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L'essayeuse : $b pièce en un acte

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SCÈNE IX

RENÉ, GERMAINE, puis LISE

RENÉ, après un silence

Vous en avez de bonnes, vous ! (Il est près de la porte de droite.)

GERMAINE

Je n’ose plus lever les yeux sur vous ; il me semble que nous venons de commettre une vilaine action. Pauvre Lise !

RENÉ

Ne la plaignez pas ! Elle est désormais tranquille !

GERMAINE

C’est moi qui ne le suis plus !… Aussi, la promenade au chalet, demain, n’y comptez pas !

RENÉ

Vous avez toutes les délicatesses : nous la remettrons à après-demain.

GERMAINE

Non ! Vous ne la ferez jamais, du moins avec moi.

RENÉ

Mais… tout à l’heure…

GERMAINE, l’interrompant

Tout à l’heure, il ne s’agissait que d’une jolie fantaisie, qui ne faisait de mal à personne, selon vous. A présent, c’est autre chose ; nous serions coupables, oui, coupables d’une action mauvaise envers un être que nous aimons tous les deux ; nous n’aurions même pas l’excuse de la passion… Et puis, non ! Je ne pourrais pas ! J’aurais toujours devant moi l’image de cette petite Lise, en larmes !

RENÉ

Je vous répète qu’elle ne saura rien !

GERMAINE

Je vous en prie, n’insistez pas ! C’est manqué !… Nous garderons tous les deux le souvenir, un peu mélancolique, d’une faute inachevée… Que cela vous serve de leçon ! Quand vous tromperez Lise… car vous la tromperez…

RENÉ

Hélas !

GERMAINE

… Faites en sorte qu’elle ne s’aperçoive de rien. Et ce ne sera pas commode, je vous avertis ! Mon pauvre ami ! Vous êtes dorénavant le prisonnier d’une femme jalouse !

RENÉ

Vous me faites trembler !…

GERMAINE

Tant mieux ! La crainte du chagrin d’autrui est le commencement de la fidélité… Là-dessus, tendez-moi la main et quittons-nous bons camarades.

RENÉ

Eh bien, non ! je ne renonce pas si facilement à vous !… Je me suis pris au jeu, moi aussi ! Et je saurai vous regagner.

GERMAINE

Vous n’en aurez pas le temps ; je pars dans cinq minutes !

RENÉ

Ce n’est pas possible. Il vous faudrait un prétexte valable, sinon Lise aurait des soupçons !

GERMAINE

Le prétexte ? Il ne m’embarrasse pas !

RENÉ

Vous avez annoncé que vous resteriez quelques jours ? Il faut rester, bon gré, mal gré. Et alors…

GERMAINE

Tenez !… Il vient, le prétexte… Lise me l’apporte elle-même !

RENÉ (3)

Que voulez-vous dire ?

GERMAINE

Vous allez voir !

LISE, entrant (2)

Ma chérie, une dépêche pour toi.

RENÉ, surpris

Hein ?

GERMAINE (2)

Qu’est-ce que c’est ? (Lisant.) Oh !

LISE

Une mauvaise nouvelle ?…

GERMAINE

« Tante Amélie assez souffrante. Venez sans retard. »

LISE

Tu vas partir ?

GERMAINE (3)

Il le faut !

LISE

Ma pauvre chérie ! Comme je suis peinée !

RENÉ, remontant 2

Vous partirez demain matin.

GERMAINE

Impossible ! Ma tante est susceptible ; il faut que je sois auprès d’elle ce soir… Lise, l’auto est encore là ?

LISE, remontant

Je vais voir.

(Elle va près de la fenêtre.)

RENÉ, à Germaine

Je suis navré de ce si triste contre-temps.

GERMAINE, bas

Ne vous frappez pas ! C’est moi qui me suis envoyé le télégramme !

RENÉ

Quoi ? C’est vous !…

GERMAINE

Oui, comme je ne savais pas si je ne serais pas importune, je m’étais à tout hasard préparé une sortie, et j’ai écrit ce télégramme à la gare, avant de monter dans le train.

RENÉ

Vous êtes rudement forte !

GERMAINE, ironique

N’est-ce pas ?

LISE, redescendant

Le chauffeur et l’auto sont là !

GERMAINE, qui met son chapeau, passe 2

Je n’ai que le temps pour le train de cinq heures… Enfin, je suis bien contente de ma courte visite ; j’ai vu ce que c’était que des gens heureux.

LISE (1)

Mais tu reviendras dès que tu sera rassurée ?

GERMAINE

Ça dépendra !… On se retrouvera toujours à Paris… Allons, pas d’effusions !… Au revoir, Monsieur.

RENÉ (3)

Au revoir, chère Madame !

GERMAINE

Ne me reconduisez pas : il commence à pleuvoir… Adieu, ma grande chérie ! (Elle l’embrasse.) Soyez heureux !

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