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J. Ogier de Gombauld, 1570-1666: étude biographique et littéraire sur sa vie et ses ouvrages

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V

RECUEIL DES ÉPIGRAMMES.—POÉSIES INÉDITES (1657).

Le Recueil des Épigrammes, dans le Privilége duquel Pellisson, alors secrétaire du Roy en exercice, a fait insérer que Sa Majesté veut «favoriser l'Exposant, et la publication de tout ce qui sort d'une plume si célèbre,» est précédé d'une Préface que nous croyons devoir reproduire; elle n'est pas longue, et contient pour une biographie des renseignements précieux sur le caractère du poëte:

«Ce n'est que pour passer par tous les genres d'escrire, dit Gombauld, qu'après avoir fait d'autres diverses œuvres, j'ay voulu faire aussi des Épigrammes. On m'a persuadé de les mettre au jour; mais je n'ay pas le courage de les dédier à personne, non pas mesme de les accompagner de quelque Advertissement. Il semble que ceux qui dédient si facilement leurs ouvrages ne cherchent pas tant des protecteurs que des complices de leurs fautes. Ce n'est pas faire des offrandes, c'est mendier des gratifications, c'est vendre ce qu'on ne doit jamais acheter: je parle des louanges que plusieurs reçoivent avec plaisir, et qu'ils ne payent guères qu'à regret. On veut que je donne des advis à ceux qui ne se soucient pas d'en recevoir, et à qui mes excuses donneroient, peut-estre, le moyen de m'accuser davantage. On veut que je rende à la coustume ce que je ne croy point devoir à la nécessité. Mais je n'ay rien à dire, sinon, ce que l'on eust bien jugé sans que je l'eusse dit: Que ces Épigrammes ne sont pas toutes d'un âge, et que les plus vieilles sont celles qui tiennent le plus de la jeunesse; que les unes excusent les autres, et qu'elles ne sont faites, la pluspart, que pour les bonnes mœurs, ou plustost contre les mauvaises; de telle sorte pourtant que pas un n'en puisse murmurer, à moins que de se déclarer coupable.»

Cette déclaration de principes au sujet des dédicaces nous a paru d'autant plus curieuse à noter, que deux ans après, en 1658, Gombauld, pressé sans doute par la plus grande nécessité, se décida à faire imprimer ses Danaïdes, avec une Dédicace au surintendant Fouquet.

Il y a peu d'exemples, dit Rosteau, dans ses Sentiments sur quelques livres qu'il a lus, «de poëtes qui ayent fini leurs travaux par des épigrammes, qui, pour l'ordinaire, sont formées de pointes d'esprit et d'un feu qui convient mieux à un jeune homme qu'à des poëtes usés et avancés en âge». Mais il ajoute «qu'on peut excuser M. de Gombauld de s'être appliqué à ce genre d'écrire, dans la dernière partie de sa vie, sur ce que la plupart de ses épigrammes sont plutôt des censures des vices et des mœurs corrompues de son temps, que de ces galanteries qui se font ordinairement pour les dames». Gombauld avait en effet plus de quatre-vingts ans, lorsque, en 1657, il publia son Recueil; nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit de ces petites œuvres, lors de la publication des premières en 1646.

Nous citerons seulement quelques-unes des nouvelles, celles surtout qui peuvent donner une idée des principales préoccupations de l'esprit de Gombauld pendant sa vieillesse:

I

Royautez partout redoutées,
Mes pointes vous ont respectées,
Vous, et vos Ministres aussi.
Car vostre gloire est mon soucy,
Et je n'ay pour vous que des roses.
Mais vous pensez à tant de choses,
Que vous ne pensez point aux vers
Dont j'entretiens nostre univers.
Je me tais de mon aventure.
Peut-estre la race future
Ne s'en taira pas comme moy:
C'est la pointe que je vous doy.

Gombauld se persuadait volontiers que ses vers devaient faire les délices de la postérité la plus reculée. Il dira, par exemple, à une Dame qui lui avait donné des roses:

II

Nos affections sont escloses
Par des tesmoignages divers:
Beauté, vous me donnez des roses,
Et moy je vous donne des vers.
Rendez-moi des preuves plus fortes
De votre faveur désormais;
Car vos roses sont déjà mortes,
Et mes vers ne mourront jamais!

C'est peut-être pour cela que son ami des Réaux prétend qu'il était «un peu infatué du Parnasse,» et raconte que, répondant, en 1651, en qualité de Directeur de l'Académie, à la harangue de l'abbé Tallemant, qu'on recevait, il lui dit «qu'il pouvoit désormais regarder les autres hommes comme les yeux du ciel regardent la terre!»

L'ingratitude des hommes et la fragilité des biens temporels reviennent souvent sous la plume de Gombauld, pendant ses dernières années:

III

Viens, Seigneur, il n'est plus de foy,
Partout la perfidie abonde,
Et nul ne te veut pour son Roy,
Si ton règne n'est de ce monde.

IV

Damon, la vie est mal nommée;
C'est une peine accoustumée,
Un mal que l'on ne peut guérir:
C'est une mort continuelle,
Et ce que mourir on appelle
Est plustost cesser de mourir.

Puis, le souvenir de ses premières années lui revient à l'esprit:

V

La vieille Cour, dont nul ne suit les traces,
Joignoit l'Amour avec les Grâces.
Mais la nouvelle Cour
A séparé les Grâces et l'Amour.

VI

Quoy! sont-ce les fils de ces pères,
De ces ornemens de la Cour?
Sont-ce les filles de ces mères,
Pour qui l'on avoit tant d'amour?
Mes yeux, dans ce tumulte extrême,
Qu'on ne voit jamais achever,
Cherchent la Cour dans la Cour mesme,
Et ne la sçauroient plus trouver.

