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L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 3/4)): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques

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Seigneur, voulez-vous vous baigner?

Entrez donc sans deslaïer;

Les bains sont chauds, c'est sans mentir.

C'était le temps du merveilleux en toute chose: l'aumônier, le moine, le pèlerin, le chevalier, le troubadour, avaient toujours à dire ou à chanter des aventures. Le soir, autour du foyer à bancs, on écoutait ou le roman de Lancelot du Lac, ou l'histoire lamentable du châtelain de Coucy, ou l'histoire moins triste de la reine Pédauque, «largement pattée, comme sont les oies, et comme jadis à Toulouse les portoit (les pattes) la reine Pédauque» (Rabelais); ou l'histoire du gobelin Orton, grand nouvelliste qui venait dans le vent, et qui fut tué dans une grosse truie noire. (Froissart.)

La belle Mélusine était condamnée à être moitié serpent tous les samedis, et fée les autres jours, à moins qu'un chevalier ne consentît à l'épouser en renonçant à la voir le samedi. Raimondin, comte de Forez, ayant trouvé Mélusine dans un bois, en fit sa femme; elle eut plusieurs enfants, entre autres un fils qui avait un œil rouge et un œil bleu: Mélusine bâtit le château de Lusignan. Mais enfin Raimondin s'étant mis en tête de voir sa femme un samedi, lorsqu'elle était demi-serpent, elle s'envola par une fenêtre, et elle demeurera fée jusqu'au jour du jugement dernier. Lorsque le manoir de Lusignan change de maître, ou qu'il doit mourir quelqu'un de la famille seigneuriale, Mélusine paraît trois jours sur les tours du château, et pousse de grands cris. Tels étaient la Psyché du moyen âge et ce château de Lusignan que Charles Quint admira et dont Brantôme déplore la ruine.

Avec ces contes on écoutait encore ou le sirvente du trouvère contre un chevalier félon, ou la vie d'un pieux personnage. Ces vies de saints recueillies par les Bollandistes n'étaient pas d'une imagination moins brillante que les relations profanes: incantations de sorciers, tours de lutins et de farfadets, courses de loups-garous, esclaves rachetés, attaque de brigands; voyageurs sauvés, et qui, à cause de leur beauté, épousent les filles de leurs hôtes (Saint Maxime); lumières qui pendant la nuit révèlent au milieu des buissons le tombeau de quelque vierge; châteaux qui paraissent soudainement illuminés. (Saint Viventius, Maure et Brista.)

Saint Déicole s'était égaré; il rencontre un berger, et le prie de lui enseigner un gîte: «Je n'en connais pas, dit le berger, si ce n'est dans un lieu arrosé de fontaines, au domaine du puissant vassal Weissart.—«Peux-tu m'y conduire?» répondit le saint. «Je ne puis quitter mon troupeau,» répliqua le pâtre. Déicole fiche son bâton en terre; et quand le pâtre revint après avoir conduit le saint, il trouva son troupeau couché paisiblement autour du bâton miraculeux. Weissart, terrible châtelain, menace de faire mutiler Déicole; mais Berthilde, femme de Weissart, a une grande vénération pour le prêtre de Dieu. Déicole entre dans la forteresse; les serfs empressés le veulent débarrasser de son manteau; il les remercie, et suspend ce manteau à un rayon de soleil qui passait à travers la lucarne d'une tour. (Boll., tome II, page 202.)

Chercher à dérouler avec méthode le tableau des mœurs de ce temps serait à la fois tenter l'impossible et mentir à la confusion de ces mœurs. Il faut jeter pêle-mêle toutes ces scènes telles qu'elles se succédaient sans ordre ou s'enchevêtraient dans une commune action, dans un même moment; il n'y avait d'unité que dans le mouvement général qui entraînait la société vers un perfectionnement éloigné, par la loi naturelle de l'existence humaine.

D'un côté la chevalerie, de l'autre le soulèvement des masses rustiques; tous les déréglements de la vie dans le clergé, et toute l'ardeur de la foi. Les Galois et Galoises, sorte de pénitents d'amour, se chauffaient l'été à de grands feux, et se couvraient de fourrures; l'hiver, ils ne portaient qu'une cotte simple, et ne mettaient dans leurs cheminées que des verdures. Plusieurs transissoient de pur froid, et mouroient tout roydes de lez leurs amyes, et aussi leurs amyes de lez eulz, en parlant de leurs amourettes [67]. Lors de la Vaudoisie d'Arras, les hommes et les femmes, retirés dans les bois, après avoir retrouvé un certain démon, se livraient à une prostitution générale. Les turlupins pratiquaient les mêmes désordres.

Des moines libertins se veulent venger d'un évêque réformateur qui venait de mourir: pendant la nuit ils tirent du cercueil le cadavre du prélat, le dépouillent de son linceul, le fouettent, et en sont quittes pour payer chaque année quarante sous d'amende. Les cordeliers avaient renoncé à toute espèce de propriété: le pain quotidien qu'ils mangeaient était-il une propriété? Oui, disaient les religieux d'une autre robe; donc le cordelier qui mange viole la constitution de son ordre; donc il est en état de péché mortel, par la seule raison qu'il vit, et qu'il faut manger pour vivre. L'empereur et les Gibelins se déclarèrent pour les cordeliers, le pape et les Guelfes contre les cordeliers. De là une guerre de cent ans; et le comte du Mans, qui fut depuis Philippe de Valois, passe les Alpes pour défendre l'Église contre les Visconti et les cordeliers [68].

On courait au bout du monde, et l'on osait à peine, dans le nord de la France, hasarder un voyage d'un monastère à un autre, tant la route de quelques lieues paraissait longue et périlleuse! Des gyrovagues ou moines errants (pendants des chevaliers errants), cheminant à pied ou chevauchant sur une petite mule, prêchaient contre tous les scandales; ils se faisaient brûler vifs par les papes, auxquels ils reprochaient leurs désordres, et noyer par les princes, dont ils attaquaient la tyrannie. Des gentilshommes s'embusquaient sur les chemins et dévalisaient les passants, tandis que d'autres gentilshommes devenaient en Espagne, en Grèce, en Dalmatie, seigneurs des immortelles cités dont ils ignoraient l'histoire. Cours d'amour où l'on raisonnait d'après toutes les règles du scottisme, et dont les chanoines étaient membres; troubadours et ménestrels vaguant de château en château, déchirant les hommes dans des satires, louant les dames dans des ballades; bourgeois divisés en corps de métier, célébrant des solennités patronales où les saints du paradis étaient mêlés aux divinités de la Fable; représentations théâtrales; fêtes des fous ou des cornards, messes sacriléges; soupes grasses mangées sur l'autel; l'Ite missa répondu par trois braiements d'âne; barons et chevaliers s'engageant dans des repas mystérieux à porter la guerre dans un pays, faisant vœu sur un paon ou sur un héron d'accomplir des faits d'armes pour leurs mies; juifs massacrés et se massacrant entre eux, conspirant avec les lépreux pour empoisonner les puits et les fontaines; tribunaux de toutes les sortes, condamnant, en vertu de toutes les espèces de lois, à toutes les sortes de supplices, des accusés de toutes les catégories, depuis l'hérésiarque, écorché et brûlé vif, jusqu'aux adultères, attachés nus l'un à l'autre, et promenés au milieu du peuple; le juge prévaricateur substituant à l'homicide riche condamné un prisonnier innocent; des hommes de loi commençant cette magistrature qui rappela, au milieu d'un peuple léger et frivole, la gravité du sénat romain: pour dernière confusion, pour dernier contraste, la vieille société civilisée à la manière des anciens, se perpétuant dans les abbayes; les étudiants des universités faisant renaître les disputes philosophiques de la Grèce; le tumulte des écoles d'Athènes et d'Alexandrie se mêlant au bruit des tournois, des carrousels et des pas d'armes. Placez enfin, au-dessus et en dehors de cette société si agitée, un autre principe de mouvement, un tombeau, objet de toutes les tendresses, de tous les regrets, de toutes les espérances, qui attirait sans cesse au delà des mers les rois et les sujets, les vaillants et les coupables: les premiers pour chercher des ennemis, des royaumes, des aventures; les seconds pour accomplir des vœux, expier des crimes, apaiser des remords.

L'Orient, malgré le mauvais succès des croisades, resta longtemps pour les Français le pays de la religion et de la gloire; ils tournaient sans cesse les yeux vers ce beau soleil, vers ces palmes de l'Idumée, vers ces plaines de Rama, où les infidèles se reposaient à l'ombre des oliviers plantés par Baudouin; vers ces champs d'Ascalon qui gardaient encore les traces de Godefroi de Bouillon et de Tancrède, de Philippe-Auguste et de Couci, de saint Louis et de Sargines; vers cette Jérusalem un moment délivrée, puis retombée dans ses fers, et qui se montrait à eux, comme à Jérémie, insultée des passants, noyée dans ses pleurs, privée de son peuple, assise dans la solitude.

Tels furent ces siècles d'imagination et de force qui marchaient avec tout cet attirail au milieu des événements historiques les plus variés, au milieu des hérésies, des schismes, des guerres féodales, civiles et étrangères; ces siècles doublement favorables au génie, ou par la solitude des cloîtres quand on la recherchait, ou par le monde le plus étrange et le plus divers quand on le préférait à la solitude. Pas un seul point de la France où il ne se passât quelque fait nouveau; car chaque seigneurie laïque ou ecclésiastique était un petit État qui gravitait dans son orbite et avait ses phases: à dix lieues de distance, les coutumes ne se ressemblaient plus. Cet ordre de choses, extrêmement nuisible à la civilisation générale, imprimait à l'esprit particulier un mouvement extraordinaire: aussi toutes les grandes découvertes appartiennent-elles à ces siècles. Jamais l'individu n'a tant vécu: le roi rêvait l'agrandissement de son empire; le seigneur, la conquête du fief de son voisin; le bourgeois, l'augmentation de ses priviléges; le marchand, de nouvelles routes à son commerce. On ne connaissait le fond de rien; on n'avait rien épuisé; on avait foi à tout; on était à l'entrée et comme au bord de toutes les espérances, de même qu'un voyageur sur une montagne attend le lever du jour dont il aperçoit l'aurore. On fouillait le passé ainsi que l'avenir; on découvrait avec la même joie un vieux manuscrit et un nouveau monde; on marchait à grands pas vers des destinées ignorées, mais dont on avait l'instinct, comme on a toute sa vie devant soi dans la jeunesse. L'enfance de ces siècles fut barbare; leur virilité, pleine de passion et d'énergie; et ils ont laissé leur riche héritage aux âges civilisés qu'ils portèrent dans leur sein fécond.

Chateaubriant, Analyse raisonnée de l'Histoire de France.

LA LOI SALIQUE.
Cause de la guerre de Cent Ans.
Pour quelle achoison la guerre mut entre le roi de France et le roi d'Angleterre.

Or, dit le conte que le beau roi Philippe de France eut trois fils avec cette belle fille Isabelle [69] qui fut mariée en Angleterre au roi Édouard dont j'ai parlé ci-dessus; et furent ces trois fils moult beaux; desquels l'aîné eut nom Louis, qui fut au vivant de son père, roi de Navarre, et l'appeloit-on le roi Hutin. Le second né eut nom Philippe le Long; et le tiers eut nom Charles; et furent tous trois rois de France après la mort du roi Philippe leur père, par droite succession, l'un après l'autre, sans avoir hoir mâle de leur corps engendré par voie de mariage. Si que, après la mort du dernier roi Charles, les douze pairs et les barons de France ne donnèrent point le royaume à la sœur qui étoit roine d'Angleterre, pourtant qu'ils vouloient dire et maintenir, et encore veulent, que le royaume de France est bien si noble qu'il ne doit mie aller à femelle, ni par conséquent au roi d'Angleterre son ains-né fils. Car, ainsi comme ils veulent dire, le fils de la femme ne peut avoir droit ni succession de par sa mère, là où sa mère n'y a point de droit: si que, par ces raisons, les douze pairs et les barons de France donnèrent, de leur commun accord, le royaume de France à monseigneur Philippe, fils jadis à monseigneur Charles de Valois, frère jadis de ce beau roi Philippe dessus dit, et en ôtèrent la roine d'Angleterre et son fils, qui étoit hoir mâle et fils de la sœur du dernier roi Charles.

Ainsi alla le dit royaume hors de la droite ligne, ce semble à moult de gens; parquoi grands guerres en sont nées et venues, et grand destruction de gens et de pays au royaume de France et ailleurs, si comme vous pourrez ouïr ci-après; car c'est la vraie fondation de cette histoire pour raconter les grands entreprises et les grands faits d'armes qui avenus en sont: car, puis le temps du bon roi Charlemagne, qui fut empereur d'Allemagne et roi de France, n'avinrent si grands aventures de guerre au royaume de France qu'elles sont avenues pour ce fait-ci, ainsi que vous orrez au livre, mais que j'aie temps et loisir du faire et vous du lire. Or me veux retraire à la droite matière commencée, et taire de cette, tant que temps et lieu venront que j'en devrai parler.

Comment le roi Charles de France mourut sans hoir mâle, et comment les douze pairs et les barons élurent à roi monseigneur Philippe de Valois; et comment il déconfit les Flamands qui s'étoient rebellés contre leur seigneur.

1328.

Le roi Charles de France, fils au beau roi Philippe, fut trois fois marié, et si mourut sans hoir mâle de son corps, dont ce fut grand dommage pour le royaume, si comme vous orrez ci-après. La première de ses femmes fut l'une des plus belles dames du monde; et fut fille de la comtesse d'Artois [70]. Celle garda mal son mariage et se forfit, parquoi elle en demeura longtemps au Châtel Gaillard en prison et à grand meschef, ainçois que son mari fût roi. Quand le royaume lui fut échu et il fut couronné, les douze pairs et les barons de France ne voulurent mie, s'ils eussent pu, que le royaume demeurât sans hoir mâle. Si quistrent sens et avis par quoi le roi fût remarié; et le fut à la fille de l'empereur Henry de Lucembourc [71] et sœur au gentil roi de Behaigne [72]; et parquoi le premier mariage fut défait et annulé de cette dame qui en prison étoit, et tout par la déclaration du Pape, notre saint-père, qui adonc étoit. De cette seconde dame de Lucembourc, qui étoit moult humble et prude femme, eut le roi un fils qui mourut moult jeune, assez tôt la mère après, à Yssoldun en Berry; et moururent tous deux moult soupçonneusement, de quoi aucunes gens furent incoulpés en derrière couvertement. Après, ce roi Charles fut remarié tierce fois à la fille de son oncle de remariage [73], la fille de monseigneur Louis comte d'Évreux, la reine Jeanne et sœur au roi de Navarre qui adonc étoit. Puis avint que cette dame fut enceinte, et le roi son mari s'accoucha malade au lit de la mort.

Quant il aperçut que mourir le convenoit, il devisa que s'il avenoit que la roine s'accouchât d'un fils, il vouloit que messire Philippe de Valois, son cousin germain, en fût mainbour, et régent du royaume, jusques adonc que son fils seroit en âge d'être roi; et s'il avenoit que ce fût une fille, que les douze pairs et les hauts barons de France eussent conseil et avis entre eux d'en ordonner, et donnassent le royaume à celui qui avoir le devroit. Sur ce, le roi Charles alla mourir environ la Chandeleur, l'an de grâce mil trois cent vingt sept [74].

Ne demeura mie grandement après ce que la reine Jeanne accoucha d'une fille [75], de quoi le plus du royaume en furent durement troublés et courroucés.

Quand les douze pairs et les hauts barons de France surent ce, ils s'assemblèrent à Paris le plustôt qu'ils purent, et donnèrent le royaume, de commun accord, à monseigneur Philippe de Valois, fils jadis au comte de Valois, et en ôtèrent la roine d'Angleterre et le roi son fils, qui étoit demeurée, sœur germaine du roi Charles dernier trépassé; pour raison de ce qu'ils dient que le royaume de France est de si grand'noblesse qu'il ne doit mie par succession aller à femelle, ni par conséquent à fils de femelle, ainsi que vous avez ouï ça devant au commencement de ce livre. Et firent celui monseigneur Philippe couronner à Rains, l'an de grâce mil trois cent vingt huit, le jour de la Trinité [76], dont puis ce di grand guerre et grand désolation avint au royaume de France et en plusieurs pays, si comme vous pourrez ouïr en cette histoire.

Chroniques de Froissart, éditées par M. Buchon.

Jean Froissart naquit à Valenciennes, en 1333. Ce fut à l'âge de vingt-ans qu'il commença ses Chroniques. Il se borna d'abord à reproduire, pour les événements qui s'étaient accomplis de 1325 à 1356, les récits des autres chroniqueurs, et surtout la relation de monseigneur Jean le Bel, chanoine de Saint-Lambert de Liége. En 1361, il présenta la première partie de son travail à la reine d'Angleterre, Philippe de Hainaut. Jusqu'à la fin de sa vie il eut souvenir de cette noble dame, «Car elle me fit et créa» dit-il; et il rappelle en plusieurs endroits, non sans une vive émotion, qu'elle l'avait accueilli gracieusement à ses débuts; qu'elle l'avait encouragé par ses conseils et aidé de ses largesses.

A partir de cette époque commencèrent les voyages du chroniqueur. Nous nous bornerons ici à donner une sèche énumération des lieux où il s'arrêta pour voir, interroger et raconter. Il fit plusieurs fois le voyage d'Angleterre. Ce fut pendant son premier séjour, qui dura cinq ans, qu'il visita l'Écosse. Il parcourut toutes les parties de la France. En 1366 il était à Bordeaux. En 1367, il accompagna jusqu'à Dax le prince de Galles, qui partait pour l'Espagne. Il revint dans les provinces qui avoisinent les Pyrénées en 1388; ce fut alors qu'il se rendit à la cour de Gaston de Foix, et vit Carcassonne, Orthez et Pamiers. En 1389 il était à Avignon; de là, en traversant le Lyonnais et le Bourbonnais, il courut en Auvergne, où il assista, à Riom, au mariage du duc de Berri avec Jeanne de Boulogne. Nous n'avons pas besoin de dire que Froissart connut la Flandre et tout le nord de la France et qu'il vint souvent à Paris. En 1394, il visita une dernière fois l'Angleterre, où il resta trois mois à la cour du roi Richard. N'oublions pas le plus beau des voyages de Froissart: en 1368, il assista, à Milan, au mariage de Lionel, duc de Clarence, avec la fille de Galeas Visconti. C'est là qu'il devait rencontrer Chaucer et Pétrarque. Il parcourut alors la Savoie; il vit Bologne, Ferrare, une grande partie de l'Italie, et il revint en Flandre par l'Allemagne.

Ce fut pendant ce perpétuel voyage que Froissart rassembla tous les matériaux de sa Chronique. Pendant la chevauchée, à table, le soir à l'heure des gais propos, il interrogeait avec une avide curiosité ses compagnons de route ou ses nobles hôtes, et il recueillait précieusement, pour les écrire, quelquefois sous la forme même de la conversation, les histoires qu'on lui racontait. Il ne se souciait point des livres, et, comme on dirait aujourd'hui, des documents officiels; il lui suffisait, pour accepter un fait et pour l'affirmer, du témoignage des anciens chevaliers et écuyers qui avoient été en faits d'armes, et qui proprement en savoient parler. Aussi, il pénétrait dans toutes les cours et il entrait dans tous les châteaux: «Au temps, dit-il, que j'ai travellé par le monde, j'ai vu deux cents hauts princes.»

Certains critiques ont cherché à se rendre compte du travail de Froissart; ils ont voulu savoir comment le chroniqueur composait son œuvre. Nul ne l'a dit mieux que lui-même: «Or, considérez, entre vous qui me lisez ou me lirez, ou m'avez lu, ou orrez lire, comment je puis avoir su ni rassemblé tant de faits desquels je traite et propose en tant de parties. Et pour vous informer de la vérité, je commençai jeune, dès l'âge de vingt ans; et si suis venu au monde avec les faits et les aventures; et si y ai toujours pris grand plaisance plus que à autre chose; et si m'a Dieu donné tant de grâces que je ai été bien de toutes les parties, et des hôtels des rois, et par espécial de l'hôtel du roi Édouard d'Angleterre et de la noble roine sa femme, madame Philippe de Hainaut, roine d'Angleterre, dame d'Irlande et d'Aquitaine, à laquelle en ma jeunesse je fus clerc, et la servois de beaux dits et traités amoureux: et pour l'amour du service de la noble et vaillante dame à qui j'étois, tous autres seigneurs, rois, ducs, comtes, barons et chevaliers, de quelque nation qu'ils fussent, me aimoient, oyoient et voyoient volontiers, et me faisoient grand profit. Ainsi, au titre de la bonne dame et à ses coutages et aux coutages des hauts seigneurs en mon temps, je cherchai la plus grand partie de la chrétienté; et partout où je venois, je faisois enquête aux anciens chevaliers et écuyers qui avoient été en faits d'armes et qui proprement en savoient parler, et aussi à aucuns hérauts de crédence, pour vérifier et justifier toutes matières. Ainsi ai-je rassemblé la haute et noble histoire et matière, et le gentil comte de Blois dessus nommé y a rendu grand peine [77]; et tant comme je vivrai, par la grâce de Dieu je la continuerai; car comme plus y suis et plus y laboure, et plus me plaît; car ainsi comme le gentil chevalier et écuyer qui aime les armes, et en persévérant et continuant il s'y nourrit parfait, ainsi, en labourant et ouvrant sur cette matière, je m'habilite et délecte [78]

Si Froissart a fait ses Chroniques, s'il se plaît à raconter les honorables entreprises, nobles aventures et faits d'armes, c'est pour que les preux aient exemple d'eux encourager en bien faisant. C'est là le seul but moral auquel il tende; tout, dans ses mille récits, est subordonné à cette maxime qu'il a placée au début de l'Épinette amoureuse:

Que toute joie et toute honours
Viennent et d'armes et d'amours.

A son retour d'Italie, Froissart avait été nommé curé de Lestines. Plus tard, comme il nous l'apprend, il devint trésorier et chanoine de Chimay et de Lille en Flandre. On croit qu'il passa les dernières années de sa vie dans la ville où il était né, à Valenciennes. Il mourut vers 1410, suivant M. Buchon. Le savant éditeur de Froissart a recueilli sur ce fait des témoignages qui nous semblent incontestables, et nous n'hésitons pas à adopter son opinion [79].

BATAILLE DE CASSEL.
1328.

Assez tôt après ce que ce roi Philippe fut couronné à Rains, il manda ses princes, ses barons et toutes ses gens d'armes, et alla atout son pouvoir loger en la ville [80] de Cassel pour guerroyer les Flamands, qui étoient rebelles à leur seigneur [81], mêmement ceux de Bruges, d'Ypre et ceux du Franc [82]; et ne vouloient obéir au dit comte de Flandre, mais l'avoient enchassé; et ne pouvoit adonc nulle part demeurer en son pays, fors tant seulement à Gand, et encore assez escharsement. Si déconfit adonc le roi Philippe bien seize mille Flamands, qui avoient fait un capitaine qui s'appeloit Colin Dennekins [83], hardi homme et outrageux durement; et avoient les dessusdits Flamands fait leur garnison de Cassel, au commandement et aux gages des villes de Flandre, pour garder ces frontières là en droit. Et vous dirai comment ces Flamands furent déconfits, et tout par leur outrage.

Ils se partirent un jour, sur l'heure de souper, du mont de Cassel [84], en intention de déconfire le roi et tout son ost, et s'envinrent tout paisiblement, sans point de noise, ordonnés en trois batailles, desquelles l'une alla droit aux tentes du roi, et eurent près soupris le roi qui séoit à souper et toutes ses gens. L'autre bataille s'en alla droit aux tentes du roi de Behaigne, et le trouvèrent près en tel point; et la tierce bataille s'en alla droit aux tentes du comte de Hainaut, et l'eurent aussi près soupris, et le hâtèrent si que à grand peine purent ses gens être armés, ni les gens monseigneur de Beaumont son frère. Et vinrent tantôt ces trois batailles si paisiblement jusques aux tentes, que à grand meschef furent les seigneurs armés et leurs gens assemblés. Et eussent tous les seigneurs et leurs gens été morts si Dieu ne les eût, ainsi comme par droit miracle, secourus et aidés; mais, par la grâce et volonté de Dieu, chacun de ces seigneurs déconfit sa bataille si entièrement, et tous à une heure et à un point, qu'oncques de ces seize mille Flamands nul n'en échappa; et fut leur capitaine tué [85]. Et si ne sut oncques nul de ces seigneurs nouvelles l'un de l'autre, jusques adonc qu'ils eurent tout fait; et oncques des seize mille Flamands qui morts y demeurèrent n'en recula un seul, que tous ne fussent morts et tués en trois monceaux l'un sur l'autre, sans issir de la place là où chacune bataille commença, qui fut l'an de grâce mil trois cent vingt huit, le jour de la Saint Barthélemy. Adonc, après cette déconfiture, vinrent les Français à Cassel et y mirent les bannières de France, et se rendit la ville au roi; et puis Poperingue, et après Ypre, et tous ceux de la châtellenie de Bergues, et ceux de Bruges en suivant, et reçurent le comte Louis, leur seigneur, amiablement adonc et paisiblement, et lui jurèrent foi et loyauté à toujours mais.

Quand le roi Philippe de France eut remis le comte de Flandre en son pays, et que tous lui eurent juré féauté et hommage, il départit ses gens, et retourna chacun en son lieu; et il même s'en vint en France et séjourner à Paris et là environ. Si fut durement prisé et honoré de cette emprise qu'il avoit faite sur les Flamands, et aussi du beau service qu'il avoit fait au comte Louis, son cousin. Si demeura en grand'honneur, et accrut grandement l'état royal, et n'y avoit oncques mais eu en France roi, si comme on disoit, qui eût tenu l'état pareil au roi Philippe; et faisoit faire tournois, joutes et ébatements moult et à grand plenté.

Or nous tairons-nous un petit de lui et parlerons des ordonnances d'Angleterre et du gouvernement du roi.

Chroniques de Froissart, éditées et annotées par Buchon.

ÉDOUARD III FAIT HOMMAGE AU ROI DE FRANCE.
1329.

Le jeune roi d'Angleterre ne mit mie en oubli le voyage qu'il devoit faire au royaume de France, et s'appareilla bien et suffisamment, ainsi que à lui appartenoit et à son état. Si se partit d'Angleterre quand jour fut du partir [86]. En sa compagnie avoit deux évêques, celui de Londres et celui de Lincolle, et quatre comtes, monseigneur Henry comte de Derby, son cousin germain, fils messire Thomas de Lancastre au tort Col; son oncle, le comte de Salebrin, le comte de Warvich et le comte de Herfort; six barons, monseigneur Regnaut de Cobeham, monseigneur Thomas Wage, maréchal d'Angleterre, monseigneur Richard de Stanford, le seigneur de Percy, le seigneur de Manne [87], et le seigneur de Moutbray, et plus de quarante autres chevaliers.

Si étoient en la route et à la délivrance du roi d'Angleterre plus de mille chevaux; et mirent deux jours à passer entre Douvres et Wissant. Quand ils furent outre, et leurs chevaux traits hors des nefs et des vaissiaulx, le roi monta à cheval, accompagné ainsi que je vous ai dit, et chevaucha tant qu'il vint à Boulogne; et là fut-il un jour. Tantôt nouvelles vinrent au roi Philippe de France et aux seigneurs de France, qui jà étoient à Amiens, que le roi d'Angleterre étoit arrivé et venu à Boulogne. De ces nouvelles eut le roi Philippe grand'joie, et envoya tantôt son connétable [88] et grand foison de chevaliers devers le roi d'Angleterre, qu'ils trouvèrent à Monstreuil sur la mer; et eut grands reconnaissances et approchemens d'amour. Depuis, chevaucha le jeune roi d'Angleterre en la compagnie du connétable de France; et fit tant avec sa route qu'il vint en la cité d'Amiens, où le roi Philippe étoit tout appareillé et pourvu de le recevoir, le roi de Behaigne, le roi de Navarre et le roi de Maillogres [89] de-lez lui, et si grand foison de ducs, de comtes et de barons que merveilles seroit à penser: car là étoient tous les douze pairs de France pour le roi d'Angleterre fêter, et aussi pour être personnellement et faire témoin à son hommage.

Si le roi Philippe de France reçut honorablement et grandement le jeune roi d'Angleterre, ce ne fait mie à demander; et aussi firent tous les rois, les ducs et les comtes qui là étoient; et furent tous iceux seigneurs adonc en la cité d'Amiens, jusqu'à quinze jours. Là eut maintes paroles et ordonnances faites et devisées; et me semble que le roi Édouard fit adonc hommage de bouche et de parole tant seulement, sans les mains mettre entre les mains du roi de France, ou aucun prince ou prélat de par lui député; et n'en voulut adonc le dit roi d'Angleterre, par le conseil qu'il eut, dudit hommage plus avant procéder, si seroit retourné en Angleterre et auroit vu, lu et examiné les priviléges de jadis, qui devoient éclaircir le dit hommage, et montrer comment et de quoi le roi d'Angleterre devoit être homme du roi de France. Le roi de France qui véoit le roi d'Angleterre, son cousin, jeune, entendit bien toutes ces paroles, et ne le voult adonc de rien presser; car il savoit assez que bien y recouvreroit quand il voudroit, et lui dit: «Mon cousin, nous ne vous voulons pas decevoir, et nous plaît bien ce que vous en avez fait à présent, jusques à tant que vous soyez retourné en votre pays et vu, par les scellés de vos prédécesseurs, quelle chose vous en devez faire.» Le roi d'Angleterre et son conseil répondirent: «Cher sire, grands mercis.»

Depuis se joua, ébatit, et demeura le roi d'Angleterre avec le roi de France en la cité d'Amiens: et quand tant y eut été que bien dût suffire par raison, il prit congé et se partit du roi moult amiablement et de tous les autres princes qui là étoient, et se mit au retour pour revenir en Angleterre, et repassa la mer; et fit tant par ses journées qu'il vint à Windesore, où il trouva la roine Philippe sa femme, qui le reçut liement, et lui demanda nouvelles du roi Philippe son oncle et de son grand lignage de France. Le roi son mari lui en recorda assez, et du grand état qu'il avoit trouvé, et comment on l'avoit recueilli et festoyé grandement, et des honneurs qui étoient en France, auxquelles faire ni de les entreprendre à faire, nul autre pays ne s'accomparage.

Chroniques de Froissart, éditées et annotées par Buchon.

ROBERT D'ARTOIS.
1331.

Comment le roi de France prit en haine messire Robert d'Artois, dont il lui convint s'enfuir hors du royaume; et comment il fit mettre sa femme et ses enfants en prison, qui oncques puis n'en issirent.

L'homme du monde qui plus aida le roi Philippe à parvenir à la couronne de France et à l'héritage, ce fut messire Robert d'Artois, qui étoit l'un des plus hauts barons de France et le mieux enlignagé, et trait des royaux [90]; et avoit à femme la sœur germaine du roi Philippe [91], et avoit été toudis son plus espécial compagnon et ami en tous états; et fut bien l'espace de trois ans que en France tout étoit fait par lui, et sans lui n'étoit rien fait. Après advint que le roi Philippe emprit et acueillit ce messire Robert en si grand haine, pour occasion d'un plaid qui ému étoit devant lui, dont le comte d'Artois étoit cause, que le dit messire Robert vouloit avoir gagné, par vertu d'une lettre que messire Robert mit avant, qui n'étoit mie bien vraie [92], si comme on disoit, que si le roi l'eût tenu en son ire [93] il l'eût fait mourir sans nul remède. Et combien que le dit messire Robert fût le plus prochain du lignage à tous les hauts barons de France, et serourge [94] au dit roi, si lui convint-il vider France [95] et venir à Namur devers le jeune comte Jean, son neveu et ses frères, qui étoient enfans de sa sœur [96].

Quand il fut parti de France et le roi vit qu'il ne le pourroit tenir, pour mieux montrer que la besogne lui touchoit, il fit prendre sa sœur, qui étoit femme au dit messire Robert, et ses deux fils et neveux, Jean et Charles [97], et les fit mettre en prison bien étroitement, et jura que jamais n'en issiroient tant qu'il vivroit; et bien tint son serment, car oncques depuis, pour personne qui en parlât, ils n'en vidèrent; dont il en fut depuis moult blâmé en derrière.

Quand le dit roi de France sçut de certain et fut informé que le dit messire Robert étoit arrêté de-lez sa sœur et ses neveux, il en fut moult courroucé; et envoya chaudement devers l'évêque Aoul [98] de Liége, en priant qu'il défiât et guerroyât le comte de Namur, s'il ne mettoit messire Robert d'Artois hors de sa compagnie. Cet évêque, qui moult aimoit le roi de France et qui petit aimoit ses voisins, manda au jeune comte de Namur qu'il mît son oncle messire Robert d'Artois hors de son pays et de sa terre, autrement il lui feroit guerre. Le comte de Namur fut si conseillé qu'il mit hors de sa terre son oncle; ce fut moult ennuis, mais faire lui convenoit ou pis attendre.

Quand messire Robert se vit en ce parti, si fut moult angoisseux de cœur, et s'avisa qu'il iroit en Brabant, pourtant que le duc son cousin étoit si puissant que bien le soutiendroit. Si vint devers le duc, son cousin, qui le reçut moult liement et le reconforta assez de ses détourbiers. Le roi le sçut; si envoya tantôt messages au dit duc, et lui manda que s'il le soutenoit ou souffroit demeurer ou repairer en sa terre, il n'auroit pire ennemi de lui et le grèveroit en toutes les guises qu'il pourroit. Le duc ne le voulut ou n'osa plus tenir ouvertement en son pays, pour doute d'acquérir la haine du dit roi de France; ains l'envoya couvertement tenir en Argenteau [99] jusques à tant que on verroit comment le roi se maintiendroit. Le roi le sçut, qui partout avoit ses espies; si en eut grand dépit; si pourchassa tant et en moult bref temps après, par son or et par son argent, que le roi de Behaigne, qui étoit cousin germain au dit roi, l'évêque de Liége, l'archevêque de Coulogne, le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le comte de Bar, le comte de Los, le sire de Fauquemont et plusieurs autres seigneurs furent alliés encontre le dit duc, et le défièrent tous, au pourchas et requête du dessus dit roi. Et entrèrent tantôt en son pays parmi Hesbaing, et allèrent droit à Hanut [100], et ardirent tout à leur volonté par deux fois, eux demeurans au pays, tant que bon leur sembla. Et envoya avec eux le comte d'Eu son connétable, atout grand compagnie de gens d'armes, pour mieux montrer que la besogne étoit sienne, et faite à son pourchas; et tout ardoient son pays. Si en convint le comte Guillaume de Hainaut ensonnier; et envoya madame sa femme, sœur du roi Philippe, et le seigneur de Beaumont, son frère, en France pardevers le dit roi, pour impétrer une souffrance et une trêve de lui d'une part, et du duc de Brabant d'autre. Trop ennuis et à dureté y descendit le roi de France, tant avoit-il pris la chose en grand dépit. Toute fois, à la prière du comte de Hainaut son serourge, le roi s'humilia, et donna et accorda trèves au duc de Brabant, parmi ce que le duc se mit du tout au dit et en l'ordonnance du propre roi de France et de son conseil, de tout ce qu'il avoit à faire au roi et à chacun de ces seigneurs qui défié l'avoient; et devoit mettre, dedans un certain jour qui nommé y étoit, monseigneur Robert d'Artois hors de sa terre et de son pouvoir, si comme il fit moult ennuis; mais faire lui convint, ou autrement il eût eu trop forte guerre de tous côtés, si comme il étoit apparant. Si que, entrementes que ce toullement et ces besognes se portoient, ainsi que vous oyez recorder, le roi anglois eut nouveau conseil de guerroyer le roi d'Escosse son serourge: je vous dirai à quel titre.

Chroniques de Froissart, éditées et annotées par Buchon.

MÊME SUJET.
Comment messire Robert d'Artois voult posséder la conté d'Artois par fausses lettres que la damoiselle de Divion avoit fait escrire et sceller.
1329.

L'an mil trois cens vint-neuf, commença messire Robert d'Artois le plait contre la devant dite Mahaut, contesse d'Artois, si comme il avoit fait l'an dix-sept, de quoy procès avoit esté fait autre fois. Mais ledit messire Robert maintenoit que les lettres de mariage entre messire Phelippe d'Artois, son père, et madame Blanche de Bretaigne, sa mère, par lesquelles ledit conté luy appartenoit, si comme il disoit, avoient esté par fraude muciées et repostées; si les avoit trouvées. Et assez tost après, assambla ledit messire Robert d'Artois, le conte d'Alençon, le duc de Bretaigne et tout plein d'autres haus hommes de son lignage; et vint au roi Phelippe et luy requist que droit luy fust fait de la conté d'Artois. Tantost le roy fist ajourner la contesse à jour nommé contre ledit messire Robert, à laquelle journée elle vint, et amena avec luy Eudon, le duc de Bourgoigne, et Loys, le conte de Flandre. Là monstra messire Robert unes lettres scellées du scel au conte Robert d'Artois, contenant que, quant le mariage fu fait de monseigneur Phelippe d'Artois, père monseigneur Robert, et de madame Blanche fille le conte Pierre de Bretaigne, le conte les mist en la vesteure [101] de la conté d'Artois, si comme il estoit contenu ès dites lettres. Quant la contesse vit les lettres, si requist au roy que pour Dieu il en voulsist estre saisi, car elle entendoit à proposer à l'encontre. Tantost fu dit par arrest que les lettres demourroient devers le roy; et fu remise une autre journée à laquelle la contesse devoit respondre.

Or vous dirai comment ces lettres vindrent à messire Robert d'Artois. Il avoit une damoiselle gentil-femme qui fu fille le seigneur de Divion de la chastellerie de Béthune. Celle damoiselle s'entremettoit des choses à venir et jugeoit à regarder la phisionomie des gens, et à la fois disoit voir et à la fois mentoit. Elle avoit tant fait, par aucuns des familliers messire Robert d'Artois, que elle emprist une forte chose à faire, si comme vous orrez. Il avoit un bourgeois à Arras qui avoit rente à vie sus le conte d'Artois, et en avoit lettres scellées du scelle conte d'Artois. Quant il fu trespassé, la damoiselle fist tant, par devers les hoirs dudit bourgeois, que elle eust celles lettres; et puis fist escrire unes lettres de l'envesture monseigneur Robert, si comme vous avez oï; puis, prist le scel de la vieille lettre et le dessevra du parchemin à un chaut fer qui tout propre avoit esté fait, si que l'emprainte du scel demeura toute entière; puis la mist à la lettre nouvelle, et avoit une manière de ciment qui attacha le scel à la lettre, ainsi comme devant; et puis vint à messire Robert d'Artois, et luy dit que une telle lettre avoit trouvée en sa maison, à Arras, en une vielle armoire. Quant messire Robert vit les lettres, si en fu moult joians, et luy dist que jamais ne luy faudroit, et l'envoia demourer à Paris.

Comment sentence fu donnée contre messire Robert d'Artois, de [102] la conté d'Artois; et comment la damoiselle de Divion fu arse; et comment ledit Robert fu appelé à droit, pour soy purger des crimes devant dis.

1331.

L'an mil trois cens trente et un, fu sentence donnée en parlement à Paris pour le duc de Bourgoigne, pour la conté d'Artois, contre messire Robert d'Artois, conte de Biaumont en Normendie. Car la contesse d'Artois devant dite, qui estoit moult sage, fist tant que elle ot le clerc qui avoit escrit les lettres, et le mena par devers le roy; et cognut que la damoiselle de Divion luy avoit fait escrire unes lettres, environ avoit un an. Puis luy furent monstrées et recognut qu'il les avoit escrites de sa main. Puis manda le roy messire Robert d'Artois et luy dist qu'il estoit enformé que la lettre n'estoit pas vraie et qu'il se déportast de la demande qu'il faisoit de la conté d'Artois. Et il respondi que si aucun vouloit dire que elle ne fust bonne, il l'en vouldroit combatre et que jà ne se déporteroit de la demande. Pourquoy le roy se courrouça si à luy, que à la journée il fist porter les lettres en présence du parlement et les fist descrier, et fist prendre la damoiselle de Divion et fist mettre en prison en Chastellet à Paris; et fu messire Robert d'Artois débouté de la conté d'Artois, comme devant est dit. Dont il dist si grosses paroles du roy et de la royne que le roy le fist appeller à ses dis; mais il ne daigna oncques aler ni luy excuser. Lors fist le roy mettre la dite damoiselle de Divion, laquelle estoit en Chastellet, en gehenne, laquelle confessa tout le fait, tel comme devant est escript, et si dist plusieurs choses. Assez tost après fu pris un autre qui estoit confesseur dudit messire Robert d'Artois; et en après envoia le roy certains messages pour querir l'abbé de Vezelai, lequel estoit souppeçonné de celle mauvaistié et de plusieurs autres mauvaistiés; mais quant il sot que l'en le faisoit querir, il se départi et s'en fui; et ainsi se sauva. Quant Robert d'Artois vit comment les choses aloient, si se départi moult confusément.

Item, environ le mi-moys de septembre de l'an mil trois cens trente et un, la damoiselle dessus dite qui avoit plaquié le scel ès lettres de messire Robert d'Artois, en faisant fausseté, fu arse en la place aux Pourciaux, à Paris; et recognut moult d'autres mauvaistiés. Quant messire Robert d'Artois vit par quelle manière les choses aloient, si se doubta, et fu moult courroucié de ce que le roy procédoit par telle manière contre luy. Si dust dire ces paroles: «Par moy a esté roy et par moy en sera demis, si je puis.» Et lors fist mener tous ses destriers qu'il avoit biaux et nobles, et son trésor qu'il avoit moult grant, à Bourdiaux sus Gironde, et là fist tout mettre en mer et mener en Angleterre. Et depuis se retraist ledit messire Robert vers son cousin le duc de Breban [103], qui le reçut en son pays, et le mit une pièce de temps avec luy. Tantost que le roy ot oï ces nouvelles, il fist mettre en sa main la terre dudit messire Robert, et luy manda par certains messages qu'il comparust devant luy et devant les pers personnellement, à certain jour, pour soy deffendre des crimes qui luy estoient mis sus.

