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J. Ogier de Gombauld, 1570-1666: étude biographique et littéraire sur sa vie et ses ouvrages

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Entrons maintenant au théâtre de l'hôtel de Bourgogne, payons notre «teston» et, d'abord, écoutons le Prologue que le poëte, suivant l'usage de cette époque, a placé en tête de son ouvrage.—Nous ne le citerions point, s'il n'y était fait une allusion directe à Marie de Médicis. Gombauld représente l'Aurore venant faire aux spectateurs une déclaration pompeuse en l'honneur des hôtes du Louvre. Cela s'adapte peu au sujet, mais la mode est souveraine; et l'Aurore a beau s'écrier qu'elle est

L'Aurore d'Amaranthe et celle du Soleil,

on ne s'explique guère comment cette Aurore a la prétention de représenter Marie de Médicis elle-même, ni à quel propos elle débite ses tirades:

Tous les feux de la Nuict devant moi se retirent,
Les Dieux, voyant ma gloire, incessamment souspirent,
Et ne peuvent souffrir, envieux et jaloux,
Qu'une beauté si jeune ayt un si vieil époux.
..... ......... ......
Voicy les bois sacrez, où, si plein de jeunesse,
Tithon fut autresfois digne d'une déesse;
Où, le ciel le comblant de ses dons infinis,
Je craignois que Vénus le print pour Adonis.

On sait en effet que Tithon-Henri IV avoit vingt-trois ans de plus que Marie, et l'on peut se demander si ce rapprochement est des plus flatteurs: mais voici des allusions encore plus transparentes au sujet de Céphale, qui pourrait bien être le poëte lui-même:

Pour le suivre aux forests, bien souvent on présume
Que j'amène le jour plus tost que de coustume.
Mais d'un plus grand esclat tous mes sens éblouys
Quitteroient volontiers Céphale pour Louis.
Toutesfois un bel Astre[22] allume son courage,
Et sa Reine aujourd'huy me porte en son visage…

[22] Anne d'Autriche.

Ce dernier vers, qui porte beaucoup trop l'empreinte de l'École précieuse, est un sacrifice fait au goût du temps: on trouve peu de ces taches dans l'œuvre de Gombauld, dont la versification a, en général, beaucoup de fermeté: il est vrai qu'elle n'est pas toujours également soutenue. Mais laissons le Prologue.

Amaranthe est une bergère d'une merveilleuse beauté, que tous les bergers de Phrygie adorent, et qui les dédaigne tous; en sorte que sa cruauté les réduit au désespoir, et que dans les campagnes désolées, dont les échos retentissent de pleurs ou de soupirs, les autres bergères ne trouvent plus d'amants ni de maris. Cela devient une véritable calamité publique, d'autant plus que le père de la belle, le berger Daphnis, a jadis promis solennellement au riche Timandre de donner sa fille à son fils, Polydamon, disparu depuis quelques années, et que, pour ne point trahir sa promesse, il éconduit tous les soupirants. Mais les Dieux consultés déclarent qu'Amaranthe doit faire un choix entre tous les bergers; elle l'a déjà fait au fond de son cœur, car elle aime le berger Alexis, qui, malheureusement sans parents et sans biens, inconnu et jeté par un naufrage sur les côtes de Phrygie, ne peut pas aspirer à l'honneur de sa main. Cependant le jour fatal arrive où Amaranthe doit se prononcer; chacun des deux amants se désespère et prend pour confident de sa douleur un autre berger ou une autre bergère… On remarquera dans l'entretien d'Amaranthe avec la nymphe Delphise un passage fort curieux, tel qu'on en rencontra plus tard dans les innombrables poëmes épiques du commencement du règne de Louis XIV, et dans lequel Delphise, prédisant à la bergère le brillant avenir de sa race future, représente un tableau frappant de la famille de Louis XIII. Cette fois, Amaranthe elle-même n'est autre que Marie de Médicis:

Diane te veut orner d'une race féconde
De bergers, qui de rois doivent peupler le monde.
Le premier de tes fils, le plus grand des bergers[23],
Sera l'amour des siens, la peur des étrangers:
Clément, victorieux, aux labeurs indomptable,
Aux crimes inflexible, aux monstres redoutable,
Il aura pour compagne, en beautés, un soleil
Qui sans lui n'auroit sçeu rencontrer un pareil.
Du second la splendeur sera bientôt ravie[24],
Et les Dieux aux mortels en porteront envie.
Mais un autre en sa place ira de toutes parts
Faire esclater les dons de Minerve et de Mars[25]
Elle ajoute à tes fils trois filles, trois merveilles…

[23] Louis XIII.

[24] Un second fils, mort jeune.

[25] Gaston d'Orléans.

Et ce tribut d'hommages rendu publiquement à la famille royale par le poëte courtisan, en reconnaissance de la faveur dont l'honorait la Reine-Mère, était accueilli par les applaudissements unanimes d'un public qui saisissait les moindres nuances de ses allusions.

Cependant Alexis rencontre la bergère, et, sachant bien qu'il ne peut être choisi, il lui dit qu'il n'a plus qu'à mourir. La fière Amaranthe qui ne veut pas lui faire encore l'aveu de son amour, mais ne veut pas non plus qu'il croie qu'elle en aime un autre, lui répond par ce noble discours:

Qui t'oblige à tenir ce funeste langage?
Est-ce donc un effet d'un généreux courage
D'estre sans résistance à l'effort des malheurs,
Et d'implorer la mort aux vulgaires douleurs?
Sur quoy peux-tu fonder ces plaintes insensées?
Sçais-tu bien mes desseins? Lis-tu dans mes pensées?
As-tu, par mes regards ou par mes actions,
Recogneu quelque objet de mes affections?
Es-tu de ces amans qui me portent envie,
Qui veulent, malgré moi, que je sois asservie?
Et viens-tu de si loin combler mal à propos
Le nombre des bergers qui troublent mon repos?
Quel oracle t'apprend qu'il faut que je responde,
Comme il plaist, à l'erreur qui déçoit tout le monde,
Et non pas au dessein de les esgaler tous
Et de n'avoir jamais ny d'amant ny d'époux?

Elle finit par avertir Alexis de ne pas se présenter avec les autres bergers, quand elle déclarera sa résolution:

Si tu n'es pris, au moins ne sois pas refusé!

«Ce vers est charmant, remarque M. Saint-Marc Girardin; c'est un aveu fait avec une délicatesse ingénieuse, digne des romans de Mme de La Fayette, mais qui ne se sent guère de la simplicité pastorale…» Ajoutons que le contact de l'hôtel de Rambouillet ne lui est pas étranger.

Un autre personnage vient compliquer l'action et la dramatiser: c'est celui d'Oronte, fille de Timandre, dont les passions ne sont guère de l'idylle et se rapprochent beaucoup, comme ce qui précède le dénouement, de la scène tragique. Bien qu'elle soit vouée au culte de Diane, Oronte aime Alexis et se désespère de le voir épris d'Amaranthe:

Je meurs pour un barbare insensible à mes charmes
Et qui n'est point troublé de soupirs ni de larmes…
Tantost, pour esmouvoir ce berger insensible,
J'ay fait par la douceur ce qui m'estoit possible,
Je n'ay rien espargné, luy montrant chaque jour
Sous le nom d'amitié tous les signes d'amour…
J'ay mesme bien souvent tasché de lui desplaire,
J'ay passé du mépris jusques à la colère,
J'ay condamné ses mœurs, contredit ses propos,
J'ay fait ce que j'ay peu pour troubler son repos.
Mais il mesprise, hélas! mon mespris et moi-mesme…

Pour se venger, elle fait rendre un oracle qui le condamne à mort, comme ayant tué un cerf consacré à Diane, que les bergers les plus agiles n'avaient pu voir que de loin, et dont la tête avait été proposée par Amaranthe, qui regardait pareil exploit comme impossible, pour prix de son cœur et de sa main.

