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J. Ogier de Gombauld, 1570-1666: étude biographique et littéraire sur sa vie et ses ouvrages

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Parlons d'abord des Danaïdes.


Gombauld, dans une de ses Épigrammes, dit d'un auteur obscur, qui ne s'exprimait que d'une manière incompréhensible:

Ta muse en chimères féconde
Et fort confuse en ses propos,
Pensant représenter le monde,
A représenté le chaos.

On peut retourner très-exactement cette épigramme contre son auteur, au sujet de sa tragédie, entassement de grands mots, de grands oracles, de grandes périodes, de tirades ronflantes et d'emphatiques épithètes. «Je veux demander la moitié de mon argent, disait madame Cornuel en sortant de la représentation; je n'ay entendu tout au plus que la moitié de la pièce[34].» C'est cependant cette tragédie que l'abbé de Marolles appelait «les immortelles Danaïdes, où se lisent de si beaux vers[35];» et le poëte de L'Estoile, qui «faisoit profession d'avoir appris les règles du théâtre de M. de Gombauld et de M. Chapelain,» disait un jour sérieusement à Pellisson, en sortant de l'hôtel de Bourgogne, «qu'il eût mieux aimé avoir fait cette scène des Danaïdes, où l'action de ces cruelles sœurs est décrite, que toutes les meilleures pièces de théâtre qui avoient paru depuis vingt ans[36]…» Pour être impartial, nous devons dire que l'abbé de Marolles et Claude de L'Estoile étaient deux amis particuliers de Gombauld; les autres contemporains n'eurent pas un pareil enthousiasme pour l'œuvre de notre poëte. «Ce qui l'a le plus rebuté, dit Tallemant des Réaux, ç'a esté de voir que ses Danaïdes eussent si mal réussy; elles eussent esté plus propres à Athènes qu'à Paris…» Aussi résista-t-il fort longtemps aux instances de ses quelques admirateurs, qui le pressaient de faire imprimer sa tragédie. «Il n'a jamais voulu les imprimer,» écrivait Tallemant en 1653. L'œuvre fit cependant du bruit à son apparition, et Richelieu voulut entendre Gombauld la lire devant lui; mais le malheureux auteur était poursuivi par la mauvaise fortune:

[34] Tallemant des Réaux.—Historiettes, II, 461.

[35] Mémoires de l'abbé de Marolles.

[36] Pellisson.—Histoire de l'Académie, I, 312-313.

«Boisrobert, rapporte des Réaux, avoit estourdiment donné rendez-vous à Sérisay, qui avoit fait la moitié d'une tragi-comédie qu'il n'acheva point, et à Gombauld tout ensemble; et quand ce vint à luy, le Cardinal estoit las d'entendre lire[37]…» Ainsi la fatalité s'attachait à ses lectures devant les grands de la terre.

[37] Tallemant des Réaux.—Historiettes, II, 461.

On connaît la tragique histoire de Danaüs, qui avait fiancé ses cinquante filles aux cinquante fils de son frère; mais ayant appris par un oracle qu'un de ses gendres devait le mettre à mort, il fit promettre à ses filles de massacrer leurs époux pendant la première nuit des noces. Quarante-neuf d'entre elles obéirent aux ordres paternels; seule, Hypermnestre épargna Lyncée, son mari, qui, accomplissant les paroles de l'oracle, tua son criminel beau-père, et lui succéda sur le trône d'Argos. La célèbre tragédie d'Hypermnestre, par Lemierre, a rendu ce sujet presque classique, en faisant oublier complétement les Danaïdes de Gombauld, dont on pourra juger le style par ce début:

SCÈNE PREMIÈRE.

DANAUS, roi d'Argos.—AMARIE, une des femmes de Danaüs.

DANAÜS.

