Journal de Jean Héroard - Tome 2: Sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1610-1628)
il se sépare de M. de Vendôme, se prend à pleurer et peu après le va rejoindre, qui pleuroit aussi.
Le 10, vendredi.—Éveillé à quatre heures, il ne se vouloit plus rendormir, par appréhension que, le soir précédent, on lui avoit fait prendre que Mme de la Renouillère, décédée depuis sept ou huit jours, avoit été vue revenir à la chambre de la Reine; il se rendort jusques à huit heures et demie.—Après souper il va chez la Reine, joue à colin-maillard, y fait jouer la Reine et les princesses et dames.
Le 17, vendredi.—Mené aux jardins, il tue un moineau,
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volant, d'un bâton qu'il tenoit en sa main; à quatre
heures il entre en carrosse, est mené aux toiles; elles
étoient tendues sur un morceau de méchant blé; le paysan
à qui il étoit se vient plaindre à lui du dégât de son blé,
qui pouvoit être de cinq ou six boisseaux. Il lui donne
cinq écus gaiement et par compassion, et un écu à une
femme qui lui apporta des cerises, lesquelles il ne mangea
point.
Le 19, dimanche.—Après souper mené chez la Reine, puis à la galerie, où il entend sa musique de la chambre et chapelle, celle de la Reine et celle de M. de Nevers.
Le 20, lundi.—Éveillé à une heure après minuit: Je ne puis dormir, dit-il, lisez, d'Heurle (son valet de chambre). Il se rendort et s'éveille à trois fois, fait lire encore, rêve en dormant: Chantez, et songe à la musique.—Après souper il va chez la Reine, et revient à la galerie lambrissée, où il voit jouer une tragédie françoise et une farce.
Le 21, mardi.—Étudié, mené à la chasse; à cinq heures mené jouer au jeu de paume. Après souper il va en la galerie lambrissée, où il voit jouer une pastorele (sic) françoise et une farce.
Le 22, mercredi.—Mené en carrosse sur la route de Moret, il met pied à terre et se joue sur le chemin et par les brossailles. Après souper il va en la galerie lambrissée, où il voit jouer une farce, puis va chez la Reine.
Le 24, vendredi.—Après souper il est mené au jardin des fruitiers, où il court un lièvre avec ses petits chiens; ramené à huit heures et demie, il fait tirer des fusées en la cour du donjon, puis va chez la Reine, y joue à je m'assieds.
Le 25, samedi.—Mené aux jardins, il leur va dire
adieu[82]; M. de Souvré lui envoie dire qu'il donne sept
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ou huit écus au jardinier de la Reine, qui lui avoit donné
des abricots et étoit pauvre: Je lui en donne douze, dit le
Roi, et il les lui donne.
Le 26, dimanche, à Fontainebleau.—Dévêtu, il se fait bailler son réveille-matin, le met à trois heures; je lui dis qu'il étoit bien matin, il le pousse jusques à la demie, et dit à M. d'Heurles: D'Hurle ne y touchez pas, je vous le dis, mais je vous le dis. Mis au lit, il se fait lire par M. de Préaux, et s'endort à dix heures.
Le 27, lundi, voyage.—Éveillé à douze heures et demie
après minuit, doucement, il demande: Quelle heure
est-il? C'étoit de soin qu'il avoit de se lever matin, pour
partir de bon matin pour aller à Paris; il se fait montrer
le réveille-matin pour voir si on l'abusoit de lui avoir dit
qu'il n'étoit que douze heures et demie, se rendort à
deux heures jusques à trois heures et demie; éveillé par
le réveille-matin: Ça, ça, debout, debout. Levé, vêtu, à
quatre heures et demie il va à la messe en bas, et à cinq
monte en carrosse et part de Fontainebleau. Arrivé à Essonne
à huit heures, au Lion, il voit un poulain de deux
mois, demande s'il étoit à vendre. L'hôtesse lui dit qu'oui;
enquis du prix (ce fut dix écus), il les donne. Quelqu'un
lui dit que c'étoit trop: C'est tout un, c'est tout un; il
aimoit naturellement à donner. Il veut aussi acheter un
ânon et un jeune pourceau: Nous mettrons tout ensemble,
dit-il en se jouant. Pendant son dîner il fait mener devant
lui le poulain, lui fait donner de la paille, du foin,
du pain, du lait, et commande à un des garçons de sa
chambre de le mener à Corbeil, de le y embarquer et
qu'il lui baillera de l'argent pour faire sa dépense et du
poulain. Il va aux galeries, y fait monter l'ânon et monter
dessus M. le chevalier de Vendôme, fouette l'ânon qui
court, et quelque coup échappe sur le Chevalier. A trois
heures goûté, monté en carrosse. Le baron de Vitry, sortant
de l'hôtellerie, avoit pris des cerises et les mangeoit
dans le carrosse; le Roi l'en reprend aigrement: Comment,
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Vitry, voulez-vous faire des vilainies ici et gâter mon carrosse!
Peu après M. de Vendôme se met à manger des
abricots tirés de sa pochette: Quoi, voulez-vous faire un
cabaret de mon carrosse! Il arrive à Paris à six heures et
demie, ne se veut point débotter pour souper.
Le 28, mardi, à Paris.—Étudié, mené chez la Reine, puis à la chapelle de l'antichambre de la Reine.
Le 29, mercredi.—Mené promener en la galerie, puis en carrosse à la première messe de M. de Champvallon, abbé de Saint-Victor à Paris et depuis archevêque de Rouen[83], qui fut chantée [en Sorbonne].
Le 6 juillet, mercredi, à Paris.—Étudié, etc.; à trois heures et demie goûté, puis il va chez la Reine, lui demande congé d'aller à Saint-Germain-en-Laye, et dit avoir prié Mme de Guise de l'obtenir. La Reine lui répond: «Je le veux bien pour l'amour de vous; ce que je fairai pour vous, je ne le fairai pour personne; mais il faut que vous demeuriez ici demain pour répondre le cahier[84] de ceux de la Religion».—Madame, vous le fairez bien sans moi; aussi je suis trop jeune. Il va en Bourbon voir sa petite écurie.—Mis au lit, il se fait apporter ses montres et son réveille-matin pour les mettre à six heures, qu'il se vouloit lever pour aller à Saint-Germain voir Messieurs et Mesdames.
Le 7, jeudi.—Éveillé à six heures au son du réveille-matin, levé, etc., déjeuné, mené à la messe en Bourbon, puis à sept heures et demie il monte en carrosse et à cheval au delà du port de Neuilly, arrive à neuf heures et trois quarts à Saint-Germain; à quatre heures il part à cheval et arrive en carrosse à Paris à sept heures.
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Le 11, lundi.—A sept heures levé, il va voir mettre l'eau dans la cuve pour se baigner; à sept heures et demie baigné, il fait porter des petits bateaux, les fait voguer, les charge de roses rouges qui étoient éparses sur le bain. A sept heures trois quarts sorti du bain, mis au lit[85].
Le 12, mardi.—Il va voir mettre l'eau dans son bain, en sa chambre, y entre à sept heures, éparpille les roses rouges sur l'eau, fait porter de ses petits bateaux, les charge de ses roses mouillées, dit que ce sont navires qui viennent des Indes, de Goa.
Le 15, vendredi.—Étudié, etc.; à deux heures botté, il entre en carrosse, va à la chasse au parc du bois de Vincennes, y court un lièvre avec des chiens courants.
Le 16, samedi.—Un certain peintre lui apporte un portrait de cire de son visage; le Roi lui demande: Combien en voulez-vous?—«Sire, il vaut bien deux pistoles.»—En velà sept.—«Sire, ma pauvre femme est bien malade; s'il vous plaît de me donner quelque chose pour la faire assister?»—Tenez, je vous donne tout ce que j'ai, dit le Roi en vidant sa bourse; il y avoit encore sept pistoles.
Le 19, mardi.—Mené en carrosse, puis monté à cheval, il va au derrière de Montmartre voler le perdreau et courir le lièvre.
Le 21, jeudi.—Mené au jeu de paume couvert, en la rue de Grenelle. Étudié, etc., goûté, mené à la blanque au bout du Pont-Neuf, il tire une aiguière d'argent.
Le 22, vendredi.—Il joue en soupant à Je vous prends
en ce point, avec ses gentilshommes servants et autres de
ses officiers, et à la fin Je vous prends tous en ce point,
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M. d'Elbeuf le y prend en buvant; un de ses petits gentilshommes
l'en ôta[86].
Le 25, lundi, à Paris.—A dix heures et demie il va chez la Reine, où elle lui dit qu'elle lui ôte M. Des Yveteaux, son précepteur, pour lui donner M. Le Fèvre. Mené en carrosse à vêpres à Saint-Victor, puis au jardin de M. Voisin.—Dévêtu, mis au lit, M. Des Yveteaux vient prendre congé de lui; il en a du déplaisir, et l'ayant supplié de lui donner quelque bague, lui dit qu'il le faut savoir de M. de Souvré[87].
Le 26, mardi.—A deux heures il entre en carrosse pour aller à Saint-Germain-en-Laye, arrive à cinq heures. Après souper il va chez la Reine.
Le 27, mercredi, à Saint-Germain.—Étudié, etc.; mené au parc, il va chez la Reine, puis à la chapelle des Grottes. A deux heures mené à la chasse, par la Muette, monté à cheval au bois.
Le 28, jeudi.—Il écrit à M. de Villeroy pour le prier de faire en sorte que M. Le Fèvre, retenu pour être son précepteur, ne vienne point pendant qu'il sera à Saint-Germain. Étudié, etc.; il va promener, à la messe, chez la Reine, qui lui parle de M. Des Yveteaux et lui demande ce qu'il avoit dit en prenant congé de lui: Il étoit bien en colère; il me dit qu'il en avoit eu la peine et un autre en auroit l'honneur.
Le 29, vendredi.—A six heures il va chez la Reine, où il voit achever la Bradamante[88], représentée par Madame et autres; à sept heures et un quart soupé.
Le 30, samedi.—Éveillé à trois heures après minuit
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en crainte du fouet, pour s'être, le jour précédent, opiniâtré
contre M. de Souvré, sur la réponse qu'il avoit à
faire aux députés de ceux de la Religion assemblés à
Saumur. M. d'Heurles, valet de chambre, l'assure que
M. de Souvré ne s'en ressouvient point.—M'en asseurez-vous?—«Oui,
Sire»; là-dessus il s'endort jusques à sept
heures.
Le 31, dimanche.—Il se fait apporter ses arbalètes et va au parc, y tire à des oiseaux, puis, monté sur un petit bidet, il va au galop; M. de Frontenac, son premier maître d'hôtel et capitaine de Saint-Germain, le mène à la chasse, lui fait voir des chevreuils.
Le 1er août, lundi, à Saint-Germain.—Monté à cheval, mené au parc, à la chasse, il ne veut jamais permettre que M. d'Aiguillon le suivît à cheval; il fut contraint de renvoyer son cheval et de s'en retourner; le Roi n'est suivi à cheval que de M. de Souvré et de M. de Pluvinel. Joué, étudié, etc.; goûté, mené en carrosse aux toiles, il prend un grand sanglier. Après souper il va sur la terrasse, fait jeter des fusées, va chez la Reine, revient à huit heures et demie, se moque de M. de Verneuil, qui avoit été à la chasse: Mon frère de Verneuil, qui a mis la main à l'épée d'une lieue loin et crioit à mon sanglier: A moi, sanglier, je te tuerai!
Le 2, mardi.—A trois heures mené en carrosse au
vieux château, en la salle du bal, où, en sa présence, celle
de la Reine, des princes, princesses et seigneurs, de M. le
chancelier et président Jeannin, a été représentée sur le
théâtre tout accommodé la tragi-comédie de Bradamante
par ces personnages: Madame représentoit Marphise;—Mme
Christienne, Léonor, fille de Charlemagne;—Bradamante,
Mlle de Vendôme;—le baron de Palueau,
Charlemagne;—Mlle de Renel, Aimon;—Mlle de Vitry,
Béatrix;—Françoise Lecœur, Nimes, duc de Bavière;—M.
d'Aubasine, Léon;—Mlle d'Harambure, Renaud;—Nicole
Du Tost, Roger;—Mlle de Frontenac, Basile,
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duc d'Athènes;—Barbe Talon, la Roque;—Mlle Mercier
la petite, l'ambassadeur de Bulgarie;—Mlle de Verneuil,
l'ambassadeur de Grèce;—Mlle Sauvat, Hypalque;—Mlle
de Frontenac la petite, Mélisse[89].
Le 3, mercredi.—Étudié, etc.; il s'amuse à faire prendre feu à un pistolet et refusoit à danser; M. de Souvré l'en presse: Ce sera donc à la charge que je tirerai encore un coup. Il se joue en la galerie, à cause de la pluie et du tonnerre.
Le 4, jeudi.—Il fait apporter ses marmousets d'argent, les range sur son lit[90], dit que c'est la foire Saint-Germain, que ce sont marchandises qui viennent d'Allemagne, de la Chine. Étudié contre son intention, en est en colère contre M. de Souvré. Environ une heure arrive M. le chevalier de Vendôme, pleurant, se jeter à genoux devant le Roi, et qui venoit d'en faire autant à la Reine, la suppliant qu'il mourût aux pieds du Roi et des siens, et de n'aller point à Malte: «Ha! Sire, lui dit-il, ayez pitié de moi; la Reine me veut ôter d'auprès de Votre Majesté pour m'envoyer à Malte!»—Hé! qu'avez vous fait à la Reine ma mère?—«Rien, sire.»—Quoi! irez-vous toujours sur la mer?—«Oui, sire.»—Gardez-vous bien et soyez le plus fort quand vous irez à la guerre, et écrivez-moi souvent. C'étoit une grande pitié de ouïr ses plaintes et ses larmes pour l'amitié qu'il lui portoit et l'appeloit: Zagaye (sic): on me le veut ôter pource que je l'aime. On ne le pouvoit apaiser; la Reine y arrive, il redouble ses pleurs; elle tâche de le divertir. Sur les deux heures M. le Chevalier dit adieu, les plaintes redoublent; la Reine fait ce qui se peut pour l'apaiser et le divertir; on met tout à l'heure le Chevalier en carrosse, et il est conduit à Paris.—Après souper la nourrice du Roi lui fait des contes; il y prend plaisir.
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Le 5, vendredi.—Mené à la chasse du cerf en carrosse, monté à cheval au laisse-courre; la Reine y va aussi. Ramené à six heures et demie, la Reine revenant, treuve Monsieur au palemail, au droit de la chapelle, le monte à cheval devant elle, et le mène jusqu'au bâtiment neuf; le Roi marchoit à son côté. Il s'amuse à acheter des petits couteaux d'un petit mercier, pour les donner aux femmes et filles de la Reine.
Le 6, samedi.—Le Buisson, qui avoit ses oiseaux pour les champs, lui apporte deux perdreaux et les veut bailler à M. de Souvré; il les prend et les met à sa ceinture disant: Je les veux donner à la Reine, ma mère; c'est que vous les voulez manger. M. de Souvré se retire pour s'asseoir (sic): Ho! velà mousseu de Souvré qui va dire au Buisson qu'i les y apporte une autre fois, et non pas à moi, dit le Roi, et en mangeant ses cerises, il lui en tiroit les noyaux. A sept heures soupé; parlant à un de ses officiers, il lui dit: Je vous vis tous l'autre soir après un mort; qui étoit-ce?—«C'étoit, sire, un délivreur de vin.»—Comment s'appeloit-il?—«Toussaint.»—Le Roi s'adressant à un de ses pâtissiers, qui étoit présent, lui dit: Vous ne y étiez pas; il l'avoua.
Le 7, dimanche.—A midi il va chez M. de Frontenac,
son premier maître d'hôtel et capitaine du château de
Saint-Germain; il y a dîné avec la Reine, Madame, Mme la
princesse de Conty, Mme la comtesse de Soissons, Mme la
duchesse de Guise, Mme la douairière de Guise, Mlle de
Vendôme, Mme la marquise de Guiercheville, Mme la comtesse
de la Rochefoucauld, Mme de Ragny, Mme de Frontenac.
Il avoit une grande impatience pour être si longtemps
à table, mais le respect de la Reine le retenoit; il
disoit: Je ne mange rien; puisque je ne mange point, il faut
boire. Il boit de la tisane, puis demande à la Reine: Madame,
vous plaît-il que j'alle là-haut jouer de l'épinette de
madame de Frontenac. Enfin, comme la Reine eut achevé,
il dit: Madame, je suis prêt; la Reine se lève, il saute à
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bas; peu après il va en la grande salle du château, avec
la Reine et sa suite, pour y voir jouer une farce par des
valets de Messieurs.
Le 9, mardi.—M. de Fleurence le fait étudier en attendant M. Le Fèvre.
Le 10, mercredi, à Saint-Germain.—Après déjeuner, il entre en son cabinet, on lui discourt; M. de Souvré étoit assis sur un bahut, le Roi se va asseoir près de lui; c'étoit pour le faire lever. M. de Souvré se lève, le Roi se va remettre en sa chaise, M. de Souvré se rassied. Il se va asseoir près de lui; M. de Souvré lui dit alors: «Vous êtes revenu ici vous asseoir pour me faire lever, mais je ne me lèverai pas pour tout cela.»—Vous ne devez point faire de comparaison avec moi, lui répond le Roi. Repris par M. de Souvré de ce qu'il s'amusoit à des jouets d'enfant, il lui promet de ne le faire plus et va fouiller dans ses coffres lui-même, les met à part, et commande à M. d'Heurles, l'un de ses premiers valets de chambre, de les porter à Monsieur, son frère. Il va chez la Reine, où il rencontre le sieur de Poutrincourt[91], qui racontoit nouvelles du Port Royal, où il se tenoit en Canada.
Le 11, jeudi.—A trois heures et demie il entre en carrosse, part de Saint-Germain et arrive à Paris à six heures. Après souper il va chez la Reine.
Le 12, vendredi, à Paris.—Il va chez la Reine, et en
montant au petit cabinet se heurte au genou contre une
marche; peu après M. le chancelier emmène et présente
M. Le Fèvre à la Reine pour être précepteur du Roi; sur
ce la Reine le présente au Roi, disant ces mots: «Mon
fils, velà monsieur Le Fèvre, que je vous donne pour votre
précepteur.»—Madame, j'en suis bien aise.—«Il faut
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que vous lui obéissiez, et faire tout ce qu'il vous dira.»—Je
le fairai aussi, Madame.—«C'est un fort homme de
bien et bien savant; il faudra bien apprendre.»—Je le
fairai aussi, Madame. M. le chancelier, prenant la parole,
en dit beaucoup de bien, et ayant parlé de le loger où
souloit loger M. Des Yveteaux, le Roi dit: Non, non; il
seroit pas bien, il faut monter trop haut. Il faut le loger à
la chambre où souloit loger mon frère de Verneuil, dans
la tour. M. Le Fèvre entend donner leçon au Roi par
M. de Fleurence pour essayer à reconnoître sa portée[92].
Le 15, lundi.—Confessé par le P. Coton, jésuite; à neuf heures et un quart mené en carrosse aux Augustins, où il a ouï la messe, communié et à onze heures, dans le cloître, touché quatre cent cinquante malades. Il se treuve foible; il faisoit une extrême chaleur; lavé les mains avec du vin pur et senti du vin, il revient à lui. Ramené à onze heures et demie; dîné; peu après, pour le délasser, dévêtu, mis au lit. A une heure et demie levé, vêtu, mené en carrosse au sermon à Saint-André-des-Arcs, puis à vêpres aux Cordeliers[93]. Ramené à cinq heures, devêtu, mis au lit, soupé; il se joue doucement, fait fermer les fenêtres et fait poursuivre des chauves-souris qui étoient entrées. On veut lui persuader de coucher en la grande chambre, lui représentant que couchant dans son cabinet, faisant si chaud, il seroit en danger de pleurésie, de fièvre continue, ou d'une grande maladie; il n'avoit point voulu coucher dans la grande chambre depuis la mort du Roi, où il l'avoit ainsi vu, et l'appréhension lui en étoit toujours demeurée.
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Le 17, mercredi.—Après dîner, il va chez la Reine, revient en sa chambre; les nouveaux échevins lui prêtent le serment. Il monte au cabinet des livres; à trois heures goûté. M. Le Fèvre lui donne la première leçon sur l'institution de l'empereur Basile[94].
Le 21, dimanche.—Mené en carrosse, il voit tirer l'anguille au pont Notre-Dame.
Le 22, lundi.—Il commande à son nain Dumont d'aller à Villecraine, lui donne pour le conduire Descluseaux, porte-manteau, pour faire venir le sieur de Bogne, sieur de Villecraine, devers lui, sur une plainte qui lui avoit été faite par La Court, valet de chambre de S. M.; c'est le premier commandement en commission qu'il a donné.
Le 25, jeudi.—Mené en carrosse à la messe à la chapelle Saint-Louis des Jésuites; à une heure mené au bois de Vincennes à la chasse.
Le 27, samedi.—Mené en carrosse au marché aux chevaux, où il demande d'aller pour y acheter un bidet noir, puis aux Tuileries.
Le 30, mardi.—Il s'amusoit à des petits jouets; M. de Souvré lui dit: «Sire, ne voulez-vous pas quitter ces jeux d'enfant? Vous êtes déjà si grand.»—Mousseu de Souvré, je le veux bien, mais il faut que je fasse quelque chose; dites-le moi, je le fairai. Mené au jeu de paume de Verdelet.
Le 31, mercredi.—A six heures et demie il entre en
carrosse, va ouïr la messe aux Capucins pour aller à
Saint-Germain-en-Laye par la chaussée, y arrive à neuf
heures et demie, au vieux château. A onze heures dîné
avec Monsieur, Madame, Mme Christienne et Mlles de Vendôme
et de Verneuil. Ramené à sept heures à Paris. Mis
au lit, il se fait apporter une petite arbalète à argelet
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et, avec une petite balle de plomb, tire pour éteindre
les flambeaux.
Le 3 septembre, samedi, à Paris.—Mené en carrosse chez la reine Marguerite, puis à la verrerie.
Le 8, jeudi.—Mené à la messe à Notre Dame, et au sermon et à vêpres aux Carmes.
Le 10, samedi.—Mené en carrosse à Conflans, M. de Villeroy le supplie de cueillir un fort gros poncire[95]; il ne le voulut point faire, par discrétion.
Le 11, dimanche.—A deux heures mené en carrosse à Piquepusse, à vêpres, ramené à l'hôtel de Bourgogne, et à six heures trois quarts soupé; il me dit qu'il avoit mal au pied droit, que le mal lui avoit pris à la comédie. Mis au lit, il se fait porter sa caille privée, lui donne de la mangeaille.
Le 12, lundi.—Mené en carrosse chez la reine Marguerite. A souper il se joue d'une balle[96] que lui-même fait treuver dans son couvert, puis dans son pain, puis dans un plat, par habileté.
Le 13, mardi.—Il va chez la Reine, y a étudié[97].
Le 14, mercredi.—Entretenu sur le catéchisme, mené par la galerie aux Feuillants, joué aux Tuileries.—Mené en carrosse à Saint-Eustache, puis à l'hôtel de Bourgogne.
Le 15, jeudi.—Mené en Bourbon à la messe, puis au petit jeu de paume à la rue du Champfleury.
Le 17, samedi.—Après souper il se fait armer des armes complètes jusques aux pieds, que le prince Maurice lui avoit envoyées, et tout armé s'en va trouver la Reine.
Le 18, dimanche.—Exhorté par le sieur de Fleurence
sur le catéchisme; à trois heures goûté, mené à la comédie
à l'hôtel de Bourgogne. A sept heures soupé; il va chez
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la Reine, qui étoit en son petit cabinet; il heurte fort;
elle ne le trouve pas bon, croyant que ce fût faute de
respect.
Le 19, lundi.—M. de Souvré lui remontre ce qu'il avoit fait le soir précédent, et pour ce sujet il est fouetté.
Le 21, mercredi.—Mené en carrosse à vêpres à Piquepusse, puis à la comédie de l'hôtel de Bourgogne.
Le 22, jeudi.—Ce matin la Reine reçut la nouvelle du décès de Mme la duchesse de Mantoue, sa sœur aînée[98]; le Roi en pleura.
Le 23, vendredi.—En soupant il parloit d'oiseaux, d'une pie-grièche qu'il avoit, et dit qu'il la vouloit dresser pour voler le moineau, et un moineau pour le roitelet, et le roitelet pour mouche. Je lui demande: «Et la mouche, sire, que lui fairez-vous voler?»—Je lui fairai voler le moucheron.
Le 24, samedi.—Joué en la galerie, il y fait courir devant lui un chameau que M. de Nevers lui avoit donné, lui fait faire quatre tours d'un bout à l'autre.
Le 25, dimanche.—Mené en carrosse aux Filles-Dieu et à quatre heures et demie à la comédie, en l'hôtel de Bourgogne.—Mis au lit, il s'endort à la musique de Bailly, chantant et jouant de la lyre avec le joueur de luth de la reine d'Angleterre, qui en jouoit et chantoit la basse.
Le 26, lundi.—Éveillé à une heure après minuit, il
avoit de l'inquiétude pour avoir ouï parler des esprits
à son coucher; il les craignoit.—En étudiant il entre
en mauvaise humeur contre M. de Souvré, qui le reprenoit
de ce qu'il s'amusoit; il avoit le chapeau sur la tête,
le Roi lui dit: Vous avez votre chapeau sur la tête!—«Oui,
et si je le vous ôterai pas pour cette heure. Ce
n'est pas que je sache ce que je vous dois, qui est cent
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mille fois plus. Plaignez-vous en à la Reine.»—Je ne vous
ôterai pas aussi le mien. M. Le Fèvre, son précepteur, le
voulut aussi un peu presser sur la leçon; le Roi lui dit:
Quoi! et du commencement vous étiez si doux que vous trembliez
tout; et maintenant vous êtes si rude! Tiré des armes
à l'accoutumée et dansé.—Peu après souper il entend
les Comédiens françois en sa chambre; la Reine y étoit.
Le 27, mardi.—Après déjeuner il est exhorté à son corps défendant, pource qu'il croyoit ne devoir point étudier, à cause que ce jour étoit celui de sa naissance[99].—Mis au lit, il se fait apporter un petit navire d'argent et se y amuse diversement, dit qu'il ne se veut point endormir qu'à l'heure pareille de sa naissance.
Le 28, mercredi.—A dîner on lui sert une caille, qu'il avoit prise le jour précédent à la chasse, et deux moineaux, que le matin il avoit tués et frappés à l'œil, aux Tuileries, avec son arbalète à argelet: Portez, dit-il, cela à Mousseu de Souvré, et dites-lui que velà des ortolans des Tuileries que je lui envoie.
Le 1er octobre, samedi, à Paris.—Mené en carrosse chez la reine Marguerite.—A son souper il reprend un gentilhomme servant qui n'avoit point encore servi: Votre serviette n'est pas bien; et ne la mettant pas encore bien: Non, non, il faut la mettre ainsi, lui dit-il doucement, comme le lui voulant apprendre.
Le 3, lundi, voyage.—Il va à la messe en Bourbon; à sept heures il est mis en carrosse et part de Paris pour aller à Fontainebleau. A Villejuif il fait acheter un pain d'un sol, met pied à terre, chemine assez bien en mangeant son pain; arrivé à dix heures et demie à Sauvigny, il y a dîné. Il part de Sauvigny à deux heures, arrive à cinq heures à Villeroy.
Le 4, mardi.—A six heures déjeuné, puis mené en
carrosse, il arrive à neuf heures et demie à Cély, où il
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a dîné. Il part de Cély et arrive à une heure et demie à
Fontainebleau; il est toujours promené sur le canal,
dans la galerie, à cheval, à pied, dans les jardins jusques
à cinq heures.
Le 8, samedi, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle près de la salle du bal, puis chez la Reine.
Le 11, mardi.—A deux heures botté, monté à cheval, mené à la chasse au loup, par delà la rivière de Moret.
Le 12, mercredi.—En soupant l'on parla d'Engoulevent[100] qui étoit prince des sots; il dit: Annibal (l'un de ses nains) est de ses sujets, et Danobis (l'un des garçons de sa chambre). C'est le plus grand royaume du monde.
Le 13, jeudi.—Éveillé à deux heures après minuit, doucement, il a peur; c'étoit depuis la mort du Roi son père, qu'il avoit vu dans le lit[101]. Il fait passer un valet de chambre de chaque côté de son lit, pour s'assurer, se rendort jusques à quatre; fait de même, se rendort jusques à six et demie.
Le 16, dimanche.—En la chambre de la Reine, il donne le bonnet de cardinal à M. l'évêque de Béziers, Florentin et grand aumônier de la Reine, qui fut appelé cardinal de Bonzi; c'est le premier cardinal qu'il a fait.
Le 18, mardi.—Il fait venir Mme de Ragny, qui craignoit
les singes et les guenons, lui fait peur des siennes.
M. le prince de Condé revient de Guyenne; il le reçoit
gaiement, et mettant sa main à son bonnet de nuit,
bridé par la bande de sa glande[102]: Voyez, dit-il, je ne
saurois ôter mon bonnet, il est attaché. Il l'entretient de
bonne façon, lui parle de toutes sortes de choses. A
quatre heures il se remet au lit; étudié; il me fait l'honneur
de me demander si j'écrivois toujours ce qu'il faisoit
Oct
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et me commande d'écrire comme, la nuit précédente,
il avoit songé que Courtenvaux avoit une fille que sa
femme avoit faite, et que Haran (garçon de sa chambre
et de ses chiens) en avoit été le compère; et là-dessus il
s'en prend à rire. Il s'endort à la musique du luth et de
la voix de Bailly.
Le 19, mercredi.—Il prend un clystère fait de lait, de fleurs de camomille et de sucre blanc; il fait beaucoup de mystères plaisants avant que de le prendre, dit à M. de Souvré: Demandez à mousseur Hérouard si ce qu'on fait prendre par force fait pas mal. M. de Souvré le menace du fouet; cette crainte le lui fait prendre, puis il menace M. de Souvré: Si j'avois des verges, aussi vrai je vous en fairois prendre un. A dîner il est servi par M. le chevalier de Guise.
Le 20, jeudi.—A cinq heures il se lève en robe, se fait porter ses harquebuses (il en avoit sept), me dit: S'il venoit des ennemis, velà bien pour leur faire un beau salve (sic). Il prend une des harquebuses sur son épaule, se promène en soldat. A deux heures il a tiré une harquebusade[103] d'harquebuse à rouet, chargée à balle, contre un cyprès qui étoit au milieu d'un carré du parterre, sans s'ébranler en façon du monde. Il en tire encore une autre sans balle; il ne fut jamais si content; il avoit desiré d'en avoir permission de la Reine, d'autant que M. de Verneuil en avoit tiré.
Le 21, vendredi.—Il prend du lait d'amandes et l'ayant
pris, dit: Si tous les clystères étoient aussi bons que cela,
j'en prendrois souvent, comme madame de Ragny dit
qu'on les prend en Bourgogne[104]. Étudié, il entend la
messe dans son lit; dîné. Levé, il se joue doucement à son
lapin et à ses deux petits chiens Tinton et Mourac, et à
limer du fer. A deux heures tiré à balle, de sa harquebuse,
Oct
1611
faite à Rouen par Timothée, laquelle lui avoit été
donnée par M. de Blainville[105], et il l'appeloit de son nom
la Blainville. Il tire au blanc, de cinquante pas, donne à
un pouce près du blanc, puis sur un geai qui étoit en
une des premières et prochaines allées du jardin; il tire
de la fenêtre de sa chambre, de haut en bas, et le frappe
en la tête. Étudié, etc., il tire encore de la harquebuse
et tue un geai tiré de sa fenêtre dans le jardin.
Le 22, samedi.—A douze heures et demie levé, vêtu, ôté son bonnet, puis son chapeau, laissé la bande sous sa glande. Pendant son dîner[106] M. le duc de Guise, qui le servoit, lui disoit qu'il étoit venu un Anglois qui avoit des dogues fort furieux et des ours, et que s'il plaisoit à Sa Majesté de lui donner une pension de mille écus, il lui entretiendroit toute l'année vingt et cinq dogues qui lui donneroient du plaisir, et quand il lui plairoit il les feroit combattre à outrance; et il lui réitéra trois ou quatre fois ce mot d'outrance. Le Roi écouta tout sans mot dire, jusqu'à ce qu'il dit: Non, non; point à outrance; non, je veux pas à outrance; c'étoit par débonnaireté, car il ne vouloit même pas que les dogues fussent menés aux toiles, de crainte qu'ils ne fussent blessés. A trois heures il va en la chambre ovale, pour voir combattre les dogues de l'Anglois contre un ours.
Le 23, dimanche.—Il prend médecine, sous la promesse
de M. de Souvré qu'il tirera quatre harquebusades; remis
au lit, d'où il tire deux harquebusades qui sortent par la
fenêtre; il y étoit fort chaud. Levé en sa robe et bottines,
il tire par la fenêtre une harquebusade et tue un geai au
jardin; il couchoit en joue du côté droit et miroit de
l'œil gauche. Sa quatrième harquebusade il la tira du
coin de son cabinet, contre le pavillon du milieu de la
galerie et donna dans un autre trou où il y avoit un nid
Oct
1611
d'hirondelles, où il tiroit. A trois heures et demie goûté;
il fait prendre des oiseaux à la glu, fait démonter et remonter
des canons et des rouets de harquebuses, et en
régler les charges.
Le 24, lundi, à Fontainebleau.—A huit heures, sous promesse que lui fait M. de Souvré de n'étudier point, il prend un clystère.
Le 25, mardi.—On lui apporte un petit pot de verre où il y avoit de la crème avec de l'eau de rose pour frotter son nez[107]; il n'en veut point, nous en fait manger et en donnant à M. de Blainville, guidon de sa compagnie de gendarmes, qui étoit de la Religion: Tenez, mangez; velà qui vous faira devenir catholique. Il s'amuse à clouer les tapis du pied de son lit avec le tapissier, va chez la Reine.
Le 26, mercredi.—Étudié, mené à la chapelle près de la salle du bal, puis chez la Reine; dîné. Il donne audience à l'ambassadeur de Savoie; à trois heures mené en carrosse aux toiles.
Le 27, jeudi.—Étudié; on lui montroit la carte d'Espagne et les avenues de la frontière, il l'étudioit fort attentivement. M. Le Fèvre lui ayant dit que la France étoit bien un plus grand, plus beau et plus riche royaume, le Roi dit: Si[108] voudrois-je qu'elle fût à moi.
Le 28, vendredi.—A six heures levé, vêtu, botté; on
lui dit que s'il faisoit mauvais temps, il ne pourroit
sortir: Je fairai, dit-il, fermer le carrosse. On lui répond:
«Votre Majesté n'y verra goutte dedans.»—Je fairai allumer
des bougies plus tôt. Il va à la messe, puis entre en
carrosse et va à Cély, où il a dîné. Il s'amuse à tirer aux
petits oiseaux à la harquebuse, puis est mené à la chasse
au loup; il y en avoit trois grands et quatre petits dans
l'enceinte. Ramené à quatre heures, à six devêtu, mis au
lit, à huit heures et un quart il s'endort, combattant en
Oct
1611
soi-même pour ne s'endormir point tout à plein, d'autant
qu'il n'avoit pas prié Dieu; il demande son aumônier,
et, se trouvant retiré, il prie Dieu de lui-même
et s'endort à huit heures trois quarts.
Le 30, dimanche.—A trois heures il est parti en carrosse et la Reine aussi, sur la route de Moret, pour aller à la rencontre de Mme la duchesse de Lorraine[109], fille de M. le duc de Mantoue. Mme la princesse de Conty descend pour aller vers elle, de la part du Roi et de la Reine; le Roi dit: Dites à madame de Lorraine qu'elle ne descende pas, qu'elle ne s'incommode pas pour moi et je m'incommoderai pas pour elle. Toutesfois elle descend, va vingt-cinq pas à pied et salue LL. MM., qui mirent pied à terre.
Le 31, lundi.—Mené à la chapelle près de la salle du bal, puis chez la Reine et après se jouer en la galerie lambrissée. Après souper il va en sa chambre, joue à remue-ménage.
Le 1er novembre, mardi, à Fontainebleau.—Mené au jardin du Tibre, il tue de sa harquebuse une alouette puis un roitelet, ne tire jamais à faute.
Le 2, mercredi.—Il dit qu'il ne veut pas déjeuner, prie Dieu sous promesse de n'étudier pas l'après-dînée.
Le 3, jeudi.—Mené promener au canal et aux jardins, où la Reine mène Mme de Lorraine pour les lui faire voir. Après souper il va chez la Reine, tire à part, dans le grand cabinet de la Reine, Mme de Lorraine, Mme la princesse de Conty, Mme de Guise sa mère, M. de Guise, et joue à remue-ménage; y fait jouer M. de Lorme, premier médecin de la Reine. Ramené, devêtu, M. de Vaudemont[110] lui donne sa chemise.
Le 4, vendredi.—M. le cardinal Gonzague[111], neveu de la Reine, arrive.
Nov
1611
Le 5, samedi, à Fontainebleau.—Éveillé à cinq heures et demie après minuit, il demande à quelle heure il s'étoit endormi[112] et, ayant compté: Il se faut lever, c'est assez dormi. Ses valets de chambre le veulent persuader de dormir encore, et disent que la Reine leur a commandé de ne le lever point qu'il ne soit six heures: Hé! comment est-il possible de faire dormir par force, quand on n'a pas envie; levé, déjeuné, étudié, etc. Après souper il va chez la Reine, à sept heures trois quarts est ramené, prie Dieu, puis descend son oratoire pour le faire partir le lendemain. Mis au lit, il s'endort à neuf heures et demie.
Le 6, dimanche, voyage.—Éveillé à quatre heures après minuit, il fait lever ses valets de chambre, dit qu'il ne sauroit dormir par force; levé, bon visage, gai. L'on avoit arrêté l'horloge par commandement de la Reine, il le jugea. Il fait détendre son lit, aide à faire ses coffres. A six heures déjeuné; il va chez M. de Souvré, qu'il trouve au lit, lui parle de ses harquebuses, qu'il en tirera par les chemins, lui demande s'il tire bien? «J'ai autrefois si bien tiré dit M. de Souvré, que de trois coups je n'ai pas agrandi le trou.»—Il faudroit être bien sot pour le croire, répond le Roi froidement. Il est mené à la chapelle près de la salle du bal, puis à neuf heures au parc, jusques au bout, et aux jardins, pour, ce dit-il, leur baiser les mains. Il va chez la Reine, et à une heure part de Fontainebleau en carrosse, d'où il descend trois fois dans la forêt pour tirer de la harquebuse. A quatre heures il arrive à Melun, va droit au jeu de paume, puis à un jardin près de là, y tire trois moineaux d'une harquebusade. Soupé en son logis, il se fait débotter, puis lui-même se met à nettoyer ses harquebuses qui avoient tiré.
Le 7, lundi, voyage.—Il part de Melun; à Villeneuve
Saint-George dîné. A quatre heures et demie il arrive à
Nov
1611
Paris, va à la volerie. A six heures et un quart soupé;
pissé en un pot de verre, ses coffres n'étoient point arrivés.
Il va au-devant de la Reine, qui arrivoit à sept
heures.
Le 8, mardi, à Paris.—Étudié, etc.; mené aux Feuillants, joué aux Tuileries, il tire de la harquebuse aux petits oiseaux, en tue huit, et deux d'un coup qui étoient sur le faîte du pavillon. Après dîner il ne sort point, à cause du mauvais temps, ne veut point étudier; M. le marquis d'Ancre y va de la part de la Reine; étudié jusques à quatre heures; il n'en pouvoit sortir. A souper il raille M. le comte de la Rochefoucauld pource qu'il s'étoit frisé, disant: Hé! qui est ce seigneur (le fer chaud) qui a passé par ces cheveux? Hé! mon Dieu, qu'il est beau!
Le 11, vendredi.—Après dîner il va chez la Reine, là où l'ambassadeur d'Espagne annonce le décès de la reine d'Espagne[113].
Le 12, samedi.—Il envoie au cabinet des livres pour avoir des noëls et chante.
Le 13, dimanche, à Paris.—Exhorté, mené aux Tuileries par la galerie et aux Feuillants. En soupant il voit des bateleurs qui faisoient monter, descendre le long d'un bâton et pirouetter une chèvre sellée et bridée, un singe dessus; il n'a cesse tant qu'il eût acheté la chèvre; en donne vingt et six écus en or.
Le 14, lundi.—Il me fait l'honneur de me dire:
Mes sœurs seront bien aises de me voir tirer de la harquebuse;
toutes ces femmes crieront: Jésus! Mamanga[114] dira à Monsieur
de Souvré pourquoi il me laisse tirer, et l'ira dire à
la Reine ma mère. A une heure et demie mené en carrosse
Nov
1611
à Saint-Germain-en-Laye; il y arrive à cinq heures, à l'arrivée
va visiter Monsieur, son frère[115], qui étoit malade
d'un endormissement avec quelques légères convulsions;
il s'éveille, le Roi lui dit: Bonsoir, mon frère.—«Bonsoir,
mon petit papa; vous me faites trop d'honneur de
prendre la peine de me venir voir.» Le Roi se prend à
pleurer, s'en va, et depuis ne le vit plus; il va au bâtiment
neuf; soupé avec M. d'Anjou et Mesdames.
Le 15, mardi, à Saint-Germain.—Étudié, etc.; il va au parc, tire de la harquebuse, va chez la Reine.—Mis au lit, M. de Souvré lui parle de la maladie de Monsieur; le Roi demande: Ne y a-t-il point moyen de le sauver?—«Sire, les médecins y font ce qu'ils peuvent, mais il faut que vous priiez Dieu pour lui.»—Je le veux bien; ne faut-il point faire autre chose?—«Sire, il le faut vouer à Notre-Dame de Lorette.»—Je le veux bien; que faut-il faire? où est mon aumônier? L'aumônier vient, et dit au Roi: «Il faut faire une image d'argent de sa hauteur.»—Qu'on envoie à Paris tout à cette heure, qu'on se dépêche, dit le Roi avec ardeur, et puis il prie Dieu, la larme à l'œil.
Le 16, mercredi, à Saint-Germain.—Éveillé à une heure après minuit, il demande des nouvelles de Monsieur, son frère, et se rendort.—Monsieur d'Orléans, son frère, décède entre minuit et une heure, d'un endormissement joint à quelques convulsions; quelque temps auparavant il disoit qu'il avoit vu en songe un ange qui lui disoit que son bon papa avoit envie de le voir et qu'il le verroit bientôt: «Je l'embrasserai si fort», ce disoit-il gaiement.
Le 17, jeudi.—Déjeûné, étudié, etc. M. le marquis
d'Ancre lui dit le décès de Monsieur, son frère; il en
demeure saisi, blêmit, demeure pensif, fait ce qu'il peut
pour se divertir, dit à M. de Souvré qu'il die à la Reine
Nov
1611
à ce qu'il ne lui allât point donner de l'eau bénite; c'étoit
par compassion, non par mépris. Il va à la chapelle, puis
chez la Reine. A une heure et demie il entre en carrosse
et part de Saint-Germain; vers la croix Nanterre il met
pied à terre (il étoit botté), entre dans les vignes, il y
faisoit fort mol, tire de la harquebuse, deux coups, à
chaque coup abat un pinçon au haut d'un noyer. Il arrive
à Paris à cinq heures et un quart, va voir la Reine.
Le 18, vendredi, à Paris.—Joué aux Tuileries, il tire de la harquebuse; il en avoit la joue meurtrie, et me défend d'en dire mot. Ramené il va chez la Reine.—Ce jourd'hui fut ouvert le corps de feu Monsieur le duc d'Orléans, en présence de M. Antoine Petit, premier médecin du feu Roi, et M. Jean Haultin, médecin de Paris, par Elie Bardin, chirurgien à Paris, et Simon Berthelot, son chirurgien.
Le 19, samedi.—Il va chez la Reine; elle lui dit: «Je vous veux marier», et lui demande s'il aime mieux Espagne ou Angleterre? Le Roi s'en sourit sans dire mot, et dit au sieur d'Auger: Espagne, Espagne, pource qu'il y pense plus de grandeur.
Le 22, mardi.—Il donne audience à quatre ambassadeurs.
A quatre heures il va à Notre-Dame, aux vêpres
de la Sainte-Cécile. A six heures et un quart soupé; il va
en sa chambre, commande à faire un lait d'amandes, va
chez la Reine, à huit heures trois quarts est ramené, prie
Dieu, me demande si le lait d'amandes étoit fait. Je lui
dis que oui, mais que s'il lui plaisoit de le remettre au
matin, à son réveil, il seroit meilleur, d'autant qu'il
n'avoit pas trop mal soupé[116]: Je n'ai point soupé ne trop,
Nov
1611
ne trop peu.—«Il est vrai, Sire, mais il ne y a pas longtemps,
et si d'aventure Votre Majesté a soif, elle peut
boire à cette heure, et demain matin elle prendra un lait
d'amandes frais, fait à son réveil; elle en faira ce qu'il
lui plaira.» Il songe un peu: Oui, je boirai astheure, et demain
je le prendrai au saut du lit[117]. Devêtu, mis au lit,
musique; il envoie querir ses jouets, on continue la musique.
M. le cardinal de Gonzague entre pour l'ouïr; il en
est marri, et a la discrétion de ne se jouer point à ses
jouets en sa présence. Comme il y eut quatre chansons
de chantées, il commande de lui apporter les jouets aussitôt
que M. le cardinal sera sorti, et fait semblant de
dormir à neuf heures et demie; aussitôt on les lui apporte,
et il dit: Ho! mon Dieu, que je suis aise; je ne feus jamais
si aise, et il se met à promener son petit canon[118] sur la
table que l'on approcha de son lit, et s'y amuse jusques à
dix heures trois quarts.
Le 23, mercredi.—Il donne audience à cinq ambassadeurs sur le décès de Monsieur, son frère.
Le 24, jeudi.—En l'habillant il va deçà, delà, joue du quillebouquet (sic), porte un chat-huant sur son poing, n'est jamais oisif et trouve toujours à quoi passer le temps.—Mis au lit, il se joue de son petit canon, puis fait apporter des noëls, chante et fait chanter tous ceux qui étoient autour de lui.
Le 26, samedi.—Je lui dis le commandement que j'avois de la Reine d'aller à Saint-Germain-en-Laye pour faire venir ici Monsieur[119]; il en fut bien aise, et dit qu'il vouloit envoyer son attelage tiré par des dogues.
Nov
1611
Le 27, dimanche.—Monsieur, frère du Roi, arrive à Paris à quatre heures; le Roi lui fait bonne chère.
Le 28, lundi.—Mené en carrosse au collége de Sorbonne; c'est la première fois. M. de Harlay, abbé de Saint-Victor[120], âgé de vingt-quatre ans, présidoit le répondant Irlandois qui avoit été son précepteur en philosophie. Mis au lit à neuf heures et demie, il s'endort jusques à onze, qu'il se prend à dire tout haut, à demi endormi: Ho! qu'il est beau, qu'il est beau le leurre, le leurre; Loïnes, Loïnes; c'étoit un gentilhomme qui gardoit de ses émerillons[121].
Le 29, mardi.—Étudié, etc.; mené chez la Reine, puis à la chapelle de l'antichambre de la Reine, où Mme de Lorraine lui dit adieu et part pour s'en retourner en Lorraine.
Le 30, mercredi.—Mené en carrosse à vêpres, à Saint-Eustache, puis à la comédie en l'hôtel de Bourgogne.
Le 1er décembre, jeudi, à Paris.—Mené en carrosse aux Tuileries, il y tire de la harquebuse et tue des petits oiseaux avec de la poudre de plomb[122].
Le 2, vendredi.—Étudié gaiement; quand M. Le Fèvre lui demandoit le cas d'un nom, il lui répondoit par les doigts, et ayant à répondre d'un ablatif, il montre la paume de la main, ne trouvant point de sixième doigt; dansé, tiré des armes.
Le 3, samedi.—Il va à la galerie, où il travaille lui-même à un jeu de billard que l'on dressoit.—Mis au lit, il s'endort au jeu de l'épinette par le sieur de La Chapelle.
Le 5, lundi.—Il va en la galerie, y joue au billard, va chez la Reine. Mesdames arrivent de Saint-Germain.
Déc
1611
Le 6, mardi.—Il fait apporter des livres de noëls, en chante; exhorté, mené par la galerie aux Feuillants, joué aux Tuileries, il y fait voler ses émerillons. Après dîner il va à la volerie, à la plaine de Grenelle.
Le 8, jeudi.—Après souper il va en son cabinet, où M. le cardinal de Gonzague fait faire des pastilles fort odorantes; faut ouvrir les fenêtres; puis il va chez la Reine.
Le 10, samedi.—Il va se promener chez les ouvriers de la galerie[123].
Le 16, vendredi.—M. le prince de Condé et M. de Nevers le viennent voir en son étude; M. de Nevers[124] se met à l'entretenir d'une certaine devise qu'il vouloit faire mettre sur quelque monnoie qu'il vouloit faire battre; le Roi l'écoute patiemment, et répond froidement: Je veux pas qu'elle se dépende en France. M. le Prince lui dit: «Sire, il faut que Monsieur de Nevers vous donne mille écus pour en avoir la permission;» le Roi lui répond sérieusement: C'est pas à lui à me donner, c'est à moi à lui donner! Joué, à la galerie, au billard et à autres passetemps.
Le 18, dimanche.—Il va au sermon en la salle du Louvre, et à vêpres en la chapelle de l'antichambre de la Reine.
Le 20, mardi.—Mené à la galerie à cause du brouillard, il joue au billard, à barres, va chez la Reine, où il voit M. le prince de Condé parlant à elle avec action, dont elle rougissoit. Il part, et va dire à M. le chancelier: Monseu le chancelier, velà monseu le Prince qui gourmande la Roine ma mère; il ne faut pas l'endurer, je le veux pas.
Le 22, jeudi.—Il ne désire point étudier les cartes
des provinces d'Ortelius[125], M. de Souvré l'en presse:
Déc
1611
Vous êtes en colère.—«Je ne le suis point, mais, je vous
prie, étudiez.»—Vous êtes en colère; levez-vous; il étoit
assis.—«La Reine m'a permis de m'asseoir.»—Je vous
fairai bien lever, dit le Roi, et il va prendre une chaise
qu'il apporte lui-même tout contre M. de Souvré, s'assied,
sautant dedans et disant ces mots: Venez-vous maintenant
accomparer à moi! M. de Souvré se lève, et lui,
soudain et en riant, s'en va étudier ses cartes. Il y alla
pource qu'il étoit contraint, et riant pource qu'il avoit fait
lever M. de Souvré.
Le 23, vendredi.—Il va à la plaine de Grenelle, à la volerie, et voit voler le milan, qui fut pris; c'est le premier qu'il a vu voler; la Reine y étoit.
Le 24, samedi.—A neuf heures et un quart, pour se garder de dormir, il fait détacher l'une de ses guenons qui saute, qui court deçà, delà, par la chambre; puis va chez la Reine, entend les trois messes de minuit: c'est la première fois. A une heure après minuit déjeuné à la salle du bal: un morceau de saucisse; pain trempé dans de l'hypocras blanc, un peu, et autant dans du clairet.
Le 25, dimanche.—Mené au sermon et à vêpres, à Saint-Jean en Grève.
Le 26, lundi.—Exhorté à l'accoutumée par le sieur de Fleurence, lequel, lui parlant de l'excellence de l'Être, lui dit qu'on disputoit un problème aux Écoles à savoir s'il valoit mieux être et être damné, que de n'être point et être sauvé; le Roi répond soudain: J'aimerois mieux n'être point. Mené au sermon et à vêpres à Saint-Gervais.
Le 27, mardi.—Exhorté à huit heures trois quarts; mené par la galerie aux Feuillants, il va au jardin des Tuileries, fait voler l'alouette par ses émerillons, voit voler le milan, delà l'eau et lui deçà, qui fut pris. A deux heures et demie mené en carrosse au Pré-aux-Clercs, où il monte à cheval et vole la corneille, jette son oiseau qui la prit.
Le 28, mercredi.—Exhorté; M. de Fleurence lui discourant
Déc
1611
de ceux qui se mêlent de deviner, il demande:
Les faiseurs d'almanachs disent-ils vrai? M. de Fleurence
ne répond à la demande.—Mais quand ils disent que
quelqu'un mourra? Il ne répond point encore, et le Roi ne
demande plus rien. Mené à la plaine de Grenelle, pour
la volerie pour corneille.
Le 29, jeudi.—Mené à la verrerie, il fait faire des petites besognes.
Le 30, vendredi.—Il étudie fort gaiement, examine lui-même sa leçon latine, s'interroge et se répond sans faillir, y prend plaisir pource qu'il entend ce qu'il sait et les raisons de ce que l'on lui demande, ce qu'il ne faisoit pas auparavant qu'il ne les savoit pas. Il n'aime pas à ignorer ne à le paroître; dansé, tiré des armes. Mené au bois de Vincennes à la volerie, il faisoit un grand froid; ramené à cinq heures, étudié fort bien, gaiement.
Le 31, samedi.—Sur sa leçon, qui étoit que: Justus
princeps debet semper habere in promptu clementiam pro
delinquentibus, M. Le Fèvre, son précepteur, exagère cette
vertu et la loue sur toutes, disant qu'un prince doit toujours
pardonner; il répond: Et monsieur de Vatan? (prisonnier
à la Conciergerie, pour crime de lèse-majesté).
M. Le Fèvre lui dit: «Sire, le prince doit toujours pardonner,
mais il doit envoyer aux magistrats le jugement
des crimes.» Il songe, et pour faire voir qu'il ne tenoit
pas à lui que le sieur de Vastan[126] n'obtînt pardon, il
appelle: Monsieur de Souvré que je vous die un mot à l'oreille,
et il lui dit: La Roine ma mère dit que si on lui
Déc
1611
pardonnoit, il y en auroit beaucoup d'autres qui voudroient
faire de même.—«Vraiment, Sire, lui dit M. de Souvré,
voilà une parole fort notable.» Je demande à M. de Souvré,
tout haut, si le Roi auroit agréable que je l'écrive
en mon journal, il dit: Monsieur de Souvré, dites-le lui à
l'oreille. Il fait paroître sa discrétion au secret.—Mené
aux Augustins, à vêpres, puis au Palais, où il achète
quantité de petites besognes d'argent.
ANNÉE 1612.
Le Roi communie au jour de l'an.—Fête des Rois.—Son goût pour la chasse de plus en plus développé.—Vers du Roi.—Ballet des trois parties du monde.—Incendie au Louvre.—Sermon de M. de Richelieu.—Demande de la main de Madame pour le roi Philippe IV par l'ambassadeur d'Espagne.—Quintaine à la place Royale.—Mort du duc de Mantoue.—Le Roi visite assez fréquemment la reine Marguerite.—Voyage à Brie-Comte-Robert.—Accident.—Histoire d'une guenon.—Mot à madame de Longueville.—Le duc de Pastrano, ambassadeur d'Espagne.—Contrat de Madame.—Bal chez la reine Marguerite.—Fête à ce sujet.—Le Roi ne veut pas se mettre en deuil noir pour le comte de Soissons.—Le Roi fouetté.
Le 1er janvier, dimanche.—Il ne veut point déjeuner, pource qu'il avoit à communier; exhorté, à neuf heures et demie mené à la messe à la chapelle de Bourbon; à dix heures trois quarts en la salle basse du Louvre, il touche deux cents malades. Mené en carrosse au sermon et aux vêpres à Saint-Louis, rue Saint-Antoine.
Le 5, jeudi.—A six heures et un quart il va chez la Reine, fait couper devant lui le gâteau des rois; il est le roi; j'eus l'honneur d'en être.
Le 7, samedi.—Mené en carrosse chez la reine Marguerite et de là voir M. le prince de Conty, où il a goûté.
Le 10, mardi.—En dînant M. de Marsilly[127], maître
d'hôtel, disoit à M. le chevalier de Guise[128] que jamais
Janv
1612
hommes n'ont tant aimé les oiseaux que feu M. le cardinal,
son oncle, tué à Blois, et feu M. le maréchal de Montmorency;
le Roi dit soudain: Oh! je ne leur en céderai
rien. Je me lève à quatre heures pour les panser.
Le 14, samedi.—En soupant il s'entretient de la volerie. M. de la Vieuville fils[129], grand fauconnier, lui racontoit qu'un jour, volant pour corneille, un faucon porte une corneille par terre, et qu'une autre corneille fondit sur le faucon qui avoit lié la première et la tenoit liée dessus; le Roi lui dit: Que ne preniez-vous cette corneille en vie pour lui faire voler le faucon!
Le 16, lundi.—Mené au Bourg, il prend un héron pour la première fois.
Le 26, jeudi.—Chez la Reine, M. le prince de Condé lui dit à part qu'il ne crût pas qu'eux, qui étoient princes de son sang, eussent dessein de l'enlever, qu'ils n'en avoient point d'autres que d'exposer leur vie pour lui.—Je ne m'en soucie pas!—Le soir la Reine lui dit en se jouant, après souper: «Mon fils, je vous veux marier, le voulez-vous bien?»—Je le veux bien, Madame.—«Mais vous ne sauriez pas faire des enfants.»—Excusez-moi, Madame.—«Et comment le savez-vous?»—«M. de Souvré me l'a apprins.»—Le jour il avoit été question au conseil de son mariage avec l'Infante.
Le 27, vendredi.—Il étoit de fort gaie humeur, veut faire des vers, et fait ceux-ci:
Janv
1612
Le 30, lundi.—Il donne audience à l'ambassadeur de Venise et à celui de Savoie, chez la Reine.
Le 2 février, jeudi.—Il va en la galerie, où il donne audience au recteur de l'Université, qui lui apporte le cierge pour la procession et par occasion le remercie pour la justice qui lui avoit été rendue quelques jours auparavant par le Parlement contre les Jésuites.
Le 7, mardi.—En soupant il s'entretient de la fauconnerie avec le sieur de Marsilly, qui racontoit au Roi qu'il avoit mis son fils au collége Montaigu, en la chambre du sieur Grassot, pour lui apprendre les sciences. Le Roi reprend: Comment parlera-t-il à lui toute la nuit comme vous faites aux oiseaux!
Le 11, samedi.—Il demande à boire; le servant bronche en avançant le verre, et renverse de la tisane sur la main et le bras du Roi voulant prendre le verre; il s'en pique en souriant, et dit: Je n'ai plus soif, vous m'avez rafraîchi, et cache ainsi son déplaisir.
Le 17, vendredi.—Il va chez la Reine, où il se joue à faire ses petits gentilshommes ambassadeurs de divers royaumes vers la Reine pour se réjouir du mariage du Roi et de l'Infante; il y en avoit des topinambours. En soupant l'on parloit de courir la bague et des bons coureurs; quelqu'un dit que les Gascons y étoient excellents et qu'ils couroient la bague dans le ventre de leur mère, il dit soudain: Ils naissent la lance au poing.
Le 25, samedi.—Il est servi par M. du Maine, levé en robe, la Reine le vient voir; la reine Marguerite aussi; il étoit un peu malade.
Le 27, lundi.—A deux heures il donne audience aux ambassadeurs d'Angleterre et de Saxe.
Le 29, mercredi.—Levé bon visage, gai, étudié, puis il va chez la Reine; joue ensuite au billard, va à la volerie au bois de Vincennes, se traîne sur le ventre pour tirer aux oiseaux de vivier qui étoient dans une mare.
Mars
1612
Le 1er mars, jeudi.—Il voit danser le ballet de madame de Puisieux[130], où il y avoit neuf demoiselles qui représentoient les trois parties du monde.
Le 6, mardi.—Sur les deux heures il va chez la Reine, où il voit un carrousel. Un officier des siens, sommier d'échansonnerie, tombe du haut de la vieille montée, du côté du septentrion, et se tue, et le feu se met aux combles de la tour, du côté du Pont-Neuf, en la chambre de garçons de sa garde-robe. Le soir il voit danser un ballet à Madame Christine.
Le 7, mercredi.—En s'éveillant il dit qu'il a songé toute la nuit au feu, qu'il aidoit à l'éteindre et qu'il voyoit rompre des lances, comme il avoit fait au carrousel, la veille. Étudié; il n'a point déjeuné; son précepteur, M. Le Fèvre, n'y étoit point. M. le marquis d'Ancre lui dit que le sieur de Fleurence, sous-précepteur, n'étoit jamais malade, comme étoit quelquefois M. Le Fèvre, et qu'il falloit que je fisse prendre une médecine au sieur de Fleurence; le Roi dit: Il faut donc que ce soit le jour que monsieur Le Fèvre sera malade.
Le 9, vendredi.—Il se fait lire un livre de raillerie intitulé: Le voyage de maître Guillaume en l'autre monde vers Henry le Grand.
Le 17, samedi.—M. le grand écuyer arrive, revenant de son gouvernement de Bourgogne; le Roi lui fait bonne chère avec transport.
Le 18, dimanche.—Il va à Saint-André des Ards, au sermon de M. de Richelieu, évêque de Luçon, puis à l'hôtel et parc du Luxembourg.
Le 26, samedi.—Devant la Reine et Mesdames, l'ambassadeur
d'Espagne demande Madame en mariage pour
le Roi son maître, parlant à la Reine, puis à Madame, le
Mars
1612
genou en terre, en mêmes et semblables termes: «Madame,
l'honneur que j'ai reçu du Roi mon Seigneur, au
commandement qu'il m'a donné de recevoir de sa part
les assurances de vos bonnes volontés, surpasse de beaucoup
tout ce que je pourrois espérer au monde, et celui
que vous lui faites est le plus grand bien, plus grand contentement,
plus grande félicité et la plus grande joie qui
peut arriver à l'Espagne. La gloire ne m'en est point
due, mais il la faut transporter au Saint-Esprit, qui a présidé
en vos conseils.»
Le 3 avril, mardi.—En soupant je lui dis la première nouvelle que madame de Guise étoit accouchée d'un fils[131]. M. de la Curée me l'envoya dire pour le lui dire; il fait contenance d'en être joyeux et envoya bien peu après le faire dire de sa part à M. de Souvré par M. de Humières; il me demande s'il y avoit bien neuf mois.
Le 5, jeudi.—A une heure après midi il arrive en carrosse à la place Royale, posé sur l'échafaud dressé devant la Quintaine pour voir les entrées des tenants et assaillants, faites pour les réjouissances de son mariage; il y a goûté, à quatre heures.
Le 6, vendredi.—Mené à la place Royale, comme le jour précédent.
Le 7, samedi.—A une heure trois quarts à la place Royale, il voit courir la bague.
Le 10, mardi.—A trois heures et demie il va chez la Reine, où il donne audience au sieur Carlo di Rossi, venant de la part du duc de Mantoue annoncer le décès de son père.
Le 12, jeudi.—En lui donnant sa chemise à son coucher, on voit que sa poitrine, son ventre, son dos, se trouvent couverts par-ci par-là de pustules rouges de petite vérole.
Avr
1612
Le 14, samedi.—Fort gai; il s'amuse à tailler des doublures de toile pour les chausses de son Robert[132], les coud, et lui taille aussi des manches de taffetas, se fait jouer du luth par le Bailly, joue lui-même dessus; il étoit au lit.
Le 15, dimanche.—Il prend plaisir à voir sauter son Robert tenant un petit chien, lui fait donner à dîner de ce qu'il lui avoit fait préparer lui-même dans ses plats d'ivoire; il taille des habits pour son Robert, y travaille lui-même, il les dessine. A neuf heures un quart levé, il fait le Pantalon par la chambre; l'on faisoit son lit, il saute dessus pour faire recommencer, mais c'étoit pour donner le temps à ceux qui travailloient à l'habit de Robert, et le finir.
Le 17, mardi.—Il s'amuse à battre du tabar, puis à faire l'habit de Robert, y coud lui-même du passement, y fait travailler Archambaud, l'un de ses tailleurs, qu'il avoit envoyé querir, et l'attendoit avec impatience, et lui disoit qu'il ne seroit plus tailleur des magots; il se prend à le gausser doucement, lui reprochant qu'il étoit encore couché avec sa femme. Ensuite il joue à l'oie. Il eut opinion que M. de Marsilly lui racontoit quelque chose de non véritable: Ah! Marsilly, l'Écriture dit que Omnis homo mendax, et je vous assure que vous l'êtes grandement.
Le 19, jeudi.—Il charge ses coffres sur des dogues, les fait aller, se fait appeler Monsieur par Descluseaux, fait armer huit ou dix de ses petits de ses harquebuses et de tronçons de pique; il est mousquetaire. L'on parloit d'oiseaux; le jeune de Loïnes, qui avoit ceux de son cabinet, dit que M. le marquis de Rosny en avoit un très-bon, et qu'il le vouloit donner à Sa Majesté, mais qu'il le gardoit: Oui, il me le veut donner, mais il le garde, dit le Roi.
Avr
1612
Le 19, jeudi.—Levé en robe, la Reine le vient voir. S'en retournant, elle dit: «Demain vous n'aurez point de sermon.» M. de Souvré répond que M. de Fleurence lui en fera un. La Reine sort, et n'entend point ces paroles qu'il dit: Oui, Fleurence me dira encore des sottises. Fleurence répond: «Sire, j'aime mieux que vous me haïez homme de bien que si vous m'aimiez méchant; je gagnerai aussi bien ma vie en Turquie qu'auprès de Votre Majesté.» Tancé aigrement par M. de Souvré, enfin il s'apaise, ayant assurance de lui qu'il n'en parleroit point à la Reine.
Le 22, dimanche.—Mené chez la Reine, elle dînoit. Quelqu'un lui vint dire que M. l'évêque de Luçon ne prêcheroit pas, et s'il lui plaisoit que l'on avertît le père Coton. La Reine répond: «Oui, mais il n'est pas préparé.»—J'en suis bien aise, dit le Roi, il ne sera pas si long. Il chante à la chapelle, et se fait entendre par-dessus tous.
Le 23, lundi.—M. de Fleurence, par discours, récite l'histoire de Silène, premier législateur des Locriens, qui avoit fait une loi que les adultères auroient les yeux crevés. Son fils le premier enfreint la loi; le peuple pour l'amour du père le veut dispenser de la peine. Il y résiste; mais à la fin, éprouvant leur bonne volonté, veut que ce soit à la charge que son fils auroit l'œil droit crevé et lui le gauche. Le Roi demande à Fleurence: Savez-vous bien pourquoi il se fit crever l'œil gauche.—«Non Sire».—Afin de mieux tirer de la harquebuse.
Le 24 mardi.—Il va chez la Reine, et avoit envie de s'en aller à la galerie; il en presse M. de Souvré, qui, causant avec la Reine, faisoit la sourde oreille. Le Roi va dire à Mme la marquise d'Ancre: Velà Monsieur de Souvré qui fait premièrement ses affaires, puis il pensera aux miennes.
Le 26, jeudi.—Il étoit toujours malade, mais gai;
il joue à l'oie avec MM. de Vendôme, le grand écuyer,
Avr
1612
et d'Épernon; la Reine lui donne un petit coffre de jaspe
pour présent, qu'elle lui avoit promis s'il prenoit sa
médecine.
Le 29, dimanche.—Il va à la messe à Bourbon, confessé, communié. Au sermon en la salle, le père Coton fut court, le Roi lui en faisoit signe, claquant des mains, mais bas.
Le 30, lundi.—Il part en carrosse, va à la place Royale pour y voir courir la bague, dont la course avoit été remise. M. de Rouillat, gentilhomme gascon, la gagne; il étoit neveu de M. d'Épernon.
Le 3 mai, jeudi.—Mené à Issy, au jardin de la reine Marguerite, il pêche à la ligne.
Le 9, mercredi.—Il battoit le tambour contre la table avec sa cuillère et sa fourchette; M. de Souvré l'en reprend; il s'en fâche, et lui dit: Vous ne m'aimez pas tant comme fait Galaty: c'étoit le colonel des Suisses, auquel il venoit de frapper dans les mains avant déjeuner sur la protestation qu'il lui faisoit de son affection.
Le 14, lundi.—Vêtu de deuil[133], il s'en fâchoit, touché du souvenir du Roi son père. Il prie Dieu, ne déjeune point. Mme de Montglat lui racontoit des actions de son enfance, comme il fut sevré avec de la moutarde, ce qu'il disoit, et comme elle continuoit: Parlons plus de cela, mamanga, parlons de mes harquebuses; qu'on me les apporte, et envoye querir les moules et les clefs, et les lui montre toutes. Il n'aimoit nullement entendre parler de ses enfances. Il va à la place Royale, en carrosse, chez Chastillon, son topographe, où il s'amuse à diverses inventions[134].
Le 20, dimanche.—M. de Villeroy prend congé de
lui pour aller trouver MM. les prince de Condé et comte
de Soissons. Il va chez la Reine; il demande quand il
Mai
1612
partira?—«Quand le Parlement aura fait ce que je leur
ai commandé,» dit la Reine. Le Roi répond: Madame,
envoyez leur dire qu'ils s'assemblent, et me y envoyez; ils
ne me refuseront point.
Le 23, mercredi.—Entré en carrosse, il est surpris de vents et d'éclairs, de tonnerre et de pluie, qui se continue jusqu'à Brie-Comte-Robert, où il arrive à sept heures; le carrossier voulant rentrer par la ville dans le château, le carrosse s'accroche par l'impériale contre les dents de fer de la herse, de telle façon qu'à grand'peine on l'en peut arracher; les bras du carrosse en furent tout rompus; cependant il pleuvoit extrêmement et fut-on contraint d'en faire sortir le Roi par le devant du carrosse, qui étoit accroché, et tous ceux qui étoient dedans en firent de même; c'étoient MM. de Vendôme, de Verneuil, le chevalier de Guise, le marquis de la Valette, M. de Souvré, le baron de Vitry, capitaine des gardes.
Le 29, mardi.—Le marquis de Spinola arrive d'Espagne allant en Flandre[135].
Le 30, mercredi.—Il donne audience au marquis de Spinola. Il se fâche contre M. de Souvré, à cause d'une fraise empesée: il n'aimoit pas à être contraint en ses habits. Il fait des chaperons à ses pies-grièches avec du cuir rouge.
Le 31, jeudi.—Le marquis de Spinola et le comte de Buquois[136] prennent congé de lui.
Le 2 juillet, lundi.—Ce jourd'hui, à sept heures du matin,
part M. le connétable pour s'en aller en Languedoc.
Juil
1612
Le Roi court après les oiseaux à force et surtout après un
auriol.
Le 4, mercredi.—Revenant de Fontainebleau, il s'amuse dans le parc à faire courir des cochons; il donne cinq écus à un paysan à qui ils étoient, pour ce qu'il disoit que son cochon se mourroit pour ce qu'il avoit été mordu à l'oreille. Quelqu'un lui dit que c'étoit trop: Hé! c'est un pauvre homme; à cette heure qu'il a cinq écus, son cochon ne mourra plus, dit le Roi se souriant.
Le 13, vendredi.—Il va à Montfaucon pour voir éprouver des canons de nouvelle invention.
Le 22, dimanche.—Mené en carrosse le long de la rivière; il avoit envie d'aller à pied et M. de Souvré ne le vouloit pas. Il avoit fait mettre une de ses guenons dans le carrosse; il commande à Bagauld, son artillier, de jeter des fusées. La guenon eut si grand peur, qu'elle remplit tout d'ordure et particulièrement sur le Roi, et lors chacun de sortir; l'on lave le Roi à la rivière, il fallut couper une manche de sa chemise tant elle étoit gâtée, et lui bien aise pour aller à pied, fait jeter des fusées contre les personnes qui passent au chemin à cheval.
Le 27, vendredi.—M. le grand écuyer, lui donnant le bonsoir, lui demande permission d'aller le lendemain voir courir les chiens de M. de Vendôme; Le Roi lui dit: Si vous avez envie d'aller à la chasse, les miens courront demain; je vous donne cet avis.
Le 31, mardi.—Mené à la chapelle Saint-Louis des Jésuites, au sermon du cardinal de Sourdis; puis à la plaine de Grenelle, où il monte à cheval, et revient à cheval.
Le 1er août, mercredi.—Il dit à M. de Souvré qu'il étoit fête et qu'il ne falloit pas étudier: «Oui, sire, mais ce n'est pas fête d'apôtre.»—Hé Mosseu de Souvré, excusez-moi, je m'en vas le vous montrer, et il lui récite l'histoire de saint Pierre-aux-liens. M. de Souvré lui dit: «Vous l'avez apprinse dans la vie des Saints».—Excusez-moi, je l'ai apprinse en l'Évangile.
Août
1612
Le 2, jeudi.—Il va chez la Reine, qui prenoit médecine; il lui dit: Courage, Madame; allons, Madame, courage; courage, Madame, et disant courage, il remplissait toujours ses pochettes de dragées, et de cimires (sic) de melon, courage, Madame; il faut qu'ouvrir la bouche bien grande et jeter dedans.
Le 5, dimanche.—Il va à Rueil, où il dîne chez le sieur de Mouisset[137].
Le 9, jeudi.—Mme de Longueville prend congé de lui pour aller en voyage avec son mari, à Notre-Dame de Montagne, lui disant qu'elle faisoit beaucoup de miracles. Le Roi dit en souriant à M. de Longueville: Elle feroit un grand miracle, si de fol que vous êtes, elle vous faisoit devenir sage. Le Roi avoit opinion que M. de Longueville avoit l'esprit un peu gaillard.
Le 13, lundi.—Mené en carrosse au pont Notre-Dame pour voir passer le duc de Pastrano, prince d'Evoly, ambassadeur d'Espagne, pour demander Madame en mariage.
Le 16, jeudi.—A sept heures et demie il donne audience à don Diego de Selna, duc de Pastrano, qui le salue de la part du roi d'Espagne. Sa réponse fut: Je remercie le Roi de sa bonne volonté, assurés-le que je l'honorerai toujours comme mon père et l'aimerai toujours comme mon frère. L'on y avoit ajouté: «Et que j'userai de ses bons conseils», ce qu'il ne dit point, soit par oubli ou par dessein.
Le 18, samedi.—Il entend la musique du duc de Pastrano,
deux joueurs de guitare chantants et un autre qui
chantoit. On lui présente de la part du duc de Pastrano
vingt-quatre peaux de senteur et cinquante paires de
gants. Peu de temps après, M. le comte de la Rochefoucauld,
maître de sa garde-robe, lui dit qu'il falloit
Août
1612
qu'il les fît garder pour en donner aux étrangers qui
le viendroient voir: Oh! non, ce sera pour en faire des colliers
à mes chiens et des harnois à mes petits chevaux.
Le 21, mardi.—Il s'amuse à faire des bataillons de ses petits hommes de plomb; le sieur d'Auzeray, l'un de ses premiers valets de chambre, lui présente une chaise, lui demandant s'il se vouloit pas asseoir?—Il faut pas être assis quand on est à la guerre et qu'on met des armées en bataille. Il va en la galerie, d'où il voit, en la place, combattre des dogues avec un ours. Bu du vin clairet à son souper, pource qu'il y avoit des Espagnols.
Le 22, mercredi.—Jamais oisif, étant sur ses affaires en son petit cabinet, il fait mettre une bougie allumée à la fenêtre, et tire d'une arbalète à argelet, et tire la bougie sans l'abattre.
Le 24, vendredi.—Mené à Gentilly chez M. le président Chevalier, amusé diversement jusques à cinq heures et demie; il va en la chambre où M. le président Chevalier donnoit à souper à la campagne, et dit: Monsieur de Souvré, je veux souper ici. L'on fait retirer la viande déjà servie, et fait-on porter la sienne; il s'assied, fait asseoir M. de Souvré et autres qui y devoient manger. Le soir, M. de Souvré parloit au sieur d'Auzeray pour l'ordre de la chambre du lendemain, que le contrat du mariage du Roi se devoit signer. Le Roi lui demande: Monsieur de Souvré, qui signera?—«Sire, ce sera vous, vous serez marié demain ici, vous serez marié demain.» Le Roi, qui ne répondoit mot, dit brusquement et froidement: Parlons pas de cela, parlons pas de cela.
Le 25, samedi.—A son lever exhorté sur Saint-Louis[138].
Il va en sa chambre, aide à la faire accommoder pour la
cérémonie du soir. A cinq heures trois quarts, le duc de
Pastrano arrive en sa chambre, où il l'attendoit, accompagné
Août
1612
de la Reine, de Monsieur, de Madame Christine,
du nonce, de MM. les princes du sang et officiers de la
Cour; quand Madame signoit, le Roi la poussoit doucement
du coude pour la faire faillir; il signe le contrat de
mariage de Madame.
Le 26, dimanche.—Mené chez la reine Marguerite, qui faisoit la collation et le bal pour le duc de Pastrano; le Roi y mangea peu et but un peu de vin. Il fit des merveilles à danser, encore que de sa nature il ne s'y plaise pas. Il se fit admirer dans toutes sortes d'actions.
Le 28, mardi.—Il va en la galerie pour voir mettre le feu à une pyramide pleine de fusées, au manége de M. de Pluvinel, qui étoit une grande place où il l'avoit fait mettre avec prévoyance depuis le jour précédent, n'ayant point voulu qu'elle fût dans la cour du Louvre ni celle des cuisiniers, de peur de faire du mal, ni sur le quai, de peur du bois et du foin, comme plusieurs lui proposoient. Il va chez la Reine, où arrive le duc de Pastrano, accompagné de son oncle et du marquis de Treva, les entretient fort gentillement, et y est jusqu'à onze heures.
Le 1er septembre, samedi.—Il commence à apprendre à jouer du luth par Ballard.
Le 2, dimanche.—Mené en carrosse aux Bonshommes du bois de Vincennes, il y entend vêpres; après, ne pouvant monter à cheval à cause de la chaleur, il s'amuse dans le cloître, y languissant, voit un broc plein de vin et un autre d'eau, des verres portés par des hommes envoyés par les moines. Il prend le verre, fait verser du vin et de l'eau, en donne à M. de Souvré, à M. de la Curée, à M. l'évêque de Chartres, qui avoit dit vêpres, et à plusieurs autres gaiement et à la soldade pour se désennuyer; et lui a goûté.
Le 8, samedi.—Mené à trois heures à vêpres à Saint-Germain-de-l'Auxerrois,
il y reconnoît ma nièce du Val:
Velà madame Hérouard et sa nièce du Val. Il voit que
Sept
1612
l'on la pressoit, s'écrie: Hé mon Dieu, velà que l'on fera
tomber la petite du Val! Il y avoit plus de quatre ans qu'il
ne l'avoit vue. Il eut le soin de la faire mettre en sûreté.
Le 9, dimanche.—A quatre heures, en sa chambre, accompagné de la Reine sa mère, le duc de Pastrano prend congé de Leurs Majestés pour s'en retourner en Espagne.
Le 22, samedi.—A dix heures mené en carrosse à Notre-Dame; l'éjouissance étoit incroyable et les acclamations à haute voix.
Le 23, dimanche.—Sur le point de prendre un clystère, il demande à prier Dieu; je lui demande ce qu'il avoit demandé à Dieu?—Eh! que je n'aye point de mal. Il prend le clystère.
Le 28, vendredi.—Achevé une lettre pour le duc d'York, ne l'ayant point voulu remettre, quelque chose que lui en ait pu dire M. de Souvré.
Le 29, samedi.—Mené à Argenteuil, il y voit des reliques, va à Sanois en la maison d'un banquier italien nommé Lumagne.
Le 2 octobre, mardi.—M. le duc de Mayenne revient d'Espagne[139].
Le 7, dimanche.—Il va à Saint-Cloud voir M. d'Épernon, malade chez M. de Gondi.
Le 11, jeudi.—Il va chez la Reine, où se passoit le contrat de mariage de Mlle de Mayenne avec le duc de Sforce[140]. L'on ne faisoit que d'achever de lire le contrat lorsqu'il y arriva; on le lui présenta à signer; il ne le voulut jamais signer qu'il ne l'eût ouï lire, et de fait il fut lu du tout, puis signé.
Oct
1612
Le 12, vendredi.—Il reçoit fort bien M. le comte de Soissons revenant de Normandie.
Le 15, lundi.—Levé en robe et en bottines; Madame le vient voir; Mlle de Vendôme et lui s'amusent à faire des confitures.
Le 31, dimanche.—Il va dans son petit carrosse au parc; M. de Souvré étoit devant avec son petit-fils le chevalier de Malte[141], et il restoit en place. M. de Souvré lui demande qui lui plaisoit qui s'y mît. Le Roi ne répond pas: interrogé par plusieurs fois, même silence. M. de Souvré dit enfin: «Sire, voilà M. de la Force, capitaine de vos gardes, vous plaît-il qu'il s'y mette?»—Le Roi ne dit mot.—«Sire, les capitaines de vos gardes ont accoutumé d'y aller du temps du feu Roi votre père.»—Ils l'ont accoutumé peu à peu; je leur en ferai peu à peu perdre la coutume.
Le 1er novembre, jeudi.—Il apprend le décès de M. le comte de Soissons, décédé le matin sur les trois heures, en sa maison de Blandy.
Le 4, dimanche.—Il ne se veut point lever pour ne prendre point un habit de deuil pour M. le comte de Soissons. Il le vouloit violet. Il va au sermon, et fait courir un marcassin par ses petits chiens[142].
Le 8, jeudi.—Éveillé doucement, son visage changé par une médecine qui lui a été présentée; la présence de la Reine par deux diverses fois; menaces de M. de Souvré, par l'espace de deux heures; on ne l'eût pu résoudre à la prendre, mais plutôt à endurer le fouet, et à dix heures trois quarts fouetté bien, sans larmes.
Nov
1612
Le 9, vendredi.—Éveillé doucement, résolu de prendre sa médecine; toutesfois depuis sept heures jusqu'à neuf heures et demie il a été comme le jour précédent; ni la force, ni la douceur n'y ont servi de rien, retenu seulement de l'appréhension du médicament, qui étoit d'une once de casse infuse, de deux drachmes de séné et quatre scrupules de rhubarbe, et demi-once de sirop de limon et décoction de chicorée blanche, oseille, buglosse, agrimoine, raisins de corinthe, linnières de fenouil, de citron et un peu de conserve de violette. Il l'a fallu tromper; ç'a été avec six onces de lait d'amandes et deux drachmes de diacarthami qu'il a prise, et en a demandé davantage. Le soir il prend sa robe et ses bottines, va en sa chambre voir jouer une comédie françoise et des farces.
Le 11, dimanche.—Il va en la galerie à son lever; la Reine avoit commandé qu'on lui fît la mine pour n'avoir point voulu prendre sa médecine; il s'en aperçut ou il le sut, et s'adressant à Mlle de Vendôme, lui dit tout bas: La Reine ma mère a commandé que l'on me fasse la mine, mais ils seroient bien tous étonnés si je la leur faisois. Soudain il va à Mme la douairière de Guise: Eh bien, madame de Guise, êtes-vous de celles qui me font la mine? et s'en va lui faisant la moue et le hausse-bec.
Le 17, samedi.—A une heure mené en carrosse au pont de Neuilly, où il monte à cheval et court un lièvre avec les chiens de feu M. le comte de Soissons, qui lui furent donnés.
Le 5 décembre, mercredi.—On lui présente une gelinotte de bois; il la repousse. Le sieur Parfait, contrôleur général, lui dit: «Sire, c'est une gelinotte de bois.»—Quand elle seroit de fer, je n'en veux point.
Le 9, dimanche.—Mené en carrosse au sermon et à
vêpres à Saint-Germain-de-l'Auxerrois, pour tenir à baptême
M. le comte de Soissons, âgé de sept ans, avec la
Déc
1612
Reine sa mère, en la chapelle de la maison du comte,
baptisé par M. l'évêque de Paris.
Le 10, lundi.—Il reçoit chez la Reine le serment de la charge de grand-maître de M. le comte de Soissons[143].
Le 16, dimanche.—Mené en carrosse à Saint-Benoît, où il entend le sermon et vêpres; il y blêmit, y rougit, se plaint du ventre; remis et ramené à quatre heures chez la Reine, où il reçoit des lettres de Malte de M. le chevalier de Vendôme, et un laneret, qu'il porte sur son poing, fort content.
Le 18, mardi.—Il reçoit le serment de M. le comte de Soissons pour le gouvernement du Dauphiné.
Le 23, dimanche.—On lui met une emplâtre de diapalme sur la jambe droite sous le genou, enflé par une chute sur la robe de Mlle de Vendôme, garnie de jayet.
Le 24, lundi.—Il va chez la Reine, en la salle, où il voit danser sur la corde une petite fille de cinq ans et d'une corde à l'autre.
Le 31, lundi.—Il s'amuse à faire des gâteaux au beurre chez Madame et avec elle.
ANNÉE 1613.
Meurtre du baron de Lux.—Le Roi demande à sa mère la grâce d'une femme condamnée à mort.—Ballet de Mme de Guiercheville.—Tragédie d'Emon.—Les Rois sont gentilshommes.—Trait de justice du Roi.—Le Roi touche 1,070 malades.—Son goût pour la comédie.—Voyage autour de Paris.—Accident qu'une gazelle manque de causer.—Cadeau du duc de Lorraine.—Mariage de M. de Montmorency et de Marie des Ursins.—Pose de la première pierre de l'aqueduc de Roungy.—Passage à Essone.—Le Roi commence à aller aux assemblées.—Lettre à la Reine.—Le pauvre en sa maison de gazon.—Serment de M. d'Ancre comme maréchal.—Les sauvages de M. de Rasilly.
Le 5 janvier, samedi.—Le baron de Lux tué par M. le chevalier de Guise à l'entrée de la rue de Grenelle[144]. Le Roi fait jouer une comédie françoise De la Folie et de l'Amour aveugle; il va en la salle de la comédie.
Janv
1613
Le 11, vendredi.—Il va chez la Reine, où il la supplie pour la grâce d'une femme que, deux jours auparavant, il avoit rencontrée en revenant de la chasse, sur le pavé de Saint-Denis, condamnée à Senlis pour avoir fait mourir son enfant dont elle étoit grosse, laquelle s'étoit jetée à ses pieds, demandant grâce. Elle étoit appelante de la mort au Parlement, et laquelle le Roi avoit commandé qu'elle fût mise en un lieu particulier jusqu'à ce qu'il eût parlé à la Reine, n'ayant pas voulu qu'elle fût menée à la Conciergerie, disant: Monsieur de Souvré, ceux du Parlement la fairoient mourir. Il parle de cette femme, dit à M. de Souvré qu'il en parle à la Reine, autant à M. de Bassompierre, pour la disposer à la grâce, en dit des raisons: Les preuves de la mort ne sont pas certaines, il étoit mort auparavant, elle n'a été condamnée que sur des conjectures, et, se retournant à sa nourrice: Doundoun, dites à la marquise d'Ancre qu'elle dispose la Reine ma mère à lui donner sa grâce. Avec les sus raisons, et tout cela avec passion, et de l'inquiétude de peur que cette femme mourût; il demeure pensif, et soudain dit à M. de Souvré, quasi la larme à l'œil: Ceci me met en peine.
Le 12, samedi.—Le matin il va chez la Reine, et demande la grâce pour cette femme; il n'oublie pas à s'en ressouvenir; il raconte les mêmes choses que dessus pour sa justification.
Le 25, vendredi.—En soupant il raille M. de Souvré, qui le pressoit de manger de quelque sauce: Ho! ce sont des sauces à la Souvré; allez-vous-en chez un rôtisseur, il vous dira: Monsieur, c'est une sauce à la Souvré.
Le 26, samedi.—Il entre en mauvaise humeur avec
M. de Souvré, dit qu'il est en colère, prie M. le duc de
Bouillon, maréchal de France[145], de traiter l'accord et
Janv
1613
de faire lever la main et jurer à M. de Souvré qu'il se
mettra plus en colère et qu'il oublie tout le passé. M. de
Bouillon le fait, et en cette sorte: «Monsieur de Souvré,
levez la main: vous promettez de ne jamais vous
mettre en colère tant que le roi fera bien?»—«Oui.»—«Et
vous, sire, levez la main: vous promettez de
faire toujours bien?»—Oui.
Le 29, mardi.—Parlant de la jupe de chasse d'un de ses gentilshommes servants, qui étoit rouge (la jupe), il dit: Il y a cinquante ans qu'elle est faite; c'est la jupe d'un vieux cocher de monsieur le maréchal de Fervaques. Il s'amuse souvent chez Madame à faire des laits d'amandes, des massepains.
Le 2 février, samedi.—M. de Souvré lui parloit d'aller au sermon dans l'après-dînée; il y résistoit, et me fait l'honneur de me demander s'il étoit pas vrai que lorsqu'on avoit mal aux dents il ne falloit pas aller au sermon? M. de Souvré lui parle d'un prédicateur, nommé Valadier[146], qui autrefois avoit été jésuite; il y songe un peu, et dit soudain: Non, monsieur de Souvré, je ne veux point aller à Valadier; il ne fait que crier contre Pouillan et contre Beringuan et les Huguenots. Beringhen étoit l'un de ses premiers valets de chambre, et Pouillan, nommé Mont-Pouillant[147], l'un de ses enfants d'honneur, huguenots.
Le 4, lundi.—M. de Souvré lui avoit fort loué le
cidre dont M. le cardinal du Perron lui avoit envoyé
une bouteille[148]; il en veut tâter; il en goûte dans un
Fév
1613
verre une gorgée et demie pour la première fois, et
commande qu'on lui en serve à son dîner.
Le 11, lundi.—Il assiste au conseil chez la Reine, où il n'y avoit que M. le chancelier de Villeroy et le président Jeannin avec la Reine; il y opina, dont la Reine l'exempta de l'étude.
Le 12, mardi.—Il monte à neuf heures en la chambre de la marquise de Guiercheville, au-dessus de la sienne, où il voit danser le ballet des joueurs de courte-boule, par M. le baron de Palluau.
Le 17, dimanche.—La Reine le veut dissuader d'aller au ballet de M. de Vendôme, qui se devoit danser au Louvre, au-dessus de sa chambre, où logeoit Mme de Guiercheville, et pour ce qu'il n'aimoit pas à se parer en cérémonie, elle lui dit que s'il y veut aller, il faudra qu'il se pare: Hé! Madame, ce ne seroit pas mon carême-prenant, ce seroit ma semaine sainte. Il va au ballet.
Le 26, mardi.—Il fait jouer dans sa chambre la tragédie de Emon, tirée de l'Arioste, par ses petits, la Reine présente.
Le 28, jeudi.—Mené à deux heures en carrosse à la place Royale, chez le sieur d'Escure pour y voir rompre en lice.
Le 1er mars, vendredi.—Faisant des figures de géométrie, il conteste contre M. de Fleurence, qui disoit que sa raison étoit juste: Eh oui! juste comme monsieur de Souvré à tirer de la harquebuse, qui donne à deux pieds près du blanc.
Le 2, samedi.—La Reine l'envoie chercher pour aller à la comédie françoise.
Le 3, dimanche.—Il est entretenu par M. de Nevers sur la guerre de Hongrie.
Le 4, lundi.—La nuit précédente Mme la duchesse de
Mars
1613
Guise étoit accouchée de deux garçons enveloppés d'une
même peau et n'ayant qu'un arrière-faix[149].
Le 5, mardi.—Impatient de se lever pour aller à la chasse et dîner à Courbevoie, près du pont de Neuilly, maison du sieur de Serres, l'un de ses maîtres d'hôtel.
Le 11, lundi.—Il va dehors, tire de cinquante pas à balle seule, au blanc fait d'un morceau de papier mis au gant du sieur Seton, exempt de la garde écossoise, tue dix ou douze petits oiseaux, vole et prend le héron.
Le 12, mardi.—Mené au cabinet des livres, M. de Fleurence, son précepteur, le veut persuader de faire quelque figure de mathématique avant que de s'aller promener. Il promet de le faire au retour; et l'autre ne le voulant pas croire, le Roi lui dit: Tendez la main; il y frappe, disant: Foi de gentilhomme, je le ferai; c'est la première fois qu'il lui a ouï faire ce serment. Le chevalier de Souvré l'en reprend, disant: «Sire, vous n'êtes pas gentilhomme.» Le Roi répond en souriant: Je ne suis pas gentilhomme!—«Sire, vous êtes roi».—Et les rois sont-ils pas gentilshommes!
Le 13, mercredi.—Comme il dînoit, le sieur de Loïnes,
qui avoit les oiseaux de son cabinet, lui vient dire qu'il y
avoit un homme qui avoit des pigeons, mais qu'il ne les
lui vouloit pas bailler, et s'il lui plaisoit de commander
à un archer de ses gardes pour les prendre. Il ne dit
mot, et écoutoit quelques-uns qui lui disoient qu'il y falloit
envoyer et que tout étoit à lui; quand il dit au sieur
de Loïnes: Prenez un archer, que le Roi lui commanda, et
dites à cet homme qu'il m'apporte lui-même quatre pigeons;
que je les lui paierai plus qu'ils ne valent. Il y va,
l'homme apporte ses pigeons; le Roi lui demande: Combien
voulez-vous de vos pigeons?—«Sire, ils valent bien
dix sols la pièce». Tenez, velà un écu: en deux demi
Mars
1613
écus. Il va à la comédie françoise, où il s'endormoit, ne
se pouvoit éveiller tant qu'on le mit sur l'échafaud.
Le 16, samedi.—Botté à une heure, mis en carrosse au-dessous de Montmartre, il y monte à cheval et fait voler ses oiseaux, va au moulin à vent, où il prend et jette les gants et les mouchoirs de chacun, et les voit emporter au vent. Il mange des œufs à la coque avec six apprêtes de pain, mange dans sa cuillère pour ce qu'en devisant il avoit froissé la coquille, dont il se prit à rire, disant: Oh! oh! je rêve.
Le 26, mardi.—Il va à l'hôtel de Guise voir Mme de Guise en couches.
Le 31, dimanche.—Il va jouer en la galerie, puis chez la Reine, après ensemble à la messe en Bourbon, et à la procession dans le Louvre.
Le 2, avril, mardi.—Il va à deux heures chez la Reine; à deux heures et demie il va chez M. de Saint-Luc et de là à Saint-Eustache, où il tient son fils à baptême avec Madame; nommé Louis[150]. Goûté chez M. de Saint-Luc.
Le 4, jeudi.—A neuf heures, en la grande salle, au sermon de M. Fenouillet, évêque de Montpellier, il lave les pieds aux pauvres; va à la messe en Bourbon; aux Feuillants, il entend Ténèbres.
Le 7, dimanche.—Il va à la messe en Bourbon, confessé, communié, touché mil soixante-dix malades.
Le 8, lundi.—A sept heures entré en carrosse, il va à Chantelou, la première fois, passant par le Bourg-la-Reine; il y fait acheter des échaudés encore tout chauds, en mange la moitié d'un.
Le 11, jeudi.—Il va chez la Reine, la voit saigner, vient en carrosse à Conflans, où il a vu M. de Villeroy.
Avr
1613
Le 12, vendredi.—Il va aux Capucins, où M. de Razilly[151] lui présente huit Américains topinambous, qu'il amenoit de l'île de Maragnon, l'un desquels et des principaux du pays lui dit en son langage qu'ils étoient venus pour le remercier des prophètes (les Capucins) et des bons hommes qu'il leur avoit envoyés, qu'ils les défendroient bien contre leurs ennemis et pour le prier de leur en envoyer davantage.
Le 13, samedi.—Mené à Berny, maison de M. le Chevalier.
Le 25, jeudi.—A sept heures et demie, mis en carrosse, il va à la messe aux Jésuites, en la rue Saint-Antoine et de là à Champs-sur-Marne, maison appartenant à M. Faure[152], maître d'hôtel du Roi, où il a dîné.
Le 28, dimanche.—Mené au cabinet de la Reine, il fait jouer une comédie par ses enfants d'honneur; ce qui lui arrivoit souvent[153].
Le 12 mai, dimanche, à Fontainebleau.—Étant au jardin des fruits, une gazelle vint droit à lui de course pour le heurter; le Roi porte promptement et à propos son chapeau au-devant du corps, qu'elle l'enfourna du haut jusques au fond; il est certain que sans cela elle lui donnoit dans le petit ventre et bien avant. Et Dieu en soit loué! Ce fut un grand hasard.
Mai
1613
Le 22, mercredi.—Monsieur et Mesdames arrivent à six heures pour souper.
Le 23, jeudi.—Il va jouer à la paume; il pleuroit quand il perdoit: c'est qu'il n'aimoit pas à être vaincu.
Le 24, vendredi.—Il dîne, et la Reine aussi, chez M. Zamet, boit du vin des Canaries, fort trempé, qu'il ne trouve pas bon.
Le 25, samedi.—Il reçoit en présent par le sieur de Champvallon, de la part de M. et de Mme de Lorraine, un échiquier d'ambre jaune, venu du cabinet du duc de Juliers.
Le 27, lundi.—Il va au jardin des Canaux, où il a touché quatre cent sept malades; sur le midi vient un grand orage de pluie; il étoit couvert de son parasol et ne laisse pas de continuer (il y en avoit près du quart), bien aise de patrouiller dans l'eau et du désordre. Changé de chemise et d'habit.
Le 28, mardi.—Il va au conseil pour Mantoue[154], où la Reine prononce la résolution de guerre.—Madame, dit-il, je suis bien aise, il faut faire la guerre.
Le 6 juin, jeudi.—Il va au jardin; mené à la procession, à la messe dans la salle du Cheval, où tout étoit fermé, et y faisoit si grand chaud qu'il lui en prit une foiblesse; il ne laisse pas d'achever.
Le 10, lundi.—Il part de Fontainebleau, dîne à Melun, attend Monsieur; la Reine le lui avoit donné à charge. Il dit qu'il a mal aux dents, ne se veut point coucher, prend du vinaigre et de l'eau tiède.
Le 21, vendredi.—Il va aux Tuileries par la galerie,
Juin
1613
à cinq heures et un quart va jouer à la paume. Essuyé, bu
de la tisane, changé de chemise; il monte à la chambre
de M. de Châteauvieux pour voir jouer une belle partie
à la paume.
Le 24, lundi.—Il va en carrosse avec la Reine aux Capucins, pour faire baptiser trois Topinambous par M. l'évêque de Paris; ils furent nommés Louis.
Le 2, mardi.—Arrive en la chambre de la Reine, pour épouser, M. de Montmorency, amiral de France[155].
Le 7, dimanche.—Il va chez la Reine à deux heures, entre en carrosse, va aux vêpres aux Chartreux, en part à quatre et va à Issy, à la maison de la reine Marguerite, s'amuse à pêcher et à se jouer de diverses façons. Ramené pour souper.
Le 10, mercredi.—Il va à Grenelle, chez M. Leclerc, secrétaire du Roi, va à Gentilly en la maison de M. le président Chevalier.
Le 13, samedi.—A huit heures il entre en carrosse, va à Roungy[156] pour les sources de la fontaine et le travail par où on la conduit à Paris, de là à Cachan, où il a dîné en la maison de M. le prince de Conty; monté à cheval, il va au parc, y court une biche, brosse hardiment, se jette en l'eau, bien avant; la biche prise, il lui donne la vie, disant: On la courra une autre fois. Il va à Arcueil chez Mme de Moisse, où il a soupé. Arrivé à huit heures et demie, il va chez la Reine et à la comédie françoise; ramené dans sa chambre, il prend la bougie et s'amuse à lire les billets qui étoient en une bergerie en tapisserie que l'on avoit, sur le jour, tendue en sa chambre[157]; il étoit si gai qu'il ne se pouvoit coucher.
Juil
1613
Le 17, mercredi.—Il va en carrosse aux fontaines de Roungy, où arrive la Reine. Le Roi mit la première pierre à l'embouchure de l'aqueduc et cinq médailles d'or et d'argent, de sa face, avec cette lettre: Ludovicus XIII Francorum et Navarræ rex christianissimus, et au revers étoit un arc-en-ciel, la figure d'une femme assise en dessus représentant la Reine régente, sa mère, avec cette lettre: Dat peccatum omnibus ather. Il pleuvoit fort, et c'étoit sur les trois heures. Soupé à Gentilly, chez M. le président Chevalier.
Le 21, dimanche.—En l'exhortation le sieur de Fleurence lui explique ce qu'antérieurement, en la loi mosaïque, signifioient les sacrifices du veau, du chevreau, de l'agneau, du gâteau, des colombes et des tourterelles.
Le 27, samedi.—Il va à Bagnolet. Il s'amuse à imprimer de ses leçons aux presses d'imprimerie qu'y avoit le cardinal du Perron, à qui étoit la maison[158]. Il va à la comédie françoise.—M. l'amiral de Montmorency arrive en poste, lui quarantième, au Louvre.
Le 29, lundi.—Il se trouve au coucher de Mme Marie des Ursins avec l'amiral de Montmorency. Le petit Souvré, chevalier de Malte, s'étoit caché sous le lit et fut fouetté.
Le 19 août, lundi.—Il part à cheval de Monceaux et tout le matin chasse aux perdreaux, part de Meaux, va à Fresne.
Le 21, mercredi.—Il s'amuse à faire des cartes avec le compas de M. d'Épernon.
Le 24, samedi, à Saint-Germain.—Il monte à cheval,
court un cerf, le premier qu'il a tué, lui ayant donné
Août
1613
un coup d'épée dans le cœur. Il fait porter le cerf dans
la salle, de peur du serein, le fait dépouiller et en fait
faire la curée.
Le 28, mercredi.—Il voit jouer des artifices à feu sur la tour de Nesle, de la porte d'en face, et d'une tourelle dressée sur la muraille du parterre devant son cabinet, faits par Jumeau, l'un de ses artilleurs.
Le 31, samedi.—Éveillé à une heure après minuit, en sursaut, et avant que de s'éveiller, il plaignoit, pleuroit, et disoit: Eh mon Dieu! hé mon Dieu, prenez ces mille anneaux, prenez-en quarante pour la Reine, ma mère, et vingt pour moi. Il s'éveille, et se rendort jusqu'à neuf heures et demie.
Le 2 septembre, lundi.—A une heure dîné chez M. Zamet, la Reine aussi; il va en carrosse à la Roquette, où il a chassé, revient à six heures trois quarts chez le sieur d'Outreville, receveur général du clergé, où il a soupé. Il va en carrosse chez M. Phélypeaux[159], trésorier de l'Épargne, pour voir les artifices à feu qui furent faits dans l'île qui est tout devant la maison; il aimoit cette distraction.
Le 10, vendredi.—Pendant qu'on fait ses cheveux, il envoie querir une petite viole pour s'amuser, ne pouvant jamais rester oisif. Le soir il va chez la Reine, à la comédie des Italiens.
Le 17, mardi.—Allant à Fontainebleau, il va à la
messe au village; dîne à Chailly, passant par Essonne, se
fait donner des petits pâtés qu'il voit à l'hôtellerie du
Sept
1613
Lion; il descend à pied la descente d'Essonne; il arrive
à Fontainebleau à trois heures; la Reine arrive et le vient
voir à huit heures et demie.
Le 24, mardi.—Étudié; M. le chancelier y assiste, le Roi l'ayant envoyé querir pour cet effet. Le soir chez la Reine, puis à la comédie italienne.
Le 29, dimanche.—En se levant il dit qu'il a chaud et toutefois qu'il tremble, c'étoit d'appréhension du fouet, sur ce que le jour précédent il avoit répondu à la Reine que de deux jours il ne la verroit point, à cause qu'elle ne lui avoit point voulu permettre d'aller voir le rut; pource que ses gendarmes et ses chevau-légers faisoient fuir les bêtes. Il en avoit demandé et obtenu pardon, mais il ne se tenoit point assuré; il va chez la Reine, et demande de nouveau pardon[160].
Le 9 octobre, mercredi.—M. de Courtenvaux, pour la première fois, donne la chemise au Roi comme premier gentilhomme de la chambre, à la survivance de son père.
Le 16, mercredi.—Il va chez la Reine, qui partit pour aller à Paris y voir Monsieur, qui étoit malade, et lui entre en carrosse pour aller à l'assemblée à Blanchefort, où il a dîné.
Le 17, jeudi.—Il va en son cabinet, écrit à la Reine à Paris par M. de Bonneuil, pour la première fois depuis qu'il est Roi. Il étudie. M. le chancelier, M. de Villeroy viennent le voir étudier; il leur montre la lettre qu'il a écrite à la Reine par leur avis, la souscrit: Votre très-humble et très-obéissant fils.—Louis. Il trouve son seing bien fait: Voilà, dit-il, un bon Louis.
Le 19, samedi.—Il va en son cabinet, écrit à Paris,
Oct
1613
à la Reine, par M. le comte de Rocheguyon, puis s'en
va au parc, à cheval et à pied.
Le 20, dimanche.—Il va au-devant de la Reine, revenant de Paris.
Le 31, jeudi.—A neuf heures un quart, il monte à cheval, va au parc dehors, y trouve un pauvre homme qui avoit fait une maison de gazon, et y logeoit avec sa vache, et vivoit du lait qu'il en tiroit et d'un peu de choux qu'il avoit semés; il vouloit s'étendre pour planter des arbres, quelques-uns l'empêchoient. Il s'arrêta et s'informa de la vie de ce pauvre homme, lui donna l'aumône, et commanda qu'on n'eût point à l'empêcher de planter, et avec passion. Il étoit extrêmement charitable.
Le 12 novembre, mardi.—Il va en son cabinet; il faisoit un très-mauvais temps de pluie; il dit: Ah! que voilà un beau temps pour étudier; quand je n'aurois pas envie d'étudier, voilà un temps qui me la feroit venir. M. de Souvré, étudions, devenons savants.
Le 19, mardi.—Il va chez la Reine, où M. le marquis d'Ancre prête le serment de maréchal de France, où il étoit parvenu deux jours auparavant, par la mort de M. de Fervaques. Il lui dit par discours qu'il avoit grand sujet d'être son serviteur, lui qui étoit étranger venu en France sans rien, où il avoit reçu tant de bienfaits de Sa Majesté et de la Reine, sa mère, que cela l'obligeoit à demeurer son serviteur tant qu'il vivroit, et qu'il seroit bien misérable s'il n'en ressentoit l'obligation. M. de Montmorency, amiral de France, prend congé du Roi pour aller en Languedoc voir M. le connétable, son père.
Le 28, jeudi.—Il va en carrosse au faubourg Saint-Germain voir Monsieur, en l'hôtel du Luxembourg, puis chez la reine Marguerite.
Le 8 décembre, dimanche.—Il va à la salle du conseil
pour assister aux fiançailles du marquis de Sablé
Déc
1613
et de Mlle de Souvré[161], revient en courant pour ne point
baiser Mme de Guémené, qui n'avoit plus vingt ans[162].
ANNÉE 1614.
Les arquebuses du roi, ses étrennes.—L'émailleur et le tourneur du Roi.—Le Roi n'apprend plus le latin.—Chasses, comédies et ballets.—Affaire de M. de Livarot.—Le vin bourru.—Audience de M. de Thou.—Vers du Roi.—Incendie chez la reine Marguerite.—Mort du connétable de Montmorency.—Revue au Pré-aux-Clercs.—Affaires et paix des princes.—Le moine bourru.—Le Roi blessé au jeu de paume.—Mort du chevalier de Guise.—Baptême de Monsieur et de Madame Henriette.—Chasses à Saint-Germain.—Voyage du Roi.—Séjours à Orléans, à Blois, à Tours.—Les goinfres de la Cour.—Séjour à Poitiers.—Passage à Angers.—Séjour à Nantes.—États de Bretagne.—Arrivée de M. de Vendôme.—Retour par Angers.—Hommage d'un habitant de Malicorne.—Les ardents.—Séjour au Mans.—Visite du Roi à Vaugrigneuse, maison d'Héroard.—Rentrée à Paris.—Retour du prince de Condé.—Majorité du Roi.—Collation à Villiers-la-Garenne.—États-Généraux de Paris.—Maladie du Roi.—Affection croissante pour M. de Luynes.—L'ambassadeur de Savoie.—Adjudication d'un office en présence du Roi.
Le 1er janvier, mercredi, à Paris.—Il va au cabinet, où il fait porter toutes ses harquebuses; il y en avoit quarante. La Reine lui fait apporter grande quantité et de diverses sortes de bagues, de diamants et de fort belles pièces, et à mesure qu'il ouvre les étuis, il dit: Ha! Madame, velà qui est trop pour nous; c'est qu'il eût mieux aimé trouver des bagues de moindre valeur et que c'eût été quelque figure.
Le 2, jeudi.—Il s'amuse à faire travailler son émailleur.
Le 3, vendredi.—On lui dit qu'il y avoit une médecine
à lui donner, le voilà fâché. A sept heures et demie
la Reine y vient; à neuf heures il prend la médecine,
Janv
1614
par crainte de la Reine, qui l'avoit menacé du fouet.
Le 4, samedi.—Il va en sa chambre faire travailler son émailleur.
Le 5, dimanche.—A son souper il fait couper le gâteau des Rois; il est le roi, en fait donner aux sieurs de Souvré, de Courtenvaux, de la Curée et de Tresmes.
Le 7, mardi.—Il étudie en l'histoire, n'apprend plus le latin[163].
Le 8, mercredi.—M. de Souvré lui fait prendre une jupe de chasse, fourrée de martre; il la prend à regret, disant que tous ceux qui le verront se moqueront de lui, qu'il est habillé en paysan. Il conteste jusques à une heure et demie, entre en carrosse et va voler le milan à la plaine de Grenelle, où il monte à cheval, prend le milan.
Le 10, vendredi.—Il va chez la Reine puis au cabinet des livres, où il fait venir un jeune homme allemand, excellent tourneur, fait dresser un tour, y travaille.
Le 12, dimanche.—A neuf heures il monte à la chambre de Mme la marquise de Guiercheville, au-dessus de la sienne, et la Reine aussi, où ils voient danser un ballet[164].
Le 13, lundi.—Il entre en carrosse, va à la chasse à la plaine de Grenelle, où il monte à cheval; la Reine y vient, il vole de ses émerillons, et fait tout ce qu'il peut pour donner du plaisir à la Reine, et tant que ses émerillons en devinrent rebutés; ce dont il fut extrêmement marri, n'eût été que c'étoit pour donner du plaisir à la Reine.
Le 15, mercredi.—Il va à la comédie italienne.
Le 21, mardi.—Il va en son cabinet, puis chez la Reine et à la comédie italienne.
Janv
1614
Le 23, jeudi.—Il va chez la Reine et, à dix heures, en la salle du ballet, en revient à deux heures et demie après minuit[165].
Le 24, vendredi.—A une heure il entre en carrosse, va à la rue Saint-Merry, chez M. l'évêque de Beauvais[166], voir son cabinet.
Le 26, dimanche.—Après souper il va en son cabinet, chez la Reine, puis à la comédie italienne, et après voit un petit ballet de la ville, dansé en sa chambre.
Le 28, mardi.—A six heures soupé; il mange du veau rôti de quatre mois, nourri de lait au jus d'orange[167]; c'est la première fois. Il va chez la Reine, à la comédie italienne, revient à huit heures trois quarts.
Janv
1614
Le 30, jeudi.—L'ambassadeur d'Angleterre prend congé de lui pour s'en retourner et porter l'accord fait du mariage de Mme Christienne[168]; M. d'Épernon et ses trois fils le viennent voir.—Il va chez la Reine, à la comédie italienne, et à neuf heures et demie va à la salle voir un ballet de dix de ses petits enfants d'honneur, appelé les Divers.
Le 1er février, samedi, à Paris.—Il s'amuse à tourner des petites pièces d'ivoire sous un excellent ouvrier allemand[169] qui lui avoit dressé un tour.—Mis au lit, il dit tout son office, pour gagner temps pour le matin suivant qu'il avoit à communier.
Le 2, dimanche.—A neuf heures trois quarts il va à la messe, en Bourbon, revient à dix heures trois quarts en la grande galerie, où il touche quatre-vingts malades.
Le 3, lundi.—Il va chez la Reine, et à dix heures trois quarts à la salle du bal y voir danser un ballet de la ville, de Guitrot l'espagnol, et le combat des chats et des rats.
Le 4, mardi.—Il va à la foire Saint-Germain et à la comédie italienne.
Le 6, jeudi.—Il s'amuse à tourner de l'ivoire, fait des vases.—Il va à la comédie italienne.
Le 10, lundi.—Il va à la messe en Bourbon, puis en carrosse jouer à la paume, au jeu de Grenelle.
Le 12, mercredi.—A une heure et demie il entre en carrosse, va à la foire.—Mis au lit, il envoie quérir ses harquebuses à sa garde-robe, pour les faire voir à M. de Termes[170]; il y en avoit cinquante-cinq.
Le 13, jeudi.—Il va en son cabinet, prend une cresserelle[171]
sur son poing, et va en la galerie lui faire voler
Fév
1614
un moineau. Mis au lit, il envoye à sa garde-robe pour
quérir ses armes et les montrer à M. le Grand; il s'endort
à sa musique de voix et de luths.
Le 16, dimanche.—A huit heures et un quart déjeuné; il n'y eut point d'exhortation. Le jour précédent, la Reine le défendit au sieur de Fleurence[172].—Après souper il va chez la Reine, puis revient en sa chambre où se présente le sieur de Liverot, de la maison d'Oraison en Provence, pour le remercier de la grâce qu'à sa prière il avoit obtenu de la Reine, sur ce qu'il avoit querellé dans sa chambre; le Roi lui dit gravement: La Reine ma mère vous a donné la grâce, vous ne l'eussiez pas eue sans moi, mais soyez une autre fois plus sage; paroles dites de son mouvement[173].
Le 18, mardi.—Après souper il va en sa garde-robe choisir les armes qu'il veut porter[174].
Fév
1614
Le 28, vendredi.—Il va aux Tuileries puis au jeu de paume de Grenelle; essuyé chez M. Leclerc, il y a goûté, a bu du vin blanc bourru, trempé, et du vin clairet trempé, trouve l'un et l'autre bien fort[175].
Le 1er mars, samedi.—M. le président de Thou, prenant congé de lui, s'en allant député vers M. le prince de Condé à Mézières, le Roi lui dit, mettant ses deux mains sur ses épaules: Allez, et dites à ces messieurs-là qu'ils soient bien sages.
Le 6, jeudi.—M. Beringhen me racontoit que le Roi parloit en dormant, au commencement de son dormir[176], et disoit: Jetez ce chapeau par dessus la muraille; hé! jetez, jetez par dessus la rivière qui passe à Bayonne; que ne l'a-on mis à la Bastille. Le Roi l'entend, et dit: C'est que je demandois pourquoi on n'avoit pas mis mon frère de Vendôme dans la Bastille; il a ouvert mes dépêches que j'envoyois à M. de Montbazon, il les a ouvertes[177]!
Le 10, lundi.—Mis au lit, il s'amuse à faire des vers
et donne le sujet pour en faire aux sieurs de Termes, de
Courtenvaux et de Montglat, sur une marcassine nourrie
à sa cuisine par Bonnet, porteur d'eau, qui se tua d'une
chute. La marcassine coucha toute la nuit contre le corps
(du porteur d'eau), et le cherchoit toujours depuis être
enterré; elle se laissa mourir de faim, n'ayant jamais
Mars
1614
voulu manger, quelque soin que l'on en prît. Le Roi fit
ces quatre vers: