Journal de Eugène Delacroix, Tome 2 (de 3): 1850-1854
[41] Penguilly L'Haridon.
[42] Emmanuel Fremiet, sculpteur animalier, né en 1824, neveu et élève de Rude. De tempérament fort différent de celui de Rude, il ne put rester longtemps dans son atelier. Il devint, avec Mène et Cain, un des rivaux de Barye.
[43] Voir ce que nous avons dit dans notre Étude sur la constante et inébranlable admiration de Delacroix pour le génie de Rubens. Dans sa lettre sur les concours dont nous parlons plus haut, Delacroix écrivait: «Une idée ridicule s'offre à moi. Je me figure le grand Rubens étendu sur le lit de fer d'un concours. Je me le figure se rapetissant dans le cadre d'un programme qui l'étouffé, retranchant des formes gigantesques, de belles exagérations, tout le luxe de sa manière.»
Dimanche 1er février.—Pierret m'apprend que les belles tapisseries se sont vendues à deux cents francs pièce: il y en avait là de très belles et des Gobelins, avec des fonds d'or. Un chaudronnier les a achetées pour les brûler et en retirer le métal.
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Lundi 2 février.—Mme Sand[44] arrivée vers quatre heures... Je me reprochais, depuis qu'elle est ici, de n'avoir pas été la voir. Elle est fort souffrante, outre sa maladie de foie, d'une espèce d'asthme analogue à celui du pauvre Chopin.
—Le soir chez Mme de Forget.
—J'ai à peu près terminé, dans la journée, le petit samaritain pour Beugniet[45]. Le matin, trouvé à peu près sur la toile la composition du plafond de l'Hôtel de ville.**
Je parlais à Mme Sand de l'accord tacite d'aplatissement et de bassesse de tout ce monde qui était si fier il y a peu de temps: l'étourderie, la forfanterie générale, suivie en un clin d'œil de la lâcheté la plus grande et la plus consentie. Nous n'en sommes pas encore cependant au trait des maréchaux, en 1814, avec Napoléon; mais c'est uniquement parce que l'occasion ne s'en présente pas. C'est la plus grande bassesse de l'histoire.
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Mardi 3 février.—Dîné chez Perrin avec Morny, Delangle, Romieu, Saint-Georges, Alard, Auber, Halévy, Boilay[46], aimables gens: sa femme et sa belle-sœur. Cette dernière que j'ai vue pour la première fois est une femme fort aimable et dont les yeux sont charmants; elle peint et m'a beaucoup parlé de peinture.
Je suis parti très tard avec Auber et Alard. Reconduit ce dernier jusqu'au Palais-Bourbon par le plus beau clair de lune: il m'a raconté des proverbes de sa façon: L'homme qui raconte la prise de la Bastille, etc.
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Mercredi 4 février.—Chez Boilay, en sortant de chez le ministre. Revu là avec plaisir la fille d'Hippolyte Lecomte[47]. Mocquart[48] y est venu; il a raconté avec emphase des particularités sur Géricault. Parlant de la présence de Mustapha[49] à l'enterrement, il a fait une description pittoresque de la douleur de ce pauvre Arabe, qui s'était, disait-il, prosterné la face contre terre sur la tombe. Le fait est qu'il n'en fut rien et qu'il resta à distance, non sans produire un effet touchant sur l'assistance. Mocquart prétend qu'A.....n'y vint pas, et lui en fait un sujet grave de blâme. Il me semble que mes souvenirs le justifient, et je crois le voir encore avec un surtout blanchâtre. J'aime mieux, pour lui, croire à ma mémoire qu'à celle Mocquart.
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Samedi 7 février.—En sortant de Saint-Germain l'Auxerrois—enterrement Lahure—j'ai rencontré, sur le quai, Cousin qui allait à Passy. J'avais rendez-vous au ministère, et j'allais, à pied, causer avec Romieu. J'ai accompagné Cousin jusqu'à la barrière des Bonshommes, à travers les Tuileries et le long de l'eau. Ensuite longue conversation: il m'a amusé en me parlant des relations intimes de personnes de notre connaissance à tous deux. «Thiers[50], m'a-t-il dit, a le talent et l'esprit que tout le monde sait; mais autour d'un tapis vert, et la main au timon de l'État, il est au-dessous de tout. Guizot de même, et ne le vaut pas pour le cœur.» Il m'en a donné la plus mauvaise idée. J'irai peut-être le voir à la Sorbonne.
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Dimanche 8 février.—Chez Halévy le soir. Peu de monde.—J'avais travaillé toute la journée à finir mes petits tableaux: le Tigre et le Serpent[51], le Samaritain[52], et travaillé à mon esquisse de mon plafond de l'Hôtel de ville[53].
—Halévy disait qu'on devrait écrire, jour par jour ce qu'on voit et ce qu'on entend. Il l'a essayé plusieurs fois comme moi, et il eu a été dégoûté par les lacunes que l'oubli ou les affaires vous forcent à laisser dans votre journal...
Se rappeler l'histoire de l'homme qui mettait son doigt dans tous les trous, et que cette singularité avait fait remarquer. Il se trouva, sans beaucoup de titres, porté sur une liste de gens de la Cour qui sollicitaient un régiment. Louis XV, en voyant son nom, demande: « Est-ce ce gentilhomme qui met son doigt dans les trous?—Oui, Sire!—Eh bien, je lui donne le régiment.»
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Lundi 9 février.—Soirée chez M. Devinck[54]. J'ai trouvé là M. Manceau, qui m'a entretenu longuement du conseil municipal[55]. Ces gens-là ont l'air de croire qu'on peut faire le bien entre gens réunis pour discuter.
L'allégorie des hommes qui forgent le même fer représente assez bien l'idéal d'un gouvernement auquel concourent plusieurs personnes. Malheureusement, ce n'est qu'une image propre pour un tableau. Depuis le peu de temps que je suis là, je me suis convaincu que la raison avait peu d'ascendant, qu'un rien le rendait maussade, malgré tous les soins de la présenter du côté séduisant. L'entraînement, la vanité conduisent les meilleures têtes. Dans la question du chauffage de l'hôpital du Nord, deux systèmes étaient en présence: le plus spécieux était celui d'une imposante commission de savants et défendu avec beaucoup d'éloquence par notre confrère Pelouze[56], savant lui-même et partisan de la théorie en général. Les bonnes têtes se rangeaient évidemment pour ce système si bien défendu. L'autre avait l'air de l'être par des gens intéressés. Sur cela, Thierry[57] veut en introduire un troisième qui est repoussé avant d'avoir été entendu. Que croyez-vous que fût au fond l'opinion de la plupart des membres et de Thierry lui-même, comme je l'ai su, en le leur demandant? Exactement la même que je croyais m'être propre à moi seul, à savoir que les appareils de chauffage, comme on les fait, sont bons pour des corridors, pour des lieux de passage et de circulation, mais que la difficulté de modérer et de conduire cette chaleur la rend nuisible ou insuffisante dans les chambres des malades, dortoirs, et que le feu, en définitive, dans les bons poêles, de bon bois dans de bonnes cheminées est le meilleur de tous les chauffages. C'est ce que nous nous disions tous à l'oreille. La somme nécessaire cependant pour un gigantesque établissement d'appareils était votée, et avec ce prix on aurait eu du bois ou du charbon pour chauffer vingt ans l'hôpital.
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Mardi 10 février.—Soirée chez M. Chevalier, rue de Rivoli, dans des appartements très splendides au premier. Détestables tableaux sur les murs, livres magnifiques dans des armoires qu'on n'ouvre pas plus que les livres. Point de goût. J'y ai vu Mme Ségalas[58], qui m'a rappelé que nous ne nous étions pas rencontrés depuis 1832 ou 1833, chez Mme O'Reilly. C'est là aussi et chez Nodier[59] d'abord, que j'ai vu pour la première fois Balzac[60], qui était alors un jeune homme svelte, en habit bleu, avec, je crois, gilet de soie noire, enfin quelque chose de discordant dans la toilette et déjà brèche-dent. Il préludait à son succès.
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Vendredi 13 février.—Occupé tous ces jours-ci de mes compositions pour l'Hôtel de ville.
Aujourd'hui à l'Hôtel de ville, où je me suis senti singulièrement troublé, quand j'ai fait un mince rapport sur les peintures à restaurer à Saint-Severin et à Saint-Eustache; j'étais sous l'impression d'un malaise et d'une lourdeur de tête qui m'en ont fait omettre les trois quarts.
Convoqué pour voir les projets de Lehmann[61].
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Samedi 14 février.—Dîné chez le préfet. Je devais le soir mener Varcollier chez Chabrier; il n'a pu venir.
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Dimanche 15 février.—Symphonie en sol mineur de Mozart, au concert Sainte-Cécile. J'avoue que je m'y suis ennuyé un peu.
Le commencement (et je crois un peu que c'était parce que c'était le commencement), indépendamment du vrai mérite, m'a fait beaucoup de plaisir. L'ouverture et un finale d'Obéron[62]. Ce fantastique de l'un des plus dignes successeurs de Mozart a le mérite de venir après celui du maître divin, et les formes en sont plus récentes. Ça n'a pas encore été aussi pillé et rebattu par tous les musiciens, depuis soixante ans.—Chœur de Gaulois par Gounod, qui a tout l'air d'une belle chose; mais la musique a besoin d'être appréciée à plusieurs reprises.
Il faut aussi que le musicien ait établi l'autorité ou seulement la compréhension de son style par des ouvrages assez nombreux. Une instrumentation pédantesque, un goût d'archaïsme donnent quelquefois dans l'ouvrage d'un homme inconnu l'idée de l'austérité et de la simplicité. Une verve quelquefois déréglée, soutenue de réminiscences habilement plaquées et d'un certain brio dans les instruments, peut faire l'illusion d'un génie fougueux emporté par ses idées et capable de plus encore. C'est l'histoire de Berlioz; l'exemple précédent s'appliquerait à Mendelssohn. L'un et l'autre manquent d'idées, et ils cachent de leur mieux cette absence capitale par tous les moyens que leur suggèrent leur habileté et leur mémoire.
Il y a peu de musiciens qui n'aient trouvé quelques motifs frappants. L'apparition de ces motifs dans les premiers ouvrages du compositeur donne une idée avantageuse de son imagination; mais ces velléités sont trop tôt suivies d'une langueur mortelle. Ce n'est point cette heureuse facilité des grands maîtres qui prodiguent les motifs les plus heureux souvent dans de simples accompagnements; ce n'est plus cette richesse d'un fonds toujours inépuisable et toujours prêt à se répandre, qui fait que l'artiste trouve toujours sous la main ce qu'il lui faut, et ne passe pas son temps à chercher sans cesse le mieux et à hésiter ensuite entre plusieurs formes de la même idée. Cette franchise, cette abondance, est le plus sûr cachet de la supériorité dans tous les arts. Raphaël, Rubens ne cherchaient pas les idées; elles venaient à eux d'elles-mêmes, et même en trop grand nombre. Le travail ne s'applique guère à les faire naître, mais à les rendre le mieux possible par l'exécution.
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Jeudi 19 février.—Dîné chez Desgranges. Le hasard me place encore auprès de Rayer: j'ai été étonné de sa sobriété. Je voudrais me rappeler plus souvent quelle est l'importance de cette vertu, surtout pour un homme qui se trouve dans le triste cas où je suis; ne mangeant qu'une seule fois par jour, il m'est bien difficile de ne pas être entraîné au delà des justes bornes par un appétit de vingt-quatre heures.
Réunion ennuyeuse au premier chef: la sottise du maître de la maison, l'inertie glaciale de sa femme auraient tenu en échec la plus communicative gaieté. J'ai vu chez lui le portrait du sultan Mahmoud en hussard, qui est la chose la plus grotesque du monde.
Je me suis échappé aussi vite que j'ai pu pour aller chez Bertin. Delsarte a chanté[63] et a ravi tout le monde. J'étais à côté d'un monsieur qui m'a appris qu'il avait assisté à la maladie et aux derniers moments de mon pauvre Charles[64]... Cruels détails! cruelle nature!
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Vendredi 20 février.—Dîné chez Villot. Ces dîners continuels me troublent beaucoup. Dîner servi plus que jamais à la russe. Tout le temps du service, la table est couverte de gimblettes, de sucreries; au milieu, un étalage de fleurs, mais nulle part la plus petite parcelle de ce qu'attend un estomac affamé quand il approche la table. Les domestiques servant pitoyablement et à leur fantaisie des morceaux de hasard, en un mot ce qu'ils dédaignent de se conserver pour eux-mêmes. Tout cela est trouvé charmant; adieu la cordialité, adieu l'aimable occupation de faire un bon dîner! Vous vous levez repu tant bien que mal, et vous regrettez votre dîner de garçon du coin de feu. Cette pauvre femme s'est jetée dans une habitude mondaine qui lui donne exclusivement comme société les gens les plus futiles et les plus ennuyeux.
Je me suis sauvé en évitant la musique pour aller chez mon confrère en municipalité Didot[65]. La promenade pour aller chez lui par un froid sec m'a réussi un peu. En arrivant, cohue, musique encore plus détestable, mauvais tableaux accrochés aux murs, excepté un, cet homme nu d'Albert Dürer, qui m'a attiré toute la soirée.
Cette trouvaille inespérée, le chant de Delsarte, la veille chez Bertin, m'ont fait faire cette réflexion qu'il y a beaucoup de fruit à retirer du monde, tout fatigant qu'il est et tout futile qu'il paraît. Je n'aurais eu aucune fatigue, si j'étais resté au coin de mon feu; mais je n'aurais eu aucune de ces souffrances qui doublent peut-être, par le rapprochement de la trivialité et de la banalité, des plaisirs que le vulgaire va chercher dans les salons.
V... était là. Il ne m'a pas paru atteint comme moi par ce terrible tableau, il est borné dans ses admirations; c'est que son sentiment ne le sert plus au delà d'une certaine mesure de talent, qu'il n'apprécie encore que dans un certain nombre d'artistes d'une certaine école: il est excellent et cause sérieusement; mais il ne vous échauffe jamais. C'est un homme de mérite auquel il manque toutes les grâces. Nous avons vu ensemble le tableau de la vieillesse de David[66], qui représente la Colère d'Achille; c'est la faiblesse même; l'idée et la peinture sont également absentes. J'ai pensé aussitôt à l'Agamemnon et l'Achille de Rubens, que j'ai vus il y a à peine un mois.