«Il chante toujours de sa vieille Cour,» disait Tallemant des Réaux.

Pour terminer, citons ce petit morceau, dans lequel le poëte «représente son humeur»:

VII

Timandre, une humeur douce et grave.
Qui ne peut rien faire en esclave,
Et qui joint l'honneur au devoir;
Des soins, qui ne sont pas vulgaires,
Font que, pour moy, je ne voy guères
Ceux qu'on a tant de peine à voir.
Je ne sçay point faire d'offrande,
Ny rien qui sente la demande.
Tu pers temps de t'en soucier:
Mes vœux n'importunent personne;
Mais, s'il arrive qu'on me donne,
Je sçay fort bien remercier.

C'est une sorte de répétition en vers de la Préface que nous avons citée plus haut.

Le Recueil des Épigrammes de Gombauld, publié en février 1657, à Paris, chez Courbé, eut, dans la même année, une autre édition de Hollande, «jouxte la copie de Paris», et il a été réimprimé en 1861, aux frais et par les soins de M. J. V. F. Liber, en dépit des prédictions de Boileau et de La Harpe[54].

[54] Lille, Typog. de A. Behague, et Paris, J. Tardieu.—Cette édition contient en appendice une épigramme de Gombauld sur Antoine de Bourbon Moret, fils naturel de Henri IV, tirée de Tallemant des Réaux, historiette de la comtesse de Moret.

La réimpression, dans l'année même de son apparition, prouve au moins que le Recueil eut un certain succès parmi ses contemporains: et, d'après les quelques citations que nous en avons faites, on doit reconnaître qu'il était mérité.

Le dix-septième siècle n'a cependant pas connu toute l'œuvre épigrammatique de notre poëte. M. Prosper Blanchemain a découvert un certain nombre d'épigrammes inédites de Gombauld dans un vieux cahier relié à la suite de son Recueil de 1657, et qui présente toutes probabilités d'avoir appartenu à Gombauld lui-même. Après avoir balancé à les attribuer à notre académicien, parce qu'il en est trois, dans le nombre, qu'on a coutume de donner à Regnier, le savant éditeur de Ronsard n'a pas hésité à les restituer au poëte saintongeois, en remarquant que ces trois pièces n'avaient été mises sur le compte de Regnier que longtemps après sa mort, et que Conrard, dans la notice conservée par d'Olivet, parle d'un Recueil de vers manuscrits laissé par Gombauld, «particulièrement de Sonnets et d'Épigrammes, qui, pour estre entre les mains de personnes peu intelligentes en ces sortes de choses-là, n'ont pu encore estre mises en lumière». Une quarantaine de ces petites pièces, y compris des vers de ballet, ont été publiées en 1874, à San Remo, dans la seconde livraison du Fantaisiste, et tirées à part à cinquante exemplaires seulement sur grand papier vélin; mais elles sont presque toutes du genre de celles qu'on avait jadis attribuées à Regnier et, par conséquent, assez licencieuses pour être fort déplacées dans ce Recueil: nous respecterons donc le motif qui avait engagé Gombauld à ne pas les publier dans son volume, et nous nous contenterons d'en citer une assez piquante, qui ne présente pas le même caractère que ses voisines:

De Lisle, ta fureur
Contre ton procureur
Injustement s'allume.
Cesse d'en mal parler:
Tout ce qui porte plume
Fut créé pour voler.

M. Prosper Blanchemain n'avait pas envoyé tout son cahier manuscrit au Fantaisiste en 1874: il a bien voulu nous en communiquer quelques autres feuillets et nous autoriser à reproduire les pièces suivantes, qui auront pour nos lecteurs tout l'attrait de l'inédit:

I

POUR LES ENDEBTÉS.

Guillot se promenoit, triste, morne, resveur.
—Qu'as-tu donc, luy dit Jean? D'où vient cette langueur?
—Vrayment, luy dit Guillot, je n'ay pas l'âme en feste.
Ce qui me rend triste comme tu vois
Sont deux mille écus que je dois
Et qui me rongent fort la teste:
Tout mon argent se monte à beaucoup moins;
Je ne sçay d'où payer cette somme empruntée.
—Ah! pauvre fou, dit Jean; va! va! laisse ces soins
A celuy qui te l'a prestée.

II

Épigramme.

Je perds mon temps et mes discours
A vous raconter mes amours
Et la rigueur de mon martyre;
Rien ne sert de tant raisonner:
Je veux ce que je n'ose dire
Et que vous n'osez me donner.

III

POUR METTRE DEVANT DES HEURES.

Madrigal.

En vain vous me jurez, dans vos humeurs cruelles,
De ne jamais rien faire en faveur de ma foy;
Priant Dieu pour tous les fidelles,
Sans doute, belle Iris, vous priez Dieu pour moy.

IV

A UNE, EN JOUANT A COLIN-MAILLARD.

En toutes les façons vous avez droit de plaire;
Mais surtout vous sçavez nous charmer en ce jour.
Voyant vos yeux bandés, on vous prend pour l'Amour,
Les voyant descouverts, on vous prend pour sa mère[55].

[55] On attribue ordinairement cette pièce à Montreuil, qui l'aurait adressée à Mme de Sévigné.

V

AUTRE.

J'ay pris vostre esventail, Madame,
Mais n'en soyez point en courroux.
Songez à mon ardeur, considérez ma flamme,
Vous verrez que j'en ay plus de besoin que vous.

VI

AUTRE.

C'estoit assez de vos yeux pleins de charmes
Pour vaincre ma raison;
Mais vous chantez encore: O quelle trahison!
Doit-on blesser ceux qui rendent les armes?
Je voy bien que ma mort est tout vostre désir.
Eh bien! je meurs, Philis, mais je meurs de plaisir…
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