Histoire littéraire d'Italie (5/9)
Donde ne prego Dio che mi sovegna;
Ed a chi mal mi vuol, cancar gli vegna.
Que voulez-vous dire à un poëte qui vous parle toujours sur ce ton-là? Ce n'est pas pour lui que sont les convenances, et les règles encore moins. Il a donné un libre essor à son caprice; il a su exprimer en style vif et pittoresque toutes les folies de son cerveau; il a satisfait son humeur satirique: il a ri et vous a fait rire; ne lui demandez rien de plus.
Un autre poëte dont le génie fut aussi original peut-être, mais le goût moins extravagant et la vie mieux réglée, c'est Grazzini, surnommé le Lasca; entre ses nombreux ouvrages, on trouve un petit poëme burlesque, qui, ayant rapport à des circonstances de sa vie, m'oblige d'en placer ici la notice, quoiqu'elle pût être mieux avec celles des poëtes comiques, ou des satiriques, comme la notice du Berni.
Anton Francesco Grazzini, naquit à Florence en 1503815, d'une famille noble, originaire du village de Staggia, dans le Val d'Elsa, à vingt-cinq milles de Florence, sur le chemin de Rome. Ses ancêtres y étaient connus depuis le treizième siècle. On ignore sous quel maître Anton Francesco fit ses premières études. On croit qu'il fut, dans sa jeunesse, placé chez un apothicaire, profession, au reste, qui s'allie très-bien avec l'étude de quelques sciences, et même qui l'exige. Le jeune Grazzini joignit des études littéraires et philosophiques à celles de sa profession. Il paraît qu'il ne la suivit pas long-temps, et rien ne prouve qu'il l'exerçât encore lorsque sa réputation dans les lettres commença. Ce fut sans doute de bonne heure, car elle était assez bien établie à l'âge de trente-sept ans pour qu'il pût être un des fondateurs de l'académie de Florence816. Cette société prit d'abord le nom d'académie des Humides, et chacun de ses fondateurs s'en donna un, selon l'usage, qui avait rapport à l'humidité ou à l'eau. Grazzini choisit celui de Lasca, ou du petit poisson qu'on nomme en français le dard, et dans quelques provinces la vaudoise. Sa devise fut une Lasca, un dard s'élevant hors de l'eau, et un papillon volant au-dessus. Il voulut désigner par là le caractère capricieux et bizarre de son esprit. Ce poisson, en effet, s'élance souvent hors de l'eau comme pour prendre des papillons, qui sont l'emblème des caprices et des lubies de la fantaisie humaine. Dès la naissance de l'académie, le Lasca en fut nommé chancelier, ce qui prouve la part qu'il avait prise à sa création et la considération dont il y jouissait. Quand cette académie reçut, quelques mois après, du grand-duc, le titre de Florentine817, il en fut choisi provéditeur, et cette dignité lui fut conférée dans la suite jusqu'à trois fois.
Cependant le nombre des académiciens s'étant accru considérablement, les nouveaux, au lieu de conserver pour les fondateurs les égards qui leur étaient dus, firent, sans les consulter, règlements sur règlements, multiplièrent les formes et les entraves, pour l'ordre des lectures, pour la censure des ouvrages destinés à l'impression, et pour d'autres objets qui devinrent à charge aux anciens. Le Lasca, plus indépendant qu'un autre, eut plus de peine à s'y conformer, ou plutôt il le refusa nettement, et ayant persisté dans son refus comme les académiciens dans leur exigence, il fut exclus818 enfin de l'académie qu'il avait fondée. Son talent lui restait tout entier; il ne le laissa point oisif à cette époque; des comédies plaisantes, des poésies satiriques où l'académie, comme on peut croire, n'était pas oubliée, et le petit poëme de la Guerra de' Mostri, se succédèrent rapidement. Il recueillit aussi et publia les poésies burlesques du Berni et d'autres poëtes de ce genre. Il en fit autant des sonnets du Burchiello, et des chansons si connues sous le titre de Canti Carnascialeschi, ou chants du carnaval819. La publication de ces chants lui attira, de la part des académiciens de Florence, de nouvelles chicanes, dans lesquelles il serait long et tout à fait inutile d'entrer.