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Samedi 21 février.—Le soir au Jardin d'hiver où j'ai mené Mme de Forget, au bal du IXe arrondissement, pour lequel j'avais souscrit. Il m'est arrivé comme les deux jours précédents: je me suis préparé avec répugnance, et j'ai été dédommagé de mes appréhensions.
L'aspect de ces arbres exotiques dont quelques-uns sont gigantesques, éclairés par des feux électriques, m'a charmé. L'eau, et le bruit qu'elle fait au milieu de tout cela, faisait à merveille. Il y avait deux cygnes qui se faisaient mouiller à plaisir, dans un bassin rempli de plantes, par la pluie continue d'un jet d'eau qui a quarante à cinquante pieds de haut. La danse même m'a amusé, ainsi que le vulgaire orchestre; mais cet aplomb, cet archet, ce coup de tambour, ces cornets à piston, cet entrain de ces courtauds de boutique se trémoussant dans leurs beaux habits excitaient en moi un sentiment qu'on ne peut, j'en suis certain, éprouver qu'à Paris. Mme de Forget ne partageait pas ma satisfaction. Elle avait compromis étourdiment, sur le pavé de bitume et au milieu des trépignements de cette foule mélangée, une robe neuve de damas rose turc, qui aura perdu un peu de sa fraîcheur. Mme Sand, Maurice[67], Lambert et Manceau avaient dîné avec moi. Impression bizarre de la situation de ces jeunes gens près de cette pauvre femme.
—J'ai commencé dans la seule matinée d'hier tous mes sujets de la Vie d'Hercule[68] pour le salon de la Paix.
Lundi 23 février.—Les peintres qui ne sont pas coloristes font de l'enluminure et non de la peinture. La peinture proprement dite, à moins qu'on ne veuille faire un camaïeu, comporte l'idée de la couleur comme une des bases nécessaires, aussi bien que le clair-obscur, et la proportion et la perspective. La proportion s'applique à la sculpture comme à la peinture. La perspective détermine le contour; le clair-obscur donne la saillie par la disposition des ombres et des clairs mis en relation avec le fond; la couleur donne l'apparence de la vie, etc.
Le sculpteur ne commence pas son ouvrage par un contour; il bâtit avec sa matière une apparence de l'objet qui, grossier d'abord, présente dès le principe la condition principale qui est la saillie réelle et la solidité. Les coloristes, qui sont ceux qui réunissent toutes les parties de la peinture, doivent établir en même temps et dès le principe tout ce qui est propre et essentiel à leur art. Ils doivent masser avec la couleur comme le sculpteur avec la terre, le marbre ou la pierre; leur ébauche, comme celle du sculpteur, doit présenter également la proportion, la perspective, l'effet et la couleur.
Le contour est aussi idéal et conventionnel dans la peinture que dans la sculpture; il doit résulter naturellement de la bonne disposition des parties essentielles. La préparation combinée de l'effet qui compile la perspective et de la couleur approchera plus ou moins de l'apparence définitive suivant le degré d'habileté de l'artiste; mais dans ce point de départ, il y aura le principe net de tout ce qui doit être plus tard.
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Mardi 24 février.—Soirée d'enfants chez Mme Herbelin[69]; je remarque combien nos costumes sont affreux par le contraste des costumes de ces petits êtres qui étaient fort bariolés et qui, à raison de leur petite taille, ne se confondaient pas avec les hommes et les femmes. C'était comme une corbeille de fleurs.
Pérignon[70] m'a parlé de la manière de vernir provisoirement un tableau: c'est avec de la gélatine, comme celle que vendent les charcutiers, qu'on fait dissoudre dans un peu d'eau chaude et qu'on passe avec une éponge sur le tableau. Pour l'enlever, on prend de même de l'eau tiède.
Villot nous disait qu'on détruit l'ombre avec un mélange, parties égales d'essence, d'eau et d'huile. Bon pour repeindre.
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Mercredi 25 février.—Dîné chez Lehmann.—Revenu à l'Opéra-Comique et fini chez Boilay.
Je n'ai rien retiré de tout cela qu'une immense promenade à pied, pour venir de la rue Neuve de Berry jusqu'au théâtre.
—Les gens médiocres ont réponse à tout et ne sont étonnés de rien. Ils veulent toujours avoir l'air de savoir mieux que vous ce que vous allez leur dire; quand ils prennent la parole à leur tour, ils vous répètent avec beaucoup de confiance, comme si c'était de leur cru, ce qu'ils ont, ailleurs, entendu dire à vous-même.
Il est bien entendu que l'homme médiocre dont je parle est en même temps pourvu de connaissances auxquelles tout le monde peut parvenir. Le plus ou moins de bon sens ou d'esprit naturel qu'ils peuvent avoir, peut seul les empêcher d'être des sots parfaits. Les exemples qui se présentent en foule à ma mémoire sont tous à l'appui de ce ridicule si commun. Ils ne diffèrent, comme je l'ai dit, que par le degré de sottise. L'air capable et supérieur va de soi-même avec ce caractère.
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Jeudi 26 février.—Soirée chez Mlle Rachel[71]. Elle a été fort aimable. J'ai revu Musset[72] et je lui disais qu'une nation n'a de goût que dans les choses où elle réussit. Les Français ne sont bons que pour ce qui se parle ou ce qui se lit. Ils n'ont jamais eu de goût en musique ni en peinture. La peinture mignarde et coquette... Les grands maîtres comme Lesueur et Lebrun ne font pas école. La manière les séduit avant tout; en musique presque de même.
—Bleu de ciel de l'esquisse de la Paix:
Sur bleu de Prusse et blanc, introduction de bleu de Prusse, blanc et vert de Scheele. Le ton verdâtre, produit en deux opérations, double l'effet et donne une franchise incomparable.
[44] Il semble que, dans les relations très assidues de George Sand avec Delacroix, celle-ci ait fait toutes les avances; non que Delacroix ne ressentit pour elle une réelle sympathie, il ne pouvait demeurer insensible à la franchise et à la bonhomie de sa nature; ce qu'il prisait infiniment moins, c'était son talent et surtout ses théories humanitaires, qui avaient le don de l'exaspérer. Nous avons longuement insisté sur les convictions philosophiques du maître touchant la question du progrès: George Sand demeurait toujours à ses yeux la vivante incarnation de ces théories. Quant à George Sand, son admiration pour Delacroix fut toujours sans réserve, comme son amitié.
[45] Marchand de tableaux.
[46] Émile Perrin, qui était alors directeur de l'Opéra-Comique, avait étudié la peinture dans les ateliers de Gros et de Delaroche; il avait également écrit des articles de critique artistique. Il devint par la suite directeur de l'Opéra, puis, en 1870, administrateur général du Théâtre-français.
Le comte de Morny avait donné le 22 janvier 1852 sa démission de ministre de l'intérieur; il ne fut nommé qu'en 1854 président du Corps législatif.
Delangle venait d'être nommé procureur général à la Cour de cassation, en remplacement de Dupin.
Romieu, homme de lettres et administrateur. Il était alors directeur général des beaux-arts.
Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges (1801-1875), auteur dramatique, un des plus féconds librettistes de cette époque.
Boilay, publiciste et administrateur; c'était un protégé de M. Thiers; il fut rédacteur au Constitutionnel.
[47] Hippolyte Lecomte, peintre, né en 1781, mort en 1855. Il devint le beau-frère d'Horace Vernet et, grâce à lui, fut chargé de nombres commandes.
[48] Mocquart, homme politique et littérateur. Il était alors secrétaire intime et chef du cabinet de l'Empereur.
[49] Mustapha était un des modèles favoris de Géricault.
[50] Les entrevues étaient devenues aigres-douces entre Eugène Delacroix et M. Thiers. On conçoit en effet par quels côtés le tempérament de l'homme politique devait déplaire à l'artiste. Quant au fameux article écrit par M. Thiers publiciste, lors des débuts de Delacroix, et que l'on a traité de prophétique, Th. Silvestre fait observer assez justement qu'il st qu'une «paraphrase prudhommesque de l'opinion du baron Gérard, **de l'aveu de M. Thiers lui-même, qui dit à la fin de son article: L'opinion que j'exprime ici est celle d'un des grands maîtres de l'école.» Th. Silvestre ajoute que M. Thiers loue dans la même page Drolling, Dubufe, Destouches et Delacroix.
[51] Voir Catalogue Robaut, n° 1023.
[52] «Le voyageur est couché à terre demi-nu; le Samaritain, vêtu d'un manteau rouge, se penche vers lui, tandis que son cheval broute l'herbe derrière eux: au fond, le prêtre qui passe sans s'arrêter.» (H. de la MADELÈNE, Eugène Delacroix à l'Exposition du boulevard des Italiens.)
[53] Voir Catalogue Robaut, nos 1118 et 1119.
[54] Devinck, industriel, ancien président du tribunal de commerce, membre du conseil municipal de Paris.
[55] Delacroix était, paraît-il, très fier de sa fonction de conseiller municipal.
C'était là une de ces faiblesses communes à presque tous les grands hommes, et qui les poussent à chercher une application de leurs hautes facultés, en dehors du domaine où elles s'exercent naturellement. Mme Riesener, aux souvenirs de laquelle nous avons fait appel, nous racontait qu'il prenait cette fonction très au sérieux, et qu'il lui avait dit le jour de sa nomination: «Je vais donc être de ceux auxquels on demande quelque chose.» Pourtant le passage du Journal ne laisse aucun doute sur l'estime médiocre en laquelle il tenait la majorité de ses collègues.
[56] Théophile-Jules Pelouze, chimiste, membre de l'Institut. On lui doit un grand nombre de mémoires et un Traité de chimie générale analytique très apprécié.
[57] Alexandre Thierry (1803-1858), chirurgien et ancien directeur des hôpitaux.
[58] Mme Anaïs Ségalas, un des plus célèbres bas bleus du temps, auteur de contes enfantins et de petits ouvrages humoristiques.
[59] Charles Nodier avait été nommé en 1823 bibliothécaire de l'Arsenal. Son salon devint alors le rendez-vous de tout le monde littéraire et artistique. «Là, dit J. Janin, il recevait tous ceux qui tenaient honorablement une plume, un burin, une palette, un ébauchoir. »
[60] Balzac, nous l'avons déjà fait observer dans notre Étude, était antipathique à Delacroix. L'artiste ne lui pardonna jamais ce je ne sais quoi de décousu et de débraillé qui caractérisait sa personne. Delacroix n'avait pas su discerner—et ce fut une de ses rares incompréhensions—l'admirable puissance de génie que dissimulait mal son absence de goût. Et pourtant on trouve à maintes reprises, dans le Journal, des fragments détachés, des citations tirées des œuvres de Balzac, notamment tout le passage sur les artistes et les conditions de production, une des maîtresses pages de la Cousine Bette. Nous pensons que la personnalité encombrante et souvent arrogante de Balzac ne contribua pas médiocrement à écarter de lui Delacroix, car il écrivait à Pierret en 1842, de Nohant, où il se trouvait installé chez Mme Sand: «Nous attendions Balzac qui n'est pas venu, et je n'en suis pas fâché. C'est un bavard qui eût rompu cet accord de nonchalance dans lequel je me berce avec grand plaisir.» (Corresp., t. I, p. 262.)
[61] Lehmann, peintre, né à Kiel en 1814. Élève d'Ingres, il imita la manière de son maître, et fit de nombreux portraits précisément dans la société où fréquentait Delacroix. Il exécuta aussi des peintures murales. Le tableau au projet duquel Delacroix fait ici allusion pourrait bien être le Rêve, qui parut au Salon de 1852. Lehmann avait exécuté des compositions décoratives pour la salle des Fêtes de l'Hôtel de ville, et à ce propos M. Robaut, dans son Catalogue, remarque très justement que «la ville a dépensé quatre-vingt mille francs pour faire graver les compositions peintes dans la salle des Fêtes par Lehmann, et qu'elle n'a pas affecté un centime à la reproduction de l'œuvre de Delacroix.»
[62] L'opéra de Weber.
[63] Delsarte, artiste lyrique et compositeur, qui quitta tout jeune l'Opéra-Comique pour se consacrer à l'enseignement de son art. Il ne se fit plus entendre dès lors que dans les concerts et dans les salons.
[64] Delacroix veut probablement parler de son frère Charles Delacroix, qui mourut à Bordeaux le 30 décembre 1845, loin de tous les siens.
[65] Il s'agit ici d'Ambroise Firmin-Didot, de la célèbre maison des éditeurs Didot, qui fut éditeur, écrivain, et fit partie du conseil municipal, où il eut un rôle assez important.
[66] Il ne paraît pas que Delacroix ait été plus favorable aux tableaux de la jeunesse ou de la maturité qu'à ceux de la vieillesse de David, car du Maroc il écrivait à Villot en 1832: «Les héros de David et compagnie feraient une triste figure avec leurs membres couleur de rose auprès de ces fils du soleil.» Et à Thoré, en 1840: «Vous signalez fort bien que, particulièrement dans la question du dessin, on ne veut en peinture que le dessin du sculpteur, et cette erreur, sur laquelle a vécu toute l'école de David, est encore toute-puissante.»
[67] Maurice Sand, le fils de George Sand, et Lambert, avaient fait tous deux partie de l'atelier que Delacroix avait ouvert rue Neuve-Guillemin. M. Burty cite parmi les élèves qui s'y rendaient: Joly Grangedor, Desbordes-Valmore, Saint-Marcel, Maurice Sand, Andrieu, Eugène Lambert, Lassalle, Gautheron, Leygue, Th. Véron, Ferrussac.
