Journal de Jean Héroard - Tome 2: Sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1610-1628)
The Project Gutenberg eBook of Journal de Jean Héroard - Tome 2
Title: Journal de Jean Héroard - Tome 2
Author: Jean Héroard
Release date: May 15, 2014 [eBook #45655]
Most recently updated: October 24, 2024
Language: French
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JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
TYPOGRAPHIE FIRMIN DIDOT.—MESNIL (EURE).
JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
(1601—1628)
EXTRAIT DES MANUSCRITS ORIGINAUX
Et publié avec autorisation de S. Exc. M. le Ministre de l'Instruction publique
PAR
MM. EUD. SOULIÉ ET ED. DE BARTHÉLEMY
TOME SECOND
1610—1628
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET CIE
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 56
1868
Tous droits réservés.
JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
ANNÉE 1610.
Première journée de royauté: discours prononcé au Palais; dîner de la Reine: elle refuse de prendre la serviette des mains du Roi; le cœur de Henri IV donné aux Jésuites.—Serment de fidélité du régiment des gardes.—Rêverie et regrets du Roi sur la mort de son père.—Retour du comte de Soissons.—Mme de Verneuil.—Le premier bienfait du Roi.—Cérémonie à Notre-Dame.—Le mémoire des chiens du Roi.—Héroard retenu premier médecin du Roi.—Craintes pour la sûreté du Roi.—Correction faite à deux vers latins.—Supplice de Ravaillac.—Bon naturel du Roi pour son premier page.—Le Roi fouetté.—Du Bourdet et Olyvète.—Visite à la reine Marguerite.—Maisons d'Issy.—Chasses dans les Tuileries.—Promenade sur la Seine.—Réponse du Roi à son sous-gouverneur.—Crainte envers la Reine.—Un lion dans les Tuileries; humanité du Roi.—L'imprimeur Robert Estienne.—Réponse au maréchal de la Châtre.—Poids du Roi.—Audience du duc des Deux-Ponts.—Sentence inventée par le Roi; instinct de la justice.—Eau bénite au corps de Henri IV.—Le corps du feu Roi sort du Louvre; dissension à ce sujet.—Service des officiers du feu Roi.—Départ de M. de Rohan.—Mot sur les ivrognes.—Retour du prince de Condé.—Complaisance de la reine Marguerite pour le Roi.—Le barbier Renard.—Le garde du Roi.—Les poires de Cuisse-Madame.—Soldat aux gardes fait prisonnier.—Chasse à Meudon; premier coup d'épée à un sanglier.—Grâce de l'estrapade à un soldat.—Dîner à Ruel; le Roi fait le bon compagnon.—Cérémonie des chevaliers de Saint-Lazare.—Première pierre du pavillon neuf de Vincennes.—Audience du parlement de Toulouse.—Les chansons du feu Roi.—Grâce à deux soldats.—Souvenir du sacre de la Reine.—Première pierre du collége du Roi.—Librairies du collége de Navarre et des Cordeliers.—Départ de M. de Vendôme.—Les reliques de la Sainte-Chapelle.—M. de Mainville et les chiens pour voleur.—La veillée des femmes de chambre.—Noise aux Feuillants pour les honneurs.—Prise de Juliers.—Audience de l'ambassadeur d'Espagne; révérence de deux Navarrais.—La capitainerie de Saint-Germain-en-Laye.—Livre couvert de diamants.—Le Roi fouetté.—Audience de l'ambassadeur d'Angleterre; signature du traité d'alliance.—Serments de Concini.—Départ du Parlement pour le sacre.—Correction du Roi au privilége des emblèmes d'Horace.—Départ pour Reims; le Roi en voyage.—Le Roi n'est pas grand parleur.—Des Yveteaux et ses leçons.—Soldats de plomb.—Entrée à Reims.—Les musiciens de la chambre.—Cérémonie du sacre; remarque sur le duc d'Épernon.—Le Roi est fait chevalier du Saint-Esprit; susceptibilité du cardinal de Joyeuse.—Départ de Reims; le Roi en voyage.—Le Roi touche neuf cents malades des écrouelles.—Coupe-queue au jeu.—Réception de la ville de Paris.—Le comte Henri de Nassau.—Le Roi dîne à Ruel avec ses frères et sœurs.—Audience de l'ambassadeur de Venise.—Le musicien La Chapelle.—Le jeu de gilet.—Cimeterre à la turque.—Les estafiers d'Espagne.—Le Roi fait l'ambassadeur de Venise chevalier de l'accolade.—Les deux musiques.—Audience de l'ambassadeur de Hongrie.—Marchandises de la Chine.—Gazette de Rome.—Le Roi n'aime pas la flatterie.—Deux loups pris au bois de Boulogne.—Fiançailles de M. de Guise.—Mot sur les sermons.—Un chien enragé; traitement contre la rage.—Les pelotes de neige.
Le 15 mai, samedi, à Paris.—Éveillé à six heures et
demie, doucement. M. de Souvré lui baille par écrit ce
qu'il avoit à dire, allant au Parlement, qui se tenoit aux
Augustins: «Messieurs, il a plu à Dieu appeler à soi
notre bon Roi, mon seigneur et père. Je suis demeuré
votre Roi comme son fils, par les lois du royaume. J'espère
que Dieu me fera la grâce d'imiter ses vertus et
suivre les bons conseils de mes bons serviteurs, ainsi
que vous dira monsieur le chancelier.» A sept heures et
un quart levé, bon visage, gai; vêtu d'un habillement
bleu. A huit heures et demie déjeûné, il ne sut manger;
bu de la tisane. Il avoit du ressentiment et si[1] l'innocence
de son âge lui donnoit par intervalles quelque
gaieté. Mené à la messe; à neuf heures et demie dîné. Il
est contraint de quitter le dîner pour aller au Palais accompagner
la Reine. Il monte à cheval, assuré, intrepidus,
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facie serena, et va par le Pont neuf aux Augustins,
puis à la messe à Saint-Victor. Ramené à deux heures;
M. de Vendôme prend la serviette du maître d'hôtel pour
la servir à la Reine, qui alloit dîner; M. de Souvré va à
lui, et lui dit qu'il la donne au Roi, qui la prend soudain.
M. de Souvré lui ayant dit que quand la Reine la refuseroit
qu'il ne laissât pas de la présenter, il y court, la
présente instamment; jamais elle ne la voulut prendre
de sa main. MM. de la Ville le viennent saluer; à six
heures trois quarts soupé. Il va au petit cabinet, là où les
Jésuites, en nombre de douze, conduits par le P. Coton,
le viennent saluer et lui représentent les grandes obligations
qu'ils avoient au feu Roi son père, surtout de ce
qu'il leur avoit donné son cœur, lui offrent leur service,
et, au partir de là, vont trouver la Reine, conduits par
M. de la Varenne, lequel assura Sa Majesté que le feu
Roi lui avoit dit et commandé qu'il vouloit qu'ils l'eussent.
Sur cette assurance, ils vont en la chambre, où,
ayant mis le cœur entre M. le prince de Conty et le P.
Coton, tous deux à genoux, et après par lui dites quelques
paroles, ils emportent le cœur du Roi pour le porter
à la Flèche. A huit heures et un quart il dit qu'il est las,
est dévêtu, mis au lit, pouls plein, égal, posé, chaleur
douce. Il prie Dieu, se joue, s'endort à neuf heures, peu
après s'éveille et commande à M. de Préaux de lui lire
une histoire. Il écoute attentivement, ferme les yeux;
M. de Préaux cesse, croyant qu'il dormît: Non, non, je
dors pas, lisez; à neuf heures et demie il s'endort.
Le 16, dimanche, à Paris.—A huit heures trois quarts
déjeûné; il va donner le bonjour à la Reine puis, à neuf
heures, est mené à la messe en Bourbon. Mené en carrosse
aux Tuileries, en allant par la rue Saint Honoré, il
commande à l'exempt: Faites mettre mes gardes en haie
aux côtés de mon carrosse. M. le duc d'Épernon, colonel de
l'infanterie de France, avec M. de Créquy, colonel du régiment
des gardes, et tous les capitaines du régiment,
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tous le genou en terre, lui viennent prêter le serment de
fidélité, M. d'Épernon portant la parole. Il les remercie
et les embrasse.
Le 17, lundi, à Paris.—Éveillé à huit heures, pouls plein, égal, posé, chaleur douce. Sa nourrice, qui avoit couché au côté de son lit, lui demande ce qu'il avoit à rêver; il répond: C'est que je songeois, puis demeure longtemps pensif. Sa nourrice lui dit: «Mais que rêvez-vous?» Il répond: Dondon, c'est que je voudrois bien que le Roi mon père eût vécu encore vingt ans. Ha! le méchant qui l'a tué; et le jour de devant il avoit dit à Mme de Montglat: Mamanga, je voudrois bien n'être pas si tôt Roi et que le Roi mon père fût encore en vie. Levé, vêtu, prié Dieu, déjeûné; il va donner le bonjour à la Reine, puis étudié, écrit, tiré des armes, dansé. Mené à la messe en la chapelle de la Reine.—M. le comte de Soissons arrive, qui, le mercredi précédent, s'en étoit allé malcontent du feu Roi pour n'avoir point voulu permettre à sa femme les fleurs de lys sur la robe, au jour du couronnement de la Reine; le Roi et la Reine vont sept ou huit pas au devant de lui. A six heures et demie soupé; arrive Mme de Verneuil, qui venoit de se jeter aux pieds de la Reine. Amusé doucement à fondre du plomb jusques à neuf heures trois quarts.
Le 18, mardi, à Paris.—M. de Souvré lui dit qu'il rêve la nuit, et lui demande que c'est qui le fait rêver; il répond: C'est que je songe que l'on me chatouille, qu'on me fait comme cela, dit-il en se chatouillant. Soupé avec prunes de Brignole confites; il en donne quatre à Mathurine, disant qu'il faut le demeurant pour ses gentilshommes servants; il donne des dragées de fenouil à M. de Souvré puis à M. de Praslin et à M. de Vitry, capitaines des gardes; c'est le premier bienfait qu'ils ont eu du Roi.
Le 20, jeudi, à Paris.—A neuf heures et demie déjeûné,
mené chez la Reine, et, à dix heures trois quarts,
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en cérémonie et à cheval ouïr la messe à Notre-Dame.
Il ne se vit jamais une si grande acclamation de peuple
criant: Vive le Roi! et mêlée de larmes. M. de Paris le
reçoit à l'entrée, en cérémonie; M. le prince de Conty
porta l'offrande.
Le 22, samedi, à Paris.—Mené en carrosse aux Tuileries, il fait prendre une cane dans l'étang par ses chiens, y a goûté à cheval. Mis au lit, il commande à M. de Heurles d'apporter du papier et de l'encre: Écrivez, lui dit-il, les noms de mes chiens, et les lui nomme, puis en baille le mémoire à M. le Grand.
Le 24, lundi, à Paris.—Mené en carrosse aux Tuileries, il se fait tirer par deux valets de pied dans un petit carrosse à bras, puis y fait atteler deux de ses bidets.
Le 25, mardi, à Paris.—A neuf heures et demie déjeuné; il va donner le bonjour à la Reine, là où je reçus l'honneur du commandement qu'elle me fit de servir le Roi en qualité de premier médecin. Étudié, écrit, tiré des armes, dansé; mené à la chapelle de l'antichambre de la Reine, il ne sort point de tout ce jour hors du château, sur des avis que l'on lui avoit donné que ce jour étoit périlleux pour lui. Les ambassadeurs résidents viennent voir la Reine; il étoit près d'elle et Messieurs et Mesdames.
Le 26, mercredi, à Paris.—Son précepteur lui demande s'il se ressouvenoit bien de ces deux vers qu'il lui avoit appris, il y avoit quelque temps, et les lui nomme:
Il répond: Non, je ne veux pas dire ainsi, et les récita ainsi:
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A trois heures goûté; il a reçu les ambassadeurs de l'Archiduc et des États.
Le 27, jeudi, à Paris.—A onze heures et un quart dîné; il met des guignes sèches dans sa pochette, hâtivement, de peur que M. de Souvré ne s'en aperçût.—Ce jourd'hui fut tiré à quatre chevaux Ravaillac, qui avoit tué le Roi.
Le 28, vendredi, à Paris.—Il commande à M. de Drouet, capitaine aux gardes, de ne faire point partir hors de garde sa compagnie, avant qu'il eût dîné. C'étoit pour y voir Bompar, son premier page, qu'il lui avoit donné, sortant hors de page. Il le faisoit voir à chacun, à la Reine même, qu'il mena aux fenêtres, témoignant en cela son bon naturel. Mis au lit, il se joue, cause, raille; M. de Préaux le veut reprendre de quelque chose, il lui dit quelque injure.
Le 29, samedi, à Paris.—Levé, il vient au cabinet, où M. de Souvré lui ramentoit l'injure du jour précédent et en fut fouetté. Mené en carrosse ouïr vêpres aux Chartreux, il se promène après au cloître; il faisoit grand chaud. En soupant il railloit le sieur Du Bourdet, qu'il avoit connu page de la chambre et qui avoit la tête petite, lui disant: Velà tête d'Olyvette[3]; il a le visage fait comme un oiseau[4]; avez-vous fait faire votre tête exprès? Je pense qu'oui.
Le 30, dimanche, à Paris.—Mené chez la Reine, puis à la messe, en Bourbon. Amusé jusques à deux heures et demie; mené en carrosse à la Sainte-Chapelle, ouïr vêpres, à trois heures et demie, il va au jardin du bailliage, et sous le petit pavillon a goûté.
Le 31, lundi, à Paris.—Levé, il dit en entrant au cabinet:
La Reine ma mère est éveillée, laissez entrer tout le
monde. Mené en carrosse à vêpres aux Célestins, puis à la
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Roquette, il y fait un tour, est ramené par l'Arsenal au
Louvre.
Le 1er juin, mardi, à Paris.—Mené à la chapelle de l'antichambre de la Reine, puis à onze heures trois quarts dîné; il oublioit à boire, comme il advenoit assez souvent. Mené en carrosse à vêpres, aux Cordeliers, puis à l'hôtel de Luxembourg au faubourg Saint-Germain; il y fait courir un marcassin dans le parc. A sept heures et un quart soupé; il lui faut faire ressouvenir de boire[5].
Le 2, mercredi, à Paris.—A deux heures trois quarts mené en carrosse à l'hôtel de Luxembourg au faubourg Saint-Germain[6]; il y court dans le parc un marcassin apporté, avec ses petits chiens; à trois heures et demie il y a goûté puis couru un lièvre. Mené chez la reine Marguerite, il y court un renard porté dans le parc.
Le 5, samedi, à Paris.—Mené en carrosse à Issy, il se joue à des belles et plaisantes maisons (sic).
Le 6, dimanche, à Paris.—A trois heures mené en carrosse aux Tuileries, où il avoit fait porter un sanglier de deux ans donné par M. de Guise; il met ses bassets après, puis des lévriers à lièvre; ils le lassent, il se jette dans l'étang, ce qui lui donne beaucoup de plaisir. Il avoit soif, chaud; M. de Souvré ne lui veut point permettre de boire.
Le 9, mercredi, à Paris.—A six heures et un quart soupé, peu, par impatience de s'aller promener sur la rivière; à sept heures et un quart il entre en bateau couvert, descend jusques au droit de Chaillot, est ramené de même, avec des chevaux, à neuf heures.