Il aurait dû être dégoûté de fonder des académies. Ce fut cependant lui qui eut la première idée de celle qui prit, quelque temps après sa création, le titre de la Crusca820; l'objet du Lasca et des autres fondateurs fut le perfectionnement et la fixation de la langue toscane. Tous les autres membres de cette société nouvelle ayant pris, comme nous l'avons vu ailleurs, des surnoms relatifs à la farine et à la boulangerie, Grazzini seul ne voulut point changer son premier nom académique. Il continua de s'appeler le Lasca dans cette académie comme dans l'autre, prétendant au surplus être en règle, puisque l'on enfarine les dards ou les vaudoises pour les cuire.
L'un des membres de l'académie de Florence qui entretenait avec le Lasca les liaisons les plus intimes était le chevalier Lionardo Salviati, le même qui fit quelque temps après, sous le nom de l'Infarinato, des critiques si violentes de la Jérusalem du Tasse. Salviati, ayant été nommé consul de l'académie florentine, ménagea entre son ami et cette académie un raccommodement. Le Lasca consentit à se soumettre en apparence aux formalités de la censure. Il livra au censeur quelques-unes de ses églogues, et cet officier les ayant approuvées, le Lasca reprit sa place dans l'académie, près de vingt ans après qu'il en était sorti821.
En avançant en âge, il ne se refroidissait point sur ses travaux, et conservait surtout le même zèle pour tout ce qui pouvait perfectionner la langue. Dans les fréquentes conférences qu'il tenait avec ses amis et ses confrères les Cruscanti ou Crusconi, il réussit à faire admettre parmi eux le chevalier Salviati, et reconnut ainsi le bon office qu'il avait précédemment reçu de lui; ou plutôt il rendit à l'académie naissante de la Crusca, en y faisant entrer un homme de lettres qui pouvait contribuer à ses travaux et à sa gloire, le même service que Salviati avait rendu à l'académie de Florence, en l'y faisant rétablir.
Le Lasca mourut à Florence, en février 1583, âgé de près de quatre-vingts ans822, et fut enterré à Saint-Pierre-le-Majeur dans la sépulture de ses ancêtres. C'était un homme d'une complexion forte, bien fait de sa personne, d'une figure un peu sévère, ce qui venait peut-être de sa tête chauve et de sa barbe épaisse. Son esprit était d'une vivacité, d'une gaîté, d'une bizarrerie extraordinaires; et le soin qu'il prit de le cultiver sans cesse par l'étude et par la conversation des premiers littérateurs de son temps, lui donna cette perfection et cette élégance qui brille dans ses écrits. Malgré les traits libres qui n'y sont pas rares, il fut homme de bonnes mœurs, et même très-religieux. Il vécut célibataire, et l'on ne nomme point de femme à qui il ait rendu des soins particuliers. C'est plus de régularité qu'on n'en exige ordinairement d'un poëte, et qu'on n'en attend surtout d'un poëte licencieux.
Plusieurs de ses ouvrages se sont perdus, entre autres dix-neuf Nouvelles en prose, des églogues en vers et quelques autres poésies. On a de lui vingt-une Nouvelles, six comédies, un grand nombre de capitoli, ou chapitres satiriques823, de sonnets et de poésies diverses qui ont été recueillies en deux volumes; enfin le petit poëme satirique et burlesque dont voici en peu de mots l'occasion et le sujet.
Un Florentin nommé Betto ou Benedetto Arrighi avait imaginé de faire, sous le titre de la Gigantea, un poëme burlesque en cent vingt-huit octaves, sur la guerre des géants contre les dieux. Girolamo Amelunghi, qui était Pisan, et qu'une difformité naturelle faisait nommer il Gobbo da Pisa, le Bossu de Pise, déroba ce poëme à son auteur, le retoucha et le publia, non sous son propre nom, mais sous celui de Forabosco: c'est du moins ce dont il fut publiquement accuseé. Quoi qu'il en soit, ce petit poëme est une pure extravagance. Les géants jadis vaincus et foudroyés par Jupiter, s'avisent enfin de vouloir prendre leur revanche. Ils s'arment, et la description de leur armure fait une partie capitale des plaisanteries de l'auteur. Les uns portent une ancre de vaisseau, les autres un os de baleine; un autre tient sur son épaule l'épouvantable faux de la Mort. Osiris, armé de becs de griffons, porte le Nil et l'Adige glacés, pour éteindre l'élément du feu. Cronagraffe met, au lieu de brassards, deux colonnes de porphyre creusées; celles d'Hercule qu'il a arrachées de leur base lui servent de bottes: il a vidé le mont Gibel ou l'Etna, et s'en est fait un casque. Gérastre a creusé de même la grande pyramide, l'une des sept merveilles du monde; il l'ajuste et l'arrange si bien qu'il en fait une sarbacane, avec laquelle il lance au ciel des montagnes, au lieu de balles; et il porte pour provisions de guerre une carnacière de fer, pleine de montagnes. Galigastre a mis sur un éléphant la tour de Nembrod; il l'a remplie de masses de rochers, et de débris de grottes, qu'il doit jeter à la tête des dieux. Lestringon fait un grand trou dans une montagne d'aimant; il se la passe sur le corps, et se coiffe avec la coupole de Florence.