[68] Delacroix fait allusion aux onze compositions sur la Vie d'Hercule qui décoraient les tympans du salon de la Paix à l'Hôtel de ville: Hercule a sa naissance recueilli par Junon et Minerve, Hercule entre le vice et la vertu, Hercule écorche le lion de Némée, Hercule rapporte sur ses épaules le sanglier d'Érymanthe, Hercule vainqueur d'Hippolyte, Hercule délivre Hésione, Hercule tue le centaure Nessus, Hercule enchaîne Nérée, Hercule étouffe Antée, Hercule ramène Alceste du fond des enfers, Hercule au pied des colonnes. (Voir Catalogue Robaut, nos 1152 à 1162.)
[69] Mme Herbelin, peintre. Elle était nièce du peintre Belloc, qui fut son professeur. Sur le conseil de Delacroix, elle fit de la miniature, et, y ayant acquis une réputation, s'y consacra exclusivement.
[70] Pérignon fit partie de l'administration des Beaux-Arts, en qualité de directeur du Musée de Dijon. Il était en relations assez intimes avec Delacroix, puisqu'il fut l'un des exécuteurs testamentaires du maître.
[71] Delacroix avait une vive admiration pour le talent de Rachel. Dans sa composition de la Mort de saint Jean-Baptiste, il s'était inspiré de ses traits pour peindre son Hérodiade. Dans la Sibylle au rameau d'or, tableau de 1845, il songea à la grande actrice, qui venait souvent dans son atelier. (Voir Catalogue Robaut, n° 918.)
[72] Si l'on en croit Philarète Chasles, le talent d'Alfred de Musset était antipathique à Delacroix: «C'est un poète qui n'a pas de ce couleur, me dit-il un jour; il manie sa plume comme un burin: avec elle il fait des entailles dans le cœur de l'homme et le tue en y faisant couler le corrosif de son âme empoisonnée. Moi, j'aime mieux les plaies béantes et la couleur vive du sang.» (Mémoires de Ph. Chastes, t. I, p. 331, cités par Burty, Correspondance de Delacroix, t. II, p. 68.)
Il est intéressant d'indiquer comme contre-partie l'opinion de Musset sur Delacroix. A l'époque où l'Hamlet était refusé par le jury, Musset protestait en ces termes dans la Revue des Deux Mondes: « Il semble que tant de sévérité n'est juste qu'autant qu'elle est impartiale, et comment croire qu'elle le soit, lorsqu'on voit de combien de croûtes le Musée est rempli!» Quelques années auparavant, Alfred de Musset écrivait à son frère: «J'ai rencontré Eugène Delacroix une fois en sortant du spectacle: nous avons causé peinture en pleine rue, de sa porte à la mienne et de ma porte à la sienne, jusqu'à deux heures du matin. Nous ne pouvions pas nous séparer.» (Maurice TOURNEUX, Eugène Delacroix devant ses contemporains.)
Lundi 1er mars.—L'homme qui apporte ordinairement le charbon de terre et le bois est un drôle plein d'esprit... Il cause beaucoup. Il demande l'autre jour gratification et dit qu'il a beaucoup d'enfants, Jenny lui dit: «Et pourquoi avez-vous tant d'enfants?» Il lui répond: «C'est ma femme qui les fait.» C'est un mot du plus pur gaulois... Il nous en a dit un de la même force, l'année dernière, que j'ai oublié...
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Lundi 8 mars.—Pour la première fois, au dîner de tous les mois, des seconds lundis.
—En sortant, promenade sur le boulevard avec Varcollier, et fini la soirée chez Perrin. Revu là la lithographie de Géricault[73] des chevaux qui se battent. Grand rapport avec Michel-Ange. Même force, même précision, et, malgré l'impression de force et d'action, un peu d'immobilité, par suite de l'étude extrême des détails, probablement.
—Le jury, depuis jeudi dernier, m'assassine tous les jours, et le soir, je suis comme un homme qui aurait fait dix lieues à pied.
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Vendredi 12 mars.—Prêté à M. Hédouin six esquisses de la Chambre des députés: le Lycurgue, le Chiron, l'Hésiode, l'Ovide, l'Aristote, le Démosthène.
—À lui prêté, le 2 mai, le dessin sous verre du Chiron et de l'Achille[74].
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Samedi 13 mars.—Fini au Jury.
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Lundi 15 mars.—Andrieu revenu aujourd'hui ou hier. Il avait fait deux jours au commencement du mois, interrompus par le Jury.
[73] Nous nous sommes efforcé de préciser les relations de Delacroix avec Géricault dans le premier tome du Journal. Nous avons indiqué les motifs du culte qu'il lui avait voué à ses débuts. En insistant dans notre Étude sur le changement que le temps avait apporté à certaines des opinions du maître, nous avons omis, peut-être à tort, de ne pas mentionner Géricault. Les lecteurs constateront en effet, dans une année postérieure, que Delacroix se range à l'avis de Chenavard qui fait une critique sévère de l'auteur du Naufrage de fa Méduse.
[74] Aujourd'hui au Musée du Louvre. (Voir Catalogue Robaut, n°840.)
Jeudi 1er avril.—Enterrement du pauvre Cavé. Sa mort me fait beaucoup de peine.
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Vendredi 2 avril.—A l'issue du conseil municipal, vu chez Varcollier les esquisses pour Sainte-Clotilde: la folie ne peut aller plus loin. Le pauvre Préault forcé de faire une statue gothique! Que peut-on critiquer dans des ouvrages contemporains, après ces cochonneries?
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Lundi 5 avril.—J'ai été à Saint-Sulpice ébaucher un des quatre pendentifs.
Le soir, en me promenant et un moment avant d'être noyé par la pluie d'orage qui est survenue, rencontré, rue du Mont-Thabor, Varcollier, qui m'a parlé avec horreur des petits échantillons de couleurs de L... à l'Hôtel de ville. Il voudrait que je me constitue le vengeur et le dénonciateur de ses crimes. Je lui ai objecté qu'il faudrait se mettre trop en colère, et que les méfaits nombreux de ce genre auraient dû être réprimés il y a longtemps. Je lui ai cité des ouvrages de ses amis.
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Le lendemain de ce jour, mardi 6, en revenant de Saint-Sulpice, entré à Saint-Germain, où j'ai vu les barbouillages gothiques dont on couvre les murs de cette malheureuse église. Confirmation de ce que je disais à mon ami: j'aime mieux les imaginations de Luna que les contrefaçons de Baltard, Flandrin et Cie[75].
Mardi 6 avril.—Ébauché les trois autres pendentifs.
Rencontré Cousin en revenant et toujours sur le quai.
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Mercredi 7 avril.—Les animaux ne sentent pas le poids du temps. L'imagination, qui a été donné à l'homme pour sentir les beautés, lui procure une foule de maux imaginaires; l'invention des distractions, les arts qui remplissent les moments de l'artiste qui exécute, charment les loisirs de ceux qui ne font que jouir de ces productions. La recherche de la nourriture, des courts moments de la passion animale, de l'allaitement des petits, de la construction des nids ou des tanières, sont les seuls travaux que la nature ait imposés aux animaux. L'instinct les y pousse, aucun calcul ne les y dirige. L'homme porte le poids de ses pensées aussi bien que celui des misères naturelles qui font de lui un animal. À mesure qu'il s'éloigne de l'état le plus semblable à l'animal, c'est-à-dire de l'état sauvage à ses différents degrés, il perfectionne les moyens de donner l'aliment à cette faculté idéale refusée à la bête; mais les appétits de son cerveau semblent croître à mesure qu'il cherche à les satisfaire; quand il n'imagine ni ne compose pour son propre compte, il faut qu'il jouisse des imaginations des autres hommes comme lui, ou qu'il étudie les secrets de cette nature qui l'entoure et qui lui offre ses problèmes. Celui même que son esprit moins cultivé ou plus obtus rend impropre à jouir des plaisirs délicats où cet esprit a part, se livre, pour remplir ses moments, à des délassements matériels, mais qui sont autre chose que l'instinct qui pousse l'animal à la chasse. Si l'homme chasse dans un état moyen de civilisation, c'est pour occuper son temps. Il y a beaucoup d'hommes qui dorment pour éviter l'ennui d'une oisiveté qui leur pèse et qu'ils ne peuvent néanmoins secouer par des occupations offrant quelque attrait. Le sauvage, qui chasse ou qui pêche pour avoir à manger, dort pendant les moments qu'il n'emploie pas à fabriquer, à sa manière, ses grossiers outils, son arc, ses flèches, ses filets, ses hameçons en os de poisson, sa hache de caillou.
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Jeudi 8 avril.—Coulé sur l'Hercule attachant Nérée: vermillon et laque; jaune de zinc clair et terre de Cassel.
Coulé sur le Nérée: jaune de zinc clair, laque, cobalt, bleu de Prusse.
Après avoir modelé dans la demi-teinte, reflété en ajoutant par places quelques tons chauds; touché la demi-teinte du clair avec un ton de clair rose orangé joint au ton de terre de Cassel, jaune de zinc et un mauve plus clair que celui qui a servi pour le coulé.
—Les clairs du Nérée, ton dominant: jaune zinc clair et ton mauve clair et tant soit peu d'orangé clair, c'est-à-dire cadmium, blanc vermillon.
Très belle demi-teinte reflétée: vert de Scheele avec rouge de zinc, avec mauve clair, plus foncé avec ocre de ru.
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Vendredi 23 avril.—Première représentation du Juif errant[76].
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Jeudi 29 avril.—Chez Bertin le soir: il y avait peu de monde. Goubaux[77] venu dans la journée. Parlé de la négligence avec laquelle les pièces classiques sont représentées. Il n'y a pas un directeur de théâtre du boulevard qui la souffrît dans les pièces modernes. Les acteurs du Français se sont fait une habitude de chanter leurs rôles d'une façon monotone, comme des écoliers qui récitent une leçon. Il me citait un exemple, le début d'Iphigénie: Oui, c'est Agamemnon, etc.
Il se rappelait avoir vu Saint-Prix[78], qui passait pour un talent et qui de plus avait la tradition, se lever tranquillement d'un coin du théâtre, venir réveiller Arcas et lui dire tout d'une haleine: Oui, c'est Agamemnon, etc. Quelle est évidemment l'intention de Racine? Ce oui qui commence répond évidemment à la surprise que doit manifester le serviteur éveillé avant l'aurore; par qui? par son maître, par son roi, le Roi des rois. Sa réponse ne dit-elle pas aussi que ce roi, que ce père a veillé dans l'inquiétude, longtemps avant de venir à ce confident, pour décharger une partie de son souci en en parlant? Il a dû se promener, s'agiter sur sa couche, avant de se lever. Il ne répond même pas, dans sa préoccupation, qui semble continue, à la demande de cet ami fidèle. Il se parle à lui-même; son agitation se trahit dans ce regard jeté sur sa destinée: Heureux qui, satisfait, etc.
Oui, c'est Agamemnon... répond à la surprise d'Arcas. Ces mots doivent être entrecoupés par des jeux muets et non pas défilés comme un chapelet ou comme un homme qui lirait dans un livre. Les acteurs sont des paresseux, qui ne se sont même jamais demandé s'ils pouvaient mieux faire. Je suis convaincu qu'ils suivent la route tracée, sans se douter des trésors d'expression que renferment tant de beaux ouvrages.
Goubaux me disait que Talma lui avait raconté qu'il notait toutes ses inflexions, indépendamment de la prononciation des mots. C'était un fil conducteur qui l'empêchait de dévier quand il était moins inspiré. Cette espèce de musique une fois dans sa mémoire, ramenait toutes les intonations dans un cercle dont il ne serait pas sorti sans péril de s'égarer et d'être entraîné trop loin ou à faux.
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30 avril.—Au conseil municipal, pour parler pour la bourse du fils de Roehn[79].
[75] Les principes d'esthétique de l'architecte Baltard, qui dirigeait la décoration de Saint-Germain des Prés, le rapprochaient de Flandrin, pour lequel personne n'ignore que Delacroix professait la plus profonde des antipathies.
[76] Le Juif errant, opéra en cinq actes, paroles de Scribe et Saint-Georges, musique d'Halévy.
[77] Goubaux, auteur dramatique, collaborateur de Dumas père, de Legouvé et d'Eugène Sue. Il dirigeait une institution qui devint le collège Chaptal.
[78] Saint-Prix, acteur célèbre, né en 1759, mort en 1834.
[79] Roehn (1799-1864), peintre, élève de Gros et auteur d'un grand nombre de tableaux de genre.
Mercredi 5 mai.—Parti pour Champrosay.
J'ai donné congé à Andrieu au commencement de la semaine.
Tombé au milieu du déménagement qui a été mis en ordre le lendemain. L'habitation me plaît, et le bon propriétaire empressé à me plaire.
—Il faut ébaucher le tableau comme serait le sujet par un temps couvert, sans soleil, sans ombres tranchées. Il n'y a radicalement ni clairs ni ombres. Il y a une masse colorée pour chaque objet, reflétée différemment de tous côtés. Supposez que, sur cette scène, qui se passe en plein air par un temps gris, un rayon de soleil éclaire tout à coup les objets: vous aurez des clairs et des ombres comme on l'entend, mais ce sont de purs accidents. La vérité profonde, et qui peut paraître singulière, de ceci est toute l'entente de la couleur dans la peinture. Chose étrange! elle n'a été comprise que par un très petit nombre de grands peintres, même parmi ceux qu'on répute coloristes.
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Champrosay, jeudi 6 mai.—(Le dos contre la barrière, au pied du grand chêne de l'allée de l'Ermitage.)[80] Arrivé hier mercredi 5 à Champrosay pour passer deux ou trois jours, et m'installer dans mon nouveau logement.