Voici la nuit fatale et les noirs Hyménées,
Par qui l'ordre du Ciel presse mes destinées.
Le funeste moment qui menace mes jours,
S'il en faut croire aux Dieux, précipite son cours.
Mon esprit, qui consent aux célestes augures,
Se dispose à souffrir d'étranges aventures.
Les Oracles sacrés, dans leurs antres couverts,
En ont fait résonner les murmures divers.
Je ne sçai quels démons, à troupes vagabondes,
Quittent, pour m'affliger, leurs demeures profondes:
Démons infortunés, qui me viennent priver
Du repos, que pour eux ils ne peuvent trouver.
La clarté me déplaît, tous les objets me troublent,
Durant l'obscurité, mes ennuis se redoublent.
Les ombres de la mort excitent mes tourmens,
Et pour m'épouventer sortent des monumens.
N'aurez-vous jamais fait, tristesses volontaires,
Soupçons, craintes, remords et pensées téméraires?
Ah! vous m'avertissez, vous sentez approcher
Le Destin, que les Dieux ne sçauroient empêcher.
Ni conseil ni valeur ne m'en peuvent défendre,
Et je ne dois mourir que de la main d'un gendre.
..... ......... ......

Les trois premiers actes ne contiennent qu'une longue exposition, sans incident ni péripétie qui rompe ces interminables tirades, toujours pleines d'horreur, de terreur, de Dieux inexorables, d'atteintes mortelles, de funeste langage et d'oracles décevants… On rencontre cependant quelques vers énergiques, au milieu de cet amas confus de tragiques desseins et de funèbres discours. Quand Danaüs s'est décidé à tout oser pour écarter de sa tête le danger qui le menace, il s'écrie:

Quand il est temps d'agir, la plainte est superflue…

et dans cette scène odieuse où, cédant à l'idée qui l'obsède, il demande à ses filles le meurtre de leurs cinquante époux, il leur dit, sans plus de détours:

Je vous dois des maris, vous me devez des gendres!

Il est vrai qu'à côté de ces vers vigoureusement martelés, les fadeurs précieuses se font quelquefois jour, d'autant plus remarquées qu'elles sont plus rares au milieu de tant d'horreur. Ainsi, quand Alphite vient décrire au Grand Augure la merveilleuse fête des noces, il expose son récit dans ce style pompeux et affecté:

Comme on ne voit briller que Princes, que Princesses,
On croit voir le festin des Dieux et des Déesses.
Le Roi, leur Jupiter, est ceint, de tous côtés,
De gloire, de splendeur, de grâce, de beautés.
Je ne sçai quels Zéphirs, parmi tant de merveilles,
Soufflent une sablée en odeur nompareilles.
Les Nymphes à l'envi font valoir leurs couleurs:
Chacune veut passer pour la Reine des fleurs.

Mais les Zéphyrs ne peuvent rester longtemps dans le repaire des furieux Autans qui vont de nouveau se déchaîner. Obsédé par les remords qui lui reprochent le meurtre du roi Sténelée, son prédécesseur, Danaüs sort tout agité de la salle du festin, et l'ombre de sa victime lui apparaît tout à coup. C'est le seul incident qui donne quelque faible intérêt à ces trois premiers actes: tout le reste est monotone, languissant et sans véritable action. Les deux derniers actes, au contraire, se réveillent vigoureusement de cette torpeur qui glace, et ce sont eux, probablement, qui ont excité l'enthousiasme de L'Estoile et de l'abbé de Marolles. Il est certain qu'ils ont quelque mérite, mais l'épithète d'«immortels» nous semble très-risquée.

Après une scène beaucoup trop longue et sans grand mouvement, dans laquelle Hypermnestre conseille la fuite à Lyncée, et lui dévoile le secret terrible de cette fatale nuit, les diverses situations commencent à prendre une véritable vie.

Voici d'abord Alphite accourant tout éperdu, pour faire aux deux époux le fameux récit du massacre, que L'Estoile met au-dessus de tout ce qui avait paru jusqu'alors et, par conséquent, du Cid lui-même, dont la date est de 1637:

ALPHITE.

