble s'être proposé Lucrèce pour modèle, et où il approche, en effet, quelquefois de sa force et de sa précision énergique. Ses talents méritaient une vie plus paisible et une fin moins malheureuse. En sortant à cheval de Volterra, où il avait visité un de ses amis 682, il se noya dans une rivière peu connue, nommée le Cecina, à qui cet accident doit donner, dans l'esprit des amis de la poésie et des lettres, une triste célébrité.

Note 681: (retour) Hymni Naturales.
Note 682: (retour) Rafaël Volterano.

Si l'on ajoute à tous ces poëtes latins un nombre presque aussi considérable dont j'ai cru inutile de parler, et si l'on y joint encore, et la plupart des bons poëtes italiens qui écrivirent en même temps dans les deux langues, et presque tous les littérateurs, historiens, philosophes de ce temps, qui s'exercèrent plus ou moins dans la poésie latine, et dont les vers se trouvent, ou imprimés, ou épars en manuscrit, dans diverses bibliothèques, on conviendra que, depuis la renaissance des lettres, il n'y avait eu dans aucun siècle autant de versificateurs. En désignant quelques-uns d'eux qui obtinrent la couronne poétique, j'ai dit que cet honneur, en devenant trop commun, était tombé en discrédit. L'histoire, qui a dû retracer l'importance que Pétrarque avait mise à l'obtenir, et l'éclat qu'avait en ce triomphe, ne doit pas négliger les faits qui en constatent la décadence et l'avilissement.

Sigismond fut le premier empereur qui eut, dans ce siècle, l'idée de faire revivre l'ancien usage de reconnaître un homme de lettres poëte par un diplôme, et de le produire en public avec une couronne de laurier. Il accorda ces distinctions au Panormita, qui les méritait sans doute, et à un certain Cambiatore, que j'ai à peine cru devoir nommer parmi les poëtes italiens. Frédéric III en fut bien autrement libéral. Sans compter Sylvius, qui devint pape, et Nicolas Perotti, tous deux savants littérateurs, mais peu connus comme poëtes 683]; il en décora aussi le Cimbriaco, le Bologni, dont nous avons parlé sans vouloir trop exalter leur mérite, et de plus, un Grégoire et un Jérôme Amasei, deux frères aussi inconnus l'un que l'autre; un Rolandello encore plus inconnu que tous les deux: enfin un Louis Lazarelli, qui a du moins l'honneur d'avoir fait avant Vida un poëme sur le ver à soie 684. Mais les empereurs ne furent pas les seuls dispensateurs de cette distinction devenue presque banale. Filelfo la reçut d'Alphonse Ier., roi de Naples; Jean Marius son fils du roi René, fils d'Alphonse; un certain Benedetto de Césène, du pape Nicolas V, et Bernardo Belincioni de Louis Sforce, duc de Milan.

Note 683: (retour) Je ne connais du premier que la mauvaise ode saphique sur la Passion de J.-C., qu'on trouve dans ses Œuvres, et l'autre pièce plus mauvaise encore, qui la suit, intitulée: Decastichon de Laudatissimâ Mariâ.
Note 684: (retour) Imprimé à Iesi en 1765, édition donnée par l'abbé Lancelotti.

Les villes s'attribuèrent aussi ce privilége. Florence avait couronné Ciriaco d'Ancône, et même Leonardo Bruni après sa mort. Vérone décerna le laurier avec une pompe extraordinaire à Giovanni Panteo, dont Mafféi parle avec de grands éloges 685, mais qui n'est guère connu que par ces éloges mêmes. Rome, ou plutôt l'académie romaine, couronna Aurelini, professeur de belles-lettres, et Jean-Michel Pingonio de Chambéry, qui faisait de beaux poëmes pour le mariage de Philibert, duc de Savoie, en 1501, dont on ne se souvenait peut-être plus, même à Turin, en 1502. On trouve souvent la qualité de poëte lauréat jointe au nom d'hommes plus obscurs encore, et il y a lieu de croire que, soit pour une pièce de vers à la louange d'un empereur, soit par pure protection ou même pour quelque argent, ils en obtenaient simplement le diplôme, sans oser pour cela célébrer la cérémonie. Qu'arriva-t-il de cette facilité aveugle ou vénale? Ce qui arrive immanquablement en pareil cas. Il y a toujours quelque chose de fatal dans ces sortes d'honneurs littéraires, c'est qu'on ne peut les accorder, sans les compromettre, qu'a ceux qui n'en ont pas besoin pour être honorés. Ni Politien ni Pontano ne furent proclamés poëtes par un diplôme, et ce sont les premiers poëtes de leur siècle.

Note 685: (retour) Veron. Ill., part. II, p. 210.



CHAPITRE XXII.

De la Poésie italienne au quinzième siècle. Poëtes qui fleurirent alors, Giusto de' Conti, Montemagno le jeune, Burchiello, Laurent de Médicis, Politien, les trois frères Pulci, Bojardo, Bellincioni, Serafino d'Aquila, Tebaldeo, l'Unico Aretino, le Notturno, l'Altissimo, l'Achillini, etc.; Femmes poëtes.


Tandis que le génie actif des Italiens se portait avec tant d'ardeur à la recherche et à l'imitation des trésors de la littérature antique; tandis que l'ancienne langue du Latium reprenait, sous des plumes savantes, son élégance et son caractère primitif, que devenait, dans l'idiôme nouveau dont nous avons vu la naissance et les rapides progrès, celui des arts de l'imagination qui s'élève au-dessus de tous les autres, quand il a une fois atteint l'entier développement de ses forces, et qui, dès le siècle précédent, semblait y être parvenu? Que devenait la poésie? On croirait qu'après Dante et Pétrarque, la langue du style sublime et celle du genre gracieux étant formées, l'art de parler en figures et en images, et celui de revêtir les unes et les autres de cette harmonie qui en est la couleur, étant non-seulement inventé, mais porté à son plus haut point de perfection, le nombre des poëtes italiens, déjà considérable avant ces deux poëtes par excellence, avait dû devenir innombrable; et qu'au moment où les maîtres de la poésie antique reparaissaient de toutes parts, ces deux maîtres de la poésie moderne ayant montré par leur exemple la route qu'il fallait suivre, on devait, pour ainsi dire, se précipiter en foule sur leurs pas. Il arriva pourtant tout le contraire. Pendant la plus grande partie du quinzième siècle, la poésie italienne languit. Elle ne s'enrichit pas des travaux de l'érudition; elle en fut comme absorbée; et ce ne fut que vers la fin de ce siècle, que, reprenant une partie de son éclat, elle annonça tout celui dont elle devait briller dans le suivant. Mais si, placé entre ces deux grands siècles poétiques, le quinzième ne paraît jeter qu'une faible lumière, nous allons voir que, considéré en lui-même et sans parallèle avec les deux autres, il a encore assez de richesses, et que peut-être on ne l'apprécie pas ce qu'il vaut.

Le premier poëte qui mérite de fixer nos regards, est Giusto de' Conti, grand imitateur de Pétrarque. On a le recueil de ses vers, mais on sait peu de détails sur sa vie 686. Il était né à Rome vers la fin du quatorzième siècle, et vécut jusqu'au milieu du quinzième. Il fut orateur et jurisconsulte de profession. Étant à Bologne, en 1409, sans doute pour achever ses études, il y devint amoureux de la Beauté qu'il a célébrée dans ses vers. Il mourut à Rimini. Sigismond Pandolphe Malatesta venait d'y faire bâtir, sur les dessins de Léon-Baptiste Alberti, la magnifique église de St.-François: il y fit élever un tombeau à notre poëte, dont l'inscription sépulcrale s'y lit encore. C'est-là tout ce que l'on sait de lui.

Note 686: (retour) Voy. la Préface de l'édition de la Bella Mano, Florence, 1715, in-8. Les anciennes éditions sont celles de Bologne, 1472, in-8.; Venise, 1492, in-4.; et Paris, donnée par Corbinelli, 1595, in-12.

Son recueil est intitulé la Bella Mano, parce qu'il y chante souvent la belle main de sa dame. Ce n'est pas qu'il ne fasse aucun cas du reste, et que les beaux yeux et les tresses blondes ne soient aussi l'objet de plusieurs sonnets; mais c'est à la belle main qu'il revient toujours, tantôt comme en passant, et seulement dans quelques vers, tantôt dans des sonnets entiers. Dans l'un de ces sonnets, cette main renferme tout son bonheur 687; c'est elle qui attache ensemble à son cœur la mort et la vie; elle tient le frein et le fouet cruel, qui le retient ou qui le fait courir et tourner de cent manières; elle lie son cœur et son ame de tant de nœuds, qu'il sera malgré lui forcé de les rompre. «Ô belle et blanche main 688, s'écrie-t-il dans un autre sonnet! ô douce main qui t'est si injustement armée contre moi! ô main charmante qui m'as conduit peu à peu, en me flattant, jusqu'à un tel degré de peine; mon erreur t'a donné l'une et l'autre clef de mes pensées; c'est de toi que mon cœur, qui se meurt de désirs, attend quelque secours; c'est à toi de laver les plaies de l'Amour! etc.» Ce poëte ne se contente pas d'imiter Pétrarque, il le copie souvent, et il n'est pas rare de le voir en emprunter des vers presque entiers. On doit penser que ce qu'il imite le plus, ce sont les défauts. Ainsi, les recherches de pensées, les oppositions continuelles, la vie et la mort, la rougeur et la pâleur, le chaud et le froid, le cœur qui est de feu, puis de glace, où l'un et l'autre à la fois, tout cela se retrouverait dans la Bella Mano, si jamais le Canzoniere de Pétrarque était perdu; mais quoique Giusto de Conti ne soit pas à beaucoup près sans mérite, on ne trouverait pas de même, dans la copie, la grande poésie, le génie sublime, la sensibilité profonde, la passion vraie et les grâces inimitables du modèle.

Note 687: (retour) O man leggiadra, ove il mio bene alberga, etc.
Note 688: (retour) O bella e bianca man, o man soave, etc.

Un second Buonaccorso da Montemagno, petit-fils du contemporain de Pétrarque 689, vivait à peu près dans le même temps que Giusto de' Conti.

Note 689: (retour) Voy. ci-dessus, p. 176.

Il a laissé quelques sonnets d'un style si semblable à celui de son aïeul, qu'on les a long-temps confondus ensemble, et qu'on attribuait à un seul Buonacccorso, ce qu'on a découvert et prouvé depuis appartenir à deux 690. Celui-ci était non-seulement poëte, mais jurisconsulte et orateur. Il fut professeur ou lecteur dans l'université de Florence, et juge de l'un des quartiers de la ville. On a conservé de lui, outre les sonnets imprimés avec ceux de Buonaccorso l'ancien, quelques discours latins et italiens. Deux de ses discours latins ont quelque chose de remarquable: ce sont des exercices pour se former à l'éloquence, en traitant un sujet donné, ce que les anciens appelaient Déclamations. Dans l'un, qui traite de la Noblesse, un jeune romain de la noble et riche famille Cornelia, et un autre de la maison moins illustre et moins opulente des Flaminius, mais doué de plus de talents, de qualités et de vertus, se disputent une jeune romaine; le père la laisse libre dans son choix; elle déclare qu'elle épousera le plus noble des deux rivaux. Ils plaident leur cause devant le sénat: chacun des deux s'efforce de prouver que c'est lui qui, dans sa famille et dans son existence personnelle, a le plus de véritable noblesse. L'auteur n'a point donné la décision du sénat; mais on voit, à la manière dont il fait parler les deux orateurs, que, dans son opinion, comme dans celle de tous les gens sensés, la noblesse d'extraction n'est pas la première. Le second discours est une réponse de Catilina à Cicéron, dans le sénat de Rome. Il ne s'y défend pas, à beaucoup près, aussi bien qu'il est attaqué dans la première Catilinaire; mais ni ses raisons ne sont ineptes, ni son style latin n'est barbare; et ce discours, ainsi que le précédent, prouve que l'on raisonnait mieux depuis qu'on s'attachait moins à la dialectique de l'école.

Note 690: (retour) Voy. la Préface de l'édition des deux Buonaccorso da Montemagno, Florence, 1718.

On est obligé de ranger ici parmi les poëtes, et même de mettre au nombre des inventeurs, un auteur qui n'est pas seulement difficile à entendre, mais qui, selon toute apparence, affecta d'être inintelligible, et y réussit parfaitement: c'est le fameux Burchiello 691. Les opinions sont partagées sur le lieu de sa naissance. Les uns le font naître à Bibbiena, dans le Casentin, à environ trente milles de Florence, et les autres à Florence même. Son vrai nom était Dominique. Fils d'un barbier nommé Jean, il fut barbier comme son père. Il l'était à Florence en 1432, et mourut à Rome en 1448. Son génie original le portait à la satire. Il en enveloppa les traits d'obscurités, de caprices et de folies, plus extravagantes que celles de notre Rabelais. Il semble parler au hasard, et dire les choses les plus disparates, à mesure qu'elles lui viennent en fantaisie; quelques personnes pensent qu'il prit ce nom de Burchiello, parce qu'en langage toscan, alla burchia veut dire à l'aventure, au hasard, mais que, sous ce nom et sous toutes ses folies, il cachait un homme sensé, un critique des mœurs et des ridicules de son siècle.

Note 691: (retour) Voy. Manni, Veglie piacevoli, t. I, p. 28.

