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La Panhypocrisiade, ou le spectacle infernal du seizième siècle

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Commandez, monseigneur: les voilà tous en selle.

LES HEURES.

Nous t'amenons, ô Mort, une troupe nouvelle:
Esclaves du destin, ministres de sa loi,
Pourquoi nous soumet-il à ce funeste emploi?
Ah? qu'il nous plairait mieux, riantes, fortunées,
De guider pas à pas d'agréables journées,
De rouler mollement un cercle de plaisirs
Qui des heureux humains charmât tous les loisirs,
Jusqu'au temps où l'ennui de leur vieillesse éteinte
Verrait de jours sans pleurs le doux terme sans crainte!

A peine d'Alençon arrivent les soldats
Aux bords ensanglantés par les premier combats,
Qu'une horrible Déesse au tumulte échappée
Pousse à grands cris vers eux sa voix entrecoupée.

LA PEUR, aux soldats du duc d'Alençon.

Fuyez! tout est perdu! sauvez-vous, malheureux!...
Vos nombreux ennemis sont des Géants affreux...
Ici frappe le sabre et d'estoc et de taille...
Ici la lance brille, et là pleut la mitraille....
Au froid de mes frissons c'est résister assez....
Vos fronts pâles, vos yeux hagards, vos poils dressés,
Vous rendent l'un à l'autre un spectacle effroyable...
Fuyez, fût-ce en enfer! laissez la gloire au diable!
Mais quoi? ne vois-je pas d'Alençon arrivé,
Tout coloré d'orgueil, marchant le nez levé?
De ces fanfarons-là l'audace est passagère:
Son œil flottant trahit son douteux caractère:
Brave, et non courageux, plein de fausse chaleur,
Quand sa fougue le quitte, il reste sans valeur:
Son teint, dès qu'on lui parle, et s'altère et varie;
Et mon souffle imprévu va glacer sa furie.

D'ALENÇON, LA PEUR, ET LA HONTE.

D'ALENÇON, à ses soldats.

Comment, lâches fuyards, la terreur vous abat?
Poltrons, où courez-vous? retournez au combat.

LA PEUR.

Ah, prince! il n'est plus temps!...

D'ALENÇON.

L'honneur, sa loi suprême.
Commande.... Eh quoi, Français? vous fuyez!

LA PEUR.

Fuis toi-même.

D'ALENÇON.

Que fait le roi mon frère?

LA PEUR.

On l'ignore: va, fuis.

D'ALENÇON.

Quoi? les chefs? Quoi? les grands?...

LA PEUR.

Le fer les a détruits:
Allemands, Espagnols, les ont pressés en foule...
Regarde ce désordre et tout le sang qui coule.
Fuis, te dis-je.

LA HONTE.

Toi, fuir! Prince, songe à ton rang.

LA PEUR.

Ne songe plus qu'à vivre, et regarde ce sang!

LA HONTE.

Infâme Peur, tais-toi.

LA PEUR.

Tais-toi, gênante Honte.

LA HONTE.

Mon pouvoir te vaincra.

LA PEUR.

Mon horreur te surmonte.

LA HONTE.

Beau-frère d'un grand roi, n'écoute point la peur!

LA PEUR.

Homme, iras-tu mourir par un orgueil trompeur?

LA HONTE.

A sa fuite aujourd'hui sa dignité s'oppose:
N'est-il pas prince?

LA PEUR.

Eh bien! je le métamorphose.
Tel que devant l'autour fuirait un passereau,
Le prince disparu s'envole en prompt oiseau:
Frémissant de tomber en des serres cruelles,
Le voilà, plein de crainte, emporté par des ailes,
Qui des Alpes franchit la cime en palpitant,
Et déja dans Lyon rentre au nid qui l'attend.

LA HONTE.

Va, je l'y poursuivrai pour son ignominie:
Et là, d'un repentir sa lâcheté punie
Apprendra s'il devait, trop prompt à s'alarmer,
En oiseau fugitif, se laisser transformer.
Là, redevenant homme, un fond de bile noire
Dans son lit agité l'étouffera sans gloire,
Méprisé d'une épouse, inflexible Pallas,
Pour avoir fuit la mort, qu'il n'évitera pas.
Telle est la fin du lâche, abhorré de soi-même.
D'où revient Bonnivet, sanglant, poudreux et blême?
Aux deux flancs de l'armée en vain te montres-tu?
En vain ton fier courage a par-tout combattu,
L'image de Clérice et ta folle imprudence
Ont ruiné ta gloire, et ton prince, et la France.
Vois ces morts entassés, vois tes derniers amis,
Victimes des hasards à qui tu les soumis.
Rougis donc, insensé.... Tu lèves ta visière!
Essaie, essaie encore à souffrir la lumière.

BONNIVET.

Non, non, je l'ai trop vue ... affrontons le vainqueur:
Qu'il connaisse mes traits, et me perce le cœur.
Je dois, sans rechercher ni secours ni retraite,
Sauvant au moins ma gloire, expier ma défaite.
Lansquenets, Castillans, je ris de vos clameurs:
Mourez, ou tuez-moi.... Dieu! j'expire....

LA TRIMOUILLE.

Tu meurs,
Obstiné Bonnivet! ma vieille expérience
Eût mérité peut-être un peu de confiance.
Dans le conseil du roi ta voix m'a repoussé:
Tu te flattais.... ô Dieu! Dieu! quel plomb m'a blessé!
Le sang à gros bouillons coule sur mon visage...
Ici finit pour moi la course d'un long âge!
Ma valeur t'a bravée au déclin de mes ans,
O mort!... tu n'as pas fait dresser mes cheveux blancs...
Quel nouveau coup m'atteint! la force m'est ravie....
Hélas!... adieu, mon roi, ma famille, et la vie!

CASTALDO.

Buzarto, laisse-moi mon noble prisonnier.

BUZARTO.

Castaldo, j'ai tué moi-même son coursier.

CASTALDO.

Français, parle, réponds, qui de nous est ton maître.

LA PALISSE.

De l'ami de Bayard nul de vous ne peut l'être.
Sous mon cheval mourant, dans la poudre tombé,
Dieu seul me désarma, lorsque je succombai.

BUZARTO.

Nul de nous ne l'aura: terminons la querelle.

CASTALDO.

Ah, scélérat!...

BUZARTO.

Du coup vois jaillir sa cervelle.

FRANÇOIS-PREMIER.

O Galéas! ô toi, qui péris le dernier,
De ton roi vainement tu fus le bouclier.
Tu tombes, malheureux! qui pourrait me défendre?..
A me saisir vivant oserait-on prétendre?
D'avance par la mort dépouillé d'attributs,
Roi sans armée, hélas! on ne me connaît plus.
Je n'ai plus d'autre espoir qu'un trépas qui m'honore....
En ce gros d'assaillants tout prêt à fondre encore,
O mon vaillant coursier! jetons-nous tous les deux..
Quoi? m'abandonnes-tu, compagnon belliqueux?

LE COURSIER DU ROI.

Mon maître, n'ai-je pas, secondant ton courage,
Tout le jour, écumé de fatigue et de rage?
Le sang baigne mes flancs, le sang rougit mon frein:
Percé de mille coups sous mon harnois d'airain,
Lassé d'avoir bondi sur les morts et les armes,
Je sens mon feu s'éteindre, et je verse des larmes..
Crains d'être dans ma chûte entraîné sous mon poids.

FRANÇOIS-PREMIER.

D'un dernier serviteur ô merveilleuse voix!

LE COURSIER DU ROI.

Orgueilleux de la main qui daignait me conduire,
Sous la pourpre et sous l'or toujours fier de reluire,
J'espérais, trop superbe, encor plein de vigueur,
Ramener aux Français leur monarque vainqueur,
Et, dans tes beaux haras et tes gras pâturages,
Charmer long-temps les yeux des belles et des pages..
Mais, hélas! c'en est fait! et ma chair et mes os
Resteront sur ces bords, pâture des oiseaux.

FRANÇOIS-PREMIER.

Trop docile animal! te voilà sans haleine,
Parmi tous les humains que ma fortune entraîne!
Que t'importaient mes droits au duché de Milan,
Pour en mourir victime ainsi qu'un courtisan!
Tu fus non moins aveugle en ton obéissance,
Et reçois aujourd'hui la même récompense.
Que puis-je maintenant, sans hommes, ni chevaux?
Mortel qu'on nomme roi, sens le peu que tu vaux!

POMPÉRANT.

Sire, avec vous encor je soutiendrai l'orage.

FRANÇOIS-PREMIER.

Guerrier, dis-moi ton nom, montre-moi ton visage:
Sous ta visière en vain je tâche à découvrir
Quel digne chevalier accourt me secourir.

BOURBON.

Victoire, de la mort parcours l'affreux théâtre!

LANNOY.

Accablons des Français ce reste opiniâtre.

PESQUAIRE.

Ces chevaliers encor tiennent le glaive en main.
Qu'ils se rendent à nous, ou qu'ils tombent soudain.

POMPÉRANT, au roi.

On vient! on fond sur nous!.. je me ferai connaître
A mes derniers efforts pour défendre mon maître.

LA MORT.

Non, cruels ennemis, vous ne l'abattrez pas.
Pour vous exterminer il me prête son bras....
De quelle ardeur sur lui chacun se précipite!
Reste des nobles preux qui formaient son élite,
Frappez ces assaillants accrus de toutes parts,
Et de corps expirés faites-lui des remparts.
Quel carnage!... Vautours, corbeaux, criez de joie,
Venez tous.

LES VAUTOURS, dans les airs.

A la proie!

LES CORBEAUX.

A la proie! à la proie!

SAINT-POL.

Sommes-nous sous le feu de volcans en fureur?

POMPÉRANT.

O jour! en ce moment recules-tu d'horreur?

FRANÇOIS-PREMIER.

Soleil! par ces torrents de fumée épaissie
Ta lumière à jamais serait-elle obscurcie?
Je n'entrevois plus rien qu'aux lueurs des éclairs
Que mes aveugles coups font jaillir dans les airs.
Astre, qui tant de fois éclairas ma vaillance,
Cache, en te dérobant, mes revers à la France!

LE SOLEIL.

Fixe, et tranquille au sein de tout mon univers,
Que je répands d'éclat sur les mondes divers!
Que j'aime à contempler la constante harmonie
Des sphères, traversant l'étendue infinie!
Que mes rayons sont doux à ces globes heureux,
M'empruntant la splendeur qu'ils se rendent entre eux!
Comme en paix dans l'ellipse où leur cours les attire,
De l'espace éternel ils partagent l'empire!
Comme je dois charmer par mes sérénités
Tous les êtres vivants dont ils sont habités!
Dieu! grand Dieu! mon auteur, conserve tes ouvrages.
Il est, il est prédit qu'en des millions d'âges,
Me chassant loin du centre, et rompant mon ressort,
Tu dois soumettre enfin le Soleil à la mort:
Mondes, vous combattrez...! Que deviendra la Terre?
Et toi, Lune, après elle à mes regards si chère?
Ah! la Discorde affreuse, et fille du chaos,
De tous vos éléments troublera le repos,
Si Dieu, dans sa fureur, laissant chacune libre,
Tarde à renouveler leur premier équilibre.

A ces mots d'Hélion, divin astre des jours,
Un applaudissement, redoublé dans son cours,
Du bas fond du parquet monta jusques aux voûtes.
Les Autans, soulevés sur les liquides routes,
Font avec moins de bruit rugir les vastes mers:
Nul volcan n'égala ce fracas des enfers.
Les démons plus qu'humains, hors du point où nous sommes,
Sont mieux saisis du beau que ne le sont les hommes.
D'un coup-d'œil, ce tableau leur faisant mesurer
Tant d'êtres sur la scène offerts à comparer,
Ils se plurent à voir en leurs causes profondes
Nos petits chocs de haine et les grands chocs des mondes;
Et la Mort tour-à-tour frappant de coups pareils
Les chênes, les fourmis, les rois, et les soleils.
La foule des acteurs en ce drame introduite
Du dialogue en vain reprit deux fois la suite:
Mais les chœurs de bravos! toujours plus éclatants,
Tinrent le divin acte interrompu long-temps;
Et l'Envie oublia d'éveiller la colère
Des serpents infernaux qui sifflent au parterre.

LA PANHYPOCRISIADE.
CHANT QUATRIÈME.


SOMMAIRE DU QUATRIÈME CHANT.


François-Premier est fait prisonnier, et rend son épée à Lannoy. On le conduit au camp ennemi avec honneur. Dialogue des soldats qui enterrent les morts et les dépouillent. Clément-Marot, blessé, gémit sur les horreurs de la guerre. Entrevue du roi de France et du connétable de Bourbon. Réflexions de François-Premier dans la solitude. Le théâtre représente l'intérieur d'un château de Madrid. Dialogue de Charles-Quint et de la Politique. Audience qu'il donne aux seigneurs de sa cour et à ses différents ministres. Il reçoit la nouvelle de la victoire de Pavie. Conseils de la Politique.


LA PANHYPOCRISIADE.


CHANT QUATRIEME.


Tel que d'une tempête en un épais feuillage
Un sourd frémissement suit long-temps le passage,
Avant que les oiseaux, dans l'air déja calmé,
Raniment leurs concerts dont le bois est charmé:
Tel aux vives clameurs un bruit léger succède;
L'acte reprend son cours, et le tumulte cède.
Cependant, au mépris de la flamme et du fer,
Le roi des lys, vaincu, semble encor triompher:
Rien ne l'abat: à fuir il ne peut se résoudre.
Son corselet d'argent, noir de sang et de poudre,
Fut reconnu d'un chef qui devançait Lannoy:
Soudain aux assaillants il cria, «C'est le roi!»

LES SOLDATS.

Le roi! lui!... qu'il se rende.

FRANÇOIS-PREMIER.

A Bourbon! à ce traître!

POMPÉRANT.

Je fus non moins perfide, et je cesse de l'être:
Oui, sire, à vos genoux j'implore mon pardon:
Revoyez Pompérant, complice de Bourbon:
Je vins sous cet armet seconder votre épée....
Heureux, pour vous sauver, si ma tête est frappée!
Mais de lutter encor quittez le vain projet.

L'HONNEUR, ET LES MÊMES.

L'HONNEUR.

Roi, te dois-tu remettre aux mains de ton sujet?
L'Honneur, ton seul appui, ta derniere espérance,
T'a prêté dans ce choc une mâle assurance:
Vaincu, je t'ai couvert du sang de tes vainqueurs.
Je te reste; du sort méprise les rigueurs.
Commande que Bourbon t'épargne sa présence,
Et rends ta noble épée à Lannoy qui s'avance,
Et qui, par ton abord lui-même confondu,
De cheval humblement est déja descendu.

LANNOY.

Je me jette à vos pieds, seigneur, et vous supplie
En me rendant ce glaive, effroi de l'Italie,
D'accuser moins Lannoy, qui sait vous respecter,
Que l'injuste destin qui seul put vous dompter.

FRANÇOIS-PREMIER.

Lannoy, recevez-la cette fidèle épée
Qu'au sang de mes rivaux j'ai noblement trempée.

LANNOY.

Prenez, sire, en échange, un glaive que mon bras
N'a rougi qu'à regret du sang de vos soldats.

L'HONNEUR.

D'une auguste pitié source encore inconnue!
Regarde tes vainqueurs, marchant la tête nue,
Te comblant, roi captif, de leurs soins généreux,
Et plaignant ta défaite, et leurs coups trop heureux.
Traîne ton corps blessé parmi leur grand cortège:
N'en rougis point; l'Honneur te suit et te protège.
De ton armure entre eux partage les débris;
Un jour en leurs foyers les braves attendris,
Baisant tes éperons et ton fer teint de rouille,
Montreront à leurs fils ton illustre dépouille.
O Vents fougueux, pourquoi déchirer ces drapeaux,
Que les mains des soldats suspendent en faisceaux,
Seul abri de ce roi sous des torrents de pluie?

LES VENTS.

Nous soufflons un orage, il faut bien qu'il l'essuie.
Libres enfants des airs, les Vents impétueux
Respectent-ils des rois les fronts majestueux?
Sur la terre et les eaux désolant leurs empires,
Nous brisons sans égard leurs dais, et leurs navires.
Que sont-ils sous le ciel?—Mes frères, calmons-nous.
Moins gros de rage enfin, planons d'un vol plus doux;
Le tourbillon s'abaisse; et les foudres roulantes
Se retirent de loin sur les routes sanglantes.
Laissons donc ce cortège entraîner après soi
Les clairons, les tambours, fiers d'escorter un roi.
La nuit vient, l'air gémit: répondons sur ces rives
Aux soupirs des blessés, à leurs clameurs plaintives,
Et rappelons les cœurs des amis, des parents,
Sur les chemins couverts d'infortunés mourants.

UN OFFICIER.

Cachons dans ces fossés les pertes de la guerre.
Tôt, dépouillez ces morts; vîte, qu'on les enterre:
Sur le nez de chacun un peu de sable mis,
Nous ne penserons plus qu'ils furent nos amis;
Et demain, oubliant les fureurs de la veille,
Avec leurs meurtriers nous viderons bouteille.

UN SOLDAT.

Comme ils nagent ensemble en un bain de leur sang!
Colonel si brutal, et si vain de ton rang,
Un coup de sabre a donc, rabattant ton ivresse,
A côté d'un goujat étalé ta noblesse.

DEUXIÈME SOLDAT.

Camarade, je tiens son brillant compagnon:
D'un prince ou d'un évêque était-il le mignon?
La blancheur de sa peau plus douce que l'hermine.....
Qu'aperçois-je? un portrait gardé sur sa poitrine...
Sa maîtresse...! Ah! madame, en votre lit paré
Avait-il ce cœur froid, ce teint décoloré?
Pourquoi souriez-vous sur ce cadavre blême?
Songez-vous qu'en ce lit vous dormirez vous-même...?
Tendre ami, cède-moi médaillon, et bijou!
Un fat n'a pas besoin de briller en ce trou.

TROISIÈME SOLDAT.

Laisse, laisse à l'écart ce jeune capitaine:
Fouillons l'autre; sa poche est d'argent toute pleine!
Cet avare en nos mains va payer son écot.

QUATRIÈME SOLDAT.

Amassait-il pour vivre? il n'est plus: qu'il fut sot!

UN OFFICIER.

Hélas! entre ces morts, hélas! cherchez mon père!

DEUXIÈME OFFICIER.

Ah! déterrez mon fils!

TROISIÈME OFFICIER.

Ah! retrouvez mon frère!

DEUXIÈME OFFICIER.

Sur ces ravins sanglants apportez un flambeau...
Ta mère de ses mains te broda ton manteau,
Tes jeunes sœurs, mon fils, de ton honneur éprises
Tracèrent alentour de touchantes devises....
Avançons.... je frémis.... Ah! ce tronc mutilé...
C'est lui! ciel!... où sa tête a-t-elle donc roulé?
Triste père! ô des ans mensongère promesse!
Vieux, je vis; et tu meurs en ta verte jeunesse.

QUATRIÈME OFFICIER.

Retourne ce grand corps sur le ventre étendu,
Soldat; lave le sang sur ses traits répandu....
Reconnais Castriot à cette noble marque....
Ce coup, que des Français lui porta le monarque,
Fera voler son nom jusque dans l'avenir:
Sous le glaive d'un roi qu'il est beau de finir!
Ce héros n'est pas fait pour engraisser la plaine,
Parmi les os des gueux, pressés à la douzaine:
Les siens iront blanchir sous un tombeau doré,
De la niche d'un saint ornement admiré:
Les passants y liront, ne fût-il en sa vie
Qu'un ivrogne effronté, qu'un brigand, qu'un impie:
«Ci-gît un chevalier plein de foi, sobre, humain,
«Qui, sous Pavie, est mort d'une royale main.»
Quant à ces fantassins, miliciens imberbes,
Leurs corps, fumier des champs, se leveront en gerbes.

UN BLESSÉ.

Ah! que votre pitié termine mes destins!

AUTRE BLESSÉ.

O Dieu! mon flanc ouvert vomit mes intestins.

AUTRE BLESSÉ.

O cuisante douleur de ma plaie embrasée!

AUTRE BLESSÉ.

O perte de ma jambe en ses deux os brisée!

CHIRURGIENS-MAJORS.

Tranchez ces membres-ci,—trépanez ces gens-là.—
Leurs langes sont tout prêts: leurs brancards, les voilà.
Des soins des hôpitaux sommes-nous donc avares!
Sont-ils si malheureux? les rois sont-ils barbares?

UN SOLDAT.

Entre ces buissons, moi, loin de tout envieux,
Dépouillons de ce mort les habits précieux.
Plus brillant qu'un prélat devant une chapelle,
Son cramoisy, brodé d'un fil d'or en dentelle,
Est d'un velours trop beau pour un enterrement:
Riche aubaine! à son doigt reluit un diamant!
Lâche-moi cet anneau... Mordieu! comme il résiste!
Avec un doigt de moins un mort n'est pas plus triste:
Coupons ce doigt soudain; la bague le suivra....
Oh diantre!... il rouvre l'œil.... est-ce qu'il me verra?

SAINT-POL.

Où suis-je?... prête-moi ton secours charitable,
Mon ami! ce bienfait te sera profitable....
Je suis Saint-Pol.

LE SOLDAT.

Saint-Pol! le favori du roi!

SAINT-POL.

Ami, cache mon nom! je me livre à ta foi.
Ote-moi ces joyaux; crains qu'on ne m'emprisonne
Avec tous ces captifs que le vainqueur rançonne.
Va, ta fortune est faite.

LE SOLDAT.

Ah! j'agis pour l'honneur:
Mon seul desir était de sauver monseigneur.

CLÉMENT MAROT.

Toi qui de ce combat augurais un miracle,
Le vainqueur sous ses pieds t'a foulé sans obstacle,
Aveugle Bonnivet, qui, l'esprit à l'envers,
Fis la guerre aussi mal que tu parlas de vers.
Apollon t'a puni de railler ma vaillance:
Que ne vois-tu mon bras blessé par une lance!...
Quel homme dans ce coin entends-je soupirer?
C'est un pauvre sergent, hélas! près d'expirer.
Combien de coups de feu! combien de coups de pique!
Quel diable animait donc ta valeur frénétique?

LE MOURANT.

La gloire de me battre, et l'espoir d'arriver
Dans un poste éminent où je veux m'élever,
L'honneur d'être connu dans le rang des grands hommes.

CLÉMENT-MAROT.

Tu l'as bien acheté: dis comment tu te nommes.

LE MOURANT.

Mon nom.... mon nom....

CLÉMENT-MAROT.

Achève....

LE MOURANT.

Ah! malheureux!... je meurs.

CLÉMENT-MAROT.

Eh bien? qu'auront produit ses vaillantes fureurs?
Il voulait que son nom fût cité dans l'histoire:
Qui le saura? personne. O la trompeuse gloire!
(A des soldats.)
Amis, sur quel objet s'attachent vos regards?

UN SOLDAT.

Voyez.

CLÉMENT-MAROT.

C'est un écu du temps des rois lombards.

LE SOLDAT.

Il brilla sous nos mains qui fossoyaient la terre.

CLÉMENT-MAROT, à soi-même.

Des mots y sont gravés, monument d'une guerre.
Les Goths jadis aux Francs disputaient donc ces lieux
Que disputent nos rois ainsi que leurs aïeux!
Enragés potentats, plus fous que les poëtes,
Quel fruit retirez-vous de vos courtes conquêtes?
Vos palmes, et vos droits, et vos sceptres altiers,
Passent de race en race à d'autres héritiers.
Ne nommez plus amour de l'ordre politique
L'instinct d'inimitié dont l'aiguillon vous pique:
Battez-vous sans orgueil, si vous êtes rivaux,
Comme font les buveurs qu'égarent leurs cerveaux.
A quoi bon, comme vous, plein de fureur brutale,
Ai-je ici respiré l'ivresse martiale?
Pour le plaisir si vain de briguer les honneurs
D'une audace, vertu qu'ont les chiens des veneurs.
Ah! que, souillé de sang, je hais ma frénésie!
Tire-moi de ces lieux, ô douce poésie!
Loin de Mars, apprends-moi l'art de tes favoris,
Apprends-moi les combats dignes des grands esprits,
A détruire l'erreur et sa rage insensée,
A tout vaincre, en luttant par la seule pensée:
Va peindre, en vers discrets, à la sœur de mon roi
Le destin de ce jour, qu'avec horreur je voi.
Dis-lui que, sans l'amour qui m'enchaîne à son frère,
Sur-tout sans notre ardeur à son ame si chère,
Je n'eusse point armé d'un glaive furieux
La main qui touche un luth aimé d'elle et des cieux.
Mais, que vois-je?.... ô Tésin! dans ton urne agitée
Hâte-toi de laver ta robe ensanglantée;
Ne retiens plus ces morts, glacés dans tes roseaux,
Sur le sein frémissant des Nymphes de tes eaux.
Ton courroux s'est vengé, défenseur de Pavie,
Le jour où ta Naïade, à son penchant ravie,
Prisonnière un moment, nous permit d'assiéger
La ville que tes bras aiment à protéger.
Fuyons ces bords, leur deuil, et ma mélancolie!
Tout poëte est, dit-on, enclin à la folie;
Et souvent méconnue en un fils d'Apollon,
Sa sagesse est nommée aveugle déraison.

Aux murs d'une Chartreuse élégamment bâtie,
Assis dans une salle, antique sacristie,
François-Premier reçoit la cour de ses argus,
Espions, affectant des respects assidus.
Son front pâle, mais fier, du sort dément l'outrage:
Ses sujets, compagnons de son triste esclavage,
Considèrent debout, silencieux témoins,
Ceux d'entre ses vainqueurs qui l'offensent le moins.
L'Honneur, qui de son ame est le franc interprète,
L'Honneur, au fier sourcil, à ses côtés s'arrête:
Sur son flanc chatouilleux brille un glaive éclatant,
Dont, au premier appel, son bras s'arme à l'instant.

FRANÇOIS-PREMIER, L'HONNEUR, LANNOY, COURTISANS.

LANNOY.

Sire, les mains de l'art, secourables et sûres,
Ont-elles bien fermé vos nombreuses blessures;
Et les ruisseaux d'un sang à tous si précieux
N'affligeront-ils plus vos sujets et nos yeux?

FRANÇOIS-PREMIER.

De vos soins attentifs mon cœur vous remercie.
Mon sang fournit encor aux sources de ma vie:
Que n'ai-je, l'épuisant en nos jours de combats,
Racheté de ce prix celui de mes soldats!

LANNOY.

Oserai-je de vous implorer une grace?

FRANÇOIS-PREMIER.

Mes vainqueurs, ordonnez ce qu'il faut que je fasse.

LANNOY.

Bourbon à vos regards peut-il se présenter?

FRANÇOIS-PREMIER.

François à vos desirs ne veut pas résister.
Cet asyle de paix me défend toute haine:
Il m'est sacré, Lannoy. Je consens qu'on l'amène.

LA CONSCIENCE, L'HONNEUR, FRANÇOIS-PREMIER, PESQUAIRE, BOURBON, LANNOY, ET LEUR SUITE.

L'HONNEUR, à François-Premier.

Il entre avec Pesquaire ... observe-les tous deux:
L'un est vêtu de deuil, l'autre d'habits pompeux.
L'un semble à son captif déguiser sa victoire,
L'autre à son prince aux fers montre une infâme gloire;
Et leur double maintien signale, en ces rivaux,
Un orgueilleux rebelle, un modeste héros.
Des sentiments divers devant toi les conduisent:
Que des égards divers tous les deux les instruisent
Qu'avec un même accueil, en dépit des revers,
François n'aborde pas le bon et le pervers;
Et que des lâches cours ce vulgaire artifice
Te paraît dégrader ton trône et la justice.

PESQUAIRE.

Sire.....

FRANÇOIS-PREMIER.

Approchez, Pesquaire: hommage à vos lauriers!
Rendons-nous l'accolade en dignes chevaliers.

BOURBON.

Ah! sire.....

FRANÇOIS-PREMIER.

Près de moi, Pesquaire, prenez place.

LA CONSCIENCE, à Bourbon.

Muet pour toi, Pesquaire est le seul qu'il embrasse.

L'HONNEUR.

Conscience, sur lui venge ici mon pouvoir.

LA CONSCIENCE.

Le prince et le sujet souffrent à se revoir:
Une égale rougeur sur leurs visages monte,
Là, d'éclatant courroux, là, de secrète honte.

FRANÇOIS-PREMIER.

Sforce de son duché ne doit plus s'éloigner:
Charles, votre empereur, le laissera régner,
Messieurs? Il m'accusait d'envahir ses domaines:
Il va de ses états lui remettre les rênes;
Et sans doute prouver, en triomphant de moi,
Qu'il n'agit que pour Sforce, et n'agit point pour soi:
Et, qu'heureux de borner ma puissance affaiblie,
Il ne veut pas en maître usurper l'Italie.

BOURBON.

Votre majesté....., sire.....

FRANÇOIS-PREMIER, à Bourbon.

A Pesquaire, à Lannoy,
Je dois rendre justice..... ils ont servi leur roi.

LA CONSCIENCE.

Ce mot perce ton cœur, perfide connétable!

BOURBON.

Mes larmes à vos pieds, sire.....

FRANÇOIS-PREMIER.

Ami trop coupable!
Viens, reviens en mes bras! plus de ressentiment.

LA CONSCIENCE, à Bourbon.

Tout se tait: sa bonté devient ton châtiment...
Courtisans attentifs, terminez cette scène;
Hâtez-vous donc de rompre un cercle qui vous gêne:
Sortez de l'étiquette, où l'œil vous croit glacés,
Pour exhaler le feu de vos cœurs courroucés:
Et, loin des yeux français, que ta victoire outrage,
Toi, Bourbon, va gémir, et va cacher ta rage.

L'HONNEUR, à François-Premier.

Roi malheureux! l'éclat que j'imprime en tes traits
Touchera tes vainqueurs non moins que tes sujets:
A table, ils serviront ta majesté sacrée;
Leur foule avec respect s'est déja retirée.
Soupire seul; et moi, pour excuser tes fers,
Courrier, dans tes états, du bruit de tes revers,
Je vais, de Charles-Quint réprimant l'espérance,
Rallier en mon nom les vertus de la France,
Prévenir des méchants le souffle empoisonneur,
Dire à ta mère: «Il a tout perdu, fors l'honneur:»
Et mes nobles conseils t'illustreront encore
A l'égal de Louis racheté dans Massore.

FRANÇOIS-PREMIER, seul.

Où suis-je? ô désespoir! que vais-je devenir?
En quel abaissement mon sort doit-il finir?
Insolent Charles-Quint! je me dépeins ta joie:
Serpent, dont les replis vont entourer ta proie,
Je ne t'échapperai qu'affaibli, dépouillé,
De tes plus noirs venins peut-être tout souillé:
J'éprouvai ta souplesse et tes lâches morsures,
Plus cruelles pour moi que toutes mes blessures:
Je te connais trop bien, ô monstre enclin au mal!
De quoi triomphes-tu, présomptueux rival?
As-tu marché vers moi pour affronter mes armes!
Non, au sein de Madrid, tes timides alarmes
Sans doute en ce moment, où je suis dans tes fers,
N'attendent que le bruit de tes propres revers.
Que dira néanmoins ta perfide arrogance?
«Tel est le piége où tombe une folle vaillance!
«Valois, et son armée, et ses projets détruits,
«Sont vaincus par les chefs que mon art a conduits:
«Ils m'amènent ce roi dont la fierté me brave;
«Et son propre sujet en a fait mon esclave.»
Va, je saurai punir tes outrageants discours!
A la France rendu, plus fort de ses secours,
Je veux, rentrant au sein de ton triple royaume,
Te disputer bientôt jusqu'à l'abri d'un chaume.....
Mais, captif, désarmé, je menace un vainqueur!
Insensé! quoi! l'orgueil rentre encor dans mon cœur!
Ces derniers jours m'ont vu, noble chef d'une armée
Au milieu de la foule à me suivre animée,
Superbe, et par ma voix dirigeant mille efforts,
Au seul bruit de mes pas effrayer tous ces bords:
Et cette nuit m'entend, noirci d'un chagrin sombre,
Sans cour et sans soldats, soupirer dans son ombre.
Ici, dans l'abandon..... Que dis-je? abandonné!
On surveille tes pas, monarque emprisonné.
Est-ce pour t'obéir qu'une garde attentive
Veille au seuil qui retient ta majesté captive!
Ah! le sort, ternissant l'éclat de mes hauts faits,
En un lieu d'esclavage a changé mon palais!
Et j'ai, comme David, sous la rigueur céleste,
En entrant dans ce temple où l'espoir seul me reste,
Mêlé ma voix, touché d'un saint respect de Dieu,
Aux hymnes que chantaient les prêtres de ce lieu.
Ciel! ô ciel! ô mon peuple! ô Louise, ma mère!
Marguerite, ma sœur, digne d'un autre frère!
O vous! qui condamniez ma belliqueuse ardeur,
Qui me vantiez la paix, utile à ma grandeur,
Vous, chefs de mon conseil, que j'avais cru confondre,
Dans l'opprobre où je suis, qu'aurai-je à vous répondre?
Mais pleurons nos soldats, plus triste objet de deuil!
Quel soin m'occupe ici!... Quoi! toujours mon orgueil!
A l'excuser jamais me sied-il de prétendre?
De son pouvoir enfin cherchons à me défendre:
Regardons, en ces jours flétrissants pour les lys,
Quels rois tombés aux fers sont les moins avilis:
A la loi du vainqueur ne cédons rien d'injuste.
La noble fermeté rend le malheur auguste.
Lassons par ma constance un altier empereur,
Que perdra de ses vœux l'ambitieuse erreur.
Pensons au bien de tous, et non à ma vengeance.
Ciel! aux mains de Louise assure la régence:
Mes sujets à ses lois voudront-ils obéir?
Mon sort leur a donné le droit de la haïr.
Elle arrêta Lautrec dans l'Italie ouverte;
Elle perdit Bourbon, artisan de ma perte:
Moi, d'or et de soldats j'épuisai leur pays.
Quelles mères pour nous feront marcher leurs fils?
Nos amis, nos parents sont morts pour vos querelles,
S'écrîront à-la-fois les traîtres, les rebelles,
Qui, m enviant le sceptre en ma race affermi
Le vendront lâchement à mon fier ennemi.
O du sort qui m'opprime ignominie affreuse!
Des mortels couronnés ô peine rigoureuse!
Leur intérêt émeut tant d'intérêts divers
Que l'affront qui les souille est vu de l'univers.
C'est là sur-tout, c'est là, j'en ai honte en moi-même,
Ce qui de mes douleurs rend l'amertume extrême!
La mort de tant d'amis frappés autour de moi
Semble m'affliger moins que de n'être plus roi.
Même, ah, me croirait-on cet excès de faiblesse!
Je crains mon infamie aux yeux d'une maîtresse......
La peur de ton mépris, en mon sort malheureux,
Belle d'Heilly, se mêle à mes regrets sur eux;
Oui, prompt à me voiler leur perte irréparable,
Mon seul orgueil gémit de sa plaie incurable.
Je sens que, devant tous étouffant mes sanglots,
Ce même orgueil me force au maintien des héros.....
Que suis-je? le martyr, l'esclave d'une gloire,
Néant qu'à nos tombeaux dispute encor l'histoire!
Renom des conquérants! titre des potentats!
Grandeurs! ah! sans l'orgueil, qu'êtes-vous ici bas!

Il dit: on admirait quelles leçons prospères
Le malheur donne aux grands qu'abusent les chimères.
Un revers imprévu confond leur vanité
Mieux que la voix du sage et de la vérité.
Des seuls amis du ciel la raison peu commune,
Dans l'un et l'autre sort, se rit de la fortune.
Le théâtre se change: en un salon bruni,
Orné de bas-reliefs sous un plafond terni,
De Madrid apparaît le prince redoutable:
Là, des siéges dorés entourent une table,
Où sont de vingt pays les dessins crayonnés,
Vague image des camps d'avance examinés;
Chaque trait y rappelle à la mémoire errante
Les bords qui nourriront la guerre dévorante.
Près du fier Charles-Quint, pensif en un fauteuil,
La Politique est là, ministre de l'orgueil,
Sibylle au triple front, vieille comme la terre:
Tantôt aigle, ou colombe, ou lion, ou vipère;
Tantôt femme, et parant sa trompeuse beauté
Du luxe de l'église et de la royauté.
Elle se repaît d'or, boit le sang et les larmes;
Lois, bulles, fer, poison, tour-à-tour sont ses armes:
Mille brillants hochets éclatent dans ses mains,
Magiques talismans pour charmer les humains:
Terrible, ou caressante, en sa noirceur profonde,
Cette fée infernale est la reine du monde.
Elle se plaît à voir son fils idolâtré,
Magnifique empereur, de blazons chamarré:
Elle épuise pour lui ses leçons de souplesse;
Ainsi Momus ravi guide en leurs tours d'adresse
Ces mimes, d'une place effrontés charlatans,
Tout sonnants de grelots, et rayés de rubans.

LA POLITIQUE, CHARLES-QUINT, MERCURE-GATTINAT, AMBASSADEURS, ET COURTISANS.

LA POLITIQUE, à Charles-Quint.

Homme né pour ma gloire et pour la tyrannie,
En qui de Ferdinand j'ai soufflé le génie,
Qui, de la tête aux pieds réglant ton faux maintien,
Te formas pour tromper le Turc et le Chrétien;
Et, mieux que ces larrons que la galère assemble,
Peux mentir à-la-fois en dix langues ensemble,
Regarde bien les gens à qui tu dois parler;
Tes moindres mots redits sont prêts à revoler:
Ton coup-d'œil, ton sourire, et tes graves postures,
Font de tous les cerveaux jaillir les conjectures:
Pénètre donc, soulève, interroge en secret,
Le phlegme taciturne, et le sang indiscret.
Parle à cet orthodoxe en zélé catholique,
A ce luthérien en style évangélique;
Rabats l'homme soldat devant l'homme civil;
Lui, devant le guerrier; et, brouillant chaque fil,
Ris, devant l'orateur, de l'art si lent d'écrire;
Déprise à l'écrivain l'art fougueux de bien dire;
Vante aux muses l'audace, et la règle au pédant:
Et chacun satisfait, bien dupé cependant,
Croyant même avoir lu le fond de tes pensées,
Rebattra ta louange aux oreilles dressées:
Ou du moins tes flatteurs, de ton babil surpris,
Diront qu'en toi le ciel a mis tous les esprits.
Mais crains ce sage obscur dont la vue est subtile.
Et ce médecin prompt à démêler la bile;
Leur savoir a toujours sa balance et ses poids,
Et prise à leur valeur les pâtres et les rois.
Tes basses profondeurs sont pour eux éclaircies;
Et le mince appareil de tes superficies
Leur déguise si mal un misérable fond,
Que sous leurs yeux perçants ton orgueil se confond.

CHARLES-QUINT, à un Légat.

Cardinal, un message envoyé du saint-père
M'annonce qu'incertain du succès de la guerre,
Valois toujours s'efforce à l'attirer vers lui:
Mais à mon zèle pur qu'il garde un saint appui,
Bientôt, libre des soins où m'engage la France,
Des sectes de Jean-Hus j'extirperai l'engeance;
Et, d'une bulle encor s'il veut les foudroyer,
On brûlera Luther comme son devancier.
L'Église, de tout temps première monarchie,
Fut la clé de la voûte en notre hiérarchie:
Les hardis novateurs ne pourront m'ébranler
Jusqu'à laisser sur tous l'édifice crouler:
Je veux que sur la terre il soit dit que mon trône
En devint sous le ciel la plus ferme colonne.
L'ame d'un empereur n'a point ces sots mépris
Que pour la cour de Rome ont quelques bas esprits.

LE LÉGAT.

De votre majesté l'ardent catholicisme
Vous rend bien cher au pape, et bien terrible au schisme.
Ma cour saura le but de vos secrets desseins.

CHARLES-QUINT, à George Spalatin.

Les évêques, monsieur, vont donc être des saints,
Si Frédéric, en Saxe, accueillant la réforme,
Veut qu'ils tiennent au fond ce que promet la forme!
Mon nœud avec le pape, ennemi des Français,
Rend pour votre électeur mes penchants plus secrets:
Mais l'Église jadis, république première,
Soumit à d'humbles lois l'héritier de saint Pierre;
Et le pape, en effet, semble un fils de Satan,
Quand des biens de l'empire il dispose en tyran.
De la sainte cité foudres spirituelles,
Leurs bulles, en troublant les villes temporelles,
Doivent en nos états se faire dédaigner
Des princes clairvoyants et jaloux de régner.
Un jour, ce secret-là, qu'on se dit à l'oreille,
Se dira haut.

SPALATIN.

Grand roi, c'est penser à merveille.

CHARLES-QUINT, à Muncer, anabaptiste.

Monsieur, n'outrez-vous pas les dogmes de Luther?

MUNCER.

Nemrod à l'homme libre a mis un joug de fer:
Le Dieu mourant s'explique en parabole obscure
S'il ne vint racheter notre égalité pure.

LA POLITIQUE, à Charles-Quint.

Cet apôtre est farouche, et sent un peu la hart:
Croyant rendre à César ce qu'on doit à César,
Pour les biens en commun sa charité divine
Brûle de te plonger un fer dans la poitrine.

CHARLES-QUINT.

Il peut de mes rivaux soulever les états.

LA POLITIQUE, à Charles-Quint.

Flatte donc son avis; mais parle-lui bien bas.

CHARLES-QUINT, à l'anabaptiste.

Les hommes sont égaux pour la philosophie:
Mais de quelque ascendant qu'un chef se glorifie,
Quel moyen de fonder leur niveau solennel?
C'est pour le genre humain un problême éternel.

MUNCER.

Dieu saura le résoudre.

CHARLES-QUINT, à l'anabaptiste.

Ah! qu'il daigne le faire!

MUNCER.

Vos desirs sont d'un prince au-dessus du vulgaire.

CHARLES-QUINT, aux grands d'Espagne.

Vainqueurs du nouveau monde, est-il rien de plus doux
Que de vivre et régner dans Madrid et sur vous?

LA POLITIQUE, à Charles-Quint.

De leur orgueil flatté leur sourire est le gage:
A tes peuples du nord tiens un pareil langage.

CHARLES-QUINT, aux envoyés d'Allemagne et des Pays-Bas.

Dites, nobles vassaux, à tous vos souverains
Que mes plus chers sujets sont Flamands et Germains.

LA POLITIQUE, à Charles-Quint.

De ces barons épais vois la reconnaissance
Peinte en leur large face émue en ta présence:
L'Allemand est muet par lente pesanteur,
Non moins que l'Espagnol par sa grave hauteur.

CHARLES-QUINT, à l'un de ses hommes d'armes.

Bientôt, mon général, les fous anabaptistes,
Les vains luthériens, les crédules papistes,
Se tairont, grace à vous; ou bien, de vos canons
La bouche leur dira mes dernières raisons.
Ils n'ont point d'arguments contre cette éloquence.

LE GUERRIER.

Le fer n'a jamais tort.

CHARLES-QUINT, à Pintianus.

Colonne de science,
Docte mortel, plaignez mon illustre métier.
Entouré de soldats, peuple dur et grossier,
Je vis loin du flambeau dont la clarté vous guide.
Savent-ils qu'un Milon est moins fort qu'un Euclide?
Nos artilleurs brutaux ignorent très-souvent
Que s'enflamma leur poudre au cerveau d'un savant,
Et que Colomb obtint de l'étude profonde
La révélation d'une moitié du monde.
Sous le toit d'un grenier, tel, par d'heureux secrets,
A mu tout l'univers mieux qu'un roi sous le dais.

LE SAVANT.

Les grands princes toujours ont de hautes maximes.

CHARLES-QUINT, à Titien.

Titien, mon Apelle, à vos pinceaux sublimes
Je me veux confier pour vivre aux yeux surpris
En d'aimables tableaux, riches de coloris.
Sciences, qu'êtes-vous près des arts et des muses!
Poésie ou peinture, est-ce que tu m'abuses?
Les êtres que tu feins, idéales beautés,
Ont un pouvoir réel sur les cœurs enchantés.
Tu fixes à nos yeux les choses passagères:
Les froids calculateurs ignorent tes mystères,
Et comment Michel-Ange, et comment Raphaël
Au héros qui n'est plus rend un corps immortel.
Dans les temps à jamais nos chars et nos visages
Se perdraient, sans votre art qui marque leurs passages;
Et, comme vos portraits, nos grandes passions,
Tableaux pour l'avenir, ne sont qu'illusions.
(à Horta.)
Eh bien! mon Esculape, en mes travaux sans terme
Vos avis m'ont rendu le corps, l'esprit plus ferme:
Jour et nuit quelquefois j'en soutiens l'action.

LE MÉDECIN.

Tout homme est tel qu'il est par sa complexion;
Et j'ai vu, fatigués en leurs veilles cruelles,
De malheureux courriers, de pauvres sentinelles,
Surpasser les travaux dans les cours si vantés,
Et par ces durs labeurs affermir leurs santés.

CHARLES-QUINT, à son chancelier.

Mercure, notre argent plaît-il au docte Érasme?

MERCURE-GATTINAT.

Pour sa folle équité trop plein d'enthousiasme,
Il craint de l'empereur les généreux présents,
Et tremble de tenir au joug des courtisans.

CHARLES-QUINT, au même.

Ces philosophes-là, qu'entravent leurs scrupules,
Ont pour leur liberté des respects ridicules.
L'indigent orgueilleux se sent par-tout lier:
Qu'ils sont dupes et sots! Parlez, mon chancelier;
Il serait bon qu'on sût que la seule opulence
A vous et vos amis promet l'indépendance.

LA POLITIQUE.

Poursuis, ô Charles-Quint! mets ton baume à haut prix;
Les hommes te croiront, hors quelques fiers esprits.

CHARLES-QUINT.

Qu'entends-je?... on marche, on ouvre.....

LA POLITIQUE.

On accourt te remettre
De ton camp sous Pavie une importante lettre.....
Prends garde en la lisant: romps ce cachet au loin,
Ou cèle tes transports contenus avec soin.

CHARLES-QUINT, à soi-même.

Vient-on me confirmer le bruit que je redoute?...
M'annonce-t-on des miens la fatale déroute?
Si le roi des Français, nouveau duc de Milan,
Joint encor des lauriers à ceux de Marignan,
De tous mes alliés j'ai prévu la retraite,
Et sur quel plan la paix commande que je traite.....
Qu'ai-je lu?.. qui?.. François dans mes mains prisonnier!
Fortune, je serai maître du monde entier!

LA POLITIQUE.

Silence, homme profond! que ton cœur se reploie;
Un mal aigu surprend moins qu'une vive joie.
De ton sein agité le prompt soulèvement
Troublerait ton maintien: reste sans mouvement.
De ton esprit calmé promène la lumière
Sur le tableau changeant qu'offre l'Europe entière:
Pèse ton gain immense, et ce que tu perdras,
Et débrouille du temps les futurs embarras.
Valois est dans tes fers: le sort qui le ravale,
De l'Autriche soumet l'éternelle rivale;
Et la France, long-temps sans monarque et sans or,
Ne peut plus de ton aigle interrompre l'essor.
Ton poids attirera la flottante Venise,
La mobile Italie, et le chef de l'Église.
Sforce, dont j'affectais de venger la maison,
Languira dans ta cour qui sera sa prison.
L'infidèle sujet, qui, rêvant son royaume,
De ta haute faveur a servi le fantôme,
Bourbon, déshonoré, dépouillé de ses droits,
Saura qu'on est puni quand on trahit ses rois.
Seule entre l'Italie, et l'Autriche, et la France,
L'Helvétie est en vain rebelle à ta puissance;
Et tes dons à ses yeux n'ayant que trop d'appas,
Ses villes te vendront son sang et leurs sénats.
Par le sombre Henri faiblement gouvernée,
Qu'importe l'Angleterre, en ses mers confinée!
Triomphe! Il est donc vrai, qu'arbitre souverain
Ton œil au loin parcourt un horizon serein!
Mais crains que ton orgueil, soudain portant ombrage,
Par ses folles vapeurs n'élève quelque orage,
Que les princes, jaloux de tes sceptres nombreux,
Loin de fléchir sous toi ne se liguent entre eux;
Et qu'envers ton captif une rigueur hautaine
N'éveille dans les cœurs la pitié de sa chaîne.
Qu'un souffle heureux du sort n'enfle pas ta fierté,
Et parais au-dessus de ta prospérité.
Que feras-tu du roi que le destin te livre?...
Ton sang bouillonne encor..... l'allégresse t'enivre.....
Tiens tes projets, tes vœux, tes ordres suspendus.
Laisse au temps démêler tes desirs confondus:
Laisse les intérêts pour tous les diadêmes
Signaler les partis, et se trahir eux-mêmes.
La joie ou la fureur, dont les sens sont ravis,
En leurs premiers transports donnent de faux avis.
Tel qu'au milieu des mers, sous des cieux sans étoiles,
Long-temps dans la tempête ayant ployé ses voiles,
Un nocher, pour les rendre à des vents assurés,
Attend que devant lui les airs soient épurés;
Ote à l'émotion en ton ame produite
Le dangereux pouvoir d'égarer ta conduite.

TITIEN, à soi-même.

Son corps d'une statue a l'immobilité;
Mais un trouble dément sa froide gravité.
Je pourrai, sur ma toile imprimant ce visage,
Des contraintes des rois peindre une sombre image.
Charles-Quint ne sait pas qu'avec des yeux perçants
Notre art lit dans son cœur mieux que ses courtisans.

CHARLES-QUINT, à la cour qui l'environne.

Votre empereur, Messieurs, reçoit une nouvelle
Qui pour nous à-la-fois est heureuse et cruelle.
L'illustre roi des lys, François, a succombé:
Même, ce fier vainqueur dans mes fers est tombé.
Proclamez nos succès en tout mon vaste empire;
Mais des transports du peuple arrêtez le délire.
Votre maître affligé ne saurait comme un bien
Regarder le malheur du plus grand chef chrétien.
Point de feux allumés ni de fêtes publiques.
Qu'on fasse ouvrir le temple; et, par de saints cantiques,
Rendons graces au Dieu, seul monarque éternel,
Qui nous signale à tous dans ce jour solennel
Que sa main, disposant de nos grandeurs suprêmes,
A son gré donne, enlève, et rend les diadêmes.

Il dit, rêvant ses coups sur son vaste échiquier,
Comme un joueur pensif, qui, l'œil sur son damier,
Calcule ses pions et les marches soudaines
Où se perdent les fous, et les rois, et les reines.

LA PANHYPOCRISIADE.
CHANT CINQUIÈME.


SOMMAIRE DU CINQUIÈME CHANT.


Épouvante et révolte de la ville de Paris au bruit de la défaite du roi. Dialogue de Paris et du Parlement. Soirée de la cour transportée à Lyon. Assemblée des notables tenue en cette ville; discours de la régente Louise, du président de Selve, et du chancelier Duprat: édit somptuaire. Entretien d'un sage et d'un courtisan aux environs du port de Gênes, et leur scène avec un pauvre pêcheur.


LA PANHYPOCRISIADE


CHANT CINQUIÈME.


Madrid a disparu: les spectateurs surpris
Aux bords d'une rivière aperçoivent Paris;
Paris, qui de Lutèce est l'éclatante fille:
Au crystal de la Seine elle se mire et brille.
Fières des ornements à son peuple si chers,
Le front coiffé de tours, de dômes, de clochers,
A grand bruit s'agitant, elle frappa la vue
Des démons infernaux dont elle est si connue.
Alors, nouvelle Hécate, au coin des carrefours,
Elle appelait ses fils, du centre et des faubourgs.

PARIS.

Enfants! cette nouvelle, ô ciel! est-elle vraie?
A-t-on vu le courrier? est-ce à tort qu'on m'effraie?
Notre armée est battue, et le roi même est pris....!
Ah! l'on répand cela pour exciter mes cris!
Sans cesse des braillards, que l'étranger soudoie,
Trompettes de malheur, viennent troubler ma joie.
Tous mes bons citadins, qu'on prend pour des badauds,
Devraient les faire taire et leur tourner le dos.
Viens-çà, toi! sers un peu d'exemple à la canaille.....
Que la main du bourreau l'étrille, le tenaille.....
La corde à ces coquins, et la roue, et le feu!
Ces bruits, où sont-ils nés? dans les antres du jeu,
Aux cabarets, du vice immondes habitacles,
Des oisifs et des sots dangereux réceptacles;
Là, l'esprit cuve un feu d'enivrante liqueur;
Là, des vieillards chagrins fermente encor le cœur:
Des états, en buvant, ils tirent l'horoscope;
Et la peur, qui toujours eut l'œil en microscope,
Autour d'elle voyant tous les objets grossis,
Des nains fait des géants à qui croit ses récits.
Non, je le gage, non, un écu contre quatre!
Marignan, ton héros n'a pu se faire battre;
Il reçut trop d'argent et de secours de moi:
Il doit être vainqueur; il l'est! Vive le Roi!
Vive le Roi!... comment? vous jurez sa défaite!
En tous lieux, dites-vous, ce bruit-là se répète,
Au milieu des salons! à la cour! au palais!
Lui, prisonnier! ce roi si fier, si grand!... Jamais.
Qui? lui! subir le joug du tyran de l'Autriche!
Écoutons ces tambours ... paix! lisons cette affiche.....
Dieu! que m'annonce-t-on?... Eh quoi! nos magistrats
Veulent qu'un tel revers ne me soulève pas!
Le roi captif!... ô rage!... eh! quelle folle envie
Avec tant de Français l'entraîna sous Pavie?
Ecervelé monarque!... ah! qu'il revienne encor
Me sucer tout mon sang, me manger tout mon or.....
Eh bien! quand vos impôts excitaient nos murmures,
D'échos de cabarets vous traitiez nos augures:
Nos cabarets, messieurs, sont pleins d'esprits très-nets,
Exercés à voir clair au fond des cabinets;
Et de vos conseillers les voix toujours fatales
Parlent moins vrai que moi sous les piliers des halles.
L'horreur, concitoyens, fait dresser vos cheveux...
Nos pères, nos époux, nos fils, et nos neveux,
Nos frères.... ils sont morts!... ah! l'ennemi s'avance...
La frontière est livrée, et nos murs sans défense.....
Quels seront nos appuis? des catins, des bourreaux,
Titrés de majestés et du nom de héros;
Un chancelier Duprat, dont l'industrie infâme
Nous vend à la régente, ambitieuse femme,
Qui croit à sa quenouille assujettir mes fils!
On sait ce que je peux, on sait ce que je fis
Sous l'époux insensé d'Isabeau de Bavière!
Au nez de plus d'un roi j'ai fermé ma barrière.
A bas donc les tyrans, la cour, l'autorité!
Aux armes! sauvons-nous! Vive la Liberté!
Pillons les arsenaux..... jetez par les fenêtres,
Décapitez, pendez, écartelez les traîtres.....
Où courez-vous par-là, vous tous, hommes armés?
Pourquoi ces cris, ces yeux de colère allumés!...
Vous réclamez Bourbon ... oui, ce vaillant transfuge
Victime de la brigue eut la haine pour juge.....
Bourbon nous défendrait contre la trahison...
Rappelons ce héros: Vive, vive Bourbon!
Mais quoi! de ce côté quelle autre foule crie?...
Bourbon à l'empereur a vendu la patrie.....
Qui trahit son pays n'est qu'un vil scélérat.....
Mais par qui remplacer la régente et Duprat?
Vendôme est né d'un sang le plus beau du royaume,
Brave, puissant ... d'accord: Vive à jamais Vendôme!
Suppôts de Charles-Quint, il vous fera frémir.
Ah! le jour fuit ... je cède au besoin de dormir...
Illuminez, veillez, patrouillez sans paresse,
Patrouillez en tous lieux, et patrouillez sans cesse.
Qui va là?... Dieu! quel bruit? c'est un coup de mousquet!
On enfonce une porte ... on a fait fuir le guet.....
Gardez ce pont ... j'entends noyer les sentinelles...
Au secours!... arrêtez ces hordes criminelles
Dont les cris de fureur et sur-tout les chansons
Epouvantent, la nuit, le seuil de nos maisons:
Les murs tremblent..... combien de barques reparues
Amènent de brigands, la terreur de mes rues!
Où vont, la torche en main, ces bandits vagabonds?...
Leur bacchanal nocturne éclaire vos balcons,
Drôlesses! couchez-vous..... Au mépris du scandale,
Quel desir de les voir à leurs yeux vous étale?
N'avez-vous rien de mieux à faire entre vos draps?...
Marchands, sages bourgeois, n'ouvrez, ne sortez pas:
Des filous sont mêlés parmi ces frénétiques;
Verrouillez vos logis et barrez vos boutiques....
On sonne le tocsin ... à qui suis-je? est-ce au roi?
A Bourbon? à Vendôme? à la régente? à quoi?
Plus de paix, ni de trève ... argus de la police,
Parlement, prévôt, maire, ah! main forte et justice!

PARIS, ET LE PARLEMENT.

LE PARLEMENT.

Grande et sage cité, modérez ces clameurs.
Votre vieux Parlement vient mettre ordre aux rumeurs.
Sa voix procédera contre les forfaitures.
Mon chaperon doré, mes mortiers, mes fourrures,
Mon manteau, qu'a rougi la pourpre de nos rois,
Attestent que je veille aux archives des droits.
Exposez les griefs: Thémis tient la balance.

PARIS.

Sauve, ô grand Parlement, tout mon peuple et la France!

LE PARLEMENT.

Soit: au nom du roi, donc...

PARIS.

Parle au nom de la loi.
Un roi mis dans les fers ne règne plus sur moi.

LE PARLEMENT.

Paix-là! n'êtes-vous plus Paris, sa bonne ville?
Vous pourrai-je sauver si vous n'êtes tranquille?

PARIS.

Non; je dois t'obéir.

LE PARLEMENT.

Votre roi valeureux
Trahi par la fortune est assez malheureux:
N'ajoutez pas aux maux d'un prince qui vous aime.
Tel qu'un simple soldat il s'est battu lui-même.

PARIS.

Oh, oui! c'est un lion que ce François-Premier:
Mon amour le plaindrait s'il n'était dépensier.
La chair, le vin, le sel, les tailles, les amendes....

LE PARLEMENT.

Il faut de grands impôts quand les guerres sont grandes.

PARIS.

Je ne l'accuse pas: son conseil l'a perdu.
Louise a fait le mal; que Duprat soit pendu.

LE PARLEMENT.

La régente est du roi la mère respectable;
Duprat, son grand ministre, un homme redoutable:
A leur double pouvoir cesser d'être soumis
C'est ouvrir de vos mains la porte aux ennemis.

PARIS.

Craignez-vous de risquer l'argent de vos offices?
Car on taxa vos droits de tripler les épices,
Intègres opinants, de par la cour élus!

LE PARLEMENT.

Paix-là, paix! bonne ville!... On ne se vendra plus.
Vous plaiderez sans frais; nos arrêts seront justes.

PARIS.

Enregistrez donc bien vos promesses augustes.

LE PARLEMENT.

Oui, ce qu'on signe au greffe est au moins constaté.

PARIS.

Inscris donc, comme acquis, le droit illimité
Que délégue en tes mains, dans la grand'chambre ouverte,
Paris, très-bonne ville, et capitale experte.
Maintenant fais de moi tout ce que tu voudras:
Je jure confiance à mes purs magistrats.

LE PARLEMENT.

Or, vous vous soumettrez à nos lois, sans murmures?

PARIS.

Oui.

LE PARLEMENT.

Que dans les bureaux, dans les manufactures
Rentrent donc ces commis et tous ces artisans,
Des affaires d'état en tumulte jasans.

PARIS.

Pourquoi cela? chacun dissertait dans Athènes,
Et la place publique a fait des Démosthènes.

LE PARLEMENT.

Le décret est rendu: paix-là! plus de raisons.
Silence aux orateurs! qu'on les mène aux prisons.

PARIS.

C'est nous tyranniser qu'en agir de la sorte.

LE PARLEMENT.

Au retour de la nuit qu'on ferme chaque porte:
Qu'aux barrières le jour n'en ouvre plus que cinq.
Fouillez les voyageurs, agents de Charles-Quint.

PARIS.

Eh mais! c'est étouffer dans une étroite enceinte
Mes enfants consternés de tristesse et de crainte:
C'est gêner le commerce, entraver le plaisir:
Il me faut respirer, rire et boire à loisir.

LE PARLEMENT.

On vous fera murer, si vous êtes mutine.

PARIS.

Ah! de nos oppresseurs suivrais-tu la routine?

LE PARLEMENT.

Bourgeois, montez la garde! et prenez l'ordre ici
Du président de Selve et de Montmorenci.

PARIS.

Mes bourgeois casaniers sont mauvais satellites;
Et, déja sur les dents, ronflent dans leurs guérites.

LE PARLEMENT.

Soldez les régiments qui vont les remplacer.

PARIS.

Quoi! paîrai-je toujours pour me faire rosser?

LE PARLEMENT.

Payez: au Parlement ne faites plus outrage;
La garnison est là.

PARIS.

Bon dieu! quel esclavage!

LE PARLEMENT.

Çà, versez désormais le trésor dans ma main.
(à soi-même.)
Suprême Parlement, te voilà souverain!
Fils du notariat, les rois ont fait ton lustre:
Accrois à leurs dépens ton privilége illustre;
Et convainc gravement le peuple sans savoir
Qu'en toi du triple état réside le pouvoir.
Opposons à Paris la cour et la régence:
Opposons à la cour la ville et sa vengeance:
Je resterai seul maître.

PARIS.

Ah! je vois tes projets.

LE PARLEMENT.

Tout est pour votre bien: paix, bonne ville, paix!

PARIS, à soi-même.

Comme on me traite!... hélas! que n'ai-je pas à craindre!
Si je me plains sans cesse ai-je tort de me plaindre?
Quand je cède à mes rois, je me sens ruiner:
Quand je sors de leurs mains, sais-je à qui me donner?
Ceux que j'appelle à moi sont espions ou traîtres,
Ou se font mes flatteurs pour s'ériger en maîtres.
L'hydre que je nourris, épouvante de tous,
S'apprivoise au premier qui caresse ses goûts:
On le soûle de vin, de lard, et de saucisses,
On l'attire béant à des feux d'artifices.
Je prévois leurs complots et n'y peux échapper,
Et passe ainsi pour folle, ou facile à duper.
Voilà, dans mes chagrins dont j'affecte de rire,
Ce qui soulève en moi mon levain de satire,
Et pourquoi je chansonne en de malins couplets
Mes bourreaux décorés, et leurs altiers valets.
Si l'on prêtait l'oreille à l'esprit qui m'éclaire,
On préviendrait ma haine et ma sourde colère.
Mais Dieu, sans doute, veut que mes cris irrités
Forcent par-fois mes chefs à de justes traités;
Et m'inspira souvent de bons accès de rage,
Pour secouer le joug qui m'accable et m'outrage.
Le Parlement bientôt, complice de mes torts,
S'appuyant de moi-même appuiera mes efforts;
Et la régente ou lui craignant leur propre chûte,
Quelque soulagement naîtra de cette lutte.
Ressort heureux du ciel! qui, faisant tout mouvoir,
Des corps entre eux ainsi balance le pouvoir,
Et sans qui monterait au comble de l'audace
L'aveuglement des chefs ou de la populace!
Je raisonne, et défends mon peu de liberté,
Comme le fit toujours chaque haute cité.
La vieille Babylone eut un babil extrême;
Memphis, Palmyre, Athêne ont babillé de même:
Leur esprit, accusé par leurs contemporains,
Leur a valu pourtant des honneurs souverains.
Ah! lorsque, sur ce bord, comme elles enterrée,
Le destin aura mis un terme à ma durée,
Puisse le philosophe, en cherchant mes débris,
Lire: «Tous les tyrans ont redouté Paris;
«Et les muses, les arts, la science hardie,
«L'avaient ceinte de gloire, et l'avaient aggrandie.»

La scène se transporte, en variant d'acteurs,
Aux lieux où de Paris l'une des riches sœurs,
Lyon, s'enorgueillit de l'hymen de la Saône,
Que presse en mugissant l'azur des flancs du Rhône.
Le soir a réuni sous l'abri d'un palais,
Et la mère et la sœur du monarque français.
Tout se passe en silence et n'est que pantomimes.
Éminences sont là, près des Sérénissimes;
Et vingt nobles seigneurs y frappent les regards,
En singes transformés, quelques-uns en renards.
Le parterre jugeait, aux muscles de leurs faces,
Le jeu des sentiments sous le jeu des grimaces.
D'abord, une princesse avait-elle souri,
Bientôt le cercle singe avait doucement ri.
L'infortune d'un fils, l'esclavage d'un frère,
Avaient-ils contristé l'Altesse ou sœur, ou mère,
Soudain les longs museaux brunissaient de son deuil.
Les notables bourgeois, honorés d'un accueil,
Novices peu soumis à ces métamorphoses,
De leurs pudiques fronts sentant rougir les roses,
Restaient seuls étrangers à tous ces changements,
Et roulaient de leurs yeux les grands étonnements.
Les moins lourds s'efforçaient, en suant sous leurs linges,
D'être aussi des renards, et de singer les singes:
D'autres, d'un sang plus vif, changés en étourneaux,
Par le trouble aveuglés, heurtaient tous les panneaux.
La crainte cependant des publiques tempêtes
Amasse les soucis dans les augustes têtes:
Mais, des cartes en main, on joue; et le babil
Couvre un fond sérieux d'enjoûment puéril.
—Votre perle est du monde une des sept merveilles!
—L'admirable velours!—Les beaux pendants-d'oreilles!
Ce sont là les seuls mots qu'on se répète en chœur,
Tandis qu'en chuchottant on ouvre un peu son cœur.
La régente, ce soir, sous un air d'assurance,
Déguise du matin la longue défaillance:
Tandis que dans Lyon son corps paraît assis,
Son ame vers Madrid voyage avec son fils;
Louise a déja su le piége qui l'attire:
Sa fille Marguerite, éprouvant son martyre,
Sous un dehors distrait pense, non sans terreur,
Au soin d'aller ravir son frère à l'empereur.
Charles-Quint, se dit-on, n'est qu'un monstre effroyable;
Pour son ambassadeur on en est plus affable.
Duprat sait que l'état par sa faute est perdu,
Que la France et Paris veulent qu'il soit pendu;
Demain le parlement vient, l'accuse, et réclame:
Ministres, conseillers, tous ont la mort dans l'ame;
Et chacun d'eux pourtant ne s'en montre pas moins
Calme, silencieux, et vide de tous soins.
O noirs esprits d'enfer, du mensonge idolâtres,
Envoyez vos acteurs jouer sur nos théâtres!
Jamais, avec tant d'art, nul mime en ses portraits
N'a fait, par sa couleur et ses mobiles traits,
Mieux ressortir un masque, et parler le silence;
Et des rôles muets exprimé l'éloquence.
Le lendemain présente en auguste appareil
La cour au Parlement ouvrant son grand conseil.
Siéges, tabourets, bancs, parquet, hauteur, distance,
Sont au lieu qu'a fixé la grave Préséance,
Dont l'orgueil mesuré n'est pas plus la grandeur
Que le point-d'honneur faux n'est le sincère honneur.
Des degrés compassés le spectacle la touche.
Tel, en cérémonie, un maître de la bouche
Voit se ranger la table, et suivre à tous les plats
L'ordre immémorial prescrit aux estomacs:
Qu'on l'osât subvertir, la cuisine funeste
Ferait des aliments un chaos indigeste:
Ni chef, ni marmiton, ne saurait plus quels mets
Auraient droit les premiers d'arriver aux banquets:
Elle fait donc passer dans la foule introduite,
Les gros poissons d'abord, et le fretin ensuite.
La Préséance est vieille; et les dictons des Goths
Lui confirment toujours que les peuples sont sots:
J'en appelle aux plus grands, s'abuse-t-elle encore?
Et croit-on qu'en ce jour la bonne dame ignore
Qu'en Espagne Léva vieillit sous son drapeau,
Pour s'asseoir près des pairs sans ôter son chapeau?
O digne ambition de fous tels que nous sommes!
La Préséance classe avec soin tous les hommes;
Et prévient les procès pour les rangs mal gardés,
Pour les dais, les fauteuils par elle échafaudés.
Du Parlement, la nuit, de peur d'un choc sinistre,
Le premier-président vit le premier-ministre.
Ce qui dans le secret s'est déja dit sans fard,
Va devant le public se redire avec art;
Et, jouet de la scène, il n'aura plus nul doute
Que le Parlement gronde, et que la Cour l'écoute.
Les dames cependant, présentes aux débats,
Viennent des deux partis juger les avocats;
Et cette noble farce, amusement pour elles,
Les surcharge d'un poids de graves bagatelles.

LA RÉGENTE, LE PRÉSIDENT DE SELVE, MARGUERITE, DUPRAT, COURTISANS, ET TÉMOINS DES DEUX SEXES.

LE PRÉSIDENT DE SELVE.

Organes d'équité, ministres de Thémis,
Par votre ordre suprême au pied du trône admis,
Notre seule présence est un signal propice
Du zèle que la cour montre pour la justice.
Comment craindrions-nous, mère auguste du roi,
D'élever nos accents pour appuyer la loi;
De déplorer ici les désordres sans nombre
Qu'un voile d'imposture a couverts de son ombre,
Et qu'à votre vertu dénonceraient assez
Les revers si nombreux dont nous sommes pressés?
Le plus grand des fléaux, sans doute, est l'hérésie,
Dont, malgré nos bûchers, s'accroît la frénésie:
Mais comment l'arrêter dans ses emportements
Si toujours sa fureur trouve des aliments?
Si les prêtres sans foi, se souillant par des crimes,
Prêtent à ses erreurs des armes légitimes?
Si l'amour scrupuleux d'un fatal concordat
Transporte au Vatican les tributs de l'état?
Si, du clergé français gênant l'indépendance,
De ses élections enchaînant la prudence,
A la brigue étrangère, aux présents corrupteurs,
Sont vendus les troupeaux, et le choix des pasteurs?
Vainement aux abus s'opposent nos entraves;
Toute digue est rompue, et les lois sont esclaves:
Leurs plus sages arrêts, au conseil évoqués,
N'atteignent point les grands par elles attaqués.
Des faibles dépouillés où seraient les refuges?
Leurs vils accusateurs sont proclamés leurs juges:
Et, ce que sans frémir on n'ose publier,
Leur arbitre est souvent leur futur héritier!
Ainsi, rendus jaloux de leurs biens qu'ils se volent,
L'un de l'autre ennemis, les citoyens s'immolent.
A des bourreaux gagés notre glaive est remis:
Les premiers tribunaux aux derniers sont soumis,
Et combattent en vain la foule mercenaire
Que la vénalité pousse en leur sanctuaire.
Ah! madame, empêchez que Thémis voie encor
Sa balance en nos mains pencher au poids de l'or.
Ah! qu'en deux factions ne soit plus séparée
Des justes magistrats la chambre révérée.
Proscrivez le trafic de nos dignes emplois:
Qu'on ne partage plus le domaine des rois.
Que d'avares flatteurs, trop comblés de largesses,
Aux sources de l'état rendent tant de richesses:
Qu'ils cessent d'engraisser leurs lâches favoris
Du fruit de tant d'impôts que le peuple a souscrits:
Ces trésors suffiront, sans de nouveaux subsides,
A racheter le roi de ses vainqueurs avides.
Les soldats, non payés, malheureux déserteurs,
N'iront plus, désolant les bons cultivateurs
Qu'écrasent à-la-fois la taille et le pillage,
Se nourrir en nos champs d'un affreux brigandage.
Non, non, si tant de chefs, qu'on ne surveillait pas,
N'eussent point dévoré l'aliment des soldats,
Notre roi n'eût point vu son armée appauvrie
L'abandonner captif loin de notre patrie!
Et cependant, hélas! quel âge désastreux
Foula jamais l'état de poids plus onéreux!
Comparez du trésor les antiques registres.....
Mais quoi? jettez plutôt les yeux sur ses ministres:
Quel fut leur héritage, et quels sont leurs grands biens!
A leur faste naissant qui prête des soutiens?
Est-ce que la pudeur, seule dot de leurs filles,
Fut l'attrait qui charma les plus hautes familles?
Non: mais le seul amour d'un superflu pompeux
Dégrade la noblesse alliée avec eux:
Ses titres et leur or font un coupable échange;
Et les besoins du luxe ont forcé ce mélange.
Ainsi tout se confond; et l'exemple des grands
D'un ruineux orgueil agite tous les rangs.
Réprimez-le, madame: et si notre influence
Donne à des yeux jaloux un peu de méfiance,
En dépit des pervers écartés ou punis,
Convoquez de l'état les trois ordres unis.

MARGUERITE, bas à ses femmes.

Convoquer les états!... Ah! prétentions folles!

UNE DES DAMES.

Leur remontrance est faite en très-belles paroles!

MARGUERITE, de même.

Tant que la politique aura le même cours,
Sur ce fonds-là sans peine on brodera toujours;
Et tant que les humains auront des cœurs, des langues,
Se suivront des faits vils, et de nobles harangues.
Admirez dans son coin l'impassibilité
De Duprat, dont leur voix blesse l'autorité.
Le sujet du débat naît de sa folle envie
De donner, à son choix, une grasse abbaye:
Les moines ont ligué messieurs du parlement,
Et ce grief les sert dans leur ressentiment.
On couvre tous ces riens de grands mots qu'on prononce.
Ma mère va parler.... écoutons sa réponse.

LA RÉGENTE.

Le plus sacré devoir des princes et des rois
Est de prêter l'oreille aux organes des lois;
Et je croirais trahir la puissance suprême
Que mon fils, en partant, ne remit qu'à moi-même,
Si je ne pesais pas vos avis importants,
Salutaire secours au malheur de nos temps.
Il est, j'en fais l'aveu, des abus innombrables:
Mais de tous à mes yeux les plus considérables
Naissent dans un royaume où les séditieux
Divisent le pouvoir en partis factieux.
Des ordres assemblés quelque appui qu'on attende,
Ils rendraient de nos lys l'adversité plus grande.
Le timon de l'empire est un fardeau pesant:
Mais dois-je le céder quand mon fils est absent;
Et déposant du roi le sceptre respectable
Vous livrer un trésor dont il me fit comptable?
Mon sexe et ma faiblesse ont excité l'effroi:
Je l'ai su: de vains bruits sont venus jusqu'à moi:
Mais ai-je témoigné la moindre négligence
Pour tous les intérêts liés à ma régence?
Le succès de mes soins n'en est-il pas le prix?
N'ai-je pas dans nos ports recueilli nos débris,
Depuis que votre roi, trahi des destinées,
A sous Pavie, hélas! vu ses mains enchaînées?
Que dis-je? triste mère! il m'eût été permis
De pleurer les malheurs où le sort l'a soumis:
Mais le péril de tous a suspendu mes larmes.
Nos voisins détrompés nous promettant leurs armes,
Henri de l'empereur détachant Albion,
Et de Rome avec moi la nouvelle union,
Tout vous atteste enfin que de ma vigilance
J'ai porté les effets au-delà de la France.
Quel effort tentiez-vous dans le commun danger?
Ce prince généreux qu'ici l'on voit siéger,
Vendôme, ce héros, à mes côtés fidèle,
Avait reçu de vous l'offre de la tutelle;
Et vous autorisiez vos nocturnes travaux
Du cri de tout le peuple accablé de fardeaux.
Le calme cependant des villes, des frontières,
Qu'a-t-il coûté de plus que de saintes prières?
Ah! cessez de vous plaindre: et, comme vos aïeux,
De l'enceinte des lois protecteurs studieux,
Vivez loin de la brigue à la cour si funeste.

MARGUERITE, à ses femmes.

Le chancelier se lève, et leur dira le reste.

DUPRAT.

Quel spectacle à-la-fois touchant et solennel,
Qu'une régente, ouvrant un cœur si maternel
Aux plaintes des sujets que des lois trop muettes
Lui viennent exprimer les doctes interprètes!
Heureux si le passé, couvert d'un crêpe obscur,
Laissait en bien présent changer l'espoir futur.
Mais ce qu'on fit jadis règle ce qu'il faut faire.
Briser le concordat peut sembler salutaire:
Mais on doit respecter l'œuvre du souverain,
Et ménager en tout le pontife romain.
Des chefs du parlement on connaît la sagesse:
Louise d'Angoulême, équitable duchesse,
Du trafic de leur charge a plaint comme eux l'affront:
Mais au retour du roi tous ces maux finiront.
L'excès du faste exige un édit somptuaire:
La régente a prévu qu'il serait nécessaire:
J'en tiens là, sous le sceau, les utiles décrets:
Enregistrez; et tous concourons à la paix.

MARGUERITE, à ses femmes.

De ce haut verbiage enfin me voilà quitte!
Et Paris de la cour recevra l'eau bénite.
Le premier-président qu'on nomme ambassadeur
De sa ligue à ce prix a refroidi l'ardeur:
Hier on l'a gagné: leur beau zèle est chimère.
Mesdames, au passage allons joindre ma mère.

LA RÉGENTE, à Marguerite.

Ah! ma fille!... sortons, je me sens toute en feu...
Si d'avance un long bain ne m'eût calmée un peu,
Je n'aurais pu vraiment soutenir un tel rôle.

MARGUERITE.

Quel charme dans votre air et dans votre parole!
Votre ton respirait la douce majesté.

LA RÉGENTE.

Je n'ai presque rien dit comme on me l'a dicté.

DUPRAT.

Votre cœur vous poussait: de là, tant d'éloquence.

LE PRÉSIDENT DE SELVE.

Au nom du parlement, j'ai parlé d'abondance.

PREMIER CONSEILLER.

Ah! comme un Démosthène.

DEUXIÈME CONSEILLER.

Ah! comme un Cicéron.

LE PRÉSIDENT DE SELVE.

Messieurs, épargnez-moi toute comparaison:
Ma modestie en souffre.... il suffit qu'on publie
Que la France est sauvée, et ma tâche remplie.

UNE DAME D'HONNEUR.

De leur péroraison qu'auront-ils obtenu?

LA RÉGENTE.

Un édit contre un luxe au comble parvenu,
Une défense expresse aux femmes de la ville
De traîner à leur robe une queue inutile;
Ornement, dont le poids les doit embarrasser,
Attirail de princesse, et qu'il faut nous laisser.
Je prescris désormais que ni velours ni soie,
N'habille la roture et la fille de joie:
La laine et les couleurs sombres, tristes à l'œil,
Pour la prison du roi marqueront mieux le deuil;
Et par mon réglement il faut que les coquettes
Baissent leurs chaperons, leur huppe et leurs cornettes.

LA DAME D'HONNEUR.

Sage Altesse! l'état ne se peut mieux régir!
Les dames de la cour, (c'était de quoi rougir,)
Sentaient, comme on le dit, les filles d'une lieue:
Mais seules maintenant nous prendrons une queue.
On nous distinguera de ces femmes de rien,
Qui.... fi! grâce au décret, enfin tout ira bien.

Le conseil se sépare; et les diables de rire!
Tout change; et vers les bords dont Gênes tient l'empire,
Est une humble cabane, au dos des Apennins,
Où serpente une route entre de vieux sapins.
Au nord, s'ouvrent des monts les sauvages entrées;
A l'orient, paraît sur les mers azurées
Le port lointain, séjour des vaisseaux voyageurs;
Au midi, sont épars quelques toits de pêcheurs,
Seuls hôtes indigents d'une arène étendue,
Devant qui l'onde immense, applanie à la vue,
Termine l'horizon, et borne l'occident
Où le soleil alors plongeait son disque ardent:
Sa pourpre qui reluit sur le gouffre bleuâtre
Des hauts sommets voisins rougit l'amphithéâtre:
Et là, sous de beaux cieux, le sage Agathémi
Guidait un passager, autrefois son ami.

AGATHÉMI, DAVE, UN PÊCHEUR.

AGATHÉMI.

Pourquoi ce nom de Dave, et ce mince équipage?

DAVE.

Pour déguiser mon rang et mon secret message:
Je m'en vais de ma cour transmettre les rapports
Au noble André-Dorie, amiral dans ces ports.

AGATHÉMI.

Vous volez donc toujours en oiseau diplomate?

DAVE.

Et toi, toujours en paix, tu rêves en Socrate.
Je naquis agissant: trop heureux mon métier,
S'il m'acquiert la faveur du grand François-Premier.

AGATHÉMI.

De complaire à ses rois l'homme eut toujours l'envie:
L'amour de s'élever qui consume sa vie
Est sans cesse attisé par les regards jaloux
Qu'il porte sur les grands, non moins petits que nous:
Moi, jugeant la valeur sous les vaines surfaces,
Je mesure leur taille et non pas leurs échasses;
Et pour n'être ébloui ni des titres d'honneur,
Ni par l'éclat de l'or, ni par un faux bonheur,
J'ai toujours des humains regardé le visage;
Et mon seul maître est Dieu, qui règne d'âge en âge.

DAVE.

Je confesse avec vous qu'il est le roi des rois,
Si j'en juge au destin du malheureux Valois.

AGATHÉMI.

Le bruit de son désastre a percé ma montagne.

DAVE.

Lannoy dans ce moment le conduit en Espagne.
Aux pieds de son vainqueur il se laisse attirer
Pour sortir de ses fers, que l'on va resserrer.
Si l'on m'eût écouté, certes, la Ligurie
Le garderait encor aux vœux de sa patrie.
Songeant à réparer ses crimes envers lui,
Bourbon fût devenu son invincible appui;
Et déja, de son prince achetant la clémence,
Il voulait à Milan rétablir sa puissance:
Pesquaire, qui dans Naple eût pu se couronner,
Mécontent de la cour, jaloux de dominer,
Oubliait de Bourbon les rivalités vaines,
Et du roi, leur espoir, tous deux brisaient les chaînes:
Quand Lannoy plus rusé, (peignez-vous leur fureur,)
Leur enlevant leur proie, a fui chez l'empereur.

AGATHÉMI.

Ah! prince infortuné, que la brigue environne!
On se vend ta faveur, et même ta personne.
Qui croirait qu'un monarque ait ce honteux destin
De se voir disputé, ravi comme un butin?

DAVE.

Qu'entends-je sur les flots?

AGATHÉMI.

Un pêcheur qui soupire.

LE PÊCHEUR, à soi-même.

Le souffle de la nuit veut que je me retire.
Ah! cessons d'amorcer tous nos vains hameçons,
Et levons mon filet, vide encor de poissons.
Les eaux grondent ... ployons ma voile misérable!
Je jette avec ennui mon ancre sur le sable;
Mes enfants chercheront, hélas! à mon retour,
Le produit de ma pêche, attendu chaque jour...
Perfide mer! avant que le soleil arrive
Je viens sonder ton lit et cotoyer ta rive;
Sur ton sein immobile et pur comme un miroir,
Je fixe mon esquif, mon œil et mon espoir:
Voici l'ombre; ton calme a trompé mon attente.
Eh bien! que cette nuit l'orage te tourmente,
Mer fatale aux pêcheurs, dangereuse aux nochers,
Plains-toi, rugis, aboie, hurle sous tes rochers,
Capricieuse, avare, infidèle, traîtresse..!

DAVE.

Ecoutez les clameurs qu'à la mer il adresse.
Le pauvre est sans raison quand il est courroucé.

AGATHÉMI.

L'opulent roi Xerxès était-il plus sensé
Quand il fouetta l'Euxin à ses flottes rebelle?
L'homme est par-tout semblable et faible de cervelle.
Holà, pêcheur! ce soir tu grondes en tes dents.

LE PÊCHEUR.

Hélas! comment nourrir mes trois pauvres enfants?
Mes filets aujourd'hui n'ont fait nulle capture...
J'ai bien maudit la mer depuis mon aventure.
En songe, l'autre nuit, Jésus vint, brillant d'or,
M'avertir que sur l'eau flottait un grand trésor.
Je cours, et du matin je devance l'étoile;
Rien sur l'eau, rien au bord: mais, auprès de leur voile
Etaient deux compagnons dans leur barque assoupis:
Ils s'éveillent; du ciel je leur conte l'avis.
«Voguons, me dirent-ils, nous aurons chance heureuse.»
Notre pêche bientôt fut si miraculeuse,
Qu'ayant fait de poissons un troupeau prisonnier
Nous nommions le plus gros notre François-premier.
Vous riez!... il était beau, doré, grand de taille,
C'était un roi des flots, tout cuirassé d'écaille.
Nous bénissions le sort, contents de l'avoir pris:
Avec moi l'un des deux en disputait le prix;
Il me suit chez le juge; et, pour clorre l'affaire,
L'autre, qui le gardait, nous l'enlève en corsaire.

AGATHÉMI.

Seigneur, qu'en dites-vous? c'est ainsi qu'un grand roi
A Pesquaire, à Bourbon, fut ravi par Lannoy.
Les petits et les grands ont les mêmes querelles:
Tous ont l'amour du gain, et des ruses cruelles.
(Au pêcheur.)
Tiens, prends ce peu d'argent, bonhomme.

LE PÊCHEUR.

Grand merci!

AGATHÉMI.

L'entendez-vous qui siffle et marche sans souci?
Au moins dans son état peu de chose console.

DAVE.

La paix de la chaumière est une triste idole.
Je ne vis qu'à la cour.

AGATHÉMI.

Moi, je respire aux champs.

DAVE.

J'escorte les seigneurs.

AGATHÉMI.

J'évite les méchants.

DAVE.

J'apprends l'art de régner.

AGATHÉMI.

Moi, l'industrie agreste.

DAVE.

Je vois des lambris d'or.

AGATHÉMI.

Et moi, l'azur céleste.

DAVE.

J'ai de pompeux banquets.

AGATHÉMI.

Moi, de prompts appétits.

DAVE.

J'ai la faveur des grands.

AGATHÉMI.

J'ai l'amour des petits.

DAVE.

J'éblouis par mon faste, et soumets Vénus même.

AGATHÉMI.

Moi, quand on m'aime un peu, c'est pour moi seul qu'on m'aime.

DAVE.

Je marche décoré.

AGATHÉMI.

Moi, sans vain appareil.

DAVE.

Je vois lever le roi.

AGATHÉMI.

Moi, lever le soleil.

DAVE.

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