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J. Ogier de Gombauld, 1570-1666: étude biographique et littéraire sur sa vie et ses ouvrages

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IV

DÉTRESSE DE GOMBAULD A LA MORT DE RICHELIEU (1642).—RECUEIL DE POÉSIES (1646).—SES SONNETS ET SES LETTRES.—MADAME DE LONGUEVILLE ET BENSERADE.

Le 4 décembre 1642, Richelieu mourut au Palais-Cardinal; Gombauld se trouva tout à coup privé de son plus puissant protecteur, et sa situation devint d'autant plus précaire, que les pensions accordées par le Cardinal à beaucoup de gens de lettres furent supprimées presque immédiatement après sa mort. Réduit aux expédients pour vivre, mais ne voulant pas, avec son vieil honneur, être à charge à ses amis, il cachait sa misère avec le plus grand soin; et, réunissant ses œuvres éparses de tous côtés, il se mit à éditer des livres. C'est en effet pendant la période d'une vingtaine d'années qui s'écoula depuis la fin du règne de Richelieu jusqu'à la mort de notre poëte, que Gombauld publia presque toutes ses poésies, la plupart fort anciennes, puisqu'il avait déjà bien près de soixante-dix ans, à la mort du Cardinal.

«Une de ses plus grandes faiblesses, écrivait Tallemant vers cette époque, c'est de craindre qu'on ne le traitte de gueux. Il n'a jamais voulu que ses amys l'assistassent: et une fois depuis la Régence,—car le feu Roi, après la mort du cardinal de Richelieu, raya de sa main toutes les pensions,—on fut contraint de le quester, et après on luy fit accroire qu'on avoit trouvé moyen de toucher cela de l'argent du Roy. Ce n'est pas que je trouve estrange qu'il ne veuille pas recevoir indifféremment de ses amys; je voudrois seulement qu'il choisît entre tous et qu'il regardast s'il y en a quelqu'un à qui il veuille avoir une si grande obligation; mais il n'en veut pas prendre le soin, et s'attend un peu trop à la Providence… C'est un homme à sécher auprès d'un sac d'argent qu'on luy auroit mis sous son chevet: il diroit qu'on le prend pour un gueux[38]…»

[38] Tallemant.—Historiettes, II, 468.

Ce n'est pas le legs que fit au poëte la célèbre demoiselle de Gournay, lorsqu'elle mourut le 13 juin 1645, qui aurait pu assurer le pain quotidien au pauvre Gombauld. «En mourant, raconte des Réaux, elle laissa, par testament, son Ronsard à L'Estoile, comme si elle l'eust jugé seul digne de le lire, et à Gombauld, une Carte de la vieille Grèce, de Sophion, qui vaut bien cinq solts.»

Ce fut probablement vers ce temps qu'il composa cette épigramme désespérée:

Ne me respondez plus, Muses, soyez muettes!
Nostre siècle de fer m'a rendu négligent.
Les vulgaires esprits n'ayment point les poëtes,
Et tant qu'on fait des vers, on n'a guères d'argent.

Le même sentiment de sa misère lui avait déjà dicté, plusieurs années auparavant, cette épitaphe de Malherbe:

L'Apollon de nos jours, Malherbe ici repose;
Il a longtemps vécu sans beaucoup de support,
En quel siècle, passant? je n'en dis autre chose:
Il est mort pauvre, et moi je vis comme il est mort.

Gombauld, à bout de ressources, dut bientôt se décider à publier ses œuvres; un volume de Poésies parut chez Auguste Courbé en 1646 (in-4o), suivi d'un volume de Lettres, chez le même libraire, en 1647 (petit in-8o).

Le volume de Poésies de 1646 offre cette particularité remarquable, que, dans le privilége de publication, Gombauld est qualifié de «gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi»: nous n'avons pu trouver nulle part la justification de ce titre. Sauf trois élégies et quelques stances, débuts poétiques de l'auteur, l'ode au chancelier Séguier, le panégyrique du cardinal de Richelieu, et quelques vers pour des ballets ou autres divertissements du temps de la reine Marie de Médicis, ce volume ne contient que des sonnets et des épigrammes.