Mais à peine Oronte a-t-elle exécuté sa vengeance, qu'elle s'en repent, et ses remords sont violents comme ses passions:

O Vengeance, d'abord douce et pleine de charmes,
Mais qui contre moi-mesme enfin tournes tes armes,
Et fais voir à celui qui s'est le mieux vengé
Qu'il est le plus coupable et le plus affligé!

Le moment fatal arrive: et voyant qu'Alexis va périr, Amaranthe regrette sa réserve d'autrefois, déclare qu'elle l'aime, et puisque les Dieux lui ont ordonné de faire entre tous les bergers un choix qu'ils ont promis de consacrer, elle le choisit malgré l'oracle qui veut l'immoler:

Non! non! s'il doit mourir, je mourray la première!

s'écrie-t-elle en changeant sa timidité en hardiesse devant le danger qui menace son amant.—Pourquoi, dit Alexis, veux-tu défendre celui que condamne la loi des cieux?… Alors s'engage entre tous les assistants ce que M. Barbier[26], dans son langage pittoresque, appelle une véritable lutte à coups de sentences philosophiques:

[26] Pierre Barbier, Études sur notre poésie ancienne.—Bourg, 1873, in-8o.

PALÉMON.

Mais les Divinités n'ont que de justes loix
Qui ne demandent pas les humains pour victimes…

LE GRAND PRÊTRE.

La volonté des Dieux nous tient lieu de raison…

Les hommes, répond Amaranthe, par un vers qu'on pourrait croire détaché d'une tragédie de Voltaire:

Les hommes font des loix qu'ils imputent aux Dieux!

Tout à coup arrive Timandre, de retour d'un long voyage sur mer: il reconnaît dans Alexis, Polydomon, ce fils depuis longtemps perdu; Oronte retrouvant un frère à la place de celui qu'elle aime, sent la jalousie s'éloigner de son cœur, révoque l'arrêt de la Déesse… et l'on devine l'heureux dénouement de ces longues péripéties.

Tel est l'exposé succinct d'une pastorale présentant assez bien, par ses côtés voisins de la tragédie, le type du genre dramatique de transition qui se laissa bientôt, par une pente insensible, absorber dans le genre cornélien. Il est certain qu'en 1625 on était peu habitué à entendre au théâtre des vers aussi nobles et aussi soutenus: aussi ne saurait-on trop insister sur l'honneur qui doit revenir à Mairet, à Gombauld et, quelques années plus tard, à Rotrou, d'avoir, bien avant Corneille, accentué un progrès véritable dans la poésie dramatique. Le Cid fit une nouvelle révolution, cela est vrai; mais depuis une quinzaine d'années on comptait ses précurseurs.

Après avoir insisté sur le côté romanesque et tragique de l'œuvre de Gombauld, il serait bon de dire un mot de son côté pastoral. Après le roman, l'églogue. Nous n'hésiterons pas à dire qu'à ce point de vue Gombauld se trouve bien inférieur à son ami Racan: l'affectation et la recherche font quelquefois tort à l'aimable simplicité de ses bergers. Ainsi ces deux vers:

Je revoi ces rochers et ces bois solitaires
Qui de tous mes pensers furent les secrétaires,

nous paraissent, quoiqu'ils soient défendus par Ménage, plus voisins de l'hôtel de Rambouillet que des rives de la Phrygie. Gombauld, dit l'abbé Goujet, a mis beaucoup trop d'esprit dans cette pastorale: il faut convenir cependant que «l'on y trouve, dans quelques endroits, tout le naturel qui convient à un genre bucolique. La versification n'en est pas égale. C'est un défaut ordinaire à Gombauld dans tous ses ouvrages un peu longs. Il ne se soutient que dans ses petites poésies: aussi n'en a-t-on presque point d'autres…»