Je laisse beaucoup d'autres folies aussi gigantesques, et n'en citerai plus qu'une qui l'est plus que toutes les autres. Crispérion s'était endormi dans la forêt des Ardennes; il y resta soixante ans. Il lui était venu sur la tête un bois dans lequel on voyait courir des chevreuils, des cerfs, des sangliers, des ours et des lions. Il se réveilla enfin lorsqu'un roi y chassait avec tous ses barons. Le géant étourdi du bruit et des corps, se leva, secoua la tête, le bois tomba par terre, et tout ce qui était dedans en mourut. Les armes de ce géant ne sont autres que des ongles si forts, et qu'il avait tant laissé croître, qu'ils lui avaient suffi pour déraciner Ossa et Pélion; il compte s'en servir pour égratigner les dieux, etc. Le combat est raconté comme les armes sont décrites. Les géants sont d'abord vaincus, mais ils ont leur tour. Les dieux fuient de toutes parts; Jupiter fuit plus vite et plus loin que les autres. Les déesses sont réservées pour les plaisirs des vainqueurs; il ne reste enfin de tous les dieux que celui qui préside aux jardins, et qui s'était sauvé au milieu d'elles.
Le Lasca fut un de ceux qui accusèrent le plus hautement de plagiat l'auteur de ce beau poëme; c'est ce qui lui en fit attribuer un autre qui parut peu de temps après, sous le titre de la Nanea, ou la Guerre des Nains, parodie ou espèce de contre-partie de celle des Géants. L'auteur se déguisa sous le nom de l'Aminta, comme Amelonghi sous celui de Forabosco, et s'excusa dans sa dédicace de traiter un sujet aussi frivole, par l'exemple de ce Forabosco, qui aurait dû pourtant être plus sage que lui, puisqu'il avait deux fois son âge. L'action de ce poëme commence où celle de l'autre finit. Les Nains venaient de remporter, sous les ordres de leur roi Pigmée, une grande victoire sur les Grues, au moment où les Géants venaient de vaincre les Dieux. Jupiter, abandonné de tous les habitants de l'Olympe, jette les yeux sur la terre, et voit le roi Pigmée qui revient en triomphe avec ses soldats. Il lui envoie une ambassade, pour le conjurer de venir à son secours. Le petit roi assemble son conseil. On y délibère sur cette proposition inattendue. Elle est enfin acceptée, et aussitôt les Nains se mettent en marche. Leurs armes sont aussi ridiculement petites, que celle des Géants sont ridiculement grandes. Le capitaine, couvert d'écailles de poisson collées avec de la cire, fait d'une cosse ou gousse de pois le heaume de son casque: il est à cheval sur une grue, son bouclier est une coquille, et sa lance un jonc marin. L'un des guerriers de sa troupe s'est battu avec une guêpe, il lui a arraché son aiguillon et s'en est fait un poignard; d'autres sont couverts de peaux de grenouilles, portent pour boucliers des œufs de grue, vidés et taillés exprès, et se font des sarbacanes avec des plumes d'oiseaux encore au nid. L'un de ces héros a tué un gros bourdon; et son corps, son aiguillon et ses ailes l'arment de pied en cap; ainsi du reste.