Vers quatre heures, sorti sur la route vers Soisy[81], pour gagner de l'appétit. J'ai trouvé là sur la poussière une trace d'eau répandue comme par le bout d'un entonnoir, qui m'a rappelé mes observations précédentes, et en différents lieux, sur les lois géométriques qui président aux accidents de même espèce, qui semblent au vulgaire des effets du hasard: tels que sillons que creusent les eaux de la mer, sur le sable fin qu'on trouve sur les plages, comme j'en ai observé l'année dernière à Dieppe, et comme j'en avais vu à Tanger. Ces sillons présentent, dans leur irrégularité, le retour des mêmes formes, mais il semble que l'action de l'eau ou la nature du sable qui reçoit ces empreintes, détermine des aspects différents, suivant les lieux: ainsi, les marques à Dieppe, des espaces d'eau sur un sable très fin, qui se trouvaient séparés çà et là ou enfermés par de petits rochers, figuraient très bien les flots mêmes de la mer. En les copiant avec des colorations convenables, on eût donné l'idée du mouvement des vagues si difficile à saisir. À Tanger, au contraire, sur une plage unie, les eaux, en se retirant, laissaient l'empreinte de petits sillons, qui figuraient à s'y méprendre les rayures de la peau des tigres. La trace que j'ai trouvée hier sur la route de Soisy représentait exactement les branches de certains arbres, quand ils n'ont pas de feuilles; la branche principale était l'eau répandue, et les petites branches qui s'enlaçaient de mille manières étaient produites par les éclaboussures qui partaient et se croisaient de droite et de gauche.
J'ai en horreur le commun des savants: j'ai dit ailleurs qu'ils se coudoyaient dans l'antichambre du sanctuaire où la nature cache ses secrets, attendant toujours que de plus habiles en entre-bâillent la porte: que l'illustre astronome danois ou norvégien ou allemand Borzebilocoquantius[82] découvre avec sa lunette une nouvelle étoile, comme je l'ai vu dernièrement mentionné, le peuple des savants enregistre avec orgueil la nouvelle venue, mais la lunette n'est pas fabriquée qui leur montre les rapports des choses.
Les savants ne devraient vivre qu'à la campagne, près de la nature; ils aiment mieux causer autour des tapis verts des académies, de l'Institut, de ce que tout le monde sait aussi bien qu'eux; dans les forêts, sur les montagnes, vous observez des lois naturelles, vous ne faites pas un pas sans trouver un sujet d'admiration.
L'animal, le végétal, l'insecte, la terre et les eaux sont des aliments pour l'esprit qui étudie et qui veut enregistrer les lois diverses de tous ces êtres. Mais ces messieurs ne trouvent pas là la simple observation digne de leur génie; ils veulent pénétrer plus avant, et font des systèmes du fond de leur bureau qu'ils prennent pour un observatoire. D'ailleurs, il faut fréquenter les salons et avoir des croix ou des pensions; la science qui met sur cette voie-là vaut toutes les autres.
Je compare les écrivains qui ont des idées, mais qui ne savent pas les ordonner, à ces généraux barbares qui menaient au combat des nuées de Perses ou de Huns, combattant au hasard, sans ordre, sans unité d'efforts, et par conséquent sans résultats; les mauvais écrivains se trouvent aussi bien parmi ceux qui ont des idées, que chez ceux qui en sont dépourvus.
Promenade charmante dans la forêt, pendant qu'on arrange chez moi. Mille pensées diverses suggérées au milieu de ce sourire universel de la nature. Je dérange à chaque pas, dans ma promenade, des rendez-vous, effets du printemps; le bruit que je fais en marchant dérange les pauvres oiseaux, qui s'envolent toujours par couple de deux.
Ah! les oiseaux, les chiens, les lapins! Que ces humbles professeurs de bon sens, tous silencieux, tous soumis aux décrets éternels, sont au-dessus de notre vaine et froide connaissance!
À tout moment, le bruit de mes pas fait fuir ces pauvres oiseaux, qui s'envolent toujours deux par deux. C'est le réveil de toute cette nature; elle a ouvert la porte aux amours. Il vient de nouvelles feuilles verdoyantes, il va naître des êtres nouveaux, pour peupler cet univers rajeuni. Le sens savant s'éveille chez moi plus actif que dans la ville. Ces imbéciles (les savants) vivent dans leur cabinet, ils le prennent pour le sanctuaire de la nature. Ils se font envoyer des squelettes et des herbes desséchées, au lieu de les voir baignées de rosée.
—Me voici assis dans un fossé sur des feuilles séchées, près du grand chêne qui se trouve dans la grande allée de l'Ermitage.
—Je suis toujours sujet, au milieu de la journée à un abattement qui est le dernier acte de la digestion.
—Quand je rentre aussi de ces promenades du matin, je suis moins disposé, ou plutôt je ne suis plus disposé du tout au travail.
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Vendredi 7 mai.—Revenu à Paris pour voir l'esquisse de Riesener chez Varcollier; elle ne s'y est pas trouvée, quoiqu'il l'y eût envoyée. J'avais fait une séance le matin au Jardin des plantes. J'y ai fait renouveler ma carte. Travaillé au soleil, parmi la foule, d'après les lions.
En arrivant, pris, dans le jardin, de ma langueur; je me suis mis à dormir au soleil, sur une chaise.
—Couru l'après-midi, pour l'affaire du fils de Varcollier, de l'Hôtel de ville jusque passé la place de la Bourse, sans trouver une voiture libre. Je suis venu chez moi voir mes lettres, envoyer les billets disponibles pour la fête de lundi, et reparti à cinq heures.—Arrivée toujours charmante dans cet endroit. Revenu à travers la plaine.
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Lundi 10 mai.—Jour de la distribution des aigles, que j'ai passé à Champrosay.
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Paris, mardi 11 mai.—Parti de Champrosay à onze heures un quart. J'ai envoyé ces demoiselles[83] à la maison et suis resté au Jardin des plantes. Vu les galeries d'anatomie au milieu d'une foule énorme; malgré les inconvénients, j'ai été intéressé.
Venu pour dîner.
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Mercredi 12 mai.—J'extrais d'une lettre à Pierret mes réflexions sur l'interruption de mon travail pendant huit jours.
«... Il ne faut pas quitter sa tâche: voilà pourquoi le temps, voilà pourquoi la nature, en un mot tout ce qui travaille lentement et incessamment, fait de si bonne besogne. Nous autres, avec nos intermittences, nous ne filons jamais le même fil jusqu'au bout. Je faisais, avant mon départ, le travail de M. Delacroix d'il y a quinze jours: je vais faire à présent le travail de Delacroix de tout à l'heure. Il faut renouer la maille, le tricot sera plus gros ou plus fin.»
Le cousin Delacroix a dîné avec moi. J'avais trouvé sa carte vendredi dernier. Nous avons été finir la soirée au café de Foy.
[80] Tous ces chênes, arbres séculaires de la forêt de Sénart, devinrent pour Delacroix le sujet de croquis plus ou moins arrêtés dont on retrouve la trace dans son œuvre.
[81] Soisy-sous-Étiolles, canton de Corbeil.
[82] Berzélius, savant suédois dont le nom est écrit autrement sur la couverture du carnet d'où ces notes sont extraites: Berzebilardinocoquentius.
[83] Il s'agit de sa gouvernante Jenny et de la servante.
Mardi 1er juin.—Superbe ton jaune pour mettre à côté de terre de Cassel, blanc et laque, composé de quatre des principaux tons de la palette, à savoir:
Laque, cobalt, blanc,
Ocre de ru, vermillon,
Vert émeraude, laque de gaude, jaune de zinc,
Cadmium, vermillon, laque de gaude.
Très beau ton d'ombre pour chair très colorée (exemple: la figure à côté de la Furie): le ton de terre de Cassel, laque jaune, jaune indien, terre d'Italie naturelle.
Ton de chair (très beau dans l'ombre de l'enfant à la corne de l'abondance); le ton de laque, terre de Cassel, blanc le plus foncé des deux et le ton de cadmium, laque de gaude et vermillon.
Dans l'enfant qui vole en haut, faire dominer, en finissant, des tons d'orangé (laque jaune, cadmium, vermillon) avec un gris de terre d'ombre et blanc, ou momie et blanc, ou Cassel et blanc.
Ce ton orangé et terre verte.
Ces tons orangés, en finissant, très essentiels pour ôter la froideur ou le violacé du ton.
Pour les luisants, très beau ton très applicable: terre verte et mauve clair (cobalt, laque et blanc).
Très belle demi-teinte ou luisant analogue à la dernière: terre verte et rose (vermillon et blanc).
Pour reprendre le ciel autour des contours, momie et blanc assez foncé avec bleu et blanc. Un peu de jaune de Naples.
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Mardi 8 juin.—Dîné chez Véron, à Auteuil.
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Mercredi 9.—Dîné chez Halévy avec Janin[84] et le docteur Blache[85], qui me plaît assez.
[84] Jules Janin, tout en faisant des réserves sur le talent de Delacroix, avait pris sa défense à plusieurs reprises. C'est ainsi qu'il protesta longuement dans les premières années contre l'exclusion qui frappait chaque année Delacroix et Préault.
[85] Le docteur Blache était un médecin célèbre de l'époque.
Lundi 5 juillet.—Dîné chez Perrin avec X...
On parlait de la susceptibilité des gens nerveux pour sentir le temps qu'il faisait. Il dit très bien que l'intérêt mis en jeu était encore plus perspicace. En sa qualité de directeur de spectacle, il avait flairé avec chagrin la continuité de la chaleur. Dîné là avec Halévy, Boilay, Varcollier, Guillardin. Revenu prendre des glaces avec eux sur le boulevard.
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Mardi 6 juillet.—Mardi soir, arrivé à Champrosay.
Prêté à Mme Halévy, en partant pour Champrosay, les deux copies de Raphaël, l'Enfant et le Portrait à la main.
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Samedi 10 juillet.—Prêté à Lehmann les Études de lions.—Rendues.
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Dimanche 11 juillet.—Autre jaune très beau Ocre de ru ou ocre jaune et rouge de zinc.—Ton à mettre en vessies: ocre jaune, jaune indien, cassel, blanc (se remplace par ocre jaune, momie et blanc).
À côté, ocre de ru, terre Sienne brûlée.
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Lundi 12 juillet.—Très beau ton brun transparent: noir d'ivoire, terre de Sienne naturelle, et l'orangé transparent de la palette un peu plus verdâtre.
Le ton terre de Cassel, laque jaune, jaune indien, avec le même orangé (laque jaune, vermillon, cadmium).
Le plus intense de ces tons est très beau avec l'orangé et momie ou bitume.
Beau brun très simple et très utile: momie, terre Sienne naturelle. Brun foncé transparent, remplaçant le jaune de mars et plus foncé: laque et vermillon, terre Sienne naturelle.
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Mardi 13 juillet.—Le ton de vermillon de Chine et laque, la nuance foncée à côté de blanc et noir foncé. La nuance claire de vermillon et laque à côté de la laque de gaude pure.
Ce mélange sert à réchauffer les ombres vigoureuses que l'on ébauche avec le ton de terre de Cassel et vermillon.
—Mettre le ton de terre de Cassel, blanc clair, terre de Cassel, laque et brun rouge plus foncé, au milieu des tons de rose, d'orangé, de violet, d'ocre de ru et de vermillon, etc., qui font les tons clairs.
Le beau ton jaune: ocre jaune, jaune indien blanc, cassel mêlé avec le petit violet.
Autre mélange avec le ton vermillon clair et laque: ton sanguine charmant.
—Beau ton jaune: rouge orangé de zinc, ocre de ru.
—Clairs de l'Hercule et du Centaure: Terre Cassel et blanc clair.—Cadmium, vermillon, blanc comme base.
Ombres chaudes: laque jaune et vermillon laque; au bord de l'ombre, un peu de gros violet; sur ce frottis, le ton de terre de Sienne, vert émeraude, le gros violet mêlé avec laque jaune et laque rouge, vermillon fait des vigueurs superbes.
Il faut mettre sur la palette le gros violet à côté du laque foncé, vermillon, laque jaune.
Ombres et demi-teinte de l'Antée: Gros violet laque, vermillon, gaude foncée, avec le ton de Sienne naturelle et vert émeraude.
Jaune indien, jaune de zinc clair.—Superbe gomme-gutte. Ton des montagnes, dans l'Antée: Vert émeraude; deuxième avec noir, blanc foncé, bitume, etc., vert émeraude et laque Cassel et blue foncé.—Beau ton neutre pour montagnes.
—Terre d'Italie naturelle et vermillon ou vermillon et laque équivaut à peu près à rouge de zinc.
Le ton paille de terre de Cassel, blanc, ocre jaune et jaune indien, excellente demi-teinte de l'enfant à la corne d'abondance, en le mêlant, soit avec cobalt ou laque et vermillon, soit avec ton orangé.
Demi-teinte pour la chair, veines, bords d'ombre, etc.: le ton de noir et blanc avec vert émeraude.
Autre plus beau: le ton de cobalt, blanc, laque claire avec vert émeraude.
Brun très beau (approche de jaune laque de Rome): laque brûlée, terre Sienne naturelle, jaune foncé, laque de gaude.
Plus intense, avec laque jaune de Rome foncée.
Brun très transparent demi-foncé, très utile: terre Sienne naturelle et vert émeraude avec laque et vermillon.
—Brun plus clair, violâtre paille, en ajoutant au précédent le ton de cobalt, laque et blanc (mauve clair).—Brun jaune clair transparent; le ton de vert émeraude, jaune de zinc avec le ton orangé transparent de cadmium, gaude, vermillon—ce dernier dominant.
—Brun jaune foncé: terre Sienne naturelle, vert émeraude, avec le ton orangé transparent.
—Beau vert approchant du ton de ciel de l'Apollon: vert émeraude, jaune de zinc, avec le ton orangé transparent.
Bel orangé transparent: gaude avec rouge de zinc; le même avec une pointe de vert émeraude et zinc clair, donne le ton de ciel de l'Apollon.
—Brun foncé dans le genre de la laque de Rome: jaune, terre de Cassel, gaude, jaune indien avec laque vermillon foncé...
—Très beau aussi: Brun de Florence, terre Sienne naturelle et gaude.
—Très beau aussi: Brun de Florence et jaune indien.
—Brun clair transparent: le même ton avec terre de Cassel, blanc, jaune de zinc clair, rouge de zinc, etc.
Jaune paille très fin, très fin: le précédent avec addition de jaune de Naples et le ton de jaune de zinc et vert émeraude.
—Plus beau: avec une pointe de laque et vermillon et du ton vert clair de zinc et d'émeraude.