Son métier ne l'empêcha point d'être l'ami de plusieurs artistes, gens de lettres et savants distingués de son temps; le grand nombre d'éditions qui se sont faites de ses poésies bizarres, prouve celui de ses admirateurs. Des auteurs d'un caractère grave en ont fait les plus grands éloges 692; d'autres les ont mises au rang des folies les plus insipides. «Il me paraît, dit Tiraboschi 693, que ceux qui l'ont attaqué et ceux qui l'ont défendu ont également perdu leur temps, mais plus encore ceux qui l'ont commenté.» Plusieurs se sont donné cette peine, et entre autres Doni, qui, selon Apostola Zeno, aurait encore plus besoin d'être expliqué que le poëte qu'il explique. Il y a, en effet, de quoi lasser la patience la plus déterminée dans la lecture du texte et du commentaire. L'un est un tissu de proverbes, de mots populaires, de ce que les Florentins appellent riboboli, espèces de quolibets qui n'ont de sel que pour eux, et dont il est le plus souvent impossible d'apercevoir la liaison, l'application ou le sens; l'autre, tantôt est aussi décousu, aussi proverbial et aussi énigmatique que le texte; tantôt s'évertue à l'éclaircir, et c'est alors qu'il est doublement inintelligible. On connaît, dans notre vieille poésie française, des Épîtres du Coq à l'Âne, telles qu'on en trouve dans Marot, où chaque vers contient un trait qui n'a aucun rapport ni avec ce qui précède ni avec ce qui suit; où les phrases commencent, finissent et se succèdent, sans qu'il soit possible d'y trouver un sens quelconque, et qui ont fait appeler coq-à-l'âne des propos sans signification et sans suite. Rien ne peut mieux donner l'idée des sonnets de Burchiello. Le plus clair de tous, et celui dont les idées sont le mieux suivies, est le sonnet où ce barbier-poëte fait se quereller, à son sujet, la Poésie et le Rasoir 694. La première dit au second: «Pourquoi enlèves-tu mon Burchiello à son cabinet? Le Rasoir se fait de la boîte à savonnette une tribune, monte en chaire, et parle ainsi: Pardonne-moi, je te prie, madame, si je t'ennuie par mes discours; sans moi, sans l'eau chaude et le savon, Burchiello serait d'une couleur tirant sur la cire blanche et sur l'émeraude. Tu te trompes, lui répond l'autre; son cœur brûle d'un désir trop noble pour descendre jamais si bas. Point de bruit, interrompt le Poëte: que celui de vous deux qui m'aime le plus paie mon vin.»

Note 692: (retour) Tel que Leonardo Dati, évêque de Massa, et secrétaire apostolique sous Paul II, Christophe Lundino, Benedetto, Varchi, etc.
Note 693: (retour) Tom. VI, part. II, p. 147.
Note 694: (retour) La Poesia combatte col Rasoio.

Si tout le reste était ainsi, il n'y aurait point de doute sur le mérite d'un recueil rempli de pièces aussi originales. Tel qu'il est, il faut qu'il en ait un réel pour avoir obtenu tant de suffrages, quoique le sage Tiraboschi lui ait refusé le sien. On trouve dans les vers de ce poëte, quand on se résout à les lire, des traits vifs et spirituels, dont il ne faut pas s'entêter à chercher la liaison ni la signification précise; on y trouve surtout une élégance et une pureté de langage qui charment les Florentins, et qu'un étranger même peut apercevoir, à mesure qu'il se familiarise davantage avec les idiotismes toscans: on peut enfin souscrire à ce jugement de l'un des derniers éditeurs: «Si la nouveauté des pensées, étranges sans doute, mais qui ont pourtant de la grâce quand on en pénètre le sens, si le naturel des expressions, la justesse des termes, la solidité des sentiments, la rareté des inventions, l'imitation des meilleurs modèles (qualités qui percent au travers d'une extravagance affectée dans ses vers), peuvent constituer un véritable poëte, il n'est personne qui puisse refuser ce titre à notre barbier florentin. Si l'on joint à tout cela un style plein de mots ou de proverbes cachés et mystérieux qui lui donnent une teinte originale, il faut répondre à ceux qui oseraient encore le mépriser, ce que disait le fameux peintre Apollodore au sujet de quelqu'un de ses ouvrages: il sera plus facile d'en rire que de l'imiter 695

Note 695: (retour) Préface de l'édition des sonnets du Burchiello, sous la date de Londres, 1757, in-8.

Sans vouloir décider jusqu'à quel point il est permis de rire ou de se moquer des poésies du Burchiello, on reconnaît, dans plusieurs poëtes de ce siècle, le désir, et, autant que nous pouvons en juger, le talent d'imiter son style. À la suite de ses sonnets, on en a imprimé de Domenico da Urbino, de Niccolò Cieco d'Arezzo, de Francesco Alberti, d'Antonio Alamanni, du Bellincioni, d'Alessandro Adimari, et de quelques autres moins connus, qui paraissent tout aussi extravagants et aussi complètement inintelligibles que ceux du Burchiello même. La bizarrerie de son cerveau a créé un genre à part; cela s'appelle écrire ou rimer à la Burchiellesca, et les poëtes qui ont ajouté au tort de travailler dans un genre dont le principal mérite est de ne pouvoir être entendu, celui de ne le faire que par imitation, sont des poëtes Burchiellesques; Voltaire a dit:

Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux.

Mais le genre ennuyeux se subdivise en plusieurs espèces; et il me semble qu'à moins d'avoir dans l'esprit une disposition particulière à s'amuser de ce qu'on ne comprend pas, on peut ranger la poésie Burchiellesque dans l'une de ces subdivisions.

Si l'on joint à ce petit nombre de poëtes, dont les meilleurs sont bien éloignés de pouvoir illustrer un siècle, un certain Niccolò Malpigli de Bologne, un autre Niccolò d'Arezzo qui était aveugle, et dont la réputation pendant sa vie tint peut-être beaucoup à son infirmité; un Tommaso Cambiatore de Reggio, qui traduisit le premier, en vers italiens, l'Énéide de Virgile 696, et fut couronné poëte à Parme, en 1430; quelques autres peut-être, mais plus obscurs encore, ou dont le moindre mérite fut de faire des vers, et qui se distinguèrent principalement dans d'autres carrières; voilà tout ce que la poésie italienne, après un si brillant essor, peut citer pendant toute la première moitié du quinzième siècle, et pendant même une partie de la seconde. Mais un homme alors s'éleva, que la nature avait formé pour tous les genres de gloire, et qui ne contribua pas moins par son génie, son goût et son exemple, que par ses libéralités et ses encouragements de toute espèce, à redonner à la lyre italienne ses sons brillants et son premier éclat. J'ai dit de Laurent de Médicis que, quand il n'eût pas été élevé si haut par son ambition et par sa fortune, il l'eût été, par son talent poétique, aux premiers rangs de la littérature. Quelques détails sur ses poésies, dont je n'ai donné qu'un simple aperçu, suffiront pour le prouver.

Note 696: (retour) In terza rima, traduction imprimée à Venise en 1532.

Les premières qu'il fit dans sa jeunesse furent des poésies amoureuses, des sonnets et des canzoni. Ce ne fut cependant point l'amour qui le rendit poëte: ce fut en quelque sorte la poésie qui le rendit amant 697. L'aventure est assez singulière pour qu'il ait cru devoir la rapporter dans les commentaires qu'il a faits lui-même sur ses poésies. Une jeune dame, que l'on croit être la belle Simonetta 698, maîtresse de son frère Julien, mourut à Florence. Sa mort excita les plus vifs regrets: tous les poëtes la célébrèrent à l'envi. Laurent voulut aussi la chanter, et pour le faire avec plus d'expression et de vérité, il s'efforça de se persuader que c'était lui qui avait perdu l'objet de son amour. Il se la représentait avec tous ses charmes, et tâchait d'exprimer le désespoir de celui qui l'avait perdue 699. L'habitude des sentiments tendres lui fit chercher ensuite s'il n'y avait point à Florence quelque autre beauté qui méritât d'en exciter de pareils, et d'être célébrée de son vivant comme cette femme charmante l'était après sa mort. Quand un jeune homme de vingt ans fait cette recherche, il ne la fait pas long-temps en vain. Laurent trouva, dans une fête, une dame aussi aimable et encore plus belle que celle qu'il avait chantée; elle fut, depuis ce moment, l'objet de sa passion et de ses vers. Il ne l'a nommée nulle part, mais on sait qu'elle se nommait Lucrèce, de l'illustre famille des Donati. Cette passion fut, à ce qu'il paraît, toute poétique. Dans plus de cent quarante sonnets, et dans une vingtaine de canzoni, les espérances, les craintes, les désirs de l'amant, les rigueurs, les refus, l'absence, le retour, le sourire, les douces paroles de la dame, sont décrits à la manière de Pétrarque, avec moins de force et des couleurs poétiques moins éclatantes, mais quelquefois avec autant de douceur et d'harmonie, plus de naturel et de simplicité.

Note 697: (retour) W. Roscoe, the Life of Lorenzo, etc., ch. 2.
Note 698: (retour) C'est W. Roscoe qui le conjecture, d'après une épigramme de Politien. Voy. the Life of Lorenzo, etc., édit. de Bâle, t. II, p. 113, note.
Note 699: (retour) C'est le sujet des quatre sonnets qui remplissent le folio 42 de l'édition d'Alde, 1554. L'exposition que Laurent fait dans son Commentaire des degrés par lesquels il passa de cet amour imaginaire à une passion réelle (folio 123--132 de la même édition), intéresse par la naïveté des aveux autant que par l'élégante simplicité du style. Il est surprenant que l'on n'ait jamais réimprimé en Italie ce Commentaire, précieux et curieux sous plus d'un rapport. Il donne un autre prix que celui de la simple rareté à cette édition de 1554, la seule où il se trouve.

Laurent était bien jeune quand il fit ses premiers vers. Ce fut en 1465 qu'il rencontra à Pise, Frédéric d'Aragon, fils de Ferdinand, roi de Naples. Ils se lièrent d'amitié. Frédéric montrait du goût pour la poésie, et désirait de connaître les anciens poëtes italiens les plus dignes d'attention. Laurent les lui indiqua, et copia pour lui, de sa main, un petit recueil de leurs meilleurs morceaux, qu'il lui envoya quelque temps après. Dans ce recueil, que l'on a retrouvé depuis 700, il ajouta quelques-uns de ses sonnets et de ses canzoni, pour rappeler plus vivement au prince, comme il le lui écrivait lui-même, le fidèle attachement de leur auteur. Il n'avait donc pas encore dix-sept ans, qu'il avait déjà composé un certain nombre de poésies qui font partie de ce manuscrit, et qui se retrouvent dans ses Œuvres.

Note 700: (retour) Voy. Apostolo Zeno, notes sur Fontanini, t. II, p. 3, et Lettres, t. III, p. 335.

L'une des qualités qui caractérisent plus particulièrement le vrai poëte, brille éminemment dans les vers de Médicis; c'est cette imagination vive et prompte à se représenter tous les objets de la nature, à les rapprocher par des comparaisons de celui qu'on veut peindre, et à peindre les objets eux-mêmes sous les couleurs les plus frappantes et les images les plus vraies. C'est ainsi que, dans un de ses sonnets, il compare les larmes qui coulent sur des joues blanches et vermeilles, à un clair ruisseau qui traverse une prairie émaillée de fleurs 701; et que, dans un autre, il peint avec tant de vérité l'origine de la couleur pourprée des violettes, que l'on croit voir Vénus, désolée du sort qui menace Adonis, courir dans les bois, une épine cruelle déchirer son pied divin, ces humbles fleurs qui étaient alors toutes blanches, s'empresser de recevoir le sang de la déesse, et rester teintes d'une couleur de pourpre qui n'est entretenue ni par la fraîcheur des zéphirs, ni par des eaux limpides, mais par les soupirs de l'Amour et par ses larmes 702. S'il entreprend d'expliquer dans une canzone le commerce mystérieux de pensées qui se fait entre lui et sa dame, ces pensées qui passent avec rapidité d'un cœur à l'autre, qui entrent et sortent, se rencontrent et se croisent, lui rappellent une fourmillière dans l'activité du travail, pendant les jours d'été. C'est peut-être une faute de goût, que d'avoir employé deux strophes entières à cette description; mais elle est d'une vérité aussi singulière, que l'application en est ingénieuse, quoique, si l'on veut, un peu bizarre 703.

Note 701: (retour) Oimè che belle lagrime fur quelle, etc.
Note 702: (retour) Non di verdi giardini, ornati e colti, etc.
Note 703: (retour) Voy. dans la canzone XIII, Partan leggieri e pronti, la deuxième strophe, Delle caverne antiche, etc., et la suivante.

C'est encore ainsi que les rayons amoureux partis des yeux de sa dame, et qui pénètrent par les siens dans les ténèbres de son cœur, lui retracent un rayon de soleil qui entre par une fissure dans l'obscure maison des abeilles 704; il se représente aussitôt l'essaim réveillé, volant çà et là dans la forêt, sur le calice des fleurs dont la terre est embellie; les unes rapportent ce riche et odorant butin; les autres stimulent et pressent les plus paresseuses, tandis que d'autres repoussent les vils frelons qui veulent s'emparer des fruits de leur industrie. «Ainsi la sage et prévoyante abeille compose de fleurs, de feuilles et d'herbes variées, le miel qu'elle conserve ensuite pour la saison où le monde n'a plus de roses ni de violettes». Il ne faut pas chercher rigoureusement ici le rapport entre la chose comparée et l'objet de la comparaison; mais on voit dans tous ces morceaux, une imagination féconde et riante, un rare talent de peindre, et une prédilection pour les tableaux tirés de la nature et de la vie champêtre, qui est un indice de bonté autant que de génie poétique, et une source de vraies jouissances autant que de véritable talent.

Note 704: (retour) Quando raggio di sole, Canz. X.

