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La corde au cou

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Au moment de mourir en chrétien, comme j'ai vécu, je me dois à moi-même, je dois à Dieu que j'ai offensé et aux hommes que j'ai trompés, de proclamer ce qui est la vérité:

Inspiré par la haine, je me suis rendu coupable d'un faux témoignage exécrable, en disant que l'homme qui a tiré sur moi est monsieur de Boiscoran et que je l'ai reconnu.

»Non seulement je ne l'ai pas reconnu, mais je sais qu'il est innocent, j'en suis sûr, je le jure par tout ce qu'il y a de sacré en ce monde que je vais quitter, et en l'autre, où m'attend le souverain juge.

»Puisse monsieur de Boiscoran me pardonner comme je pardonne moi-même!

»Trivulce de Claudieuse.

—Malheureux homme! murmura maître Folgat. Mais déjà le curé reprenait:

—Vous le voyez, messieurs, monsieur de Claudieuse ne met à sa rétractation aucune condition. Il ne demande rien, sinon que la vérité éclate. Et cependant, je serai l'interprète des derniers désirs d'un mourant, en vous suppliant de ne pas prononcer, dans le nouveau procès, le nom de la comtesse de Claudieuse.

Des larmes brillaient dans tous les yeux.

—Soyez sans inquiétude, monsieur le curé, répondit M. Daubigeon, les derniers vœux de monsieur de Claudieuse seront exaucés. Le nom de la comtesse ne sera pas prononcé, il n'en sera pas besoin. Le secret de sa faute sera religieusement gardé par ceux qui le connaissent.

Il était quatre heures à ce moment.

Une heure plus tard, arrivèrent au tribunal un gendarme et Michel, le fils du métayer de Boiscoran, qui avaient été chargés d'aller vérifier les déclarations de Cocoleu.

Ils rapportaient le fusil dont le misérable s'était servi, et qu'il avait caché dans une tanière qu'il s'était creusée dans les bois de Rochepommier, et où Michel l'avait découvert le lendemain du crime.

Désormais l'innocence de Jacques était plus claire que le jour, et bien qu'il dût rester sous le coup de sa condamnation jusqu'à la réforme du jugement, il fut décidé, le président des assises, M. Domini, et M. Du Lopt de la Gransière s'en mêlant, qu'il serait mis le soir même en liberté provisoire.

À maître Folgat et à maître Magloire revenait l'agréable mission d'annoncer au prisonnier cette heureuse nouvelle.

Ils le trouvèrent marchant comme un fou dans sa cellule, en proie aux plus indicibles angoisses, depuis les mots d'espoir que lui avait, le matin, adressés M. Daubigeon. Oui, il espérait... et cependant, quand il sut qu'il était sauvé, qu'il était libre, il s'affaissa comme une masse sur une chaise, moins fort contre la joie que contre la douleur. Mais on se remet vite de telles émotions. Quelques instants plus tard, Jacques de Boiscoran, donnant le bras à ses défenseurs, sortait de cette prison où il avait, pendant des mois, enduré tout ce que peut souffrir un honnête homme. Effroyable expiation de ce qui, pour tant de gens, est à peine une faute légère.

En arrivant rue de la Rampe:

—On ne vous attend certes pas, dit maître Folgat à son client; ralentissez le pas, tandis que je me présenterai le premier.

Il trouva les parents et les amis de Jacques réunis au salon, dévorés d'anxiété, car ils ignoraient encore ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans les bruits vagues arrivés jusqu'à eux. Avec les plus savantes précautions, le jeune avocat entreprit de les préparer à la vérité; mais Mlle Denise l'interrompit:

—Où est Jacques?

Jacques était à ses genoux, éperdu de reconnaissance et d'amour...

IV

Le lendemain eut lieu l'enterrement du comte de Claudieuse et de la plus jeune de ses filles, et le soir même, la comtesse quittait Sauveterre pour s'établir chez son père, à Paris, où elle ne devait pas tarder à grossir le Clan des révoltées............

 

 

Ainsi que cela devait être, le jugement qui frappait Jacques fut réformé, et Cocoleu, reconnu coupable du crime du Valpinson, était condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Un mois plus tard, Jacques de Boiscoran épousait, à l'église de Bréchy, Mlle Denise de Chandoré. Les témoins du marié étaient maître Magloire et le docteur Seignebos, et ceux de la mariée maître Folgat et M. Daubigeon.

Même l'excellent procureur de la République oublia quelque peu, ce jour-là, la gravité de ses fonctions. Il ne cessait de répéter:

«Nunc est bibendum, nunc pede libero,
Pulsanda tellus...»

Et il but, en effet, et il ouvrit le bal avec la mariée.

M. Galpin-Daveline, envoyé en Afrique, n'assista pas à ces noces. Mais Méchinet y brilla, débarrassé, grâce à Jacques, de tous ses soucis d'argent.

Et, aujourd'hui, les époux Blangin ont presque tout dévoré l'argent qu'ils avaient extorqué à Mlle Denise de Chandoré.

Cheminot, garde particulier de Boiscoran, est la terreur des vagabonds.

Et Goudar, jardinier pépiniériste, vend les plus belles pêches de Paris.

FIN

NOTES:

[1] Pantalon.

[2] Caprice, fantaisie.

[3] Ancêtre des guides Michelin.

[4] Chanter femme sensible: se dit d'une demande qui restera sans résultat.

[5] À l'époque, les conscrits étaient tirés au sort. Les premiers numéros, dans la limite du contingent prévu devaient faire leur service militaire.

[6] Une école: une faute de conduite, une sottise.

[7] Toutes les herbes de la Saint-Jean: tous les moyens nécessaires.


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