Cette armée bouffonne ose attaquer les Géants. Les Dieux reprennent courage. Il se fait entre les Dieux, les Géants et les Nains une mêlée effroyable. Le roi Pigmée fait des merveilles. C'est un second Jupiter. Enfin le champ de bataille reste aux Nains et aux Dieux. Pigmée et Jupiter sont reconduits en triomphe. Les géants sont précipités dans la mer, où ils restent désormais noyés, sans pouvoir se relever de leur chute. L'intention de se moquer de la Gigantea est bien sensible dans la Nanea; le chanoine Biscioni, dans sa vie du Lasca824, y voit aussi celle de se venger des ennemis qui l'avaient fait exclure de l'académie florentine; et c'est une de ses raisons pour le lui attribuer, comme il le fait positivement. «Ce poëme, dit-il, contient des allusions aux circonstances du Lasca. Il y fait voir que les jeunes et modernes académiciens, en le chassant de l'académie dont il était un des principaux fondateurs, étaient comme les nains qui avaient vaincu les géants.» Il est possible que plusieurs détails contiennent en effet des allusions faciles à saisir du temps de l'auteur, et qui nous échappent aujourd'hui; mais j'avoue qu'elles n'ont pas été sensibles pour moi, et que d'après plusieurs raisons, qu'il serait trop long de déduire, je doute, malgré l'autorité de Magliabecchi, cité par Biscioni; et celle de Biscioni lui-même825, que le poëme de la Nanea ait eu le Lasca pour auteur826.
Note 826: (retour) Pourquoi lui, qui s'est nommé dans la Guerra de' Mostri, où il attaque ouvertement la Gigantea et l'académie, aurait-il dissimulé son nom dans la Nanea? Le titre de ce dernier poëme porte les quatre lettres initiales: di M. S. A. F. On n'a jamais pu les expliquer, Biscioni l'avoue. Il est probable que les deux dernières lettres signifient Academico Fiorentino. Peut-être, si l'on avait sous les yeux la liste de ces premiers académiciens, devinerait-on facilement le reste de l'énigme. Quoi qu'il en soit, le Lasca n'avait aucun intérêt à déguiser son nom dans ce poëme; il en aurait eu davantage dans celui qu'il fit après, et il ne l'y déguise pas.
Il se donna au contraire franchement pour tel, dans le demi-poëme burlesque intitulé la Guerra de' Mostri, qui fait suite aux deux précédents827: il commence par attaquer encore l'auteur de la Gigantea. Les géants qui osèrent déclarer la guerre aux dieux avaient été vaincus et foudroyés; c'est un fait connu de toute la terre; «mais un certain Bossu de Pise est allé chercher une race d'énormes et ridicules géants, par laquelle il a fait enlever le ciel aux dieux. Ils auraient été réduits au désespoir si le peuple nain n'était venu l'autre jour les défendre et les délivrer par sa valeur. Je ne sais si l'auteur a bien ou mal conté la chose; mais ceux qui le croiront, que Dieu le leur pardonne! Ce mauvais exemple a fait naître une autre race, altière, méchante et hargneuse, qui veut aussi que l'on parle d'elle. On n'a jamais chanté ni en vers ni en prose une telle canaille; mais enfin elle le veut, il faut la satisfaire.»
Note 827: (retour) Les deux premiers avaient paru, l'un en avril 1547, l'autre en mai 1548; le troisième parut en 1584, in-4º. Tous trois ont été réimprimés: La Gigantea e la Nanea insieme con la Guerra de' Mostri, Firenze, 1612, petit volume in-18 fort rare, ainsi que les trois poëmes imprimés séparément.
S'il y a des bizarreries et des monstruosités dans la description des géants et des nains, on peut croire qu'il y en a encore plus dans celle des Monstres. Ils marchent à leur tour contre les dieux. Quoique les nains victorieux soient là pour les défendre, le vieux Saturne qui est un dieu d'expérience, conseille à Jupiter de ressusciter les géants, de faire la paix avec eux et de marcher tous ensemble contre les Monstres. Ce conseil plaît à tous les dieux. Vous entendrez maintenant, dit le poëte, comment Jupiter rendit les géants à la vie, comment ils unirent leurs bannières avec celle des nains, comment ces maudits Monstres vainquirent les uns et les autres, s'emparèrent du ciel et en chassèrent les dieux, qui furent alors réduits à errer sur la terre sous des figures d'animaux; vous saurez par quelle route les Monstres arrivèrent dans les cieux, comment ils en prirent le gouvernement, et pourquoi depuis ce moment les vents, les eaux, la disette se sont emparés du monde; on ne distingue plus le mois de mai de celui de décembre, tout enfin paraît aller à rebours. «Or, on pourrait là-dessus dire de très-belles choses, mais la prudence me ferme la bouche. Certaines personnes, pleines de malice et de haine, me guettent, et travestissent mes vers et ma prose d'une manière plus étrange que Circé ou Méduse ne transformaient les gens dans l'ancien temps. Je me tais donc et n'en dirai pas davantage.» Ici l'allusion est évidente; et si l'auteur eût fait ce second chant qu'il annonce, elle serait devenue plus claire encore; mais c'est pour cela sans doute qu'il ne le fit pas.