Dans le sonnet et dans la canzone, Laurent suivit les mêmes formes dont Pétrarque et d'autres poëtes plus anciens avaient tracé le modèle. Il employa l'octave inventée par Boccace, dans des stances souvent réimprimées sous le titre de Selve d'Amore 705, à l'exemple des Sylves du poëte Stace, titre dont ce n'est pas ici le lieu d'expliquer la signification et l'origine. Ce morceau, qui est de longue haleine, et qui ne contient pas moins de cent quarante octaves, est plein de mouvement, d'imagination, de descriptions et d'allégories. L'auteur se plaint de l'absence de sa maîtresse; il s'en plaint à elle, à l'Amour, à toute la nature; mais bientôt il se promet son retour; alors tout est changé, la nature s'embellit; il ne voit plus autour de lui que des images de bonheur; et, selon la pente habituelle de ses idées, ou, si l'on veut, de ses sentiments, ce sont encore des images champêtres. Les rameaux desséchés se revêtiront de feuilles nouvelles 706; les buissons arides se couvriront de fleurs; les oiseaux reprendront leurs chants; les abeilles et les fourmis leurs travaux interrompus. Les bergers reconduiront sur les montagnes leurs troupeaux ennuyés de l'étable où ils languissent pendant l'hiver; et, là-dessus, il décrit la vie de ces bergers et leurs innocents plaisirs, et leur bonne chère frugale, et leur paisible et profond sommeil. Des descriptions mythologiques suivent ces tableaux villageois; toute la nature est animée pour célébrer cet heureux retour. Le poëte voit les objets comme s'ils étaient présents. Sa maîtresse vient embellir son modeste et riant asyle; tout y respire le bonheur. Seulement une vieille femme est assise dans un coin obscur 707, pâle, muette, poussant des soupirs, fuyant la lumière du jour, couverte d'un manteau d'une couleur incertaine et changeante. C'est la Jalousie. L'auteur en fait un portrait fidèle et hideux; il en trace l'histoire, depuis le moment où elle naquit avec l'Amour, fils comme elle de l'antique Chaos. Il la maudit, et paraît soulever contre elle la nature entière; ensuite il s'adresse à l'Espérance, et c'est l'Amour lui-même qui lui en trace le portrait 708. Mais à la fin de cette peinture poétique, le poëte philosophe se montre, et l'on peut dire que les couleurs en sont plus fortes qu'à l'Amour n'appartient. «De toutes parts les songes, les augures, les mensonges la suivent, ainsi que tous les arts trompeurs, la chiromancie, les sorts, les fausses prophéties, soit verbales, soit écrites sur des papiers menteurs qui annoncent ce qui doit être, lorsqu'il est arrivé, et l'alchimie, et celle qui, de la terre, prétend mesurer les cieux, et la conjecture qui suit la volonté, etc.»

Note 705: (retour) Dans la plus ancienne édition de ces stances, citée par M. Roscoë, Pesaro, 1513, elles sont intitulées: Stanze bellissime et ornatissime intitulate le Selve d'Amore, etc. Dans l'édition d'Alde, elles n'ont d'autre titre que Stanze.
Note 706: (retour) Lieta e maravigliosa i rami secchi, etc.
Selve d'Amore, St. 21.
Note 707: (retour) Solo una vecchia in un oscuro canto, etc. St. 39.
Note 708: (retour) E una donna di statura immensa, etc. St. 67.

Les paysans et le peuple de Toscane ont un langage qui leur est particulier, et qui est singulièrement propre à exprimer des sentiments naïfs, mêlés d'images gracieuses et assaisonnés d'une gaîté rustique. Le goût de Laurent de Médicis, pour les objets champêtres, le porta à se servir le premier de ce langage; et c'est ce qu'il fit avec autant de naturel que d'esprit, dans les stances intitulées: La Nencia da Barberino. Il y introduit le villageois Vallero, qui fait l'éloge de Nencia, sa maîtresse, paysanne du village de Barberino. Rien de plus naïf, de plus gracieux et de plus gai. Ce petit poëme est le premier modèle de ce genre; que l'on appelle Rusticale ou Contadinesco, villageois. Louis Pulci voulut l'imiter dans sa Deca da Dicomano; mais il n'eut ni la même gaîté ni la même grâce. On ne peut comparer à la Nencia, que les plaintes de Cecco da Varlango 709 qui parurent dans le dernier siècle; poëme agréable, sans doute, mais où le langage rustique est plus exclusivement employé, moins tempéré par la langue commune, mêlé de plus de proverbes et de riboboli toscans, et qui, par cette raison, est d'une obscurité qui exige des commentaires, tandis qu'avec un peu d'attention, la Nencia, la charmante Nencia peut être entendue de tout le monde. On voit, qu'en général, et dans tous les genres, le génie de Laurent était toujours ami du naturel et de la clarté.

Note 709: (retour) Lamento di Cecco da Varlango, de Fr. Baldovini. La meilleure édition est celle de 1755, in-4., avec des notes et des éclaircissements, par Orazio Marini. C'est dans ce même langage que Michel-Ange Buonanotti le jeune a fait sa jolie comédie de la Tancia; mais à la langue près, il n'y a aucun rapport entre une comédie en cinq actes et des stances telles que celles de la Nencia, de la Deca et de Cecco.

Il l'était même dans les matières les plus difficiles et les plus relevées de la philosophie. Dans sa jeunesse, et dès le temps où la philosophie platonicienne était un des objets favoris de ses études, il entreprit de mettre en vers une partie des dogmes de cette philosophie, applicable à la vie commune, et il le fit non-seulement avec cette clarté précieuse qui lui était naturelle, mais en plaçant ses explications dans un cadre qui prouve une rare élévation d'ame et une grande supériorité d'esprit. On sait au milieu de quelle fortune et de quel pouvoir il était né. Ce qui gonfle d'orgueil les ames communes et les petits esprits, ne changea rien à son heureuse et noble nature. Il vit les objets tels qu'ils sont, et ne s'exagéra ni les avantages de la richesse et de la grandeur, ni ceux de la vie pastorale et champêtre, souvent enviée par ceux qui ne la connaissent pas. Dans un poëme divisé en six chapitres, qui porte le titre d'Altercation 710, il se représente quittant la ville pour jouir pendant quelques jours des plaisirs de la campagne; il rencontre un berger qui conduit son troupeau, et il s'entretient avec lui sur le souverain bien. «Chez vous, lui dit-il, heureux bergers, ne règnent ni la haine ni la perfidie cruelle; l'ambition ne peut naître dans vos sillons. Le bien que vous possédez n'excite point d'envie; l'avarice n'a chez vous que de faibles racines, et vous vivez contents dans votre douce indolence. On ne dit point ici une chose pour une autre, et l'on n'a point une langue contraire à son propre cœur; celui dont les actions sont les meilleures est le plus heureux. Je ne crois pas que, dans un air si pur, le cœur soupire quand le rire est sur la bouche, ni que la sagesse consiste à dissimuler et à farder la vérité.»

Note 710: (retour) Ce poëme, imprimé sans date, mais probablement vers la fin du quinzième siècle, sous te titre: Altercatione, overo Dialogo composto dal magnifico Lorenzo di Piero, di Cosimo de' Medici, etc. in-12, n'ayant jamais été réimprimé, était devenu si rare qu'il ne se trouve ni dans la Bibliothèque italienne de Fontanini, ni dans celle de Haym, ni dans le Catalogue de Floncel, ni dans aucune Bibliographie. Il remplit quarante pages in-4. de la belle édition des Poésies de Lorenzo de' Medici, donnée à Londres, 1801, in-4., pour servir de supplément à sa Vie écrite par W. Roscoe.

Le berger convient que cette sorte de malheur n'assiége point en effet les habitants du village, mais qu'il en est d'autres non moins cruels auxquels on y est livré; il ne fait point de peintures vagues et de lieux communs, mais représente avec une grande justesse d'idées et d'expressions, les peines et les travaux de la vie champêtre. Le philosophe Marsile Ficin arrive; les deux interlocuteurs consentent à le prendre pour juge. Il développe alors, au sujet du bonheur, les dogmes de sa philosophie, c'est-à-dire, de celle de Platon. Il examine la valeur réelle de ce qu'on appelle communément biens et avantages; ce n'est point là que peut être le vrai bien; il n'existe pour notre ame que lorsqu'elle est dégagée des liens du corps; il n'existe que dans l'amour et dans la contemplation céleste. Ici-bas tous les biens sont imparfaits, et nos maux sont plus grands à mesure que notre désir du bonheur s'augmente. Notre plus grand bien n'est qu'une exemption de maux. La vie heureuse n'est donc ni celle du berger qui est si paisible, ni celle de Laurent qui paraît si belle, ni aucune autre vie mortelle, puisque la véritable félicité ne peut exister dans ce monde.--L'entretien terminé, le poëte resté seul adresse à l'éternelle lumière, au dieu de Platon, une prière conforme aux grandes et nobles idées que ce philosophe donne de la Divinité; elle remplit le sixième et dernier chapitre de ce poëme, moins recommandable par le style que par l'élévation des idées et des sentiments.

D'autres poésies morales, composées dans un âge plus mûr, contiennent des vérités fortes, énoncées dans un style plus nerveux et plus poétique, mais toujours avec la même clarté. Tel est ce capitolo que l'auteur adresse à son esprit, à qui il reproche vivement toutes ses erreurs. «Réveille-toi, esprit paresseux 711, sors de ce sommeil qui couvre tes yeux d'un voile épais, et leur cache la vérité; réveille-toi enfin, et reconnais combien toute action est inutile, vaine et trompeuse, quand le désir l'emporte sur la raison. Pense de quel faux éclat nous éblouit ce qu'on appelle honneur, utilité, plaisir, tout ce qu'on dit être la source d'un bonheur paisible. Pense à la dignité de ton intelligence, qui ne te fut point donnée pour rechercher un bien mortel et périssable, mais pour aspirer au ciel même.» La pièce entière, qui a plus de cent cinquante vers, est écrite sur ce ton, d'autant plus remarquable qu'aucun autre poëte n'en avait donné l'exemple. Ce n'est ni le ton du Dante ni celui de Pétrarque dans ses capitoli; c'est celui d'une espèce de satire morale dont on peut regarder Médicis comme l'inventeur.

Note 711: (retour) Destati, pigro ingegno, da quel sogno, etc.

Il le fut aussi de la satire proprement dite, et ce fut de même par chapitres et en terza rima qu'il donna l'exemple de la traiter. Ses Beoni, ou ses Buveurs, divisés en neuf capitoli, dont il n'acheva pas le dernier, sont une satire ingénieuse et piquante de l'ivrognerie. Il feint que dans un jour d'automne, revenant de sa campagne à Florence, par le chemin qui aboutit à la porte de Faenza, il voit tant de gens marcher d'un air empressé sur la route, qu'il n'aurait pu les compter. Parmi eux, il reconnaît Bartolino, son ancien ami, dit-il, et qu'il connaissait depuis l'enfance; il lui demande ce que signifie cette foule et cet empressement. Bartolino, chancelant et se soutenant à peine, s'arrête, et lui répond qu'ils vont tous au pont de Rifredi, prendre leur part d'une excellente pièce de vin qu'un de leurs amis vient d'ouvrir pour les en régaler tous. Le poëte l'interroge sur ceux qu'il voit le plus à sa portée: ce sont de bons ecclésiastiques, l'un curé d'Antella, toujours joyeux parce qu'il ne va jamais sans sa bouteille; l'autre, pasteur de Fiésole, qui est rempli de dévotion pour sa tasse, et la fait toujours porter auprès de lui par son chapelain Antoine. Elle le suit partout, même à la procession. Ne l'y as-tu pas vu quand il commande à tout le monde de s'arrêter? Il appelle à lui les chanoines ses confrères; ils font cercle autour de lui, le couvrent de leurs manteaux, et lui c'est avec sa tasse qu'il se couvre le visage.»

Tous ces portraits, qui sans doute n'étaient pas de fantaisie, quoique les noms de la plupart des personnages soient déguisés, devaient être alors très-piquants; ils le sont encore par le comique des figures et la vivacité des couleurs. Ce qu'il y a de plaisant, c'est cette espèce d'imitation, ou si l'on veut de parodie du poëme de Dante qui règne dans tout l'ouvrage. Au lieu de Virgile, c'est Bartolino que le poëte interroge sur tous les personnages qu'il voit passer, et qui les lui fait connaître; et, pour rappeler de temps en temps la ressemblance, il ne manque pas de répéter comme Dante: Alors je dis à mon guide, ou mon guide me répondit: Allor dissi al mio duca, ou Quando il mio duca disse, etc. La mesure et le rhythme sont aussi les mêmes; mais au lieu d'un style serré, nerveux et tendu comme celui de la Divina Commedia, celui des Beoni est simple, coulant, souvent naïf, toujours clair et naturel. C'est celui qu'ont pris pour modèle, dans leurs satires et dans leurs capitoli, l'Arioste, Berni, Bentivoglio et la plupart des autres satiriques du seizième siècle. Ce premier essai d'un genre nouveau fut en quelque sorte improvisé; Laurent ne s'en occupa qu'à l'instant même où il venait de faire cette rencontre. Il fit presque d'une haleine les huit chapitres. Quelques jours après, il se refroidit sur ses Buveurs, et n'acheva point le neuvième. On a beau dire que le temps ne fait rien à l'affaire, quand les vers sont mauvais, sans doute; mais lorsqu'ils sont bons, qu'ils sont dans un genre tout neuf, qu'ils méritent de servir ensuite de modèles, une composition si rapide est sûrement un mérite de plus.

Bien différent de ces poëtes qui ne savaient chanter qu'un objet, et qui passaient leur vie à aiguiser sur cet objet, quelquefois tout fantastique, la subtilité de leur esprit, Laurent appliquait son talent poétique à tout ce qui l'affectait, aux choses de la vie, à celles qui faisaient la matière de ses études, ou qui l'environnaient et frappaient habituellement ses yeux, ou qui s'y offraient subitement. Sa prédilection pour la nature champêtre paraît sans cesse dans ses vers, parce qu'elle était dans son ame. Tous les moments qu'il pouvait dérober aux affaires, il les passait dans les maisons délicieuses qu'il possédait à la campagne. Celle qu'il avait fait bâtir à Poggio Cajono, était son séjour favori. L'Ombrone y formait une île nommée Ambra, qu'il s'était plu à embellir, et il avait pris tous les moyens que l'art, employé avec une prodigalité royale, peut fournir contre la rapidité d'un fleuve et contre les inondations. Ces moyens furent inutiles; une inondation terrible emporta les embellissements, les travaux, les fabriques, la terre même, pour ainsi dire, et ne laissa que les rochers et la pierre nue. Un possesseur vulgaire n'aurait montré que des regrets et de l'emportement. Médicis y vit un sujet poétique. Sa chère Ambra devint une nymphe, aimée du jeune Lauro, berger des Alpes: Elle se baignait dans l'Ombrone pendant la chaleur du jour. Le Dieu du fleuve la voit, en est épris, veut la saisir; elle fuit le long du rivage; le fleuve la poursuit, mais en vain, jusqu'au lieu où ses eaux se jettent dans l'Arno. Il s'écrie alors, il invoque le Dieu de l'Arno et l'appelle à son aide. L'Arno se lève, court au-devant de la nymphe; elle se trouve ainsi pressée entre le fleuve qui l'arrête et le fleuve qui la suit. Fidèle à son cher Lauro, elle implore le secours des dieux. Au moment où l'Ombrone croit l'atteindre, il ne voit plus qu'un rocher qui s'élève, s'étend, s'accroît devant lui et forme une île, autour de laquelle il ne peut plus que courir. Il se repent alors, et regrette d'avoir réduit une nymphe si belle à n'être plus qu'un amas de rochers.