Item, en ce meisme temps, le confesseur de messire Robert d'Artois, qui estoit prisonnier, fu appelé en la présence d'aucuns du conseil du roy, et luy fu demandé quelle chose et quoy il povoit savoir des fausses lettres dessus dites. Lequel respondoit et disoit qu'il n'en savoit riens fors en confession, ni il ne le povoit bonnement révéler sans péril de conscience. Mais à l'énortement de maistre Pierre de la Palu, patriarche de Jhérusalem, avecques autres maistres en théologie et aucuns secrétaires du roy, lesquels se consentoient et disoient qu'il le povoit bien révéler selon ce que l'en dit,—mais c'est doubte grant,—si le révéla, et le confesseur fu arrière mis en prison. Mais ce qu'il devint à la fin le commun ne le sceut.

Item, en ce meisme an, l'an mil trois cens trente et un, le roy tenant le siège de juge au Louvre, et avec luy plusieurs barons et prélas, messire Robert d'Artois devant dit, lequel avoit esté la tierce fois appelé à certain jour à respondre aux articles que l'en avoit proposés contre luy, ne s'i comparut point si comme il devoit: mais envoia un abbé de l'ordre de Saint-Benoist et avec luy plusieurs chevaliers, lesquels n'avoient point de procuracion, mais estoient venus pour prier au roy et aux barons du royaume que l'en luy voulsist ottroier jusques à la quarte dilacion, en promettant que à icelle il viendroit personnellement, et de tout ce que l'en luy avoit mis sus il se purgeroit bonnement. Et après ce qu'il orent ainsi fait le message, le roy de Behaigne et Jehan l'ainsné fils du roy de France et duc de Normendie, avec moult d'autres barons, s'agenouillèrent devant le roy et luy demandèrent qu'il luy pleust à ottroier audit messire Robert jusques à la quarte dilacion et que ses biens ne fussent pas confisqués durant ledit terme. Laquelle requeste le roy ottroia de grace espéciale jusques au moys de mai. Et lors vint une damoiselle, laquelle dit, en la présence du roy, que la femme messire Robert d'Artois [104], laquelle estoit suer du roy de France, estoit plus coupable que son mari.

Comment messire Robert d'Artois fu bani, et du mariage Jehan, ainsné fils du roy de France et duc de Normandie.

L'an de grace mil trois cens trente-deux, Robert d'Artois fu bani du royaume de France par les barons, et furent tous ses biens confisqués au roy. Mais encore, et aux prières d'aucuns grans seigneurs, voult le roy que les solempnés bannissemens fussent différés jusques au moys d'après Pasques; et aussi, si il venoit dedens le terme et qu'il se méist à la volenté du roy, du tout le roy luy feroit telle grace qui luy sembleroit à estre convenable; et s'il ne venoit, le bannissement seroit exécuté tout entièrement. Quant le roy vit que le terme qu'il avoit donné gracieusement au devant du dit Robert d'Artois fu passé, et il n'ot envoié né contremandé, si comme l'en l'avoit promis au roy en la présence des barons, si commanda qu'il fu bani à trompes par tous les principaux quarrefours de Paris. Et avec ce avoit certaines personnes qui crioient en audience toutes les causes pour lesquelles le dit messire Robert estoit bani. Et fu fait le dit bannissement le trentiesme jour de may, l'an dessus dit.

Les Grandes Chroniques de Saint-Denis.

JACQUEMART D'ARTEVELT.
1337.

En ce temps avoit grand dissension entre le comte Louis de Flandre et les Flamands [105]; car ils ne vouloient point obéir à lui, ni à peine s'osoit-il tenir en Flandre, fors à grand péril. Et avoit adonc à Gand un homme qui avoit été brasseur de miel; celui étoit entré en si grand fortune et en si grand grâce à tous les Flamands, que c'étoit tout fait et bien fait quant qu'il vouloit deviser et commander par tout Flandre, de l'un des côtés jusques à l'autre; et n'y avoit aucun, comme grand qu'il fût, qui de rien osât trépasser son commandement, ni contredire. Il avoit toujours après lui, allant aval la ville de Gand, soixante ou quatre vingts varlets armés, entre lesquels il en y avoit deux ou trois qui savoient aucuns de ses secrets; et quand il encontroit un homme qu'il héoit ou qu'il avoit en soupçon, il étoit tantôt tué; car il avoit commandé à ses secrets varlets et dit: «Sitôt que j'encontrerai un homme, et je vous fais un tel signe, si le tuez sans deport, comme grand, ni comme haut qu'il soit, sans attendre autre parole.» Ainsi avenoit souvent; et en fit en cette manière plusieurs grands maîtres tuer: par quoi il étoit si douté que nul n'osoit parler contre chose qu'il voulût faire, ni à peine penser de le contredire. Et tantôt que ces soixante varlets l'avoient reconduit en son hôtel, chacun alloit dîner en sa maison; et sitôt après dîner ils revenoient devant son hôtel, et béoient en la rue, jusques adonc qu'il vouloit aller aval la rue, jouer et ébattre parmi la ville; et ainsi le conduisoient jusques au souper. Et sachez que chacun de ces soudoyés avoit chacun jour quatre compagnons ou gros de Flandre pour ses frais et pour ses gages; et les faisoit bien payer de semaine en semaine. Et aussi avoit-il, par toutes les villes de Flandre et les châtellenies, sergens et soudoyés à ses gages, pour faire tous ses commandemens, et épier s'il avoit nulle part personne qui fût rebelle à lui, ni qui dît ou informât aucun contre ses volontés. Et sitôt qu'il en savoit aucun en une ville, il ne cessoit jamais tant qu'il l'eût banni ou fait tuer sans deport; jà cil ne s'en pût garder. Et mêmement tous les plus puissans de Flandre, chevaliers, écuyers et les bourgeois des bonnes villes, qu'il pensoit qui fussent favorables au comte de Flandre en aucune manière, il les bannissoit de Flandre, et levoit la moitié de leurs revenus, et laissoit l'autre moitié pour le douaire et le gouvernement de leurs femmes et de leurs enfans. Et ceux qui étoient ainsi bannis, desquels il étoit grand foison, se tenoient à Saint-Omer le plus, et les appeloit-on les avolés et les outre-avolés. Brièvement à parler, il n'eut oncques en Flandre ni en autre pays duc, comte, prince ni autre qui pût avoir un pays si à sa volonté comme cil l'eut longuement; et étoit appelé Jaquemart Artevelle. Il faisoit lever les rentes, les tonnieux [106], les vinages, les droitures et toutes les revenues que le comte devoit avoir et qui à lui appartenoient, quelque part que ce fût parmi Flandre, et toutes les maletôtes: si les dépendoit à sa volonté et en donnoit sans rendre aucun compte; et quand il vouloit dire que argent lui falloit, on l'en croyoit; et croire l'en convenoit, car nul n'osoit dire encontre, pour doute de perdre la vie: et quand il en vouloit emprunter de aucuns bourgeois sur son payement, il n'étoit nul qui lui osât escondire à prêter.

Chroniques de Froissart.

ÉDOUARD III PREND LE TITRE ET LES ARMES
DE ROI DE FRANCE.
1340.
Comment le roi d'Angleterre tint un grand parlement à Bruxelles, et de la requête qu'il y fit aux Flamands.

Or, parlerons-nous un petit du roi anglois, et comment il persévéra en avant. Depuis qu'il fut parti de la Flamengerie et revenu en Brabant, il s'en vint droit à Bruxelles: là le reconvoyèrent le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le marquis de Brankebourch, le comte de Mons, messire Jean de Hainaut, le sire de Fauquemont et tous les barons de l'Empire, qui s'étoient alliés à lui; car ils vouloient aviser l'un contre l'autre comment ils se maintiendroient de cette guerre où ils s'étoient boutés. Et pour avoir certaine expédition, ils ordonnèrent un grand parlement à être en la dite ville de Bruxelles; et y fut prié et mandé Jacques d'Artevelle, lequel y vint liement et en grand arroy, et amena avec lui tous les conseils des villes de Flandre. A ce parlement, qui fut à Bruxelles, eut plusieurs paroles dites et devisées; et me semble, à ce qui m'en fut recordé, que le roi anglois fut si conseillé de ses amis de l'Empire, qu'il fit une requête à ceux de Flandre qu'ils lui voulussent aider à parmaintenir sa guerre, et défier le roi de France, et aller avec lui partout où il les voudroit mener; et si ils vouloient, il leur aideroit à recouvrer Lille, Douay et Béthune. Cette parole entendirent les Flamands volontiers; mais de la requête que le roi leur faisoit demandèrent-ils à avoir conseil entre eux tant seulement, et tantôt répondre. Le roi leur accorda. Si se conseillèrent à grand loisir; et quand ils se furent conseillés, ils répondirent et dirent: «Cher sire, autrefois nous avez-vous fait telles requêtes; et sachez voirement que si nous le pouvions nullement faire, par notre honneur et notre foi garder, nous le ferions; mais nous sommes obligés, par foi et serment, et sur deux millions de florins à la chambre du pape, que nous ne pouvons émouvoir guerre au roi de France, quiconque le soit, sans être encourus en cette somme, et écheoir en sentence d'excommuniement; mais si vous voulez faire une chose que nous vous dirons, vous y pouverriez bien de remède et de conseil, c'est que vous veuilliez encharger les armes de France et équarteler d'Angleterre, et vous appeler roi de France; et nous vous tiendrons pour droit roi de France, et obéirons à vous comme au roi de France, et vous demanderons quittance de notre foi; et vous la nous donnerez comme roi de France: par ainsi serons-nous absous et dispensés, et irons partout là où voudrez et ordonnerez.»

Comment le roi d'Angleterre enchargea les armes et le nom de roi de France par l'ennortement des Flamands.

Quand le roi anglois eut ouï ce point et la requête des Flamands, il eut besoin d'avoir bon conseil et sûr avis, car pesant lui étoit de prendre le nom et les armes de ce dont il n'avoit encore rien conquis; et ne savoit quelle chose l'en aviendroit, ni si conquerre le pourroit. Et, d'autre part, il refusoit envi le confort et aide des Flamands, qui plus le pouvoient aider à sa besogne que tout le remenant du siècle. Si se conseilla ledit roi au duc de Brabant, au duc de Guerles, au marquis de Juliers, à messire Jean de Hainaut, à messire Robert d'Artois, et à ses plus secrets et espéciaux amis: si que finalement tout pesé, le bien contre le mal, il répondit aux Flamands, par l'information des seigneurs dessusdits: que si ils lui vouloient jurer et sceller qu'ils lui aideroient à parmaintenir sa guerre, il emprendroit tout ce de bonne volonté, et aussi il leur aideroit à ravoir Lille, Douay et Béthune. Et ils répondirent: «Oil.» Donc fut pris et assigné un certain jour à être à Gand. Lequel jour se tint; et y fut le roi d'Angleterre et la plus grand partie des seigneurs de l'Empire dessus nommés, alliés avec lui; et là furent tous les conseils de Flandre généralement et espécialement. Là furent toutes les paroles au devant dites, relatées et proposées, entendues, accordées, écrites et scellées; et enchargea le roi d'Angleterre les armes de France, et les équartela d'Angleterre, et en prit en avant le nom de roi de France [107].

Chroniques de Froissart.

BATAILLE DE L'ÉCLUSE.
1340.

Nous parlerons du roi d'Angleterre, qui s'étoit mis sur mer pour venir et arriver, selon son intention, en Flandre, et puis venir en Hainaut aider à guerroyer le comte de Hainaut son serourge contre les François. Ce fut le jour devant la veille Saint Jean-Baptiste [108], l'an mil trois cent quarante, qu'il nageoit par mer, à grand et belle charge de nefs et de vaisseaux; et étoit toute sa navie partie du havre de Tamise, et s'en venoit droitement à l'Escluse. Et adonc se tenoient entre Blankeberghe et l'Escluse et sur la mer messire Hue Kieret et messire Pierre Bahuchet et Barbevoire, à plus de sept vingt gros vaisseaux sans les hokebos; et étoient bien, Normands, bidaux, Gennevois [109] et Picards, quarante mille; et étoient là ancrés et arrêtés, au commandement du roi de France, pour attendre la revenue du roi d'Angleterre, car bien savoient qu'il devoit par là passer. Si lui vouloient dénéer et défendre le passage, ainsi qu'ils firent bien et hardiment, tant comme ils purent, si comme vous orrez recorder.

Le roi d'Angleterre et les siens, qui s'en venoient singlant, regardèrent et virent devers l'Escluse si grand quantité de vaisseaux que des mâts ce sembloit droitement un bois: si en fut fortement émerveillé, et demanda au patron de sa navie quelles gens ce pouvoient être: il répondit qu'il cuidoit bien que ce fût l'armée des Normands que le roi de France tenoit sur mer, et qui plusieurs fois lui avoient fait grand dommage, et tant que ars et robé la bonne ville de Hantonne et conquis Cristofle, son grand vaisseau, et occis ceux qui le gardoient et conduisoient. Donc répondit le roi anglois: «J'ai de longtemps désiré que je les pusse combattre; si les combattrons, s'il plaît à Dieu et à saint Georges; car voirement m'ont-ils fait tant de contraires, que j'en veuil prendre la vengeance, si je y puis avenir.» Lors fit le roi ordonner tous ses vaisseaux et mettre les plus forts devant, et fit frontière à tous côtés de ses archers; et entre deux nefs d'archers en y avoit une de gens d'armes; et encore fit-il une bataille surcôtière, toute pure d'archers, pour réconforter, si mestier étoit, les plus lassés. Là il y avoit grand foison de dames d'Angleterre, de comtesses, baronnesses, chevaleresses et bourgeoises de Londres, qui venoient voir la reine d'Angleterre à Gand, que vue n'avoient un grand temps, et ces dames fit le roi anglois bien garder et soigneusement, à trois cents hommes d'armes; et puis pria le roi à tous qu'ils voulsissent penser de bien faire et garder son honneur; et chacun lui enconvenança.

Comment le roi d'Angleterre et les Normands et autres se combattirent durement; et comment Cristofle, le grand vaisseau, fut reconquis des Anglois.

Quand le roi d'Angleterre et son maréchal eurent ordonné les batailles et leurs navies bien et sagement, ils firent tendre et traire les voiles contre mont, et vinrent au vent, de quartier, sur destre, pour avoir l'avantage du soleil, qui en venant leur étoit au visage. Si s'avisèrent et regardèrent que ce leur pouvoit trop nuire, et détrièrent un petit, et tournoyèrent tant qu'ils eurent vent à volonté. Les Normands qui les véoient tournoyer s'émerveilloient trop pourquoi ils le faisoient et disoient: «Ils ressoignent et reculent, car ils ne sont pas gens pour combattre à nous.» Bien véoient entre eux les Normands, par les bannières, que le roi d'Angleterre y étoit personnellement: si en étoient moult joyeux, car trop le désiroient à combattre. Si mirent leurs vaisseaux en bon état, car ils étoient sages de mer et bons combattans; et ordonnèrent Cristofle, le grand vaisseau que conquis avoient sur les Anglois en cette même année, tout devant, et grand foison d'arbalétriers gennevois dedans pour le garder et traire et escarmoucher aux Anglois, et puis s'arroutèrent grand foison de trompes et de trompettes et de plusieurs autres instrumens, et s'en vinrent requerre leurs ennemis. Là se commença bataille dure et forte de tous côtés, et archers et arbalétriers à traire et à lancer l'un contre l'autre diversement et roidement, et gens d'armes à approcher et à combattre main à main asprement et hardiment; et parquoi ils pussent mieux avenir l'un à l'autre, ils avoient grands crocs et havets de fer tenans à chaînes; si les jetoient dedans les nefs de l'un à l'autre et les accrochoient ensemble, afin qu'ils pussent mieux aherdre et plus fièrement combattre. Là eut une très-dure et forte bataille et maintes appertises d'armes faites, mainte lutte, mainte prise, mainte rescousse. Là fut Cristofle, le grand vaisseau, auques de commencement reconquis des Anglois, et tous ceux morts et pris qui le gardoient et défendoient. Et adonc y eut grand huée et grand noise, et approchèrent durement les Anglois, et repourvurent incontinent Cristofle, ce bel et grand vaisseau, de purs archers qu'ils firent passer tout devant et combattre aux Gennevois.

Comment les Anglois déconfirent les Normands qu'oncques n'en échappa pied que tous ne fussent mis à mort.

Cette bataille dont je vous parle fut félonneuse et très-horrible; car bataille et assaut sur mer sont plus durs et plus forts que sur terre: car là ne peut-on reculer ni fuir; mais se faut vendre et combattre et attendre l'aventure, et chacun en droit soi montrer sa hardiesse et sa prouesse. Bien est voir que messire Hue Kieret étoit bon chevalier et hardi, et aussi messires Pierre Bahuchet et Barbevoire, qui au temps passé avoient fait maint meschef sur mer et mis à fin maint Anglois. Si dura la bataille et la pestillence de l'heure de prime jusques à haute nonne [110]. Si pouvez bien croire que ce terme durant il y eut maintes appertises d'armes faites; et convint là les Anglois souffrir et endurer grand'peine, car leurs ennemis étoient quatre contre un et toutes gens de fait et de mer; de quoi les Anglois, pour ce qu'il le convenoit, se pénoient moult de bien faire. Là fut le roi d'Angleterre de sa main très bon chevalier, car il étoit adonc en la fleur de sa jeunesse, et aussi furent le comte Derby, le comte de Penbroche, le comte de Herfort, le comte de Hostidonne, le comte de Northantonne et de Glocestre, messire Regnault de Cobeham, messire Richard Stanford, le sire de Persy, messire Gautier de Mauny, messire Henry de Flandre, messire Jean de Beauchamp, le sire de Felleton, le sire de Brasseton, messire Jean Chandos, le sire de la Ware, le sire de Multon, et messire Robert d'Artois, et étoit de lez le roi en grand arroy et en bonne étoffe, et plusieurs autres barons et chevaliers pleins d'honneur et de prouesse, desquels je ne puis mie de tous parler, ni leurs bienfaits ramentevoir. Mais ils s'éprouvèrent si bien et si vassalement, parmi un secours de Bruges et du pays voisin qui leur vint, qu'ils obtinrent la place et l'eau, et furent les Normands et tous ceux qui là étoient encontre eux, morts et déconfits, péris et noyés, ni oncques pied n'en échappa que tous ne fussent mis à mort [111]. Cette avenue fut moult tôt sçue parmi Flandre et puis en Hainaut; et en vinrent les certaines nouvelles dedans les deux osts devant Thun-l'Évêque. Si en furent Hainuyers, Flamands et Brabançois moult réjouis et les François tout courroucés.

Chroniques de Froissart.

LA BATAILLE DE L'ÉCLUSE.
1340.
De la grant desconfiture qui fu en mer entre la navie du roy de France et du roy d'Angletterre; et coment Buchet [112] fut pris et pendu au mat d'une nef.

En ce meisme an, l'en porta nouvelles au roy de France que le roy d'Angleterre, qui longuement s'étoit absenté, appareilloit très grant navie et vouloit venir en l'aide des Flamens. Quant le roy ot oï ces nouvelles, car autrefois en avoit oï parler, si fist tantost assambler toute la navie qu'il pot avoir tant en Normendie comme en Piquardie, et institua deux souverains amiraux, lesquels ordonneroient et commenderoient ladite navie, afin que le roy anglois et messire Robert d'Artois qui estoit avecques luy fussent empeschiés de prendre port.