Ces trois petits poëmes et l'Orlandino furent donc les seuls que l'on puisse citer dans le genre burlesque au seizième siècle. Dans le suivant il y en eut un plus grand nombre, et dans ce nombre il y en eut de meilleurs; mais je ne sais si, malgré l'exemple des Grecs, il ne serait pas à désirer qu'il y en eût moins, et si jamais il peut y avoir beaucoup de gloire à exceller dans un genre essentiellement mauvais.
NOTES AJOUTÉES.
Page 190, note 275.--J'ai cité dans cette note le premier vers seulement de deux sonnets du Tasse, l'un sur le sein, l'autre sur la main de la duchesse d'Urbin. Les sonnets et les canzoni de ce poëte étant assez rares en France, je placerai ici ces deux sonnets, et j'en ferai autant de plusieurs autres pièces qui peuvent éclaircir ce que j'ai dit des amours du Tasse.
I.
La man ch'avvolta in odorate spoglie
Spira più dolce odor che non riceve,
Faria nuda arrossir l'algente neve
Mentre a lei di bianchezza il pregio toglie.
Ma starà sempre ascosa? e le mie voglie
Lunghe non fia ch'appaghi un guardo breve?
S'avara sempre, a me sue grazie or deve,
Il mio nodo vital perchè non scioglie?
Bella e rigida man, se così parca
Sei di vera pietà, ch'el nome sdegni
Di mia liberatrice a sì gran torto,
Prendi l'ufficio almen d'avara Parca;
Ma questo carme un bel sepolcro or segni:
Viva la fede, ove il mio corpo è morto.
II.
Non son sì vaghi i fiori, onde natura,
Nel dolce april de' begli anni sereno
Sparge un bel volto, come in casto seno
È bel quel che di luglio ella matura.
Maraviglioso grembo, orto e coltura
D'amor, e paradiso mio terreno.
L'ardito mio pensier chi tiene a freno
Se quello, onde si pasce, a te sol fura?
Quei, ch'i passi veloci d'Atalanta
Fermaro, o che guardò l'orribil drago,
Son vili al mio pensier, ch'ivi si pasce.
Nè coglie amor da peregrina pianta
Di beltà pregio sì gradito e vago.
Sol nel tuo grembo di te degno ei nasce.
Page 199, addition à la note 290.--Le Manso cite comme une des pièces de vers que le Tasse fit pour cette troisième Léonore, qui était, selon lui, une des femmes de la première, le sonnet suivant, adressé à une Filli, qui paraît n'avoir eu rien de commun avec aucune des Léonore, et qui n'avait sans doute été que l'objet de quelque fantaisie de jeunesse. Ce sonnet est même d'un ton de philosophie qui ne fut jamais celui du Tasse, et qui peut faire douter qu'il soit de lui.
Odi, Filli, che tuona: odi, che 'n gelo
Il vapor di lassù converso piove
Ma che curar dobbiam, che faccia Giove?
Godiam noi qui, s'egli è turbato in cielo.
Godiam amando, e un dolce ardente zelo
Queste gioje nottorne in noi rinnove;
Tema il volgo i suoi tuoni, e porti altrove
Fortuna, o caso il suo fulmineo telo.
Ben folle, ed a se stesso empio è colui,
Che spera, e teme; e in aspettando il male,
Gli si fa incontro, e sua miseria affretta.
Pera il mondo e rovini: a me non cale,
Se non di quel, che più piace e diletta,
Che se terra sarò, terra ancor fui.
Page 291, note 443.--Sonnet sur une belle bouche, à la fin duquel le nom de Léonore est déguisé, à la manière de Pétrarque:
Rose, che l'arte invidiosa ammira
Cui diè natura i pregj, onor le spine,
Rose, di primavera infra le brine,
E il caldo sol che in due begli occhi gira;
Purpurea conca, in cui si nutre e mira
Candor di perle elette e pellegrine,
Ove stillan rugiade alme e divine,
Ov'è chi dolce parla e dulce spira;
Amor, ape novella, ah quanto fora
Soave il mel che dal fiorito volto
Suggi e poi sulle labbra il formi e stendi!
Ma con troppo acut'ago il guardi, ah stolta:
Se ferir brami, scendi al petto, scendi,
E di sì degno cor tuo stra LE ONORA.