Ce poëme, composé de quarante-huit octaves, et publié pour la première fois par M. Roscoe 712, est plein de descriptions charmantes, tracées avec une grande facilité de style et avec une propriété singulière d'expressions et de couleurs. Ces mêmes qualités brillent dans la Chasse au Faucon, autre poëme à peu près de même étendue, que nous devons au même biographe. Les préparatifs de cette chasse, les noms des chiens, des éperviers, des faucons, des chasseurs, des piqueurs, la chasse même dont les formes et les incidents sont fidèlement décrits; enfin la querelle comique survenue entre deux chasseurs, dont l'épervier de l'un a pris à la gorge et abattu celui de l'autre, tous ces détails, semés de traits originaux et naïfs, sans avoir le même intérêt pour le fond, n'en prouvent pas moins, dans l'auteur, le talent poétique le plus souple et le plus heureux.

Note 712: (retour) Dans le Recueil de Poésies inédites qu'il a joint à sa Vie de Laurent de Médicis, Ambra est la première pièce, et la Caccia col Falcone la seconde.

J'ai parlé plus haut 713 des fêtes du carnaval, des spectacles ambulants et singuliers que l'on y donnait au peuple de Florence, et du parti qu'en tira Laurent, pour ajouter encore à son crédit et à sa popularité. Même avant lui, ces célébrations joyeuses se faisaient avec beaucoup de pompe. On rassemblait à grands frais des chevaux, des chars, des trophées, une grande multitude de peuple qu'on habillait de costumes analogues aux divers sujets, et qui représentaient, ou le triomphe d'un vainqueur, ou quelque trait de chevalerie, ou l'attirail des métiers et des différents arts. Ce cortége sortait vers le soir, et se promenait aux flambeaux, dans la ville, pendant une partie de la nuit. Il s'arrêtait de temps en temps, et des hommes masqués, comme ceux du cortége l'étaient tous, chantaient quelques chansons que le peuple répétait en dansant. Laurent, qui ne négligeait aucun moyen de lui plaire, imagina de donner à ces mascarades plus de magnificence et de variété, d'y ajouter le charme de la poésie et celui de la musique; de faire, en un mot, de ces anciennes et grossières orgies, un spectacle ingénieux et nouveau. On vit quelquefois autour d'un chariot, traîné par des chevaux superbes et rempli de masques revêtus de différents caractères, jusqu'à trois cents hommes aussi masqués, à cheval, et habillés richement; tandis que d'autres, à pied et en aussi grand nombre, portaient des flambeaux allumés, parcouraient avec eux, éclairaient et réjouissaient toute la ville. Les personnages qui remplissaient les chars, chantaient harmonieusement à quatre, huit, douze et même quinze ou seize voix, des canzoni, des ballades et d'autres pièces de ce genre, dont les paroles étaient analogues au caractère qu'ils représentaient 714. Médicis donnait lui-même l'idée et les dessins de ces mascarades; il composait des vers et des chansons, qu'il faisait mettre en musique par les plus habiles musiciens de ce temps. Quand ces triomphes et ces chants étaient bien ordonnés, bien exécutés, accompagnés de tous les ornements et de toute la pompe convenables, quand l'invention en était heureuse, le sens facile à saisir, les paroles populaires et plaisantes, la musique simple et gaie, les voix sonores et bien d'accord, les habits riches, brillants, appropriés aux caractères, les machines bien construites et peintes avec art, les chevaux nombreux, beaux et bien équipés, la nuit éclairée par une grande quantité de torches et de flambeaux, on ne peut, dit le premier éditeur de ces chants du carnaval, rien voir ni rien entendre qui soit plus agréable et plus fait pour plaire à tous les goûts 715.

Note 713: (retour) Pages 385 et 386.
Note 714: (retour) Préface de l'édition des Canti Carnascialeschi, 1750, in-4., p. x.
Note 715: (retour) Épitre dédicatoire de la première édition au prince François de Médicis, et réimprimée dans la seconde, p. xxxix.

Le succès qu'eurent ces chants, l'intérêt qu'y prenait Médicis, et l'exemple qu'il donnait d'en composer pour amuser le peuple, firent que la plupart des beaux esprits du temps s'exercèrent dans ce genre de poésie; cette mode se soutint jusqu'au milieu du siècle suivant, et c'est de tous ces chants réunis qu'Antoine Grazzini, surnommé le Lasca, fit imprimer un recueil 716 qui tient sa place parmi les productions les plus originales de la littérature italienne. Les chants de Laurent de Médicis se distinguent à une certaine grâce facile et à une simplicité spirituelle, dégagée de toute prétention à l'esprit. Les personnages qui les chantent, sont tantôt de jeunes filles qui se moquent du bavardage des cigales, ou des femmes qui filent de l'or, ou de jeunes femmes et de vieux maris; tantôt des muletiers, des hermites, des revendeurs, des gens de toute sorte de métiers; quelquefois aussi ce sont des triomphes plus magnifiques, tels que celui d'Ariane et de Bacchus. Ce chant est le premier du recueil, et il en est un des plus agréables. Le refrain est philosophique, et tire à la manière des anciens, de la briéveté de la vie, la nécessité d'en jouir 717.

Qu'elle est belle la jeunesse
Qui passe et fuit si grand train!
Rions, aimons, le temps presse:
Rien n'est moins sûr que demain.
Note 716: (retour) Tutti i trionfi, carri, mascherati, o canti carnascialeschi andati per Firenze, etc. Florence, 1559, in-8.
Note 717: (retour)
Quant' è bella giovinezza
Che si fugge tutta via!
Chi vuol esser' lieto sia
Di doman non c'è certezza
.

«Voici Bacchus et Ariane, beaux et tous deux brûlants d'amour; ils savent que le temps fuit et nous trompe; ils ne veulent plus se quitter; les nymphes et tous les gens qui les entourent, gais et contents comme eux,

Épris d'amour et de vin,
Comme eux répètent sans cesse;
Rions, aimons, le temps presse:
Rien n'est moins sûr que demain.

Ces satyres pétulants, amoureux de toutes les nymphes, leur ont tendu mille piéges, dans les antres, dans les bosquets;

Maintenant le dieu du vin
Seul a toute leur tendresse;
Buvons comme eux, le temps presse:
Rien n'est moins sûr que demain.

Celui qui vient lentement, pesamment porté sur son âne, est le vieux et joyeux Silène, chargé d'embonpoint et d'années.

Il veut se dresser en vain;
Mais il rit et boit sans cesse;
Rions aussi, le temps presse:
Rien n'est moins sûr que demain.

C'est Midas qui vient après eux: tout ce qu'il touche devient or; à quoi servent tant de trésors, puisque l'avare n'en a jamais assez?

Quel triste et fâcheux destin
Que d'être altéré sans cesse!
Rions plutôt, le temps presse:
Rien n'est moins sûr que demain, etc.

Tous ces chants n'ont pas à beaucoup près cette teinte philosophique: le plus grand nombre, au contraire, tant de ceux de Laurent, que de ceux que composaient d'autres poëtes, est d'une gaîté grivoise qui suppose des mœurs publiques, sinon plus corrompues, au moins plus franchement licencieuses que les nôtres; tous les métiers et tous les instruments qu'ils emploient sont des sujets inépuisables d'équivoques et de quolibets, dont la plupart de ces chants sont remplis; mais on n'y voit aucune expression sale ou grossière. Comme l'attribut éminemment distinctif de l'homme, après la raison, est le langage, il semble que la bassesse et la grossièreté des mots le ravale encore plus bas que la licence des mœurs; et si, pour amuser un peuple corrompu, il lui fallait des plaisanteries libres, on voit du moins que, pour s'en faire aimer, Laurent savait l'égayer sans l'avilir.

Dans des circonstances moins solennelles, dans des fêtes et des réjouissances ordinaires, qui étaient assez fréquentes pendant le cours de l'année, il composait d'autres chansons ou espèces de rondes, que souvent, comme je l'ai dit 718, il chantait et dansait avec le peuple. Elles sont pour le moins aussi libres que les autres; mais la plupart ont dans le style une grâce et une naïveté charmantes. Quelques unes même n'ont d'indécence ni dans le fond ni dans la forme; et ce sont les plus jolies. On cite et l'on chante encore celle qui commence par ces deux vers:

Ben venga maggio
E'l gonfalon selvaggio
.

Ce qui mérite le plus de fixer ici l'attention, c'est que ce chansonnier joyeux, ce poëte aimable, cet homme simple et populaire, était un des premiers personnages de son siècle, un grand homme d'état, un philosophe profond, et qu'au moment où on le voyait sur la place de Florence diriger les mouvements d'une danse de jeunes filles, il venait peut-être de s'enfoncer dans les obscurités les plus creuses du platonisme, ou de lutter, par son génie, contre la politique tortueuse des plus habiles cabinets de l'Italie et de l'Europe.

Nous avons vu que Lucrèce, sa mère, avait composé des poésies sacrées. Soit pour lui plaire, soit par tout autre motif, Laurent voulut en composer aussi, et son génie, qui se pliait à tout, ne réussit pas moins dans ce genre que dans les autres. Il fut même le premier à y employer le style sublime, et l'imitation de celui du Psalmiste et des Prophètes. Les quatre prières ou Oraisons que l'on trouve dans cette partie de ses Œuvres, sont du genre lyrique le plus élevé. Quant aux hymnes ou laudes, Laude, il suivit l'usage du temps, qui était de les rendre populaires, en les mettant sur des airs connus, et presque toujours sur des airs de ballades ou de chansons à danser. Le mérite de ces compositions était la simplicité. Les idées étaient à la portée du peuple, et le style ne s'élevait pas beaucoup au-dessus de son langage. On joignait à chacune des pièces les premiers mots de la chanson sur l'air de laquelle cette pièce était composée: c'était à peu près comme nos anciens Noëls, et, à la pureté du langage près, comme les cantiques de notre abbé Pélegrin 719.

Note 719: (retour) Quand on voit un des chants de Lucrèce de Médicis, commençant par ces mots:
Ecco'l Messia
E la madre Maria
,

mis sur l'air:

Ben venga maggio
E'l gonfalon selvaggio
,

on ne peut s'empêcher de penser aux cantiques de ce bon abbé Pélegrin, tels que celui sur la Chasteté, dont le refrain était:

Adieu paniers,
Vendanges sont faites.

Du temps de Laurent de Médicis, l'art dramatique n'existait point encore. En Italie, comme dans les autres parties de l'Europe, on ne connaissait que ces représentations pieuses, appelées Mystères. À Florence, on en donnait souvent aux dépens du public; quelquefois aussi aux frais des citoyens riches, qui s'en servaient pour déployer leur opulence et se concilier la faveur publique 720. On peut croire que Laurent se proposa ce double but en donnant la représentation de S. Jean et de S. Paul, dont il composa le poëme. On croit que ce fut à l'occasion du mariage de Madeleine, l'une de ses filles, avec François Cibo, neveu du pape Innocent VIII, et que les principaux personnages de la pièce furent représentés par ses autres enfants 721. Ce qui le fait penser, c'est que plusieurs passages semblent des préceptes adressés à ceux à qui est confié le gouvernement des états, et paraissent avoir particulièrement trait à la conduite que lui et ses ancêtres avaient suivie pour obtenir et conserver leur influence dans la république 722.

Note 720: (retour) W. Roscoe, the Life of Lorenzo, etc., ch. 5.
Note 721: (retour) Voy. Cionacci, Préface de la Reppresentezione di S. Giovanni e S. Paolo, avec les autres Poésies sacrées de Laurent, Florence, 1680.
Note 722: (retour) W. Roscoe, ub. supr.

Dans cette pièce, écrite tout entière en octaves, et dont il paraît qu'une partie était chantée, il n'est question ni de S. Jean l'évangéliste, ni de l'apôtre S. Paul, mais du martyre de Jean et de Paul, deux eunuques de la fille de Constantin, qu'on appelle le Grand. Cette fille, nommée Constance, est lépreuse: Ste. Agnès la guérit par un miracle. Constantin, devenu vieux, se démet de l'empire entre les mains de ses enfants; Julien, qu'on a surnommé l'Apostat, leur succède, et c'est ce nouvel empereur qui fait couper la tête aux deux jeunes eunuques de sa sœur, parce qu'ils adorent le dieu qui l'avait guérie de la lèpre par l'intercession de Ste. Agnès. Il est puni, et tué dans une bataille, non par le fer ennemi, mais par un martyr peu connu, ou dont le nom est plus célèbre dans la mythologie que dans l'histoire, et qui s'appelle S. Mercure.