Brun demi-teinte pour chair: Rouge de zinc et le le Cassel, blanc et laque.—Le plus simple de ces bruns paille clair et demi-clair est peut-être la terre Cassel, blanc avec terre de Sienne nature, plus ou moins foncé.
Le ton paille, ocre jaune, terre de Cassel, blanc avec une pointe de vermillon.—Excellent ton chair point violacé.
—Vert émeraude et blanc clair, avec pointe d'ocre jaune: Clairs d'arbres, dans le lointain.
Pour retoucher en éclaircissant comme dans la Muse: ton d'ombre des chairs, le ton de Sienne naturelle et vert émeraude, avec vermillon et laque clair, et jaune paille un peu intense.
Bord d'ombre très beau, vert émeraude et le ton laque, vermillon, laque jaune.
Brillants de la chair dans le Mercure et le Neptune: Brun rouge, blanc, avec jaune de Naples.
Main de la Vénus tenant le miroir, fraîcheur extraordinaire: Demi-teinte générale des doigts touchée avec le ton mauve, cobalt, laque et blanc un peu foncé mêlé à vert émeraude fin; plus ou moins blanc suivant la place.
À côté, pour les ombres, glacis très léger d'un ton chaud de laque jaune, laque rouge, vermillon et plus ou moins d'un ton jaune rompu, mais toujours transparent. Le même, par exemple, qui se glisse un fond de chair déjà peint où je veux augmenter une demi-teinte.—Je commence par ce glacis chaud et je mets à sec (surtout) un gris par-dessus (se rappeler la retouche de la Vénus), notamment sur la jambe; les gris remis sur un fond, chaud ont reproduit l'effet demi-teintes de l'esquisse de la Médée.
Demi-teinte sur une partie trop claire, par exemple le dentelé du côté du clair de Neptune, préparé avec un ton chaud transparent, plus ou moins foncé, suivant le besoin, par exemple le ton de Sienne naturelle, vert émeraude, et mettre le ton gris par-dessus, soit terre Cassel, blanc, laque, soit le ton mauve.
—Rompre sur la palette les tons très clairs de cadmium, vermillon, blanc, et de vermillon et blanc. Dans ce dernier, ajouter terre de Cassel ou un peu plus de vermillon.
—Ton pour la mer d'Andrieu, dans l'Hercule et Hésione.
—Dans cette Vénus, employé avec succès le bord d'ombre, de vert émeraude et ton de vermillon, laque et laque jaune. Ce ton opposé aux tons orangés de la figure est d'un grand charme.
—Dans les retouches, pour ajouter des demi-teintes, comme dans cette figure, toujours préparer avec des tons chauds et mettre le ton gris ensuite.
—Reflets pour la chair (la Vénus des caissons de l'Hôtel de ville).—La réunion, sans les mêler, des TROIS TONS ORANGÉS TRANSPARENTS (cadmium, laque jaune, vermillon) VIOLET CLAIR (laque rose, cobalt, blanc) et VERT CLAIR (zinc et émeraude); le même reflet, pour ainsi dire, partout, linge, armures, etc.
Ton de laque brûlée, vermillon, blanc, et à côté le même plus clair, avec très peu de laque brûlée. Ce ton, à côté de l'orangé, vermillon, laque jaune, cadmium.
—Excellent ton avec plus ou moins de blanc ou d'orangé, pour couler sur la grisaille, ou pour reprendre une chair vive.
La petite Andromède couchée ainsi.
—Mauve un peu foncé à côté du ton rose—demi-teinte d'une jeune ingénue; le moindre vert, à côté, la complète.
Vert émeraude, terre d'Italie, très beau jaune vert.
En y ajoutant du vermillon, il devient sanguiné, sans être rouge, et est très utile; il peut se placer à côté du ton Sienne naturelle, vert émeraude, jaune indien.
Dieppe.—Lundi 6 septembre.—Parti pour Dieppe à huit heures; à neuf heures à Mantes; à dix heures un quart, à peu près, à Rouen. Le reste du trajet, n'étant pas direct, a été beaucoup plus long.
Arrivé à Dieppe à une heure. Trouvé là M. Maison. Logé hôtel de Londres avec la vue sur le port que je souhaitais, et qui est charmante. Cela me fera une grande distraction.
Dans toute cette fin de journée, dont j'ai passé une grande partie sur la jetée, je n'ai pu échapper à un extrême ennui. Dîné seul à sept heures, près de gens que j'avais rencontrés déjà sur la jetée, et qui m'avaient, dès ce moment, inspiré de l'antipathie; ce sentiment s'est encore augmenté pendant ce triste dîner. Naturel de chasseurs demi-hommes du monde, la pire espèce de toutes.
J'ai trouvé dans la voiture jusqu'à Rouen un grand homme barbu et très sympathique, qui m'a dit les choses les plus intéressantes sur les émigrants allemands et particulièrement sur certaines des colonies de cette race, qui se sont établies dans plusieurs parties de la Russie méridionale, où il les a vues. Ces gens, descendant en grande partie des Hussites, qui sont devenus les Frères Moraves. Ils vivent là en communauté, mais ne sont point des communistes, à la manière dont on entendait cette qualification en France, dans nos derniers troubles: la terre seulement est en commun, et probablement aussi les instruments de travail, puisque chacun doit à la communauté le tribut de son travail; mais les industries particulières enrichissent les uns plus que les autres, puisque chacun a son pécule, qu'il fait valoir avec plus ou moins de soin et d'habileté; il y a possibilité de se faire remplacer pour le travail commun. Ils se donnent le nom de Méronites ou Ménonites.
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Mercredi 8 septembre.—Trouvé Durieu[86] et sa pupille à Dieppe: je les ai menés dans les églises.
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Jeudi 9 septembre.—Tous ces jours-ci, j'ai eu mauvais temps et difficulté de jouir de la mer et de la promenade.
Rencontré Dantan[87], qui m'a dit des choses aimables.
Vu l'église du Pollet. Cette simplicité est toute protestante; cela ferait bien avec des peintures.
Le soir, j'ai joui de la mer, pendant une heure et demie; je ne pouvais m'en détacher.
Vraiment, il faut accorder à la littérature moderne d'avoir donné, par les descriptions, un grand intérêt à certains ouvrages, qui n'avaient pas une place suffisante. Seulement, l'abus qu'on a fait de cette qualité, à ce point qu'elle est devenue presque tout, a dégoûté du genre.
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Vendredi 10 septembre.—Ce matin, sorti à sept heures et demie, contre ma coutume. Je m'étais mis à lire Dumas, qui me fait supporter le temps que je ne passe pas au bord de la mer. La mer la plus calme, la vue avec le soleil du matin, toutes ces voiles de pêcheurs à l'horizon m'ont enchanté. Je suis rentré en retournant plusieurs fois la tête.
En revenant vers quatre heures du quartier des bains, rencontré M. Perrier. Il a dîné avec nous. Le soir, nous avons été ensemble à la jetée. Il a dit, comme moi, que c'était magnifique, sans regarder, et il m'a parlé tout le temps du conseil. Je l'ai remis dans sa chambre, où il m'a causé longuement, pendant que je m'endormais.
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Samedi 11 septembre.—En me réveillant, j'ai vu de mon lit le bassin à peu près plein et les mâts des bâtiments se balançant plus qu'à l'ordinaire; j'en ai conclu que la mer devait être belle; j'ai donc couru à la jetée et j'ai effectivement joui, pendant près de quatre heures, du plus beau spectacle.
La jeune dame de la table d'hôte, qui se trouve être seule, y était à son avantage; il est vrai que le noir lui sied mieux et ôte un peu de vulgarité. Elle était vraiment belle par instants; et moi assez occupé d'elle, surtout quand elle est descendue au bord de la mer, où elle a trouvé charmant de se faire mouiller les pieds par le flot. À table, sur le tantôt, je l'ai trouvée commune. La pauvre fille jette ses hameçons comme elle peut: le mari, ce poisson qui ne se trouve pas dans la mer, est l'objet constant de ses œillades, de ses petites mines. Elle a un père désolant... J'ai cru longtemps qu'il était muet; depuis qu'il a ouvert la bouche, ce qui, à la vérité, est fort rare, il a perdu encore dans mon opinion; car auparavant, c'était l'écorce seule qui était peu flatteuse.
Ce soir, je les ai retrouvés à la jetée.
Rentré, lu mon cher Balsamo[88].
Déjeuné vers une heure et demie, contre mon habitude.—Habillé et sorti.—J'ai été finir mes emplettes chez l'ivoirier et ai passé mon temps délicieusement jusqu'à dîner, au pied des falaises.
La mer était basse et m'a permis d'aller fort loin sur un sable qui n'était pas trop humide. J'ai joui délicieusement de la mer; je crois que le plus grand attrait des choses est dans le souvenir qu'elles réveillent dans le cœur ou dans l'esprit, mais surtout dans le cœur. Je pense toujours à Bataille, à Valmont[89], quand je m'y suis trouvé pour la première fois, il y a tant d'années... Le regret du temps écoulé, le charme des jeunes années, la fraîcheur des premières impressions agissent plus sur moi que le spectacle même. L'odeur de la mer, surtout à marée basse, qui est peut-être son charme le plus pénétrant, me remet, avec une puissance incroyable, au milieu de ces chers objets et de ces chers moments qui ne sont plus.
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Dimanche 12 septembre.—Très belle journée: le soleil de bonne heure. J'avais devant mes fenêtres les bâtiments pavoisés.
J'ai trouvé sur la jetée Mme Sheppard. Elle m'a invité à dîner pour demain. J'ai esquivé la jeune dame d'hier, qui devient assommante; elle et son monde ont encore gâté ma soirée; impossible de les éviter à la jetée... En vérité, je suis d'une bêtise extrême: je suis simplement poli et prévenant pour les gens; il faut qu'il y ait dans mon air quelque chose de plus. Ils s'accrochent à moi, et je ne peux plus m'en défaire. Entré un moment à l'établissement le soir, grâce à l'instance de Possoz[90], qui est là comme chez lui: la mer, qui était pleine, se brisait avec une belle fureur.
—Je fais ici d'une manière assez complète cette expérience qu'une liberté trop complète mène à l'ennui. Il faut de la solitude et il faut de la distraction. La rencontre de P..., que je redoutais, m'est devenue une ressource à certains moments. Celle de Mme Sheppard de même pour quelques instants. Sans Dumas et son Balsamo, je reprenais le chemin de Paris, si bien que maintenant ces interruptions à ma solitude sont ce qui me prend le plus de temps, et je suis loin de regretter mes vagues rêveries.
Tout ce qui est grand produit à peu près la même sensation. Qu'est-ce que la mer et son effet sublime? celui d'une énorme quantité d'eau... Hier soir, j'écoutais avec plaisir le clocher de Saint-Jacques qui sonne très tard, et en même temps je voyais dans l'ombre la masse de l'église. Les détails disparaissant, l'objet était plus grand encore; j'éprouvais la sensation du sublime, que l'église vue au grand jour ne me donne nullement, car elle est assez vulgaire. Le modèle exact en petit de la même église serait encore plus loin de faire éprouver ce sentiment. Le vague de l'obscurité ajoute encore beaucoup à l'impression de la mer: c'est ce que je voyais à la jetée pendant la nuit, quand on n'entrevoit qu'à peine les vagues, qui sont tout près, et que le reste se perd dans l'horizon. Saint-Remy me produit beaucoup plus d'effet que Saint-Jacques, qui est cependant d'un meilleur goût, plus ensemble et d'un style continu. La première de ces deux églises est d'un goût bâtard tout à fait semblable à l'église de l'abbaye de Valmont, et qui prêterait beaucoup à la critique des architectes. Saint-Eustache, qui est dans le même cas, quoique plus conséquent dans toutes ses parties, est assurément l'église la plus imposante de Paris. Je suis sûr que Saint-Ouen[91] regratté ne fera plus d'effet; l'obscurité des vitraux et les murs noircis, les toiles d'araignée, la poussière, voilaient les détails et agrandissaient le tout. Les falaises ne font d'effet que par leur masse, et cet effet est immense, surtout quand on y touche, ce qui augmente encore le contraste de cette masse avec les objets qui les avoisinent et avec notre propre petitesse.
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Lundi 13 septembre.—Comment! sot que tu es, tu t'égosilles à discuter avec des imbéciles, tu argumentes vis-à-vis de la sottise en jupons, pendant une soirée entière, et cela sur Dieu, sur la justice de ce monde, sur le bien et le mal, sur le progrès?
Ce matin, je me lève fatigué, sans haleine... Je ne suis en train de rien, pas même de me reposer. O folie, trois fois folie!... Persuader les hommes! Quel entassement de sottises dans la plupart de ces têtes! Et ils veulent donner de l'éducation à tous les gens nés pour le travail, qui suivent tout bonnement leur sillon, pour en faire à leur tour des idéologues!... Toutes ces réflexions, à propos du dîner chez Mme Sheppard.
Ce matin, trouvé une méduse à la jetée. Ces gens que je rencontre m'empêchent de jouir de la mer. Il est temps de s'en aller... Après déjeuner, j'ai été sur le galet vers les bains. Rentré fatigué, après avoir dessiné, en revenant, à Saint-Remy, les tombeaux. Resté chez moi jusqu'à l'heure de cet affreux dîner...
Ce matin, avant de sortir, écrit à Mme de Forget.
—Agis pour ne pas souffrir. Toutes les fois que tu pourras diminuer ton ennui ou ta souffrance en agissant, agis sans délibérer. Cela semble tout simple au premier coup d'œil. Voici un exemple trivial: je sors de chez moi; mon vêtement me gêne; je continue ma route par paresse de retourner et d'en prendre un autre.
Les exemples sont innombrables. Cette résolution appliquée aux vulgarités de l'existence, comme aux choses importantes, donnerait à l'âme un ressort et un équilibre qui est l'état le plus propre à écarter l'ennui. Sentir qu'on a fait ce qu'il fallait faire vous élève à vos propres yeux. Vous jouissez ensuite, à défaut d'autre sujet de plaisir, de ce premier des plaisirs, être content de soi. La satisfaction de l'homme qui a travaillé et convenablement employé sa journée est immense. Quand je suis dans cet état, je jouis délicieusement ensuite du repos et des moindres délassements. Je peux même, sans le moindre regret, me trouver dans la société des gens les plus ennuyeux. Le souvenir de la tâche que j'ai accomplie me revient et me préserve de l'ennui et de la tristesse.