Et lors furent institués souverains de toute la navie messire Hues Quieret, messire Nichole Buchet et Barbevaire, lesquels assemblèrent bien quatre cens nefs de par le roy de France, et entrèrent dedans eux et leur gens avecques leur garnisons. Si avint que Buchet, qui estoit un des souverains, ne voult recevoir gentil gent avecques soy pour ce qu'il vouloient avoir trop grans gages; mais retint povres poissonniers et mariniers, pour ce qu'il en avoit grant marchié; et de tieux gens fist-il l'armée. Puis murent et passèrent pardevant Calais et se traistrent vers l'Escluse, tant qu'ils furent devant; ilec se tindrent tous quois, et par telle manière que nul ne povoit entrer né issir. Si avint que le roy d'Angleterre qui avoit ses espies sceut que la navie au roy de France estoit passée vers Flandres. Tantost se mist en mer, et messire Robert d'Artois avecques luy et moult grant foison de gentilhommes d'Angleterre, et grant plenté d'archiers. Quant ledit roy anglois et toute sa gent furent près, si tendirent leur voiles en haut, et siglèrent grant aleure vers l'Escluse, et ne tardèrent guères, par le bon vent que il orent, qu'il approchièrent de la navie au roy de France et se mistrent tantost en conroy. Quant Barbevaire les aperçut, qui estoit en ses galies, si dist à l'amiraut et à Nichole Buchet: «Seigneurs, vez-ci le roy d'Angleterre à toute sa navie qui vient sus nous; sé vous voulez croire mon conseil, vous vous trairez en haute mer: car sé vous demourez ici, parmi ce qu'il ont le vent, le souleil et le flot de l'yaue, il vous tendront si court que vous ne vous pourrés aidier.»—Adonc respondit Nichole Buchet, qui miex se saroit [113] meller d'un compte faire que de guerroier en mer: «Honnis soit qui se partira de ci, car ici les attendrons et prendrons notre aventure.»—Tantost leur dit Barbevaire: «Seigneurs, puisque vous ne voulez croire mon conseil, je ne me veulx mie perdre, je me mettrai avecques mes quatre galies hors de ce trou.» Et tantost se mist hors du hale [114] à toutes ses galies, et virent venir la grant flote du roy d'Angleterre. Et vint une nef devant qui estoit garnie d'escuiers qui devoient estre chevaliers, et ala assambler à une nef que on appelloit la Riche de l'Eure: mais les Anglois n'orent durée à celle grant nef, si furent tantost desconfis et la nef acravantée et tous ceux qui dedens estoient mis à mort, et orent nos gens belle victoire. Mais tantost après vint le roy d'Angleterre assambler aux gens de France à toute sa navie, et commença ilec la bataille moult cruelle; mais quant il se furent combatus depuis prime jusques à haute nonne, si ne pot plus la navie du roy de France endurer né porter le fès de la bataille; car il estoient si entassés l'un en l'autre qu'il ne se povoient aidier; et si n'osoient venir vers terre pour les Flamens qui sus terre les espioient; et avecques ce, les gens que l'en avoit mis ès nefs du roy de France n'estoient pas si duis d'armes comme les Anglois estoient, qui estoient presque tous gentilshommes. Ilec ot tant de gens mors que ce fut grant pitié à voir; et estimoit-on bien le nombre des mors jusques près de trente mille hommes, tant d'une part que d'autre. Là fut mort messire Hues Quieret, nonobstant qu'il fust pris tout vif, si comme aucuns disoient, et messire Nichole Buchet, lequel fut pendu au mat de la nef, en despit du roy de France. Et lorsque Barbevaire vit que la chose aloit à desconfiture, si se retrait à Gant; et furent les nefs au roy de France perdues; et avecques ce, les deux grans nefs au roy d'Angleterre, Christofle et Edouarde, que le roy anglois avoit par avant perdues, luy furent restituées. Et ainsi furent nos gens desconfis par le roy d'Angleterre et par les Flamens, et nos nefs perdues, exceptées aucunes petites nefs qui s'en eschappèrent. Et avint cette desconfiture par l'orgueil des deux amiraux; car l'un ne povoit souffrir de l'autre, et tout par envie, et si ne vouldrent avoir le conseil de Barbevaire, comme devant est dit: si leur en vint mal, ainsi comme pluseurs le témoignoient.

Quant la chose fut finée, et que le roy d'Angleterre ot eu celle grant victoire, lequel roy fu navré en la cuisse, mais onques n'en voult issir de la nef pour celle navreure; et toutes voies messire Robert d'Artois et les autres barons d'Angleterre pristrent terre à l'Ecluse et se reposèrent ilecques. Ceste bataille fut faite la veille de la nativité monseigneur saint Jehan-Baptiste, l'an de grace mil trois cent quarante [115].

Quant la royne d'Angleterre, qui estoit à Gant, sceut que le roy son mari estoit arrivé, tantost se mist à la voie vers l'Escluse, et le roy se gisoit en sa nef; car il avoit esté blescié en la cuisse, et tenoit son parlement avec ses barons sus le fait de sa guerre. Quant le conseil fut départi, si se mist la royne en un batel et vint à la nef du roy et Jacques de Arthevelt avec luy.

Quant la royne ot veu le roy et qu'il orent parlé ensemble, si se reparti la royne et s'en ala vers Gant. Assez tost après que le roy fust amendé de la blesceure qu'il avoit eue, il se mist à terre et s'en ala en pélerinage à pié à Nostre-Dame d'Hardenbourc [116], et envoia ses gens d'armes et son harnois et ses chevaux et ses archiers vers Gant.

Quant il ot fait son pélerinage, si s'en vint à Bruges, et puis prist avec luy les mestiers de la ville et s'en ala à Gant où il fut reçu à moult grant joie. Puis fist mander tous les Alemans qui estoient de s'aliance, qu'il vinssent à luy pour avoir conseil avecques eux sur ce qu'il avoit à faire.

Les Grandes Chroniques de Saint-Denis.

GUERRE DE BRETAGNE.

(Arthur II, duc de Bretagne, mort en 1312, avait laissé trois fils, Jean III, qui lui succéda, Guy comte de Penthièvre, mort en 1331, Jean comte de Montfort. Jean III mourut en 1341, sans enfants, laissant la couronne de Bretagne à Jeanne la boiteuse, sa nièce, fille de Guy, qui avait épousé Charles de Blois. Jeanne et Charles prirent possession du duché; mais Jean de Montfort prit aussi le titre de duc de Bretagne, leur fit la guerre et s'allia avec le roi d'Angleterre. La guerre de la succession de Bretagne ne se termina qu'en 1365, après la bataille d'Auray, par le traité de Guérande, qui laissa le duché de Bretagne à Jean V, fils de Jean comte de Montfort.)

Comment le comte de Montfort s'en alla en Angleterre et fit hommage au roi d'Angleterre de la duché de Bretagne.

Pourquoi vous ferois-je long conte? En telle manière conquit le dit comte de Montfort tout ce pays que vous avez ouï, et se fit partout appeler duc de Bretagne; puis s'en alla à un port de mer que on appelle Gredo [117], et départit toutes ses gens, et les envoya en ses cités et forteresses pour elles aider à garder; puis se mit en mer atout vingt chevaliers, et nagea tant qu'il vint en Cornuaille et arriva à un port que on dit Cepsée [118]. Si enquit là du roi anglois où il le trouveroit; et lui fut dit que le plus de temps il se tenoit à Windesore. Adonc chevaucha-t-il cette part et toute sa route; et fit tant par ses journées qu'il vint à Windesore, où il fut reçu à grand'joie du roi, de madame la roine, et de tous les barons qui là étoient; et fut grandement fêté et honoré, quand on sçut pourquoi il étoit là venu.

Premièrement il montra au roi anglois, à messire Robert d'Artois et à tout le conseil du roi ses besognes, et dit comment il s'étoit mis en saisine et possession de la duché de Bretagne, qui échue lui étoit par la possession du duc son frère, dernièrement trépassé. Or faisoit-il doute que messire Charles de Blois ne l'empêchât, et le roi de France ne lui voulsist r'ôter par puissance; par quoi il s'étoit là traist pour relever la dite duché et tenir en foi et hommage du roi d'Angleterre à toujours, mais qu'il l'en fît sûr contre le roi de France et contre tous autres qui empêcher le voudroient.

Quand le roi anglois eut ouï ces paroles, il y entendit volontiers, car il regarda et imagina que sa guerre du roi de France en seroit embellie, et qu'il ne pouvoit avoir plus belle entrée au royaume ni plus profitable que par Bretagne; et que tant qu'il avoit guerroyé par les Allemands et les Flamands et les Brabançons, il n'avoit rien fait, fors que frayé et dépendu grandement et grossement; et l'avoient mené et demené les seigneurs de l'Empire, qui avoient pris son or et son argent, ainsi qu'ils avoient voulu, et rien n'avoit fait. Si descendit à la requête du comte de Montfort liement et légèrement, et prit hommage de la dite duché, par la main du comte de Monfort, qui se tenoit et appeloit duc; et là lui convenança le roi anglois, présens les barons et les chevaliers d'Angleterre et ceux qu'il avoit amenés avec lui de Bretagne, qu'il l'aideroit et défendroit et garderoit comme son homme, contre tout homme, fût le roi de France ou autres, selon son loyal pouvoir.

De ces paroles et de cet hommage furent écrites et lues lettres et scellées, dont chacune des parties eut les copies. Avec tout ce le roi et la roine donnèrent au comte de Montfort et à ses gens grands dons et beaux joyaux, car bien le savoient faire, et tant qu'ils en furent tous contens, et qu'ils dirent que c'étoit un noble roi et vaillant, et une noble roine, et qu'ils étoient bien taillés de régner encore en grand prospérité. Après toutes ces choses faites et accomplies, le comte de Montfort prit congé et se partit d'eux et passa Angleterre, et entra en mer en ce même port où il étoit arrivé; et nagea tant qu'il vint à Gredo, en la Basse-Bretagne; et puis s'en vint en la cité de Nantes, où il trouva la comtesse sa femme, à qui il recorda comment il avoit exploité. De ce fut-elle toute joyeuse, et lui dit qu'il avoit très-bien ouvré et par bon conseil. Si me tairai un petit d'eux et parlerai de messire Charles, qui devoit avoir la duché de Bretagne de par sa femme, ainsi que vous avez ouï déterminer ci-devant.....

Comment, par le conseil des douze pairs de France, le comte de Montfort fut ajourné à Paris, et comment il y vint et puis s'en partit sans le congé du roi.

Quand messire Charles de Blois, qui se tenoit, à cause de sa femme, être droit hoir de Bretagne, entendit que le comte de Montfort conquéroit ainsi par force le pays et les forteresses qui être devoient siennes par droit et par raison, il s'en vint à Paris complaindre au roi Philippe, son oncle. Le roi Philippe eut conseil à ses douze pairs quelle chose il en feroit. Ses douze pairs lui conseillèrent qu'il appartenoit bien que le dit comte fût mandé et ajourné par suffisans messages à être un certain jour à Paris, pour ouïr ce qu'il en voudroit répondre. Ainsi fut fait: le dit comte fut mandé et ajourné suffisamment; et fut trouvé en la cité de Nantes grand fête démenant. Il fit grand chère et grand fête aux messages; mais il eut plusieurs diverses pensées ainçois qu'il ottriât la voie d'aller au mandement du roi à Paris. Toutes voies au dernier, il répondit qu'il vouloit être obéissant au roi et qu'il iroit volontiers à son mandement. Si s'ordonna et appareilla moult grandement et richement, et se partit en grand arroy et bien accompagné de chevaliers et d'écuyers, et fit tant par ses journées qu'il entra à Paris avec plus de quatre cents chevaux, et se traist en son hôtel moult ordonnément, et fut là tout le jour et la nuit aussi. L'endemain, à heure de tierce [119], il monta à cheval, et grand foison de chevaliers et écuyers avec lui, et chevaucha vers le palais, et fit tant qu'il y vint. Là l'attendoit le roi Philippe et tous les douze pairs et grand plenté des barons de France avec messire Charles de Blois.

Quand le comte de Montfort sçut quelle part il trouveroit le roi et les barons, il se traist vers eux en une chambre où ils étoient tous assemblés. Si fut moult durement regardé et salué de tous les barons; puis s'en vint incliner devant le roi moult humblement, et dit: «Sire, je suis ci venu à votre mandement et à votre plaisir.» Le roi lui répondit, et dit: «Comte de Montfort, de ce vous sais-je bon gré; mais je m'émerveille durement pourquoi ni comment vous avez osé entreprendre de votre volonté la duché de Bretagne, où vous n'avez aucun droit; car il y a plus prochain de vous que vous en voulez déshériter; et pour vous mieux efforcer, vous êtes allé à mon adversaire d'Angleterre, et l'avez de lui relevée, ainsi comme on le m'a conté.» Le comte répondit, et dit: «Ha! cher sire, ne le croyez pas, car vraiment vous êtes de ce mal informé: je le ferois moult ennuis; mais la prochaineté dont vous me parlez, m'est avis, sire, sauve la grâce de vous, que vous en méprenez; car je ne sçais nul si prochain du duc mon frère, dernièrement mort, comme moi; et si jugé et déclaré étoit par droit que autre fût plus prochain de moi, je ne serois jà rebelle ni honteux de m'en déporter.»

Quand le roi entendit ce, il répondit, et dit: «Sire comte, vous en dites assez; mais je vous commande, sur quant que vous tenez de moi et que tenir en devez, que vous ne vous partiez de la cité de Paris jusques à quinze jours, que les barons et les douze pairs jugeront de cette prochaineté: si saurez adonc quel droit vous y avez; et si vous le faites autrement, sachez que vous me courroucerez.» Le comte répondit, et dit: «Sire, à votre volonté.» Si se partit adonc du roi, et vint à son hôtel pour dîner.

Quand il fut en son hôtel venu, il entra en sa chambre et se commença à aviser et penser que s'il attendoit le jugement des barons et des pairs de France, le jugement pourroit bien tourner contre lui; car bien lui sembloit que le roi seroit plus volontiers partie pour messire Charles de Blois, son neveu, que pour lui; et véoit bien que s'il avoit jugement contre lui, que le roi le feroit arrêter jusques à ce qu'il auroit tout rendu, cités, villes et châteaux, dont lors il tenoit la saisine et possession; et avec tout ce tout le grand trésor qu'il avoit trouvé et dépendu. Si lui fut avis, pour le moins mauvais, qu'il lui valoit mieux qu'il courrouçât le roi et s'en rallât paisiblement devers Bretagne, que il demeurât à Paris en danger et en si périlleuse aventure. Ainsi qu'il pensa ainsi fut fait: si monta à cheval paisiblement et ouvertement, et se partit, à si peu de compagnie, qu'il fut ainçois en Bretagne revenu que le roi ni autres, fors ceux de son conseil, sçussent rien de son département; mais pensoit chacun qu'il fût dehaité en son hôtel.

Quand il fut revenu de lez la comtesse sa femme, qui étoit à Nantes, il lui conta son aventure; puis s'en alla, par le conseil de sa femme, qui avoit bien cœur de lion et d'homme, par toutes les cités, châteaux et bonnes villes qui étoient à lui rendues, et établit partout bons capitaines, et si grand plenté de soudoyers à pied et à cheval qu'il y convenoit, et grands pourvéances de vivres à l'avenant; et paya si bien tous soudoyers à pied et à cheval que chacun le servoit volontiers. Quand il eut tout ordonné, ainsi qu'il appartenoit, il s'en revint à Nantes de lez sa femme et de lez les bourgeois de la cité, qui durement l'aimoient, par semblant, pour les grands courtoisies qu'il leur faisoit. Or me tairai un petit de lui et retournerai au roi de France, et à son neveu messire Charles de Blois.

Comment les douze pairs et les barons de France jugèrent que messire Charles de Blois devoit être duc de Bretagne; et comment ledit messire Charles les prie qu'ils lui veuillent aider.

Chacun doit savoir que le roi de France fut durement courroucé, aussi fut messire Charles de Blois, quand ils sçurent que le comte de Montfort leur fût ainsi échappé, et s'en étoit allé, ainsi que vous avez ouï. Toutes voies ils attendirent jusques à la quinzaine que les pairs et les barons de France devoient rendre leur jugement de la duché de Bretagne. Si l'adjugèrent à messire Charles de Blois, et en ôtèrent le comte de Montfort par deux raisons; l'une pourtant que la femme de messire Charles de Blois, qui étoit fille du frère germain du duc qui mort étoit, de par le père dont la duché venoit, étoit plus prochaine que n'étoit le comte de Montfort, qui étoit d'un autre père, qui oncques n'avoit été duc de Bretagne: l'autre raison si étoit que, s'il fût ainsi que le comte de Montfort y eût aucun droit, si l'avoit-il forfait par deux raisons; l'une pourtant qu'il l'avoit relevée d'autre seigneur que du roi de France, de qui on la devoit tenir en fief; l'autre raison, pour ce qu'il avoit trépassé le commandement de son seigneur le roi et brisé son arrêt et sa prison, et s'en étoit parti sans congé.

Quand ce jugement fut rendu par pleine sentence de tous les barons, le roi appela messire Charles de Blois, et lui dit: «Beau neveu, vous avez jugement pour vous de bel héritage et grand; or vous hâtez et pénez de le reconquérir sur celui qui le tient à tort; et priez tous vos amis qu'ils vous veuillent aider à ce besoin; et je ne vous y faudrai mie: ains vous prêterai or et argent, et dirai à mon fils le duc de Normandie qu'il se fasse chef avec vous; et vous prie et commande que vous vous hâtiez, car si le roi anglois, notre adversaire, de qui le comte de Montfort a relevé la duché de Bretagne, y venoit, il nous pourroit porter grand dommage, et ne pourroit avoir plus belle entrée pour venir par deçà, mêmement quand il auroit le pays et les forteresses de Bretagne de son accord.»

Adonc messire Charles de Blois s'inclina devant son oncle, en le remerciant durement de ce qu'il disoit et promettoit. Si pria tantôt le duc de Normandie son cousin, le comte d'Alençon son oncle, le duc de Bourgogne, le comte de Blois son frère, le duc de Bourbon, messire Louis d'Espaigne, messire Jacques de Bourbon, le comte d'Eu connétable de France, et le comte de Ghines son fils, le vicomte de Rohan, et en après, tous les comtes et les princes et les barons qui là étoient, qui tous lui convenancèrent qu'ils iroient volontiers avec lui et avec leur seigneur de Normandie, chacun à tant de gens et de compagnie qu'il pourroit avoir. Puis se partirent tous les princes et les barons de deçà et de partout, pour eux appareiller et pour faire leurs pourvéances, ainsi qu'il leur besognoit, pour aller en si lointain pays et en si diverses marches; et bien pensoient qu'ils ne pourroient avenir à leur entente sans grand contraire.

Comment les seigneurs de France se partirent de Paris pour aller en Bretagne, et comment ceux de Chastonceaux se rendirent à eux.

Quand tous ces seigneurs, le duc de Normandie, le comte d'Alençon, le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon et les autres seigneurs, barons et chevaliers qui devoient aller avec messire Charles de Blois pour lui aider à reconquérir la duché de Bretagne, ainsi que vous avez ouï, furent prêts et leurs gens appareillés, ils se partirent de Paris les aucuns et les autres de leurs lieux, et s'en allèrent les uns après les autres, et s'assemblèrent en la cité d'Angiers; puis s'en allèrent jusques à Ancenis, qui est la fin du royaume à ce côté de là; et séjournèrent là endroit trois jours pour mieux ordonner leur conroy et leur charroi. Quand ils eurent ce fait, ils issirent hors pour entrer au pays de Bretagne. Quand ils furent aux champs, ils considérèrent leur pouvoir et estimèrent leur ost à cinq mille armures de fer, sans les Gennevois, qui étoient là trois mille, si comme j'ai ouï recorder; et les conduisoient deux chevaliers de Gennes; si avoit nom l'un messire Othes Dorie [120] et l'autre messire Charles Grimaut; et si y avoit grand plenté de bidaux et d'arbalétriers que conduisoit messire le Gallois de la Baume. Quand toutes ses gens furent issues d'Ancenis, ils se trairent par devant un très-fort châtel séant haut sur une montagne par-dessus une rivière [121], et l'appelle-t-on Chastonceaux, et est la clef et l'entrée de Bretagne; et étoit bien garni et bien fourni de gens d'armes, auquel avoit deux vaillants chevaliers qui en étoient capitaines, dont l'un avoit nom messire Mille et l'autre messire Walran; et étoient de Lorraine.

Quand le duc de Normandie et les autres seigneurs que vous avez ouï nommer, virent le châtel si fort, ils eurent conseil qu'ils l'assiégeroient; car si ils passoient avant et ils laissoient une telle garnison derrière eux, ce leur pourroit tourner à grand dommage et à ennui. Si l'assiégèrent tout autour, et y firent plusieurs assauts, mêmement les Gennevois, qui s'abandonnèrent durement et follement pour eux mieux montrer à ce commencement. Si y perdirent de leurs compagnons par plusieurs fois, car ceux du châtel se défendirent durement et sagement; si que les seigneurs demeurèrent grand pièce devant, ainçois qu'ils le pussent avoir. Mais au dernier, ils firent grand attrait de merriens et de velourdes, et les firent mener par force de gens jusques aux fossés du châtel, et puis firent assaillir trop fortement; si que, tout en assaillant, ils firent emplir ces fossés de ces merriens, tant que on pouvoit bien, qui vouloit et qui étoit couvert, aller jusques aux murs du châtel, combien que ceux du châtel se défendissent si bien et si vassalement que on ne pourroit mieux deviser, comme de traire, de jeter pierres, chaux et feu ardent à grand foison; et ceux de dehors avoient fait chas [122] et instruments par quoi on piquoit les murs, tout à couvert. Que vous en ferois-je long conte? Ceux du châtel virent bien qu'ils n'auroient point de secours et qu'ils ne se pourroient longuement tenir, puisque on pertuisoit les murs; et si savoient bien qu'ils n'auroient point de merci s'ils étoient pris par force. Si eurent conseil ensemble qu'ils se rendroient, sauves leurs vies et leurs membres, ainsi qu'ils firent; et les prirent les seigneurs à merci. Ainsi fut gagné par ces seigneurs françois ce premier châtel, que on appelle Chastonceaux, dont ils eurent moult grand'joie, car il leur sembla que ce fût bon commencement de leur entreprise.