Quoi qu'il en soit de cette action où les trois unités, comme on voit, ne sont pas sévèrement observées, c'est lorsque le vieux Constantin se démet de l'empire, qu'il adresse à ses fils le discours qui a fait croire que c'était pour une occasion relative à sa famille que Laurent de Médicis avait composé ce Mystère. On peut, en poussant plus loin cette conjecture, se rappeler que, lorsqu'il fut surpris par la maladie dont il mourut, il songeait à se retirer des affaires; son fils aîné était appelé à hériter de son pouvoir, et, quoiqu'il fût très-jeune, il était impossible que les défauts qui se montrèrent bientôt en lui et qui causèrent sa perte, ne fussent pas aperçus de son père. Si l'on pense que les enfants de Laurent jouèrent les principaux rôles dans cette pièce, serait-il invraisemblable que Laurent jouât lui-même le premier, qui est celui du vieux Constantin? Aucune tradition ne le dit; mais aucune ne dit non plus le contraire; et je ne fais qu'ajouter une conjecture à une autre. Elle donnerait un grand intérêt à ce drame informe, et surtout au rôle de Constantin, si Laurent le joua lui-même; il est naturel et touchant, dans la disposition d'esprit où il était alors, d'entendre le vieil empereur s'exprimer ainsi par sa bouche 723. «Souvent celui qui donne à Constantin le nom d'Heureux, l'est beaucoup plus que moi, et ne dit pas la vérité.» Le moment de la démission et le discours de Constantin à ses fils, acquièrent aussi, par cette supposition très-naturelle, beaucoup plus d'intérêt et de dignité. Constantin, parlant comme il le fait 724, quoiqu'en assez beaux vers, des devoirs des souverains et des soucis du trône, ne dit guère qu'une morale rebattue et un lieu commun; mais Laurent de Médicis, courbé sous le poids des infirmités et des affaires, au milieu de sa gloire et de sa prospérité, adressant ces mêmes paroles à ses trois fils dans une fête publique, qui est en même temps une fête de famille, exprime un sentiment noble, touchant et vrai, qui émeut et qui attendrit.

Note 723: (retour)
Spesso chi chiama Constantin felice,
Sta meglio assai di me, e'l ver non dice
.
Note 724: (retour) Sappiate che chi vuole 'l popol reggere. (St. 99 et suiv.)

On déployait dans ces spectacles un appareil, une magnificence extraordinaires. Le théâtre était ordinairement dressé dans une église. On y faisait jouer de grandes machines. Les perspectives ou décorations changeaient souvent. Le nombre des comparses ou de ceux qui formaient le cortége des acteurs principaux, était immense. Des joûtes, des tournois, des batailles, des fêtes données à la cour, des banquets royaux, des bals et des concerts paraissaient tour à tour sur la scène. Dans cette représentation de saint Jean et de saint Paul, sainte Agnès apparaissait à Constance, et la Madonne se montrait aussi sur le tombeau du martyr saint Mercure. Toutes deux venaient du ciel, et étaient portées sur des machines en forme de nuages. Au dénouement, saint Mercure sortait de son tombeau; et s'élevait sans doute en l'air pour blesser Julien dans la bataille: on donnait un banquet et une fête à la cour, accompagnée de danses, de concerts de voix et d'instruments, pour célébrer la guérison de Constance; et deux grands combats étaient livrés sur le théâtre. En un mot, on n'accompagne aujourd'hui d'une pareille pompe, chez aucune nation de l'Europe, la représentation des chefs-d'œuvre dramatiques les plus fameux.

En résumant ce que nous avons dit des poésies de Laurent de Médicis, nous y verrons une grande souplesse à traiter tous les genres et à prendre tous les tons; dans le sonnet et la canzone, un style inférieur à celui de Pétrarque, mais supérieur à celui de tous les autres poëtes lyriques qui avaient écrit depuis un siècle entier; dans la poésie philosophique, une clarté qui écarte tous les nuages, une grâce facile qui fait disparaître l'aridité de tous les détails; dans la satire, une touche originale, une création et un modèle; dans des genres plus légers, et si l'on veut plus futiles, une aisance et un naturel qui écartent toute idée de travail. Nous verrons enfin dans Laurent un des principaux restaurateurs de la poésie italienne, qui était restée en silence pendant un siècle, comme désespérant de soutenir son premier succès, et découragée par la sublimité même de ses premiers chants.

Il fut bien secondé, dans cette entreprise, par des génies heureux, qui semblèrent éclore à la fois pour donner à la dernière moitié du quinzième siècle un éclat qui manque à la première, et pour préparer, en quelque sorte, les merveilles du siècle suivant.

Ange Politien occupe parmi eux le premier rang. Le goût du temps, qui était principalement tourné vers les travaux de l'érudition, en fit un érudit; la faveur dont les études philosophiques jouissaient chez les Médicis, en fit un philosophe; la nature l'avait fait poëte. Je ne répéterai point ici ce que j'ai dit des poésies grecques et latines qu'il publia de l'âge de treize à celui de dix-sept ans. On place dans cet intervalle une composition qui serait plus merveilleuse, si en effet Politien l'eût produite à quatorze ans; ce sont ses Stances pour la joûte de Julien de Médicis, frère de Laurent. J'ai d'abord admis la supputation des plus habiles critiques sur la date de cette pièce; je dirai maintenant, en peu de mots, pourquoi elle m'est suspecte, et quelle autre supposition me paraît plus vraisemblable.

Laurent et Julien brillèrent dans deux différents tournois 725. Celui où Laurent remporta le prix, fut donné le 7 février 1468, et l'autre, peu de jours après. Luca Pulci célébra dans un poëme la victoire de Laurent; Politien, dans un autre, les exploits de Julien; or, en 1468, Politien n'avait que quatorze ans. Il dédia son poëme à Laurent, quoiqu'il fût en l'honneur de Julien. Laurent, dès-lors, le prit en amitié, le logea dans son palais, et en fit le compagnon de ses études. Tel est le sentiment de Tiraboschi; tel est celui du savant abbé Serassi, dans sa Vie d'Ange Politien 726; de William Roscoe, dans son excellente Vie de Laurent de Médicis, et de plusieurs autres écrivains qui doivent faire autorité; mais il n'y a point d'autorité littéraire qui puisse faire croire un fait évidemment impossible. Plus on lit les stances de Politien, moins on se persuade qu'un poëme, si riche en détails, si abondant en expressions et en images, écrit d'un style si fort de poésie, et cependant si sage, soit l'ouvrage d'un enfant. Les épigrammes grecques et latines que cet enfant publia jusqu'à l'âge de dix-sept ans, sont surprenantes, mais se conçoivent; un poëme de près de douze cents vers en octaves italiennes, resté depuis ce temps comme modèle et comme un des monuments de la langue, ne se conçoit pas. Voici donc un autre calcul où je trouve plus de vraisemblance.

Note 725: (retour) Voy. ci-dessus, p. 377.
Note 726: (retour) En tête de l'édition des Stanze, Padoue, 1765, in-8.

À dix-sept ans, Politien acheva ses études. Il publia ses épigrammes, qui commencèrent sa réputation: c'était en 1471. Laurent de Médicis était, depuis deux ans, à la tête de sa fortune et de la république. Politien était pauvre; il voulut attirer ses regards par quelque production d'éclat. Le tournoi de Laurent avait trouvé un poëte, celui de Julien n'en avait point encore. Célébrer ce tournoi avec toutes les couleurs de la poésie; y faire entrer l'éloge, non-seulement de Julien, mais de toute la famille des Médicis, et l'adresser à Laurent, chef de cette famille, chef de l'état, déjà surnommé le Magnifique, et qui justifiait chaque jour ce titre par ses libéralités, lui parut une entreprise conforme à son but. On ne peut savoir en combien de chants ou de livres il avait divisé son plan. Le second n'est pas achevé; et le moment où l'action est interrompue, est celui où le héros ne fait encore que se disposer au combat; mais probablement, lorsqu'il eut terminé cette première partie de l'action, il en fit hommage à Laurent, et en reçut l'accueil généreux qui décida du reste de sa vie. Qu'il eût alors dix-huit, dix-neuf ou vingt ans, cela est bien précoce encore, mais n'est pas du moins incroyable. Ayant atteint dès-lors le but qu'il s'était proposé, partagé entre divers travaux que l'amitié de Laurent fut en droit d'exiger de lui, ceux d'érudition qui étaient alors les plus considérés, et pour lesquels il trouva dans son bienfaiteur tant d'encouragement et tant de secours, et l'éducation des fils de Laurent qu'il commença, sans doute, à leur donner aussitôt qu'ils furent en état de la recevoir, toutes ces causes réunies l'empêchèrent, pendant plusieurs années, de reprendre cet ouvrage. La malheureuse année 1478 vint. Julien fut assassiné par les Pazzi; Politien n'avait encore que vingt-quatre ans; et dès ce moment son poëme fut condamné à rester imparfait.

Si je faisais une dissertation en règle, j'appuierais de beaucoup de raisons et de citations ma conjecture; mais je me bornerai per brevità, comme disent les Italiens, à citer la quatrième stance du poëme: elle me paraît décisive. «Et toi, noble Laurier, dit le poëte (en faisant allusion au nom de Laurent), sous l'ombrage duquel Florence se réjouit et repose en paix, sans craindre ni les vents, ni les menaces du ciel, ni le courroux de Jupiter même, accueille, à l'ombre de ta tige sacrée, ma voix humble, tremblante et craintive, etc.» De quelque considération que Laurent jouît dès le vivant de son père, et quoique les infirmités de Pierre de Médicis l'empêchassent de jouer d'une manière brillante le rôle de premier citoyen de Florence, il le fut cependant tant qu'il vécut, depuis la mort de Cosme; et les expressions de cette stance ne peuvent absolument avoir été adressées à son fils qu'après la sienne.

Quoi qu'il en soit de l'époque précise de la composition de cette pièce (et l'on a vu que, s'il est impossible que l'auteur n'eût que quatorze ans, il est probable qu'il n'en avait pas plus de vingt), ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle forme le morceau de poésie italienne le plus brillant de ce siècle. Elle offre en même temps la fraîcheur, la fertilité d'une jeune imagination, et le style formé de l'âge mûr. On blâme quelquefois, mais on admire cependant les richesses accessoires dont Pindare a su, dans ses odes, embellir des sujets aussi pauvres, en apparence, que le sont des courses de chevaux ou de chars; que faut-il donc penser de Politien qui, sur un sujet à peu près semblable, sur un tournoi, conçoit un poëme tout entier, dont on ne peut connaître l'étendue projetée, puisqu'au bout de douze cents vers, le héros n'en est encore qu'aux préparatifs du combat, et qu'il est impossible de savoir par combien d'incidents le poëte pouvait le retarder encore?

Il décrit d'abord les occupations et les travaux de la jeunesse de Julien; il le peint environné de toutes les séductions de son âge, en butte aux agaceries et aux avances de toutes les belles, mais défendu des traits de l'Amour par la Sagesse. Julien a, comme Hippolyte, une grande passion pour la chasse. L'Amour imagine un stratagème pour le vaincre, au milieu même de cet exercice. Il fait courir devant lui le fantôme aérien d'une biche blanche, aussi agile que belle, et dont la poursuite l'entraîne loin de ses compagnons. Alors se présente à lui une nymphe charmante, dont il est tout à coup épris; il abandonne la biche, aborde en tremblant la nymphe, qui lui répond avec une voix douce et angélique. Elle s'éloigne aux approches de l'ombre du soir, et laisse Julien, seul et pensif, errer dans ces bois, où il s'égare en s'occupant d'elle. Ses compagnons inquiets le retrouvent enfin. Il revient avec eux, mais il emporte le trait qui l'a blessé. L'Amour va trouver sa mère dans l'île de Chypre, et lui raconter sa victoire. La description de cette île enchantée et du palais de Vénus, remplit toute la seconde moitié du premier livre. C'est un morceau d'environ cinq cents vers. Politien y a prodigué à pleines mains toutes les richesses de la poésie descriptive, et l'on y reconnaît le premier modèle des îles d'Alcine et d'Armide.

Vénus, que l'Amour trouve entre les bras de Mars, est ravie d'apprendre la défaite d'un jeune héros si fier, et jusqu'alors si insensible. Elle veut qu'il se couvre d'une gloire nouvelle, pour que la victoire remportée par son fils ait plus d'éclat. Elle ordonne à tous les Amours de s'armer, de se pénétrer de tous les feux du dieu Mars, de voler à Florence, d'inspirer aux jeunes Toscans l'ardeur des combats. Tandis qu'ils remplissent ses ordres, elle appelle Pasitée, épouse du Sommeil et sœur des Grâces; elle lui enjoint d'aller trouver son époux, et d'obtenir de lui qu'il envoie à Julien des Songes analogues au projet qu'elle a formé. Les Songes lui obéissent comme les Amours. Le jeune héros, dans son sommeil du matin, croit voir la belle nymphe de la forêt, mais aussi fière, aussi sévère qu'elle était douce et affable, couverte des armes de Pallas, et les opposant aux traits de l'Amour. C'est à Pallas même, c'est à la Gloire qui descend des cieux, le revêt d'une armure d'or et le couronne de lauriers, qu'il appartient de vaincre cette fierté. Il s'éveille; il invoque l'Amour, Minerve et la Gloire: leurs feux réunis brûlent son cœur. Il va paraître dans la lice, en portant leur bannière.

Tel est ce poëme, ou plutôt ce grand fragment de poésie, qui, tout imparfait qu'il est resté, a peut-être eu sur les progrès de la littérature italienne plus d'influence que tous les autres travaux de Politien. L'ottava rima, inventée par Boccace, mais à qui il n'avait donné ni l'harmonie, ni la rondeur, ni les chutes heureuses qui lui conviennent, et qui était restée depuis dans cet état d'imperfection, reparut ici avec toutes les qualités qui lui manquaient, et si parfaite, qu'aucun des poëtes qui l'ont employée depuis, pas même l'Arioste ni le Tasse, n'ont rien pu y ajouter. La langue poétique, affaiblie et languissante depuis Pétrarque, reprit sa force et ses vives couleurs; le style épique fut créé; un grand nombre d'expressions, de comparaisons et de formes de style parut pour la première fois; et, dans les âges suivants, les plus grands poëtes épiques ne dédaignèrent pas de puiser à cette source abondante. J'ai parlé de l'île d'Alcine et des jardins d'Armide, dont le premier type est dans la riche description de l'île de Chypre. Mais de plus, beaucoup de phrases poétiques et de vers entiers ont passé de là dans les deux poëmes qui ont rendu si célèbre le nom de ces deux enchanteresses.