Or, voici précisément dans l'Amaranthe de petits poëmes complets et bien détachés qui présentent les qualités vantées par le savant bibliographe. Ce sont les morceaux récités par les chœurs; car il y avait encore des chœurs à cette époque, et les strophes de rhythmes très-divers, récitées par ceux de l'Amaranthe, méritent une sérieuse attention. Telle cette ode sur les passions humaines que nous reproduisons tout entière:

Les passions humaines
Ont cet aveuglement
Que les plus grandes peines
Passent pour leur objet et pour leur élément.
Toujours l'esprit de l'homme
S'expose à la merci
Du mal qui le consomme;
Et semble qu'il ayt peur de manquer de souci.
Les ardeurs insensées
Des jeux et des amours
Et les vaines pensées
Luy viennent dérober les plus beaux de ses jours.
La soif intolérable
D'acquérir plus de bien
Le rend si misérable
Qu'il veut tout posséder et ne jouir de rien.
Enfin, la destinée
Par qui tout doit périr
Surprend l'âme estonnée
Qui sçait vivre à grand'peine, alors qu'il faut mourir.

Nous voudrions citer encore les strophes sur la beauté des Nymphes, sur l'Amour, sur la Jalousie…; mais il est temps de terminer cette longue étude sur l'une des œuvres principales du poëte saintongeois.


On a dû penser, en lisant les vers que nous avons cités de la pastorale de Gombauld, que l'influence de Malherbe n'avait pas été tout à fait étrangère au caractère sobre et châtié de sa poésie. Gombauld et Malherbe étaient en effet grands amis; ils se voyaient constamment à l'hôtel de Rambouillet et, parfois, ils avaient ensemble des entretiens fort savants qui roulaient sur la grammaire ou sur la versification. Pellisson nous a conservé le souvenir d'un de ces entretiens dans son Histoire de l'Académie française; et nous citerons ce passage pour montrer jusqu'à quel point le maître et le disciple poussaient la minutie de leurs discussions littéraires. L'Académie ayant eu à faire l'examen de quelques stances de Malherbe, on remarqua que dans le vers suivant:

L'infaillible refuge et l'assuré secours,

le grand poëte péchait contre ses propres règles; «car il tenoit pour maxime, dit Pellisson, que ces adjectifs qui ont la terminaison en é masculin ne devoient jamais être mis devant le substantif, mais après; au lieu que les autres qui ont la terminaison féminine, pouvoient être mis avant ou après, suivant qu'on le jugeroit à propos: qu'on pouvoit dire, par exemple, ce redoutable monarque, ou ce monarque redoutable; et, tout au contraire, qu'on pouvoit bien dire ce monarque redouté, mais non pas ce redouté monarque».—«Je n'ai pas pris cet exemple sans raison et à l'aventure, ajoute-t-il, car j'ai souvent ouï dire à M. de Gombauld qu'avant qu'on eût encore fait cette réflexion, M. de Malherbe et lui se promenant ensemble, et parlant de certain vers de Mlle Anne de Rohan, où il y avoit:

Quoi! faut-il que Henri, ce redouté monarque…

M. de Malherbe assura plusieurs fois que cette fin lui déplaisoit, sans qu'il pût dire pourquoi; que cela l'obligea lui-même (Gombauld) d'y penser avec attention, et que sur l'heure même en ayant découvert la raison, il la dit à M. de Malherbe, qui en fut aussi aise que s'il eût trouvé un trésor, et en forma depuis cette règle générale…» Ménage, dans ses Observations sur Malherbe, donne une variante au récit de Pellisson: «M. Gombauld, dit-il, m'a aussi souvent conté cet entretien qu'il eut avec M. Malherbe; mais non pas tout à fait de la sorte que M. Pellisson l'a rapporté: car il m'a dit que ce fut toujours luy qui s'aperçut que redouté monarque ne valoit rien.» Quoi qu'il en soit, ajoute Ménage, cette règle ou de Malherbe ou de Gombauld est absolument fausse; l'oreille seule est le véritable guide à ce sujet, et la plus délicate admettra toujours qu'on puisse dire l'infortuné Tyrsis, ou l'infortuné Ménalque.