Comment les seigneurs de France assiégèrent Nantes, où le comte Montfort étoit; et là eut maintes escarmouches le siége durant.

Quand le duc de Normandie et les autres seigneurs eurent conquis Chastonceaux, si comme vous avez ouï, le duc de Normandie, qui étoit souverain de tous, le livra tantôt à messire Charles de Blois, comme sien; et y mit dedans bon châtelain et grand foison de gens d'armes pour garder l'entrée du pays et pour conduire ceux qui viendroient après eux. Puis se délogèrent les seigneurs et vinrent par devers Nantes, là où ils tenoient que le comte de Montfort, leur ennemi, étoit. Si leur avint que les maréchaux de l'ost et les coureurs trouvèrent entre voies une bonne ville, et grosse et bien fermée de fossés et de palis: si l'assaillirent fortement. Ceux de dedans étoient peu de gens et petitement armés: si ne se purent défendre contre les assaillants, mêmement contre les arbalétriers gennevois. Si fut tantôt la ville gagnée, toute robée, et bien la moitié arse, et toutes les gens mis à l'épée; et appelle-on la ville Quarquefoue; et siéd à quatre ou à cinq lieues près de Nantes. Les seigneurs se logèrent cette nuit-là entour. L'endemain ils se délogèrent et se trairent vers la cité de Nantes. Si l'assiégèrent tout autour et firent tendre tentes et pavillons si bellement et si ordonnément que vous savez que François savent faire. Et ceux qui étoient dedans pour la garder, dont il y avoit grand foison de gens d'armes avec les bourgeois, si allèrent tous armer, et se maintinrent ce jour moult bellement, chacun à sa defense, ainsi qu'il étoit ordonné. Celui jour entendirent ceux de l'ost à eux loger et aller fourrager; et aucuns bidaux et Gennevois allèrent près des barrières pour escarmoucher et paleter: et aucuns des soudoyers et des jeunes bourgeois issirent hors encontre eux: si que il y eut trait et lancé, et des morts et des navrés d'un côté et d'autre, si comme il y a souvent en telles besognes.

Ainsi eut là des escarmouches par deux ou par trois fois, tant comme l'ost demeura là. Au dernier, il y avint une aventure assez sauvage, ainsi que j'ai ouï recorder à ceux qui y furent; car aucuns des soudoyers de la cité et des bourgeois issirent hors une matinée, à l'aventure, et trouvèrent jusques à quinze chars chargés de vivres et de pourvéances qui s'en alloient vers l'ost; et gens qui les conduisoient jusques à soixante; et ceux de la cité étoient bien deux cents: si leur coururent sus et les déconfirent, et en tuèrent les aucuns et firent les chars charrier pardevers la cité. Le cri et le hu en vint jusques en l'ost: si s'alla chacun armer le plus tôt qu'il put, et courut chacun après les chars pour rescourre la proie; et les aconsuirent assez près des barrières de la cité. Là multiplia le hutin très-durement; car ceux de l'ost y vinrent à si grand foison que les soudoyers en eurent trop grand faix. Toutes voies ils firent dételer les chevaux et les chassèrent dedans la porte, afin que, s'il avenoit que ceux de l'ost obtinssent la place, qu'ils ne pussent r'emmener les chars et les provéances si légèrement. Quand les autres soudoyers de la cité virent le hutin et que leurs compagnons avoient trop grand faix, aucuns issirent dehors pour eux aider: aussi firent des autres bourgeois pour aider leurs parents. Ainsi multiplia très-durement le hutin; et en y eut tout plein de morts et de navrés d'un côté et d'autre, et grand foison de bien défendants et assaillants. Et dura ce hutin moult longuement, car toudis croissoit la force de ceux de l'ost et survenoient toudis nouvelles gens. Tant avint que au dernier messire Hervey de Léon, qui étoit l'un des maîtres conseillers du comte de Montfort et aussi de toute la cité, et qui moult bien s'étoit maintenu et moult avoit réconforté ses gens, quand il vit qu'il étoit point de retraire et qu'ils pouvoient plus perdre à demeurer que gagner, il fit ses gens retraire au mieux qu'il put; et les défendoit en retraiant et garantissoit le mieux qu'il pouvoit. Si leur avint qu'ils furent si près suivis au retraire, qu'il en y eut grand foison de morts, et pris bien deux cents et plus des bourgeois de la cité, dont leurs pères, leurs mères et leurs amis furent durement courroucés et dolents. Aussi fut le comte de Montfort, qui en blâma durement messire Hervey, par courroux de ce qu'il les avoit fait sitôt retraire; et lui sembloit que par le retraire ses gens étoient perdus: de quoi messire Hervey fut durement merencolieux, et ne voulut oncques depuis venir au conseil du comte, si petit non. Si s'émerveilloient durement les gens pour quoi il le faisoit.

Comment les bourgeois de Nantes livrèrent la cité aux seigneurs de France; et comment le comte de Montfort y fut pris et amené à Paris et comment il y mourut.

Or avint, si comme j'ai ouï recorder, que aucuns des bourgeois de la cité qui véoient leurs biens détruire dedans la cité et dehors, et avoient leurs enfants et amis en prison, et doutoient encore pis avenir, s'avisèrent et parlèrent ensemble tant qu'ils eurent entre eux accord de traiter à ces seigneurs de France couvertement, par quoi ils pussent venir à paix et ravoir leurs enfants et leurs amis quittes et délivrés, qui étoient en prison [123]. Si traitèrent si paisiblement et couvertement, que accordé fut: qu'ils rauroient les prisonniers tous quittes, et ils devoient livrer une des portes ouverte, pour les seigneurs entrer en la cité et aller prendre le comte de Montfort dedans le châtel, sans rien forfaire ailleurs en la cité ni à corps ni à biens. Ainsi que accordé et traité fut, fut fait; et entrèrent les seigneurs et ceux qu'ils voulurent avec eux, en une matinée, en la cité de Nantes, par l'accord des bourgeois; et allèrent droit au châtel ou palais. Si brisèrent les huis et prirent le comte de Montfort, et l'enmenèrent hors de la cité à leurs tentes, si paisiblement qu'ils ne forfirent rien aux corps ni aux biens de la cité. Et voulurent bien dire aucunes gens que ce fut fait assez de l'accord et pourchas ou consentement de messire Hervey de Léon, pourtant que le comte l'avait rampsoné, si comme vous avez ouï. Or ne sais-je pas, combien qu'il en fût soupçonné d'aucunes gens, si ce fut voir ou non; mais bien apparut en ce que après ce fait il fut toujours de l'accord et conseil de messire Charles. Ainsi que vous avez ouï et que j'ai ouï recorder, fut pris le comte de Montfort en la cité de Nantes, l'an de grâce mil trois cent quarante-un, entour la Toussaint.

Tantôt après ce que le comte de Montfort fut pris et mené ès tentes, les seigneurs de France entrèrent en la cité tous désarmés, à moult grand'fêtes; et firent les bourgeois et tous ceux du pays d'entour féauté et hommage à messire Charles de Blois, comme à leur droit seigneur. Si demeurèrent les dits seigneurs par l'espace de trois jours en la cité, à grand fête, pour eux aiser et pour avoir conseil entre eux qu'ils pourroient faire de là en avant. Si s'accordèrent à ce pour le meilleur, qu'ils s'en retourneroient pardevers France et pardevers le roi, et lui livreroient le comte de Montfort prisonnier; car ils avoient moult grandement bien exploité, ce leur sembloit. Et pourtant aussi qu'ils ne pouvoient bonnement plus avant hostoyer, ni guerroyer, pour l'hiver, temps qui entré étoit, fors par garnisons et forteresses, ce leur sembloit, si conseillèrent à messire Charles de Blois qu'il se tînt en la cité de Nantes et là entour, jusques au nouvel temps d'été, et fît ce qu'il pourroit par ses soudoyers et par ses forteresses qu'il avoit reconquises; puis se partirent tous les seigneurs sur ce propos, et firent tant par leurs journées qu'ils vinrent à Paris là où le roi étoit, et lui livrèrent le comte de Montfort pour prisonnier. Le roi le reçut à grand joie, et le fit emprisonner en la tour du Louvre à Paris, où il demeura longuement; et au dernier y mourut [124], ainsi que j'ai oy recorder la vérité.

Comment la comtesse de Montfort conforte ses soudoyers, et comment elle mit bonnes garnisons par toutes ses forteresses.

Or veux-je retourner à la comtesse de Montfort, qui bien avoit courage d'homme et cœur de lion, et étoit en la cité de Rennes quand elle entendit que son sire étoit pris, en la manière que vous avez ouï. Si elle en fut dolente et courroucée, ce peut chacun et doit savoir et penser; car elle pensa mieux que on dût mettre son seigneur à mort que en prison. Et combien qu'elle eût grand deuil au cœur, si ne fit-elle mie comme femme déconfortée, mais comme homme fier et hardi, en reconfortant vaillamment ses amis et ses soudoyers; et leur montroit un petit fils qu'elle avoit, qu'on appeloit Jean, ainsi que le père, et leur disoit: «Ha! seigneurs, ne vous déconfortez mie, ni ébahissez pour monseigneur que nous avons perdu; ce n'étoit qu'un seul homme: véez ci mon petit enfant qui sera, si Dieu plaît, son restorier, et qui vous fera des biens assez. Et j'ai de l'avoir en plenté: si vous en donnerai assez, et vous pourchasserai tel capitaine et tel mainbour par qui vous serez tous bien reconfortés.»

Quand la dessus dite comtesse eut ainsi reconforté ses amis et ses soudoyers qui étoient à Rennes, elle alla par toutes ses bonnes villes et forteresses, et menoit son jeune fils avec elle, et les sermonnoit et reconfortoit en telle manière que elle avoit fait de ceux de Rennes; et renforçoit les garnisons de gens et de quant que il leur falloit; et paya largement partout, et donna assez abondamment partout où elle pensoit qu'il étoit bien employé. Puis s'en vint en Hainebon sur la mer, qui étoit forte ville et grosse et fort châtel; et là se tint, et son fils avec li, tout cet hiver. Souvent envoyoit visiter ses garnisons et reconforter ses gens, et payoit moult largement leurs gages. Si me tairai atant de cette matière, et retournerai au roi Édouard d'Angleterre; et conterai quels choses lui avinrent après le département du siége de Tournay.......

Comment les seigneurs de France retournèrent en Bretagne par devers monseigneur Charles de Blois et comment ils assiégèrent la cité de Rennes, que la comtesse de Montfort avoit bien garnie.

Vous devez savoir que quand le duc de Normandie, le duc de Bourgogne, le comte d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Blois, le connétable de France, le comte de Ghines son fils, messire Jacques de Bourbon, messire Louis d'Espaigne, et les comtes et barons de France, se furent partis de Bretagne, qu'ils eurent conquis le fort châtel de Chastonceaux, et puis après la cité de Nantes, et pris le comte de Montfort, et livré au roi Philippe de France, et il l'eut fait mettre en prison au Louvre à Paris, ainsi comme vous avez ouï, et comment messire Charles de Blois étoit demeuré tout coi en la cité de Nantes et au pays d'entour, qui obéissoit à lui, pour attendre la saison d'été, en laquelle il fait meilleur guerroyer qu'il ne fait en la saison d'hiver, et cette douce saison fut revenue, tous ces seigneurs dessus nommés, et grand foison de gens avec eux, s'en rallèrent devers Bretagne à grand puissance, pour aider à messire Charles de Blois à conquérir le remenant de la duché de Bretagne, dont avinrent de grands et merveilleux faits d'armes, ainsi comme vous pourrez ouïr. Quand ils furent venus à Nantes, où ils trouvèrent messire Charles de Blois, ils eurent conseil qu'ils assiégeroient la cité de Rennes. Si issirent de Nantes et allèrent assiéger Rennes tout autour.

La comtesse de Montfort par avant l'avoit si fort garnie et rafraîchie de gens d'armes et de tout ce qu'il afféroit, que rien n'y failloit; et y avoit établi un vaillant chevalier et hardi pour capitaine, qu'on appeloit messire Guillaume Quadudal, gentilhomme durement, du pays de Bretagne. Aussi avoit la dite comtesse mis grands garnisons par toutes les autres cités, châteaux et bonnes villes qui à li obéissoient; et partout bons capitaines, des gentilshommes du pays, qui à li se tenoient et obéissoient, lesquels avoit tous acquis par beau parler, par promettre et par donner, car elle n'y vouloit rien épargner. Desquels l'évêque de Léon, messire Almaury de Cliçon, messire Yvain de Treseguidi, le sire de Landernaux, le châtelain de Guingamp, messire Henry et messire Olivier de Pennefort, messire Geffroy de Malestroit, messire Guillaume de Quadudal, les deux frères de Quintin, messire Geoffroy de Maillechat, messire Robert de Guiche, messire Jean de Kerriec y étoient, et plusieurs autres chevaliers et écuyers que je ne sais mie tous nommer. Aussi en y avoit de l'accord messire Charles de Blois, grand foison, qui à lui se tenoient, avec messire Hervey de Léon, qui fut de premier de l'accord du comte de Montfort et maître de son conseil, jusques à tant que la cité de Nantes fut rendue, et le comte de Montfort pris, ainsi que vous avez ouï. De quoi le dit messire Hervey fut durement blâmé; car on vouloit dire qu'il avait trait les bourgeois à ce et pourchassé la prise du comte de Montfort. Ce apparoît à ce que depuis ce fait ce fut celui qui plus se pénoit de grever la comtesse de Montfort et ses aidans.

Comment les seigneurs de France firent plusieurs assauts devant Rennes; et comment la comtesse de Montfort envoya au roi d'Angleterre querre secours; et sur quelle condition ce fut.

Messire Charles de Blois et les seigneurs dessus nommés sirent assez longuement devant la cité de Rennes et y firent grands dommages et plusieurs assauts par les Espaignols et par les Gennevois; et ceux de dedans se défendirent aussi fortement et vaillamment, par le conseil du seigneur de Quadudal, et si sagement que ceux du dehors y perdirent plus souvent qu'ils n'y gagnèrent. En icelui temps, sitôt que la dite comtesse sçut que ces seigneurs de France étoient venus en Bretagne à si grand puissance, elle envoya messire Almaury de Cliçon en Angleterre parler au roi Édouard et pour prier et requérir secours et aide, par telle condition que le jeune enfant, fils du comte de Montfort et de la dite comtesse, prendroit à femme l'une des jeunes filles du roi d'Angleterre, et s'appelleroit duchesse de Bretagne. Le roi Édouard étoit adonc à Londres, et fêtoit tant qu'il pouvoit le comte de Salebrin, qui tantôt étoit revenu de sa prison. Si fit moult grand fête et honneur à messire Almaury de Cliçon, quand il fut à lui venu; car il étoit moult gentilhomme; et lui octroya toute sa requête assez brièvement, car il y véoit son avantage en deux manières. Car il lui fut avis que c'étoit grand chose et noble de la duché de Bretagne, s'il la pouvoit conquérir; et si étoit la plus belle entrée qu'il pouvoit avoir pour conquérir le royaume de France, à quoi il tendoit. Si commanda à messire Gautier de Mauny qu'il aimoit moult, car moult l'avoit bien servi et loyalement en plusieurs besognes périlleuses, qu'il prît tant de gens d'armes que le dit messire Almaury deviseroit et qu'il lui suffiroit, et s'appareillât le plus tôt qu'il pourroit pour aller aider à la comtesse de Montfort, et prît jusques à trois ou quatre mille archers des meilleurs d'Angleterre. Le dit messire Gautier fit moult volontiers le commandement son seigneur: si s'appareilla le plus tôt qu'il put, et se mit en mer avec ledit messire Almaury. Avec lui allèrent les deux frères de Leyndehale, messire Louis et messire Jean, le Haze de Brabant, messire Hubert de Frenay, messire Alain de Sirehonde et plusieurs autres que je ne sais mie nommer, et avec eux six mille archers. Mais un grand tourment et vent contraire les prit en mer, parquoi il les convint demeurer sur la mer par le terme de soixante jours, ainçois qu'ils pussent venir à Hainebon, où la comtesse de Montfort les attendoit de jour en jour, à grand'mésaise de cœur, pour le grand meschef qu'elle savoit que ses gens soutenoient, qui étoient dedans la cité de Rennes, où vaillamment ils se tenoient.

Comment les bourgeois de Rennes rendirent la cité à monseigneur de Blois.

Or est à savoir que messire Charles de Blois et ces seigneurs de France sirent longuement devant la cité de Rennes, et tant qu'ils y firent très-grand dommage, par quoi les bourgeois en furent durement ennuyés; et volontiers se fussent accordés à rendre la cité, s'ils eussent osé; mais messire Guillaume de Quadudal ne s'y vouloit accorder nullement. Quand les bourgeois et le commun de la cité eurent assez souffert, et qu'ils ne véoient aucun secours de nulle part venir, ils se voulurent rendre; mais le dit messire Guillaume ne s'y voulut accorder. Au dernier, ils prirent le dit messire Guillaume et le mirent en prison; et puis eurent en convenant à messire Charles qu'ils se rendroient l'endemain, par telle condition que tous ceux de la partie de la comtesse de Montfort s'en pouvoient aller sauvement quel part qu'ils voudroient. Le dit messire Charles de Blois leur accorda. Ainsi fut la cité de Rennes rendue à messire Charles de Blois, l'an de grâce mil trois cent quarante-deux, à l'entrée de mai. Et messire Guillaume de Quadudal ne voulut point demeurer de l'accord messire Charles de Blois; ains s'en alla tantôt devers Hainebon, où la comtesse de Montfort étoit, qui fut moult dolente quand elle sçut que la cité de Rennes étoit rendue. Et si n'oyoit aucune nouvelle de messire Almaury de Cliçon ni de sa compagnie.

Comment les seigneurs de France se partirent de Rennes et allèrent assiéger Hainebon, où la comtesse de Montfort étoit.

Quand la cité de Rennes fut rendue, ainsi que vous avez ouï, et les bourgeois eurent fait féauté à messire Charles de Blois, messire Charles eut conseil quel part il pourroit aller atout son ost, pour mieux avant exploiter de conquérir le remenant. Le conseil se tourna à ce que il se traist pardevers Hainebon, où la comtesse étoit; car puisque le sire étoit en prison, s'il pouvoit prendre la ville, le châtel, la comtesse et son fils, il auroit tôt sa guerre affinée. Ainsi fut fait: si se trairent tous vers Hainebon et assiégèrent la ville et le châtel tout autour tant qu'ils purent par terre. La comtesse étoit si bien pourvue de bons chevaliers et d'autres suffisans gens d'armes qu'il convenoit pour défendre la ville et le châtel; et toudis étoit en grand soupçon du secours d'Angleterre qu'elle attendoit; et si n'en oyoit aucunes nouvelles: mais avoit doute que grand meschef ne leur fût avenu, ou par fortune de mer, ou par rencontre d'ennemis.

Avec elle étoit en Hainebon l'évêque de Léon en Bretagne, dont messire Hervey de Léon étoit neveu, qui étoit de la partie messire Charles, et si y étoit messire Yves de Treseguidy, le sire de Landernaux, le châtelain de Guingamp, les deux frères de Kerriec, messire Henry et messire Olivier de Pennefort et plusieurs autres. Quand la comtesse et ces chevaliers entendirent que ces seigneurs de France venoient pour eux assiéger, et qu'ils étoient assez près de là, ils firent commander que on sonnât la ban-cloche, et que chacun s'allât armer et allât à sa défense, ainsi que ordonné étoit. Ainsi fut fait sans contredit. Quand messire Charles de Blois et les seigneurs de France furent approchés de la ville de Hainebon, et ils la virent forte, ils firent leurs gens loger ainsi que pour faire siége. Aucuns jeunes compagnons gennevois, espaignols et françois allèrent jusques aux barrières pour paleter et escarmoucher; et aucuns de ceux de dedans issirent encontre eux, ainsi que on fait souvent en tels besognes. Là eut plusieurs hutins; et perdirent plus les Gennevois qu'ils n'y gagnèrent, ainsi qu'il avient souvent en soi trop follement abandonnant. Quand le vespre approcha, chacun se restraist à sa loge. L'endemain, les seigneurs eurent conseil qu'ils feroient assaillir les barrières fortement, pour voir la contenance de ceux de dedans, et pour voir s'ils y pourroient rien conquêter, ainsi qu'ils firent; car au tiers jour y assaillirent au matin, entour heure de prime, aux barrières très-fort; et ceux de dedans issirent hors, les aucuns les plus suffisans, et se défendirent si vaillamment que ils firent l'assaut durer jusques à heure de nonne, que les assaillants se retrairent un petit arrière, et ils laissèrent foison de morts, et en ramenèrent plenté de blessés. Quand les seigneurs virent leurs gens retraire, ils en furent durement courroucés; si firent recommencer l'assaut plus fort que devant; et aussi ceux de Hainebon s'efforcèrent d'eux très-bien défendre; et la comtesse, qui étoit armée de corps, et étoit montée sur un bon coursier, chevauchoit de rue en rue par la ville, et sémonnoit ses gens de bien défendre, et faisoit les femmes, dames, damoiselles et autres, défaire les chaussées et porter les pierres aux créneaux pour jeter aux ennemis, et faisoit apporter bombardes et pots pleins de chaux vive pour jeter sur les assaillants.