Sonnet où il avoue lui-même, dans les Esposizioni d'alcune sue rime, qu'il joue sur le nom de sa dame, en disant l'Aurora mia cerco:
Quando l'alba si leva, e si rimira
Nello speechio dell'onde, allora i' sento
Le verdi fronde mormorare il vento,
E così nel mio petto il cor sospira.
L'Aurora mia cerco; e s'ella gira
Ver me le luci, mi può far contento;
E veggio i nodi, che fuggir son lento.
Da cui l'auro ora perde, e men si mira.
Nè innanzi nuovo sol, tra fresche brine,
Dimostra in ciel seren chioma si vaga
La bella amica di Titon geloso.
Come in candida fronte è il biondo crine;
Ma non pare ella mai schifa, nè vaga,
Per giovinetto amante, e vecchio sposo.
Page 230, note 328.--Dans la grande canzone adressée à Léonore, et dont le premier vers est cité note 328.
Mentre ch'a venerar muovon le genti
Il tuo bel nome in mille carte accolto, etc.,
la quatrième strophe surtout exprime, de manière à ne laisser aucun doute, le sentiment dont il fut pénétré pour elle dès le premier instant.
E certo il primo dì che 'l bel sereno
Della tua fronte agli occhi miei s'offerse,
E vidi armato spaziar vi Amore,
Se non che riverenza allor converse
E maraviglia in fredda selce il seno,
Ivi perìa con doppia morte il core.
Ma parte degli strali e dell'ardore
Sentii pur anco entro 'l gelato marmo;
E s'alcun mai per troppo ardire ignudo
Vien di quel forte scudo
Ond'io dinanzi a te mi copro ed armo,
Sentirà 'l colpo crudo
Di tue saette, ed arso al fatal lume
Giacerà con fetonte entro 'l tuo fiumeA.
Page 231, note 331.--Dans cette autre grande canzone:
Amor, tu vedi, e non n'hai duolo o sdegno,
qu'il paraît avoir adressée à Léonore au moment où elle était demandée en mariage par un prince; cette dernière strophe paraît aussi de la plus grande clarté:
Nè la mia donna, perchè scaldi il petto
Di nuova amore, il nodo antico sprezzi,
Che di vedermi al cor già non l'increbbe:
Od essa, che l'avvinse, essa lo spezzi;
Perocchè omai disciorlo (in guisa è stretto)
Nè la man stessa, che l'ordìo, potrebbe.
E se pur, come volle, occulto crebbe
Il suo bel nome entro i miei versi accolto,
Quasi in fertil terreno, arbor gentile,
Or seguirò mio stile,
Se non disdegna esser cantato, e colto,
Dalla mia penna umile:
E d'Apollo ogni dono a me fia sparso,
S'amor delle sue grazie in me fu scarso.
Ibid., note 332.--Sonnet à la même, sur le même sujet.
Vergine illustre, la beltà, che accende
I giovinetti amanti, e i sensi invoglia,
Colora la terrena, e frale spoglia,
E negli occhi sereni arde, e risplende.
Ma folle è chi da lei gran pregio attende,
Qual face all'Euro, al verno arida foglia,
Ed anzi tempo avvien, che la ritoglia
Natura, e rade volte altrui la rende.
Da lei tu no, ma da immortal bellezza,
L'aspetti, e 'n vista alteramente umile
Ti chiudi ne' tuoi cari alti soggiorni.
E s'interno valor d'alma gentile
Per leggiadr'arte ancor viepiù s'apprezza:
Oh felice lo sposo a cui t'adorni!
Page 232, note 334.--A la même, après quinze ans de constance.
Perchè in giovenil volto amor mi mostri
Talor, donna real, rose, e ligustri,
Obblio non pone in me de' miei trilustri,
Affanni, o de' miei spesi indarno inchiostri.
E 'l cor, che s'invaghì degli onor vostri
Da prima, e vostro fa poscia più lustri,
Riserba ancora in se forme più illustri,
Che perle, e gemme, e bei coralli, ed ostri.
Queste egli in suono di sospir sì chiaro
Farebbe udir, che d'amorosa face
Accenderebbe i più gelati cori.
Ma oltre suo costume è fatto avaro
De' vostri pregj, suoi dolci tesori,
Che in se medesmo gli vagheggia, e tace.
Page 235, note 337.--Sonnet fait dans les premiers temps de sa passion pour Léonore. Il pourrait craindre le sort d'Icare et de Phaéton; mais il se rassure en songeant à la puissance de l'Amour.