Le 10, jeudi, à Paris.—Mené à la chapelle de Bourbon
et à la procession dedans la cour du Louvre. A douze
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heures et demie dîné; M. de Préaux, son sous-gouverneur,
lui dit sur ce qu'il faisoit grand chaud, et il avoit
chaud: «Sire, si Votre Majesté a chaud, quand elle a une
serviette blanche elle se peut essuyer.»—C'est tout un,
il n'y a remède, nous en aurons bien d'autres[7], dit le Roi
résolument et comme de chose qui devoit advenir. Mené
en carrosse ouïr vêpres à Saint-Germain-des-Prés. A six
heures soupé avec impatience de s'aller promener aux
Tuileries; il va à pied jusques aux Tuileries, où il s'embarque
et va jusques au droit de la Savonnerie; ramené par
eau à neuf heures. Mis au lit il se joue, fait des culbutes,
fait lire le livre De l'État et affaires de France du sieur du
Haillan[8].
Le 11, vendredi, à Paris.—A six heures et un quart soupé, mené à cheval jusques auprès des Bonshommes, ramené de même à neuf heures.
Le 12, samedi, à Paris.—Il donne, pendant son dîner, de toutes ses viandes à un petit nain[9], et le fait servir par ses gentilshommes. Joué en la galerie, il fait armer sa compagnie (c'étoient ses petits gentilshommes), leur fait prendre des piques qu'il avoit fait faire. Après souper, il va en son cabinet, est tancé par M. de Souvré, auquel il avoit dit qu'il portoit une épée, mais qu'il ne s'en savoit pas aider. M. de Souvré le lui fait sentir, le lui pardonne pour l'avoir dit à lui; mais afin qu'il ne le dise pas à la Reine, il se met à genoux devant M. de Souvré[10]; l'accord se fait, il en avoit un grand repentir. Mené jouer en la galerie, il est ramené à neuf heures, va chez la Reine.
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Le 14, lundi, à Paris.—Déjeuné, étudié, écrit, tiré des armes, dansé, mené aux Feuillants par la galerie, ramené par le même chemin. A onze heures et un quart dîné; il lui faut ramentevoir à boire. Joué en la galerie, où il fait voler trois cailles par deux de ses émerillons. Soupé; mené à la galerie et en carrosse jusques à la Savonnerie, puis à cheval jusques aux Tuileries, où il voit un lion attaché contre un arbre, auquel on jette un chien, qu'il étrangla soudain. Cela lui déplut tant, qu'il s'en mit en colère et commanda que celui qui l'avoit jeté fût châtié[11].
Le 15, mardi, à Paris.—Mené en carrosse à l'hôtel du Luxembourg, il y fait courir un petit sanglier apporté. Ramené à six heures trois quarts, soupé; il le faut faire souvenir de boire. Il va se jouer en la galerie, va chez la Reine.
Le 16, mercredi, à Paris.—Mené à cinq heures au Pré-aux-Clercs, pour y courir un chat à force de cheval.
Le 17, jeudi, à Paris.—Mené en carrosse aux Tuileries, où il fait porter ses piques, arquebuses, enseigne, et fait sa compagnie.
Le 18, vendredi, à Paris.—A huit heures et un quart déjeûné, étudié, écrit, tiré des armes, dansé. M. Estienne[12] lui apporte quelques sentences qu'il avoit imprimées par son commandement, de celles qui lui étoient données par son précepteur.
Le 19, samedi, à Paris.—Mené en carrosse au village de Issy, à la maison d'un nommé La Haye; il y pêche à la ligne, prend à la deuxième fois.
Le 20, dimanche, à Paris.—A neuf heures déjeuné;
il fait manger son potage à son perroquet jaune. M. le
maréchal de la Châtre, qui étoit ordonné pour mener
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l'armée en Clèves, lui demanda: «Sire, si je rencontre
les ennemis, que vous plaît-il que je fasse?» Il répond:
Donnez la bataille.
Le 21, lundi, à Paris.—A sept heures et demie, mis au bain d'eau tiède avec feuilles de vigne, dans la grande chambre: il y a demeuré trois quarts d'heure; mis au lit, où il a demeuré une heure, puis levé. Il va à la messe à l'antichambre de la Reine, puis au cabinet où la Reine étoit au conseil.
Le 22, mardi, à Paris.—A sept heures et trois quarts mis dans le bain; il y est demi-heure. Lavé le visage[13]; mis au lit, il y est une heure. Il va en la galerie, arme sa compagnie; il prend le hausse-col et sa pique, et marche à la tête. Mené en carrosse jusques au droit de Chaillot, il va à la Savonnerie, se y fait peser et se trouve peser cinquante-trois livres.
Le 24, jeudi, à Paris.—Il donne audience au duc des Deux-Ponts, député des princes protestants, et à celui des États de Hollande. Mené en carrosse à Saint-Martin-des-Champs, il y fait attaquer un sanglier apporté; il n'avoit point voulu permettre que l'on le fît combattre à un lion[14], craignant que le sanglier ne le tuât et disant: Ce seroit dommage, car ces pauvres gens y gagnent leur vie.
Le 25, vendredi, à Paris.—Son précepteur lui demande
s'il lui plaisoit pas traduire quelque sentence de
françois en latin; il répond: Oui, mais j'en veux faire,
prend la plume et écrit de son invention ces mots: Le
sage prince réjouit le peuple. Peu après le précepteur lui
demande quel étoit le devoir d'un bon prince, il répond:
C'est d'abord la crainte de Dieu; et comme il songeoit
pour continuer, son précepteur ajoute: «Et aimer la
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justice.» Le Roi répart soudain: Non! il faut: et faire la
justice. Mené chez la Reine puis à la chapelle de Bourbon,
et de là, à midi, en l'hôtel de Longueville, où il a dîné et
fait voler les papillons par une pie-grièche. A quatre heures
et demie il sort de l'hôtel de Longueville pour aller
donner de l'eau bénite au Roi son père dans la salle basse
du Louvre. Messieurs, ses frères, Monsieur et M. le duc
de....[15] portoient sa queue; il y en avoit cinq. Il étoit
conduit par MM. les cardinaux de Joyeuse et de Sourdis[16].
A cinq heures trois quarts mené en sa chambre,
il suoit à cause de son habit à capuchon et longue queue
à cinq pointes; il est mis au lit et rafraîchi. A six heures
trois quarts soupé, mené chez la Reine.
Le 26, samedi, à Paris.—A six heures goûté; il va chez la Reine, au conseil, est ramené à sept heures. Le baron de Montglat vient prendre congé de lui, demandant s'il lui plaisoit lui commander quelque chose; qu'il s'en alloit à l'armée de Clèves; il lui dit: Allez, Montglat, faites bien. Il avoit un nain nommé Dumont, et passe le temps à faire semblant de le marier à Marine, naine de la Reine; fait apporter un contrat et y écrit.
Le 27, dimanche, à Paris.—Mené à vêpres, aux Bernardins, et de là en la plaine de Grenelle pour y voir jeter en la garenne une douzaine de lièvres, et voir voler et prendre un pigeon par deux émerillons. Ramené à cheval en pourpoint tout découpé, il faisoit grand vent, et il arriva au Louvre à six heures et demie, un peu malade.
Le 29, mardi, à Paris.—Mené par la galerie aux Feuillants;
il se joue aux Tuileries, y tire aux oiseaux avec une
arbalète à jalet, fort justement, en abat un, tiré avec jugement;
il le frappe par l'aile. Ramené en carrosse à onze
heures et un quart, il va chez la Reine. Dîné, joué, amusé
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doucement jusques à trois heures et demie; goûté, point
bu. L'on devoit sortir le corps du défunt Roi; il y eut
grande dissension entre les cent gentilshommes et les
gardes du corps, qui faillent à en venir aux mains. Le Roi
sort sur une avance qui va de la petite montée vers la
grande salle, est plus de demi-heure à regarder ce qui
se faisoit en la cour; l'on avertit son guide (sic), on le retire.
M. de Gondi, évêque de Paris, débat le rang avec
la cour de Parlement; la Cour enfin le pousse devant;
le corps sort du Louvre à six heures et demie, arrive à
neuf heures à Notre-Dame. Cependant le Roi a soupé à
sept heures et demie; mené chez la Reine; amusé doucement
jusques à neuf heures et demie.
Le 5 juillet, lundi, à Paris.—Il s'amuse à tirer de l'arbalète en s'habillant, en pend une petite à sa ceinture. Mené en carrosse chez la reine Marguerite, il monte à cheval, va à la volerie.
Le 9, vendredi, à Paris.—Ce matin les officiers du feu Roi ont commencé à le servir. Mené en carrosse à Chaillot, ramené à cheval.
Le 11, dimanche, à Paris.—M. de Rohan, colonel des Suisses, vient prendre congé de lui pour s'en aller à l'armée qui alloit en Clèves, et lui demande s'il lui plaît de lui commander quelque chose pour dire à M. de la Châtre, chef de l'armée?—Dites-lui qu'il fasse du mieux qu'il pourra.—«Mais, Sire, vous plaît-il qu'il donne la bataille?»—Qu'il fasse du mieux qu'il pourra. A trois heures, goûté; mené à la Roquette à cheval.
Le 12, lundi, à Paris.—A trois heures, mené en carrosse à Suresnes, chez le sieur Parfait, contrôleur général de sa maison, où il a goûté.
Le 15, jeudi, à Paris.—A onze heures trois quarts,
dîné; il fait donner à boire à son petit chien, qu'il nommoit
Gayan, et demande: Pourquoi donne-t-on à boire
aux chiens? Il lui fut répondu: «De peur qu'ils n'enragent.»
Il répart soudain: Les ivrognes donc n'ont garde
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d'enrager, car ils boivent toujours. Mené en carrosse à
Madrid[17], à la chasse au lièvre et à l'oiseau.
Le 16, vendredi, à Paris.—A cinq heures et demie M. le prince de Condé, revenant de Milan et Bruxelles, arrive, lui fait la révérence et à la Reine, le genou en terre; l'un et l'autre l'embrassent deux fois. LL. MM. étoient au pied du lit du Roi, dans le balustre, au droit de la portière. A neuf heures trois quarts dévêtu, M. le Prince lui donne sa chemise[18].
Le 19, lundi, à Paris.—A onze heures et demie, dîné; il trouve sur son potage des rognons de poulet demande au gentilhomme servant: Qu'est cela? Il répond: «Ce sont des témoins.»—Pourquoi les appelez-vous des témoins? dit-il en se souriant. Il répond que c'étoit pour faire la différence des mâles.—Ce sont donc les témoins des mâles. Mené à la chasse à l'oiseau à la plaine de Grenelle puis chez la reine Marguerite, et à six heures et demie au Louvre. Après souper il envoye secrètement prier la reine Marguerite d'envoyer à M. de Souvré le prier de sa part à ce que, le jour suivant, il l'exempte de l'étude, à cause que c'est le jour de Sainte-Marguerite. Elle y envoya sur les neuf heures; ce fut au grand cabinet de la Reine, ce qui lui donna sujet de rire.
Le 22 juillet, à Paris.—Éveillé à sept heures et demie,
pouls plein, égal, posé, chaleur douce; levé, bon
visage, gai. Vêtu, coupé les cheveux; Renard, son barbier,
lui sembloit trop long, il le frappe du miroir et de coups
de poing. M. de Souvré le menace du fouet, et s'en va au
cabinet, où il le fait appeler. Non, dit-il, je n'y irai pas,
il me veut bailler le fouet, mais ne lui dites pas. Enfin, voyant
qu'il y falloit aller, il dit: Allez, allez, trétous, que personne
ne demeure ici (en sa chambre). C'étoit pour les faire
intercéder pour lui. Il en eut toute la peur, à la charge
Juil
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de demander pardon à Renard, qu'il appeloit: Renard,
Renard, venez Renard, pardonnez-moi, je vous frapperai
plus.—Ce jour d'hui ses chevau-légers entrent en garde
près de lui, cinquante tous les huit jours; le sieur de la
Curée en étoit son lieutenant, et ceci à cause que les
grands de la Cour étoient fort accompagnés et lui peu.
Le 23, vendredi, à Paris.—Mené en carrosse voler le perdreau, vers le Roule.
Le 24, samedi, à Paris.—Mené en carrosse jusques à la Savonnerie, ramené et promené aux Tuileries.
Le 25, dimanche, à Paris.—Sur ce qu'il entendit une salve d'arquebusades des Suisses qui faisoient monstre[19], il dit en s'élevant sur sa chaire: Velà qui est bon, velà qui est bon, allons, allons. Il va aux Tuileries et aux Feuillants, joue aux Tuileries. A dîner on lui sert des poires que l'on appelle de Cuisse-Madame; il demande au gentilhomme servant: Comme appelle-t-on ces poires? Il répond: «Poires de Cuisse-Madame.»—De Cuisse-Madame, c'est donc des poires de Cuisse ma sœur?
Le 27, mardi, à Paris.—Mené en carrosse vers les Célestins, pour voir des tentes tendues dans l'île, ramené par eau par sous les ponts, dans un petit bateau qui ne valoit guère, à ce que l'on disoit; descendu devant le Louvre à sept heures.—Ce jourd'hui sur les trois et quatre heures fut prins un soldat de la recrue du capitaine Bonouvrier, capitaine aux gardes, pour avoir dit à l'un de ses compagnons, lui montrant deux couteaux et le Roi, comme il sortoit pour aller vers les Célestins: «Je voudrois que l'un de ces deux couteaux fût au fond du cœur du dernier de la race[20].»
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Le 31 juillet, samedi, à Paris.—Mené en carrosse à la plaine de Grenelle, à la chasse aux perdreaux.
Le 1er août, dimanche, à Paris.—A midi mené en carrosse à Meudon, nonobstant la grande chaleur, pour chasser au sanglier dans le parc, à cours ouvert. Il étoit à cheval. Il y avoit un grand sanglier et trois bêtes de compagnie, dans l'une desquelles il donna, de demi-pied de profond, son premier coup d'épée. A quatre heures il y a goûté. Ramené en carrosse et à cheval, à l'entrée de la ville. A sept heures il va chez la Reine, puis soupé.
Le 3, mardi, à Paris.—A trois heures goûté; il entre en carrosse, va au Roule, où il est monté à cheval, vole le perdreau. A neuf heures et demie mis au lit, il s'entretient avec Mme la princesse de Conty et Mme de Ragny.
Le 4, mercredi, à Paris.—Mené en carrosse à Gentilly. Revenant par le faubourg Saint-Jacques, où étoit logée une partie du régiment des gardes, il aperçoit une grande troupe de soldats en armes sur le rempart, assemblée pour faire donner l'estrapade à un soldat; le sachant, il envoie soudain appeler le sergent-major pour lui dire qu'il donnoit la grâce au soldat.
Le 8, dimanche, à Paris.—A quatre heures et demie mené en carrosse à vêpres, à Saint-Sulpice, puis jouer à l'hôtel de Luxembourg. Ramené à sept heures, soupé, joué en la galerie; il va chez la Reine.
Le 10, mardi, à Paris.—Éveillé à cinq heures par
impatience d'aller dîner à Ruel. Mené en carrosse aux
Feuillants, il y entend la messe; déjeuné. Il monte à
cheval, est mené à Ruel, y est arrivé à neuf heures. A
onze heures dîné, bu du vin blanc. Il fait le bon compagnon
avec MM. d'Épernon, de Montbazon, le Grand et
autres seigneurs à qui il donnoit à dîner, les fait boire à
sa santé, boit à la leur. A une heure il entre en carrosse,
va à Suresnes chez M. le contrôleur Parfait, y a goûté à
trois heures. A cinq heures il passe l'eau, monte à cheval,
Août
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arrive aux Tuileries à six heures et demie à sept heures
au Louvre. Dévêtu, mis au lit, soupé. A huit heures
levé, vêtu, il va chez la Reine; à neuf heures et un
quart dévêtu, mis au lit.
Le 12, jeudi, à Paris.—Mené à la chasse aux perdreaux, au Roule.
Le 13, vendredi, à Paris.—A cinq heures trois quarts mené en carrosse chez la reine Marguerite, puis en bateau sur la rivière, mené près des Bonshommes.