Comment la comtesse de Montfort ardit les tentes des seigneurs de France tandis qu'ils se combattoient aux barrières.

Encore fit cette comtesse de Montfort une très-hardie emprise, qui ne fait mie à oublier, et que on doit bien recorder à hardi et outrageux fait d'armes. La dite comtesse montoit aucune fois en une tour tout haut pour voir mieux comment ses gens se maintenoient. Si regarda, et vit que tous ceux de l'ost, seigneurs et autres, avoient laissé leurs logis et étoient presque tous allés voir l'assaut. Elle s'avisa d'un grand fait, et remonta sur son coursier, ainsi armée comme elle étoit, et fit monter environ trois cents hommes d'armes avec elle à cheval, qui gardoient une porte que on n'assailloit point. Si issit de cette porte à toute sa compagnie, et se férit très-vassalement en ces tentes et en ces logis des seigneurs de France, qui tantôt furent toutes arses, tentes et loges, qui n'étoient gardées fors de garçons et de varlets, qui s'enfuirent sitôt qu'ils virent bouter le feu, et la comtesse et ses gens entrer. Quand ces seigneurs virent leurs logis ardoir et ouïrent le hu et le cri qui en venoit, ils furent tous ébahis, et coururent tous vers leurs logis, criant: «Trahis! trahis!» Et ne demeura adonc nul à l'assaut. Quand la comtesse vit l'ost émouvoir, et gens courir de toutes parts, elle rassembla toutes ses gens et vit bien qu'elle ne pourroit rentrer en la ville sans trop grand dommage: si s'en alla un autre chemin, droit pardevers le châtel de Brest, qui sied à trois lieues près de là [125].

Quand messire Louis d'Espaigne, qui étoit maréchal de tout l'ost, fut venu aux logis qui ardoient, et vit la comtesse et ses gens qui s'en alloient tant qu'ils pouvoient, il se mit à aller après pour les raconsuir s'il eût pu, et grand foison de gens d'armes avec lui; si les enchassa, et fit tant qu'il en tua et meshaigna aucuns, qui étoient mal montés et qui ne pouvoient suivre les bien montés. Toutes voies la dite comtesse chevaucha tant et si bien, qu'elle et la plus grand'partie de ses gens vinrent assez à point au bon châtel de Brest, où elle fut reçue et fêtée à grand joie, de ceux de la ville et du châtel très-grandement. Quand messire Louis d'Espaigne sçut par les prisonniers qu'il avoit pris que c'étoit la comtesse qui tel fait avoit fait et qui échappée lui étoit, il s'en retourna en l'ost, et conta son aventure aux seigneurs et aux autres, qui grand'merveille en eurent. Aussi eurent ceux qui étoient dedans Hainebon; et ne pouvoient penser ni imaginer comment leur dame avoit ce imaginé, ni osé entreprendre; mais ils furent toute la nuit en grand cuisançon de ce que la dame ni nul des compagnons ne revenoit. Si n'en savoient que penser ni que aviser; et ce n'étoit pas grand merveille.

Comment les François assaillirent Hainebon moult asprement, et comment messire Charles de Blois alla assiéger Auroy.

Lendemain les seigneurs de France, qui avoient perdu leurs tentes et leurs pourvéances, eurent conseil qu'ils se logeroient d'arbres et de feuilles plus près de la ville, et qu'ils se maintiendroient plus sagement. Si s'allèrent loger à grand'peine plus près de la ville, et disoient souvent à ceux de la ville ainsi: «Allez, seigneurs, allez querre votre comtesse; certes elle est perdue; vous ne la trouverez mie de pié-çà.» Quand ceux de la ville, gens d'armes et autres, ouïrent telles paroles, ils furent ébahis et eurent grand peur que ce grand meschef ne fût avenu à leur dame; si n'en savoient que croire, pourtant qu'elle ne revenoit point, et n'en oyoient nulles nouvelles. Si demeurèrent en tel peur par l'espace de cinq jours. Et la comtesse qui bien pensoit que ses gens étoient en grand meschef pour li, et en grand doutance, se pourchassa tant qu'elle eut bien cinq cents compagnons armés et bien montés; puis se partit de Brest entour mie-nuit, et s'en vint, à soleil levant, et chevauchant, droit à l'un des côtés de l'ost, et fit ouvrir la porte du châtel de Hainebon, et entra dedans à grand joie et à grand son de trompettes et de nacaires; de quoi l'ost des François fut durement estourmi. Si se firent tous armer et coururent devers la ville pour assaillir; et ceux dedans aux fenêtres pour défendre. Là commença grand assaut et fort, qui dura jusques à haute nonne [126]; et plus y perdirent les assaillants que les défendants. Environ heure de nonne les seigneurs firent cesser l'assaut, car leurs gens se faisoient tuer et navrer sans raison; et retrairent à leur logis. Si eurent conseil et accord que messire Charles de Blois iroit assiéger le châtel d'Auroy, que le roi Artus fit faire et fermer, et iroient avec lui le duc de Bourbon, le comte de Blois son frère, le maréchal de France messire Robert Bertrand, et messire Hervey de Léon, et partie des Gennevois; et messire Louis d'Espaigne, le vicomte de Rohan, et tout le remenant des Gennevois et Espaignols demeureroient devant Hainebon, et manderoient douze grands engins qu'ils avoient laissés à Rennes pour jeter à la ville et au châtel de Hainebon; car ils véoient bien qu'ils ne pouvoient gagner ni rien profiter à l'assaillir. Si que ils firent deux osts; si en demeura l'un devant Hainebon, et l'autre alla assiéger le châtel d'Auroy, qui étoit assez près de là: duquel nous parlerons, et nous souffrirons un petit des autres.

Comment messire Charles de Blois se logea devant Auroy; et comment messire Amaury de Cliçon amena à la comtesse grand secours d'Angleterre.

Messire Charles de Blois se mit devant le châtel d'Auroy à toute sa compagnie, et se logea, et tout son ost environ; et y fit assaillir et escarmoucher, car ceux du châtel étoient bien pourvus et bien garnis de bonnes gens d'armes pour tel siége soutenir. Si ne se voulurent rendre ni laisser le service de la comtesse, qui grands biens leur avoit faits, pour obéir au dit messire Charles, pour promesses. Dedans la forteresse avoit deux cents compagnons aidables, uns et autres, desquels étoient maîtres et capitaines deux chevaliers du pays, vaillants hommes et hardis durement, messire Henry de Pennefort et Olivier, son frère. A quatre lieues près de ce château sied la bonne cité de Vennes, qui fermement se tenoit à la comtesse; et en étoit messire Geoffroy de Malestroit capitaine, gentilhomme et vaillant durement. D'autre part sied la bonne ville de Dignant [127] en Bretagne, qui adonc n'étoit fermée, fors de fossés et de palis: si en étoit capitaine, de par la comtesse, un durement vaillant homme que on appeloit le châtelain de Guingamp: mais il étoit adonc dedans Hainebon avec la comtesse; mais il avoit laissé à Dignant en son hôtel sa femme et ses filles, et avoit laissé capitaine, en lieu de lui, messire Regnault, son fils, vaillant chevalier et hardi durement.

Entre ces deux bonnes villes sied un fort châtel qui se tenoit adonc à messire Charles de Blois, et l'avoit garni de gens d'armes et de soudoyers qui tous étoient Bourguignons. Si en étoit souverain et maître un bon écuyer, assez jeune, que on appelait Girard de Maulain; et avoit avec lui un hardi chevalier, qu'on appeloit messire Pierre Portebeuf. Ces deux avec leurs compagnons honnissoient et gâtoient tout le pays de là entour, et contraignoient si ouniment la cité de Vennes et la bonne ville de Dignant que nulles pourvéances ni marchandises ne pouvoient entrer ni venir, fors en grand péril et en grand aventure; car ils chevauchoient l'un jour pardevers Vennes, l'autre jour par devers Dignant.

Tant chevauchèrent ainsi les dessus dits Bourguignons et leurs routes, que le jeune bachelier, messire Regnault de Guingamp, prit, à un embuchement qu'il avoit établi, le dit Girart de Maulain à toute sa compagnie, qui étoient eux vingt-cinq compagnons, et rescouit jusques à quinze marchands à tout leur avoir qu'ils avoient pris, et les emmenoient pardevers leurs garnisons, qu'on appelle Roche-Périou. Mais le jeune bachelier, messire Regnault de Guingamp, les conquit tous par son sens et par sa prouesse, et les emmena à Dignant tous en prison, dont tout le pays d'entour eut grand joie; et en fut grandement ledit messire Regnault loué et prisé.

Si me tairai un petit à parler des gens de Vennes, de Dignant et de Roche-Périou, et reviendrai à la comtesse de Montfort, qui étoit dedans Hainebon, et à messire Louis d'Espaigne, qui tenoit le siége devant, et avoit si débrisé et si froissé la ville par les engins, que ceux de dedans se commencèrent à ébahir et avoir volonté de faire accord; car ils ne véoient nul secours venir, ni n'en oyoient nouvelles. Dont il avint que l'évêque messire Guy de Léon, qui étoit oncle de messire Hervey de Léon, par qui pourchas et conseil le comte de Montfort avoit été pris, si comme on disoit, dedans la cité de Nantes, parla un jour audit messire Hervey son neveu, sur assurément, par longtemps ensemble d'une chose et d'autres; et tant que le dit évêque devoit pourchasser accord à ses compagnons, pourquoi la ville de Hainebon seroit rendue à messire Charles de Blois; et ledit messire Hervey devoit pourchasser d'autre part que ceux de dedans seroient apaisés envers messire Charles, quittes et délivrés, et ne perdroient rien de leur avoir. Ainsi se départit ce parlement. Le dit évêque entra en la ville pour parler aux autres seigneurs. La comtesse se douta tantôt de mauvais pourchas: si pria à ces seigneurs de Bretagne, pour l'amour de Dieu, qu'ils ne fissent nulle défaute et que elle auroit grand secours dedans trois jours. Mais le dit évêque parla tant et montra tant de raisons à ces seigneurs qu'il les mit en grand effroi cette nuit. L'endemain il recommença, et leur dit tant de raisons d'une et d'autres qu'ils étoient tous de son accord ou assez près. Et jà étoit le dit messire Hervey venu assez près de la ville pour la prendre de leur accord, quand la comtesse qui regardoit aval la mer, par une fenêtre du châtel, commença à crier et à faire grand joie; et disoit tant comme elle pouvoit: «Je vois venir le secours que j'ai tant désiré.» Deux fois le dit. Chacun de la ville courut tantôt, qui mieux mieux, aux fenêtres et aux créneaux des murs pour voir que c'étoit; et virent grand foison de naves, petites et grandes, bien bastillées, venir pardevers Hainebon: dont chacun fut durement reconforté, car bien tenoient que c'étoit messire Almaury de Cliçon qui amenoit ce secours d'Angleterre, dont vous avez par deçà devant ouï parler, qui par soixante jours avoient eu vent contraire sur mer.

Comment l'évêque de Léon se tourna de la partie messire Charles de Blois: et comment messire Gautier de Mauny et ceux de Hainebon abattirent les engins des François qui moult les grevoient.

Quand le châtelain de Guingamp, messire Yves de Treseguidy, messire Galeran de Landerneaux et les autres chevaliers virent ce secours venir, ils dirent à l'évêque qu'il pouvoit bien contremander son parlement; car point n'étoient conseillés de faire ce qu'il leur ennortoit. L'évêque, messire Guy de Léon, en fut durement courroucé, et dit: «Seigneurs, donc départira notre compagnie, car vous demeurerez deçà vers madame, et je m'en irai par delà pardevers celui qui plus grand droit y a, ce me semble.» Lors se partit l'évêque de Hainebon, et défia la dame et tous ses aidans, et s'en alla dénoncer audit messire Hervey et dire la besogne, ainsi comme elle se portoit. Ledit messire Hervey fut durement courroucé: si fit tantôt dresser les plus grands engins qu'ils avoient, au plus près du châtel qu'on put, et commanda que on ne cessât de jeter par jour et par nuit; puis se partit de là. Si emmena son oncle, le dit évêque, à messire Louis d'Espaigne, qui le reçut à bon gré et liement; et aussi fit messire Charles de Blois quand il fut à lui venu. La comtesse fit à liée chère appareiller salles et chambres et hôtels pour herberger aisément ces seigneurs d'Angleterre qui là venoient, et envoya contre eux moult noblement. Quand ils furent venus et descendus, elle-même vint contre eux à grand révérence; et si elle les fêta et gracia grandement, ce n'est pas de merveilles, car elle avoit bien mestier de leur venue, si comme vous avez ouï.

Si en fit adonc, et depuis aussi, tant comme elle en put faire; et les emmena adonc tous, chevaliers et écuyers, au châtel herberger et en la ville à leur aise; et leur donna l'endemain à dîner moult grandement. Toute la nuit ne cessèrent les engins de jeter, ni l'endemain aussi. Quand ce vint après dîner que la dame eut fêté ces seigneurs, messire Gautier de Mauny, qui étoit maître et souverain des Anglois, demanda de l'état de ceux de la ville et de leur convenant, et de ceux de l'ost aussi; puis regarda et dit qu'il avoit grand volonté d'aller abattre ce grand engin, qui si près leur étoit assis et qui si grand ennui leur faisoit; mais que on le voulût suivre. Messire Yves de Treseguidy dit qu'il ne lui en faudroit mie à cette première envaye. Aussi dit le sire de Landerneaux. Adonc s'alla tantôt armer le gentil chevalier messire Gautier de Mauny; aussi firent tous ses compagnons quand ils le sçurent; et aussi firent tous les chevaliers bretons et écuyers qui laiens étoient: puis issirent hors paisiblement par la porte, et firent aller avec eux trois cents archers. Tant allèrent traiant les archers qu'il firent fuir ceux qui gardoient le dit engin; et les gens d'armes qui venoient après les archers en occirent aucuns, et abattirent ce grand engin, et le détaillèrent tout par pièces. Puis coururent de randon jusques aux tentes et aux logis, et boutèrent le feu dedans. Si tuèrent et navrèrent plusieurs de leurs ennemis, ainçois que l'ost fût estourmi; et puis se retrairent bellement arrière. Quand l'ost fut estourmi et armé, ils vinrent accourant après eux comme gens tous forcenés; et quand messire Gautier vit ses gens accourir et estourmir en démenant grands hus et grands cris, il dit tout haut: «Jamais ne sois-je salué de ma chère amie, si je rentre en châtel ni en forteresse jusques à ce que j'aurai l'un de ses venans versé à terre, ou je y serai versé.» Lors se retourna-t-il le glaive au poing, devers ses ennemis: aussi firent les deux frères de Laindehalle, le Haze de Brabant, messire Yves de Treseguidy, messire Galeran de Landerneaux, et plusieurs autres compagnons, et brochèrent aux premiers venans. Si en firent plusieurs verser, les jambes contre mont; aussi en y eut des leurs versés. Là commença un très-fort hutin; car toujours venoient avant ceux de l'ost. Si monteplioit leur effort; par quoi il convenoit les Anglois et les Bretons retraire tout bellement devers leur forteresse. Là put-on voir d'une part et d'autre belles envayes, belles rescousses, beaux faits d'armes et belles prouesses, grand foison. Sur tous les autres le faisoit bien, et en avoit la huée, le gentil chevalier messire Gautier de Mauny; et aussi moult vaillamment s'y maintinrent ses compagnons et s'y combattirent très-bien. Quand ils virent que temps fut de retraire, ils se retrairent bellement et sagement jusques à leurs fossés; et là rendirent estal tous les chevaliers, combattant jusques à tant que leurs gens furent entrés à sauveté. Mais sachez que les autres archers, qui point n'avoient été à abattre les engins, étoient issus de la ville et rangés sur les fossés, et traioient si fortement qu'ils firent tous ceux de l'ost reculer, qui eurent grand foison d'hommes et de chevaux morts et navrés. Quand ceux de l'ost virent que leurs gens étoient en bersail, et qu'ils perdoient sans rien conquêter, ils firent leurs gens retraire à leurs logis; et quand ils furent tous retraits, ceux de la ville se retrairent aussi chacun en son hôtel. Qui adonc vit la comtesse descendre du châtel à grand chère, et baiser messire Gautier de Mauny et ses compagnons les uns après les autres deux ou trois fois, bien put dire que c'étoit une vaillant dame.

Comment messire Louis d'Espaigne se délogea de devant Hainebon; et comment messire Charles de Blois l'envoya à Dignant; et comment il prit le châtel de Conquest.

A l'endemain, messire Louis d'Espaigne appela le vicomte de Rohan, l'évêque de Léon, messire Hervey de Léon, et le maître des Gennevois, pour avoir avis et conseil qu'ils feroient et comment ils se maintiendroient; car ils véoient la ville de Hainebon forte, et le secours qui venu y étoit; mêmement les archers qui tous les déconfisoient; parquoi ils perdoient le temps pour néant, et alenoient à demeurer là, et ne véoient tour ni voie par quoi ils pussent rien conquêter. Si se accordèrent tous à ce qu'ils se délogeroient l'endemain et se trairoient vers le châtel d'Auroy, là où messire Charles de Blois étoit à siége fait, et les autres seigneurs de France. L'endemain bien matin ils défirent leurs logis et se trairent celle part, si comme ordonné étoit. Ceux de la ville firent grand huy après eux, quand ils les virent déloger; et aucuns issirent après eux pour aventure trouver: mais ils furent rechassés arrière, et perdirent de leurs compagnons, ainçois qu'ils pussent être retraits à la ville.

Quand messire Louis d'Espaigne et toute sa charge de gens d'armes furent venus en l'ost messire Charles de Blois, il lui conta la raison pourquoi ils avoient laissé le siége de devant Hainebon. Adonc ordonnèrent-ils entre eux par grand délibération de conseil, que le dit messire Louis et ceux qui étoient venus avec lui iroient assiéger la bonne ville de Dignant, qui n'étoit fermée fors d'eau et de palis. Ainsi demeura la ville de Hainebon en paix une grand pièce, et fut renforcée et rafraîchie moult grandement. Le dit messire Louis s'en alla atout son ost assiéger Dignant. Ainsi qu'il s'en alloit, il passa assez près d'un vieux châtel qu'on appeloit Conquest [128]; et en étoit châtelain, de par la comtesse, un chevalier de Lombardie, bon guerroyeur et hardi, qui s'appeloit messire Mansion, et avoit plusieurs soudoyers avec lui. Quand le dit messire Louis entendit que le châtel étoit de l'accord de la comtesse, si fit traire son ost cette part et assaillir fortement. Ceux de dedans se défendirent si bien que l'assaut dura jusques à la nuit; et se logea l'ost là endroit. L'endemain il fit l'assaut recommencer; les assaillans approchèrent si près des murs qu'ils y firent un grand trou, car les fossés n'étoient mie moult parfons. Si entrèrent dedans par force, et mirent à mort tous ceux du châtel, excepté le chevalier qu'ils prirent prisonnier; et y établirent un autre châtelain bon et sûr, et soixante compagnons avec lui pour garder le châtel. Puis se partit le dit messire Louis, et s'en alla assiéger la bonne ville de Dignant.

La comtesse de Montfort et messire Gautier de Mauny entendirent ces nouvelles, que messire Louis d'Espaigne et son ost étoient arrêtés devant le châtel de Conquest; si appela le dit messire Gautier tous les compagnons soudoyers, et leur dit que ce seroit trop noble aventure pour eux tous, si ils pouvoient dessiéger le dit châtel et déconfire le dit messire Louis et tout son ost; et que oncques si grand honneur n'avint à gens d'armes qu'il leur aviendroit. Tous s'y accordèrent, et partirent l'endemain au matin de Hainebon, et s'en allèrent celle part de si grand volonté que peu en demeura en la ville. Tant chevauchèrent qu'ils vinrent environ nonne au châtel de Conquest; et trouvèrent qu'il avoit été conquis le jour devant, et ceux de dedans tous occis, excepté le chevalier messire Mansion, qui le gardoit; et l'avoient les dits François pourvu et rafraîchi de tous points et de nouvelles gens. Quand messire Gautier de Mauny entendit ce, et que messire Louis étoit allé assiéger la ville de Dignant, il en eut grand deuil, pourtant qu'il ne se pouvoit combattre à lui. Si dit à ses compagnons qu'il ne partiroit de là, si sauroit quels gens il avoit au dit châtel, et comment il avoit été perdu. Si s'appareillèrent lui et ses compagnons pour assaillir le châtel, et montèrent tous chargés contre mont. Quand les Espaignols qui dedans étoient les virent en telle manière venir, ils se défendirent tant qu'ils purent; et ceux de dehors les assaillirent si fortement et tinrent si près de traire qu'ils approchèrent les murs, malgré ceux du châtel, et trouvèrent le trou du mur parquoi ils avoient le jour devant gagné le châtel. Si entrèrent dedans par ce trou même, et tuèrent tous les Espaignols, excepté dix que aucuns chevaliers prirent à mercy. Puis se retrairent les Anglois et les Bretons pardevers Hainebon; car ils ne l'osoient mie grandement éloigner; et laissèrent le châtel de Conquest tout seul et sans garde, car ils virent bien qu'il n'étoit mie à tenir.