Se d'Icaro leggesti, e di Fetonte,
Ben sai, come l'un cadde in questo fiume,
Quando portar dall'Oriente il lume
Volle, e di rai del sol cinger la fronte;
E l'altro in mar, che troppo ardite, e pronte
A volo alzò le sue cerate piume;
E così va, chi di tentar presume
Strade nel ciel, per fama appena conte.
Ma chi dee paventare in alta impresa,
S'avvien, ch'amor l'affide? e che non puote
Amor, che con catena il cielo unisce?
Egli giù trae dalle celesti rote
Di terrena beltà Diana accesa,
E d'Ida il bel fanciullo al ciel rapisce.
Page 332, note 506. Considerazioni al Tasso di Galileo Galilei, etc.--La préface de cette première édition (des Considérations de Galilée sur le Tasse) contient l'historique assez curieux de cet écrit. C'est une chose singulière, que la meilleure critique qui ait été faite de la Jérusalem délivrée nous ait été conservée par l'admirateur le plus enthousiaste du Tasse, l'auteur même de sa Vie, le bon abbé Serassi. L'édition se fit après sa mort, sur une copie qu'il avait tirée de l'original même. Il avait écrit sur sa copie la note suivante: «J'ai eu le bonheur de la trouver (cette critique) dans une des bibliothèques publiques de Rome, en parcourant un volume de Mélanges. Voyant que c'était l'ouvrage de Galilée, que j'avais tant désiré d'avoir, je le copiai secrètement, sans rien dire à qui que ce fût de ma découverte, parce que cet opuscule n'étant point marqué dans la table, personne, jusqu'à présent, excepté moi, ne sait s'il y est, ni où il est, et qu'ainsi il ne pourra être publié, si ce n'est par moi, quand j'aurai eu le loisir de répondre, comme je le dois, aux accusations sophistiques et fausses d'un censeur, qui, dans d'autres matières, s'est acquis tant de célébrité.» Mais, dit l'auteur de la préface, il ne s'occupa point de ce travail, qui aurait pu donner beaucoup d'exercice à son esprit; et je crois qu'il changea d'avis, ayant peut-être découvert que la plupart des accusations n'étaient ni aussi sophistiques, ni aussi fausses qu'il le dit, et s'étant à la fin aperçu que le censeur qu'il lui fallait combattre n'était pas moins profond dans ces matières que dans les autres. Il aurait assurément eu tout le temps de répondre à Galilée, car il y avait déjà plusieurs années qu'il avait trouvé le manuscrit, et il avait plus de loisir qu'il ne lui en eût fallu.
Viviani, dans sa lettre écrite au grand-duc de Toscane Léopold, en 1654, insérée par Salvini, dans sa Vie de Galilée, Fasti consolari, p. 395, nous dit que ce grand homme, doué de la mémoire la plus heureuse et passionné pour la poésie, savait par cœur, entre autres auteurs latins, une grande partie de Virgile, d'Ovide, d'Horace et de Sénèque, et entre autres auteurs italiens, presque tout Pétrarque, toutes les Rime du Berni, et à peu de chose près, tout le poëme de l'Arioste, qui fut toujours son auteur favori, et celui de tous les poëtes qu'il louait le plus. «Il avait fait, continue Viviani, des observations particulières et des parallèles entre ce poëte et le Tasse, sur un grand nombre d'endroits. Un de ses amis lui demanda plusieurs fois ce travail avec beaucoup d'instances, pendant qu'il était à Pise; je crois que c'était Jacques Mazzoni. Il le lui donna enfin, et ne put jamais le ravoir. Il se plaignait quelquefois, avec chagrin, de cette perte, et avouait lui-même qu'il avait fait ce travail avec complaisance et avec plaisir.» On ne savait plus, depuis ce temps-là, ce qu'était devenu cet écrit, lorsqu'il fut découvert par hasard dans un recueil de Mélanges. Mais, par une suite de la fatalité qui y semblait attachée, il fallut que celui qui l'y trouva n'approuvât point les opinions de Galilée, qu'il eût dessein de défendre le Tasse, et que n'exécutant pas ce dessein, il privât le public de ce morceau précieux. Après la mort de celui qui l'avait copié, il fut encore long-temps sans tomber dans des mains qui pussent en faire un bon usage. Enfin, les manuscrits de l'abbé Serassi parvinrent dans celle du duc de Ceri; et c'est à ce seigneur très-zélé pour le bien des lettres qu'on en doit la publication.