Les sonnets de Gombauld ne sont pas datés; il est donc difficile de préciser à quelle époque ils ont été composés: mais nous sommes portés à croire qu'ils l'ont été à des époques fort différentes, pendant toute la carrière poétique de l'auteur. Ce sont presque tous des sonnets amoureux, adressés à des Philis, des Amaranthes, ou des Carites, soit imaginaires, soit réelles; mais l'ordre dans lequel nous venons de placer ces pseudonymes, qui recouvrent les véritables noms des beautés chères au poëte, n'est pas indifférent: nous pensons même que c'est un ordre chronologique réel. Les sonnets à Philis doivent être les premiers en date, et remonter à l'époque de la régence de Marie de Médicis. Un passage des Historiettes de Tallemant des Réaux nous le fait penser, car il dit en parlant de cette époque: «Je ne sçay si madame de La Moussaye, sœur du feu comte de La Suze, et mère de La Moussaye, le petit maistre, estoit cette petite Philis (des Poésies), mais on croit qu'il a eu de grandes privautez avec elle, car il a tousjours affecté d'en vouloir à des dames de qualité, et me faisoit excuse, une fois, de ce que dans ses Poésies il y avoit des vers pour une paysanne.—C'estoit, disoit-il, la fille d'un riche fermier de Xaintonge, et elle avoit plus de dix mille escus en mariage[39]…» Qui sait si Philis ne représente point Marie de Médicis elle-même?

[39] Tallemant.—Historiettes, II. 458.

Les sonnets à la belle Amaranthe seraient de la seconde époque, du temps de la pastorale, et nous ne serions pas étonné que ce pseudonyme cachât le nom de Madame ou de Mademoiselle de Rambouillet, car Gombauld choisit la fleur d'Amaranthe pour son tribut à la Guirlande de Julie. Enfin les sonnets à Carite seraient les derniers. Ce ne sont là que des conjectures, et c'est pour cette raison que nous avons réservé les sonnets pour l'époque de leur publication, au lieu d'en parler à leur date présumée, alors qu'ils couraient les ruelles en feuilles volantes, et faisaient les délices de la société précieuse; nous pensons, néanmoins, que ces conjectures ont quelque apparence de réalité.

Chapelain, Pellisson, Maynard, Guéret, Conrart, Ménage, et quantité d'autres critiques contemporains, ont loué les sonnets de Gombauld, et reconnaissent dans l'auteur un esprit vif et délicat. Aussi, remarque l'abbé Goujet, «si M. Despréaux a dit, en parlant de ce genre de poésie:

A peine dans Gombauld, Maynard et Malleville,
En peut-on admirer deux ou trois entre mille…

ce célèbre critique a seulement voulu dire que nous n'avions peut-être point de sonnet sans défaut, et que les poëtes qu'il nommoit estoient ceux qui avoient le mieux réussi[40]».

[40] Goujet.—Bibliothèque française, XVII, 132.

«Suivons toujours notre naturel, dit Guéret dans la Guerre des auteurs; ne sortons jamais du genre qui nous est propre, et n'envions point aux autres la gloire que nous ne sçaurions acquérir comme eux. Laissons L'Élégie à Desportes, les Stances à Théophile, le Sonnet à Gombauld, l'Épigramme à Maynard…» et Furetière, dans sa Nouvelle allégorique des troubles du royaume d'Éloquence, n'hésite pas à proclamer que «de l'Isle sonnante, ou Terre des Sonnets, Gombauld, le grand casuiste et législateur du païs, en fit venir de bien propres et de bien lestes…»

Chapelain déclare «fort beaux» les sonnets de son ami[41], et Costar proclame que «c'est le poëte de France qui fait le mieux les sonnets et les épigrammes…» Ménage va plus loin encore: en plusieurs passages de ses Observations sur Malherbe, il n'épargne point son enthousiasme lorsqu'il parle des sonnets de Gombauld; il dira, par exemple: «M. Gombauld a fait une faute toute semblable en ces beaux vers de cet admirable sonnet qui commence par Cette race de Mars

[41] Mélanges de littérature tirés des lettres manuscrites de M. Chapelain.

Tallemant est le seul qui jette une note discordante dans ce concert de louanges: «Les vers de Gombauld, pour l'ordinaire, ne vous vont point au cœur, dit-il; ils ne sont point naturels; plus: il y a grand nombre de sonnets où, pour bien rimer, il tire souvent les choses par les cheveux[42]…»

[42] Tallemant.—Historiettes, II, 461.

Nous regrettons de n'avoir pas le loisir de citer ici un grand nombre des petits poëmes de Gombauld; nous en choisirons un de chacune de ses trois périodes amoureuses, et l'on avouera que le dernier, surtout, donne tort à Tallemant, car le sentiment qui y règne nous semble fort délicat.

I

Leve-toi, je te prie, amante de Céphale,
Je dois voir aujourd'huy l'Astre de mon amour;
Car, si tu ne le sçais, messagère du Jour,
J'ay Philis pour maistresse, et la Cour pour rivale.
Elle est toute parfaite, elle n'a point d'égale:
Les Grâces auprès d'elle ont choisy leur séjour,
Et, parmi tant de feux qui brillent à l'entour,
J'ay reçeu de ses yeux une atteinte fatale.
Ils m'obligent pourtant, au lieu de m'affliger;
L'offence est favorable, et je ne puis juger
Comme un si doux effort me fait vivre et me tüe.
Je me plais aux douleurs que mon âme en ressent,
Et pardonne à Philis le mal que fait sa veüe,
S'il est vray que son cœur n'en soit pas innocent.

II

Si je vous suis fâcheux, je le suis à moy-mesme,
Sans trouver de remède à mon cruel tourment.
Mais je veux me résoudre à suivre constamment
Vostre humeur et vos loix, dont l'empire est supresme.
Que ma peine s'augmente, et qu'elle soit extresme,
J'imposeray silence à mon ressentiment;
Et vous n'en verrez pas un signe seulement,
Si je ne suis trahy par mon visage blesme.
Là finissoit ma plainte, et desjà ma palleur
Accusoit, malgré moy, l'excez de ma douleur,
Lorsqu'Amaranthe ouvrit ses lèvres favorables,
Pour appeler le Jeu, le Ris et le Désir,
Et mille autres Amours, dont les mains secourables
Repoussèrent la mort qui me venoit saisir.

III

Carite alloit partir, et ses tristes adieux
Donnoient à ses beautez une grâce nouvelle,
Quand, parmy tant d'amans qui souspiroient pour elle,
Daphnis, perdant l'espoir, accusa tous les Dieux.
Elle changea d'humeur, preste à changer de lieux,
Et le voyant mourir luy parut moins cruelle;
Le baisa d'un baiser digne d'un cœur fidelle,
Et les larmes soudain troublèrent ses beaux yeux.
Tesmoignages tardifs d'une amitié secrette,
Vous faites que Daphnis qui, sans fin, la regrette,
D'un aymable penser soulage ses tourmens.
La peut-il désormais blasmer d'ingratitude;
Puisque par un baiser, qui dura trois momens,
Elle rescompensa trois ans de servitude…

Le Recueil des Sonnets est suivi, dans le volume de 1646, d'un Recueil d'Épigrammes, et tous les critiques sont d'accord pour reconnaître en Gombauld le rival de Maynard. Tallemant lui-même, qui dit froidement des œuvres du poëte son ami: «C'est tout ce qu'il pourra faire que de vivre…» avoue que ses Épigrammes ont une valeur réelle. «Gombauld, dit Furetière dans sa Nouvelle allégorique des troubles du royaume d'Éloquence, tira aussi des montagnes épigrammatiques trois compagnies de chevau-légers de petite taille, mais qui combattoient avec une merveilleuse vivacité, et qui avoient des traits fort dangereux, qu'ils lançoient avec une adresse non pareille. Il s'en étoit servi à démembrer la principauté qu'y avoit auparavant usurpée le président Maynard…» L'abbé de Marolles, qui traite d'excellentes les petites pièces de notre académicien, n'hésite pas à mettre «M. Maynard, M. Bautru et M. de Gombauld, entre les poëtes françois à qui nos voisins ne sçauroient contester les avantages de la primauté à l'égard de l'épigramme, et qui n'en doivent guères aux anciens…» De Marolles était ami de Gombauld, et nous citerons plus volontiers comme impartial le jugement de l'auteur d'un Traité de l'Épigramme, Richelet, qui, après avoir apprécié le talent de Maynard et de Brébeuf, s'exprime ainsi: «Les Épigrammes de Gombauld valent mieux que tout ce qu'il a fait. Les vers en sont naturels, et les pointes de la plupart fines et ingénieuses. D'Aceilly est facile et éveillé. Il n'a pas tant d'Épigrammes à la grecque que Gombauld, mais il n'est pas si juste, ni si françois…»; enfin, dans la notice spéciale consacrée à Gombauld, en tête de l'extrait de ses œuvres, on assure que ses Épigrammes ont fait beaucoup de tort à celles de Fr. Maynard: «elles roulent ordinairement sur les mœurs corrompues de son siècle; elles ont beaucoup de naturel, et ne manquent pas de finesse et de délicatesse de pensée…»

Tel est l'avis des critiques contemporains. Parmi ceux du siècle dernier, l'abbé Goujet se range volontiers à l'avis de ses devanciers; il ajoute même que le fameux vers de Boileau ne s'applique pas aux Épigrammes. «On les lit encore avec plaisir, dit-il, et on les lira apparemment toujours.» L'abbé Sabathier, fort sévère pour le pauvre Gombauld, accorde à plusieurs de ces petites pièces du naturel et de la vivacité; mais La Harpe fait une charge à fond, dans son Lycée, contre le Recueil de notre académicien. «Gombauld et Malleville, dit le célèbre critique, furent plutôt des écrivains ingénieux que des poëtes, surtout le premier, qui nous a laissé un Recueil d'Épigrammes ou plutôt de bons mots. Il est bien vrai que Boileau a dit:

L'épigramme plus libre, en son tour plus borné,
N'est souvent qu'un bon mot de deux rimes orné.

Mais, sans blesser le respect dû au législateur du Parnasse, osons dire que cette définition ne caractérise guère que l'Épigramme médiocre. Celle dont Marot a donné modèle, surpassé depuis par Racine et Rousseau, doit être piquante par l'expression comme par l'idée. L'épigramme a son vers qui lui appartient en propre, et ceux qui en ont fait de bonnes (ce qui n'est pas extrêmement rare) le savent bien. Gombauld ne le savait pas, et c'est ce qui fait que ses Épigrammes sont oubliées.

Et Gombauld tant loué garde encor la boutique…

disait Boileau, et, depuis ce temps, elles n'en sont pas sorties. Celle-ci m'a paru une des meilleures:

Gilles veut faire voir qu'il a bien des affaires.
On le trouve partout, dans la presse, à l'écart.
Mais ses voyages sont des erreurs volontaires,
Quoiqu'il aille toujours, il ne va nulle part[43]

[43] La Harpe.—Cours de Littérature, édit. stéréotype, IV, 248-249.

Nous sommes loin de souscrire au jugement de La Harpe, qui nous semble beaucoup trop exclusif en prenant pour type unique de l'épigramme celle de Marot ou celle de J.-B. Rousseau. Il exclut absolument de ce genre de poésie l'épigramme à la grecque, qui souvent ne manque ni de grâce ni de finesse; et la prétention de vouloir exiger absolument pour ces petites pièces la langue marotique nous paraît quelque peu draconienne. Pour notre part, nous avons lu avec grand plaisir le Recueil des Épigrammes de Gombauld, et nous ne croyons pas abuser de la patience du lecteur en citant quelques-uns de ces petits morceaux.

Après la boutade suivante, qui ouvre le Recueil, et rappelle un peu le style romantique de nos modernes:

Damon, je ne veux point escrire
A ceux qui ne veulent point lire.
Dans un siècle dur comme un roc,
La Prose et les Vers sont au croc:
Car le monde leur fait la nique,
Et, selon la foy platonique,
On peut croire, sans croire mal,
Que le monde est un animal…

voici plusieurs pièces un peu plus calmes, mais dont le style est toujours énergique:

I

Nos enfans, Messieurs et Mesdames,
A quinze ans passent nos souhaits:
Tous nos Fils sont des hommes faits,
Toutes nos Filles sont des femmes.

II

Tu veux te défaire d'un homme,
Et jusqu'ici tes vœux ont été superflus.
Hazarde une petite somme:
Prête-luy trois loüys; tu ne le verras plus.

III

Apprenez, sans que je vous nomme,
Le tort que le monde vous fait,
Car vous estes riche en effet,
Et l'on vous tient pour un pauvre homme.

Le P. Bouhours, dans sa Manière de bien penser des ouvrages d'esprit, cite comme un chef-d'œuvre de naïveté l'épigramme suivante:

Colas est mort de maladie,
Tu veux que j'en plaigne le sort:
Que diable veux-tu que j'en die?
Colas vivoit, Colas est mort.

«Après tout, reprit Philante, ces pensées, toutes naïves qu'elles sont, ne laissent pas d'avoir un peu d'antithèse. Vivre, mourir, fait un petit jeu qui égaye la chose.—La naïveté, dit Eudoxe, n'est pas ennemie d'une certaine espèce d'antithèses qui ont de la simplicité selon Hermogène, et qui plaisent mesme d'autant plus qu'elles sont plus simples: elle ne hait que les antithèses brillantes et qui jouent trop…»

Gombauld a mêlé à son Recueil quelques épigrammes à la grecque, qui ne sont, à proprement parler, que des madrigaux: tels le quatrain destiné à la Guirlande de Julie, et le suivant, qui date de la cour de Marie de Médicis.


A Philis, parée pour aller au ballet des Déesses:

Ces Déesses qui sont ornées
D'appas et de charmes si doux,
Seront tantôt bien étonnées
De se trouver toutes en vous.

Gombauld avait fait peu d'épigrammes dans sa jeunesse: il les composa surtout dans son âge mûr, et pendant sa vieillesse. Dix ans après cette publication, il en donna un volume entier en 1656: nous en parlerons bientôt, et nous aurons lieu de remarquer combien toutes celles qui datent de cette époque sont violentes et misanthropiques. Les malheurs de sa propre existence furent les sources de son inspiration.

Nous dirons peu de choses du volume de Lettres, publié par Gombauld en 1647: sa prose est bien loin de valoir ses vers; et si ces quelques pages, aujourd'hui complétement tombées dans l'oubli, ne nous fournissaient un certain nombre de détails biographiques intéressants, sur lui-même et sur plusieurs de ses contemporains, nous n'en parlerions même pas. «Il n'y a ni sel ni sauge à ses Lettres imprimées, qu'il croit autant de chefs-d'œuvre,» dit Tallemant des Réaux; et le bibliographe contemporain Sorel se borne à les citer avec celles de Plassac, de Porchères, de Théophile…, en disant qu'elles traitent de sujets très-divers, et que chacun de ces auteurs «a très-bien réussi selon sa capacité[44]». Nous avons patiemment parcouru ce petit volume, dédié à Monseigneur (sans aucune autre dénomination), et qui contient cent quarante-huit Lettres «de sujets très-divers,» selon l'expression de Sorel: les unes philosophiques, les autres littéraires, celles-ci amoureuses, celles-là sans caractère déterminé; ici une simple correspondance ordinaire, là des remerciements au sujet de l'Endymion… Nous remercions Gombauld de les avoir publiés, parce que c'est une mine de renseignements pour le chercheur curieux; mais on ne pourrait en supporter longtemps la lecture suivie: on y fera quelques recherches utiles; il ne faut leur demander rien davantage. Elles sont cependant adressées à des personnages de renom: à Mme des Loges, à M. d'Andilly, aux maréchaux de Bassompierre et d'Ornano, aux marquis d'Uxelles, de Rambouillet, de Théobon ou de La Moussaye, à Mme de Beringhen, à la maréchale de Thémines, à Conrart, à Boisrobert, à l'abbé de Cérisy, à M. de Charleval, à l'abbé de Châtillon, etc. Mais «le sieur de Gombauld,» malgré ses hautes relations, n'a pu réussir à nous charmer en prose; et le fragment que nous avons cité plus haut d'une de ses Lettres à Boisrobert suffit pour donner un spécimen de son style épistolaire.

[44] Sorel.—Bibliothèque française, p. 102.

Les deux livres de Gombauld se vendirent assez bien, en particulier le Recueil des poésies: mais, malgré le produit de cette vente, le pauvre gentilhomme ne pouvait parvenir à soutenir son rang; et cela était dur pour un amant des belles manières de l'ancienne Cour. Un peu avant le blocus de Paris, vers la fin de l'année 1648, «Chapelain et Esprit, raconte Tallemant, voyant que Mme de Longueville goustoit fort ses ouvrages, firent en sorte que, du consentement de M. de Longueville, elle offrît de luy donner six cens livres, je pense, de pension. Le bonhomme, qui en avoit besoing, n'en vouloit pas pourtant, luy qui n'avoit que les deux cens escus du Sceau; ce n'estoient point bienfaits du Roy: on eut une peine enragée. Il appeloit cela une servitude; que jusques-là il avoit pu se vanter qu'il avoit esté libre, qu'il estoit l'homme libre du Roy, et que c'estoit, s'il l'osoit dire, en cette qualité qu'il en recevoit pension[45]…»

[45] Tallemant.—Historiettes, III, 468.

Ce trait est caractéristique, et M. Pierre Barbier n'hésite pas, devant un pareil témoignage, à appliquer à Gombauld ce que Sainte-Beuve dit quelque part de l'un de ses plus illustres compatriotes, d'Aubigné, calviniste et Saintongeois comme lui, «type accompli de la noblesse ou plutôt de la gentilhommerie protestante française, brave, opiniâtre, raisonneuse et lettrée, guerroyante de l'épée et de la parole, avec un surcroît de point d'honneur et un certain air de bravade chevaleresque ou même gasconne qui est à lui[46].» C'était en effet un gentilhomme de race que notre Sonneur de sonnets, mettant au-dessus de tout son Dieu, son Roi et sa Dame, et ne transigeant ni avec l'ambition ni avec l'intérêt, pour chercher des accommodements avec sa foi. Aussi devons-nous croire complétement le chroniqueur, quand il ajoute ce correctif au trait précédent: «… On descouvrit que ce qui le fascha le plus, c'estoit de n'avoir que six cens livres où M. Chapelain avoit deux mille francs[47], et qu'il eust esté plus satisfait qu'on eust mis quatre cens escus et qu'on ne luy en eust donné que deux cens…—Il fit des vers à la femme et au mari, dit encore Tallemant, et il a bien du mal au cœur d'avoir fait, ce luy semble, des laschetez ou des bassesses pour rien.»

[46] Sainte-Beuve.—Causeries du Lundi, t. X.

[47] Pour composer à loisir le poëme de la Pucelle en l'honneur de la maison de Longueville et de Dunois.

En effet, il ne toucha jamais un sou de cette pension, s'il faut en croire le chroniqueur, «et durant le blocus, Madame de Longueville ne s'informa pas seulement si ce pauvre homme avoit du pain; le chancelier (Séguier), cette fois-là, fist l'honneste homme, car, de Saint-Germain, il eut soing de luy faire payer sa pension. Gombauld l'en remercia en vers, et c'est une des meilleures choses qu'il ait faites[48]»…

[48] Tallemant, II, 469.

La situation du vieux poëte s'empira encore bien davantage quelque temps après, par suite des troubles politiques:

Enfin je n'ay plus d'ordonnances,
La Guerre a mis tout à l'envers.
Ceux qui gouvernent les finances
Ne sont point touchez de nos vers.
Divines Sœurs, soyez muettes,
Puisqu'on ne vous escoutte pas,
Et ne faites plus de Poëtes,
Ou faites-leur des Mecenas![49]

[49] Gombauld.—Recueil des Épigrammes de 1656, p. 164.

Les sceaux ayant été retirés au chancelier Séguier le 2 mars 1650, la pension que Gombauld tenait de lui depuis 1634 se trouva supprimée par là même, et il fallut employer près du nouveau garde des sceaux, Châteauneuf, tout le crédit d'amis puissants pour arriver à la faire rétablir. Tallemant raconte à ce sujet un trait fort à l'honneur du poëte Benserade. «La plus raisonnable action que Benserade ait faitte en sa vie, dit-il, ce fut que, M. de Chasteauneuf ayant esté fait garde des Sceaux pour la seconde fois en 1650, il fist en sorte que la pension que Gombauld avoit sur le Sceau fût continuée. Il estoit des amys de Madame de Leuville, femme du nepveu du garde des sceaux, et il le fit agir comme il fallut; après, il écrivit un billet à Gombauld, sans signer, par lequel on l'avertissoit que l'affaire estoit faitte, et qu'il en avoit l'obligation à Madame de Leuville, à Madame de Villarseaux, sa belle-sœur, à Madame de Vaucelas et au président de Bellièvre, et ne parloit point de luy[50].» Le chroniqueur cite encore ailleurs Mesdames de Chaulnes-Villeroy, de Rodes, de Boisdauphin, comme ayant été, avec Madame de Leuville, les intermédiaires qui obtinrent le rétablissement de la pension du poëte; et il ajoute: «Gombauld fut fort empesché comment les louer toutes quatre.—On dira, disoit-il, que c'est un quatorze de dames[51].»—Et plus loin: «Ce fut Conrart qui l'avertit que le trésorier du Sceau avoit de l'argent à luy donner de la part de M. de Chasteauneuf. Il y fut. Conrart luy demanda.—Hé bien!—Ce trésorier brutal, répondit-il, m'a voulu faire accroire que je ne sçavois pas escrire. Il m'a dit…—Mais avez-vous touché?—Il n'y a que moy qu'on traitte ainsy.—Mais avez-vous touché?—… On eut bien de la peine à lui faire dire ouy…—J'ay honte, disoit-il, d'avoir receu seul; d'autres qui le méritent mieux n'ont rien eu: il me semble que je leur escroque.»

[50] Tallemant, V, 13.

[51] Tallemant, II, 470.

Voilà un scrupule fort honorable, et Gombauld est très-heureux d'avoir eu un ami tel que Tallemant, qui se soit chargé de rapporter tous les traits nécessaires pour donner à son caractère une vigoureuse et haute physionomie.

Peu de temps après, vers 1653, on réussit à obtenir un nouveau subside pour Gombauld, et, cette fois, ce fut le surintendant Servien, membre de l'Académie, comme Séguier, qui devint le bienfaiteur du poëte. Qu'on nous pardonne de citer encore Tallemant à ce sujet; son récit se termine par un de ces traits dont nous venons de parler et qui sont fort précieux pour un biographe: «Pour subsister, Ménage vendit une terre qu'il avoit eue à partage, à M. Servien, qui luy fit la rente de l'argent au denier 18. En ce temps-là, on le pria de faire quelque chose pour le bonhomme Gombauld. Servien promit de luy faire toucher 1,500 livres: mais il ne se hastoit pas autrement. Ménage luy déclara qu'il ne signeroit point le contrat de vente de cette terre, qui estoit à la bienséance de Sablé[52], qu'il ne luy tinst parole touchant M. de Gombauld. Et cela fut fait: mais il l'a tant chanté, que Gombauld ne put s'empescher de faire cette épigramme; car, quoiqu'il ne l'ayt point monstrée, et qu'il le nie comme beau meurtre, je suis certain que c'est ce qui luy en a fait venir la pensée. La voicy:

[52] Dont Servien était marquis.

Si Charles, par son crédit,
M'a fait un plaisir extresme,
J'en suis quitte; il l'a tant dit,
Qu'il s'en est payé lui-mesme[53]

[53] Tallemant, IV, 211.

Il est vrai que Ménage s'appelait Gilles et non pas Charles; mais cela déguise peut-être mieux le personnage. Du reste, les auteurs du Recueil des plus belles Épigrammes des poëtes français, qui reproduisent cette petite pièce, remarquent avec raison «qu'il semble que la pensée en soit fausse: car, enfin, l'indiscrétion d'un homme qui nous aura fait un plaisir n'empêche pas que nous n'ayons receu de luy ce plaisir, et que nous ne luy en ayons l'obligation…» Quoi qu'il en soit, si Gombauld ne montra pendant quelque temps cette épigramme qu'à de rares amis, comme on peut le conclure du récit de Tallemant, il la trouva si piquante, qu'il ne pût s'empêcher de l'insérer dans son Recueil complet des Épigrammes qu'il publia en 1656. Elle y figure, en effet, au no 85 du premier livre, et ceci nous amène à parler du nouvel ouvrage du poëte saintongeois.

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