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Mardi 14 septembre.—Ma dernière journée à Dieppe n'a pas été la meilleure. J'avais la gorge irritée d'avoir trop parlé la veille. J'ai été au Pollet, après avoir fait ma malle, pour éviter les rencontres. J'ai vu entrer dans le port le bâtiment qu'on venait de lancer, remorqué par une chaloupe. Rentré mal disposé. J'ai été faire ma dernière visite à la mer, vers trois heures. Elle était du plus beau calme et une des plus belles que j'aie vues. Je ne pouvais m'en arracher. J'étais sur la plage et n'ai point été sur la jetée de toute la journée. L'âme s'attache avec passion aux objets que l'on va quitter.
Parti à sept heures moins un quart. Chose merveilleuse! nous étions à Paris à onze heures cinq. Un jeune homme fort bienveillant, mais qui m'a fatigué, a partagé ma société. Il avait dîné avec moi en tête-à-tête. J'ai trouvé à Rouen Fau et sa petite fille.
—C'est d'après cette mer que j'ai fait une étude de mémoire: ciel doré, barques attendant la marée pour rentrer.
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Paris, 15 septembre.—Sophocle, à qui on demandait si, dans sa vieillesse, il regrettait les plaisirs de l'amour[92], répondit: « L'amour? Je m'en suis délivré de bon cœur comme d'un maître sauvage et furieux.»
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Dimanche 19 septembre.—Dîné chez M. Guillemardet, à Passy, avec M. Talentino, employé par Demidoff.
Je travaille énormément, depuis mon retour de Dieppe, aux caissons de l'Hôtel de ville. Je ne vois personne. Je fais d'excellentes journées.
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Lundi 20 septembre.—Sur l'architecture. C'est l'idéal même; tout y est idéalisé par l'homme. La ligne droite elle-même est de son invention, car elle n'est nulle part dans la nature. Le lion cherche sa caverne; le loup et le sanglier s'abritent dans l'épaisseur des forêts; quelques animaux se font des demeures, mais ils ne sont guidés que par l'instinct; ils ne savent ce que c'est de les modifier ou de les embellir. L'homme imite dans ses habitations la caverne et le dôme aérien des forêts; dans les époques où les arts sont portés à la perfection, l'architecture produit des chefs-d'œuvre: à toutes les époques, le goût du moment, la nouveauté des usages introduisent des changements qui témoignent de la liberté du goût.
L'architecture ne prend rien dans la nature directement, comme la sculpture ou la peinture; en cela elle se rapproche de la musique, à moins qu'on ne prétende que, comme la musique rappelle certains bruits de la création, l'architecture imite la tanière, ou la caverne, ou la forêt; mais ce n'est pas là l'imitation directe, comme on l'entend en parlant des deux arts qui copient les formes précises que la nature présente.
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Mardi 28 septembre.—Ce jour est le dernier où j'ai travaillé avant mon indisposition. Villot est tombé des nues chez moi, et sa visite m'a fait plaisir; mais à partir de ce jour, j'ai été pris d'une langueur et d'un mal de gorge[93] qui m'a couché tout à plat. Je venais de remonter mon tableau, que craignais de trouver trop sombre en place.
[86] Eugène Durieu, administrateur et écrivain, chargé, après la révolution de Février, de la direction générale de l'administration des cultes; il institua une commission des arts et édifices religieux, et créa le service des architectes diocésains pour la conservation des monuments affectés au culte.
[87] Jean-Pierre Dantan, statuaire et caricaturiste, dit Dantan jeune.
[88] C'est la première fois qu'une épithète louangeuse pour Dumas paraît dans ce Journal. On lira plus loin les jugements les plus sévères sur l'œuvre du romancier.
[89] Delacroix évoque ici des souvenirs d'enfance et de jeunesse. A ce propos, M. Riesener dit dans ses notes: «A Valmont, en Normandie, nous avons passé quelques vacances. Tantôt il était tout feu pour le travail, et faisait des aquarelles délicieuses qui ont été vues à sa vente; tantôt, ne pouvant s'y mettre, il se mettait à mouler avec passion des figurines qui ornent les tombeaux des moines d'Estouteville, fondateurs de l'abbaye de Valmont.»
[90] Possoz, ancien maire de Passy, membre du conseil municipal de Paris.
[91] L'église Saint-Ouen, de Rouen.
[92] Voir notre Étude, p. XI, XII. A rapprocher du fragment de Baudelaire: «Sans doute il avait beaucoup aimé la femme aux heures agitées de sa jeunesse. Qui n'a pas trop sacrifié à cette idole redoutable? Et qui ne sait que ce sont justement ceux qui l'ont le mieux servie qui s'en plaignent le plus? Mais longtemps déjà avant sa fin, il avait exclu la femme de sa vie. Musulman, il ne l'eût peut-être pas chassée de la mosquée, mais il se fût étonné de l'y voir entrer, ne comprenant pas bien quelle sorte de conversation elle peut tenir avec Allah.» (BAUDELAIRE, L'Art romantique. L’Œuvre et la vie d'Eugène Delacroix.)
[93] C'étaient les prodromes de cette maladie de larynx qui devait s'aggraver sous l'influence du tabac et l'emporter dix ans plus tard. Il avait toujours été extrêmement délicat de la gorge, et dans ses Souvenirs, Mme Jaubert, qui le rencontrait chez Berryer à Augerville, rapporte que cette excessive délicatesse le condamnait à des accoutrements souvent bizarres.
Samedi 2 octobre.—Tous ces jours-ci malade, et pourtant je sortais le soir, malgré la bise, pour conserver encore quelques forces. Aujourd'hui, par le conseil de Jenny, et presque poussé par les épaules, j'ai été faire une promenade au milieu du jour sur la route de Saint-Ouen et Saint-Denis; je suis revenu fatigué, mais, je crois, mieux. La vue de ces collines de Sannois et de Cormeilles m'a rappelé mille moments délicieux du passé. Un omnibus qui va et vient sur cette route de Paris à Saint-Denis m'a inspiré l'idée d'y aller m'y promener quelquefois. J'ai une envie démesurée d'aller à la campagne, et je suis cloué par cette indisposition.
Je lis le soir les Mémoires de Balsamo. Ce mélange de parties de talent avec cet éternel effet de mélodrame vous donne envie quelquefois de jeter le livre par la fenêtre; et dans d'autres moments, il y a un attrait de curiosité qui vous retient toute une soirée sur ces singuliers livres, dans lesquels on ne peut s'empêcher d'admirer la verve et une certaine imagination, mais dont vous ne pouvez estimer l'auteur en tant qu'artiste. Il n'y a point de pudeur, et on s'y adresse à un siècle sans pudeur et sans frein.
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Dimanche 3 octobre.—Sorti aussi, plaine Monceau. Beau ciel: monuments de Paris dans le lointain.
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Lundi 4 octobre.—Jenny est partie ce matin pour aller passer quelque temps, le plus qu'elle pourra, auprès de Mme Haro, et moi, je suis souffrant et arrêté dans mon travail.
Haro se sert, pour mater les tableaux, de cire dissoute dans l'essence rectifiée, avec légère addition de lavande (essence); pour ôter ce matage, il emploie de l'essence mêlée à de l'eau. Il faut battre beaucoup pour que le mélange se fasse.
Ce matage, frotté avec de la laine, donne un vernis qui n'a pas les inconvénients des autres.
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Samedi 9 octobre.—Je disais à Andrieu qu'on n'est maître que quand on met aux choses la patience qu'elles comportent. Le jeune homme compromet tout en se jetant à tort et à travers sur son tableau.
Pour peindre, il faut de la maturité; je lui disais, en retouchant la Vénus, que les natures jeunes avaient quelque chose de tremblé, de vague, de brouillé. L'âge prononce les plans. Dans l'exécution des maîtres, des différences qui en amènent dans le genre d'effet. Celle de Rubens, qui est formelle, sans mystères, comme Corrège et Titien, vieillit toujours, donne l'air plus vieux: ses nymphes sont de belles gaillardes de quarante-cinq ans; dans ses enfants, presque toujours le même inconvénient.
Lundi 11 octobre.—Sur mes figures de la terre, qui étaient trop rouges, j'ai mis des luisants avec jaune de Naples, et j'ai vu, quoique cela me semble contrarier l'effet naturel qui me paraît faire les luisants gris ou violets, que la chair devenait à l'instant lumineuse, ce qui donne raison à Rubens. Il y a une chose certaine, c'est qu'en faisant des chairs rouges ou violâtres, et en faisant des luisants analogues, il n'y a plus d'opposition, partant le même ton partout. Si, par-dessus le marché, les demi-teintes sont violettes aussi, comme c'est un peu mon habitude, il est de nécessité que tout soit rougeâtre. Il faut donc absolument mettre plus de vert dans les demi-teintes dans ce cas. Quant au luisant doré, je ne me l'explique pas, mais il fait bien: Rubens le met partout... Il est écrit dans la Kermesse.
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Mardi 12 octobre.—Aujourd'hui, vu Cinna avec Mlle Rachel. J'y avais été pour le costume de Corinne: je l'ai trouvé à merveille. Beauvallet[94] n'est décidément pas mal dans Auguste, surtout à la fin. Voilà un homme qui fait des progrès; aussi les rides lui viennent, et probablement les cheveux blancs, ce que la perruque d'Auguste ne m'a pas permis de juger.
Comment! l'acteur qui a toute sa vie, ou du moins pendant toute sa jeunesse, dans l'âge de la force et du sentiment, à ce qu'on dit, été mauvais ou médiocre, devient passable ou excellent, quand il n'a plus de dents ni de souffle, et il n'en serait pas de même dans les autres arts! Est-ce que je n'écris pas mieux et avec plus de facilité qu'autrefois? À peine je prends la plume, non seulement les idées se pressent et sont dans mon cerveau comme autrefois, mais ce que je trouvais autrefois une très grande difficulté, l'enchaînement, la mesure s'offrent à moi naturellement et dans le même temps où je conçois ce que j'ai à dire.
Et, dans la peinture, n'en est-il pas de même? D'où vient qu'à présent, je ne m'ennuie pas un seul instant, quand j'ai le pinceau à la main, et que j'éprouve que, si mes forces pouvaient y suffire, je ne cesserais de peindre que pour manger et dormir? Je me rappelle qu'autrefois, dans cet âge prétendu de la verve et de la force de l'imagination, l'expérience manquant à toutes ces belles qualités, j'étais arrêté à chaque pas et dégoûté souvent. C'est une triste dérision de la nature que cette situation qu'elle nous fait avec l'âge. La maturité est complète et l'imagination aussi fraîche, aussi active que jamais, surtout dans le silence des passions folles et impétueuses que l'âge emporte avec lui; mais les forces lui manquent, les sens sont usés et demandent du repos plus que du mouvement. Et pourtant, avec tous ces inconvénients, quelle consolation que celle qui vient du travail! Que je me trouve heureux de ne plus être forcé d'être heureux comme je l'entendais autrefois! À quelle tyrannie sauvage cet affaiblissement du corps ne m'a-t-il pas arraché? Ce qui me préoccupait le moins était ma peinture. Il faut donc faire comme on peut; si la nature refuse le travail au delà d'un certain nombre d'instants, ne point lui faire violence et s'estimer heureux de ce qu'elle nous laisse; ne point tant s'attacher à la poursuite des éloges qui ne sont que du vent, mais jouir du travail même et des heures délicieuses qui le suivent, par le sentiment profond que le repos dont on jouit a été acheté par une salutaire fatigue qui entretient la santé de l'âme. Cette dernière agit sur celle du corps; elle empêche la rouille des années d'engourdir les nobles sentiments.
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Lundi 18 octobre.—J'ai travaillé tous ces jours-ci avec une ténacité extrême, avant d'envoyer mes peintures qu'on colle demain; je suis resté sans me reposer pendant sept, huit et près de neuf heures devant mes tableaux.
Je crois que mon régime d'un seul repas est décidément celui qui me convient le mieux.
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Mardi 19 octobre.—Commencé à coller à l'Hôtel de ville. Tous les jours suivants, j'y serai assidu. Je ne pourrai guère commencer à retoucher que samedi ou dimanche. Je fais faire bonne garde à la porte de ma salle. Haro a renvoyé le préfet[95], qui a approuvé ma résolution de m'enfermer; ce qui me fait étendre la mesure à tout le monde et avec son ordre exprès.
Celte salle est, je crois, la plus obscure de toutes[96]. J'ai été un peu inquiet, surtout de l'effet des fonds des caissons, qu'il faut, je crois, faire clairs.
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Mercredi 20 octobre.—Ce matin, j'ai fait enlever toutes les planches, et la vue de l'ensemble m'a rassuré. Tous mes calculs relatifs à la proportion et à la grâce de la composition totale sont justes, et je suis ravi de cette partie du travail. Les obscurités qui sont l'effet de cette salle et auxquelles il était impossible de s'attendre à ce degré, seront, j'espère, facilement corrigées.
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Vendredi 22 octobre.—En sortant de ma salle, vers dix heures, trouvé le préfet qui m'a promené devant toutes ces maudites peintures. Il m'a fait tomber sur la jambe un cadre de bois, qui m'a fait une entaille qui paraît être, le lendemain, assez légère, mais qui m'a inquiété, par la crainte d'être arrêté dans la terminaison de mon salon.
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Vendredi 29 octobre.—Vu M. Cazenave[97] le matin.—Travaillé à mes retouches du plafond tous ces jours derniers, avec des chances diverses d'ennui et de joie: ce qu'il y a à faire est gigantesque; mais si je ne suis pas malade, je m'en tirerai.