Le 14, samedi, à Paris.—Mené en carrosse au faubourg Saint-Victor voir faire la monstre à la compagnie des gardes de la Reine.
Le 15, dimanche, à Paris.—Mené en carrosse à la messe, à Notre-Dame; mené à vêpres à Saint-Germain-de-l'Auxerrois; à quatre heures trois quarts goûté au doyenné, logis de M. de Souvré. A cinq heures et un quart mené aux Tuileries puis sur la rivière jusques au droit de Chaillot; ramené dans son petit carrosse découvert, tiré par six bidets; M. le Grand et M. de Souvré étoient dedans. Arrivé au Louvre à huit heures et un quart.
Le 16, lundi, à Paris.—Mené à dix heures en carrosse à Saint-Ladre pour y voir faire la cérémonie des chevaliers de Saint-Lazare; le sieur de Nérestang en étoit chef de l'ordre; ramené à dix heures. A trois heures goûté, mené en carrosse ouïr vêpres à Piquepusse; puis il monte à cheval et va à la chasse au perdreau.
Le 18, mercredi, à Paris.—Éveillé à six heures, levé, gai, il surprend ses valets de chambre encore couchés, ce dont il est extrêmement réjoui.
Le 19, jeudi, à Paris.—Il va au bois de Vincennes pour y dîner et mettre la première pierre du bâtiment neuf que l'on y faisoit; il ne la mit pas, pour l'absence de la Reine. Il monte à cheval, est mené à la volerie du perdreau, en prend quatre.
Le 20, vendredi, à Paris.—Mené en carrosse au bois
Août
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de Vincennes pour y asseoir la première pierre de son
corps de logis qui est du côté du parc. Sur la pierre est
gravé: Du regne de Louis treiziesme aagé de neuf ans et
Marie de Medicis sa mere et regente. L'on y mit quatre
pièces d'or de sa face et de même inscription, le tout en
présence de la Reine. Il fait merveilles de y jeter le mortier
prins dans un bassin d'argent avec une petite truelle
d'argent. Ce fait, il monte à cheval, est mené à la chasse.
Le 21, samedi, à Paris.—Mené par la galerie aux Feuillants, il fait jeter une cane dans le canal, aux Tuileries, y met son petit chien Gayan après.
Le 22, dimanche, à Paris.—Mené en carrosse à vêpres, aux Filles-Dieu. A neuf heures et demie mis au lit, il ne se peut endormir, a de l'inquiétude, appelle M. de Heurles pour lire, enfin à onze heures il s'endort.
Le 23, lundi, à Paris.—A huit heures déjeuné; il monte au cabinet des livres, a froid, blémit, fait allumer du feu; mains chaudes, le pouls un peu hâté, fort enroué, étudié. A dix heures il est mené à la chapelle de l'antichambre de la Reine puis chez la Reine, et à onze heures donne audience aux députés du parlement de Toulouse, le président de Verdun, premier président, portant la parole[21]. A neuf heures dévêtu, mis au lit, il dit que la gorge lui fait mal, fait chanter et jouer du luth le Bailly pour s'endormir.
Le 24, mardi, à Paris.—A sept heures dragée de rhubarbe
une once et demie, prise partie seule, partie avec
de la pomme. Levé en robe, il va donner le bonjour à la
Reine. Il va en la galerie, où il se joue, fait marcher devant
lui ses petits gentilshommes se tenant aux manteaux
par derrière, faisant les chevaux, et lui est le dernier qui
touche ce qui est devant, puis se fait porter et promener
au grand pas. A cinq heures et un quart il se met au lit,
Août
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où il s'amuse à inventer des engins; la reine Marguerite
le vient voir. Il fait faire la musique de voix et d'instruments;
il parloit de ce qu'il avoit fait chanter des chansons
au Bailly et quelles; M. de Souvré lui demande:
«N'avez-vous point fait chanter de celles du feu Roi qui
étoient pour les amours de Mme la princesse de Condé et
autres?»—Non.—«Pourquoi?»—Je les aime point,
dit-il brusquement.
Le 25, mercredi, à Paris.—A six heures et demie soupé; M. le maréchal de Fervaques prend congé de lui, s'en retournant en Normandie lieutenant général. Il va en la galerie, fait tirer des fusées, va chez la Reine. Deux soldats des gardes avoient mangé des raisins dans les vignes et pour ce avoient été condamnés à être dégradés et bannis pour deux ans; il n'eut point de repos tant qu'il eût fait avec la Reine qu'ils en seroient quittes pour un an de bannissement. Sa Majesté le commanda à M. d'Épernon.
Le 26, jeudi, à Paris.—A huit heures trois quarts déjeuné, étudié, écrit, tiré des armes, dansé; mené par la galerie aux Feuillants et joué aux Tuileries. Il raconte en dînant, comme au sacre de la Reine il étoit fort mal logé à Saint-Denis[22], qu'il avoit en sa chambre un puits, une cave, un abreuvoir à poules, et une écurie au dessous, où il y avoit un râtelier; que c'étoit le logis d'un chanoine, le plus mauvais de Saint-Denis. Mené aux Tuileries par la galerie, il y fait courir un lièvre par tous ses petits chiens, leur en fait faire la curée.
Le 28, samedi, à Paris.—Mené aux Augustins, à la messe, à cause de la fête[23]. A trois heures mené en carrosse en la place du collége de Cambray pour y mettre la première pierre du bâtiment du collége du Roi[24]; ramené à six heures et demie chez la Reine.
Août
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Le 29, dimanche, à Paris.—A neuf heures mené en carrosse ouïr la messe au collége de Navarre, il y voit la librairie; en entrant il dit tout haut: Que l'on ne dérobe rien. Les écoliers lui demandoient un mois de vacations, il leur en donne pour trois jours; ramené à onze heures chez la Reine. A trois heures mené en carrosse aux Cordeliers, à vêpres, il y voit la librairie[25].
Le 30, lundi, à Paris.—A trois heures goûté, mené en carrosse vers Saint-Ouen, à la chasse. A sept heures soupé; il va en la galerie, fait tirer des fusées. M. le chevalier de Vendôme veut prendre congé de lui, pour partir le lendemain avec son frère, allant en Bretagne; et bien qu'il l'eût permis, il se prend tellement à pleurer que le voyage du Chevalier fut rompu et qu'il demeura près de lui.
Le 31, mardi, à Paris.—A trois heures goûté, botté, mené en carrosse à la Sainte-Chapelle pour y voir les reliques; ce fut la première fois qu'il les a vues; puis il monte à cheval, va vers les plaines de Vaugirard.
Le 2 septembre, jeudi, à Paris.—Mené en carrosse à Conflans, ramené à sept heures et demie chez la Reine, soupé à huit heures. Il railloit du sieur de Mainville, lui disant: Mainville, j'ai des chiens qui sont bons pour voleur; prenez garde à vous!—«Mais, Sire, l'on croira que vous ne le dites pas en jouant.»—Je dis vrai, je me joue pas.
Sept
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Le 3, vendredi, à Paris.—Son précepteur lui avoit enseigné, il y avoit quelques jours, que l'une des choses que les princes haïssoient le plus, c'étoit un vieux serviteur mal récompensé; il lui demande: «Sire, qu'est-ce que les princes haïssent le plus?» Le Roi, songeant, dit soudain: C'est le vice. A neuf heures dévêtu, mis au lit, il s'amuse à deviser; il envoie querir sa nourrice et lui demande: Dondon, avez-vous été chevauchée? en rougit, ayant apperçu qu'il avoit failli sans y penser, voulant dire: «Êtes-vous de la chevauchée?» c'est-à-dire de la veillée, car les femmes de la chambre de la Reine veilloient à leur tour.
Le 5, dimanche, à Paris.—On lui avoit amené un enfant de six ans, jouant du luth et mal: Il a beau jouer, dit-il, il ne m'endormira pas, comme souloit faire le Bailly. Mené aux Feuillants par la galerie; M. le chevalier de Vendôme et M. de Guise étoient à la messe. M. de Chaux[26], évêque de Bayonne, premier aumônier du Roi, demande à M. de Souvré auquel des deux il bailleroit l'écu pour l'offrande, qui lui dit que ce n'étoit point de son fait. Cependant M. de Guise suit le Roi allant à l'offrande, et, ne s'étant point trouvé d'écu à offrir, M. de Guise demanda à M. de Souvré s'il lui avoit fait faire cet affront, qui répond que non, et que ce n'étoit pas de son fait. Lors M. de Guise se prend à l'évêque, lui disant qu'il ne y avoit là personne qui le dût précéder, qu'il étoit un malhabile, un ignorant qui ne savoit pas sa charge; l'évêque au contraire, et dit qu'il s'en plaindroit à la Reine, M. de Guise aussi, tout le premier (sic). A trois heures mené en carrosse à vêpres, à Saint-Eustache, puis aux Tuileries.
Le 6, lundi, à Paris.—Mené par la galerie aux Tuileries, où il se joue en diverses façons, se fait promener dans son petit carrosse, Mesdames avec lui.
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Le 7, mardi, à Paris.—Le sieur de Senneterre apporte la nouvelle de la prinse de Juliers[27]; le Roi l'entendant dit haut et gaiement: C'est moi qui l'ai prins.
Le 8, mercredi, à Paris.—A six heures et un quart, levé, vêtu, il s'enfuit deçà delà pource que M. de Souvré lui veut débarbouiller le visage; il dit qu'il n'est pas damoiseau. A neuf heures mené en carrosse à Notre-Dame[28], ramené à onze heures et demie. A onze heures et trois quarts dîné; il raconte comme il a été à Notre-Dame, où, dit-il, l'on nous a baillé d'une messe de quatre heures. Joué, mené à Saint-Germain-de-l'Auxerrois, au sermon de M. Fenoillet[29], évêque de Montpellier, et à vêpres au Louvre.
Le 10, vendredi, à Paris.—Un seigneur espagnol venu avec le duc de Feria, lui vient faire la révérence, et, tout aussitôt qu'il l'eût accueilli, le Roi lui dit pour l'entretenir: Tenez velà le plan de Juliers, qui venoit d'être prins, et il lui montre par le menu les particularités du siége: Voilà ceci, voilà cela, voilà les François, voilà les Flamands, etc.
Le 11, samedi, à Paris.—A trois heures et demie, le
duc de Feria lui fait la révérence; il se surpassa en contenance
et prolation de paroles; les paroles furent: Je
remercie le roi d'Espagne mon frère de la souvenance qu'il
a de moi et le prie de s'asseurer que j'aurai envers lui la
même affection qu'a eue le feu Roi mon père; en telle sorte
que les Espagnols en étoient tous en admiration, faisant
le signe de la croix; d'eux d'entre eux, qui étoient Navarrois,
se traînèrent de bien loin, les genoux en terre, lui
allant faire la révérence, et ne pouvoient lâcher sa cuisse
qu'ils tenoient embrassée. A six heures trois quarts soupé;
mangeant d'une plie de Loire, il demanda comment les
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plies nageoient. Quelqu'un répondit que c'étoit de plat:
C'est donc, dit-il, quand elles sont mortes.
Le 13, lundi, à Paris.—M. de Frontenac, premier maître d'hôtel et capitaine de Saint-Germain-en-Laye, lui dit que la Reine lui avoit ôté la capitainerie: Pourquoi? demande le Roi, étonné et fâché.—«Sire, c'est pour la donner à mon fils, à la charge que je serai son lieutenant.»—Le lieutenant baillera donc le fouet à son capitaine! Messieurs et Mesdames partent pour aller à Saint-Germain.
Le 15, mercredi, à Paris.—Il va chez la Reine, qui lui veut donner des petites besognes, comme des Agnus Dei garnis de diamants; il les refuse assez brusquement, et toutefois en enfant, et désire un petit livre couvert de diamants. Elle l'en refuse, disant que le feu Roi son père le lui avoit donné; il le désiroit pour le mettre en son oratoire; la larme lui vient à l'œil.
Le 16, jeudi, à Paris.—Mené en carrosse aux Tuileries, il se promène dans son carrosse tiré par six petits bidets. A six heures et trois quarts soupé; M. du Repaire lui veut représenter les raisons pourquoi M. de Souvré ne trouvoit pas bonne quelque chose qu'il avoit envie de faire. Il le frappe; M. de Saint-Géran le voit, le dit après à M. de Souvré.
Le 17, vendredi, à Paris.—Pour avoir, le jour précédent, frappé M. du Repaire, il est fouetté un peu serré.
Le 18, samedi, à Paris.—A quatre heures il monte dans un bateau, est mené jusques aux Bonshommes; ramené de même jusques aux Tuileries.
Le 19, dimanche, à Paris.—Mené par la galerie aux
Feuillants, joué aux Tuileries, ramené à dix heures et
demie chez la Reine; dîné; il mange du muscat porté du
pressoir de Fontainebleau. En mangeant tenant son couteau
d'une main, de l'autre il bat toujours le tambour sur
la table en rêvant, et donne à manger à ses chiens Ouël
Sept
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et Griffon. A trois heures il reçoit le comte de Hamton,
ambassadeur d'Angleterre, venu pour se condouloir et
jurer l'alliance.
Le 20, lundi, à Paris.—A huit heures il monte à cheval, va chassant dîner à Ruel, y fait venir Mesdames. A onze heures trois quarts dîné; à trois heures et demie Mesdames s'en retournent à Saint-Germain et lui monte à cheval. Il va à Suresnes, chez le sieur Parfait, y a goûté, est ramené en carrosse à Paris.
Le 21, mardi, à Paris.—Le comte de Hamton le vient trouver; il le mène en sa chambre pour le faire dîner avec lui; puis à douze heures et demie dîné. Le Roi fait porter le potage confit à l'ambassadeur, lui envoie aussi une tourte faite de rognons de poulet; bu du vin blanc à la santé du roi d'Angleterre. Il envoie à l'ambassadeur ses ortolans, ne y touche point; bu à la santé des ambassadeurs du vin blanc. Les ambassadeurs lui envoient dire qu'ils n'oseroient pas prendre la hardiesse de boire à sa santé, mais qu'ils vont boire l'un à l'autre pour sa santé. Il les mène en sa chambre, va aux Feuillants à vêpres, y mène les ambassadeurs, qui ont juré l'alliance offensive et défensive; à leur requête il signa les articles; ce sont les premiers qu'il a signés. Joué au jardin des Tuileries, ramené à sept heures.
Le 22, mercredi, à Paris.—A huit heures et demie déjeûné, étudié, écrit, tiré des armes, dansé. A quatre heures et demie mené par la galerie sur la rivière, dans un bateau couvert; mené jusques aux Bonshommes, ramené de même aux Tuileries et de là en carrosse, à sept heures au Louvre.
Le 23, jeudi, à Paris.—A onze heures il va chez la
Reine, là où, la Reine assise près de lui, le sieur Concino,
premier écuyer de la Reine, lui prêta le serment de
fidélité pour le gouvernement de Péronne, Montdidier et
Roye, lui baisant la main et à la Reine. A quatre heures
et demie mené par la galerie aux Tuileries, il fait courir
Sept
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dans la carrière deux louveteaux par ses petits chiens. A
sept heures soupé; il se plaint du ventre, et dit que c'est
son pourpoint qui le serre trop; il étoit vrai. Il ne le
veut point desserrer qu'il n'aye sû si c'est la volonté de
M. de Souvré, auquel il l'envoie demander, et qui le lui
permet.
Le 24, vendredi, à Paris.—Il avoit commandé, voulant aller au grand cabinet, à M. Dauzeré, l'un des premiers valets de chambre, de faire sortir ceux qui y étoient; il le fait. A sept heures et demie déjeuné; pendant son déjeuner quelques-uns des gentilshommes ordinaires que le sieur Dauzeré avoit fait sortir s'en plaignent au sieur Dauzeré, qui leur parle un peu brusquement. Il entendoit tout cela et n'en faisoit pas le semblant. Il monte au cabinet des livres pour étudier; le sieur Des Yveteaux lui parle sans sujet de cette noise; il l'écoute, et répond froidement: Dauzeré a parlé un peu rudement à eux, mais il les y faut accoutumer de bonne heure.