Je puis donner pour exemples de ces emprunts, deux des octaves les plus fameuses, l'une dans l'Orlando, l'autre dans la Jérusalem. Tout le monde connaît cette admirable comparaison que fait l'Arioste de Médor, qui garde et défend le corps de son roi Dardinel contre les ennemis qui le poursuivent, avec l'ourse attaquée par les chasseurs, dans la tanière où elle nourrissait ses petits; il n'y a, certes, dans aucun poëte rien de plus parfait que ces huit vers; on les regarde comme inimitables, et ils le sont; mais l'idée et même quelques expressions des quatre premiers, sont visiblement imitées de la stance 39 de Politien 727.

Note 727: (retour)
Come orsa che l'alpestre cacciatore
Ne la pietrosa tana assalit' habbia,
Sta sopra i figli con incerto core,
E freme in suono di pietà e di rabbia
. (L'Arioste.)

Qual tigre, a cui dalla pietrosa tana
Ha tolto il cacciator suoi cari figli:
Rabbiosa il segue per la selva ircana,
Che tosto crede insanguinar gli artigli
. (Politien.)

L'imitation du Tasse est toute dans les mots et dans l'harmonie, sans aucun rapport entre le fond des choses. On cite souvent et avec raison, comme un chef-d'œuvre d'harmonie imitative dans le genre terrible, ces vers du quatrième chant de la Jérusalem, où le son rauque de la trompette infernale se fait entendre. Tous les mots de cette octave effrayante contribuent à l'effet qu'elle produit, mais il naît surtout de cette consonnance à la fois sourde et retentissante de la tartarea tromba, avec les deux rimes des vers suivants, rimbomba, et piomba. Or, la stance 28 de Politien fait entendre de même et la trompette du tartare et son double retentissement 728.

Note 728: (retour)
Chiama gli habitator dell' ombre eterne
Il rauco suon della tartarea tromba;
Treman le spatiose atre caverne,
E l'aer cieco a quel romor rimbomba;
Ne sì stridendo mai da le superne
Regioni del cielo il folgor piomba
, etc. (Le Tasse.)

Con tal romor, qualor l'aer discorda,
Di Giove il foco d'alta nube piomba:
Con tal tumulto, onde la gente assorda,
Dall' alte cataratte il Nil rimbomba:
Con tal' orror del latin sangue ingorda
Sono Megera la tartarea tromba
. (Politien.)

Je n'ai pas craint de m'arrêter quelque temps sur ce petit poëme, dont on parle beaucoup plus qu'on ne le lit; les ouvrages qui font époque dans la littérature de chaque peuple, abstraction faite du sujet et de l'étendue, sont les plus importants; et les stances de Politien forment une époque très-remarquable dans la poésie épique italienne. Sa Favola di Orfeo en fait une autre dans la poésie dramatique moderne. C'est la première représentation théâtrale, étrangère à celles de ces pieuses absurdités qu'on appelait des Mystères; la première écrite avec élégance, et conduite d'après quelques idées d'une action intéressante et régulière. Cette action, au reste, est fort simple. Le berger Aristée a vu la nymphe Eurydice; il en est épris, il s'entretient d'elle avec un autre berger, et se plaint, dans une chanson pastorale, des maux que l'Amour lui fait souffrir. Eurydice approche en cueillant des fleurs: il veut lui parler, elle fuit; il la poursuit dans la campagne. Orphée paraît tenant sa lyre et chantant un hymne. Un berger vient lui annoncer que sa chère Eurydice, en fuyant Aristée, a été mordue d'un serpent, et qu'elle a sur-le-champ perdu la vie. Orphée, après avoir exprimé ses regrets, descend aux enfers; il fléchit, par ses prières, par son chant et ses accords, Minos, Proserpine et Pluton. Eurydice lui est rendue; mais, en la ramenant sur la terre, il la regarde, elle retombe dans les enfers, et lui est enlevée pour toujours. Il se livre au désespoir, maudit l'Amour, renonce à tout commerce avec les femmes, et les maudit elles-mêmes, comme la source de tous nos chagrins et de toutes nos peines. Les Bacchantes l'entendent, entrent en fureur, poursuivent le profane qui ose mal parler des femmes, reviennent sa tête à la main, et finissent par un sacrifice et par un dithyrambe en l'honneur de Bacchus.

Ce qu'il faut observer dans cette pièce, qui nous paraît aujourd'hui très-médiocre, et qui porte en effet tous les caractères de l'enfance de l'art, c'est qu'elle fut faite en deux jours, au milieu des préparatifs tumultueux d'une fête, et que cependant, outre le tissu général du dialogue qui est conduit naturellement, purement et même élégamment écrit, il y a trois morceaux, la chanson pastorale d'Aristée, le chant d'Orphée pour fléchir les dieux infernaux, et le dithyrambe des Bacchantes, qui paraîtraient seuls exiger plus de temps; le dernier, plein d'inspiration, de verve et de chaleur 729, est le premier modèle d'un genre que les Italiens aiment beaucoup, et qu'ils ont cultivé depuis avec succès. Je ne parle point de l'hymne que chante Orphée quand il paraît pour la première fois sur la montagne; c'est une ode latine en vers saphiques en l'honneur du cardinal de Gonzague, pour qui cette fête se donnait à Mantoue. C'est la trace d'un reste de barbarie et une singularité qui put paraître moins choquante dans un temps où la langue vulgaire était presque retombée en discrédit, et où l'on cultivait beaucoup plus la poésie latine que l'italienne. Au reste, il paraît aujourd'hui prouvé que cette ode qui se trouve parmi les poésies latines de Politien, a été interpolée après coup dans son Orphée. On a retrouvé 730 un ancien manuscrit où elle n'est pas; elle y est remplacée par un chœur, à l'imitation de ceux des Grecs, dans lequel les Dryades déplorent la mort d'Eurydice. L'édition que l'on a faite d'après ce manuscrit a plusieurs autres avantages sur toutes celles qui l'avaient précédée 731, et c'est d'après ce texte seulement que l'on peut juger une composition rapide et presque improvisée, qui donne cependant à Politien la gloire d'avoir été le premier auteur dramatique parmi les modernes, et à la cour des Gonzague de Mantoue, l'honneur d'avoir applaudi la première 732 un spectacle plus intéressant et plus noble que les momeries de la légende, les supplices et les diableries qui amusaient alors toute l'Europe.

Note 729: (retour)
Ognun segua, Bacco, le;
Bacco, Bacco, Evoè
, etc.
Note 730: (retour) En 1770 ou 72. Voyez Tiraboschi, t. VI part II, p. 194.
Note 731: (retour) L'Orfeo, tragedia illustrata dal P. Ireneo Affò. Venise, 1776, in-4.
Note 732: (retour) Tiraboschi, ub. supr., démontre que la représentation de l'Orfeo date au plus tard de 1483; et les spectacles de la cour de Ferrare, dont nous parlerons dans la suite, ne commencèrent qu'en 1486.

Les autres poésies italiennes de Politien sont en petit nombre. Ce sont des chansons, des ballades, des plaisanteries et de ces chants populaires que les amis de Laurent de Médicis composaient à son exemple pour égayer les Florentins. Il y en a plusieurs dans le recueil des canzoni a ballo, qui sont tout aussi gaies, tout aussi libres que les autres, et qui ont plus de verve et d'originalité; mais parmi ces diverses poésies, qui ne sont que les délassements d'un esprit grave et studieux, on distingue une canzone d'amour remplie d'images charmantes, de sentiments affectueux, de mouvement et d'harmonie 733; c'est le morceau qui, depuis Pétrarque, retrace le mieux la manière de ce grand poëte lyrique; ainsi, dans le peu de poésies en langue vulgaire que Politien a laissées, on trouve la première renaissance du style poétique créé par le cygne de Vaucluse, et presque oublié depuis un siècle; l'ottava rima de Boccace améliorée et portée au dernier degré de perfection; le premier essai du drame en musique, et, dans cet heureux essai, le premier modèle du dithyrambe italien.

Note 733: (retour) Monti, valli, antri e colli, etc.

Dans ses poésies latines on remarque aussi le fruit de son application continuelle à l'étude des anciens, avec le feu d'une imagination vraiment poétique, et ce goût, cette élégance qui étaient comme les attributs naturels de son esprit. Outre un grand nombre d'épigrammes latines, auxquelles il faut avouer encore que les savants préfèrent celles qu'il fit en langue grecque, on a de lui quatre sylves ou petits poëmes que l'on peut mettre au rang de ce que la latinité moderne a produit de plus précieux. C'étaient des morceaux qu'il récitait publiquement lorsqu'il commençait dans l'Université de Florence ses cours de littérature grecque et latine, ou l'explication particulière de quelque poëte ancien. Le sujet du premier est la poésie et les poëtes en général; celui du second, la poésie géorgique, prononcé avant l'explication d'Hésiode et des Géorgiques de Virgile. Le troisième a pour objet les Bucoliques du même poëte. Le quatrième précéda l'explication d'Homère, et contient une riche énumération des beautés renfermées dans ses deux poëmes 734. Ces pièces, dont chacune est de quatre, six et jusqu'à huit cents vers, sont pleines de détails intéressants, d'observations fines, de descriptions brillantes. Quant au style, il ne ressemble plus aux bégaiements des premiers écrivains modernes qui voulurent, après les siècles de barbarie, rétablir la pureté de l'ancienne langue romaine; il est en vers, comme le récit de la conjuration des Pazzi l'est en prose 735, du latin le plus élégant; et si quelques critiques voient encore une grande différence, non-seulement entre ce style et celui des anciens, mais entre ce style et celui de Pontano, de Sannazar et de quelques autres poëtes, ou contemporains, ou qui suivirent immédiatement Politien, ce sont peut-être des nuances purement idéales, et qu'un lecteur, même instruit, est excusable de ne pas saisir.

Note 734: (retour) Il intitula ces quatre pièces: Nutricia, Rusticus, Manto et Ambra.
Note 735: (retour) Voy. ci-dessus, p. 383.

Les occasions où il récita ces poëmes nous le font voir au nombre des savants professeurs de littérature ancienne, qui entretinrent à Florence, vers la fin de ce siècle, l'ardeur pour les bonnes études. Son école y eut une telle célébrité que les Italiens et les étrangers accouraient pour y être admis, et que les professeurs eux-mêmes venaient l'entendre. Il donna des preuves de son savoir, non-seulement dans ses Miscellanea, ou Mélanges d'érudition dont j'ai parlé précédemment, mais dans ses traductions latines de l'histoire d'Hérodien, du Manuel d'Epictète, des problèmes physiques d'Alexandre d'Aphrodisée et de plusieurs autres ouvrages ou opuscules de littérature et de philosophie grecque. On lit avec intérêt les douze livres de ses lettres familières 736, tant à cause du jour qu'elles jettent sur l'histoire littéraire de son temps et sur celle de sa vie, que parce qu'elles se rapprochent, plus que celles de la plupart des autres savants de ce siècle, du style des bons auteurs latins. On l'y voit en correspondance avec tout ce qu'il y avait alors de distingué dans les lettres, avec les plus grands personnages de l'Italie, même avec des souverains. Tous témoignent, en lui écrivant, la plus grande estime pour sa personne et pour ses talents.

Note 736: (retour) Omnium Angeli Politiani operum tomus prior et alter, in quibus sunt Epistolarum libri XII, etc. Paris, Jodoc. Bad. Ascencius, 1512, in-fol.

Une famille entière de poëtes seconda les efforts de Laurent de Médicis et de Politien pour le rétablissement et les progrès de la poésie italienne. Ce furent les trois frères Pulci, de l'une des plus nobles et des plus anciennes maisons de Florence, puisqu'on fait remonter leur origine jusqu'à ces familles françaises qui y restèrent après le départ de Charlemagne 737. Bernardo Pulci, l'aîné des trois frères, se fit d'abord connaître par deux élégies, l'une consacrée à la mémoire de Cosme de Médicis, l'autre sur la mort de la belle Simonetta, maîtresse de Julien. Il traduisit les Églogues de Virgile, et c'est la première fois qu'elles aient été traduites en italien 738. Il fit de plus un poëme sur la Passion de J.-C. 739, et mit plus de poésie dans son style, que ce sujet ne paraît le comporter, ou, si l'on veut, qu'il ne semble le permettre.

Note 737: (retour) Préface du Morgante Maggiore, de Luigi Pulci, Naples, sous le nom de Florence, 1732, in 4.
Note 738: (retour) Selon Tiraboschi (tom. VI, part. II, p. 174), il publia d'abord des Églogues qui furent imprimées en 1484, avec celles de quelques autres poëtes, et ensuite la traduction des Bucoliques, imprimée en 1494; mais M. Roscoe a fort bien observé (The Life of Lorenzo, etc., ch. 5), que c'est le même ouvrage publié deux fois, et qu'on n'a point, de Bernardo Pulci, d'autres églogues que celles de Virgile qu'il a traduites.
Note 739: (retour) Imprimé à Florence, 1490, in-4.

Le second frère, Luca Pulci, avait, comme nous l'avons vu, célébré par un poëme, la joûte de Laurent de Médicis, avant que Politien eût chanté celle de Julien. Ce poëme, très-inférieur pour l'imagination et pour le style, à celui de son jeune émule, est aussi en octaves. L'auteur s'y est attaché à peindre les circonstances les plus minutieuses des préparatifs du combat, et ensuite du combat même. Les attaques que les divers champions se livrent, sont décrites avec assez de chaleur et de rapidité. Celles de Laurent sont plus détaillées que les autres. Après avoir rompu quelques lances de la manière la plus brillantes, il change de cheval, tient tête à plusieurs champions, et remporte enfin le premier prix de l'adresse et de la valeur.

Ces stances, qui ne furent qu'un ouvrage de circonstance, sont une des moindres productions de Luca Pulci. Son Driadeo d'Amore est un poëme pastoral en octaves, divisé en quatre parties. Il le fit pour l'amusement de Laurent de Médicis, à qui il est dédié; mais quoique Laurent aimât beaucoup la poésie et les fictions qui en font l'ornement et presque l'essence, il n'est pas sûr qu'il s'amusât beaucoup de l'emploi surabondant que fait ici le poëte des fictions de la mythologie. L'action remonte jusqu'à l'enlèvement de Proserpine. Une Dryade qui avait suivi Cérès tandis qu'elle cherchait sa fille, resta sur les monts Apennins, et fut l'origine des demi-dieux qui habitèrent ces montagnes. C'est là que la Dryade Lora, fille d'Apollon, est aimée du Satyre Sévéré, fils de Mercure. Elle finit par l'aimer à son tour; Diane, pour l'en punir, change le Satyre en licorne. Lora le poursuit à la chasse, et le perce de ses traits. Il est changé en fleuve. Lora, qui l'a tué sans le connaître, le cherche et l'appelle dans les bois; une nymphe lui apprend qu'en croyant frapper une licorne, c'est à son amant qu'elle a ôté la vie. Elle tourne contre son propre sein le trait dont elle l'a blessé, et se tue. Apollon la change en rivière, et l'unit pour jamais au fleuve Sévéré; ce qui signifie tout simplement, que la Lora se jette dans le petit fleuve Sévéré qui coule dans une partie de la Toscane. Ces métamorphoses étaient alors fort à la mode; elles l'ont encore été depuis; elles peuvent en effet donner lieu à des peintures variées et à de riches descriptions, il faudrait seulement y être un peu sobre de narrations épisodiques, et ne pas embarrasser la fable principale par trop de fictions accessoires. C'est à quoi Luca Pulci n'a pas pris garde, et ce qui rend plus fatigante qu'agréable la lecture de son Driadeo d'Amore.

Le Ciriffo Calvaneo est un poëme plus considérable du même auteur. C'est un roman épique en sept chants, sans doute la première production de ce genre, après le Buovo d'Antona et la reine Ancroja, qui ne sont, comme on le verra, que de longs contes de fées, écrits en vers si plats et remplis de si sottes extravagances, qu'on ne peut en supporter la lecture. Voici quelle est en abrégé la fable du Ciriffo. Paliprenda, fille d'un roi d'Épire, descendant de Pyrrhus, est abandonnée par le traître Guidon, de la race des comtes de Narbonne. Elle est enceinte et se livre au plus affreux désespoir. Au moment où elle veut se donner la mort, un vieux berger accourt, lui retient le bras, la console et l'emmène dans sa cabane. Une autre femme, nommée Maxime, y était déjà réfugiée; fille d'un romain de ce nom, elle avait été séduite par un étranger, enlevée, conduite dans les îles Strophades, et abandonnée par son amant, dans le même état où était Paliprenda. Un corsaire l'avait reconduite en Italie. Après plusieurs courses malheureuses, elle était arrivée en Toscane, sur les monts Calvanéens, où le vieux berger l'avait recueillie et logée. Elle y était accouchée d'un fils, à qui elle avait donné le nom de Ciriffo, et, à cause des monts où elle était réfugiée, le surnom de Calvaneo. Quand le terme est arrivé, Paliprenda se délivre aussi d'un fils, qu'elle nomme simplement Povero, le pauvre, en y ajoutant le surnom d'Avveduto, le prudent ou le sage, par une sorte de prévoyance de cette qualité que devait développer en lui l'éducation du malheur. Elle meurt peu de temps après, et laisse son fils à Maxime, qui le nourrit de son lait et l'élève comme le sien même. Les deux jeunes enfants, élevés dans la même cabane et sur le même sein, deviennent intimes amis; et ce sont leurs aventures romanesques, leurs voyages, leurs exploits guerriers contre les Sarrazins, les dangers qu'ils bravent, les maux qu'ils ont à souffrir, qui font tout le sujet du poëme. Cette fable, assez malheureuse, et qui est souvent très-embrouillée, est tirée, dit-on, d'un vieux manuscrit, intitulé Liber pauperis prudentis, le Livre du Pauvre sage, antérieur de cent cinquante ans au Ciriffo 740. Pulci laissa son poëme imparfait; il n'en avait terminé qu'un livre, divisé en sept chants; Laurent de Médicis chargea Bernardo Giambullari de l'achever. Ce poëte y ajouta trois livres, et c'est ainsi que le poëme a été imprimé d'abord 741; mais on n'a réimprimé ensuite que les sept chants de Luca Pulci 742, avec ses stances sur la joûte de Laurent, et ses héroïdes ou épîtres en vers.

Note 740: (retour) Cité par Bandini, Catalog. Biblioth. Laurent., vol. V, part. xiv, cod. 30.
Note 741: (retour) Venise, 1535, in-4.
Note 742: (retour) Florence, Giunt, 1572, in-4.

Il fit ces dernières pièces à l'imitation des épîtres d'Ovide. Il y en a seize. Elles ne sont point en octaves, mais en tercets. La première est de Lucretia à Lauro, c'est-à-dire, de la belle Lucretia Donati à Laurent de Médicis; elle sert comme de dédicace au recueil. Les autres sont des épîtres d'Iarbe à Didon, de Déidamie à Achille, d'Hercule à Iole, d'Egiste à Clitemnestre, d'Hersilie à Romulus, de Cornélie au grand Pompée, de Marcus Brutus à Porcie, etc. On trouve trop d'esprit dans les héroïdes d'Ovide: ce n'est pas le défaut de celles de Pulci; mais trop rarement les personnages qu'il fait parler, disent tout ce que devraient leur dicter leur position et leur caractère connu. Trop d'esprit est un vice, qui n'est, au reste, ni aussi grave, ni aussi commun qu'on paraît le croire; trop peu de poésie, d'images, de passion, de mouvements, de vérité historique, en est un plus fort et moins pardonnable, et l'auteur de ces épîtres me paraît en être atteint.

Luigi Pulci est le dernier et le plus célèbre des trois frères. Il était né à Florence en 1431. Quoique beaucoup plus âgé que Laurent de Médicis, il vécut avec lui dans la familiarité la plus intime. On ne sait rien de plus sur sa vie, qui fut toute littéraire. Le poëme qui a donné le plus d'éclat à son nom, est le Morgante Maggiore, premier modèle des poëmes romanesques, dont les exploits de Charlemagne et de Roland sont le sujet. Il l'entreprit, à la prière de Lucrèce Tornabuoni, mère de Laurent; et l'on a dit, mais sans preuve, qu'il le chantait comme les rapsodes à la table de son jeune patron. Je ne dirai rien ici du caractère singulier, de la conduite ni du mérite poétique de cet ouvrage fameux. Il ouvre, en quelque sorte, la carrière du poëme épique moderne; et comme, dans la suite de cette Histoire, je traiterai la littérature italienne par genres, en même temps que par ordre chronologique; je réserve le Morgante pour le placer en tête de ce genre si riche et si varié.

On a de Luigi Pulci quelques autres poésies, entre autres une suite de sonnets bizarres, souvent indécents et grossiers, mais qui ne sont pas tous de lui. Matteo Franco, poëte florentin du même temps, et l'un de ses meilleurs amis, était comme lui dans l'intime familiarité de Laurent de Médicis. Ils imaginèrent, pour l'amuser 743, de se faire une guerre à outrance, et de se dire l'un à l'autre, dans des sonnets, les injures les plus fortes et les plus piquantes, sans cesser pour cela d'être amis, ni de boire et de rire ensemble à la table de Médicis et ailleurs. Le recueil qu'on en a fait monte à plus de cent quarante sonnets. Le style est non-seulement d'une liberté cynique, mais souvent dans le genre proverbial et décousu des bouffonneries du Burchiello. Il est fâcheux que Laurent ait encouragé une lutte de cette espèce. Les deux champions y jouent un rôle avilissant; et rien de ce qui est bas et vil n'aurait dû plaire à une ame aussi noble et à un esprit aussi éclaire.

Note 743: (retour) Rispondendosi vicendevolmente, per ischerzevole solazzo del loro Mecenate, Préface de l'édition de 1759, in-8.

Quand ces sonnets parurent imprimés, Rome aurait sans doute pardonné les injures et les expressions de mauvais lieu dont ils sont remplis, mais la liberté des deux poëtes était allée jusqu'à des matières sur lesquelles elle n'entendait pas raillerie. L'Inquisition s'en mêla, et la circulation de ces poésies satiriques fut défendue. Dans un des sonnets qui encoururent sa colère, le plus décent de tous et peut-être aussi le plus clair, Pulci examine à sa manière ce que c'est que l'Ame, et se moque des absurdités qu'on a dites sur ce sujet, d'après Aristote et Platon. Il compare l'Ame à ces confitures qu'on enveloppe dans du pain blanc tout chaud, ou à une carbonnade placée dans un pain fendu en deux. Mais que devient-elle dans l'autre monde? Quelqu'un qui y a été, lui a dit qu'il n'y pouvait plus retourner, parce qu'à peine y peut-on arriver avec la plus longue échelle. Certaines gens croient y trouver des bec-figues, des ortolans tout plumés, d'excellents vins, de bons lits; ils suivent pour cela les moines et marchent derrière eux. Pour nous, ajoute-t-il, mon cher ami, nous irons dans la Vallée noire, où nous n'entendrons plus chanter Alleluia 744. Louis Pulci se repentit dans la suite des libertés qu'il avait prises, ou crut devoir conjurer le petit orage qu'elles lui avaient attiré. Il fit en conséquence sa Confession à la Vierge, espèce de poëme en tercets, très-orthodoxe, très-pieux même, qui le réconcilia peut-être avec l'Inquisition, mais qui pourrait, tant il est ennuyeux, le brouiller avec tous les amis des vers.

Le succès qu'eut dans le monde la Nencia da Barberino de Laurent de Médicis, engagea Louis Pulci à l'imiter dans sa Beca da Dicomano. C'est bien à peu près le même langage, les mêmes tours villageois, mais non pas la gaîté naïve et décente du modèle, ni son naturel, ni sa simplicité spirituelle et piquante. On peut relire avec plaisir la Nencia; on lit une fois la Beca, et l'on n'y revient plus. On dirait que Pulci eût tiré lui-même l'horoscope de la destinée future de ces deux pièces, dans les deux premiers vers de sa Beca:

Ognun la Nencia tutta notte canta,
E della Beca non se ne ragiona
.

En dernier résultat, le Morgante est le seul fondement solide de la réputation de Louis Pulci. On n'a rien de certain sur le temps ni sur les circonstances de sa mort; et sans ce poëme, dont il faut bien parler dès qu'il est question du poëme épique, depuis long-temps on ne parlerait plus de son auteur.

Un autre poëme très-célèbre dans l'histoire littéraire, quoiqu'on ne le lise presque plus, est le Roland amoureux du Bojardo. L'Arioste, en le continuant, et le Berni, en le refaisant, l'ont tué. Mais l'auteur mérite, à plusieurs autres égards, de vivre dans la mémoire des hommes. Matteo Maria Bojardo, comte de Scandiano, naquit dans ce château, près Reggio de Lombardie, vers l'an 1434 745. Il fit ses études dans l'Université de Ferrare, et resta presque toute sa vie attaché à la cour des ducs. Il fut surtout dans la plus grande faveur auprès du duc Borso, et d'Hercule Ier. son successeur. Il accompagna Borso dans son voyage de Rome, en 1471, et fut choisi l'année suivante par Hercule pour accompagner à Ferrare Éléonore d'Aragon, sa future épouse. Nommé, en 1481, gouverneur de Reggio, il fut aussi capitaine-général à Modène; puis il revint à Reggio, où il mourut le 20 décembre 1494. Ce fut un des hommes les plus savants, et l'un des plus beaux esprits de son temps. Il ne se crut dispensé, ni par sa naissance, ni par ses grands emplois, d'être, dans ce siècle de l'érudition, distingué par sa science dans les langues grecque et latine; et, à cette époque du siècle où la poésie italienne était remise en honneur, un des poëtes qui en ont le plus fait à leur patrie. Il traduisit du grec, en italien, l'Histoire d'Hérodote, et du latin, l'Âne d'or d'Apulée. On a de lui des poésies latines 746 et italiennes 747 d'un style moins élégant que facile, et dans lesquelles perce cependant, mais sans affectation, l'érudition de l'auteur.

Note 745: (retour) Voy. Tiraboschi, Biblioth. Modan., t. I, article Bojardo.
Note 746: (retour) Carmen Bucolicon, Reggio, 1500, in-4.; Venise, 1528. Ce sont huit Églogues latines en vers hexamètres, dédiées au duc Hercule Ier.
Note 747: (retour) Sonetti e Canzoni, Reggio, 1499, in-4.; Venise, 1501, in-4.

Hercule d'Este fut le premier des souverains d'Italie à donner à sa cour des spectacles magnifiques, où l'on représentait des comédies grecques ou latines, traduites en langue vulgaire, avec toute la pompe et tout l'appareil des théâtres anciens. Les Ménechmes, l'Amphitrion, la Cassine, la Mostellaire de Plaute, y furent ainsi représentées. Ce fut pour ces fêtes brillantes que le Bojardo écrivit sa comédie de Timon, tirée d'un dialogue de Lucien, divisée en cinq actes, et rimée en tercets, ou terza rima 748. Ce n'est pas une bonne comédie, mais comme elle n'est pas simplement traduite de Lucien, et que le poëte y a traité librement un sujet tiré de cet ancien auteur, le Timon peut être regardé comme la première comédie qui ait été écrite en langue vulgaire. Quant à son Orlando innamorato, ce n'est pas ici le lieu d'en parler. Je le renvoie, avec le Morgante, au volume suivant, où je traiterai de la poésie épique.

Note 748: (retour) Tiraboschi, ub. supr., p. 302, pense que la première édition du Timon est celle de Scandiano, février 1500, in-4., et que celle qui est sans date, in-8., n'est que la seconde. Cette pièce a été réimprimée, Venise, 1504, in-8., 1513, et 1517, id.

J'y dois renvoyer de même le Mambriano de Francesco Cieco da Ferrant. Ce poëte, dont on croit que le nom de famille était Bello, mais qui n'est connu que par celui de son infirmité, devint aveugle de bonne heure, et fut pauvre et malheureux toute sa vie. Il écrivait son poëme au temps de l'expédition de Charles VIII en Italie, c'est-à-dire, en 1495. Il n'a laissé que cet ouvrage, et quelques sonnets burlesques dans le genre du Burchiello, qui font croire qu'il supportait assez gaîment son malheur, ou peut-être qu'il avait pensé devoir en dissimuler le sentiment, pour en trouver le remède auprès des Grands qui protégeaient alors les lettres, et qui peut-être, comme leurs pareils dans tous les temps, pardonnaient à un homme d'être malheureux, pourvu qu'il ne fût pas triste.

Un poëte qui paraît avoir suivi naturellement son goût pour cette poésie bizarre et satirique, c'est Bernardo Bellincioni. Né à Florence, il se fixa de bonne heure à la cour des ducs de Milan, et y mourut en 1491. Ses poésies furent imprimées deux ans après 749. Elles sont au nombre de celles qui font autorité dans la langue; la malignité en fait pourtant le principal mérite, et l'on ne doit pas y chercher, plus que dans la plupart des poésies de ce temps, l'élégance et la pureté, qui pourraient engager à les prendre pour modèles. Rien ne prouve mieux la différence entre ce qui fait autorité et ce qui doit servir d'exemple. On ne manquait pas alors de poëtes à grande réputation; mais cette réputation manquait de véritables titres, et leur a peu survécu. Francesco Cei, autre Florentin, qui florissait vers 1480, était regardé comme l'égal de Pétrarque, et il se trouvait même de hardis connaisseurs qui lui donnaient la préférence; mais, si l'on excepte ses rimes anacréontiques, où il y a de la verve et une certaine vivacité poétique, on cherche inutilement, dans tout le reste, ce qui avait pu lui donner tant de renommée. Ce fut encore un autre Pétrarque de ce temps que Gasparo Visconti, poëte milanais, mort jeune, en 1499 750; mais il ne l'eût pas été du temps de Pétrarque ni du nôtre. Il faut ranger à peu près dans la même classe Agostino Staccoli d'Urbino, que le duc envoya, en 1485, en ambassade à Innocent VIII; et dont ce pape fut si enchanté, qu'il le nomma son secrétaire. Peut-être y a-t-il cependant plus de naturel et de fécondité dans ses sentiments, plus de souplesse et de facilité dans son style.

Note 749: (retour) Sonetti, Canzoni, Capitoli, Sestine et altre rime, Milan, 1493, in-4. Cette première édition est fort rare, mais très-incorrecte.
Note 750: (retour) Il n'avait que trente-huit ans.

Serafino, surnommé Aquilano, parce qu'il était d'Aquila dans l'Abruzze, fut le plus célèbre de tous les poëtes, le plus comblé d'honneurs pendant sa vie, et le plus universellement proclamé rival et vainqueur du chantre de Laure. Tous les princes se le disputaient. Il fut successivement appelé à la cour de Naples, à celles de Milan, d'Urbin, de Mantoue. Il mourut en 1500, n'étant âgé que de trente-quatre ans, et sa réputation ne mourut point avec lui: les éditions de ses poésies se multiplièrent jusqu'à la moitié du siècle suivant. Mais cette époque leur fut fatale; et depuis lors, elles sont tombées dans le plus profond oubli. Ce qui fit sans doute leur succès du vivant de l'auteur, c'est qu'il les chantait avec une voix très-agréable et en s'accompagnant du luth. Il chantait et s'accompagnait ainsi surtout lorsqu'il improvisait: or, la plupart de ses poésies étaient improvisées, raison de plus pour produire un très-grand effet, et pour que cet effet soit peu durable.

Serafino eut un compétiteur et un rival dans Antonio Tebaldeo de Ferrare, né en 1463, médecin de profession, né poëte, et qui paraît s'être plus occupé de poésie que de médecine. Dans sa jeunesse, il s'adonna principalement à la poésie italienne; il chantait et s'accompagnait d'un instrument, comme l'Aquilano, et ses succès étaient les mêmes; mais ses premières études avaient été plus fortes; il écrivait en latin avec une grande pureté, et comme il vécut très-vieux et qu'il vit, dans le siècle suivant, naître des poëtes italiens, tels que le Bembo, Sannazar et d'autres, qui rendaient à la poésie toscane l'élégance que n'avaient pas su lui donner les poëtes du quinzième siècle, il préféra dans sa vieillesse de composer des vers latins, et témoigna même un vif regret de la publicité qu'on avait trop tôt donnée à ses ouvrages en langue vulgaire. On ne peut se dispenser, en les lisant, d'être un peu de son avis. On a tort cependant de le ranger, comme l'ont fait quelques critiques 751, parmi les corrupteurs du bon goût en Italie. Il ne fit que suivre le mauvais goût qui dominait de son temps. Un style dépourvu d'élégance, des sentiments forcés et des pensées peu naturelles, ne sont point des vices qui appartiennent au Tebaldeo; ils sont communs à la plupart de ces poëtes de la fin du quinzième siècle et du commencement du seizième 752, qui prétendaient imiter Pétrarque, et qu'on plaçait, ou qui se plaçaient eux-mêmes au-dessus de lui, parce qu'ils outraient ses défauts.

Note 751: (retour) Muratori, Perf. Poes.
Note 752: (retour) Tiraboschi, Stor. della Letter. ital., t. VI, part. II, p. 156.

Tel fut Bernardo Accolti d'Arezzo, fils de Benedittino Accolti, historien de quelque célébrité. Bernard ne voulut ni de ce nom, ni de celui d'Accolti, et pour mieux exprimer la supériorité de ses talents et de son génie, il ne se nomma plus autrement que l'Unique 753. Quand on annonçait dans le public qu'il allait réciter des vers, soit à Urbin, où il obtint ses premiers succès, soit à Rome, on fermait les boutiques, on accourait de toutes parts en foule pour l'entendre, on plaçait des gardes aux portes, on illuminait tous les appartements; les hommes les plus savants, les prélats les plus distingués, se rangeaient autour de l'Unique, et il était souvent interrompu par des applaudissements universels 754. Rien ne prouve mieux le néant de ce qu'on appelle quelquefois gloire poétique, et qui n'est que le bruit du moment. Le Notturno, Napolitain, à qui l'on ne connaît point d'autre nom, et l'Altissimo, Florentin, qui s'appelait Cristoforo, et qui préféra ce superlatif pour indiquer, comme l'Unique, combien tout le reste était au-dessous de lui, et plusieurs autres encore qu'il serait superflu de nommer, puisque personne n'a d'intérêt, ni n'aurait de plaisir à les lire, eurent alors des succès presque aussi grands, et servent seulement à nous faire connaître à quel degré d'avilissement étaient tombés et les talents et les honneurs poétiques.

Note 754: (retour) Tiraboschi, ub. supr., p. 157.

Antonio Fregoso ou Fulgoso, patricien génois, ne s'éleva pas beaucoup au-dessus, mais chercha moins à faire du bruit dans le monde: si nous en croyons même le surnom de Fileremo qu'il prit et qu'il porta toujours, il eut cet amour de la solitude qui sied au génie comme à la sagesse. Dans ses poésies, il y en a de gaies sous le titre de Ris de Démocrite, et de tristes qu'il intitule Pleurs d'Héraclite, divisées en trente capitoli, ou chapitres rimés en tercets. Sa Biche blanche, la Cerva bianca, est un poëme moral et amoureux, en octaves, dont la fiction est assez singulière, mais dont l'exécution est faible et médiocre. Enfin, sous le nom de Selve, on trouve dans son recueil un mélange d'opuscules de toute espèce et sur toute sorte de sujets. Ce poëte, qui vécut jusqu'en 1515, eut des admirateurs, non-seulement pendant sa vie, mais long-temps encore après sa mort; et l'Arioste lui-même a consigné quelque part le cas qu'il faisait de ses vers. Timoteo Bendedei, noble ferrarois, à qui son amour pour les muses fit prendre le nom de Filomuso; le Cariteo, que l'on croit né espagnol, mais qui vécut, versifia et mourut à Naples; Benedetto da Cingoli, dont on a des poésies latines et italiennes, et quelques autres, se présentent encore, à cette époque, dans les histoires littéraires où l'on ne veut rien omettre, mais leur nombre et leur uniforme et insignifiante médiocrité doivent les écarter de la nôtre.

Gian Filoteo Achillini mérite d'être tiré de la foule, non pas qu'il ait eu moins de défauts que les autres, mais parce qu'il les eut au contraire d'une manière plus décidée, plus prononcée, et qui lui est plus propre; en sorte que l'on peut croire qu'il les eut moins par imitation que par la pente naturelle de son génie. Il était d'ailleurs profondément versé dans le latin et dans le grec, dans la musique, la philosophie, la théologie et les antiquités. Dans ses deux Poëmes scientifiques et moraux, l'un intitulé Il Viridario, en octaves 755, et l'autre Il Fedele, en terza rima 756, il a semé, sinon beaucoup de poésie, du moins des preuves nombreuses de ses connaissances étendues et d'une sorte de vigueur de tête qui était alors moins commune que le brillant et le faux éclat.

Note 755: (retour) Canti IX, Bologne, 1513, in-4.
Note 756: (retour) Lib. V, Cantilene cento, Bologne, 1523, in-8. Ces deux poëmes, qui n'ont point été réimprimés, sont fort rares.

Antonio Cornazzano demande aussi une mention particulière, quoiqu'il ait, pour être confondu avec les autres, le malheur commun d'avoir été mis, comme la plupart d'entre eux, par ses contemporains, de pair avec Dante et Pétrarque 757. Né à Plaisance, il passa une partie de sa vie à Milan. Il voyagea ensuite, et vint même en France, on ne sait pas précisément à quelle époque; à son retour en Italie, il se rendit à Ferrare, et resta jusqu'à sa mort, attaché au duc Hercule Ier., qui eut pour lui une amitié particulière. Il a laissé un grand nombre d'ouvrages. Le plus considérable est un Poëme italien, en neuf livres, sur l'art militaire, qu'il a, par singularité, intitulé en latin de Re militari 758. La même bizarrerie se remarque dans trois petits Poëmes recueillis en un seul volume, dont le premier a pour sujet l'Art de gouverner et de régner; le second, les Vicissitudes de la Fortune; le troisième, sur l'Art militaire en général, et sur les Généraux qui ont le plus excellé dans cet art. Tous ces titres sont aussi en latin, quoique les poëmes soient en italien et rimés par tercets ou terza rima 759. Ce n'est pas le bel esprit qui y domine, c'est plutôt une pesanteur qui en rend la lecture difficile et quelquefois même impossible. Ses poésies lyriques, sonnets, canzoni, etc. 760 sont moins lourdes, mais participent davantage aux défauts des poëtes de son temps. On a aussi plusieurs ouvrages latins de Cornazzano, tant en prose qu'en vers, et qui, comme les autres, ne manquent pas de mérite, mais n'ont malheureusement aucun attrait.

Note 757: (retour) Antonium Cornazzanum, dit un orateur de ce temps, in versu vulgar alium Dantem sive Petrarcham. Discours d'Alberto da Ripalta, Script. Rer. ital., vol. XX, p. 934.
Note 758: (retour) Venise, 1493, in-fol; Pesaro, 1507, in-8., etc.
Note 759: (retour) Venise, 1517, in-8.
Note 760: (retour) Venise, 1502, in-8.; Milan, 1519, ibid.

Tel était alors, pour ne pas entrer dans des détails fatigants, l'état général de la poésie italienne. Nous avons vu qu'un petit nombre de poëtes luttait cependant contre la corruption et le mauvais goût. Laurent de Médicis et Politien sont au premier rang, mais tellement les premiers, qu'il y a une distance immense entre eux et ceux qui marchent les seconds. On leur adjoint ordinairement, et avec justice, Girolamo Benivieni. Il fut leur ami et celui de Pic de la Mirandole. Ce dernier fit, comme on l'a vu 761, un très-savant commentaire sur la canzone de Benivieni, dont le sujet est l'amour platonique, ou plutôt l'amour divin. Il y a dans cette canzone dans ses sonnets et dans ses autres poésies 762, une clarté, un naturel et une pureté de goût qui appartenait en quelque sorte à l'école de Florence. Il y vécut jusqu'à une extrême vieillesse, et par cette raison il appartient en partie au seizième siècle. Il fut témoin et acteur des révolutions qui agitèrent alors sa patrie, et dont le fanatisme religieux fut le principal mobile. Benivieni fut très-lié avec le moine Savonarole; il faisait, pour seconder les vues de ce prédicant politique, des canzoni a ballo, ou chansons à danser, qui ne ressemblaient plus à celles de Laurent de Médicis; il en commençait une par ces mots:

Non fu mai'l più bel solazzo,
Più giocondo ne maggiore
Che, per zelo e per amore
Di Gesù, diventar pazzo
.
Note 761: (retour) Ci-dessus, p 370.
Note 762: (retour) Florence, héritiers Giunti, 1519, in-8.

Ce refrain revient douze fois dans la canzone, et le dernier vers de chacun des douze couplets, finit encore par le mot pazzo; et le poëte, en finissant le dernier couplet, veut que ce mot devienne le cri général:

Ognun gridi com' io grido
Sempre pazzo, pazzo, pazzo.
Non fu mai più bel solazzo
, etc.

Mettant à part ces pieuses folies, Girolamo Benivieni écrivit jusqu'à la fin avec le goût simple et la clarté qui l'avaient distingué dès sa jeunesse; mais c'est aux poëtes qui commencèrent à fleurir quand il vieillissait, qu'appartient la gloire d'avoir rendu à la poésie italienne toute sa splendeur.

Le tableau de ce qu'elle fut au quinzième siècle serait incomplet si je n'y ajoutais celui des femmes poëtes. Il y en avait eu dans chaque siècle, depuis la renaissance des lettres, ainsi que des femmes livrées à d'autres études, parmi lesquelles nous avons même trouvé des docteurs et des professeurs en droit. La poésie, il le faut avouer, convient mieux à ce sexe aimable; et Molière lui-même, qui s'est moqué des femmes savantes, qui a fourni contre elles, aux hommes qui pensent comme lui, ce vers passé en adage:

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