Comment ceux de Dignant se rendirent à messire Louis d'Espaigne, et comment il prit la ville de Guerrande; et comment il entra en mer avec partie de ses gens pour aller à l'aventure.

Or, reviendrai-je à messire Louis d'Espaigne, qui fit loger son ost hâtivement tout autour de la ville de Dignant en Bretagne, et fit tantôt faire petits bateaux et nacelles pour assaillir la ville, de toutes parts, par terre et par yaue. Quand les bourgeois de la ville virent ce, et bien savoient que leur ville n'étoit fermée que de palis, ils eurent peur, grands et petits, de perdre corps et avoir: si s'accordèrent communément qu'ils se rendroient, sauf leur corps et leur avoir; ce qu'ils firent le quart jour que l'ost fut venu là, malgré leur capitaine, messire Regnault de Guingant; et le tuèrent en my le marché, pourtant qu'il ne s'y vouloit accorder. Quand messire Louis d'Espaigne eut été en la ville de Dignant par deux jours, et eut pris la féauté des bourgeois, il leur donna pour capitaine celui Girard de Maulain, écuyer, qu'il trouva laiens prisonnier, et messire Pierre Portebœuf avec lui: puis s'en alla atout son ost devers une moult grosse ville séant sur la mer que on appeloit Guerrande, et l'assiégea par terre; et trouva assez près grand foison de naves et vaisseaux pleins de vins que marchands y avoient là menés de Poitou et de la Rochelle pour vendre. Si eurent tantôt vendu les marchands leurs vins, et furent mal payés. Et puis fit le dit messire Louis prendre toutes les naves, et monter gens d'armes dedans, et partie des Espaignols et des Gennevois, et puis fit l'endemain assaillir la ville par terre et par mer, qui ne se put longuement défendre: ains fut assez tôt gagnée par force, et tantôt robée, et mis à l'épée, sans merci, hommes et femmes et enfants; et cinq églises arses et violées, dont messire Louis fut durement courroucé. Si fit tantôt pour ce pendre vingt-quatre de ceux qui ce avoient fait. Là fut gagné grand trésor, si que chacun en eut tant qu'il put porter; car la ville étoit grande, riche et marchande.

Quand cette grosse ville, qui Guerrande étoit appelée, fut ainsi gagnée, robée et exilliée, ils ne sçurent plus avant où aller pour gagner. Si se mit le dit messire Louis en ces vaisseaux qu'il avoit trouvés sur mer en la compagnie de messire Othon Dorie et d'aucuns Gennevois et Espaignols pour aller aucune part, pour aventurer sur la marine; et le vicomte de Rohan, l'évêque de Léon, messire Hervey son neveu, et tous les autres s'en revinrent en l'ost messire Charles de Blois, qui encore séoit devant le châtel d'Auroy. Si trouvèrent grand foison de seigneurs et de chevaliers de France, qui nouvellement étoient là venus; tels que messire Louis de Poitiers comte de Valentine, le comte d'Aucerre, le comte de Porcien, le comte de Joigny, le comte de Boulogne, et plusieurs autres que le roi Philippe y avoit envoyés pour reconforter son neveu; et aucuns y étoient venus de leur volonté, pour venir voir et servir messire Charles de Blois. Et encore n'étoit le fort châtel d'Auroy gagné; mais ceux de dedans étoient si près menés et si oppressés de famine, qu'ils avoient mangé par huit jours tous leurs chevaux; et ne les voulut-on prendre à mercy s'ils ne se rendoient simplement. Quand ils virent que mourir les convenoit, ils issirent hors couvertement par nuit et se mirent en la volonté de Dieu, et passèrent tout parmi l'ost, à l'un des côtés, dont aucuns furent aperçus et tués. Messire Henry de Penefort et messire Olivier son frère et plusieurs autres se sauvèrent et échappèrent par un boschet qui là étoit, et s'en allèrent droit à Hainebon devers la comtesse et les compagnons chevaliers anglois et bretons qui les reçurent liement.

Comment, après la prise d'Auroy, messire Charles de Blois alla assiéger Vennes, laquelle se rendit à lui.

Ainsi reconquit messire Charles de Blois le fort châtel d'Auroy, par affamer ceux qui le gardoient, où il avoit sis par l'espace de dix semaines et plus. Si le fit refaire et rappareiller, et bien garnir de gens d'armes et de toutes pourvéances, et puis s'en partit et alla à tout son ost assiéger la cité de Vennes, dont messire Geffroy de Malestroit étoit capitaine, et se logea tout autour. L'endemain, aucuns compagnons bretons et soudoyers qui gisoient en une ville qu'on appelle Ployermel, issirent hors et se mirent en aventure pour gagner: si vinrent assaillir l'ost messire Charles, et se férirent en l'un des côtés secrètement, mais ils furent enclos, quand l'ost fut estourmi, et perdirent de leurs gens grossement: les autres s'enfuirent, et furent suivis jusques assez près de Ployermel, qui étoit assez près de Vennes. Quand ceux de l'ost qui étoient armés furent revenus de la chasse, ils allèrent, de ce retour même, assaillir la ville de Vennes fortement et roidement, et gagnèrent par force les barrières jusques à la porte de la cité.

Là eut très-fort assaut, et plusieurs morts et navrés d'une part et d'autre, et dura jusques à la nuit. Adonc fut accordé un répit qui devoit durer l'endemain tout le jour, pour les bourgeois conseiller, s'ils se voudroient rendre ou non. L'endemain ils furent si conseillés qu'ils se rendirent, mau-gré messire Geoffroy de Malestroit, leur capitaine; et quand il vit ce, il se mit hors de la cité descongnuement, entrementes qu'on parlementoit, et s'en alla devers Hainebon. Et le parlement se fit ainsi, que messire Charles de Blois et tous les seigneurs de France entrèrent en la cité et prirent la féauté des bourgeois, et se reposèrent en la cité par cinq jours; puis s'en partirent, et allèrent assiéger une autre forte cité, que on appelle Craais. Or lairai à parler un petit d'eux, et retournerai à messire Louis d'Espaigne.

Comment messire Gautier de Mauny et messire Almaury de Cliçon déconfirent messire Louis d'Espaigne et sa route, et gagnèrent tout l'avoir qu'il avoit conquis; et comment il échappa.

Sachez que quand messire Louis d'Espaigne fut monté au port de Guerrande-sur-Mer, il et sa compagnie allèrent tant nageant par mer qu'ils arrivèrent en la Bretagne bretonnante [129], au port de Kemperlé, et assez près de Kemper-Corentin et de Saint-Mathieu-de-Fine-Poterne [130]; et issirent des naves et allèrent ardoir et rober tout le pays; et trouvèrent si grand avoir que merveilles seroit à raconter. Si l'apportoient tout en leurs naves et puis ralloient d'autre part rober; et ne trouvoient nullui qui leur défendît. Quand messire Gautier de Mauny et messire Almaury de Cliçon sçurent les nouvelles de messire Louis d'Espaigne et de ses compagnons, ils eurent conseil qu'ils iroient celle part: puis le découvrirent à messire Yvon de Treseguidy, au châtelain de Guingamp, au seigneur de Landernaux, à messire Guillaume de Quadoudal, aux deux frères de Penefort, et à tous les chevaliers qui là étoient dedans Hainebon, qui tous s'y accordèrent de bonne volonté. Lors se mirent tous en leurs vaisseaux, et prirent trois mille archers avec eux, et ne cessèrent de nager jusques à tant qu'ils vinrent droit au port où les naves messire Louis étoient ancrées. Si entrèrent dedans, et tuèrent tous ceux qui les naves gardoient; et trouvèrent dedans si grand avoir qu'ils s'en émerveillèrent durement, que les Espaignols avoient là dedans apporté: puis se mirent à terre et se mirent en plusieurs lieux à maisons ardoir et villes. Si se partirent en trois batailles, par grand sens, pour plus tôt trouver leurs ennemis, et laissèrent trois cents archers pour garder leur navie et l'avoir qu'ils avoient gagné, puis se mirent à la voye par plusieurs chemins.

Ces nouvelles vinrent à messire Louis d'Espaigne que les Anglois étoient arrivés efforcément et le quéroient: si rassembla toutes ses gens, et se mit au retour devers ses naves, pour entrer dedans. Ainsi qu'il s'en revenoit, tous ceux du pays le poursuivoient, hommes et femmes, qui avoient perdu leur avoir; et il se hâtoit tant qu'il pouvoit. Si encontra l'une des trois batailles, et vit bien que combattre le convenoit: si se mit en bon convenant, car il étoit hardi chevalier et conforté durement, et fit là aucuns chevaliers nouveaux, espécialement un sien neveu, que on appeloit Alphonse. Si se férirent en cette première bataille si roidement qu'ils en ruèrent maint par terre; et eût été tantôt toute déconfite et sans remède, si n'eussent été les deux autres batailles qui y survinrent, par le cri et par le hu qu'ils avoient ouï des gens du pays. Lors commença le hutin à renforcer et les archers si fort à traire que Gennevois et Espaignols furent déconfits et presque tous morts et tués à grand meschef; car ceux du pays, qui les suivoient à bourlets et à piques, y survinrent, qui les partuèrent tous, et rescouoient ce qu'ils pouvoient de leur perte. Si que à grand meschef le dit messire Louis se partit de la bataille, durement navré en plusieurs lieux, et s'en affuit pardevers ses naves tout déconfit, et ne remmena, de bien sept mille hommes qu'il avoit avec lui, plus haut de trois cents, et y laissa mort son neveu, que moult aimoit, messire Alphonse d'Espaigne; dont il étoit en cœur, et fut depuis ce moult destroit et courroucé, mais amender ne le put.

Comment messire Gautier de Mauny poursuivit messire Louis d'Espaigne jusques bien près de Rennes, et comment il assaillit la Roche-Périou.

Quand il fut revenu à ses naves, il cuida entrer dedans; mais il les trouva si bien gardées qu'il ne put entrer dedans; si se mit dans un vaisseau qu'on appelle lique, à grand meschef et en grand'hâte, atout ce de gens qu'il avoit échappés, et se mit fortement à nager. Quand ces chevaliers d'Angleterre et de Bretagne dessus nommés eurent déconfit leurs ennemis, et ils aperçurent que le dit messire Louis s'en étoit parti et allé devers les vaisseaux, ils se mirent tous à aller après lui, tant qu'ils purent, et laissèrent les gens du pays convenir du remenant et eux venger, et reprendre partie de ce qu'on leur avoit robé. Quand ils furent venus à leurs vaisseaux, ils trouvèrent que le dit messire Louis étoit entré en une lique qu'il avoit trouvée, et s'en alloit fuyant tant qu'il pouvoit.

Ils entrèrent tantôt ès plus appareillés vaisseaux qu'ils trouvèrent là, et dressèrent leurs voiles, et nagèrent tant qu'ils purent après le dit messire Louis; car il leur étoit avis qu'ils n'avoient rien fait, si le dit messire Louis leur échappoit. Ils eurent bon vent à souhait, et le véoient toudis nager si fortement qu'ils ne le pouvoient raconsuir. Tant nagèrent à force de bras les marroniers messire Louis, qu'ils vinrent à un port qu'on appelle Redon. Là descendit le dit messire Louis et ceux qui échappés étoient avec lui, et entrèrent en la ville de Redon. Ils ne furent mie grandement arrêtés en la dite ville quand ils ouïrent dire que les Anglois étoient arrivés, et qu'ils descendoient pour eux combattre. Adonc se hâta le dit messire Louis, qui ne se vit mie pareil contre eux, et monta sur petits chevaux qu'il emprunta en la ville; et s'en alla droit vers la cité de Rennes, qui est assez près de là; et montèrent aussi ses gens qui purent recouvrer de chevaux; et qui ne purent, se partirent tout à pied, suivant leur maître. Si en y eut plusieurs de laissés et mal montés r'atteints, qui eurent mal finé quand ils chéirent ès mains de leurs ennemis. Toute fois le dit messire Louis se sauva, et ne le purent les Anglois aconsuir; et s'en vint à petite menée en la cité de Rennes; et les Anglois et les Bretons s'en retournèrent et vinrent à Redon, et là se reposèrent cette nuit.

L'endemain ils se remirent à chemin par mer, pour venir à Hainebon par devers la comtesse leur dame, mais ils eurent vent contraire; si leur convint prendre port trois lieues près de Dignant; puis se mirent à chemin par terre, ainsi qu'ils purent, et gâtèrent le pays d'entour Dignant; et prenoient chevaux tels que chacun purent trouver, l'un à selle, l'autre sans selle, et allèrent tant qu'ils vinrent une nuit assez près de Roche-Périou. Quand ils furent là venus, messire Gautier de Mauny dit à ses compagnons: «Certainement, seigneurs, je irois volontiers assaillir ce fort châtel, si j'avois compagnie, comme travaillé que je sois, pour essayer si nous y pourrions rien conquêter.» Les autres chevaliers répondirent tous: «Sire, allez-y hardiment, nous vous suivrons jusques à la mort.»

Adonc se mirent tous à monter contre mont la montagne, tous prêts et appareillés d'assaillir. A ce point étoit cel écuyer qu'on appeloit Girard de Maulain, comme châtelain, qui avoit été prisonnier à Dignant, si comme vous avez ouï; lequel fit armer appertement toutes ses gens et aller aux guérites et défenses; et ne se mit point derrière, mais vint à toutes ses gens pour défendre le châtel. Là eut un fort assaut, dur et périlleux, et y eut plusieurs chevaliers et écuyers navrés, entre lesquels messire Jean le Bouteiller et messire Mathieu de Fresnay furent durement blessés, et tant qu'il les convint rapporter à val, et mettre gésir ès prés avec les autres navrés.

Comment ceux de Hainebon se partirent de la Roche-Périou et allèrent devant Faouet, un autre fort châtel, pour l'assaillir.

Cil Girard de Maulain avoit un frère, hardi écuyer et conforté durement, que on clamoit Régnier de Maulain, et étoit châtelain d'un autre petit fort que on appeloit Faouet, qui sied à moins d'une lieue près de Roche-Périou. Quand ce Régnier entendit que Bretons et Anglois assailloient son frère, il fit armer de ses compagnons jusques à quarante; si issit hors, et chevaucha par devers Roche-Périou pour aventures, et pour voir s'il pourroit en aucune manière à son frère valoir ni aider. Si lui avint si bien qu'il survint sur ces chevaliers et écuyers navrés et sur leur menée, qui gissoient dessous le châtel en un pré: si leur coururent sus, et prirent les deux chevaliers et les écuyers navrés; et les fit porter et emmener pardevers Faouet en prison, ainsi blessés qu'ils étoient. Aucuns de leur menée s'en affuirent à messire Gautier de Mauny et les autres chevaliers, qui étoient grandement intentifs d'assaillir, et leur dirent l'aventure comment on emmenoit ces chevaliers et écuyers pardevers Faouet en prison, et comment ils avoient été pris. Quand les chevaliers entendirent ces nouvelles, ils furent trop durement courroucés, et firent cesser l'assaut, et se mirent à aller tant qu'ils purent, qui mieux mieux, devers Faouet, pour raconsuir s'ils pussent ceux qui emmenoient ces prisonniers; mais ils ne se purent tant hâter que le dit Régnier de Maulain ne fût jà rentré en son châtel atout ses prisonniers, avant qu'ils fussent venus là. Quand ils furent là venus, l'un devant, l'autre après, ils commencèrent à assaillir, ainsi travaillés qu'ils étoient; mais petit y firent adonc; car le dit Régnier et ses compagnons se défendirent vassalement. Et jà étoit tard, et tous étoient travaillés durement; si eurent conseil qu'ils se logeroient et reposeroient celle nuit pour assaillir l'endemain.

Comment ceux de Hainebon se partirent de Faouet sans rien faire; et comment ils prirent Goy-la-Forêt et tuèrent tous ceux qui dedans étoient.

Girard de Maulain sçut, tantôt que ces seigneurs se furent partis de là, le beau fait que son frère Régnier avoit fait pour lui secourir; si en eut grand joie. Et sçut que ces seigneurs étoient, pour ce, traits devant Faouet, et le conquerroient s'ils pouvoient. Si se appensa qu'il feroit aussi beau service à son frère, s'il pouvoit, comme son frère lui avoit fait: si monta par nuit sur son cheval, et vint un petit devant le jour à Dignant; et fit tant qu'il parla tantôt à messire Pierre Portebeuf, son bon compagnon, qui étoit capitaine et souverain de Dignant avec lui, si comme vous avez ouï, et lui conta l'aventure, et pourquoi il étoit là venu. Si eurent conseil que sitôt que jour seroit il assembleroit tous les bourgeois de la ville, et leur démontreroit la besogne, et les feroit armer s'il pouvoit pour aller desassiéger le châtel de Faouet.

Quand grand jour fut et tous les bourgeois furent assemblés en la halle de la ville, Girard de Maulain leur démontra la besogne si bellement que les bourgeois et les soudoyers furent d'accord d'eux armer, et de partir tantôt, et d'aller où l'on les voudroit mener; et firent sonner le ban-cloche, et s'armèrent toutes gens: puis issirent hors, et se mirent en voie tant qu'ils purent pardevers Faouet; et étoient bien six mille hommes, que uns que autres. Messire Gautier de Mauny et les autres seigneurs le sçurent tantôt par une espie. Si eurent conseil ensemble pour regarder et aviser quelle chose leur seroit bonne à faire; si que, tout considéré, le bien et le mal, ils s'accordèrent à ce qu'ils se partiroient ainsi qu'ils pourroient pardevers Hainebon, car grand meschef leur pourroit avenir s'ils demeuroient longuement là; car si ceux de Dignant leur venoient d'une part, et l'ost messire Charles de Blois et des seigneurs de France d'autre part, ils seroient enclos et tous pris et morts, à la volonté de leurs ennemis. Si s'accordèrent à ce que le meilleur point étoit de laisser leurs compagnons en prison que tout perdre, jusques adonc qu'ils le pourroient amender. Lors se partirent de là et se mirent à voie pour revenir à Hainebon. Ainsi qu'ils revenoient vers Hainebon, ils vinrent passant pardevant un châtel que on appeloit Goy-la-Forêt, qui quinze jours devant étoit rendu à messire Charles de Blois; et l'avoit le dit messire Charles livré à garder à messire Hervey de Léon et à messire Guy de Goy, qui paravant le tenoit; lesquels deux chevaliers n'étoient point laiens quand ces seigneurs bretons et anglois vinrent là passant, mais étoient en l'ost messire Charles, avec les seigneurs de France devant la ville de Craais, qu'ils avoient assiégée. Quand messire Gautier de Mauny vit le château de Goy-la-Forêt, qui étoit merveilleusement fort, il dit à ces seigneurs et chevaliers de Bretagne qui étoient avec lui qu'il n'iroit plus avant et ne se partiroit de là, comme travaillé qu'il fût, si auroit assailli ce fort châtel, et vu le convenant de ceux de dedans. Si commanda tantôt aux archers que chacun le suist, et à ses compagnons aussi; puis prit sa targe à son col, et monta contre mont jusques aux barrières et aux fossés du châtel; et tous les autres Bretons et Anglois le suirent. Lors commencèrent fort à assaillir, et ceux de dedans fortement à eux défendre, combien qu'ils n'eussent pas leur capitaine. Là eut très-fort assaut et grand foison de bien faisans dedans et dehors; et dura jusques à basses vespres; et ce bon chevalier, messire Gautier de Mauny, semonnoit fortement les assaillans, et se mettoit toujours au devant des autres au plus grand péril; et les archers traioient si ouniement que ceux du châtel ne s'osoient montrer, si petit non.

Si firent tant le dit messire Gautier et ses compagnons, que les fossés furent emplis de l'un des côtés d'estrain et de bois, parquoi ils vinrent jusques aux murs et piquèrent tant de grands mails et pics de fer et de marteaux, que le mur fut troué une toise de large: si entrèrent les dits Anglois et Bretons dedans ce châtel par force, et tuèrent tous ceux qu'ils y trouvèrent et se logèrent là endroit. L'endemain ils se mirent à chemin, et allèrent par telle manière qu'ils vinrent à Hainebon. Et d'autre part Girart de Maulain, qui étoit à Dignant venu querir le secours, et qui l'emmenoit devers Faouet exploita tant, avec ceux qu'il emmenoit, qu'ils vinrent à Faouet, et trouvèrent que les Anglois et les Bretons s'en étoient partis. Si issit Régnier de Maulain contre eux, et les reçut liement, puis après dîner s'en retournèrent à Dignant.

Comment la comtesse de Montfort reçut liement messire Gautier de Mauny et ses compagnons; et comment la ville de Craais se rendit à messire Charles de Blois.

Quand la comtesse de Monfort sçut les nouvelles de la revenue des dessus dits Anglois et Bretons, elle en fut grandement réjouie; si alla contre eux, et les fêta liement et baisa et accola chacun de grand cœur; et avoit fait appareiller au châtel pour mieux eux fêter, et donna à dîner moult noblement à tous les chevaliers et écuyers de renom, et leur demanda moult intentivement de leurs aventures, combien qu'elle en sçût jà grand partie. Chacun lui conta ce qu'il en savoit, et des bien faisans ce que chacun en avoit vu. Là endroit furent ramentues maintes prouesses et plusieurs travaux, maint grand fait d'armes et périlleux, et maintes hardies entreprises faites par ceux qui là furent; ce peut et doit savoir chacun qui a été souvent en armes, et les doit-on tenir et réputer pour preux: mais sur tous emportoit la huée et le chapelet [131] messire Gautier de Mauny.

A ce point que ces seigneurs anglois et bretons furent revenus à Hainebon, messire Charles de Blois avoit conquis la bonne cité de Vennes, et avoit assiégé la ville que on appelle Craais. La comtesse de Montfort et messire Gautier de Mauny envoyèrent tantôt grands messages au roi Édouard pour lui signifier comment messire Charles de Blois et les autres seigneurs de France et leurs aidans avoient reconquis les cités de Rennes, Vennes et les autres bonnes villes et châteaux de Bretagne; et qu'ils conquerroient tout le remenant s'il ne les venoit secourir brièvement. Ces messages se partirent de Hainebon, et s'en allèrent en Angleterre tant qu'ils purent, et arrivèrent en Cornuaille, et enquirent et demandèrent là du roi où ils le trouveroient. Si leur fut dit qu'il étoit à Windesore. Si chevauchèrent celle part à grand exploit.

Or nous souffrirons-nous un petit de ces messagers à parler, et retournerons à messire Charles de Blois et à ceux de son côté, qui avoit assiégé la ville de Craais; et tant l'estraignirent et contraignirent par assauts et par engins, qu'ils ne se purent plus tenir et se rendirent à messire Charles de Blois, sauf leurs corps et leur avoir: lequel messire Charles les prit à mercy; et ceux de Craais lui jurèrent féauté et hommage et le reconnurent à seigneur. Si y mit le dit messire Charles nouveaux officiers et un bon chevalier à capitaine; et séjournèrent là les dits seigneurs, pour eux et leurs gens rafraîchir, bien quinze jours. Là en dedans eurent conseil et avis qu'ils se trairoient devant Hainebon.

Comment messire Charles de Blois se partit de Craais et vint mettre le siége devant Hainebon, et comment messire Louis d'Espaigne y vint.

Adonc se partirent les dessus dits seigneurs et chevaliers de France de Craais, et se trairent moult arréement devant la forte ville de Hainebon, qui grandement étoit rafraîchie et renforcée, ravitaillée et pourvue de toute artillerie. Si l'assiégèrent tout autour si avant comme assiéger la purent. Le quatrième jour après que ces seigneurs se furent mis et traits à siége, y vint messire Louis d'Espaigne, qui s'étoit tenu en la cité de Rennes bien six semaines, et là fait curer et médeciner ses plaies. Si le virent tous les seigneurs moult volontiers et le reçurent à grand joie; car il étoit moult honoré et aimé entre eux, et tenu pour très-bon homme d'armes et vaillant chevalier; et tel étoit-il vraiment; et aussi il avoit bien cause qu'ils le fêtassent, car ils ne l'avoient vu puis la bataille dessus dite. La compagnie des seigneurs de France étoit grandement multipliée, et accroissoit tous les jours; car grand'foison de seigneurs de France revenoient de jour en jour du roi d'Espaigne [132], qui faisoit guerre adonc au roi de Grenade et aux Sarrasins: si que quand ils passoient par Poitou, et ils oyoient nouvelles des guerres qui étoient en Bretagne, ils s'en alloient celle part. Le dit messire Charles avoit fait dresser quinze ou seize engins qui jetoient ouniement aux murs de Hainebon et à la ville: mais ceux de dedans n'y accomptoient mie grandement, car ils étoient fort pavaissés et guérités à l'encontre; et venoient aucunes fois aux murs et aux créneaux et les frottoient et passoient de leurs chaperons par dépit, et puis crioient tant qu'ils pouvoient en disant: «Allez, allez requerre et rapporter vos compagnons qui se reposent au champ de Kemperlé.» De quoi messire Louis d'Espaigne et les Gennevois eurent grand yreur et grand dépit.

Comment messire Louis d'Espaigne requit à messire Charles de Blois qu'il lui donnât messire Jean le Bouteiller et messire Hubert du Fresnay pour en faire sa volonté: lequel les lui donna moult ennuis.

Un jour vint le dit messire Louis d'Espaigne en la tente messire Charles de Blois et lui demanda un don, présens grand foison de grands seigneurs de France qui là étoient, en guerdon de tous les services que faits lui avoit. Le dit messire Charles ne savoit mie quel don il vouloit demander; car si il l'eût sçu, jamais ne lui eût accordé; si lui octroya légèrement, pourtant qu'il se sentoit moult tenu à lui. Quand le don lui fut octroyé, messire Louis dit: «Monseigneur, grands mercis. Je vous prie donc et requiers que vous fassiez cy venir tantôt les deux chevaliers qui sont en votre prison à Faouet, dedans le châtel, messire Jean le Bouteiller et messire Hubert de Fresnay, et les me donnez pour faire ma volonté; c'est le don que je vous demande. Ils m'ont chassé, déconfit et navré, et tué messire Alphonse mon neveu, que je tant aimois: si ne m'en sais autrement venger que je leur ferai couper les têtes, pardevant leurs compagnons qui laiens sont enfermés.»

Le dit messire Charles fut tout ébahi quand il ouït messire Louis ainsi parler; si lui dit moult courtoisement: «Certes, sire, les prisonniers vous donnerai-je volontiers, puisque demandés les avez; mais ce seroit grand cruauté et peu d'honneur à vous, et grand blâme pour nous tous, si vous faisiez de deux si vaillans hommes comme ce sont, ainsi comme vous avez dit; et nous seroit ce toujours reproché, et auroient nos ennemis bien cause des nôtres faire ainsi, quand tenir les pourroient; et nous ne savons que avenir nous est de jour en jour: pourquoi, cher sire et beau cousin, vous veuillez mieux aviser.» Messire Louis d'Espaigne répondit, et dit brièvement qu'il n'en seroit autrement si tous les seigneurs du monde l'en prioient: «Et si vous ne me tenez convent, sachez que je me partirai, et ne vous servirai ni aimerai jamais tant que je vive.»

Messire Charles vit bien et aperçut que c'étoit acertes; si n'osa courroucer plus avant le dit messire Louis, ains envoya tantôt certains messages au châtelain de Faouet, pour les dessus dits chevaliers amener en son ost. Ainsi que commandé fut, ainsi fut fait: les deux chevaliers furent amenés un jour assez matin en la tente messire Charles de Blois. Quand messire Louis d'Espaigne les sçut venus, il les alla tantôt voir; aussi firent plusieurs des seigneurs et chevaliers de France qui les sçurent venus. Quand le dit messire Louis les vit, il dit: «Ha! seigneurs chevaliers, vous m'avez blessé du corps et ôté de vie mon cher neveu, que je tant aimois; si convient que votre vie vous soit ôtée aussi; de ce ne vous peut nul garantir. Si, vous pouvez confesser s'il vous plaît et prier mercy à Notre Seigneur, car votre dernier jour est venu.» Les deux chevaliers furent durement ébahis, ce fut bien raison, et dirent qu'ils ne pouvoient croire que vaillans hommes ni gens d'armes dussent faire ni consentir telle cruauté que de mettre à mort chevaliers pris en faits d'armes, pour guerres de seigneurs; et si fait étoit par outrage, autres gens, plusieurs chevaliers et écuyers, le pourroient bien comparer en semblable cas. Les autres seigneurs qui là étoient et oyoient ces paroles en eurent grand pitié, mais pour prières ni pour plusieurs bonnes raisons qu'ils pussent faire ni montrer au dit messire Louis, ils ne le purent ôter de son propos qu'il ne convînt que les dits deux chevaliers ne fussent décolés après dîner: tant étoit le dit messire Louis courroucé et ayré sur eux.

Comment messire Gautier de Mauny et messire Almaury de Cliçon rescouirent les deux dessus dits chevaliers et les emmenèrent à Hainebon.

Toutes les paroles, demandes et réponses qui premiers furent dites entre messire Charles et messire Louis, pour occasion de ces deux chevaliers, sçurent tantôt messire Gautier de Mauny et messire Almaury de Cliçon par espies, qui toujours alloient couvertement d'un ost en l'autre; et aussi sçurent toutes ces paroles dernièrement dites, quand les deux chevaliers furent amenés en la tente messire Charles. Et quand messire Gautier et messire Almaury de Cliçon ouïrent ces nouvelles et entendirent que c'étoit acertes, ils en eurent grand pitié: si appellèrent aucuns de leurs compagnons et leur montrèrent le meschef des deux chevaliers leurs compagnons, pour avoir conseil comment ils se maintiendroient et quelle chose ils pourroient faire: puis commencèrent à penser, l'un çà, l'autre là, et n'en savoient qu'aviser. Au dernier commença à parler le preux chevalier messire Gautier de Mauny, et dit: «Seigneurs compagnons, ce seroit grand honneur pour nous si nous pouvions ces deux chevaliers sauver; et si nous en mettons en peine et en aventure et nous faillissons, si nous en sauroit le roi Édouard notre sire gré: aussi feroient tous prud'hommes qui au temps à venir en pourroient ouïr parler, puisque nous en aurions fait notre pouvoir. Si vous en dirai mon avis, si vous avez volonté de l'entreprendre; car il me semble que on doit bien le corps aventurer, pour les vies de deux si vaillans chevaliers sauver. J'ai avisé, s'il vous plaît, que nous nous armerons et partirons en deux parts, dont l'une des parts istra maintenant que on dînera, par cette porte, et s'en iront les compagnons ranger et montrer sur ces fossés, pour émouvoir l'ost et pour escarmoucher; bien crois que tous ceux de l'ost accourront cette part tantôt: vous, messire Almaury, en serez capitaine, s'il vous plaît, et aurez avec vous mille bons archers pour les survenans détrier et faire reculer; et je prendrai cent de mes compagnons et cinq cents archers, et istrons par celle porterne couvertement, et viendrons par derrière férir en leurs logis que nous trouveront vuis. J'ai bien avec moi tels gens qui savent bien la voie aux tentes messire Charles où les deux chevaliers sont; si me trairai celle part; et je vous promets que je et mes compagnons ferons notre pouvoir d'eux délivrer, et les amènerons à sauveté, s'il plaît à Dieu.»

Ce conseil et avis plut bien à tous; et s'en allèrent armer et appareiller incontinent. Et se partit droit sur l'heure du dîner messire Almaury de Cliçon à trois cents armures de fer et mille archers, et fit ouvrir la maître porte de la ville de Hainebon, dont le chemin alloit droit en l'ost. Si coururent les Anglois et les Bretons, qui à cheval étoient, jusques en l'ost, en demenant grands cris et grands hus; et commencèrent à abattre et renverser tentes et trefs, et à tuer et découper gens où ils les trouvoient. L'ost qui fut tout effrayé se commença à émouvoir, et s'armèrent toutes manières de gens le plus tôt qu'ils purent, et se trairent devers les Anglois et Bretons qui les recueilloient vitement. Là eut dure escarmouche et forte, et maint homme reversé d'un côté et d'autre. Quand messire Almaury de Cliçon vit que l'ost s'émouvoit et que près étoient tous armés et traits sur les champs, il retrait ses gens tout bellement en combattant, jusques devers les barrières de la ville. Adonc s'arrêtèrent-ils là tous cois; et les archers étoient tous rangés sur le chemin d'un côté et d'autre, qui traioient sagettes à pouvoir; et Gennevois retraioient aussi efforcément contre eux. Là commença le hutin grand et fort, et y accoururent tous ceux de l'ost que oncques nul ne demeura, fors les varlets. Entrementes messire Gautier de Mauny et sa route issirent par une poterne couvertement, et vinrent par derrière l'ost ès tentes et logis des seigneurs de France. Oncques ne trouvèrent homme qui leur véast, car tous étoient à l'escarmouche devant les fossés; et s'en vint le dit messire Gautier de Mauny tout droit, car bien avoit qui le menoit, en la tente messire Charles de Blois, et trouva les deux chevaliers, messire Hubert de Fresnay et messire Jean le Bouteiller, qui n'étoient mie à leur aise: mais ils le furent sitôt qu'ils virent messire Gautier et sa route: ce fut bien raison. Si furent tantôt montés sur bons coursiers qu'on leur avoit amenés: si se partirent et furent ainsi rescous; et rentrèrent dedans Hainebon par la poterne même par où ils étoient issus; et vint la comtesse de Montfort contre eux, qui les reçut à grand joie.

Comment le sire de Landernaux et le châtelain de Guingamp furent pris à l'assaut de Hainebon, qui puis se tournèrent de la partie messire Charles de Blois.

Encore se combattirent les Anglois et les Bretons qui étoient devant les barrières et ensonnioient de fait avisé ceux de l'ost, tant que les deux chevaliers fussent rescous, qui jà l'étoient, quand les nouvelles en vinrent aux seigneurs de France qui se tenoient à l'escarmouche, et leur fut dit: «Seigneurs, seigneurs, vous gardez mal vos prisonniers; jà les ont rescous ceux de Hainebon et remis en leur forteresse.»

Quand messire Louis d'Espaigne, qui là étoit à l'assaut, entendit ce, si fut durement courroucé et se tint ainsi que pour déçu, et demanda quel part les Anglois et les Bretons étoient qui rescous les avoient. On lui répondit qu'ils étoient jà presque retraits en leur forteresse et en leur garnison. Dont se retrait messire Louis d'Espaigne vers les logis tout mautalentif, et laissa la bataille, si comme par ennui. Aussi se commencèrent à retraire toutes manières de gens. En ce retrait furent pris deux chevaliers bretons de la partie de la comtesse, qui trop s'avancèrent; ce fut le sire de Landernaux et le châtelain de Guingamp, dont messire Charles de Blois eut grand joie. Depuis que ceux de Hainebon furent retraits, et ceux de l'ost aussi, menèrent grand joie les Anglois et grand revel de leurs deux chevaliers qu'ils avoient, et en louèrent grandement messire Gautier de Mauny, et dirent bien que par son sens et sa hardie entreprise ils avoient été rescous. Ainsi se portèrent eux d'une part et d'autre. Celle même nuit furent en la tente messire Charles de Blois tant prêchés et si bien les deux chevaliers bretons prisonniers, qu'ils se tournèrent de la partie messire Charles de Blois, et lui firent féauté et hommage, et relenquirent la comtesse, qui maint bien leur avoit fait et plusieurs dons donnés: de quoi on parla moult et murmura sur leur affaire dedans la ville de Hainebon.

Trois jours après cette avenue, tous ces seigneurs de France qui là étoient devant Hainebon s'assemblèrent devant la tente messire Charles de Blois, pour avoir conseil qu'ils feroient; car ils véoient bien que la ville et le châtel de Hainebon étoient si forts qu'ils n'étoient mie à gagner, tant avoit dedans bonnes gens d'armes qui moult petit les doutoient, ainsi qu'il étoit apparu; et leur venoient tous les jours pourvéances et vitailles par la mer. D'autre part, le pays d'entour étoit si gâté qu'ils ne savoient mais où aller fourrer; et si leur étoit l'hiver prochain, pourquoi ils ne pouvoient là longuement demeurer: si que, tous ces points considérés, ils s'accordèrent qu'ils se partiroient de là, et conseillèrent en bonne foi à messire Charles de Blois qu'il mît par toutes les cités, les bonnes villes et les forteresses qu'il avoit conquises, bonnes garnisons et fortes, et si vaillans capitaines qu'il se pût fier en leur garde; par quoi ses ennemis ne les pussent reconquérir; et aussi, si aucun vaillant homme se vouloit entremettre de prendre et donner trève jusques à la Pentecôte, qu'il s'y accordât légèrement.

Comment messire Charles se partit de Hainebon et s'en vint à Craais; et comment il prit la ville de Jugon; et comment il eut trêves entre lui et la comtesse; et comment elle s'en alla en Angleterre.

A ce conseil se tinrent tous ceux qui là étoient; car c'étoit entre la Saint-Remy et la Toussaint, l'an de grâce MCCCXLII, que l'hiver approchoit [133]. Si se partirent tous ces seigneurs de l'ost et autres, et s'en ralla chacun en sa contrée; et le dit messire Charles s'en alla droit vers Craais atout ses barons et nobles seigneurs de Bretagne qu'il avoit là de sa partie. Si retint avec lui plusieurs seigneurs et chevaliers de France pour lui aider à conseiller. Quand il fut revenu à Craais, entrementes qu'il entendoit à ordonner de ses besognes et de ses garnisons, il avint que un riche bourgeois et grand marchand, qui étoit de la ville que on appelle Jugon, fut encontré de son maréchal messire Robert de Beaumanoir, et fut pris et amené à Craais devant messire Charles de Blois. Ce bourgeois faisoit toutes les pourvéances de madame la comtesse de Montfort à Jugon et autre part, et étoit moult aimé et cru en la ville de Jugon, qui est moult fortement fermée et sied très noblement. Aussi fait le châtel qui est bel et fort; et étoit de la partie de la comtesse dessus dite; et en étoit châtelain adonc, de par la comtesse, un chevalier moult gentilhomme que on appeloit messire Girard de Rochefort. Ce bourgeois qui ainsi fut pris eut moult grand'paour de mourir; si pria que on le laissât aller par rançon. Messire Charles, brièvement à parler, le fit tant examiner et enquérir d'une chose et d'autre, qu'il enconvenança à rendre et à trahir la forte ville de Jugon; et se fit fort qu'il livreroit l'une des portes par nuit, à certaine heure, car il étoit tant cru en la ville qu'il en gardoit les clefs; et pour ce mieux assurer, il en mit son fils en otage. Et ledit messire Charles lui en devoit et avoit promis à donner cinq cents livres de terre héréditablement. Ce jour vint; les portes furent ouvertes à minuit; messire Charles de Blois et ses gens entrèrent en la ville de Jugon à cette heure, à grand puissance. La guette du châtel s'en aperçut: si commença à crier: «Alarme, alarme! trahi, trahi!» Les bourgeois, qui de ce ne se donnoient garde, se commencèrent à émouvoir; et quand ils virent leur ville perdue, ils se mirent à fuir derrière le châtel par troupeaux; et le bourgeois qui trahis les avoit se mit à fuir par couverture [134] avec eux.

Quand le jour fut venu, messire Charles et ses gens entrèrent ès maisons des bourgeois pour eux herberger, et prirent tout ce qu'ils trouvèrent; et quand messire Charles vit le châtel si fort et si empli de bourgeois, il dit qu'il ne se partiroit de là jusques adonc qu'il auroit le châtel à sa volonté. Le châtelain et les bourgeois aperçurent tantôt que ce bourgeois les avoit trahis: si le prirent et le pendirent tantôt aux créneaux et aux murs du château. Et pour ce ne s'en partirent mie messire Charles et ses gens; mais s'ordonnèrent et appareillèrent fortement et durement. Quand ceux qui dedans le châtel se tenoient virent que messire Charles ne s'en partiroit point ainsi, jusques adonc qu'il auroit le châtel, ainsi qu'il avoit dit, et sentoient qu'ils n'avoient mie pourvéances assez pour eux tenir plus haut de dix jours, ils s'accordèrent à ce qu'ils se rendroient. Si en commencèrent à traiter; et se porta le traité entre eux et messire Charles: qu'ils se rendroient quittement et purement, sauf leurs corps et leurs biens qui demeurés leur étoient; et firent féauté et hommage au dit messire Charles de Blois, et le reconnurent à seigneur, et devinrent tous ses hommes. Ainsi eut messire Charles et le fort châtel et la bonne ville de Jugon, et en fit une bonne garnison, et y laissa messire Girard de Rochefort à capitaine, et la rafraîchit d'autres gens d'armes et de pourvéances.

De ces nouvelles furent la comtesse de Montfort et ceux de sa partie tous courroucés; mais amender ne le purent: si leur convint porter leur ennui. Entrementes que ces choses avinrent, s'ensonnièrent aucuns prud'hommes de Bretagne de parlementer une trève entre le dit messire Charles et ladite comtesse, laquelle s'y accorda légèrement [135]; et aussi firent tous ses aidans, car le roi d'Angleterre leur avoit ainsi mandé par les messages que la dite comtesse et messire Gautier de Mauny y avoient envoyés. Et tantôt que les dites trèves furent affermées, la comtesse se mit en mer, en intention d'arriver en Angleterre, ainsi qu'elle fit, pour parler au roi anglois et lui montrer toutes ses besognes [136].

Froissart, Chroniques.

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