Le 25, samedi, à Paris.—A onze heures et un quart mené chez la Reine, dîné; il conteste, comme entendu, sur un cerf mal mené qui étoit en la plaine de Grenelle. Les uns disoient qu'il falloit des levriers: Ho! non, dit-il en secouant la tête. On lui dit: «Sire, ils ne le prendroient pas, il gagneroit les devants.»—Il les faut jeter en tête. Joué, étudié, etc. A deux heures goûté; mené en carrosse à la plaine de Grenelle pour courir le cerf dont on lui avoit fait le rapport. Il monte à cheval, voit donner les chiens et courir le cerf par la plaine, fait aller M. de Frontenac après; le cerf ne fut point prins. A neuf heures et demie devêtu; mis au lit, il s'amuse à railler; M. de Termes lui faisoit des contes.
Le 26, dimanche, à Paris.—A sept heures et demie déjeuné; il envoie querir ses petits hommes de plomb, en dresse des escadrons sur la table percée.
Le 27, lundi, à Paris.—Mené à la messe aux Cordeliers,
où il a ouï le sermon de P. Fenoillet, évêque de
Sept
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Montpellier[30]; ramené à onze heures chez la Reine, où il a reçu
le serment du sieur Concino pour premier gentilhomme
de la Chambre, par la démission de M. de Bouillon. A
onze heures et demie dîné; M. le chancelier le vient instruire
de ce qu'il doit répondre à MM. de la cour de Parlement,
qui étoient en sa chambre pour lui dire adieu, s'en
allant à son sacre, M. le président Forget porta la parole. A
trois heures goûté; le comte de Hamton, ambassadeur
d'Angleterre vient prendre congé de lui. Amusé doucement,
à cause de la pluie, dans la galerie.
Le 29, mercredi, à Paris.—A neuf heures et un quart devêtu, mis au lit, il fait chanter le Bailly; il y avoit aussi un Espagnol qui chantoit et en espagnol. Mme de Guise lui dit qu'il commandât à Bailly de chanter en espagnol: Non, il pourroit faillir; il faut que chacun chante en son langage.
Le 30, jeudi, à Paris.—Il y avoit sur sa table de l'étude Les emblêmes d'Horace, imprimés à Anvers; il s'amuse à lire le privilége qui étoit en cet ordre: «Du Pape, du roi d'Espagne et du roi de France.» Il prend la plume et l'encre, et, sans dire mot, il efface tout couvert d'encre le roi d'Espagne, et entre deux, après le Pape, il écrit le roi de France[31], et, sans en faire semblant, quitte la plume. A trois heures goûté; mené en carrosse au bois de Vincennes, il va voir son bâtiment, chasse au parc.
Le 1er octobre, vendredi, à Paris.—A sept heures, déjeuné,
Oct
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étudié, écrit, tiré des armes, dansé; mené par la
galerie aux Feuillants, ramené en carrosse à dix heures
et demie chez la Reine. A onze heures, dîné, étudié, etc.
A trois heures, goûté, mené en carrosse chez la reine
Marguerite, ramené à six heures et demie.
Le 2, samedi, voyage.—Éveillé à cinq heures, levé avec allégresse et impatience de partir pour aller à son sacre. A six heures et demie, déjeuné; botté à sept heures, il entend la messe en Bourbon. A sept heures trois quarts il entre en carrosse et part de Paris pour aller à Reims. Dîné à dix heures à Livry; peu après il monte à cheval, est allé à la chasse. A trois heures goûté à la campagne; arrivé à Fresne par les allées, il se y promène à pied et à cheval. La Reine, qui avoit dîné à Bondy, arrive à cinq heures et demie. A sept heures soupé; il s'amuse en son cabinet à peindre, fait lui-même ses couleurs sur le cuivre, peint sur la toile l'Avarice et la Prudence, vêtues, assez bien, y est attentif, fait toutes les actions que sauroit faire un peintre, à la fin serre lui-même ses couleurs et ses pinceaux.
Le 3, dimanche, voyage.—A sept heures trois quarts il part de Fresne en carrosse et va à Meaux, c'est la première fois, où il a dîné. Peu après il monte à cheval, vient chassant par Trie-le-Port et arrive à quatre heures à Monceaux. Il se va promener par les allées dans l'étang vidé, va jusques à la bonde; M. de Souvré lui dit par diverses fois qu'il ne donnoit pas de louanges aux belles choses et mêmement à celles qu'il venoit de voir; se sentant pressé, il répond: Mais, mousseu de Souvré, savez-vous pas bien que je suis pas grand parleur?
Le 4, lundi, à Monceaux.—A sept heures et demie déjeuné, étudié, etc. Mené à la chapelle puis au parc; mené à la chasse en carrosse.
Le 5, mardi, à Monceaux.—A sept heures et demie
déjeuné, étudié; son précepteur lui commença sa leçon
par la louange des romans, et lui demanda s'il pensoit pas
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que la lecture des romans fût pas suffisante pour instruire
un prince: Non, répond le Roi.
Le 6, mercredi, à Monceaux.—En étudiant il s'amuse à dresser des escadrons en diverses sortes avec ses hommes de plomb, sur la table percée; son précepteur lui dit que, selon Platon, les dieux étoient par dessus les rois comme les rois étoient par dessus les hommes et les capitaines. Il répond soudain: Oui, mais il n'y a qu'un Dieu, il y a plusieurs rois. Mené en carrosse ouïr la messe aux Bonshommes, où lui sont offerts des raisins par eux; ramené à onze heures et demie, dîné; peu après il va jouer à la balle en la galerie.
Le 7, jeudi, à Monceaux.—Mené en carrosse à la chasse du cerf, hors du bois il monte à cheval, le voit prendre dans la rivière.
Le 8, vendredi, à Monceaux.—Il disoit à M. de Bellegarde, grand écuyer, qu'il avoit une arbalète: «Sire, dit-il, vous en tirez bien.»—Non, je tire pas bien, mais peu à peu nous apprendrons.—Il avoit un jeune garçon nommé César qui avoit été laquais; il le fit cocher de son petit carrosse à bidets et l'aimoit, en parloit souvent. On lui demanda pourquoi il l'aimoit, il répond soudain: Pource qu'il est homme de bien. Mené au parc à cheval, il prend un chevreuil, fait ce qu'il peut pour faire ruer le petit mulet sur quoi étoit monté M. de Souvré, tâchant d'une houssine à atteindre la croupe. M. de Bonnivet le suivoit à cheval, et il n'y avoit autre que lui; le Roi se retournant lui dit: Pourquoi allez-vous à cheval?—«Sire, pource que je n'ai pas bonnes jambes.»—Il ne faut donc pas que vous veniez ici après moi.
Le 9, samedi, à Monceaux.—Mené à la messe en la galerie,
il donne le bonjour à la Reine. A une heure et
demie il entre en carrosse, va à l'abbaye de Jouarre
contre son gré et bien forcé; M. de Souvré le y porta[32];
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il faisoit fort mauvais temps de vent et de pluie. Ramené
à cinq heures, il se va promener dans le parc, dans son
petit carrosse à six bidets, que le sieur Constance, écuyer
ordinaire, avoit fait couvrir; à cinq heures trois quarts
il va chez la Reine. A huit heures et demie il étoit las;
dévêtu, mis au lit, il ne veut pas que l'on ouvre le pied
du lit quand il se couche, pour n'être vu du monde qui
étoit en sa chambre, que l'on fait sortir.
Le 10, dimanche, à Monceaux.—Il s'amuse à mettre en diverses figures de bataillons ses hommes de plomb sur la table percée, n'en peut partir.
Le 11, lundi, voyage.—A sept heures déjeuné, mené à la messe, puis monté à cheval, mené à la Trousse, maison du capitaine de la porte; il y a dîné à dix heures trois quarts. A une heure il monte à cheval, et à quatre heures et demie arrive au château de Gandeleu. A six heures et demie soupé; il va chez la Reine. A huit heures et demie mis au lit, il se fâche de ce qu'il y avoit trop de monde en la chambre et dit: On y laisse entrer toute sorte de personnes.
Le 12, mardi, voyage.—Mené à la messe, puis à huit heures il entre en carrosse et part de Gandeleu; il va au Buisson, maison de M. le vicomte d'Ouchy[33], près de Coincy. A une heure il part du Buisson, est mené en carrosse et arrive à quatre heures à Fère en Tardenois, est logé au bourg, chez le grenetier. Il s'en va au château, le visite tout, va au parc après les daims; ramené à six heures, il va au-devant de la Reine, qui arrivoit.
Le 13, mercredi, voyage.—Déjeuné, étudié, mené à la
messe, puis en carrosse au parc, où il est mis à cheval,
court les daims, en fait prendre un pour le faire nourrir.
A une heure il part de Fère, entre en carrosse et arrive à
Fismes à quatre heures, est débotté; demi-heure après
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M. de Souvré lui demande s'il vouloit aller se promener?—Oui,
mais je ne saurois aller à cheval sans bottes.—«Vous
irez à pied, il fait beau aller.»—Ho! non; velà
qui seroit beau, j'irois à pied et l'on me suivroit à cheval!—«Il
faut reprendre la botte.»—J'aime donc mieux
que l'on me botte. A cinq heures et un quart il monte à
cheval, est promené dehors. A huit heures dévêtu, mis
au lit, il dit à M. de Souvré, qui tenoit la bougie: Mousseu
de Souvré, sautez pour voir si le plancher branle; il étoit
pesant, et pour couvrir la raillerie il dit: Si j'étois debout
je sauterois, je le ferois bien branler.
Le 14, jeudi, voyage.—Éveillé à cinq heures, doucement, il dit qu'il n'a point dormi, qu'il a entendu courir la poste toute la nuit, et les charretiers qui crioient: Dia. A sept heures et demie il entre en carrosse et part de Fismes, se trouve mal en chemin, a mal au cœur; ce dit, il s'appuye sur M. de Souvré. Il étoit légèrement vêtu, il faisoit bien froid et il avoit mal reposé la nuit. Il arrive à deux lieues de Reims à.....[34], où il a bien dîné; à une heure il entre en carrosse, et à une demi-lieue de la ville monte à cheval pour son entrée; et, après avoir entendu patiemment toutes les harangues, il entre à Reims, va à Notre-Dame environ les cinq heures trois quarts. On lui prend son cheval; c'étoit un barbe blanc, il le veut ravoir. A sept heures soupé.
Le 15, vendredi, à Reims.—A sept heures et demie
déjeuné, étudié; mené en carrosse à Saint-Remy, ramené
à onze heures, il va chez la Reine, puis à onze
heures et un quart dîné. A deux heures et demie mené à
Saint-Pierre, où il a goûté; ramené à cinq heures, il va à
vêpres à Notre-Dame. A huit heures trois quarts devêtu,
mis au lit; l'on parloit d'une querelle qu'il y avoit entre
quelques-uns de la musique et demandoit-on comment
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ils se battroient; il répond: Il faut qu'ils se battent avec des
luths.
Le 16, samedi, à Reims.—Il blâme Outrebon, l'un des musiciens de sa chambre; c'est celui qui le jour précédent avoit pris querelle contre Guédron, autre musicien et qui avoit montré à Outrebon: Mais velà qui est beau! Outrebon qui se veut battre contre Guédron, et Guédron lui a montré tout ce qu'il sait, et le trouvoit fort mauvais. Mené en carrosse à Saint-Nicaise, ramené à dix heures trois quarts. A trois heures mené en cérémonie à Notre-Dame pour ouïr vêpres et recevoir l'ordre de confirmation; il est confessé par le P. Coton, de la compagnie des Jésuites, puis à cinq heures et demie reçoit l'ordre de confirmation par M. le cardinal de Joyeuse. Ramené à six heures, il se joue à atteler ses petits gentilshommes l'un à la suite de l'autre et les touche devant soi[35].
Le 17, dimanche, à Reims.—Éveillé à cinq heures,
levé, mené et couché en son cabinet, dans son lit de parade,
où MM. les pairs le sont venus trouver pour le
mener à Notre-Dame pour le sacrer. Il entre en l'église
à neuf heures et demie, est reçu par l'illustrissime François,
cardinal de Joyeuse; MM. les princes de Condé, de
Conty et comte de Soissons représentoient les ducs de
Bourgogne, de Normandie et d'Aquitaine, MM. les ducs
de Nevers, d'Elbeuf et d'Épernon les comtes de Flandre,
de Champagne et de Toulouse. Sur les onze heures fut
conduite la sainte ampoule par MM. les marquis de Sablé,
baron de Biron, baron de Nangis et baron de Rabat,
portée par Dom Lépagnol, grand prieur de Saint-Remy;
sur midi, il reçoit l'onction, est conduit sur le pupitre.
Les pairs le baisent par deux diverses fois; il donne un
petit soufflet à M. d'Elbeuf, gaiement, et essuie sa joue.
Il fut remarqué que, aux deux fois qu'il fut baisé par
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M. d'Épernon, il porta ses deux mains à sa couronne pour
l'assurer en sa tête. Il va à l'offrande, communie; en marchant
il tâchoit d'attraper la queue du manteau de M. de
la Châtre, qui marchoit devant lui, faisant l'office de connétable.
Il supporta fort vertueusement toute la fatigue de
cette cérémonie qui se termina à deux heures et un quart.
Ramené, on le vouloit faire reposer dans un lit; encore
qu'il fût un peu las, il dit qu'il avoit faim. A deux heures
et demie dîné de la viande de MM. de la ville, apprêtée
et servie par ses officiers, M. le maréchal de Lavardin
faisant la charge de grand maître; bu du vin blanc, il
boit à la santé de MM. les pairs. Il va en sa chambre, se
fait mettre au lit, se fait apporter sa table percée et s'amuse
à dresser des bataillons avec ses hommes de plomb,
puis à faire des engins de cartes. A six heures M. de Souvré
le fait lever et vêtir un habillement neuf, dont il entre
en mauvaise humeur et s'apaise à la fin. Mené chez la
Reine; à huit heures et demie mis au lit.
Le 18, lundi, à Reims.—A huit heures et demie déjeuné,
étudié; à dix heures et un quart il monte à cheval,
vêtu de satin blanc en broderie d'argent, sur un cheval
blanc, est mené à la messe à Saint-Remy. A trois heures
trois quarts mené à Notre-Dame pour être fait chevalier
du Saint-Esprit, il entend les vêpres; à cinq heures trois
quarts il est fait chevalier par M. le cardinal de Joyeuse,
puis fait chevalier M. le prince de Condé. Le cardinal de
Joyeuse ne le voulut pas être après lui, bien qu'il eût
été autrement résolu et qu'il l'eût consenti; il (le cardinal)
eut dans l'église une longue conférence avec le
cardinal de Gondi: l'on eut opinion qu'il lui avoit fait
changer d'avis. Quand le Roi lui demanda pourquoi il le
refusoit, il répondit d'autant qu'il étoit le premier prince
de l'Église et qu'il plût à Sa Majesté de le conserver en
son droit; le Roi lui dit: Il faut parler à la Reine ma
mère, je puis pas résoudre cela; il ne fut pas fait chevalier.
Le Roi reçoit les chevaliers gaiement; comme ils le
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vont baiser, il prend la barbe à M. le Grand en riant, en
disant: Velà un honnête homme.