L'hôtel de Rambouillet n'était pas le seul cercle de Paris où Gombauld se rencontrât avec Malherbe. L'un des plus renommés, après celui de la marquise, était le salon de Mme des Loges, femme d'un gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, la dixième muse, comme on l'appelait souvent: rivale de Mlle de Gournay, la fille d'alliance de Montaigne.

«Mme des Loges, dit Conrart, a fait sa demeure à Paris et à la Cour, durant vingt-trois et vingt-quatre ans, pendant lesquels elle a été honorée, visitée et régalée de toutes les personnes les plus considérables, sans en excepter les plus grands princes et les princesses les plus illustres. Toutes les muses sembloient résider sous sa protection ou lui rendre hommage, et sa maison étoit une académie d'ordinaire. Il n'y a aucun des meilleurs auteurs de ce temps, ni des plus polis du siècle, avec qui elle n'ait eu un particulier commerce, et de qui elle n'ait reçu mille belles lettres, de même que de plusieurs princes et princesses et autres grands. Il a été fait une infinité de vers et autres pièces à sa louange…»

Gombauld ne fut pas des moins ardents à célébrer les talents de cette femme célèbre; il composa même plusieurs Épigrammes à sa demande, et l'une de ces petites pièces de vers, connue sous le nom d'Impromptu de Madame des Loges, a fait quelque bruit dans le monde littéraire. C'était vers l'année 1621. Malherbe, raconte Balzac, dans le XXXVIIe de ses Entretiens, estoit un des plus assidus courtisans de Mme des Loges, «et la visitoit règlement de deux jours l'un». Se rendant à l'une de ces visites, et ayant trouvé sur la table du cabinet de la Dixième Muse le gros livre du ministre Du Moulin contre le cardinal du Perron, l'enthousiasme le saisit à la seule lecture du titre; il demanda une plume et du papier, puis écrivit ces dix vers:

Quoique l'auteur de ce gros livre
Semble n'avoir rien ignoré,
Le meilleur est toujours de suivre
Le prosne de nostre curé.
Toutes ces doctrines nouvelles
Ne plaisent qu'aux folles cervelles.
Pour moi, comme une humble brebis,
Sous la houlette je me range:
Il n'est permis d'aimer le change
Que des femmes et des habits…

Mme des Loges ayant lu les vers de Malherbe, piquée d'honneur, prit la même plume, et de l'autre côté du papier écrivit:

C'est vous dont l'audace nouvelle
A rejeté l'antiquité;
Et du Moulin ne vous rappelle
Qu'à ce que vous avez quitté!
Vous aimez mieux croire à la mode:
C'est bien la foi la plus commode
Pour ceux que le monde a charmez!
Les femmes y sont vos idoles:
Mais à grand tort vous les aimez,
Vous qui n'avez que des paroles…

Telle est l'histoire racontée par Balzac, et l'on peut se demander comment Gombauld y joue le moindre rôle. C'est que Balzac, paraît-il, s'est complétement trompé d'attribution de personnages. «Depuis cette Note écrite et imprimée, dit Ménage, dans ses Observations sur Malherbe, j'ay su de M. de Racan que c'étoit luy qui avoit fait ces vers que M. de Balzac attribue à Malherbe, et que Gombauld avoit fait ceux que donne Balzac à Mme des Loges; et que la chose s'étoit passée de la manière que je vais la raconter. Mme des Loges, qui étoit de la religion prétendue réformée, avoit presté à M. de Racan le livre de Du Moulin, le Ministre, intitulé: Le Bouclier de la foi, et l'avoit obligé de le lire. M. de Racan, après l'avoir lu, fit sur ce livre cette Épigramme que M. de Balzac a altérée en plusieurs endroits:

Bien que Du Moulin en son livre…

»L'aïant communiquée à Malherbe qui l'étoit venu visiter dans ce temps-là, Malherbe l'écrivit de sa main dans le livre de Du Moulin, qu'il renvoya au mesme temps à Mme des Loges de la part de M. de Racan.

»Mme des Loges, voyant ces vers écrits de la main de Malherbe, crut qu'ils estoient de lui; et comme elle estoit extraordinairement zélée pour sa religion, elle ne voulut pas qu'ils demeurassent sans réponse. Elle pria Gombauld qui estoit de la mesme religion, et qui avoit le mesme zèle, d'y répondre. Gombauld (je le sais de luy-mesme) qui croyoit, comme Mme des Loges, que Malherbe estoit l'auteur de ces vers, y répondit par l'Épigramme que M. Balzac attribue à Mme des Loges, et qu'il trouve trop gaillarde pour une femme qui parle à un homme…» Cet épisode des mœurs littéraires de l'époque nous a paru assez intéressant pour qu'il méritât d'être reproduit textuellement dans notre étude.

Malherbe ne devait pas jouir bien longtemps encore de la société de Mme des Loges et de celle de Racan et de Gombauld. Il mourut en 1629, et quelques mois plus tard, Mme des Loges, qui s'était trouvée mêlée à quelques intrigues politiques, craignit la colère de Richelieu, tout-puissant depuis son élévation au ministère en 1624, et quitta la capitale pour aller demeurer en province chez une de ses belles-filles. Elle ne revint à Paris qu'en 1636.

Gombauld se trouvait donc ainsi réduit aux seules réunions de l'hôtel de Rambouillet, en dehors des petits cercles plus ou moins inconnus, qui se tenaient alors sur tous les points de Paris, et dont la mansarde de Mlle de Gournay peut présenter le type. Mais, à ce moment même, une nouvelle société se forma, dont Gombauld fut l'un des premiers membres, et qui devait plus tard donner naissance à l'Académie française. Nous voulons parler des «réunions Conrart».

Conrart, l'arbitre de la critique à cette époque, était, depuis 1620 environ, l'hôte assidu de l'hôtel de Rambouillet. Protestant comme Gombauld, il devait tout naturellement se lier avec l'auteur d'Amaranthe, et leur amitié dura jusqu'à la mort. On connaît assez, par l'intéressant récit de Pellisson, ce qu'étaient ces réunions intimes, dans lesquelles dix littérateurs de renom, Chapelain, Godeau, Conrart, Malleville, Gombauld, etc., se communiquaient leurs impressions réciproques sur les événements littéraires d'alors, pour que nous n'ayons pas besoin de nous étendre longuement sur ce sujet. Nous dirons seulement qu'après trois années d'une tranquillité complète, le petit cercle se trouva tout d'un coup lancé dans un courant d'idées tout à fait imprévu. Le secret des réunions ayant été trahi par Malleville, parvint aux oreilles de Boisrobert, puis, sans tarder, à celles de son maître le cardinal de Richelieu. Celui-ci résolut d'en tirer parti pour sa gloire, et l'Académie française fut fondée.

Ceci se passait vers 1633; mais, dans l'intervalle, de graves événements s'étaient accomplis qui devaient avoir une influence considérable sur les destinées de notre poëte. La Reine-Mère, après la Journée des Dupes, vit son crédit complétement ruiné devant celui de son ancienne créature; et bientôt elle dut prendre le chemin de l'exil. Ce fut un véritable désastre pour le pauvre Gombauld, dont la pension, qui avait été réduite à huit cents écus, descendit à quatre cents, après le départ de Marie de Médicis. Heureusement pour lui, des amis puissants lui restaient, ceux en particulier qu'il s'était faits dans le salon de Mme de Rambouillet; sa bonne étoile le servit encore cette fois, et celui qu'on put appeler dès lors le pauvre gentilhomme, sut cependant obtenir des entrées fort libres au palais du Cardinal, et gagner les faveurs de l'ennemi de son ancienne protectrice. Nous entrons ici dans une seconde phase de sa vie très-distincte de la première.

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