Mais au moment où l'homme de lettres à qui il en avait confié le soin, tirait, pour l'impression, une nouvelle copie du manuscrit, il s'aperçut qu'il y manquait quatre feuillets, qu'il soupçonne avoir été arrachés par quelque zélé Tassiste. Ce sont précisément ceux où Galilée, après avoir démontré combien l'amour de Tancrède pour Clorinde est mal inventé et maladroitement lié à l'action, continuait à faire voir le peu de jugement que le Tasse avait mis à ourdir les autres aventures de son poëme. On trouve en effet cette fâcheuse lacune, p. 36 de l'édition in-12. Pour suppléer en partie à ce défaut, l'éditeur s'étant rappelé une lettre sur le même sujet, écrite par Galilée à Francesco Rinuccini, et qui était déjà imprimée ailleurs, l'a mise à la fin des Considérations, pour que l'on pût avoir, au moins en abrégé, une idée de ce que l'auteur avait dit avec plus d'étendue dans les quatre feuillets déchirés. Cependant cette lettre, p. 229 du volume, ne traite point du tout le même sujet. Galilée se borne à faire, entre l'Arioste et le Tasse, un parallèle dans lequel il donne tout l'avantage au premier. Mais ce que cette lettre, qui n'est pas longue, a de remarquable, c'est qu'elle est datée du 19 mai 1640. L'auteur n'avait que vingt-six ans quand il fit ses Considérations, mais il en avait soixante-dix quand il écrivit cette lettre; et l'on y voit qu'il n'avait point changé de sentiment. Le grand Galilée était absolument du même avis dont avait été le jeune professeur de Pise.
Page 502, note 749 addition à la note sur l'arrêt du parlement de Paris, relatif à la Jérusalem conquise du Tasse.--Mon confrère, M. Bernardi, a lu depuis peu à notre classe un Mémoire contenant des éclaircissements sur cet arrêt et sur le poëme du Tasse qui en fut l'objet. Il m'a permis de mettre ici, d'après son Mémoire, le texte de l'arrêt, qui ne se trouve que dans des recueils que je n'avais pas sous la main.
Extrait des registres du parlement de Paris, du 1er septembre 1595.
«Sur ce que le procureur-général du roi a remontré que depuis peu de jours, en la présente année, a été imprimé en cette ville de Paris, un livre en vers italiens, intitulé la Gierusalemme del828 Torquato Tasso, sur une copie nouvellement venue de Rome, et envoyée par l'auteur829, auquel ont été ajoutés au vingtième livre, fol. 270, première page, quelques vers, au nombre de dix-neuf, depuis le 14e.830 vers, pour la première stance, commençant par ces mots, Sisto, jusqu'au cinquième de la troisième stance, commençant par ces mots, Chiama onde, qui ne sont aux premières éditions de 1582831, contenant propos contraires à l'autorité du roi et bien du royaume, mais à l'avantage des ennemis de cette couronne, et particulièrement des paroles diffamatoires contre le défunt roi Henri III et contre le roi régnant, pour la proposition des fulminations faites à Rome pendant les derniers troubles, et pour persuader qu'il est en la puissance du pape de donner le royaume au roi et le roi au royaume, qui sont termes préjudiciables à l'état; desquels vers il a fait lecture; requérant iceux être rayés et biffés dudit livre, pour être ladite page corrigée suivant les exemplaires des premières éditions, avec défense au libraire qui les a fait imprimer de les vendre et débiter; et que, à cet effet, les exemplaires de ladite nouvelle édition fussent saisis; et enjoint à tous ceux qui se trouveront en avoir acheté, de les rapporter pour être pareillement réformés à ladite page, et défenses à eux faites de les retenir, et ce sur les peines qui y appartiennent, suivant les arrêts ci-devant donnés.
«La matière mise en délibération, arrêt dudit jour du parlement conforme au réquisitoire.»
Note 829: (retour) L'imprimeur ne dit pas tout à fait cela; il dit dans son Avis aux lecteurs, qu'il imprime ce poëme sur une nouvelle copie, du tout changée et revue par l'autheur, envoyée de Rome. C'était sans doute un exemplaire de la Jérusalem conquise, qu'il ne regardait que comme une édition corrigée de la première Jérusalem.
FIN DU CINQUIÈME VOLUME.
MOREAU, IMPRIMEUR, RUE COQUILLIÈRE, Nº 27.