—Sur la différence du génie français et du génie italien dans les arts: le premier marche l'égal du second pour l'élégance et le style, au temps de la Renaissance. Comment se fait-il que ce détestable style, mou, carrachesque, ait prévalu? Alors, malheureusement, la peinture n'était pas née. Il ne reste de cette époque que la sculpture de Jean Goujon. Il faut, au reste, qu'il y ait dans le génie français quelque penchant plus prononcé pour la sculpture; à presque toutes les époques, il y a eu de grands sculpteurs, et cet art, si on excepte Poussin et Lesueur, a été en avant de l'autre. Quand ces deux grands peintres ont paru, il n'y avait plus de traces des grandes écoles d'Italie: je parle de celles où la naïveté s'unissait au plus grand savoir. Les grandes écoles venues soixante ou cent ans après Raphaël ne sont que des académies où l'on enseignait des recettes. Voilà les modèles que Lesueur et Poussin ont vus prévaloir de leur temps: la mode, l'usage les ont entraînés, malgré cette admiration sentie de l'antique, qui caractérise surtout les Poussin, les Legros[98] et tous les auteurs de la galerie d'Apollon.
J'aime mieux m'entretenir avec les choses qu'avec les hommes: tous les hommes sont ennuyeux; les tics, etc. L'ouvrage vaut mieux que l'homme. Corneille était peut-être assommant; Cousin, de même; Poinsot, etc. Il y a dans l'ouvrage une gravité qui n'est pas dans l'homme. Le Poussin est peut-être celui qui est le plus derrière son œuvre.—Les ouvrages où il y a du travail, etc.
[94] Beauvallet avait débuté à la Comédie-Française le 3 septembre 1830 dans Hamlet, tragédie de Ducis. Le lendemain, M. Charles Maurice écrivait dans le Courrier des théâtres: «Le premier début de M. Beauvallet a été hier des plus insignifiants; il n'y a rien chez cet acteur qui puisse justifier les prétentions qu'annonce cette tentative.»
[95] M. Berger était alors préfet de la Seine. Il ne quitta ce poste qu'en 1853, lorsqu'il fut nommé sénateur.
[96] On sait que toute cette salle (salon de la Paix) a été complètement brûlée dans l'incendie du 24 mai 1871.
[97] Le docteur Cazenave, qui soignait alors Delacroix.
[98] Pierre Legros, sculpteur, né à Paris (1656-1719). Il a passé presque toute sa vie en Italie. Il a pourtant travaillé pour le Louvre ainsi que pour le palais et le parc de Versailles.
Lundi 1er novembre.—Faire des traités sur les arts ex professo, diviser, traiter méthodiquement, résumer, faire des systèmes pour instruire catégoriquement: erreur, temps perdu, idée fausse et inutile. L'homme le plus habile ne peut faire pour les autres que ce qu'il fait pour lui-même, c'est-à-dire noter, observer, à mesure que la nature lui offre des objets intéressants. Chez un tel homme, les points de vue changent à chaque instant. Les opinions se modifient nécessairement; on ne connaît jamais suffisamment un maître pour en parler absolument et définitivement.
Qu'un homme de talent, qui veut fixer les pensées sur les arts, les répande à mesure qu'elles lui viennent; qu'il ne craigne pas de se contredire; il y aura plus de fruit à recueillir au milieu de la profusion de ses idées, même contradictoires, que dans la trame peignée, resserrée, découpée, d'un ouvrage dans lequel la forme l'aura occupé[99]... Quand le Poussin disait, dans une boutade, que Raphaël était un âne, à côté de l'antique, il savait ce qu'il disait: il ne pensait qu'à comparer le dessin, les connaissances anatomiques de l'un et des autres, et il avait beau jeu à prouver que Raphaël était ignorant à côté des anciens.
À ce compte-là, il aurait pu dire aussi que Raphaël n'en savait pas autant que lui même Poussin, mais dans une autre disposition... En présence des miracles de grâce et de naïveté unies ensemble, de science et d'instinct de composition poussés à un point où personne ne l'a égalé, Raphaël lui eût paru ce qu'il est en effet, supérieur même aux anciens, dans plusieurs parties de son art, et particulièrement dans celles qui ont été entièrement refusées au Poussin.
L'invention chez Raphaël, et j'entends par là le dessin et la couleur, est ce qu'elle peut; non pas que j'entende dire par là qu'elle est mauvaise; mais telle qu'elle est, si on la compare aux merveilles en ce genre du Titien, du Corrège, des Flamands, elle devient secondaire, et elle devait l'être; elle eût pu l'être encore beaucoup davantage, sans distraire notablement des mérites qui mettent Raphaël non seulement au premier rang, mais au-dessus de tous les artistes, anciens et modernes, dans les parties où il excelle. J'oserais même affirmer que ces qualités seraient amoindries par une plus grande recherche dans la science anatomique ou le maniement du pinceau et de l'effet. On pourrait presque en dire autant du Poussin lui-même, eu égard aux parties dans lesquelles il est supérieur. Son dédain de la couleur, la précision un peu dure de sa touche, surtout dans les tableaux de sa meilleure manière, contribuent à augmenter l'impression de l'expression ou des caractères.
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Mardi 17 novembre.—L'homme est un animal sociable qui déteste ses semblables. Expliquez cette singularité: plus il vit rapproché d'un sot être pareil à lui, plus il semble vouloir de mal à cet autre malheureux. Le ménage et ses douceurs, les amis voyageant ensemble, qui se supportaient quand ils se voyaient tous les huit jours, qui se regrettaient quand ils étaient éloignés, se prennent dans une haine mortelle, quand une circonstance les force à vivre longtemps face à face.
L'esprit volontaire et taquin qui nous fait nous préférer, nous et nos opinions, à celles de notre voisin, ne nous permet pas de supporter la contradiction et l'opposition à nos fantaisies. Si vous joignez à cette humeur naturelle celle que la maladie ou les chagrins vous donnent dans une plus grande proportion, l'aversion qu'inspire une personne à qui notre sort est lié peut devenir un véritable supplice. Les crimes auxquels on voit se porter une foule de malheureux en l'état de société, sont plus affreux que ceux que commettent les sauvages. Un Hottentot, un Iroquois fend la tête à celui qu'il veut dépouiller; chez les anthropophages, c'est pour le manger qu'ils l'égorgent, comme nos bouchers font d'un mouton ou d'un porc. Mais ces trames perfides longtemps méditées, qui se cachent sous toutes sortes de voiles, d'amitié, de tendresse, de petits soins, ne se voient que chez les hommes civilisés.
—Aujourd'hui, à la séance de la mairie du IVe arrondissement, pour le choix des jurés.
Déjà fort indisposé, je suis rentré après avoir été un instant à l'Hôtel de ville, et ai fait tout le chemin à pied; mais c'est une vaillantise qui ne m'a point réussi. Peut-être eussè-je été plus malade sans cela. Mais à partir de ce jour a commencé l'indisposition qui m'a fort retenu et fort donné à penser sur la sottise de vouloir se crever de travail et compromettre tout par le sot amour-propre d'arriver à temps.
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Vendredi 19 novembre.—Je vois que les élégants font à Pétersbourg des cigarettes de thé vert. Elles n'ont pas du moins l'inconvénient d'être narcotiques.
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Jeudi 25 novembre.—Première promenade hors des barrières avec Jenny. Excellent remède pour l'esprit et le corps. Le froid me ranime au lieu de m'être importun ou insupportable comme d'habitude. Je serais ravi de cette disposition très favorable à la santé.
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Vendredi 26 novembre.—Grande promenade avec Jenny par les boulevards extérieurs, Monceau, la barrière de Courcelles et la place d'Europe, et à travers cette grande plaine où nous étions quasi perdus; cela est excellent pour la santé.
Il faudrait sortir tous les jours avant dîner, s'habiller, voir ses amis et sortir de la poussière du travail.
Se rappeler Montesquieu, qui ne se laissait jamais gagner par la fatigue, après avoir donné à la composition un temps raisonnable. L'expérience, en rendant le travail plus facile et plus ordonné, peut conquérir cette faculté qui est refusée à la jeunesse.
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Samedi 27 novembre.—Il est décidé que mes plafonds et peintures[100] vont être couverts de papier et la salle livrée au public: j'en suis enchanté. J'aurai le temps d'y revenir à loisir.
Je viens d'examiner tous les croquis qui m'ont servi à faire ce travail. Combien y en a-t-il qui m'ont grandement satisfait au commencement, et qui me paraissent faibles ou insuffisants, ou mal ordonnés, depuis que les peintures ont avancé! Je ne puis assez me dire qu'il faut beaucoup de travail pour amener un ouvrage au degré d'impression dont il est susceptible. Plus je le reverrai, plus il gagnera du côté de l'expression... Que la touche disparaisse, que la prestesse de l'exécution ne soit plus le mérite principal, il n'y a nul doute à cela; et encore combien de fois n'arrive-t-il pas qu'après ce travail obstiné, qui a retourné la pensée dans tous les sens, la main obéit plus vite et plus sûrement pour donner aux dernières touches la légèreté nécessaire!
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28 novembre.—Adam et Ève chassés du Paradis (La chute)[101].—Le Christ sortant du tombeau (La mort vaincue).
—Pour l'estomac: prendre du bismuth en petite dose, avec la soupe. Magnésie calcinée: une petite cuillerée avec fleur d'oranger ou sirop de gomme dans un peu d'eau, quelque temps avant le repas, deux fois par jour, s'il est possible. Bicarbonate de soude dans l'eau ou dans l'eau de Vichy, pour la renforcer.
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30 novembre.—Sur la manière, à propos des peintures de l'Hôtel de ville, comparée à celle de Riesener.—Boucher, Vanloo admirés, imitateurs de Michel-Ange et de Raphaël; même cohue.
[99] C'est un retour à l'idée que nous notions dans notre Étude et dont nous nous servions pour justifier la publication du Journal: «Pourquoi ne pas faire un petit recueil d'idées détachées qui me viennent de temps en temps toutes moulées, et auxquelles il serait difficile d'en coudre d'autres? Faut-il absolument faire un livre dans toutes les règles? Montaigne écrit à bâtons rompus... Ce sont les ouvrages les plus intéressants.» (Voir t, p. IV, V.)
[100] La décoration du Salon de la Paix, à l'Hôtel de ville, se composait de: 1° un plafond circulaire, 2° huit caissons, 3° onze tympans. Le sujet du plafond était: La Paix consolant les hommes et ramenant l'abondance. Ceux des caissons et des tympans étaient des sujets se référant à la mythologie antique: Vénus, Bacchus couché sous une treille, Mars enchaîné, Mercure, dieu du commerce, La Muse Clio, Neptune apaisant les flots, etc.
[101] Voir Catalogue Robaut, nos 832 à 855 et 902.
Sans date[102].—Penser que l'ennemi de toute peinture est le gris: la peinture paraîtra presque toujours plus grise qu'elle n'est, par sa position oblique sous le jour.—Les portraits de Rubens, ces femmes du Musée,—à la chaîne, etc., qui laissent voir partout le panneau Van Eyck, etc.
De là aussi un principe qui exclut les longues retouches, c'est d'avoir pris son parti en commençant... Il faudrait essayer, pour cela, de se contenter pleinement avec les figures peintes sans le fond; en s'exerçant dans ce sens, il serait plus facile de subordonner ensuite le fond.
—Il faut, de toute nécessité, que la demi-teinte, dans le tableau, c'est-à-dire que tous les tons en général soient outrés. Il y a à parier que le tableau sera exposé le jour venant obliquement; donc forcément ce qui est vrai sous un seul point de vue, c'est-à-dire le jour venant de face, sera gris et faux, sous tous les autres aspects.—Rubens outré; Titien de même; Véronèse quelquefois gris, parce qu'il cherche trop la vérité.
Rubens peint ses figures et fait le fond ensuite; il le fait alors de manière à les faire valoir: il devait peindre sur des fonds blancs; en effet, la teinte locale doit être transparente, quoique demi-teinte; elle imite, dans le principe, la transparence du sang sous la peau.
Remarquer que toujours, dans ses ébauches, les clairs sont peints et presque achevés sur de simples frottis pour les accessoires.
À la fin de l'Agenda de 1852, se trouvent les notes après:
27 décbre 1852, reçu pour les tableaux de Bordeaux. 700
27 décembre 1852, reçu de Thomas, pour un
Petit Tigre 300
1er février, reçu de Weill, à compte sur mon
marché de 1,500 fr 500
3 mars, reçu de Thomas, à compte sur mon marché
de 2,100 fr 1.000
10 mars, reçu de M. Didier, pour l'Andromède. 600
22—de Beugniet, pour le Petit Christ,
et le Lion et Sanglier 1.000
4 avril, reçu de Weill un second à compte 500
(reste 500).
10—de Thomas 1.100
(J'ai à lui donner les Lions sur ce marché, et en lui livrant la Desdémone dans sa chambre, il n'aura à me donner que 500 fr.).
10 avril, reçu de Mme Herbelin, pour les Pèlerins
d'Emmaüs 3.000 fr.
10 avril, reçu de Tedesco, pour les Chevaux qui sortent de
de l'eau (deux chevaux gris) 500
1er mai, reçu de Thomas, pour solde (sauf la répétition du
Christ au tombeau) 500
28 juin, reçu de Tedesco, pour le Maréchal marocain 800
1er marché avec Weill:
Vue de Tanger 1.500
Marchand d'oranges 1.500
Saint Thomas 1.500
La Fiancée d'Abydos[103] 1.500
De Weill:
J'ai reçu à compte le 1er février, en lui livrant la Vue de
Tanger 500
Depuis, il m'a demandé Saint Sébastien 500
Répétition du plafond d'Apollon à M. Bonnet[104] 1.000
Marché avec Thomas:
Desdémone aux pieds de son père 400
Ophélia dans le ruisseau 700
2.100 fr.
Deux lions sur le même tableau 500
Michel-Ange dans son atelier 500
(En avril)
Desdémone dans sa chambre 500
La répétition du Christ de M. de Geloës[105] 1.000
Marché avec Beugniet:
Christ en croix, toile de 6...
Lion terrassant un sanglier.
Marché avec Bonnet:
La répétition du plafond d'Apollon 1.000Marché avec le comte de Geloës:
Daniel dans la fosse aux lions[106] 1.000
Portrait de M. Bruyas[107] 1.000
—de Talma 1.500
[102] Sur des notes volantes dans un Agenda portant la date 1852.
[103] La seule Fiancée d'Abydos était en 1874 vendue 32,050 francs (Voir Catalogue Robaut, nos 772-773.)
[104] Cette superbe toile est au Musée de Bruxelles. (Voir Catalogue Robaut, n° 1110.)
[105] La première composition de la Mise au tombeau, ou Christ du comte de Geloës, atteignit à la vente Faure, en 1873, le chiffre de 60,000 francs. Cette répétition est d'un bien moindre format. (Voir Catalogue Robaut, nos 1034 et 1037.)
[106] Ce tableau fut vendu 17,500 francs en 1877. (Voir Catalogue Robaut, n° 1213.)
[107] «Le portrait de M. Bruyas, qui fut connu des Parisiens seulement à l'Exposition posthume de l'œuvre de Delacroix, avait été commencé en mai 1853. M. Bruyas, avec l'aide de Th. Silvestre, avait rédigé un catalogue raisonné et illustré de sa collection de peintures modernes.» (Voir Catalogue Robaut.)
—Au feu à l'aide, l'enfer
s'allume....—Sorcellerie! jetez vous sur lui...
Faust,
tragédie de M. de Goethe, traduite en français par M. Albert Stapfer C.
Motte (Paris) 1828.
1853
2 janvier.—La couleur n'est rien, si elle n'est pas convenable au sujet, et si elle n'augmente pas l'effet du tableau par l'imagination. Que les Boucher et les Vanloo fassent des tons légers et charmants à l'œil, etc.
*
Lundi 10 janvier.—Halévy nous contait, à Trousseau[108] et à moi,—à ce dîner,—qu'entendant parler d'un vieillard battu par son fils, il avait trouvé dans ce prétendu vieillard un homme de cinquante à cinquante-deux ans; mais c'était un homme qui paraissait vingt ans de plus: c'était quelque marchand de vin retiré. Ces natures brutes s'affaissent promptement, quand l'activité physique ne les soutient plus. Nous disions à ce propos que les gens qui travaillent de l'esprit se conservent mieux. Il m'arrive très souvent le matin d'être ou de me croire malade jusqu'au moment où je me mets à travailler. J'avoue qu'il se pourrait qu'un travail ennuyeux ne fît pas le même effet, mais quel est le travail qui n'attache pas l'homme qui s'y consacre? Je disais à Trousseau que je ne ressemblais pas à ces musiciens qui disent du mal de la musique, etc. Il m'a dit qu'il aimait passionnément son métier, qui est un des plus répugnants qu'on puisse embrasser. C'est un homme de plaisir, qui doit aimer ses aises. Tous les jours, dans cette saison, son réveille-matin le fait lever et courir à son hôpital, lever des appareils, tâter le pouls, et pis encore, à des malades dégoûtants, dans un air empesté où il passe la matinée. Quand la disposition ne l'y porte guère, il est à croire que l'amour-propre le fait. Dupuytren n'y a jamais manqué, et il n'est pas probable que ce soit cette assiduité qui l'ait fait mourir prématurément. Au contraire, elle aura peut-être combattu quelque mauvaise influence, qui aura fini par le tuer.
*
15 janvier.—Pour le tableau espagnol dont j'ai fait une esquisse:
Teinte de petit vert, avec très peu de brun rouge et de blanc, comme teinte locale, sur un frottis de bitume par exemple;
Ou simplement: petit vert pour l'ombre, sur lequel on met des tons de vermillon et de brun rouge.
Clairs empâtés avec rose, brun rouge, laque e blanc suivant le besoin.—La terre de Cassel et blanc ou la momie et blanc, suivant le besoin, font des tons violets suffisants: sur cette préparation, les tons dessinés avec beau rouge, laque, vermillon très chaud, sur les saillies, clairs vifs, roses ou jaunâtres.
Pour le berger, dans le même tableau: passé sur les clairs un ton de petit vert, rendu plus foncé avec vert émeraude: ce frottis était du vert pur. Mis le ton laud, avec vermillon et brun rouge purs.
Les clairs ajoutés ensuite, comme aux autres figures, avec tons chauds empâtés analogues, et uniformément aussi tous les endroits colorés, soit dans l'ombre, soit dans les clairs plus prononcés de rouge, comme le bout de nez, les paupières, les mains, aux articulations surtout, et principalement les doigts, les genoux.—Repiqués d'ombre de terre de Sienne brûlée et laque, avec vermillon; et clairs sur les parties saillantes; c'est-à-dire dessiner avec ce rouge de terre de Sienne et laque le contour des oreilles, les narines, etc., et sur les parties saillantes, telles que le bout du nez, les nœuds des mains; la joue, clairs plus ou moins roses, qui font le luisant et le complément.
Ton vert jaune de reflet dans une chair fraîche, indispensable: Terre d'ombre naturelle, jaune de Naples, jaune de zinc brillant, vert émeraude.—Mêlé avec le ton orange transparent de la palette laque jaune, vermillon, cadmium, il donne un ton rompu charmant, analogue à celui de la partie jaune du ciel d'Apollon, et excellent dans les préparations chaudes pour les clairs.
Le ton vert chou ci-dessus fait bien à côté de vermillon, blanc et laque brûlée; également à côté de brun rouge et blanc.
Tête de la femme sous les arbres dans l'ombre: ce qui fait le ton violâtre de l'ombre est brun rouge et blanc, et un peu de terre de Cassel plus foncé que le même ton, pour faire ce qu'il y a de plus violet dans le clair; en un mot, sur le frottis vert, qui est commun au clair comme à l'ombre, mais avec une intensité différente, pour rendre le clair moins participant du ton vert du dessous: brun rouge et blanc. Dans l'ombre sur ce ton vert, pour donner un ton rose, le ton que j'ai dit de brun rouge, blanc et terre de Cassel; ce ton mêlé à celui de terre d'ombre naturelle, bleu de Prusse et blanc, fait admirablement. Ce mélange du vert et du violet, qui caractérise le passage de l'ombre au clair, dans certaines parties, la joue, le jambes couleur de poisson, etc., etc. Pour faire ce ton d'ombre, quand il est plus jaune sur les parties jaunâtres, mettre le ton de terre d'ombre naturelle, bleu de Prusse et un peu d'ocre jaune, mêlé à plus ou moins de brun rouge et blanc. Le ton de bleu de Prusse, terre naturelle et blanc, magnifique ton d'ombre violette, en y mêlant du vermillon (employé, je crois, si je m'en souviens, entre les jambes de la petite Ariane assise—la seconde)—terre d'ombre et cobalt, au lieu de bleu de Prusse, ferait peut-être aussi bien et serait plus solide;—ce ton passé sur les parties rouge prononcé qu'on met sur les genoux, etc.
—Dans le ton vert, dans l'ombre de l'Espagnol en question, surtout de l'enfant vu de dos sous l'arbre;—sur ces tons verdâtres, atténuer aussi avec brun rouge, blanc et noir.
Le ton de terre d'ombre naturelle excellent, avec bleu de Prusse, pour les ombres légères verdâtres qui bordent les cheveux, le cou, la partie jaune du bras, du dos, etc. Exemple: Genoux de l'Andromède (vérifier si je n'ai pas voulu dire l'Ariane).—Bord d'ombre des jambes.
Pour faire une ombre moins fade qu'avec le petit vert, quand elle est un accident et non une teinte à plat, la préparer avec terre d'ombre, cobalt, et vert émeraude, et ensuite vermillon.—Entre-deux des jambes: pour ne pas le faire trop rouge, préparer avec terre d'ombre, vert émeraude, cobalt, et passer le vermillon par-dessus; et, mieux que vermillon, brun rouge qui fait moins ardent; ce ton est le plus sanguine possible pour une ombre intense, réunissant merveilleusement le vert et le violet; mais il est indispensable de passer l'un après l'autre, et non pas de les mêler sur la palette. Le ton de terre d'ombre naturelle, blanc et bleu de Prusse foncé avec brun rouge, magnifique ton d'ombre de chair vigoureuse. Les mettre à côté l'un de l'autre sur la palette;—fait également une demi-teinte locale de chair.—Le vert chou jaune: terre d'ombre naturelle, jaune de Naples, jaune de zinc, vert émeraude, avec brun rouge et blanc, très belle localité de chair (jambe de Talma).
Ton jaune vert, qui règne dans la copie du plafond d'Apollon, le ton clair de terre d'ombre naturelle bleu de Prusse et blanc avec ocre jaune.—Excellent frottis pour préparer des chairs fraîches comme la cuisse de Junon et son pied: Ton orangé de laque jaune, vermillon, cadmium avec laque rouge et blanc, mais assez foncé, pour faire une opposition prononcée; les mettre à côté l'un de l'autre. Jaune de zinc et noir plus ou moins foncé: beau vert rompu.
Tons très fins, analogues du ton jaune du ciel de l'Apollon, propres à placer sur une chair dans le clair comme préparation d'un ton d'ombre, vert chou et le ton orangé transparent.
Autre: Sienne naturelle, vert émeraude, jaune de zinc. Fait ainsi, il est un peu chaud et cru; on le tempère avec le vert chou.
Ton gris violet très joli: Vert chou avec laque et blanc foncé.
Ton d'or clair: Ocre jaune, jaune de Naples.
Autre demi-teinte plaquée d'or: Terre d'Italie seule (fauteuil de Talma).
Ton important de laque rouge et blanc foncé, côté du même ton dans lequel on ajoute de la laque brûlée; mettre l'un et l'autre à côté de jaune indien.
—Ton de jaune indien, Sienne et vert émeraude: opposition toute prête du jaune et du vert au violet.
Laque jaune et jaune de zinc, important.
Main gauche de Talma: Préparée avec des tons très roux et non encore rompus. Sur cette préparation, sèche depuis quelque temps, passé une demi-pâte très transparente avec brun rouge et blanc, et terre d'ombre naturelle, bleu de Prusse et blanc... a donné tout de suite une demi-teinte de chair d'une grande finesse. Les ombres chaudes étant placées et les saillies du clair avec des tons convenables, l'effet était complet. (Pourrait s'appliquer avec succès à toute préparation faite à la Titien avec ton de Sienne ou brun rouge, etc., comme, par exemple, était celle de la petite Andromède.)
Localité de la main appuyée par terre de la femme qui essuie le sang de saint Étienne: ton demi-teinte de terre de Cassel, blanc avec vermillon et laque. Le moindre ton vert (cobalt et émeraude, par exemple) et orangé donne un brillant magnifique, au-dessus peut-être de celui du Sardanapale, qui était analogue, à cause des tons verts ajoutés.
Coulé pour la chair—très fin: le ton de laque jaune et jaune de zinc avec laque rouge dorée.
Le charmant jaune paille (demi-teinte): Ocre jaune, terre de Cassel, blanc avec pointe de vert émeraude et zinc, et peut être sali avec pointe de laque rouge. À côté de beau vermillon et laque rouge,—mêlés ensemble modérément: tons sanguine très beaux.
Autre ton sanguine plus verdâtre: bon coulé, préparation, etc. À côté du ton beau vermillon clair et laque, ton d'ocre jaune et petit vert.—Ces tons très fins seraient d'ailleurs glacés (non essayé) pour remonter du ton des chairs déjà avancées, mais un peu trop blanches.
Beau brun: jaune de Mars et brun de Florence; mettre à côté de la masse des tons verts verdâtres, vert chaud, vert chou, et le ton de terre de Cassel, blanc et laque.
Ton bois violâtre: brun de Florence, blanc avec ocre de ru et une pointe de noir ou autre, pour salir un peu.
—Demi-teinte de cheveux blonds: jaune paille un peu sombre avec brun rouge et blanc sombre; aussi ajouter jaune indien ou ton de terre de Sienne et vert émeraude. Ajouter laque et vermillon clair au ton orangé transparent.
—Beau brun jaune vert: Vert émeraude, terre d'Italie naturelle; en y ajoutant du vermillon, il devient sanguine, sans être rouge.
Vermillon, laque brûlée, blanc, à côté de celui-ci, qui est un peu foncé; faire le même plus clair, mais avec très peu de laque brûlée et plus de laque et vermillon.
Avec ce dernier et vert émeraude, est fait le ton des montagnes les plus lointaines dans le Saint Sébastien.
Le clair du chemin et des montagnes plus rapprochées avec le petit vert et l'orangé decadmium, blanc et vermillon.
Brun de Florence et blanc mêlé à l'orangé de zinc; les mettre à côté l'un de l'autre.
*
Jeudi 27 janvier.—Dîné chez Bixio avec d'Argent, Decazes, le prince Napoléon. Après, chez Manceau.
De tout cela, je ne me rappelle que deux ou trois morceaux de la Flûte enchantée, dont nous a régalés Mme Manceau.
Je n'éprouve pas, à beaucoup près, pour écrire, la même difficulté que je trouve à faire mes tableaux[109]. Pour arriver à me satisfaire, en rédigeant quoi que ce soit, il me faut beaucoup moins de combinaisons de composition, que pour me satisfaire pleinement en peinture. Nous passons notre vie à exercer, à notre insu, l'art d'exprimer nos idées au moyen de la parole. L'homme qui médite dans sa tête comment il s'y prendra pour obtenir une grâce, pour éconduire un ennuyeux, pour attendrir une belle ingrate, travaille à la littérature sans s'en douter. Il faut tous les jours écrire des lettres qui demandent toute notre attention et d'où quelquefois notre sort peut dépendre.
Telles sont les raisons pour lesquelles un homme supérieur écrit toujours bien, surtout quand il traitera de choses qu'il connaît bien. Voilà pourquoi les femmes écrivent aussi bien que les plus grands hommes. C'est le seul art qui soit exercé par les indifférentes... Il faut ruser, séduire, attendrir, congédier, en arrivant et en partant. Leur faculté d'à-propos, la lucidité, extrême dans certains cas, trouvent ici merveilleusement leur application. Au reste, ce qui confirme tout cela, c'est que, comme elles ne brillent pas par une grande puissance d'imagination, c'est surtout dans l'expression des riens qu'elles sont maîtresses passées. Une lettre, un billet, qui n'exige pas un long travail de composition, est leur triomphe.