Je vous ai tant cherchez que je n'ai plus d'haleine.
Ai-je encore mes sens? Suis-je encore animé?
D'où vient que ces objets ne m'ont point transformé?
Cent actes inhumains que l'on ne pourra croire,
Qui porteront l'horreur au temple de Mémoire,
Dont la postérité ne se taira jamais,
Font un antre infernal d'un superbe palais.
Je ne puis exprimer, et nul ne peut comprendre,
Ce que je viens de voir, ce que je viens d'entendre;
Et de tant de Fureurs les funestes exploits
M'ôtent incessamment le courage et la voix.
Par votre ordre, ô Princesse! une soigneuse veille
M'a rendu le témoin d'une horrible merveille.
Après avoir longtemps erré de tous côtés,
Les bruits avant-coureurs de tant de cruautés
Ont frappé sourdement mon oreille attentive,
Qui prenoit chaque voix pour une voix plaintive.
J'ai commencé d'ouïr les mouvemens soudains
Qu'après un coup mortel font les pieds et les mains,
Les cris interrompus et les tristes murmures,
Tels que dans les enfers, au milieu des tortures,
S'entendent les sanglots et les gémissemens
Dont les plus criminels expriment leurs tourmens;
Si quelque plainte encore, où règne le silence,
D'une sensible mort fait voir la violence(?)…

Nous épargnerons au lecteur la fin de ce récit, dans lequel les détails horribles sont prodigués, jusqu'à nous représenter l'une des victimes, le beau Polyctor, qui, blessé seulement et ne pouvant plus se soulever,

Mordoit ses propres bras, tardifs à la défense.

L'acte se termine par une scène fort dramatique, entre Hypermnestre et Danaüs, qui reproche violemment à sa fille de n'avoir pas obéi à ses ordres sanguinaires. Nous en détacherons seulement ce morceau, en faisant remarquer combien une pareille situation nous semble contraire aux règles de bienséance morale qui devraient régir le théâtre: un père maudissant sa fille parce qu'elle n'a pas voulu commettre un assassinat:

DANAÜS.

Quoi! vous craignez pour lui? La preuve est toute claire
Que vous n'eûtes jamais le dessein de me plaire,
De tenir mon parti, ni de me conserver,
Puisqu'en m'abandonnant vous le voulez sauver;
Et votre feinte humeur fait toute ma colère!

HYPERMNESTRE.

Je ne veux offenser mon mari ni mon père.
J'en appelle à témoin les hommes et les Dieux:
La foi m'est agréable, et le meurtre odieux.

DANAÜS.

Vous sçavez mes ennuis, et par quelle insolence,
Malgré moi, l'on m'oblige à cette violence;
Vous sçavez les dangers dont je suis menacé;
Vous voyez les liens où je suis enlacé…

HYPERMNESTRE.

Les Oracles sont faux, ou, s'ils sont véritables,
On ne peut les changer, ils sont inévitables.
Quand le malheur nous suit, rien ne peut l'empêcher,
Et, pensant à le fuir, nous allons le chercher;
Nous courons au devant, tout chemin nous y mène,
Pour nous en garantir notre prudence est vaine!
Et l'homme est bien aveugle et bien mal inspiré,
Qui cherche, par un crime un remède assuré.

Toute la scène est bien dialoguée, et les caractères y sont franchement soutenus. Furieux de ne pouvoir vaincre la résistance d'Hypermnestre, Danaüs ordonne aux gardes de la jeter en prison. Mais, dans l'intervalle du quatrième au cinquième acte, Lyncée, qui ne respire que la vengeance, a mis à mort Danaüs et, sans retard, il envoie des soldats pour délivrer Hypermnestre. Son entrevue avec la jeune héroïne qui, de sa propre bouche, apprend le meurtre de son père, termine le cinquième acte, et cette scène est certainement aussi dramatique et aussi bien rendue que la précédente. En apprenant la mort de son père, l'amour d'Hypermnestre pour Lyncée s'est éteint, et la haine vient remplacer l'amour.

Cruel! je vous fais vivre, et vous tuez mon père!
Lassez jusques à moi, suivez votre colère,
Ou je sçai bien sans elle à quoi je me résous;
Et je mourrai plutôt que de vivre avec vous.

Et comme Lyncée se hasarde à lui parler, pour calmer son exaltation, de l'Aurore qui va se lever…

HYPERMNESTRE.

… Vous me parlez encore?
Je suis bien en souci de l'Aurore ou du jour!
Parlez-moi de descendre au ténébreux séjour;
Parlez-moi du Cocyte et de l'ombre éternelle,
De ces noires forêts où le Destin m'appelle,
Où d'un funeste effort mes yeux déjà mourrans
Pensent voir mille objets comme songes errans…

Et le drame se termine par ces vers:

La Mort dans l'univers est la plus absolue.
La terre ni les cieux ne lui refusent rien:
Qui ne peut la trouver ne la cherche pas bien.

Malgré beaucoup de défauts et surtout d'obscurités, on avouera que les deux derniers actes de cette tragédie présentent des situations fort dramatiques; et le caractère d'Hypermnestre, qui, au second acte, avait eu un moment de faiblesse, plus apparente que sincère, en promettant ou feignant de promettre d'obéir aux ordres paternels, se relève et se soutient d'une manière très-sympathique. Mais l'intérêt et le dialogue de ces deux derniers actes ne purent racheter, près des spectateurs, la froide et obscure monotonie de l'exposition interminable des tableaux d'oracles et d'horreurs des trois premiers actes. Que de vers, que de phrases entières incompréhensibles! et plusieurs scènes sont tellement révoltantes, que les sympathies de l'auditoire ne devaient pas accompagner fort loin l'œuvre du poëte.

Aussi Gombauld, devant la réception faite par le public à la représentation de sa tragédie, hésita-t-il fort longtemps à la livrer à l'impression. Mais une quinzaine d'années plus tard, sur les instances de ses amis qui ne voulaient pas laisser perdre les quelques scènes à caractère des Danaïdes, et pressé aussi par sa triste situation pécuniaire, il la livra aux éditeurs (1658). Elle a, depuis, trouvé place dans le VIe volume du Théâtre français ou Recueil des meilleures pièces de théâtre, publié en 1737.

Cet insuccès relatif ne découragea pas complétement le poëte-gentilhomme. La vogue qu'avait eue jadis son Amaranthe lui mettait martel en tête, et la carrière dramatique ne lui semblait pas devoir être complétement fermée pour lui, après un si brillant début. Il travailla donc encore à une nouvelle pièce de théâtre, et cette fois dans le genre des tragi-comédies qui se trouvèrent de mode après l'éclatant succès du Cid. Mais sa pièce intitulée: Cydippe ou Acante, sujet qui avait déjà été traité en pastorale, en 1633, par de Baussais, ne lui parut pas, après réflexion, avoir des chances de tenter avantageusement la fortune de la rampe, ni même celle de l'impression. Conrart signale cette tragi-comédie parmi les manuscrits qui devinrent la propriété des héritiers de Gombauld, après la mort du poëte: mais elle n'a jamais été, que nous sachions, ni représentée, ni imprimée.

La dernière œuvre que nous ayons à signaler de lui avant la mort de son second protecteur, le cardinal de Richelieu, est sa collaboration à cette fameuse Guirlande de Julie, que tous les poëtes de l'hôtel de Rambouillet tressèrent avec amour, pour permettre au futur duc de Montauzier de déposer aux pieds de la belle Julie d'Angennes, fille de la marquise, un tribut poétique digne de la précieuse réputation de l'hôtel. Si bien reçu dans les salons d'Arthénice, Gombauld ne pouvait refuser de contribuer à la réalisation du galant projet du soupirant, si célèbre par sa constance; il choisit l'Amaranthe, et composa ce madrigal:

Je suis la fleur d'amour qu'Amaranthe on appelle,
Et qui viens de Julie adorer les beaux yeux.
Roses, retirez-vous, j'ai le nom d'immortelle!
Il n'appartient qu'à moi de couronner les Dieux.

Ce madrigal n'est pas un chef-d'œuvre; mais il y en a de plus mauvais dans la Guirlande.

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