Le 19, mardi, à Reims.—A huit heures et demie il entre en carrosse pour aller dîner à Cosson, maison du baron du Tour, à deux lieues de Reims; il monte à cheval, vole la perdrix, en prend six. Mis en carrosse, il revient à Reims à cinq heures trois quarts; amusé doucement chez la Reine jusques à huit heures et demie. Dévêtu, il feint de dormir pendant qu'on le devêtoit; mis au lit, comme M. de Souvré eût dit: «C'est à cette heure à bon escient qu'il dort,» il s'ébouffe de rire.
Le 20, mercredi, voyage.—A sept heures déjeuné; il ne veut point aller à la messe à pied et dit: Velà qui est beau que j'aille à pied par les rues! Et toutefois M. de Souvré insistant, il va à pied à la messe à Saint-Pierre pour favoriser l'abbesse. A huit heures et demie il part de Reims à cheval et s'en va dîner à quatre lieues de là, à Cormicy. A une heure et demie il monte à cheval et, chassant par le Pont-à-Vesle, arrive à quatre heures trois quarts à Saint-Marcoul[36], se va jouer sur le préau. A six heures et trois quarts soupé.
Le 21, jeudi, à Saint-Marcoul.—Il va à confesse en
son cabinet au P. Coton, jésuite, puis à huit heures et
demie déjeuné. Il va à la messe et à dix heures un quart
revient en la cour du logis où il y avoit neuf cents et tant
de malades des écrouelles qu'il a touchés aussi sûrement
et dextrement comme s'il s'y fût souvent exercé; il se
repose quatre fois, mais peu, ne s'assit qu'une seule fois.
Il blêmissoit un peu de travail, et ne le voulut jamais faire
paroître, ne voulut pas prendre de l'écorce de citron.
Oct
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Il demande à un malade d'où il étoit, lui paroissant
étranger; le malade répond: «De Lorraine.»—Donnez-lui
un quart d'écu. C'étoit pour être étranger et qu'il
avoit entendu que l'on en donnoit autant aux étrangers.
A onze heures et demie parachevé; à onze et trois quarts
dîné. Il monte à cheval, est mené à la chasse.
Le 22, vendredi, voyage.—A huit heures et demie il monte à cheval, part de Saint-Marcoul et, par le Pont-à-Vesle, va dîner à Missy; à une heure il remonte à cheval et va chassant, arrive à cinq heures à Brene.
Le 23, samedi, voyage.—A sept heures et un quart déjeuné; il va à la messe à l'abbaye, puis, à huit heures part de Brene, entre en carrosse, va à Auchy-la-Ville, où il arrive à dix heures trois quarts; à onze heures il y a dîné. Peu après il entre en carrosse, et à quatre heures et demie arrive à la Ferté-Milon; il va aussitôt aux jardins. Il s'amuse à faire des paniers de menu jonc, en fait faire à M. le Grand.
Le 24, dimanche, voyage.—Il va à la messe à la petite chapelle de la maison qui étoit à M. le marquis de Noirmoustier, puis, à huit heures et un quart, part de la Ferté-Milon en carrosse et va à Tresmes, maison de M. de Gesvres, secrétaire d'État, où il arrive à dix heures trois quarts. Il va aux jardins, aux allées; à une heure trois quarts il monte à cheval, et par le bac de Tancrou arrive à quatre heures à Monceaux.
Le 25, lundi, à Monceaux.—Déjeuné, étudié, mené à la messe à la chapelle, puis au parc. Mené en carrosse à la garenne, il passe le bac à Trie-le-Port, monte à cheval, voit prendre un loup et une louve.
Le 26, mardi, à Monceaux.—Dîné avec impatience pour la chasse; à une heure il part en carrosse avec la Reine pour aller à la chasse du cerf.
Le 27, mercredi, à Monceaux.—A dix heures et demie dîné, joué, étudié; à deux heures il entre en carrosse avec la Reine, est mené à la volerie, où il monte à cheval.
Oct
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Le 28, jeudi, à Monceaux.—Mené en carrosse ouïr la messe aux Bonshommes. A une heure il entre en carrosse avec la Reine pour aller à la chasse du cerf; il faisoit grand froid.
Le 29, vendredi, voyage.—A huit heures il monte à cheval et va dîner à Meaux. A une heure il monte à cheval, va à la chasse au loup, et à quatre heures trois quarts arrive à Fresne; débotté, il va aux jardins. A cinq heures et demie il va au-devant de la Reine, monte en sa chambre, joue avec elle; elle lui prête de l'argent et lui en donne le gain pour le donner aux pauvres. Il gagne cinquante écus, les prend, dit que son souper est sur la table et s'en va[37], son argent dans un mouchoir; il arrive en sa chambre, montre son gain, s'en réjouit, et dit que c'est pour donner aux pauvres.
Le 30, samedi, voyage.—Il est mené à la chapelle, puis entre en carrosse et, par Mongeay, est mené au bois de Vincennes. A deux heures il entre en carrosse jusques à Piquepusse, où il trouve ses grands chevaux, monte à cheval et arrive à cinq heures à la porte Saint-Antoine. Le prévôt des marchands et tous les officiers de la Ville furent au-devant de lui; il fut tiré cent canonnades de cent canons, que M. de Sully avoit fait mettre sur les remparts. Il arrive à sept heures au Louvre, est débotté, dévêtu, se fait mettre au lit. Soupé; il se lève, prend sa robe et ses bottines et se va coucher en la chambre de la Reine, où il souloit coucher depuis la mort du Roi.
Le 31, dimanche, à Paris.—A huit heures déjeuné;
mené par la galerie aux Feuillants et joué aux Tuileries;
ramené en carrosse à dix heures trois quarts, il va en la
galerie où étoit la Reine et, à onze heures et un quart
les députés de la cour de Parlement, MM. les présidents
Oct
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de Blancmesnil (qui porta la parole) et Molé, avec quatre
conseillers, le vinrent saluer; et aussitôt MM. des Comptes
firent de même. M. Nicolaï, premier président, porta la
parole, accompagné de M. le président de l'Aubespine.
Mené à vêpres à Saint-Germain-des-Prés, puis mené aux
Tuileries; ramené à cinq heures et demie, il va chez la
Reine, où il fait la guerre à M. de Courtenvaux, nouvellement
marié, auquel il veut faire baiser sa femme[38] en
présence de la Reine et lui dit: Non, je croirai pas que
vous soyez marié, que je ne vous aie vu baiser votre femme.
Le 1er novembre, lundi, à Paris.—A neuf heures mené en carrosse à la messe, à Notre-Dame, ramené à midi; à deux heures mené en carrosse au sermon et à vêpres à Saint-Eustache puis aux Tuileries.
Le 2, mardi, à Paris.—Éveillé à cinq heures il se fait entretenir tout bas, de peur d'éveiller la Reine, par Catherine, femme de chambre, jusques à six heures. Il donne le bonjour à la Reine, va en sa chambre, entretient sérieusement M. le comte Henri de Nassau, frère du prince Maurice, de la chasse, des lieux où il y a plaisir à la chasse, comme Saint-Germain. Mené en carrosse à trois heures chez la reine Marguerite.
Le 3, mercredi, à Paris.—A sept heures mis en carrosse, mené à la messe aux Feuillants puis à Ruel, où il arrive à dix heures; Messieurs, ses frères, et Mesdames, ses sœurs, y arrivent, et à onze heures ont dîné avec lui. A trois heures remis en carrosse, Messieurs et Mesdames retournent à Saint-Germain et lui à Paris; il y arrive à cinq heures et demie.
Le 4, jeudi, à Paris.—A six heures trois quarts déjeuné, écrit, tiré des armes, dansé; son précepteur étoit malade.
Nov
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Le 6, samedi, à Paris.—A trois heures et demie il donne audience au clarissime Vénier, ambassadeur extraordinaire de Venise, pour le compliment de son avénement à la couronne; il va en la galerie, où il se met dans son petit carrosse et le fait tirer par deux de ses dogues.
Le 7, dimanche, à Paris.—Mené par la galerie aux Tuileries, où il fait courir un loup qui se jeta dans l'étang, où il fut pris.
Le 8, lundi, à Paris.—Il va en la galerie donner le bonjour à la Reine; on lui présente un caméléon. A onze heures trois quarts dîné; il dit qu'il aimera à bâtir, voyant de la table travailler les ouvriers qui couvroient le pavillon des Tuileries du côté de la rivière.
Le 9, mardi, à Paris.—A sept heures et demie il entre en carrosse pour aller à la chasse au loup, à Colombes, où il a dîné à onze heures. Une heure après il monte à cheval, va courir le loup, le prend, en court un autre, qui se sauve; ramené et arrivé au Louvre à trois heures et demie. A six heures et trois quarts soupé; il me dit qu'il n'a pas envie de manger et qu'il voudroit bien avoir un lait d'amandes; il étoit las et avoit envie de dormir. Il monte en son cabinet des livres pour se y jouer avec des petits hommes du palais que M. le marquis d'Ancre lui avoit donnés, mais il défend de dire que ce fût pour cela; il y fait monter sa musique de luths, et les fait jouer pendant qu'il se joue, quasi aliud agens. A huit heures trois quarts il va donner le bonsoir à la Reine.
Le 10, mercredi, à Paris.—Mené par la galerie aux Feuillants, il court et prend un chevreuil porté aux Tuileries.
Le 11, jeudi, à Paris.—A trois heures mené en carrosse à l'Arsenal, il se joue et court beaucoup au jardin.
Le 12, vendredi, à Paris.—A deux heures mené en
carrosse à la Roquette, où il a couru un cerf qu'il y faisoit
nourrir; ramené à cinq heures, et à six heures soupé. Il
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va chez la Reine, est amusé jusques à huit heures et un
quart, a envie de dormir, donne le bonsoir à la Reine et
va en sa chambre, où il est dévêtu, puis en son cabinet
joignant la chambre de la Reine, où il a couché. Amusé
pour l'empêcher de dormir, il prie Dieu, fait jouer de
l'épinette La Chapelle, excellent joueur qui étoit à lui, fait
chanter le Bailly et jouer du luth.
Le 14, dimanche, à Paris.—Éveillé à six heures, levé, vêtu, il donne lui-même à manger à ses petits oiseaux; à sept heures et demie déjeuné; il va en la galerie, où il se joue, fait tirer son petit carrosse par ses chiens, lui dedans. A huit heures mis au lit; il demande à jouer et sa musique de peur de s'endormir si tôt; joué à gillet[39], aux cartes, et en jouant il commandoit à sa musique. Quand ils cessoient: Chantez, chantez, disoit-il, ainsi que souloit faire le feu Roi son père, duquel il avoit toutes les mêmes actions.
Le 15, lundi, à Paris.—A six heures et trois quarts déjeuné, étudié, écrit, dansé; il se ceint d'un cimeterre avec la ceinture à la Turque, faite d'un tissu et se panadoit; il se met en posture disant: Je veux avoir ainsi ce cimeterre quand l'ambassadeur d'Espagne me viendra voir. Il demande à jouer au volant en attendant son tireur d'armes. Mené en carrosse à la plaine de Grenelle, où il monte à cheval et court un lièvre; ramené à cinq heures, il joue à la poule, jeu de cartes, avec la Reine.
Le 16, mardi, à Paris.—Mené en carrosse à Meudon, où
il a dîné, au château; à une heure il va au parc courir
un chevreuil. Ramené en carrosse, il va chez la Reine, et
à six heures soupé. Il étoit las, à demi endormi; il avoit
fait tout ce jour un grand brouillas (sic) et mouillant
comme de la pluie. Le duc de Feria, ambassadeur extraordinaire
d'Espagne, lui envoie deux pleins bassins de
Nov
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petits gants d'Espagne par des valets; il le remarqua, car
aussitôt qu'ils furent sortis il dit: Voyez quelles gens ce
sont; ce sont des estafiers.
Le 19, vendredi, à Paris.—Il fait chevalier de l'accolade l'ambassadeur de Venise, venu ambassadeur extraordinaire devers Sa Majesté, avec une incroyable adresse, en présence de la Reine, qui voulut y assister; ce fut le premier qu'il aye fait, qui s'en alla si content qu'il ne pouvoit faire partir sa vue de dessus lui. A huit heures dévêtu, mis au lit, il se fâche contre M. de Souvré et lui dit: Vous ne m'aimez pas aujourd'hui, vous m'avez dit que j'étois un enfant.
Le 20, samedi, à Paris.—Son précepteur lui demande: «Sire, sur quel prince ou roi commencerez-vous un jour à faire la guerre? Je sais bien que le Turc est infidèle, mais sur quel autre roi?»—Je vous le dirai pas, répond le Roi, gravement[40]; il mettoit en bataille ses hommes de plomb sur la table verte percée. Il s'amuse à courir après ses petits oiseaux, qu'il avoit mis dehors dans son cabinet des livres. A huit heures mené par la galerie aux Capucins et aux Tuileries; il voit courir deux loups qu'il avoit fait porter dans la carrière de l'écurie, puis un chevreuil dans le jardin. Ramené en carrosse chez la Reine à onze heures, puis dîné; il est mené en carrosse à la plaine de Grenelle, où il est monté à cheval pour courir le lièvre; il court beaucoup.
Le 21, dimanche, à Paris.—Mené en carrosse à vêpres pour la veille de la Sainte-Cécile. Il va chez la Reine, y joue à gillet, gagne six écus.
Le 22, lundi, à Paris.—A sept heures déjeuné, étudié,
écrit, tiré des armes, dansé; il se met en mauvaise humeur
pour ce que M. de Souvré le vouloit mener à Notre-Dame;
il ne vouloit pas, à cause, disoit-il, qu'il y auroit une
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grande messe. «Oui, Sire, lui dit M. de Souvré, mais il y
aura de la musique, que vous aimez tant.»—Oui, mais il
y en a de deux sortes, il y en a une que j'aime point; c'étoit
le plain-chant. M. de la Noue, gentilhomme, heurta pour
entrer, M. de Souvré commande de lui ouvrir la porte!
Hé! mousseu de Souvré, je vous prie que non.—«Pourquoi,
Sire?»—Pource qu'il me verroit en mauvaise humeur.
Enfin mené en la galerie, puis en carrosse à la
messe à Notre-Dame, à son corps défendant. A trois heures,
après avoir donné audience à l'ambassadeur de Mathias,
roi de Hongrie, il est mené en carrosse à vêpres, aux Augustins.
Le 24, mercredi, à Paris.—Mené à la galerie et à la boutique d'un marchand qui avoit des besognes de la Chine; ramené à dix heures, il entend la messe en son cabinet, puis va au conseil et en sort à onze heures. A cinq heures il va en la galerie, y fait atteler ses dogues à son petit carrosse, et fait du carrossier[41]; il va chez la Reine, y joue au poirier, au grand cabinet.
Le 26, vendredi, à Paris.—Il s'amuse à peindre en étudiant.
Le 27, samedi, à Paris.—Éveillé à deux heures après minuit, en sursaut, criant fort haut: Madame de Guise! Il se rendort jusqu'à six heures trois quarts. A onze heures dîné, bu du vin blanc; peu après il demande encore à boire, puis dit tout à coup: Non, non, j'en veux point; il rêvoit quelquefois ainsi en mangeant. A trois heures goûté, mené en carrosse chez la reine Marguerite, joué, couru, sauté au jardin. Ramené à cinq heures, il va chez la Reine, revient en sa chambre, y voit jouer un Espagnol joueur de gobelets; il découvre une partie de ses jeux.
Le 30, mardi, à Paris.—A onze heures dîné; tout le
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long du dîner et du souper il s'amuse à jouer du tambour
avec son couteau et la queue de sa cuiller, battant sur la
table, sur les vaisselles, sur l'assiette, sur le cadenat[42].
Le 1er décembre, mercredi, à Paris.—A sept heures et demie, étudié, écrit, tiré des armes, dansé. A huit heures mené en la galerie, puis en la chambre d'un marchand qui avoit des marchandises de la Chine. A deux heures et demie mené en carrosse au bois de Vincennes; il faisoit grand froid. Il chasse au parc, à cheval, est ramené et a goûté en carrosse. Pendant son souper il me raconte comme il s'étoit échauffé, puis en revenant mis du long du carrosse[43]: Je me suis couvert des mandilles de mes laquais, qui étoient doublées de frise; cela est chaud; j'étois si à mon aise!
Le 2, jeudi, à Paris.—A sept heures et un quart il part aux flambeaux, entre en carrosse, va aux Capucins, où il entend la messe, puis arrive à Ruel, où il a dîné à onze heures, y ayant donné à dîner à Madame, à Mme Christienne et à Mlle de Vendôme. Ramené en carrosse, il arrive à quatre heures et demie; à six heures et demie soupé. Il va en son cabinet, commande à l'huissier de ne laisser entrer personne sans lui demander son nom et le lui venir dire; il aimoit quelquefois être en particulier. Il se fait donner des cartes et des ciseaux dont il les coupe en diverses façons, va donner le bonsoir à la Reine.
Le 3, vendredi, à Paris.—A sept heures trois quarts,
déjeuné; il monte en son étude, se fait lire la Gazette apportée
de Rome, l'écoute attentivement, demande ce
qu'il n'entend point. Il y avoit une clause parlant bien de
Sa Majesté: comme il réussissoit; prompt; d'un esprit vif;
amateur des armes et des lettres, et desireux de savoir
Déc
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toutes choses selon les occurrences et tout au grand contentement
des gens de bien; son précepteur lui demanda
s'il lui plaisoit qu'il la lût encore: Non, non, répond le
Roi, témoignant (ce qui étoit de son naturel) de n'aimer
pas la flatterie.
Le 4, samedi, à Paris.—A trois heures goûté; mené à la galerie, là où l'on fait les doubles[44].
Le 5, dimanche, à Paris.—A dix heures trois quarts dîné; il va à la fenêtre pour voir entrer en garde les compagnies; à deux heures mené en carrosse aux Bonshommes, ramené de même.
Le 7, mardi, à Paris.—Il va à la messe en la chapelle de l'antichambre de la Reine, puis va sur la balustre de la galerie voir passer les compagnies qui entroient et sortoient de garde. Étudié; mené en carrosse à la verrerie, il y fait plusieurs besognes.
Le 8, mercredi, à Paris.—Mené en carrosse à vêpres, à Saint-Germain-de-l'Auxerrois.
Le 10, vendredi, à Paris.—Il est mené chez la Reine, puis va à la messe à la chapelle de l'antichambre de la Reine. Joué en la galerie; il va chez le marchand qui a des besognes de la Chine. Il va donner le bonsoir à la Reine; mis au lit, il fait chanter des noëls.
Le 11, samedi, à Paris.—Éveillé à cinq heures et demie, il se veut lever à toute force; M. de Souvré l'empêche; enfin, levé à sept heures, blême, le visage abattu, enrhumé. Étudié; mené par la galerie aux Feuillants, joué aux Tuileries, ramené en carrosse. Mené en carrosse à la Roquette, il monte à cheval, y court un cerf privé. Mis au lit il fait chanter des noëls.
Le 12, dimanche, à Paris.—A sept heures et demie
déjeuné; il monte au cabinet des livres, s'amuse à petites
choses. A trois heures mené en carrosse aux Jésuites de
Déc
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Saint-Louis, au sermon et à vêpres. Ramené, il va chez la
Reine; à six heures et un quart soupé. Peu après il s'endormoit
sur sa chaise en attendant M. de Souvré; l'on
prend la chaise à bras et on la fait sauter allant par la
chambre; il dit qu'il va à courbettes.
Le 13, lundi, à Paris.—Mené à la volerie, vers les Ternes; il y est monté à cheval, y a goûté à la campagne. Ramené en carrosse et à six heures soupé; peu après il s'endormoit, il est éveillé à poursuivre une chauve-souris qui étoit entrée dans sa chambre. Il va chez la Reine; mis au lit il fait chanter et chante des noëls.
Le 14, mardi, à Paris.—Mené en carrosse au parc de l'hôtel de Luxembourg, au faubourg Saint-Germain, il y court un lièvre. A six heures et demie soupé, peu, par impatience de voir jouer des marionnettes. Il va chez la Reine.
Le 15, mercredi, à Paris.—Éveillé à cinq heures, il est levé, gai et joyeux de ce qu'il lui avoit été permis de se lever, d'autant que sur l'empêchement il se fâchoit, il en pleuroit et disoit que l'on diroit qu'il est paresseux. A sept heures déjeuné, étudié; à dix heures mis en carrosse, botté, mené au bois de Boulogne courir le loup, il y en a pris deux. Ramené à cheval, il parle à tous ceux qu'il rencontre, demande qui ils sont, où ils vont, etc., comme faisoit le feu Roi. Il ne y eut jamais enfant qui eût tant d'actions de père qu'il en avoit du feu Roi.
Le 17, vendredi, à Paris.—Étudié, écrit, tiré des armes, dansé; il va chez la Reine, qui étoit au conseil.
Le 18, samedi, à Paris.—Il fait courir par ses petits chiens un lièvre dans sa chambre. Mené en carrosse au faubourg Saint-Germain, en l'hôtel de Luxembourg; il y monte à cheval, et court un lièvre dans le parc. A cinq heures il va chez la Reine aux fiançailles de M. de Guise et de Mme Henriette-Catherine de Joyeuse, fille de feu Henri de Joyeuse, dit Père Ange, capucin, et veuve de feu M. de Montpensier.
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Le 19, dimanche.—M. l'évêque de Bayonne[45], premier aumônier, le veut dissuader d'entendre au Louvre le sermon du P. Coton pour aller ouïr celui d'un jeune docteur à Saint-Paul, où il vouloit aussi aller ouïr vêpres et de là après aller à la Roquette. Il résiste tant qu'il peut, dit que ces docteurs sont si longs, jusques à ce que le dit sieur évêque lui eût promis qu'il seroit plus court de la moitié que celui du P. Coton. Alors il consent, et à deux heures est mené en carrosse à Saint-Paul; à l'entrée de la porte il dit à M. de Bayonne: Souvenez-vous bien de ce que vous m'avez promis. Il y entend le sermon et vêpres, puis est mené en carrosse à la Roquette, y monte à cheval, et court un cerf privé dans le parc, avec ses chiens.
Le 20, lundi, à Paris.—Mené par la galerie aux Feuillants; il se joue au jardin des Tuileries, où il se trouve un chien enragé, qui pilla plusieurs de ses chiens et entre autres son chien favori, Gayan, et celui qui avoit la charge de ses chiens. Il donne un grand coup de houssine à ce chien enragé, lequel peu après s'en venoit tout droit à lui sans qu'il fût arrêté par le sieur de Meurs, enseigne aux gardes écossois, qui l'arrêta avec son bâton et le vouloit tuer, si le Roi, par sa naturelle humanité, ne lui eût commandé de ne le faire pas. Ramené à dix heures et demie en carrosse chez lui, il raconte la déconvenue de ses chiens et supplie la Reine de les faire envoyer à la mer. Sa Majesté fait expédier à l'heure une ordonnance pour le veneur[46]; à onze heures il vient pour dîner, me fait l'honneur de m'en dire autant, mais la larme à l'œil, parlant de son veneur et de Gayan, disant: Je voudrois ne avoir point mené Gayan aujourd'hui aux Tuileries.
Le 21, mardi, à Paris.—Mené à la salle, au sermon du P. Coton, puis aux Tuileries par la galerie.
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Le 22, mercredi, à Paris.—Étudié, écrit, tiré des armes, dansé; à deux heures goûté. Il est botté, entre en carrosse pour aller à la volerie; hors la ville, il monte à cheval, vole la corneille, en prend cinq, vole un chat-huant, qui fut pris.
Le 23, jeudi, à Paris.—Mené en carrosse au bois de Madrid, il y est monté à cheval, chasse deux loups, vole une corneille, est ramené en carrosse. Il va chez la Reine; à six heures et demie, soupé; il se chauffe, et, de peur de s'endormir, se fait porter dans sa chambre, dans sa chaise, en faisant danser ceux qui le portoient.
Le 26, dimanche, à Paris.—Il est mené en carrosse à Saint-Étienne du Mont, à vêpres, puis va au parc Sainte-Geneviève, où il court un lièvre avec ses petits chiens.
Le 27, lundi, à Paris.—Son aumônier, Bologne, lui demandoit où il lui plaisoit d'entendre la messe. Il répond: Aux Feuillants. Il avoit neigé; il reconnoît que son aumônier se souriant, faisoit le rétif: Ho! ho! mon aumônier, vous êtes paresseux, je le vois bien. Vous craignez la neige et moi je y prends plaisir. Mené par la galerie aux Feuillants, couru au jardin des Tuileries; ramené en carrosse, il va chez la Reine. A deux heures mené en carrosse à Saint-Jean en Grève au sermon et à vêpres, puis chez M. de Roquelaure; il se joue au jardin, court par la neige, s'en joue.
Le 28, mardi, à Paris.—Il est mené par la galerie aux Feuillants, puis passe le temps au jardin des Tuileries à coups de pelotes de neige.
Le 30, jeudi, à Paris.—Il va chez la Reine, où, environ
une heure, il blêmit fort et soudain, disant qu'il brûle
à la gorge et au ventre, demande à se coucher. Mis au lit,
il s'amuse à jouer aux cartes avec M. de Vendôme. Amusé
à voir un joueur de gobelets, il se fait apprendre les
tours. A cinq heures levé, mené chez la Reine, il se joue
dans le grand cabinet avec ses petits, à la chaîne et à
d'autres jeux; à six heures et un quart soupé. Étant sur
Déc
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sa chaise percée, il se fait mettre sa petite table sur un
escabeau, devant, et joue aux cartes, au reversis, contre
M. de Vendôme et M. son frère, le Chevalier. Il va chez
la Reine, lui donne le bonsoir.
Le 31, vendredi, à Paris.—Mené en carrosse à la Roquette, où il a couru un cerf privé.
ANNÉE 1611.
Passetemps du Roi.—Peu de goût pour la danse.—Le gâteau des Rois.—Crainte de passer pour paresseux.—Querelle du comte de Soissons et du prince de Conty; insolence de celui-ci.—Tir à l'arbalète.—Le Roi en sentinelle.—Ignorance de l'évêque de Soissons.—Mot du Roi sur la démission de Sully.—Dîner à Ruel.—Les chiens pour larron.—La foire Saint-Germain tenue aux Tuileries.—Le comédien grimacier.—La compagnie de petits gentilshommes.—Préférence donnée aux tableaux sur les diamants.—Fiançailles de Mlle Ricassa; les fornicateurs.—Le peintre Bunel; portrait du Roi par Porbus.—Les dames rabattues.—Peu de goût du Roi pour l'étude.—Oiseaux dressés pour le vol.—Sauteurs et joueurs de marionnettes.—Goûter chez Concini.—Fiançailles de Mlle de Liancourt.—Plaisanterie sur Atlas.—Séjour à Saint-Germain.—Le Roi fouetté.—Retour à Paris.—Première pierre de l'église de Picpus.—Moquerie du Roi envers son précepteur.—Départ pour Fontainebleau.—La galiote du Roi.—Jalousie du Roi.—Les Égyptiens ou bohémiens.—Familiarité de Concini; pudeur du Roi.—Cérémonie du Jeudi saint.—Audience du marquis Spinola.—Pâques du Roi; il touche 660 malades.—Galère neuve du Roi.—Audience du parlement de Paris.—Le turc de M. de Guise.—Le Roi n'aime pas l'ail comme son père.—Congé de M. d'Épernon.—Moines de poterie.—Retour de Fontainebleau à Paris.—Crainte des esprits depuis la mort de Henri IV.—Souvenir de la promesse faite à un soldat.—Visite à M. et Mme Concini malades.—Fête de la Pentecôte; le Roi touche 1,100 malades.—Mot du Roi à Des Yveteaux.—Départ pour Fontainebleau.—Le nain Dumont.—Maladie de M. de Souvré.—La châsse de sainte Geneviève.—Chanson d'un ballet de Henri IV; pleurs du Roi et de M. de Vendôme.—Croyance aux esprits.—Le jeu de colin-maillard.—Compassion pour un paysan.—Tragédies et farces jouées à la Cour.—Générosité envers un jardinier.—Le réveille-matin.—Départ pour Paris; le Roi à l'hôtellerie d'Essone.—Réprimande au baron de Vitry et au chevalier de Vendôme.—Portrait en cire du Roi; sa générosité envers l'artiste.—Le jeu Je vous prends en ce point.—Des Yveteaux remplacé comme précepteur du Roi.—Séjour à Saint-Germain.—La Bradamante jouée par les enfants de France.—Départ du chevalier de Vendôme.—Dîner chez M. de Frontenac.—Dispute avec M. de Souvré.—M. de Poutrincourt.—Retour à Paris.—Arrivée du nouveau précepteur Le Fèvre.—Fête de l'Assomption; le Roi touche 450 malades, en est incommodé.—Serment des échevins de Paris.—Première leçon de M. Le Fèvre.—Première commission donnée par le Roi.—Le Roi va à la comédie à l'Hôtel de Bourgogne.—Tours d'escamotage.—Le Roi fouetté.—Mort de la duchesse de Mantoue.—Un chameau dans la galerie du Louvre.—Dispute avec M. de Souvré; mot du Roi à son précepteur.—Anniversaire de la naissance du Roi.—Les ortolans des Tuileries.—Départ pour Fontainebleau.—Le royaume des sots.—Bonnet donné au cardinal de Bonzi.—Mme de Ragny et les guenons du Roi.—Arrivée du prince de Condé.—Les arquebuses du Roi; première arquebusade.—Dicton de Bourgogne sur les clystères.—Timothée, arquebusier de Rouen.—Adresse du Roi au tir.—Combat des dogues anglais contre un ours.—Arrivée de la duchesse de Lorraine.—Le jeu de remue-ménage.—Arrivée du cardinal de Gonzague.—Départ de Fontainebleau pour Paris.—Gasconnade de M. de Souvré.—Mort de la reine d'Espagne.—Une chèvre savante.—Mort de Monsieur, duc d'Orléans.—Le jeu de quillebouquet.—Le duc d'Anjou prend le titre de Monsieur.—Première mention du nom de Luynes.—Départ de la duchesse de Lorraine.—Comédies à l'Hôtel de Bourgogne.—Le jeu de billard.—Mots du Roi sur M. de Nevers et sur le prince de Condé.—Scène avec M. de Souvré.—Chasses au vol.—Les faiseurs d'almanachs.—Mot du Roi sur M. de Vastan; sa discrétion au secret.
Le 1er janvier, samedi, à Paris.—Mené à la chapelle Saint-Louis des Jésuites, au sermon et à vêpres.
Le 5, mercredi.—Monté au cabinet des livres, il s'amuse à tirer un petit canon lequel il a chargé lui-même de ses carreaux de velours et d'autres manteaux, se met seul dans le timon et tire. Écrit, dansé à regret; il n'aimoit pas la danse de son naturel, et si il faisoit bien; il le fait pour faire les révérences à M. de Souvré, qui le forçoit à les bien apprendre.—A quatre heures il va chez la Reine; il joue dans le grand cabinet, met deux flambeaux allumés au milieu de la place, et, allant à passades, passe entre deux avec M. le chevalier de Vendôme et trois ou quatre de ses petits gentilshommes. Il va dans le petit cabinet, où étoit la Reine, qui fit couper un gâteau des Rois; M. de Souvré, qui y étoit seul homme, fut le Roi. A six heures et demi soupé; il fait couper le gâteau des Rois; l'on demandoit l'endroit de la fève pour la lui faire tomber: Non je veux pas, il le faut faire comme il viendra; Dieu fut le roi[47].
Janv
1611
Le 6, jeudi.—Étudié sans savoir qu'il fût fête. Mené en carrosse à Saint-Séverin, au sermon et à vêpres, puis au faubourg Saint-Germain, en l'hôtel de Luxembourg; il court dans le parc.
Le 8, samedi.—Éveillé à sept heures, il se plaint, jusques à peu près des larmes, de ce qu'on l'avoit laissé dormir si tard[48]. Hé quoi, l'on dira que je suis un paresseux; je me veux pas habiller en ma chambre, je veux pas que tant de monde me voie, l'on diroit que je suis paresseux. Mené en carrosse à la plaine de Grenelle, il monte à cheval, vole la corneille; il faisoit froid, il met pied à terre, et chemine longtemps.
Le 9, dimanche.—Mené au sermon et à vêpres à Saint-Merry.
Le 12, mercredi.—A cinq heures il va chez la Reine, où l'on étoit après pour accorder la querelle de M. le comte de Soissons, du jour précédent, avec M. le prince de Conty, sur la rencontre inopinée de leurs carrosses, et avec M. de Guise, qui avoit répondu pour ledit sieur prince son beau-frère; il écoute tout, retient tout, sait tout, n'en fait pas le semblant.
Le 13, jeudi.—A onze heures et demie dîné; il sort
de la table par impatience d'aller voir sortir et entrer les
gardes, et aima mieux se hâter que de les faire attendre,
car on lui demanda s'il le vouloit.—Après souper il va
chez la Reine, qui étoit en son petit cabinet, en peine
pour accommoder la querelle de M. le comte de Soissons
avec M. de Guise; M. le prince de Condé y entre brusquement,
sans aucun respect, et se couvre tout aussitôt
sans saluer le Roi autrement, et s'assied; il parle assis à
M. de Bouillon. Le Roi va à M. de Souvré: Mousseu de
Souvré, voyez, voyez Mousseu le Prince; il est assis devant
moi, il est insolent.—«Sire, c'est qu'il parle à M. de
Janv
1611
Bouillon, et ne vous voit pas.»—Je m'en vas mettre près
de lui pour voir s'il se lèvera; il s'approche près, puis encore
plus près, et ne se levant point, le Roi va à M. de
Souvré: Mousseu de Souvré, avous pas vu qu'il s'est pas
levé; il est bien insolent.
Le 15, samedi.—Éveillé à sept heures et demie, il se plaint de ce que l'on l'a laissé dormir si tard, en vient presque aux larmes, disant que tout le monde dira qu'il est paresseux.
Le 16, dimanche.—Il monte au cabinet des livres, tire au blanc avec une arbalète à argelet (sic), tire droit et avec jugement. Mené jouer à la galerie, à cause de la neige, et à la messe en Bourbon. A deux heures mené en carrosse avec la Reine au parc de Madrid.
Le 19, mercredi.—Étudié, etc.[49]; il se joue en la galerie, fait voler le moineau par un perroquet jaune qui étoit à lui.
Le 20, jeudi.—A deux heures mené en carrosse chez la reine Marguerite.
Le 21, vendredi.—Mené par la galerie aux Feuillants; il geloit fort et faisoit grand froid; avant que de sortir de son cabinet, il tira de six pas d'une arbalète à argelet, contre un petit oiseau, qu'il tua, l'ayant frappé au milieu de la poitrine; il tiroit justement et avec jugement.
Le 22, samedi.—Il s'amuse (pendant son dîner) à voir sauter une fille de cinq ans[50]. Mené en carrosse au parc de Madrid, où il a vu pour la première fois faire la monstre à sa compagnie de gendarmes, qu'il avoit étant Dauphin et laquelle fut entretenue.
Le 23, dimanche.—Après déjeuner il monte au cabinet
des livres, prend un bâton, se fait mettre en sentinelle
Janv
1611
par le jeune Loménie, qu'il fait caporal, fait demander
à M. de la Curée par M. de Préaux s'il connoît
point ce soldat. M. de la Curée répond que non.—«Il
a été aux guerres de Flandres,» dit M. de Préaux.—«Il
a bonne mine,» répond M. de la Curée, puis adressant
la parole au sentinelle: «Mon compagnon, d'où êtes-vous?»—De
Gâtinois, répond le Roi.—«Comment
vous appelez-vous?»—Capitaine Louis.—«Vous êtes
bien habillé; il y a quelque sergent qui est votre camarade,
qui vous fournit ce qu'il vous faut?»—Oui.—A
trois heures et demie il va voir passer la compagnie de
gendarmes allant en garnison à Saint-Denis.
Le 25, mardi.—A huit heures et demie mis en carrosse pour aller à la volerie au Bourget, où pour la première fois il a dîné; il faisoit brouillard et grand froid; à une heure il monte à cheval, vole pour héron et pour rivière. Ramené à quatre heures trois quarts, il va chez la Reine.
Le 27, jeudi.—Étudié, etc.; M. l'évêque de Soissons, de la maison des Hennequins à Paris[51], le vient voir; l'on disoit qu'il ne savoit pas beaucoup. Le précepteur du Roi le lui dit à l'oreille, et l'induit à faire prendre un livre latin, et, le lui présentant lui-même, lui en demander l'interprétation; il se y laisse aller.
Le 29, samedi.—M. de Sully fut, ce jourd'hui, démis de la garde de la Bastille et de la surintendance des finances; le Roi dit à M. de Souvré: L'on a ôté Mousseu de Sully des finances?—«Oui, Sire.»—Pourquoi? demande-t-il avec contenance d'étonnement.—«Je n'en sais pas les raisons, mais la Reine ne l'a pas fait sans beaucoup de sujet, comme elle fait toutes choses avec grande considération. En êtes-vous marri?»—Oui.
Le 1er février, mardi, à Paris.—Mené par la galerie
Fév
1611
aux Feuillants, puis monté à cheval; il vole en chemin
et à dix heures, arrive à Ruel, où Madame et Mlles de Vendôme
et de Verneuil arrivent, et à onze heures ont dîné
avec lui. Joué au jardin; il fait voler ses émérillons devant
Madame; à trois heures elles s'en retournent à Saint-Germain
en Laye, et lui arrive à Paris en carrosse à quatre
heures trois quarts.
Le 2, mercredi.—Mené en carrosse à vêpres, à Saint-Jacques-de-la-Boucherie.
Le 5, samedi.—L'on parloit (à son souper) de certains chiens d'Angleterre, nommés tommelins, qui endorment les lapins et d'autres chiens qui treuvent les larrons, les suivant et les sentant sans les voir; il dit en s'égayant: Il faut avoir une meute de chiens pour larron, nous en prendrons bien.
Le 7, lundi.—A huit heures trois quarts mené, par la galerie, en la salle des Tuileries, où se tenoit la foire Saint-Germain pour les joailliers, peintres et marchands de Flandre et d'Allemagne, d'autant qu'elle étoit défendue au faubourg Saint-Germain, à cause des querelles de la Cour, et les autres sortes de marchands étoient en autres et divers lieux[52]. Ramené à dix heures et demie, il va à la messe à la chapelle de l'antichambre de la Reine, puis chez la Reine et à onze heures et demie dîné, étudié, goûté. Mené par la galerie à la foire en la salle des Tuileries, ramené par le même chemin à cinq heures. Il s'amuse (pendant son souper) à voir jouer un comédien qui représentoit seul plusieurs personnages, va chez la Reine.
Le 8, mardi.—Mené par la galerie aux Feuillants,
puis à la foire aux Tuileries, comme dessus. Après dîner
il fait armer ses petits gentilshommes, qu'il appelle sa
Fév
1611
compagnie, comme il le souloit faire, et par la galerie
s'en va, tabourin battant, enseigne déployée, à la foire
comme dessus, aux Tuileries, la met en garde pour empêcher,
ce dit-il, le désordre. Ramené à cinq heures par
le même chemin et en la même façon.
Le 9, mercredi.—Mené par la galerie aux Feuillants, puis à la foire comme dessus. A deux heures et demie goûté, mené par la galerie à la foire aux Tuileries; la Reine y étoit, lui veut donner une chaîne de diamants du prix de sept à huit cents écus; il n'en veut point, dit mieux aimer des tableaux.
Le 10, jeudi.—Déjeuné, étudié, etc., il fait armer sa petite compagnie, et à neuf heures, par la galerie, les fait aller comme dessus à la foire aux Tuileries. Étudié, goûté, mené à la foire aux Tuileries; ramené, il va chez la Reine, là où, à six heures et demie, Mlle Ricassa, l'une des filles italiennes de la Reine, fut fiancée au sieur de Saint-Germain-d'Apchon. Comme le curé, en sa remontrance, eut parlé des peines des fornicateurs, l'on demanda au Roi qui étoient les fornicateurs; le Roi répond soudain: Ceux qui mettent la pâte au four.—Dévêtu, mis au lit, prié Dieu, il dit: Demain il faira mauvais temps, je ne pourrai sortir, je veux prendre médecine. Allez dire à mousseur Hérouard qu'il me fasse donner de ma dragée, et me l'envoie commander.
Le 11, vendredi.—Éveillé à sept heures; à sept et
demie il prend dragée de rhubarbe purgative, une demi-once;
il se joue au lit, s'amuse à peindre, ayant fait
venir Bunel[53], l'un de ses peintres et excellent. A trois
heures levé, il prend sa robe; Frédéric Pourbes[54], flamand,
peintre excellent, le tire de sa hauteur pendant
Fév
1611
qu'il se joue à des petites besognes. Il s'amuse à faire un
potage au lait pour l'envoyer à Mme de Guise, et autres
semblables petits jeux.
Le 13, dimanche.—Mené en carrosse aux Célestins, à vêpres; joué au jardin; il y a goûté. Après souper il joue aux dames rabattues contre M. de Longueville, qui perdoit, et le Roi lui dit que le Louvre lui portoit malheur, d'autant que M. de Longueville avoit dit qu'il gagnoit toujours chez lui.
Le 14, lundi.—Mené par la galerie aux Capucins; joué au jardin des Tuileries; il va à la foire comme dessus.
Le 15, mardi.—A six heures levé, prié Dieu; on lui fait ses cheveux paisiblement, contre sa coutume; vêtu; à sept heures et demie déjeuné; il n'étudie point, ayant composé à cette condition pour faire ses cheveux, et puis dit: C'est aujourd'hui carême prenant[55]; il est fête. Dîné peu, par impatience d'aller à la chasse au bois de Vincennes; il faisoit fort mauvais temps, inégal, de pluie, grêle et vent; il étoit gaiement à cheval.
Le 16, mercredi.—Mené par la galerie, à la foire aux Tuileries.
Le 17, jeudi.—Il s'entretient en soupant des linottes, bruiants[56] et moineaux qu'il a donnés aux sieurs du Plessis-Praslin, de Humières et de Bonnenan pour les dresser pour mouches et pour papillons; ils les tiennent devant lui, sur le poing, chaperonnés.
Le 18, vendredi.—Après dîner il va à la fenêtre pour voir combattre sans touches (sic) un homme contre un lion.
Le 21, lundi.—Mené par la galerie aux Tuileries, où la foire tenoit encore.
Fév
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Le 22, mardi.—A deux heures botté, mené en carrosse au bois de Vincennes, à la volerie; il monte à cheval, a pris à l'oiseau une perdrix en vie; ramené en carrosse, il faisoit grand brouillard.—Il s'amuse (en soupant) à voir des sauteurs et joueurs de marionnettes.
Le 24, jeudi.—Mené chez la Reine, au grand cabinet, où il joue à la mouche. A une heure et demie mené en carrosse au sermon, à Saint-Merry, puis au faubourg Saint-Germain, chez M. le marquis d'Ancre, où il a goûté.
Le 26, samedi.—A sept heures et demie mené en carrosse à la messe aux Augustins et à la chasse à Meudon, où il a dîné; il monte à cheval, court le chevreuil et chasse jusques à quatre heures; est ramené à cheval.
Le 27, dimanche.—Mené en carrosse à Saint-Étienne-du-Mont, au sermon, puis se jouer au clos de Sainte-Geneviève.
Le 1er mars, mardi, à Paris.—A une heure botté, mené en carrosse à la volerie; monté à cheval, il va par delà le Bourget; ramené à cinq heures et demie, il va chez la Reine, et à six heures et demie en la galerie, avec la Reine, aux fiançailles de Mlle de Liancourt et de M. le comte de la Rochefoucauld[57], d'où il s'en va fâché en son cabinet pour ce que l'on ne l'avoit pas fait signer. A sept heures soupé; en soupant il se parloit des fiançailles: Moi, dit-il, quand j'ai vu qu'on me faisoit pas signer, je m'en suis fort bien allé à mon cabinet; je suis fondu comme une pierre.
Le 3, jeudi.—Il s'amuse, en soupant, à voir des joueurs de marionnettes; va chez la Reine.
Le 4, vendredi.—Son précepteur lui racontoit que
Atlas avoit porté le monde sur ses épaules, le Roi dit
soudain: Je le porterois bien, et il prend sur ses épaules
Mars
1611
un des tomes où étoient les cartes du monde: Voyez je
porte le monde en France, et prenant l'autre tome: J'en
porterois bien un autre[58].
Le 6, dimanche, à Paris.—Il envoie à Saint-Germain quatre dogues équipés en mulets et chargés de coffres, comme si c'étoient les mulets de sa chambre. A deux heures mené au sermon à Saint-André des Ards, puis aux Tuileries.
Le 7, lundi.—A midi il entre en carrosse, et monte à cheval au Roule pour aller à Saint-Germain-en-Laye; ce fut la première fois qu'il y alla roi[59]. Il chasse en chemin à la volerie, et à quatre heures et demie arrive à Saint-Germain, où il est reçu par Messieurs et Mesdames; soudain il se va promener partout.
Le 8, mardi, à Saint-Germain.—A déjeuner il s'entretient de la chasse et à quoi il emploiera le temps: Nous irons ce matin au parc, où je fairai bien des choses. Il vouloit aller à la garenne; en étant refusé, il se consent d'aller au parc; jamais il n'étoit oisif. Étudié, mené au parc, à dix heures à la messe, à la chapelle du vieux château, ramené à dix heures et demie chez la Reine. Après dîner il va au jardin, s'amuse à piocher et râteler[60]; à deux heures mené en carrosse à la forêt, il est monté à cheval, court deux cerfs, les prend, se treuve à la mort de l'un sans brosser[61].
Le 10, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé, fouetté[62], étudié; il va chez la Reine.
Mars
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Le 11, vendredi.—Il va au vieux château[63] voir Madame. Il va à la chasse, part de Saint-Germain, et arrive à Paris à quatre heures.
Le 12, samedi, à Paris.—Mené à Piquepusse à vêpres, et pour mettre la première pierre à l'église, où il est longtemps à maçonner.
Le 15, mardi.—Il dit qu'il a rêvé en dormant et songé que M. de Souvré le fouettoit.
Le 18, vendredi.—Étudié, etc.; son précepteur lui dit assez bas qu'il n'étoit possible pas des plus savants, mais toutes fois qu'il n'étoit pas un homme du commun ne du vulgaire, car on ne l'eût pas mis auprès de Sa Majesté[64].
Le 19, samedi.—A une heure monté en carrosse; hors la ville il monte à cheval, est mené à la garenne de Colombes, voit courir un loup. Après souper il va chez la Reine.
Le 20, dimanche, à Paris.—Mené en carrosse au sermon à Saint-Barthélemy, puis allé aux Tuileries.
