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L'essayeuse : $b pièce en un acte

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SCÈNE PREMIÈRE

RENÉ, LISE

LISE, derrière René

Mon chéri !

RENÉ, lisant, gauche, un rocking

Quoi, ma chérie ?

LISE, sautant sur lui et l’embrassant

Je t’aime !…

RENÉ, essoufflé

Ma petite Lise, tu es charmante…

LISE, heureuse

Vrai ? Tu le penses ?

RENÉ

Je le pense… mais tu n’as pas encore appris à m’embrasser sans me décoiffer.

LISE, triste

René, tu ne m’aimes plus !…

RENÉ, se levant

Allons donc ! On le saurait !…

LISE

Non ! tu ne m’aimes plus : Tu t’aperçois que je suis brusque !… Quand nous étions fiancés, j’aurais pu te dévisser la tête en t’embrassant, tu aurais été ravi. Maintenant, dès que je m’approche, tu replies le bras comme pour parer le baiser.

RENÉ

Je protège ma coiffure, voilà tout !

LISE

Tiens ! La voilà, ta coiffure ! (Elle l’ébouriffe.) Maintenant, je peux t’embrasser !… Ah ! mon grand, mon grand !

(Elle s’assied sur ses genoux.)

RENÉ, un peu moqueur

Ah ! mon petit, mon petit !…

LISE

On est bien, là !… Je voudrais ne plus bouger !…

RENÉ

J’y consens : je n’ai jamais eu une plus belle affaire sur les bras !

LISE

Vilain !… Tu plaisantes toujours, quand on est sérieux !… Tu vois que tu ne m’aimes plus !…

RENÉ

Si, je t’aime absolument, uniquement ! Je te l’ai juré sur toutes les personnes de ma famille auxquelles je tiens !…

LISE

Tu ne me tromperas jamais ?

RENÉ

Jamais. Je te l’ai juré aussi sur diverses tombes honorables et sur le succès de mes trois nouvelles sonates.

LISE

Alors, je peux être heureuse ?

RENÉ, baiser

Tu peux.

LISE (1)

Songe donc ! Ce serait terrible si tu disais tout ça, et si ce n’était pas vrai ! Les hommes sont si menteurs !

RENÉ (2)

Les hommes, oui, mais pas moi. D’ailleurs, c’est idiot de mentir, quand il est si facile de faire autrement : on n’a qu’à garder la vérité pour soi !… ou à la dire en riant.

LISE

Tu es rudement canaille, au fond !… Tu as dû en avoir, des maîtresses, avant notre mariage !…

RENÉ

Pas tant que ça !…

LISE, passant au 2

Si, si ! On m’a dit que tu avais eu une jeunesse agitée. (Le pinçant.) Bandit ! comme tu as dû me tromper, à cette époque-là !

RENÉ

Ma chère joie, tu ne vas pas être jalouse de mon passé ?… Fais comme moi : oublie-le !

LISE

La partie n’est pas égale ! Je n’ai pas de passé, moi ! Avant mon mariage, je n’ai connu qu’un homme !

RENÉ, étonné

Ah !… Qui ça ?

LISE

Mon fiancé !… Tu étais rudement gentil : on t’aurait mis sur une pendule !

RENÉ

J’ai beaucoup changé ?

(Il arrange ses cheveux.)

LISE

Non !… mais c’est autre chose : tu es un autre René ! Tu es le maître, maintenant. Le fiancé était doux, timide, obéissant. Le mari est décidé, fort !… Tu sais, au fond, j’aime mieux le mari.

(Elle lui saute au cou.)

RENÉ

Ma Lise adorée !… (Il l’embrasse). C’est curieux ; on m’aurait prédit, jadis, que je vivrais six mois, seul avec une petite personne, à la campagne, à trois lieues de la moindre gare, j’aurais souri !

LISE

Et tu ne t’es pas ennuyé, pendant ces six mois ?

RENÉ

Pas une seconde !

LISE

Tu n’as aucun regret de ta vie mondaine ?

RENÉ

Pas le moindre !… Vois ! Je n’éprouve même pas le besoin de m’habiller. Je passe ma vie en chemise de nuit et en tennis !

LISE

Et tu ne désires voir personne ?

RENÉ

Non. Les châtelains des alentours m’ont fait des avances, j’aurais pu m’enrôler dans la meilleure société ; déjà, on m’appelait « Monsieur de Tournelle », on m’anoblissait ; si j’avais donné deux chandeliers à l’église, j’étais définitivement considéré comme une personne bien pensante. J’ai préféré me retirer à l’écart, avec mon bonheur… Le mois prochain peut-être, ou le suivant, nous rentrerons dans la vie, et nous commencerons à nous préoccuper des autres, à faire, pour leur plaire, une foule de choses ennuyeuses : à dîner en ville, à jouer au bridge, à tremper des tziganes dans une tasse de thé ; mais nous penserons que, durant six mois, nous avons habité le merveilleux pays de solitude où l’on ne cultive que la fleur d’amour.

LISE

C’est gentil ce que tu dis là…

RENÉ, gaiement

J’ai une âme de poète persan.

LISE

… Seulement, je suis bien contrariée.

RENÉ

Pourquoi ?

LISE

J’ai peur d’avoir fait une bêtise !

RENÉ

Allons donc ! Tu es capable de folies, mais tu es incapable d’une bêtise !

LISE

Si ! si !… Tu vas être fâché.

RENÉ

Non !… J’ai une chose à te pardonner ? Quel bonheur !

LISE

J’ai invité quelqu’un !

RENÉ

Ah diable !

LISE, passe près d’un canapé

Ça y est !… Tu es fâché.

RENÉ

Non, non !… Mais, s’il est encore temps de décommander ce quelqu’un ?…

LISE

Il n’est plus temps ! Elle arrive dans une demi-heure.

RENÉ

Elle ?… C’est une femme ?

LISE

Oui… mon amie Germaine Frémine… Nous nous sommes connues au cours des demoiselles Fifrelin. C’est une amie délicieuse, et d’une sûreté à toute épreuve ; nous nous écrivions tout le temps, même quand nous nous voyions tous les jours…

RENÉ

J’y suis !… C’est la divorcée ?

LISE

Elle-même !… Elle a été si malheureuse : elle avait épousé un vilain monsieur qui l’a trompée, qui l’a ensuite abandonnée pour suivre une écuyère !…

RENÉ, riant

En croupe ?

LISE

Je t’assure qu’elle a eu beaucoup de chagrin : elle aimait cet individu !… Elle vient d’obtenir le divorce ; elle m’a demandé de venir à la campagne pour se remettre. Je n’ai pas pu refuser, n’est-ce pas ?

RENÉ

En effet. Mais notre beau pays de solitude est envahi par l’ennemi ; nous serons obligés de nous surveiller, d’être convenables et bien élevés ! Et puis je suis superstitieux : je n’aime pas les personnes divorcées !…

LISE

Oh ! Germaine est une très honnête femme !

RENÉ

Je n’en doute pas ; mais, pour les amoureux, il n’y a rien de mauvais comme le voisinage d’une femme à qui l’amour n’a pas réussi.

LISE

Je suis persuadée que tu reviendras de tes préventions dès que tu la connaîtras mieux.

RENÉ

Je ne la connais pas du tout !

LISE

Mais si ! tu l’as vue, le jour de notre mariage, deux fois… d’abord, à la sacristie, lors du défilé. Je te l’ai présentée ; elle t’a dit : « Oh ! Monsieur Tournelle, vous avez écrit des mélodies exquises : je ne chante que ça ! »

RENÉ, flatté

Ah ! Je ne m’en souviens pas… mais c’est une femme de goût !

LISE

Et puis, chez nous, au lunch, elle t’a parlé ; elle t’a demandé ce que tu préparais pour cet hiver. Et tu as répondu : « Le bonheur de ma femme ! »

RENÉ

Je ne me rappelle rien de cette journée où j’ai vécu dans une sorte de brouillard : j’étais ahuri.

LISE

Souviens-toi ! Germaine était habillée d’une robe kaki, très collante, avec un jabot d’Irlande ; elle avait un amour de petit chapeau cabriolet, tout en roses pompon, et une grande canne-ombrelle. Tu la reconnaîtras : Germaine est très jolie, et très drôle, avec de grands yeux noirs, un petit nez spirituel ; elle est grassouillette, et cependant elle a de la ligne… Y es-tu ?

RENÉ, passe 2

Non, mais ça ne fait rien… Dis donc, je vais m’habiller.

LISE

Oh ! ne te donne pas cette peine !…

RENÉ

Je tiens à être présentable !… Qu’on ne dise pas que tu as épousé un palefrenier ! (Sonnerie.)

LISE

Alors, dépêche-toi, je crois que la voici ! Ne te fais pas trop beau !

(René sort.)

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