Le 23, mercredi, voyage.—Mené à la chapelle de Bourbon, puis à six heures trois quarts monté en carrosse; il part de Paris, va dîner à Essonne, où il arrive à dix heures. A une heure et demie il entre en carrosse, arrive à quatre heures et demie à Fontainebleau; c'est la première fois qu'il y est arrivé roi. Mené chez la Reine, qui arriva à sept heures et demie; à neuf ramené en sa chambre, qui regarde sur le jardin de la Reine et est contre la chambre ovale en laquelle il naquit.
Le 26, samedi, à Fontainebleau.—Mené à la chasse
du cerf, à trois lieues de Fontainebleau; ramené à
six heures, soupé. Joué à cachette; il y fait jouer M. de
Mars
1611
la Curée, lieutenant de sa compagnie de chevau-légers.
Le 27, dimanche.—Mené promener aux jardins et à dix heures à la messe avec la Reine, à la chapelle de la salle du bal; il va à la procession. A trois heures il va au sermon à la salle du bal; mené au grand canal, il entre en sa galiote, fait tirer la rame à ceux qui étoient avec lui; ramené par le chenil et les jardins.
Le 28, lundi.—A quatre heures monté en carrosse pour aller à la chasse, où, étant arrivé, M. de Souvré lui demande s'il veut pas monter à cheval, et qu'il y a deux haquenées; qu'il choisira.—Pour qui sera l'autre?—«Ce sera pour moi.»—Je suis bien aise d'être en carrosse, et il n'en voulut point sortir. C'étoit à dessein, afin que M. de Souvré ne montât point sur sa haquenée; c'étoit l'une de ses plus fortes jalousies.—Mis au lit, il parloit des Égyptiens[65] qu'il avoit rencontrés, revenant de la chasse, et dit: Si on voloit pour Égyptien, le grand prévôt seroit un bon gerfaut. M. d'Aiguillon et M. le marquis d'Ancre y étoient, sa nourrice aussi; M. le marquis d'Ancre lui dit, mettant la main sur la nourrice: «Sire, il faut que les femmes qui sont à votre coucher couchent avec M. d'Aiguillon, qui est un grand chambellan, et avec moi qui suis premier gentilhomme de votre chambre; le Roi le regardant en colère, lui tourne le dos, disant ces mots: Ouy les vilaines[66].
Le 31, jeudi.—Mené à neuf heures au sermon, qui
fut fait par M. l'évêque de Montpellier[67], puis il lava
les pieds aux pauvres. Pendant la cérémonie ou un peu
après, il voit un archer de ses gardes qui tirailloit de la
toile (sic) avec un gentilhomme de ses ordinaires nommé
le sieur de Maivre[68], commande au sieur de Nérestang,
Mars
1611
capitaine de ses gardes: Allez tancher (tancer) cet archer,
qui se prend à un de mes gentilshommes.
Le 1er avril, vendredi, à Fontainebleau.—A huit heures et demie mené au sermon et au service, où il est jusques à midi. Après dîner mené à ténèbres, et à quatre heures au jeu de paume.
Le 2, samedi.—Il s'amuse à tirer contre un chardonneret que l'on lui avoit apporté en sa chambre, avec son arbalète à argelet, le frappe en l'aile par deux fois. Mené à la messe, à la salle du Cheval, conduit par M. le marquis d'Ancre. A trois heures et un quart, il va dans la chambre de la Reine; elle étant près de lui, en la ruelle du lit, reçoit le marquis Spinola, qui passoit, s'en allant en Espagne.
Le 3, dimanche.—A huit heures il va à confesse, en sa chambre, au P. Coton, jésuite; à neuf heures à la messe, en la salle du Cheval, où il fait ses Pâques; à onze heures en la cour des Fontaines, et touche les malades pour la deuxième fois; il y en avoit six cent soixante[69]. A midi dîné; à deux heures il monte en carrosse, va ouïr vêpres à la chapelle Saint-Louis.
Le 4, lundi.—Éveillé à huit heures, et sachant qu'il étoit si tard, il pleure, dit que l'on l'appellera paresseux.
Le 5, mardi.—Mené à vêpres que l'on a fait dire avant le sermon pour l'amour de lui, qui vouloit aller à la chasse; botté, mené en carrosse jusques au lieu de l'assemblée, monté à cheval à quatre heures et demie, ramené à six heures.
Le 8, vendredi.—Étudié; M. le chancelier et M. le président Jeannin le viennent voir; il leur montre ses petites besognes, et au départ leur donne à chacun un œuf d'autruche.
Le 9, samedi.—Il va au jardin de la Reine, s'amuse
Avr
1611
à faire des ponts sur l'eau qui étoit au bassin de la fontaine,
y travaille lui même.
Le 15, vendredi[70].—Le Roi s'est éveillé à sept heures et demie, s'est fâché et a grondé de ce qu'on l'avoit laissé dormir si longtemps.
Le 16, samedi.—Il s'est promené aux jardins et est allé en carrosse à la Héronnière pour voir la galère neuve et les matelots, équipée de tout, que M. le général des galères[71] lui a fait venir de Marseille, est revenu à pied par le parc des canaux.
Le 17, dimanche.—M. le premier président de Verdun[72] et autres conseillers du Parlement le sont venus trouver et faire la révérence au milieu de son déjeuner, desquels il auroit ouï la harangue et leur auroit fait sa petite réponse, courte et grave, pour les remercier et continuer à faire leurs charges et la justice; ce qu'il fait le chapeau au poing, et ne l'avoit que levé légèrement de dessus sa tête et remis aussitôt, à leur arrivée. Il est à présumer que, songeant à sa réponse, il s'oublia de son déjeuner.
Le 18, lundi.—M. le premier président de Verdun est venu prendre congé de lui, et a été prié par M. de Souvré d'interroger S. M., laquelle a dit à M. de Souvré qu'elle en savoit plus que lui en cas de petits discours.
Le 20, mercredi.—Promené aux canaux, il y a fait mettre sa galère dedans l'eau, avec cérémonie, fait tirer les canons, trompettes sonner, et les forçats tirer la rame tout nus; S. M. toutesfois n'y est point entrée, encore qu'elle l'ait demandé.
Le 21, jeudi.—Sur la fin de son dîner, il a baillé et fait présent d'un cheval à Augustin, turc de M. de Guise.
Avr
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Le 23, samedi.—Il est allé voir jouer au tripot[73], et de là en la grande galerie voir tirer la bague.
Le 24, dimanche.—Environ les sept heures il monte en carrosse et va à Arvane, maison de M. de Loménie, près de Moret; là il se joue à passer son temps à pêcher. Après dîner il retourne pêcher, et de là va à la chasse aux toiles, prend un chevreuil en vie et un marcassin d'un an qui fut tué à coups d'épée, ce dont il fut fort fâché. Il revient à Fontainebleau à six heures et demie, va voir la Reine.
Le 25, lundi.—Il va au jardin de la Reine, puis aux canaux et sur l'eau, en la galère.—Après souper il est allé en sa chambre avec M. d'Épernon, qui l'a entretenu tout le long de son souper.
Le 27, mercredi.—A huit heures et demie soupé; il a fort ri à table, entretenant M. de Montmorency, M. d'Elbeuf et autres seigneurs; neuf heures ont sonné lui étant encore à table. Il est allé chez la Reine, et s'est retiré à dix heures.
Le 29, vendredi.—Après souper il va chez la Reine, se retire à dix heures; il s'étoit blessé au genou en tombant à la chambre de la Reine.
Le 30, samedi.—Ressentant plus de douleur en son genou que le soir précédent et ayant de la peine à s'y bien appuyer, S. M. demeure au lit pour ce jour-là. A onze heures dîné dedans le lit; il a été servi par M. de Vendôme[74].
Le 1er mai, dimanche, à Fontainebleau.—A huit heures
et demie déjeuné; il se fait servir des aulx, fait semblant
d'en vouloir manger, en fait le bon compagnon[75],
et tout à coup: Je n'en mangerai pas, mais je m'en frotterai
le nez pour baiser madame de Guise, et il s'en frotte
Mai
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le nez.—Mis au lit, M. d'Épernon prend congé de lui
pour aller en Angoumois; il l'embrasse et le baise par
plusieurs fois.
Le 5, jeudi.—Mené en l'hôtel de Navarre, où il fait courir des marcassins qu'il y avoit fait apporter. Il commande à un harquebusier de ses gardes de tirer un oiseau; il tire, l'affût se rompt, puis le harquebusier dit au sieur Dauger qu'il eût bien voulu que le Roi lui eût donné de l'argent pour le refaire. Dauger le dit au Roi, qui lui demande: Le vous a-t-il dit?—«Oui, Sire.»—Je lui en donnerai quand il ne y pensera pas[76].—Après souper il va chez la Reine, se déguise, danse le Pantalon devant elle.
Le 6, vendredi.—Mis au lit, il se fait apporter ses petits moines de poterie, s'amuse à leur faire des capuchons, les taille, les coud et dextrement.
Le 7, samedi.—Il se plaint de douleur au ventre, me commande à lui faire donner un clystère, signe qu'il sentoit bien de la douleur; on lui porte le clystère, il marchande avec l'apothicaire. La Reine y vient, les persuasions n'ont point de lieu; M. de Souvré le menace du fouet, il prend le clystère; c'est le deuxième qu'il a pris[77].
Le 10, mardi, à Fontainebleau.—Mené en carrosse aux toiles, il y voit prendre deux ou trois bêtes de compagnie; on lui vient demander s'il les vouloit voir tuer.—Non! si on les veut tuer, que ce ne soit pas devant moi! M. de Préaux me l'a dit.
Le 11, mercredi, voyage.—Éveillé à quatre heures et
demie, il demande quelle heure il est, et lui ayant été
dit: Je me veux pas encore lever, je veux pas dormir, je me
reposerai; dites-moi quand il sera cinq heures et demie. Il
ne dort point; l'heure venue, il dit: Levez moi et faites-moi
Mai
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venir tous les garçons de la chambre, je leur veux commander
à chacun ce qu'ils auront à faire. Il les envoie aux
uns et aux autres de ceux qu'il lui plut, pour les éveiller
et leur dire qu'il s'alloit lever: à M. de Vendôme, à M. le
Chevalier, son frère, à M. le comte de la Rochefoucauld.
A sept heures et demie il entre en carrosse et part de Fontainebleau
pour aller à Paris; il arrive à Tigery, près de
la forêt de Sénart, à dix heures trois quarts; y a dîné. A
deux heures il part, et à Conflans monte à cheval, arrive
à Paris à cinq heures et demie.
Le 12, jeudi, à Paris.—Mené à vêpres aux Chartreux, il y tire de l'eau au grand puits, en fait tirer à l'âne, y fait combattre Gayan, son chien, contre une fouine.—Mis au lit, il commande à deux valets de chambre de se mettre chacun à l'un des côtés de son lit, pendant qu'il s'endormiroit. Il craignoit les esprits depuis la mort du Roi son père, et en avoit ainsi usé depuis ce temps-là quand il se vouloit endormir.
Le 13, vendredi.—Étudié, etc.; il donne audience aux ambassadeurs d'Espagne, Angleterre et Venise. A cinq heures il est mis sur un bateau et conduit jusques à l'île des Bonshommes[78].
Le 14, samedi.—Étudié, etc.; mené par la galerie
aux Feuillants[79], joué aux Tuileries, ramené en carrosse,
il va chez la Reine. A onze heures et un quart dîné; il va
jouer en la galerie, étudié. Il demande à M. Beringhen,
l'un de ses premiers valets de chambre, un anneau de
cuivre où il y avoit un cadran; M. de Souvré lui remontre
qu'il ne le falloit pas redemander et le service
Mai
1611
que Beringhen lui rendoit. Il écoute et ne dit mot, et longtemps
après il appelle: Beringhen, je le vous donne; si je
l'eusse fait quand mousseur de Souvré me l'a dit, vous lui
en eussiez eu de l'obligation et non pas à moi. Il va voir
la reine Marguerite, puis entre en un bateau couvert,
est mené jusques près des Bonshommes; ramené en carrosse.
Le 16, lundi.—Il va en carrosse à la messe aux Feuillants, puis va à Saint-Germain-en-Laye, pour voir ses frères et sœurs; y a dîné. Il va partout, aperçoit le soldat qui avoit rompu l'affût de sa harquebuse à Fontainebleau, le 5me de ce mois, l'appelle: Tenez, velà pour faire remonter votre harquebuse. A trois heures goûté avec Messieurs; il ne veut point boire, dit qu'il boira au Pecq, entre en carrosse, arrive à Paris à six heures trois quarts.
Le 17, mardi.—Mené en carrosse à la verrerie, au faubourg Saint-Germain.
Le 19, jeudi.—Éveillé à sept heures et demie, il se fait entretenir, demande si le marquisat de Saluces est plus grand que la Bresse.
Le 20, vendredi.—Mené en carrosse au faubourg Saint-Germain, visiter M. et Mme Conchino, malades, puis au parc de l'hôtel de Luxembourg.
Le 22, dimanche.—Il va à la messe en Bourbon, et à onze heures touche les malades; il y en avoit environ onze cents. Dévêtu, mis au lit et demi-heure après levé, dîné. A deux heures et demie mené aux Jacobins, où il entend vêpres et la dispute; ils tenoient leur assemblée générale[80].
Mai
1611
Le 23, lundi.—Il va en carrosse aux Feuillants, après monte à cheval au Pont l'Évêque et va à Saint-Germain-en-Laye, y a dîné. A quatre heures il entre en carrosse, arrive à Paris à sept heures.
Le 28, samedi, à Paris.—M. Des Yveteaux, son précepteur, lui racontoit comme, le jour précédent, en l'assemblée des Jacobins, la Sorbonne s'opposa contre un bachelier qui soutenoit que le pape étoit par dessus le concile, et dit qu'il y avoit grande apparence de croire, comme elle faisoit, que le concile étoit par dessus le pape: Et moi non, répond le Roi, je crois que le pape est par dessus le concile[81].
Le 30, lundi, voyage.—A six heures trois quarts il entre en carrosse, part de Paris et arrive à Tigery à dix heures, y a dîné. Parti à trois heures et demie et arrivé à Fontainebleau à six heures et demie.
Le 31, mardi, à Fontainebleau.—Mené à dix heures et demie à la chapelle de la salle du bal, il va chez la Reine.
Le 1er juin, mercredi, à Fontainebleau.—Mis au lit, il s'amuse à se faire entretenir et à jouer d'une petite raquette avec de petites balles d'or.
Le 2, jeudi.—A dîner il mange un peu d'un petit oiseau
rôti, que son nain, Dumont, avoit tué le jour précédent.
Mené promener au grand canal, il va voir la
Juin
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Reine puis M. de Souvré, malade d'une jambe, s'assied
en une chaire près de lui et lui raconte tout ce qu'il sait.
Le 5, dimanche, à Fontainebleau.—Mené promener vers le canal, ramené à huit heures et un quart; il sait que la Reine étoit à la fontaine du Tibre (l'on y faisoit de la musique), il y va, est ramené à neuf heures et un quart, s'amuse à jouer au trictrac.
Le 6, lundi.—Il va sur le passage du cabinet à la galerie lambrissée, où il faisoit faire un four pour y faire cuire des confitures, s'amuse à le voir faire. A huit heures et demie il va voir M. de Souvré, malade.
Le 8, mercredi.—Il y avoit plus de trois mois qu'il n'avoit plu; ce matin il plut un peu. Quelqu'un dit qu'à Paris l'on alloit descendre la châsse de Sainte-Geneviève.—Pourquoi?—«Pour faire venir la pluie.»—Ho! astheure qu'il pleut, dit le Roi en souriant. Après dîner il va chez la Reine, qui faisoit et s'amusoit à faire faire des parfums; il y travaille aussi.
Le 9, jeudi.—Après souper il va jouer en la galerie de la Reine, y entend la musique; M. de Vendôme revient d'Anet. Le Roi étant seul près de lui, l'on se prend à chanter une chanson d'un ballet du feu Roi, et à ces mots: