← Retour

La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée

16px
100%
* * *

La Belgique coupable doit évidemment nous parler de la violation de la neutralité belge. Ici nous devons avouer que l'auteur a découvert après un an quelque chose de neuf et de réellement sensationnel. Nous savions que tous les Allemands (eux seuls bien entendu) étaient convaincus, ou feignaient de l'être, que des avions avaient survolé la Belgique et que des soldats français étaient cachés dans les forts de Liège. Eh bien! il y a plus fort que cela: 8.000 hommes, deux régiments de dragons et des batteries étaient à Bouillon et aux environs le 31 juillet. Personne ne les a vus, mais c'est comme cela, puisque deux prisonniers l'affirment; ils disent même que la population belge leur a fait un excellent accueil. Comment le témoignage de ces prisonniers a-t-il été obtenu? C'est la question que se poseront peut-être les lecteurs neutres? Ici, en Belgique, nous nous en doutons bien un peu, nous connaissons par expérience l'enquête au revolver, l'interrogatoire avec menace de mort ou après épuisement par la faim. Nous connaissons tous ces beaux expédients de la «justice boche». Autre preuve de la violation: Il parait qu'on a vu, le 26 juillet, à Bruxelles—écoutez bien—deux officiers français et un officier anglais en uniforme. Évidemment, ces messieurs ne pouvaient venir ici que pour conférer avec notre État-major. Seulement, Messieurs nos alliés avant la lettre, pourquoi êtes-vous venus en uniforme pour une mission secrète? Franchement, quelle légèreté! On voit bien que vous n'êtes pas Allemands.

Et maintenant, chers lecteurs, si vous n'êtes pas convaincus que les Français et les Anglais ont violé notre neutralité les premiers et que nous aurions dû recevoir les Allemands à bras ouverts, c'est que vous êtes des raisonneurs. Sous le régime nouveau, on apprendra à votre esprit à se faire, plus vite que cela, une conviction selon la discipline.

Avant de terminer ce chapitre, constatons encore un «oubli» de notre auteur: il ne souffle mot de l'aveu du chancelier. Cet aveu a pourtant quelque importance, quand il s'agit de discuter la question de la violation de la neutralité belge. Mais ce qu'il n'oublie pas, c'est de nous ressasser l'histoire des fameuses conventions anglo-belges. Nous ne fatiguerons pas nos lecteurs en la réfutant à nouveau.

* * *

La Belgique coupable va nous apprendre encore autre chose de neuf: Vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de la guerre des francs-tireurs, la guerre nationale, comme l'appelle M. Grasshoff, le grand cheval de bataille des ennemis de notre pays quand il s'agit d'excuser les massacres de leur armée.

Mais ce que vous ne saviez peut-être pas, c'est que cette guerre de francs-tireurs avait été prévue et préparée par le Gouvernement, ainsi que d'ailleurs aussi la Commission d'enquête sur la violation du droit des gens, et la campagne de «calomnies» contre l'armée allemande. Peut-être même, mais M. Grasshoff n'en est pas très sûr, les conventions anglo-belges prévoyaient-elles déjà toute cette organisation défensive de la Belgique. Dans le doute cependant, l'auteur veut bien, généreusement, dégager la responsabilité de l'Angleterre dans cette affaire et la laisser tout entière au Gouvernement belge.

Il voit la preuve de ce qu'il avance dans toutes les circulaires au sujet de la garde civique. Pour lui, garde civique non active et franc-tireur ne font qu'un ou à peu près. Et pourtant, comme l'a si bien démontré M. Waxweiler, cette garde civique des campagnes eût-elle fait le coup de feu, ce qui est faux, qu'elle n'eût simplement usé que des droits que lui conféraient les conventions de La Haye.

Mais même la circulaire de M. le ministre Berryer aux administrations communales, cette circulaire qui résume si admirablement les devoirs tant envers l'autorité occupante qu'envers l'autorité légitime, est imputée à crime. Pourquoi M. Grasshoff n'admet-il pas qu'on appelle «seul légitime» le Gouvernement du Roi? Nous l'avons relue, cette circulaire, et les phrases soulignées à dessein par M. Grasshoff nous ont seulement prouvé une fois de plus le désir du Gouvernement d'observer et de faire observer la stricte légalité et de rappeler aux autorités quels étaient leurs devoirs.

Il y a encore le petit avis affiché partout et reproduit par tous les journaux pour recommander le calme aux populations. Vous vous rappelez sans doute cette phrase: «L'acte de violence commis par un seul civil serait un véritable crime que la loi punit, etc.» Or, voici ce que l'imagination de M. Grasshoff en tire:

«Le terme de un seul civil, employé dans cette proclamation, frappe déjà par la double interprétation qu'il est possible de lui donner. Ce seul civil, auquel il est défendu de tirer, fait naître facilement dans le cerveau d'un homme simple la pensée qu'il est permis de tirer si l'on se met deux ou trois.»

Péremptoire, n'est-ce pas? Ça vous la coupe, littéralement. Quant à la Commission d'enquête, il paraît, c'est toujours M. Grasshoff qui le dit, que «son invitation à rapporter des cruautés allemandes précédait la possibilité matérielle de leur exécution».

La vérité est que la Commission a été fondée le 8, et l'on sait avec quelle désinvolture, avec quelle barbarie, les lois de la guerre avaient été violées par les troupes allemandes entre le 4 et le 7 août, à la frontière.

*
*      *

Il est superflu de dire que nous n'avons pu relever ici toutes les erreurs et contre-vérités contenues dans l'ouvrage de M. Grasshoff. Nous avons voulu seulement montrer de quelle valeur sont ses arguments et les témoignages qu'il invoque. Nous nous permettons, à ce propos, de lui faire remarquer—bien humblement, car nous ne sommes docteur ni en droit ni en philosophie allemande—qu'il n'est pas logique de donner tant d'importance, quand il s'agit des francs-tireurs, à des récits de neutres basés entre autres sur de simples propos entendus en tramway, alors qu'on vient de montrer, à propos des atrocités allemandes, quel fond il convient de faire sur des récits colportés de bouche en bouche. Nous lui dirons aussi qu'un Allemand est mal venu à se moquer des erreurs de détail de la presse adverse, alors qu'on sait les bourdes kolossales répandues par les journaux boches: témoin, pour n'en citer qu'une seule, l'histoire de la prise de Bruxelles après un combat acharné et une résistance désespérée de plusieurs jours!

C'est dans un des récits de neutres dont nous venons de parler que nous avons trouvé ce détail,—sans importance d'ailleurs—qui nous a fait sourire: «A Nieuport, dans une villa occupée par les soldats belges, les cabinets d'aisances étaient bouchés.» Horreur!!! Eh bien! nous vous l'accordons volontiers, les soldats allemands n'auraient pas fait cela, ils ont bien trop le respect—comme leurs officiers aussi—de ce petit endroit. Ils le respectent même à ce point qu'ils n'osent pas en franchir le seuil et préfèrent réserver à cet usage la fine porcelaine, les cristaux, les couvertures, les lits et les tapis, voire même les boîtes à provisions.

*
*      *

Nous ne pouvons mieux terminer cet article qu'en reproduisant quelques-unes des conclusions de l'ouvrage de M. Grasshoff:

«Deux cent trente-cinq localités, dont la position géographique est facile à trouver, ont servi de repaires aux francs-tireurs, à celles-ci s'en ajoutent quarante-six autres dont nous n'avons pas pu déterminer l'emplacement sur les cartes à notre disposition, en général à cause de l'écriture défectueuse. Le passage de l'armée allemande en Belgique a été un véritable calvaire, dont pouvait seule triompher une discipline à toute épreuve....

«Il n'existe pas dans le monde entier une seule armée qui soit en état d'user de mesures plus douces que celles dont nous avons usé. Leur exécution a sauvé la Belgique centrale et occidentale de la destruction inévitable qu'entraînent forcément les combats de rues.

«On est étonné, à la lecture des dossiers de la justice allemande dans les territoires occupés, de la prédominance du nombre des acquittements; les méfaits des habitants des territoires en question sont jugés avec la rigoureuse impartialité de la conscience allemande.
............................
«Nous voici au terme de cette étude. Détournons nos regards du passé pour envisager l'avenir. Le printemps est encore une fois de retour. Derrière le front où luttent les armées, la main nerveuse du soldat allemand dirige la charrue dans les champs de la Belgique, pour fournir du pain non à sa propre famille, mais au peuple belge, indignement trahi par son Gouvernement et voué aux horreurs de la famine par ses bons amis d'Angleterre. De toutes parts, l'assiduité allemande s'efforce de réveiller l'âme belge assoupie et de la réchauffer sous son souffie, comme elle était avant la guerre. Nous ne nous inquiétons guère des continuelles piailleries dont L'Écho belge fait retentir ses colonnes, remplies des sempiternels méfaits des Barbares. Elles ne peuvent troubler notre oeuvre. Nous portons en nous le sentiment du devoir qui, d'après Kant, constitue le seul idéal humain, la seule valeur propre de l'homme. Cette guerre à laquelle nous avons été contraints nous impose le devoir de réaliser la liberté de la patrie, la liberté du genre humain. Ce devoir, nous le remplirons!

«M. Waxweiler saura-t-il s'arracher à son repos et participer à la lourde tâche de rendre à la Belgique sa prospérité? Le jour vient où ce pauvre peuple, si mal gouverné, sortira de son ignorance, et distinguera enfin le bon grain de l'ivraie parmi ceux qui se flattent de présider à ses destinées.

«Pour l'Allemagne, il n'existe qu'une devise:

«Sit ut est aut non sit. Erit in aevum!»

Mais on reste rêveur en pensant à quel degré d'ignorance de la vérité la nation allemande est encore, pour avaler de telles bourdes.

B.A.R.F.
(La Libre Belgique, n° 46, septembre 1915, p. 2, col. 1.)

Le veuvage de la vérité.

L'autorité allemande répand à profusion dans le pays une édition française de la réponse des catholiques allemands au manifeste des catholiques français, réponse rédigée, comme l'on sait, par M. l'abbé Rosenberg et contresignée par un régiment de notabilités qui ne l'ont pas lue. Avec cette naïveté obtuse qui est au fond de leur jactance et de leur cynisme, nos maîtres se figurent, apparemment, que ce factum, destiné à tromper les étrangers, va nous tromper nous-mêmes et nous faire oublier le témoignage de notre conscience et de nos yeux. Tel un malfaiteur que l'habitude du mensonge, tournant à la démence, pousserait à endoctriner sa victime elle-même. Devant des lecteurs belges, ce triste plaidoyer n'appelle aucune espèce de réfutation. Mais, pour un bon nombre d'entre eux, ce sera un vrai soulagement d'apprendre que cette apologie diffamatoire a déjà reçu son châtiment. Un neutre, de langue allemande, M. Em. Prüm, bourgmestre de Clervaux (grand-duché de Luxembourg), l'a réfutée de maîtresse et vengeresse façon dans un petit livre intitulé Le Veuvage de la Vérité (Der Witwenstand der Wahrheit): c'est l'expression même dont un écrivain allemand s'était servi pour caractériser la facilité avec laquelle le mensonge se fait accepter aujourd'hui. Bien ou mal trouvée, cette métaphore sentimentale n'est que trop juste en ce qui concerne l'Allemagne: la vérité y est veuve et de plus reniée par ses enfants!

M. Prüm est un catholique militant. Sa courageuse brochure, destinée aux catholiques de tous les pays, s'adresse en tout premier lieu à ses compatriotes, que des liens étroits et nombreux unissaient, comme lui, au centre allemand: elle est donc écrite du même point de vue où ceux qu'elle réfute ont voulu se mettre, ce qui, dans l'espèce, est une circonstance très aggravante de leur mauvaise action. A cet égard, elle intéresse tous les Belges sans distinction d'opinion. Ils seront heureux d'y voir jusqu'à quel point MM. Rosenberg et ses cosignataires ont réussi à révolter un de leurs meilleurs amis. Quant à l'autorité allemande, elle a, nous assure-t-on, fait à M. Prüm une réponse digne d'elle et de lui: elle l'a mis en prison du chef de publicité séditieuse. «Brigadier, vous avez raison!...» Mais ce n'est pas là ce qui ressuscitera le défunt dont la vérité allemande porte le deuil!

BELGA.
(La Libre Belgique, d'après L'Écho belge, 13 mars 1916.)

Les plus perfides de ces brochures et de ces livres sont ceux qui se prétendent écrits par de bons patriotes belges, mais qui sont sans aucun doute l'oeuvre d'Allemands déguisés.

Tartuferie tudesque.

Nous avons eu le courage de lire jusqu'au bout trois petits opuscules d'un Teuton, caché sous le masque d'un philanthrope, malgré les nausées que nous donnait la lecture de ces lignes distillant le fiel et le poison. Ces compositions sont intitulées: «Lettre ouverte au peuple belge.» L'auteur, qui garde courageusement l'anonymat, prévient le lecteur qu'il se bouchera les oreilles et qu'il laissera crier. Soit, c'est son droit, tout comme les Belges qui liront ces élucubrations pourront se boucher le nez, car elles dégagent une telle infection qu'il est bon de recourir à un antiseptique après les avoir parcourues.

Nous citerons deux ou trois phrases pour montrer jusqu'à quel degré peut aller la décomposition cérébrale chez certains individus, avant qu'ils ne soient inquiétés par les médecins aliénistes ou par les services sanitaires.

Il (notre Roi) devrait demander la paix avec l'Allemagne. Assez de: sang belge; maris, épouses, mères, frères, soeurs, fiancées, amis, je vous en conjure, au nom de l'humanité, demandez la paix, demandez tout au moins à pouvoir adresser au chef de ses armées une supplique pour l'obtention d'un armistice... Offrons le Congo comme rançon de notre indépendance... Qui sait si, lors de la conclusion de la paix, cette attitude ne nous vaudra pas un traitement favorable, peut-être tiendra-t-il compte (il, c'est Attila) de notre soumission, etc.

Ce passage est choisi parmi les moins veules, parmi les moins ignobles, car il y en a que nous n'osons transcrire par respect pour le lecteur.

Mais il n'y a en tout cela qu'une chose qui nous déconcerte; c'est que cet anonyme—dont la nationalité ne laisse subsister aucun doute—soit parvenu à trouver un imprimeur.

De deux choses l'une: ou l'imprimeur a été forcé de s'exécuter ou il a agi de plein gré et, en ce dernier cas, il n'y a qu'un jugement à émettre, c'est qu'il forme le «pendant» du «philanthrope».

(La Libre Belgique, n° 39, août 1915, p. 3, col. 2.)

La Libre Belgique ignorait qui avait imprimé ce factum. M. Passelecq nous l'apprend:

Parmi ces pamphlets, citons une série de trois «Lettres ouvertes au peuple belge» par «Un Philanthrope», portant comme nom d'éditeur: «Van Moer, rue Euphrasie (sic) Beernaert, Ostende». Or il n'existe pas d'imprimeur de ce nom rue Euphrosine-Beernaert, à Ostende. Les faussaires allemands avaient donc emprunté un nom belge pour donner le change au public. D'une enquête faite par le Parquet de Bruxelles, il résulte que les pamphlets en question ont eu pour imprimeur un sieur Kropp, Allemand, rue de Ruysdael, à Molenbeek-Saint-Jean (Bruxelles), qui éditait, avant la guerre, la Brüsseler Zeitung, organe allemand hebdomadaire; il est actuellement l'éditeur attitré de la Kommandantur et imprime, entre autres publications suspectes, le journal germano-flamand Gazet van Brussel.

(PASSELECQ, Pour teutoniser la Belgique, p. 41, en note. Paris, Bloud et Gay, 1916.)

Enfin, il y a encore les cartes postales illustrées. A côté de nombreuses images sentimentales (de cette sentimentalité bébête, propre à l'Allemagne), il en est qui ambitionnent d'être prises pour des documents. Elles nous montrent, par exemple, «les uhlans devant Paris» regardant la tour Eiffel 20, ou «l'assaut de la forteresse de Liège» (on sait que Liège est une ville ouverte, sans aucun rempart ni fortification). Signalons aussi la carte représentant les «combats dans les rues de Louvain», où l'on assiste à la furieuse attaque des francs-tireurs (pl. XVI). Cette carte a valu une condamnation à un magistrat bruxellois, M. Ernst.

20 [ Comment les Belges résistent..., fig. 18.]

La douloureuse aventure d'un magistrat bruxellois.

Lecteurs, amis de La Libre Belgique, écoutez, pour votre esbaudissement, cette aventure dont un de nos plus sympathiques magistrats bruxellois fut à la fois le héros et la victime. L'aventure est du reste suggestive à des titres divers; elle montre à quel régime de schlague nous soumettraient les Boches s'ils pouvaient s'en donner à coeur joie; elle montre aussi combien ils excellent dans l'art cauteleux d'inventer des préventions et de battre monnaie à l'occasion d'un délit imaginaire.

Or donc, flânant il y a quelque temps au boulevard du Nord, notre magistrat découvre à la vitrine d'une Deutsche Buchhandlung une carte postale représentant le sac de Louvain. Avec la précision (?) du document photographique, la carte montrait les civils de Louvain embusqués à tous les coins de rue et faisant traîtreusement le coup de feu sur les braves soldats allemands. Un document, à coup sûr, dont, sans doute, les Herren Professoren feront leur profit pour justifier et blanchir l'Allemagne, champion attitré des droits de l'humanité et de l'honneur guerrier. Mais, sceptique par profession et très averti des truquages de la photographie, notre magistrat se fit cette sage réflexion qu'il n'était guère vraisemblable qu'un photographe se fût trouvé là à point donné, le 25 août, et il se douta d'une supercherie. Le calcul était sage. Un examen plus attentif lui fit constater que la supercherie se sentait à plein nez et, dans son zèle évidemment intempestif pour la vérité, notre magistrat fit part de sa découverte au marchand.

Vous croyez que l'honnête commerçant s'inclina? Point: il se fâcha. Et comme le magistrat avait l'air de s'obstiner dans ses remontrances, il héla des soldats allemands de passage et fit empoigner le juge. Le juge ne fut pas trop marri de cette aventure, mais il se demanda quelle en serait la suite.

La suite fut une mise en prévention du chef de—tenez-vous bien— violation de domicile!!! avec renvoi devant le tribunal militaire!!! La prévention était bouffonne, mais les tribunaux allemands ne sont pas délicats sur ce chapitre: ils participent bien de la mentalité allemande où tout se fait par ordre, et ils condamnèrent notre juge à 300 marks d'amende.

Notre juge répondit: «Moi, payer 300 marks d'amende? Je ne les ai pas!!»

Vous ne les avez pas? C'est bien invraisemblable, opina l'autorité allemande... Et le lendemain, au petit jour, se présentait au domicile du condamné un sous-off, flanqué de quatre pandores, baïonnette au canon. Le sous-off, qui sans doute dans le civil devait être quelque chose comme expert en meubles, procéda à une évaluation rapide et eut vite son choix fait. «Enlevez-moi ce bronze, dit-il à ses hommes, cette garniture de cheminée, ce sèvres...» Ses hommes obtempérèrent avec l'aisance de professionnels du déménagement. Si bien qu'on raflait au juge à peu près dix fois la valeur de la condamnation encourue. Ce que voyant, le juge dut bien capituler. Il trouva les 300 marks et les paya.

La justice allemande était satisfaite.

Peut-être. Elle est bien capable de trouver que la capitulation du juge bruxellois a été pour elle une mauvaise affaire.

(La Libre Belgique, n° 38, août 1915, p. 2, col. 2.)

3. Les journaux prétendument belges.

A Bruxelles, tous les journaux sans exception avaient refusé le contrôle allemand. Après une quinzaine de jours se créèrent de nouveaux journaux, soumis à la censure.

Dans le début, ces feuilles ne donnaient pas les communiqués officiels des Alliés. Mais après quelques semaines, la censure leur permettait d'en reproduire quelques passages. Pas toujours cependant, nous apprend l'entrefilet suivant:

Les communiqués français.

Nos lecteurs pourraient peut-être trouver étrange que nous ne publions plus régulièrement les communiqués officiels français. La raison en est bien simple. Il n'y en a plus ou presque plus.

C'est à peine si de temps en temps le Gouvernement publie quelques lignes.

Le prétexte donné c'est que l'on ne veut pas fournir d'indication aux Allemands sur les positions des troupes alliées et cacher les mouvements de celles-ci.

(Le Bruxellois, 24 octobre 1914.)

Voici un petit relevé, fait d'après Le Temps, qui permet de vérifier cette affirmation. Ajoutons que, dans aucun des communiqués français, il n'est dit que le Gouvernement veut cacher des mouvements de troupes.

Nombre de lignes des communiqués officiels français publiés par Le Temps:

Les communiqués du 15 octobre 1914 comptent 25 lignes.
       -           16     -                 12    -
       -           17     -                 18    -
       -           18     -                 18    -
       -           19     -                 30    -
       -           20     -                 29    -
       -           21     -                 16    -
       -           22     -                 24    -
       -           23     -                 43    -

Encore plus tard, les «communiqués officiels» furent tolérés. La photographie d'un journal de Bruxelles, tel qu'il revient de la censure (pl. XV), fera voir au lecteur comment celle-ci procède. Tout commentaire serait superflu.

Malheureusement pour les Allemands, nous continuons à recevoir des journaux français non tronqués, ce qui nous met à même de rétablir le texte authentique des communiqués et de constater du même coup l'imposture des feuilles soumises. Il faut croire que le gouvernement occupant se rendit compte de l'inutilité de son élagage, car, à partir de juillet-août 1915, les communiqués alliés paraissent généralement au complet dans les journaux de Bruxelles. Bien mieux, la Kölnische Zeitung elle-même en donne le texte à peine falsifié.

Toutefois, de nombreux articles sont chaque fois retranchés par les ciseaux de la censure. Au commencement, les journaux laissaient simplement des blancs à la place des mutilations. Mais le lecteur était ainsi averti du tripotage, chose que les Allemands ne peuvent pas admettre. Aussi font-ils publier à Bruxelles, à l'usage des quotidiens bâillonnés, deux journaux dactylographiés: Le Courrier belge. dont «tous les articles ont passé par la censure», et L'Hollando-Belge (sic), qui jouit des mêmes prérogatives. Les journaux châtrés sont tenus d'y découper des emplâtres ayant la surface voulue pour cacher l'amputation.

Voici un nouvel exemple de ce qui reste d'un texte après que la censure y a sévi:

Science allemande.

Genus mendacio natum.

On n'aura jamais fini de démasquer le système de réticences et de mensonges par lesquels le Gouvernement allemand essaie d'égarer l'opinion belge. Le système se développe sans cesse et trouve parfois, hélas, de tristes complicités parmi ceux qui se disaient hier nos compatriotes. En voici un nouvel exemple. J'ai sous les yeux deux volumes jaunes imprimés rue Van-Schoor, 32, à Bruxelles, et intitulés: Histoire de la Guerre de 1914-1915, d'après les documents officiels.

Pareil titre est une promesse, un engagement d'honneur... dans les pays sans «Kultur». Mais le livre est autorisé par le Gouvernement impérial, et qui dit «censure allemande» dit «falsification». Les documents des puissances centrales sont reproduits fidèlement et au complet (nous le supposons du moins). Quant aux documents des Alliés, qu'on juge, par cet exemple choisi entre cent, ce qu'ils deviennent dans une telle publication.

Il s'agit du rapport si connu de Sir Goschen, un des documents diplomatiques les plus importants de cette guerre. Extrayons-en une partie du récit de la fameuse entrevue avec M. von Bethmann-Hollweg. Nous donnons en regard le texte authentique et la rédaction frelatée que tolère la science loyale d'outre-Rhin.

TEXTE FALSIFIÉ (Histoire de la Guerre, I, p. 206 et suiv.)

Je trouvai le chancelier dans une visible agitation.

Son Excellence dit que la décision de S. M. Britannique était terrible.

L'Angleterre allume la guerre entre deux nations soeurs qui ne désireraient au fond que de vivre en paix. Tous nos efforts ont été vains.

Ce que vous faites dépasse toute imagination; vous faites le coup de l'homme qui attaque par derrière un autre déjà aux prises avec deux agresseurs.

Je protestai vigoureusement contre ses arguments.

TEXTE AUTHENTIQUE

Je trouvai le chancelier dans une grande agitation. Son Excellence commença une harangue qui dura vingt minutes. Il me dit que la décision de S. M. Britannique était terrible. Tout cela pour un mot neutralité, un mot auquel en temps de guerre on n'a jamais fait attention, tout cela enfin pour un chiffon de papier.

L'Angleterre allume la .guerre entre deux nations soeurs qui ne désireraient au fond que de vivre en paix. Tous nos efforts ont été vains. Toute ma politique s'écroule comme un château de cartes. Ce que vous faites dépasse toute imagination; vous faites le coup de l'homme qui attaque par derrière un autre déjà aux prises avec deux agresseurs.

Je laissai passer l'orage, mais je protestai vigoureusement contre son langage. M. von Jagow m'a dit, lui répliquai-je, que, pour des raisons stratégiques qui sont pour vous une question de vie ou de mort, vous deviez violer la neutralité de la Belgique. Souffrez que je vous dise, qu'au point de vue de notre honneur, le respect de cette neutralité est aussi une question de vie ou de mort. Nous devons faire respecter le traité, sinon quelle confiance aurait-on encore dans la signature de l'Angleterre? Le chancelier réplique: A quel prix devrons-nous respecter ce traité? L'Angleterre y a-t-elle pensé? Je fis remarquer à Son Excellence que la crainte d'événements même fâcheux n'est jamais une excuse pour rompre un traité. Mais Son Excellence devint si exaltée que je m'aperçus qu'il était inutile de continuer l'entretien et que nos paroles étaient de l'huile jetée sur le feu.

Le reste du récit de l'entrevue est à l'avenant, mais—et ici nous tombons dans le ridicule—l'histoire du chiffon de papier par Sir Goschen est omise, le misérable essai de réfutation de M. von Bethmann-Hollweg est reproduit in extenso, page 465 du second volume.

Et voilà comment depuis treize mois se prépare au delà du Rhin l'histoire «définitive» de la guerre. La falsification s'y organise militairement... comme tout le reste. Un document mérite-t-il plus d'égards qu'un traité?

VERAX. (La Libre Belgique, n° 49, octobre 1915, p. 2, col. 1.)

Comment les journaux «belges» acceptent-ils leur muselière? Un article de La Belgique (journal censuré de Bruxelles), reproduit et commenté par L'Echo belge de La Haye, nous renseignera:

Le nommé Ray Nyst, journaliste de métier, publie dans un quotidien imprimé au pays occupé quelques aperçus sur la censure. Il sera utile de ne pas les oublier à l'heure de la victoire. Nous ne prendrons pas la peine de discuter l'opinion de M. Ray Nyst, évidemment, mais il est bon que nos lecteurs en prennent connaissance:

«La censure! ah! voilà une grosse affaire! De loin, quel épouvantail! De près, ce n'est rien. N'avez-vous jamais eu en main de ces libelles, publiés sous le manteau, patriotards et crapuleux (sic)? De ces écrits propageant des appels provocateurs malsains (est-ce à La Libre Belgique que s'adresse M, Ray Nyst?) en opposition avec tout sentiment de droiture et qui sont la négation même de l'évolution du droit et des conférences de La Haye? Voilà quels papiers auraient à craindre la censure!

«En présence d'un honnête imprimé qui ose se montrer, la censure allemande suit les règles de toutes les censures, nationale ou étrangère. Le gouvernement volontaire ou imposé est toujours juge de l'opportunité de laisser connaître ou non telle ou telle nouvelle d'ordre politique ou militaire. Le droit international et les conférences sont d'accord là-dessus.

Et le bon sens de même! La censure ne fait pas les journaux ni les fascicules scientifiques; la censure n'impose rien; elle biffe, supprime; elle ne modifie pas, ne corrige pas, n'ajoute rien. La censure constitue un rouage de l'ordre public auquel l'occupant est tenu de veiller, conformément aux conférences de La Haye.»

Et plus loin:

«Cette question de la censure porte, en réalité, plus loin que la lettre qui la soulève. Mon désir n'est pas de faire l'apologie de la censure. J'ai voulu montrer qu'une presse et des rédacteurs qui ont du jugement, de l'équité, de l'éducation et le maniement de la langue, conservent une indépendance suffisante sous le régime de la censure.»

«Donnez-moi une ligne de n'importe quel article, disait Machin, et je me fais fort de faire condamner son auteur!»

Voici plus de trente lignes de Ray Nyst. Elles sont suffisantes pour juger de la neutralité de celui-ci. Et juger, c'est condamner!

(L'Écho belge, 16 octobre 1915.)

Le même M. Ray Nyst a publié dans La Belgique (de Bruxelles), en septembre 1915, une série d'articles engageant les ouvriers belges à se mettre au service de l'armée allemande. On a peine à croire qu'un Belge écrive proprio motu de pareilles énormités; aussi faisons-nous à M. Ray Nyst la générosité de supposer qu'il s'est laissé forcer la main.

Nos ennemis ne se font d'ailleurs pas scrupule d'exiger l'insertion d'articles dans les journaux de tolérance. On ne peut pas douter, par exemple, que le dithyrambe à l'adresse du gouverneur militaire de Namur n'ait été imposé à L'Ami de l'Ordre, une feuille de Namur qui se vend aussi à Bruxelles.

A quoi servent en Belgique les journaux embochés.

LES HOMMAGES DE «L'AMI DE L'ORDRE» A SON EXCELLENCE VON HIRSCHBERG...

L'Ami de l'Ordre qui continue à paraître à Namur sous le contrôle de l'autorité allemande a publié il y a quelques jours l'entrefilet suivant:

«S. Exc. le baron von Hirschberg, gouverneur militaire de la position fortifiée et de la province de Namur, entre aujourd'hui dans sa soixante et unième année.

«Notre situation réciproque ne nous permet pas de formuler à l'adresse du représentant de l'autorité occupante les félicitations et les voeux de circonstance, mais nous ne croyons manquer à aucun de nos devoirs, à aucune de nos convictions, en reconnaissant qu'il a apporté, dans l'exercice des hautes fonctions qu'il remplit ici depuis plus d'un an, de la bonne volonté, du tact, de la délicatesse. Sous son gouvernement, rares ont été dans notre région les incidents sensationnels qui ont ému d'autres provinces.

«Nous souhaitons que finisse au plus tôt la situation actuelle, mais, tant qu'elle dure, nous espérons que M. le baron von Hirschberg continuera toujours dans l'avenir un régime de justice et de tolérance à notre ville et notre province qui ont tant souffert de l'horrible guerre mondiale.»

Il faut lire et relire ce morceau pour en savourer l'indicible platitude. Que de mots charmants, que d'euphémismes délicieux! Son Excellence, notre situation réciproque, hautes fonctions, bonne volonté, tact, délicatesse, incidents sensationnels, régime de justice et de tolérance, tout est vraiment touchant dans ce chef-d'oeuvre où le nom de l'Allemagne n'est même pas prononcé.

On se demande si on rêve quand on songe que le journal qui tresse ces couronnes au représentant du Kaiser paraît à Namur, à quelques pas des ruines amoncelées par les Boches, à quelques kilomètres de Dinant, d'Andenne, de Tamines, trois villes qui, à elles seules, ont vu massacrer plus d'un millier de civils inoffensifs, quand on se souvient que cette feuille doit sa fortune passée à un clergé dont une trentaine de membres ont été fusillés et plus de deux cents maltraités, au témoignage de leur évêque.

Voilà ce qu'imprime L'Ami de l'Ordre imposé comme moniteur officiel à toutes les communes des provinces si horriblement ravagées de Namur et du Luxembourg.

Reproduits dans la presse allemande, des articles comme celui-là serviront d'argument contre les malheureux du pays de Namur et contre tous les Belges. Car nous n'avons pas appris que Namur ait échappé à la nouvelle contribution mensuelle de 40 millions dont la Belgique a été frappée et nous avons d'autre part reproduit l'autre jour trois longues colonnes de condamnations infligées pour les motifs les plus futiles ou les plus patriotiques à une foule d'habitants du pays de Namur.

Tout cela n'empêche pas les rédacteurs de L'Ami de l'Ordre de proclamer que le régime sous lequel vit la province de Namur est un régime de justice et de tolérance...

Les rares journaux belges qui ont reparu sous la censure allemande ont prétendu se justifier en déclarant qu'ils étaient nécessaires pour réconforter la population et qu'ils n'écriraient jamais une ligne qui pût faire tort à la cause belge.

On voit par l'exemple de L'Ami de l'Ordre—et il y en aurait bien d'autres à citer—comment les feuilles KK se conforment à ce programme. Si elles louent tant l'autorité allemande, c'est qu'elles ont besoin de sa protection contre l'indignation populaire. Nous ne sommes pas bien sûrs qu'elles souhaitent tant que cela «que finisse au plus tôt la situation actuelle»...

(Le XXe Siècle, 30 janvier 1916.)

Malgré la sévérité de la censure, des farceurs parviennent à introduire dans les journaux «belges» des articles dont les Allemands n'aperçoivent pas la signification. Voici un acrostiche qui fut glissé subrepticement dans L'Ami de l'Ordre:

La Guerre.

       Ma soeur, vous souvient-il qu'aux jours de notre enfance,
       En lisant les hauts faits de l'histoire de France,
       Remplis d'admiration pour nos frères gaulois,
       Des généraux fameux nous vantions les exploits?
       En nos âmes d'enfants, les seuls noms des victoires
       Prenaient un sens mystique, évocateur de gloires;
       On ne rêvait qu'assauts et combats: à nos yeux
       Un général vainqueur était l'égal des dieux.
       Rien ne semblait ternir l'éclat de ces conquêtes;
       Les batailles prenaient des allures de fêtes,
       Et nous ne songions pas qu'aux hourras triomphants
       Se mêlaient les sanglots des mères, des enfants.
       Ah! nous la connaissons, hélas, l'horrible guerre,
       Le fléau qui punit les crimes de la terre,
       Le mot qui fait trembler les mères à genoux
       Et qui sème le deuil et la mort parmi nous.
       Mais où sont les lauriers que réserve l'Histoire
       A celui qui demain forcera la victoire?
       Nul ne les cueillera: les lauriers sont flétris;
       Seul un cyprès s'élève aux tombes de nos fils.

(L'Ami de l'Ordre, 29 novembre 1914.)

Les suites furent grotesques. Lisez l'avis affiché sur les ordres du doux baron von Hirschberg:

Avis au public.

L'Ami de l'Ordre, le seul journal qui ait reçu l'autorisation de paraître à Namur, a osé publier dans son édition du 29 novembre, à la première page et précisément à l'endroit réservé pour les communications de l'autorité allemande, un poème injurieux et outrageant pour la nation allemande.

J'exprime mon indignation, et en présence de sentiments aussi vilains que lâches, j'ordonne:

1° La publication du journal L'Ami de l'Ordre est suspendue;

2° Le numéro visé doit être détruit; quiconque sera trouvé en possession d'un exemplaire sera poursuivi;

3° Le directeur et le rédacteur sont arrêtés;

4° Des poursuites judiciaires sont introduites; les coupables subiront les peines les plus sévères, conformément aux lois martiales;

5° Il est défendu, jusqu'à une date ultérieure, de répandre et de vendre des journaux non allemands, et ceci dans toute la place fortifiée de Namur;

6° Je fais l'obligation à toute la population de Namur de me dénoncer les coupables et de porter à ma connaissance tout soupçon sérieux, qui pourrait amener l'arrestation des coupables, mettant toute une population en danger.

Baron VON HIRSCHBERG,
Lieutenant général et Gouverneur
de la position fortifiée de Namur
.

(Affiché à Namur le 3 décembre 1914.)

Mais, dès le 8 décembre, L'Ami de l'Ordre reçut l'autorisation de reparaître; les Allemands avaient trop grand besoin de cette feuille qui leur sert à répandre de fausses nouvelles dans le public namurois. Quand nous disons que les Allemands lui permirent de reparaître, nous faisons sans doute erreur: il faudrait dire qu'ils le forcèrent à reparaître, car c'est en effet sous la contrainte que les rédacteurs de L'Ami de l'Ordre publient leur feuille. Eux-mêmes l'ont avoué ouvertement dans les numéros du 7 octobre 1914 et du 6 novembre 1914 21. Quoi qu'il en soit, dans le numéro qui suivit la suspension, L'Ami de l'Ordre s'humilia avec toute la componction désirable.

21 [ Voir Comment les Belges résistent..., p. 313.]

Que le lecteur ne s'étonne pas de ce que les Allemands obligent les journaux à paraître. Voici, dit La Métropole, citée par La Belgique (de Rotterdam), ce qui s'est passé à Ostende:

Le 25 mai, MM. Elleboudt et Verbeeck, directeurs respectivement des journaux Le Littoral (catholique) et L'Écho d'Ostende (libéral), qui avaient été invités à faire reparaître leur journal sous la censure allemande, mais avaient énergiquement refusé, furent condamnés pour insubordination à l'autorité allemande, M. Elleboudt à trois mois et M. Verbeeck à deux mois de prison.

(La Belgique [de Rotterdam], 27 juin 1916, p. 2, col. 3.)

Rien ne montre mieux la servitude où croupissent ces journaux que leurs attaques contre ceux qui se permettent de ne pas être de leur avis. Qu'il nous suffise de citer un article paru dans Le Bruxellois (journal quotidien indépendant, dit le sous-titre):

Nos patriotards.

Certain patriotard pointu répand certaines calomnies dans l'arrondissement de Dinant, contre Le Bruxellois et contre son correspondant. Ce tartufe base ses critiques simplement sur ceci: Les journaux paraissant actuellement en Belgique, sont tous vendus à l'ennemi (sic)... et je suis correspondant de ces feuilles «mensongères»... (resic).

Ce «patriote» si éclairé est-il certain de ne rien avoir sur la conscience? D'ailleurs il est seul «à penser» de cette façon; car toute la population dinantaise, depuis le début de l'occupation, est convaincue que les quelques journaux qui n'ont pas cessé de paraître, et ceux qui ont vu le jour depuis, ont rendu de grands et réels services au peuple belge, en facilitant les relations entre la population de province et les autorités, en ranimant la vie commerciale, et surtout en coupant les ailes à ces canards ridicules qui se répandaient chez nous.

Ce dresseur trop intéressé de listes noires tombe sous l'application immédiate d'un arrêté récent et mérite d'être puni. Il fera bien de ne plus l'oublier, sinon c'est nous qui le lui rappellerons.

(Le Bruxellois, 13 octobre 1915.)

L'arrêté dont il menace son contradicteur est ainsi conçu:

Arrêté concernant la répression des abus commis au préjudice des personnes germanophiles.

ART. 1.—Quiconque tente de nuire à d'autres personnes en ce qui concerne leur situation pécuniaire ou leurs ressources économiques (par exemple leur gagne-pain), en les inscrivant sur des listes noires, en les menaçant de certains préjudices ou en recourant à d'autres moyens du même genre, parce que ces personnes sont de nationalité allemande, entretiennent des relations avec les Allemands ou font preuve de sentiments germanophiles, est passible d'une peine d'emprisonnement de deux ans au plus ou d'une amende pouvant aller jusqu'à 10.000 marks. Les deux peines pourront être réunies.

Est passible de la même peine tout qui offense ou maltraite une autre personne pour une des raisons susmentionnées et tout qui, en menaçant de certains préjudices ou en recourant à d'autres procédés analogues, tente d'empêcher une autre personne de faire montre de sentiments germanophiles.

Si un des actes répréhensibles prévus aux premier et deuxième alinéas est commis en commun par plusieurs personnes qui se sont entendues à cette fin, chaque membre d'un tel groupement sera considéré comme contrevenant. Dans ce cas, le maximum de la peine pourra être porté à cinq ans d'emprisonnement.

ART. 2.—Les infractions au présent arrêté seront jugées par les tribunaux militaires.

Bruxelles, le 4 septembre 1915.

Le Gouverneur général en Belgique,
Baron VON BISSING,
Général-Colonel.

Citons encore deux faits qui mettent en évidence l'abjection des journaux domestiqués. A la mort du tant regretté Émile Waxweiler, les feuilles censurées relatèrent sa vie et ses occupations comme directeur de l'Institut de Sociologie et comme professeur à l'Université de Bruxelles; elles parlèrent de ses ouvrages et de ses cours d'Extension; mais de tout ce qu'il accomplit pendant la guerre, pas un mot; ses deux livres, La Belgique neutre et loyale et Le Procès de la Neutralité belge, ne sont pas même mentionnés: silence d'autant plus significatif que ces ouvrages sont parfaitement connus en Belgique; le premier y a même été réimprimé (voir p. 8).

Enfin, dernier degré de l'avilissement, Le Bruxellois publie journellement le nom et l'adresse des jeunes gens qui sont soupçonnés d'avoir passé la frontière pour aller s'enrôler dans l'armée belge.

*
*      *

A côté des feuilles qui se disent libres de toute attache avec l'ennemi,—et qui sont par conséquent les plus dangereuses,—il en est qui sont directement inspirées ou rédigées par des créatures de l'Allemagne. Citons parmi les quotidiens qui se vendent à Bruxelles: L'Information, De Gazet van Brussel, Het Vlaamsche Nieuws (d'Anvers), De Vlaamsche Post (de Gand). La Libre Belgique (nos 45 et 46) a donné quelques indications au sujet de ce dernier journal (plus communément appelé De Vlaamsche Pest) 22.

22 [ Voir aussi Comment les Belges résistent..., p. 318.]

De Vlaamsche Post a succombé au printemps de 1916. Auto-intoxication probablement.

Voici un détail intéressant relatif aux journaux allemands d'expression belge. Par jugement rendu le 25 juin 1915, le tribunal de première instance de Bruxelles a déclaré qu' «il n'existe plus actuellement, en Belgique, de journaux belges, les feuilles paraissant depuis l'occupation étrangère sous la censure allemande ne pouvant prétendre à ce titre». Le jugement a paru au complet dans le n° 35 de La Libre Belgique mais celle-ci l'avait déjà commenté dans son n° 34:

Il n'y a plus de journaux belges en Belgique.

Le tribunal de première instance de Bruxelles, répondant à un plaideur qui demandait l'insertion d'un jugement dans des journaux «belges», vient de proclamer: «Il n'y a plus en Belgique de journaux «belges», depuis l'occupation allemande, les feuilles qui paraissent quotidiennement dans le pays ne méritant pas ce titre 23

23 [ Cet article, qui nous parvient en dernière heure, est forcément incomplet. Ce jugement, important à plus d'un point de vue, a été précédé d' «attendus» remarquables. La Libre Belgique, qui ose revendiquer le titre de journal; «belge», est disposée à faire exception dans ce cas à la règle qu'elle s'est imposée de ne pas accepter d'annonces, et d'insérer le prononcé du jugement in extenso à titre de «réparation judiciaire». (Pour conditions, s'adresser dans nos bureaux, aux heures habituelles.) Si, contre toute attente, notre journal n'avait pas l'honneur de cette insertion, nous nous verrions obligés de mettre sous les yeux de nos lecteurs le prononcé tel que notre sténographe l'a pris à l'audience.]

Justement pensé et exprimé en termes excellents. Mais que vont dire ces bons journaux qui ont accepté la censure de l'autorité allemande, dont ils sont devenus les instruments serviles? Gageons qu'ils ne vont pas cesser pour cela d'inonder le pays de leurs intéressants numéros. Ne faut-il pas encaisser de beaux billets de mille? Quant à servir la cause patriotique, c'est bien le cadet des soucis des rédacteurs de ces tristes papiers. Le pis est qu'ils font un mal énorme, car ils trompent le pays sur la réalité des événements. Les communiqués allemands, autrichiens et turcs s'y étalent avec la complaisance que l'on sait, tandis que les communiqués des Alliés sont falsifiés, tronqués de façon à en élaguer le plus possible les éléments favorables. Que dire des articles tendancieux, des nouvelles habilement présentées, de ces lignes perfides par lesquelles, délibérément et sans souci du mal qu'ils causent, ces consciencieux journalistes s'évertuent à semer l'erreur et le découragement?

Belle besogne, en vérité! Ces gens-là jouent un rôle méprisable, indigne, leurs productions devraient être conspuées, mises à l'index par tous; ils ne perdront, en tout cas, rien pour attendre et nous leur promettons, au jour de la libération prochaine, un magistral coup de balai.

(La Libre Belgique, n° 34, juillet 1915, p. 3, col. 2.)

L'Allemagne aurait-elle honte de laisser voir à l'étranger ce qu'elle a fait des journaux domestiqués? Toujours est-il que leur exportation est défendue à partir de novembre 1915:

Arrêté.

Par ordre du Gouvernement général allemand, les restrictions suivantes entreront immédiatement en vigueur pour ce qui concerne l'expédition par la poste de journaux, de revues, de livres et de musique.

L'expédition par la poste des journaux n'est autorisée dans les limites du Gouvernement général et à destination des pays neutres admis jusqu'ici au service postal avec la Belgique: le Danemark, le Luxembourg, la Hollande, la Suisse, la Suède et la Norvège, que:

a) Si l'envoi est fait par l'éditeur ou l'imprimeur du journal ou de la revue en question; b) si les envois sont adressés aux autorités allemandes, à des fonctionnaires ou à des militaires allemands ou s'ils sont expédiés par ceux-ci.

Aucun autre envoi de journaux ou de revues ne pourra se faire par la poste dans les limites du Gouvernement général.

Est exclu également du service postal tout échange de musique et de livres avec les pays neutres susmentionnés.

Pour les correspondances avec l'Allemagne et les pays alliés à l'Allemagne—l'Autriche-Hongrie, la Bosnie-Herzégovine et la Turquie—il n'est apporté aucun changement. On pourra, par conséquent, continuer à envoyer dans ces pays, par la poste, des journaux, des revues, des imprimés et de la musique, sans aucune restriction. De même, les journaux que l'on se fait envoyer par abonnement postal ne sont nullement compris dans les restrictions susmentionnées, aussi bien pour le service a l'intérieur de la Belgique que pour la correspondance de la Belgique avec les autres pays.

Ce qui est remarquable, c'est que l'Allemagne a honte de montrer qu'elle a honte. Cet arrêté, en effet, n'interdit pas franchement l'expédition de journaux: «l'envoi doit être fait par l'éditeur ou l'imprimeur». Seulement, comme on ne peut pas s'abonner à ces feuilles,—aucune condition d'abonnement n'y est indiquée,—vous voyez que cela correspond à une défense absolue.

Disons encore que, depuis mars 1916, on peut se procurer librement à Bruxelles un journal soi-disant belge et indépendant, La Belgique indépendante, publié à Genève. Sa vente est autorisée en Belgique par les Allemands, et les journaux d'outre-Rhin lui font de fréquents emprunts: ce double châtiment est plus que suffisant; ne l'accablons pas davantage. La Belgique indépendante a cessé de paraître en mai 1916.

Plusieurs journaux allemands d'expression belge servent à la propagande allemande à l'étranger. Ainsi, De Gazet van Brussel est régulièrement introduit en Hollande par les soins de l'autorité occupante. Quant au Bruxellois qui est envoyé gratuitement en Suisse, il y soulève le dégoût général (L'Impartial de Délémont, 1er juin 1916, cité par L'Écho belge, 15 juillet 1916).

4. Les journaux hollandais tolérés en Belgique.

Nous recevons aussi quelques journaux hollandais dont la germanophilie offre toute garantie. Le plus lu, et le plus anciennement toléré, est Nieuwe Rotterdamsche Courant. Mais même lui renferme souvent des articles dont la lecture ne peut pas être permise aux Belges, et ces numéros-là, qui sont précisément les plus intéressants, sont arrêtés par la censure. Il y a ainsi chaque mois une dizaine ou une douzaine de numéros qui ne peuvent pas être distribués à Bruxelles. De plus, en avril et en mai 1915, de nombreux numéros admis à la vente étaient passés au caviar. Nous donnons la reproduction d'un article rendu illisible, à la colonne 3, page 2, feuille B, de l'édition du matin du 10 mai 1915, et la reproduction du même article dans le journal vendu en Hollande (pl. XIII). Voici la traduction de l'article noirci:

Le chlore.

Londres, 9 mai (Reuter).—Le «témoin oculaire» au quartier général britannique (en France et en Flandre) donne dans son plus récent compte rendu des dernières opérations aux environs d'Ypres, le récit de la façon dont un officier prussien fut fait prisonnier, puis amené derrière les lignes, où quelques soldats anglais, mis hors de combat par les gaz asphyxiants, agonisaient en faisant de pénibles efforts d'inspiration. L'officier prussien s'arrêta, éclata de rire et, montrant les hommes étendus par terre, demanda: «Comment trouvez-vous cela?» Le «témoin oculaire» termine ainsi son récit: La vue de camarades, empoisonnés par les gaz, qui gémissent et se contractent de douleur, et qui se tordent en agonie, comme de la vermine empoisonnée, a produit chez les soldats anglais une exaspération qui sera partagée, espérons-le, par tout le royaume britannique; elle fera que nous ne nous reposerons pas avant d'avoir obtenu satisfaction complète contre ceux qui portent la responsabilité de ces horreurs!

Comprend-on maintenant le besoin qu'éprouvent les Belges de journaux non censurés?

II

COMMENT LES BELGES SE COMPORTENT EN BELGIQUE


Nous allons maintenant comparer l'attitude des Belges avec celle des Allemands. Aux emprunts que nous ferons à nos prohibés, nous n'ajouterons que les quelques mots indispensables pour faire comprendre au lecteur la façon de penser de nos compatriotes et l'effet produit sur eux par la presse clandestine.

Nous examinerons successivement la confiance dans la victoire, l'aversion pour les Allemands, l'union morale des Belges et leur esprit patriotique.

A. LA CONFIANCE DANS LA VICTOIRE FINALE

1. La marche des opérations militaires.

Nous venons de voir combien peu de créance méritent les communiqués officiels allemands au sujet de la guerre. Heureusement que les journaux étrangers et les petites feuilles dactylographiées nous servaient d'antidote aux télégrammes Wolff. De temps en temps nos prohibés donnent des aperçus d'ensemble sur la situation. Inutile de les signaler en détail, car des chroniques de ce genre perdent tout de suite leur intérêt.

Chaque fois que l'armée allemande reçoit une raclée, les autorités s'empressent de faire afficher des «nouvelles authentiques», par exemple lors de la bataille de la Marne24; de la bataille d'Ypres et de l'Yser25, de la bataille de Champagne (voir p. 31). De plus, elles ont soin de mettre les Belges en garde contre les «fausses nouvelles» données par les prohibés. Nous avons déjà reproduit une affiche datant de la bataille de la Marne (p. 27). Voici celle de la bataille de la Somme, en juillet 1916:

24 [ Voir Comment les Belges résistent..., p. 221, 222.]

25 [ Ibid., p. 220, 222.]

Une fois de plus, on profite de l'offensive des forces franco-anglaises, secondées par des troupes jaunes, brunes et noires, pour répandre des bruits fantastiques et dénués de tout fondement, annonçant que les troupes allemandes vont évacuer la Belgique. Le but de ces agissements est des plus évidents. On veut inquiéter la population et, en se basant sur la prétendue incertitude que présenterait l'avenir proche, détourner les habitants de leurs travaux réguliers qui sont la condition sine qua non de l'ordre public et de la satisfaction personnelle. Des meneurs impardonnables, s'adressant à des ouvriers, qui, après un chômage plus ou moins long, gagnent de nouveau bien leur vie, ont même essayé de les décider à abandonner l'ouvrage.

Ainsi que je l'ai déjà fait précédemment, en de semblables occasions, je mets encore une fois les habitants travailleurs et raisonnables formellement en garde, dans leur propre intérêt, contre ces faux bruits et contre les menées tendant à troubler leur gagne-pain régulier. Un avenir proche montrera combien j'étais en droit d'adresser ce nouvel avertissement à la population.

Les autorités placées sous mes ordres ont été chargées de rechercher les propagateurs de fausses nouvelles et de les punir sévèrement. J'engage ceux qui, parmi les habitants, font preuve de clairvoyance et de zèle dans le travail à ne pas cesser de croire que, secondé par mon administration, je m'efforce toujours, tout en tenant compte des autres missions qui m'incombent, de veiller mieux au bien-être du territoire qui m'est confié que ceux qui excitent à la haine et à la résistance, et dont je ne tolérerai pas les agissements.

(L'Echo belge, 4 août 1916, p. 1, col. 3.)

Tout le monde sait à l'étranger que les Allemands n'hésitent jamais à mentir pour cacher leurs pertes. En Belgique, on est également au courant de cette manoeuvre. Témoin l'entrefilet suivant qui relate les pertes subies par les belligérants lors des combats sur l'Yser et l'Yperlee en mai 1915: Steenstraate, Het Sas, la ferme Saint-Julien, Zonnebeke, les Nonneboschen, Zillebeke, la hauteur 60, Fresenberg, etc.

Les pertes à l'Yser.

De notre correspondant particulier à la «Kommandantur»:

Dans une lettre adressée par le gouverneur baron von Bissing à???, et qui, par un heureux hasard, est tombée entre les mains de notre correspondant particulier, il fait part des pertes qui ont eu lieu à l'Yser, du 1er au 11 mai. Elles se répartissent comme suit:

Belges
Anglais
Français

TOTAL

Allemands
7.000
17.000
31.000

55.000

138.000
tués, blessés, prisonniers ou disparus.

Cher Baron, croyez-moi, soyez prudent à l'avenir, défiez-vous de tous et surtout de vous-même. Merci pour vos renseignements.

(La Libre Belgique, n° 22, mai 1915, p. 4, col. 1.)

Voici un relevé encore plus significatif. Il est relatif à la «grande victoire navale allemande du Jutland». N'oublions pas que l'autorité allemande a avoué qu'elle avait, «pour des raisons militaires», caché la perte du Rostock et du Lützow.

Pour qu'on croie les communiqués allemands.

L'Algemeen Handelsblad du dimanche 4 juin a été autorisé—enfin!—par la K. K. Censur à nous apporter le relevé des pertes subies par les flottes dans le grand combat naval du 31 mai.

PERTES ANGLAISES
Queen Mary
Indefatigable
Invincible
Defence
Black Prince
Warrior
7 torpilleurs

26.000
18.750
17.000
14.600
13.500
13.500
7.500
_______
10.850
PERTES ALLEMANDES
Pommern
Wiesbaden
Frauenlob
Type Kaiser (1 cl.)
Type Kaiser (1 cl.)
Derfflinger
Lützow
Elbing
6 torpilleurs

13.200
2.715
2.715
24.700
24.700
28.000
28.000
4.000
5.700
_______
133.730

C'est une grosse perte pour la flotte allemande, qui a remporté la victoire... en fuyant.

CLASS=CIT In fuga salus, dit une vieille devise. Les Boches pourront la mettre au point: In fuga victoria... wisewis boum boum.

(Revue hebdomadaire de la Presse française, n° 58, p. 336.)

A qui d'ailleurs ferait-on croire que l'Allemagne est victorieuse lorsqu'on voit les interminables trains de blessés qui traversent notre pays et surtout lorsque l'Allemagne appelle sous les armes les fils d'Allemands devenus Belges!

Les Allemands contre les naturalisés belges.

Excellence,

De nombreux jeunes gens, nés de parents allemands sur le sol belge, viennent d'être appelés au service de l'armée allemande, les uns à Verviers, les autres à Bruxelles, dans l'arrondissement de Nivelles, dans la province de Luxembourg, ailleurs encore. On leur a signifié, au Meldeamt, que, nonobstant leur option pour la nationalité belge, ils n'avaient pas perdu la nationalité allemande et que, en conséquence, ils devaient le service militaire à l'Allemagne. On les a soumis séance tenante à un examen médical et on leur a délivré un congé provisoire en attendant que les autorités militaires d'Aix-la-Chapelle décident de leur affectation. Il est donc à craindre que l'Allemagne se dispose à incorporer dans ses armées tout sujet belge propre au service dont elle croira pouvoir établir la filiation allemande.

De telles mesures ont naturellement provoqué la plus profonde émotion dans toutes les classes de la population, et nous ne faisons que traduire le sentiment public en transmettant à Votre Excellence la protestation de nos compatriotes.

A différentes reprises, Votre Excellence a énergiquement démenti, en les traitant d'inventions malveillantes, les bruits qui prêtaient au Gouvernement allemand l'intention de ranger sous ses drapeaux des sujets du territoire occupé; il y a peu de jours encore, Votre Excellence a cru devoir recourir à la presse pour renouveler ses déclarations les plus rassurantes. Et voici qu'au même moment, les convocations sont lancées, jetant l'alarme dans les familles, semant le trouble parmi nos concitoyens habitués à ne faire aucune distinction entre les Belges, les Belges d'origine, et les Belges d'adoption.

Pour justifier la levée à laquelle on procède, on allègue que les naturalisés en général, et les naturalisés par option en particulier, posséderaient deux nationalités: leur ancienne et leur nouvelle; que les fils d'Allemands ayant opté pour la Belgique n'en auraient pas moins conservé leur qualité d'Allemand, au regard de la loi allemande, et qu'à ce titre 1'Allemagne aurait le droit de les enrôler.

Il n'appartient pas aux soussignés de prendre parti entre ceux qui professent cette opinion et ceux qui soutiennent que la loi de l'Empire du 23 juillet 1913, entrée en vigueur le 1er janvier 1914, ayant rompu avec le système de la double nationalité, a frappé virtuellement de caducité le système antérieur.

La question n'est pas là.

Ce n'est pas une question de droit interne, mais une question relevant exclusivement du droit public. Il ne s'agit pas seulement du droit des États qui sont liés par des actes contractuels.

Les lois qui régissent les rapports entre l'Allemagne et le territoire belge occupé sont les conventions internationales de 1899 et 1907, signées à La Haye et ratifiées tant en Allemagne qu'en Belgique. Ce sont ces traités qu'il y a lieu d'interroger; c'est à eux de répondre et de dicter la solution dans le conflit angoissant qui agite l'opinion publique.

Or, en vertu de l'article 45 du règlement annexé à la quatrième Convention, l'occupant est tenu de respecter, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays occupé. Les lois relatives à la matière qui nous occupe, c'est-à-dire l'acquisition et la perte de la nationalité belge du 16 juillet 1889 et du 8 juin 1909, ont consacré en l'étendant le droit d'option inscrit dans l'article 9 du Code civil. Ces lois n'ont subi depuis l'occupation qu'une seule restriction: celle décrétée par les ordonnances de Votre Excellence du 21 octobre 1915 et du 15 avril 1916, en vertu desquelles «les dispositions des lois belges établissant que la qualité de Belge peut s'acquérir par une déclaration faite à cette fin devant l'autorité compétente sont mises hors de vigueur». En suspendant l'effet de ces déclarations, pour l'avenir, les arrêtés précités ne portent et n'ont voulu porter atteinte aux droits acquis de ceux qui les ont faites antérieurement et qui, de ce fait, sont et restent assimilés aux nationaux.

D'autre part, l'article 23 du même règlement «interdit à un belligérant de forcer les nationaux de la partie adverse à prendre part aux opérations de guerre contre leur pays, même dans le cas où ils auraient été à son service avant le commencement de la guerre».

Cette défense couvre donc en territoire occupé tous les nationaux, y compris les assimilés, qui ont obtenu la qualité de national avant la guerre; elle les protège contre l'incorporation dans les forces armées de l'occupant. Cette règle, solennellement inscrite dans la législation de l'Allemagne en vertu de la loi de ratification, est donc obligatoire pour elle, et l'incorporation des nationaux belges dans l'armée allemande se heurte à une impossibilité légale.

L'impossibilité morale n'est pas moins flagrante. Aucun intérêt, aucune affection n'a déterminé les naturalisés belges à réclamer une place dans l'armée allemande, ni à l'ouverture des hostilités, ni à aucun moment de leur vie. La nouvelle loi de l'Empire du 22 juillet 1913 les répudie justement pour cette raison, parce qu'ils ont renoncé à une patrie pour en adopter librement une autre. Jamais l'Allemagne n'a revendiqué ces jeunes gens pour elle, jamais elle n'a requis d'eux l'exécution de leurs devoirs civiques, jamais elle ne leur a offert la protection des citoyens allemands. L'Allemagne les a traités en étrangers et elle est devenue pour eux l'Étranger. Comment, au moment d'une guerre entre elle et la Belgique, à l'heure où se dresse pour les citoyens de chaque État belligérant le devoir suprême de servir sa patrie et de se sacrifier pour elle, comment l'Allemagne en viendrait-elle à contraindre nos fils d'adoption à trahir le pays où ils sont nés, où ils ont grandi, fondé une famille, choisi leur carrière, installé le siège de leurs affaires, fixé leur foyer sans esprit de retour? Ils y ont été miliciens, électeurs, gardes civiques, et y ont prêté serment de fidélité au Roi, à la Constitution, aux lois du peuple belge dans l'exercice de leurs charges publiques; tout ce qui, dans l'acceptation naturelle et humaine du mot, signifie la patrie, est pour eux synonyme de «Belgique». Leurs souvenirs, leurs joies et les douleurs de la vie, leurs amitiés, leurs intérêts, leur présent et leur avenir se lient indissolublement à la Belgique qui les a traités à l'égal de ses enfants et contre laquelle on les forcerait à tourner leurs armes!

Aussi la raison et le coeur s'élèvent également contre une mesure qui fait violence aux sentiments les plus intimes et les plus sacrés, et nous ne doutons pas que Votre Excellence nous aura déjà devancés auprès du Gouvernement impérial pour obtenir que cette extrémité soit épargnée à tant de familles déjà si éprouvées.

Confiants dans la haute intervention de Votre Excellence, nous la prions d'agréer l'assurance de notre considération la plus distinguée.

MILES.
(La Libre Belgique, n° 88, septembre 1916, d'après L'Écho belge, 25 septembre, p. 2, col. 1.)

Il est bon de faire remarquer qu'à diverses reprises l'autorité allemande nous avait assuré que jamais des Belges ne seraient incorporés dans l'armée allemande. Voir par exemple l'affiche du 26 janvier 1915:

Avis.

Ces temps derniers, des personnes aptes au service militaire ont essayé, à différentes reprises, de traverser secrètement la frontière hollandaise pour rejoindre l'armée ennemie.

Par conséquent, je décide ce qui suit:

1° Toutes les faveurs en vigueur pour la circulation dans les zones limitrophes à la frontière sont supprimées pour les Belges aptes au service militaire;

2° Les Belges qui essaient, malgré la défense, de franchir la frontière vers la Hollande, s'exposent au danger d'être tués par les sentinelles à la frontière. Les Belges aptes au service militaire, capturés dans ces conditions, seront punis et envoyés en Allemagne comme prisonniers de guerre;

3° Quiconque aidera ou favorisera le passage défendu en Hollande d'un Belge apte au service militaire sera traité conformément aux lois de la guerre.

Ceci s'applique également aux membres de la famille du Belge apte au service militaire précité, qui n'empêchent pas celui-ci de se rendre en Hollande;

4° Seront considérés comme aptes au service militaire dans le sens de cet arrêté tous les Belges du sexe masculin, âgés de seize à quarante ans révolus.

Tous les bruits d'après lesquels des Belges seraient incorporés dans l'armée allemande ne sont que des inventions malveillantes.

Bruxelles, le 26 janvier 1915.

Le Gouverneur général en Belgique,
Baron von Bissing,
Colonel Général.

2. L'effondrement économique de l'Allemagne.

On est fermement convaincu en Belgique que si même, contre toute prévision raisonnable, l'Allemagne sortait militairement victorieuse de cette guerre, sa ruine économique et financière la contraindrait à s'avouer vaincue. Un tel dénouement, ajoute-t-on, serait le meilleur qu'on puisse espérer. L'unique idéal des Alliés, n'est-il pas, en effet, d'abattre définitivement le militarisme prussien? Or, supposez nos ennemis vaincus sur le champ de bataille; leur caste militaire attribuera certainement la défaite à une préparation insuffisante de la guerre: si l'Allemagne avait consenti depuis vingt ans à des sacrifices encore plus prodigieux, elle aurait remporté la victoire. Conclusion: une recrudescence du militarisme en vue de la revanche prochaine. Imaginez au contraire que la victoire militaire soit impuissante à assurer la victoire tout court: c'est la démonstration lumineuse que dans notre civilisation actuelle la supériorité militaire n'est plus une supériorité réelle; c'est la condamnation de l'esprit militariste; c'est la fin de l'âge de guerre, puisque la victoire ne suit plus les succès militaires.

Rien d'étonnant donc à ce que les feuilles non censurées insistent sur l'affaiblissement profond et irrémédiable de 1'Allemagne.

La dépréciation du change allemand est trop évidente pour qu'elle ait pu être ignorée des Belges. Lire, par exemple, l'article intitulé Constatations, dans La Libre Belgique, n° 45, septembre 1915.

La Soupe a procédé autrement. Elle a publié des tableaux et des graphiques montrant la dégringolade du mark à la bourse d'Amsterdam du 1er octobre 1914 au 1er juillet 191526.

26 [ Voir Comment les Belges résistent..., fig. 30.]

Une question connexe est celle des emprunts de guerre. Voici l'avis d'un prohibé belge sur le troisième emprunt allemand:

Un bluffeur.

Nous venons de dire ce qu'il faut penser des mensonges effrontés débités par le chancelier impérial au Reichstag allemand dans le discours affiché sur nos murs pour notre édification.

On aurait dû, pour compléter la démonstration, y ajouter le discours de M. Helfferich, ministre des Finances. Les deux font la paire; c'est malheur qu'on les ait séparés.

On sait qu'il fallait enlever le vote d'un emprunt de 10 milliards de marks, le troisième, et qui porte le total emprunté à 25 milliards.

Demandant tant d'argent, M. Helfferich n'a pas hésité à promettre qu'il le rendrait. Il le rendra à l'aide des indemnités que l'Allemagne recevra des Alliés. Pas complètement peut-être, a-t-il dit, car leur situation financière est aussi fâcheuse que celle de l'Allemagne est florissante. Ils sont à bout de ressources et leur crédit épuisé. Chacun sait, a-t-il affirmé, que l'Angleterre a échoué dans son dernier emprunt, et quant à la France, il y a beau temps que son bas de laine est vide. Mais enfin, qu'on rende l'argent ou qu'on ne le rende pas, l'Allemagne n'a cure de cette misère. Et puis, ajoute M. Helfferich, tout ce que possèdent les citoyens allemands n'appartient-il pas à l'État? Celui-ci reprend son bien où il le trouve et il en dispose à sa guise. C'est la théorie du chiffon de papier, appliquée aux bons de caisse et aux billets de banque.

On eût pu répondre à M. Helfferich en lui citant les articles plus sérieux de quelques spécialistes allemands réprouvant ces procédés de discussion et maintenant que la situation financière en Angleterre et en France est solide et saine, et qu'il ne faut pas là-dessus se payer d'illusions; on eût pu lui montrer aussi, par l'exemple de la Mittelrheinische Bank, où mènent les prêts à jet continu sur les mêmes gages, fond de toute sa science. Il eût confondu ses contradicteurs par quelques coups de grosse caisse. La sienne résonne d'autant mieux qu'elle se vide.

Cependant, il met en chasse les écoliers; il leur accorde médailles et diplômes pour qu'ils lui apportent tout l'or encore gardé dans leurs familles. Il en a besoin pour ses paiements à l'étranger, puisque le mark n'y est accepté qu'avec 35% de perte.

Et, à la Bourse de Berlin, des malheureux s'entassent, spéculent avec frénésie pour gagner de quoi vivre dans les mouvements de hausse menés par des aigrefins. Le jour où viendra la baisse, on fermera les portes et le krach sera terrible.

Où sera alors l'impudent bluffeur?

(Le Belge, n° 3, septembre 1915, p. 3.)

Autre grosse difficulté, contre laquelle l'Allemagne se débat en pure perte: le blocus maritime où l'enserre la flotte anglaise. La Libre Belgique commente à ce propos des articles autrichiens et allemands:

L'armée de la disette.

La Nouvelle Presse libre, de Vienne, consacre un long article au discours de M. Asquith, annonçant le blocus de la faim. Le journal autrichien fait un tableau tragique des conséquences du blocus pour l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Il demande si des milliers d'innocents doivent périr parce que l'Angleterre a décrété contre eux une loi impitoyable; si les fabriques doivent être fermées, les ouvriers congédiés, les familles en proie à de nouveaux soucis parce que l'Angleterre possède la maîtrise des mers et empêche l'arrivage des matières premières.

La presse allemande consacre aussi de nombreux articles dans le même sens au blocus de disette et proteste en déclarant que la mesure est contraire au droit de la guerre. Berlin oublie et le langage de ses hommes d'État et de ses chefs militaires, et le précédent capital, celui de Paris en 1870. Le Vorwärts, avec droiture et courage, rappelle la théorie et les faits:

«Les militaires allemands ont dit souvent que «la guerre la plus «impitoyable serait la plus humaine, car elle abrégerait les terribles souffrances «de la guerre».

«En réalité, le moyen de guerre qui consiste à affamer est le plus ancien et, jusqu'ici, le plus privilégié par le droit des gens. Autrement, il n'y aurait ni siège de la guerre sur terre, ni droit de prise, de visite et de blocus dans la guerre maritime.»

Et l'organe socialiste ajoute:

«Des places assiégées peuvent être forcées à se rendre par le fait qu'on les a coupées de tout moyen de communication. C'est ainsi—c'est l'exemple le plus considérable de ce genre—que les millions d'habitants de Paris furent, en 1870-1871, amenés au bord de la famine—femmes, enfants, vieillards, malades, blessés—et contraints par là à la capitulation.»

L'Allemagne à son tour peut méditer l'ordonnance humoristique de son premier chancelier refusant le ravitaillement à Paris à moins de capitulation sans condition. «Un peu de diète, avait dit Bismarck à nos négociateurs, fera plutôt du bien à la santé de Paris.» On sait, au reste, que les hygiénistes allemands eux-mêmes blâment leurs compatriotes de trop manger.

(La Libre Belgique, n° 8, mars 1915, p. 4, col 1.)

La Libre Belgique a aussi consacré un bon article général à l'épuisement économique de l'Allemagne.

Le ventre, le sang, les nerfs.

«Nous avons des vivres à suffisance.»
(Bethmann-Hollweg.)
«La situation financière est excellente.»
(Helfferich.)
«La force de résistance de notre peuple est inépuisable.»
(Journaux allemands.)

On a comparé la vie d'un peuple à la vie de l'homme. L'assimilation est juste. Comme l'individu, une nation possède sa digestion: c'est l'abondance de la nourriture; elle possède sa circulation: ce sont ses finances; elle possède son innervation: c'est sa force de résistance.

La première condition de la santé consiste dans l'alimentation. Où en est la nation allemande à cet égard? Quelle est sa situation économique? La Kölnische Volkszeitung du 24 décembre y répond d'une façon intéressante. Le froment, dit-elle, ne manque pas, ce qui n'empêche que la portion de pain accordée aux habitants est rudement congrue. Les pommes de terre sont en quantité assez abondante, pour qu'on en fasse une... équitable répartition; mais, précisément, c'est là le hic; cette juste répartition est impossible, et de là provient la disette en tubercules dans les milieux besogneux; de là aussi les énormes prélèvements de pommes de terre en Belgique, expédiées en Allemagne et enlevées à la nourriture du peuple belge. Le lait est suffisant, poursuit le journal, pour les besoins... des enfants et des malades; quant aux adultes, il leur conseille de s'en abstenir. Le fromage n'existe plus qu'à l'état de souvenir! La viande est en pénurie, avoue la feuille de Cologne (malgré l'expédition du bétail belge), et son insuffisance provoque des «plaintes justifiées», mais elle fait remarquer qu'il est très hygiénique de n'en consommer que fort peu. Le bon billet! La graisse: «nous ne nageons pas dans la graisse»; les provisions en sont très limitées et il importe de se les partager parcimonieusement; «celui qui épargne une livre de beurre ou de graisse contribue à servir la cause patriotique; celui qui, volontairement, y renonce, se conforme à une nécessité de la situation». C'est bien dit, mais...

Mais, que diable! de quoi doit donc se nourrir ce peuple allemand si goulu! Rationné pour le pain (le fameux K. K.!) et pour les pommes de terre, presque sevré de viande, privé de graisse, de beurre, de lait, de fromage, sans compter le reste! Quel paradis, mes frères! et quelle perspective de félicités futures! Il est vrai qu'il peut se gaver des belles paroles de Bethmann: «Nous avons des vivres à suffisance», et de la littérature des journaux; mais, substantiellement, c'est plutôt maigre! Le proverbe ancien reste vrai: ventre affamé n'a point d'oreilles...

On n'accusera pas la Volkszeitung d'avoir assombri son tableau. On peut affirmer qu'en réalité la situation économique est des plus graves en Allemagne, plus grave qu'on ne le soupçonne et qu'on n'ose l'avouer. Le prix des denrées alimentaires y est inabordable, gémit le Vorwärts; c'est la disette! Mais que doit être alors la situation en Autriche où le prix des aliments atteint presque le double de celui de Berlin? On comprend dès lors les plaintes, les lamentations, les appels à la paix, les colères populaires dans ces deux empires: combien de temps pareille situation est-elle encore tolérable?

*
*      *

Si la digestion souffre, la circulation n'est pas en meilleur état; le sang qui contient précisément les globules nummulaires, c'est-à-dire l'argent, perd de sa valeur et de sa force; c'est à la Bourse que les argentiers tâtent le pouls d'un pays et reconnaissent sa faiblesse ou sa vigueur. Or, voici quelques données intéressantes des Bourses d'Amsterdam et Rotterdam (pays neutre) qui diagnostiquent exactement l'état financier de l'Allemagne et de l'Autriche. Le Wisselkoers (le change) y indique la valeur qu'on attribue à l'argent de ces deux pays. La valeur nominale du mark allemand est de 1f25, celle de la couronne autrichienne de 1f02; avant la guerre, la valeur réelle correspondait à la valeur nominale. Examinons la dépréciation, c'est-à-dire la perte de ces monnaies durant la guerre; le tableau suivant est suggestif:


Janvier 1915
Février
Mars
Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
Septembre
Octobre
Novembre
Décembre
MARK
54,35 cents
52,90
51,20
52,25
52,22
50,85
50,67
50,32
50,62
50,62
47,00
44,10
KRONE
42,50 cents
41,50
41,50
39,25
39,35
38,10
37,50
37,40
36,85
35,15
34,65
30,50

Le cent vaut 2c08. Le mark vaut donc, en décembre 1915, 91c53; perte: 33c47, soit plus de 37%!

La couronne vaut, en décembre 1915, 63c44; perte: 38c56, soit environ 40%!

Quelle chute lamentable! Plus les victoires des Austro-Allemands se multiplient en 1915, plus leur dégringolade financière s'accentue: bizarre! C'est l'appauvrissement du sang de la nation, c'est la ruine. Et la transfusion du sang belge (les 40 millions mensuels soustraits aux provinces) n'a pu empêcher le dépérissement! Après cela, que Helfferich vienne clamer que «la situation est excellente», la Bourse indépendante lui répond par des faits précis inattaquables.

*
*      *

La physiologie enseigne que, lorsque la nutrition est insuffisante et que le sang s'anémie, le système nerveux se trouble, se déprime et se révolte; la résistance organique s'effondre, et, quand le médecin se trouve devant pareille déchéance vitale, il hoche la tête et jette un regard découragé sur l'entourage du malade.

Chez l'Allemagne aussi les nerfs ont des dépressions et des soubresauts. Gretchen a beau fermer hermétiquement les fenêtres de la chambre où elle languit, la censure a beau museler la presse, l'autorité a beau empêcher l'arrivée en Belgique de certains numéros des feuilles germanophiles de Hollande, la vérité n'en finit pas moins par filtrer à travers les interstices. La vérité, la voici: en Allemagne, le découragement confine au désespoir; l'ère des émeutes y débute, avant-coureur de l'insurrection. La Germanie s'étiole, sa force de résistance décline, elle se sent à bout de forces. Quel encouragement pour ses soldats épuisés!

*
*      *

Hallali! la bête est atteinte, la bête est en train d'agoniser! Réjouis-toi, Belgique, innocente victime, si longtemps torturée par la bête! Ta délivrance est proche....

Ego.
(La Libre Belgique, d'après L'Écho belge, 16 mars 1916.)

3. L'optimisme en Belgique.

Tous ceux qui ont été en contact avec les Belges de Belgique ont été frappés de notre bonne humeur et de notre inaltérable confiance. Relisez les correspondances bruxelloises de Nieuwe Rotterdamsche Courant et des quotidiens allemands: toutes indistinctement expriment la stupéfaction, ou même l'indignation, devant l'incompréhensible attitude de la population: ne voilà-t-il pas que, malgré leurs épreuves, les Belges gardent la foi dans la victoire intégrale des Alliés! Légèreté, pense le correspondant de Nieuwe Rotterdamsche Courant; aveuglement qui frise la bêtise, écrivent les Allemands.

La même impression défavorable nous a été communiquée par des Hollandais qui étaient venus en Belgique pendant l'occupation. «Comment pouvez-vous rester gais et souriants; seriez-vous assez naïfs pour croire encore à l'écrasement final des Allemands? Vous êtes donc incapables de mesurer la formidable puissance militaire qui vous étreint!»

Qui plus est, des Belges réfugiés en Hollande, en Angleterre ou en France, nous ont tenu à peu près le même langage. Eux aussi commençaient à douter de la possibilité de réduire le militarisme allemand.

Quel est le secret de notre optimisme tenace? Est-il, comme le pensent les observateurs superficiels, dans un manque de réflexion ou de saine compréhension des circonstances présentes? Non pas. Il tient à nos souffrances mêmes, à l'incessante tension qui nous est nécessaire pour lutter pied à pied contre les exigences de l'Allemand,—à notre volonté de ne pas nous laisser intimider par les menaces et les exécutions,—à la claire notion que nous avons de ses faiblesses et de ses fureurs impuissantes. En un mot, nous avons la foi, parce que nous agissons. Celui qui risque journellement sa liberté et sa vie, n'a pas le temps de s'abandonner au désespoir; et il n'y a plus en Belgique que des conspirateurs qui se sentent guettés par la police allemande! Notre mentalité est en somme la même que celle du soldat de première ligne comparée à celle des troupiers qui se reposent à l'arrière: autant dans la tranchée règnent la bonne humeur et la confiance, autant les réserves broient du noir.

Cet état d'âme devait être esquissé pour faire saisir le ton des articles sur notre optimisme; car la même mentalité imprégnant tous les Belges, nos journaux n'en parlent naturellement pas.

Quelques mots pourtant aux rares hypocondriaques:

Aux esprits chagrins.

A tort ou à raison, vous avez des inquiétudes. Vous broyez du noir. Vos affaires vont mal. Votre tranquillité en est troublée.

Je vous plains, mais je vous blâme d'aller pleurnichant. Souhaitez-vous que les autres aussi deviennent inquiets, sombres et décourageants? Quel avantage auriez-vous à ce résultat? Et quel profit y aurait-il pour la nation?

Si vous ne trouvez pas en vous la confiance et la bonne humeur, souffrez au moins que d'autres soient pleins d'optimisme. Le plus grand service que vous puissiez rendre au pays, c'est de ne pas communiquer aux autres le mal qui vous consume.

Avant d'agir, de parler, de geindre, de soupirer, posez-vous ces questions: «A quoi bon répandre mon humeur chagrine? Cela n'améliorera pas les choses. Est-il souhaitable que tout le monde soit soucieux comme moi? L'optimisme, même si je le juge excessif, ne vaut-il pas mieux, pour l'ensemble de la nation, que le doute et le renfrognement?» Votre réponse sera: «Oui, pour supporter les épreuves présentes et futures, il vaut mieux que les gens aient le coeur léger, même s'ils se nourrissent d'illusions.» Eh bien, votre devoir est de vous taire et de vous isoler. Car il y a en vous une contagion dangereuse pour votre prochain. Vous n'avez pas le droit de troubler sa tranquillité et ce qui le soutient. Si vous en usez autrement, vous faites acte de mauvais citoyen!

(La Vérité, n° l, 2 mai 1915, p. 15.)

Voici maintenant un article de La Libre Belgique, où se reflète la confiance générale:

Patience, endurance, persévérance et confiance.

La terrible lutte imposée à l'Europe par l'aveugle fanatisme germain continue à développer ses désastreuses et lamentables péripéties avec une opiniâtreté monotone qui devient chaque jour plus obsédante et semble ne laisser entrevoir aucun prochain espoir d'une solution quelconque. Chaque jour, on apprend que des milliers d'existences humaines ont été immolées sur terre et sur mer au Moloch de la guerre, que des millions ont été engloutis et détruits, ou se sont évanouis en fumée; les deuils et les regrets se succèdent et s'accumulent sans qu'apparaisse à l'horizon l'aurore de jours meilleurs et l'espoir d'un avenir de délivrance et de paix. Loin de s'atténuer et de restreindre ses ravages le fléau s'étend sur les territoires de plus en plus grands, sans qu'on aperçoive chez ceux qui ont déchaîné le simoun dévastateur le moindre signe de regret et de remords. Impassibles et opiniâtres, ils continuent sans arrêt à envoyer des milliers de victimes à la mort, à accumuler les ruines et les désolations, qu'ils cachent d'ailleurs à leurs peuples, quand ils ne peuvent les présenter comme des succès ou des victoires.

Nos compatriotes auraient cependant tort de tenir compte de cette impassibilité des Allemands. Elle est plus apparente que réelle, elle est surtout plus fausse que sincère, plus artificielle que fondée.

Nous ne voyons qu'une des faces de la situation, étant sous la tyrannie de l'occupant qui nous interdit la connaissance de la vérité et ne permet que la diffusion des informations qui lui plaisent et servent sa cause.

Nous n'apercevons rien des ruines commerciales et économiques de l'Allemagne résultant de l'arrêt complet de sa navigation, dû au nombre énorme des ouvriers envoyés au front, et du chiffre sans précédent des morts et des blessés. Ceux qui ont été à Berlin et dans certaines grandes villes de Prusse y ont été frappés par l'aspect lugubre des quartiers ouvriers. La discipline militaire et l'orgueil germanique n'y permettent pas la manifestation des sentiments populaires, mais, malgré la consigne, la vérité se fait jour de plus en plus sur l'échec du plan allemand.

A part le côté russe où la victoire ne couronne pas encore le Tsar, mais qui peut tenir presque indéfiniment à cause des réserves inépuisables en hommes que l'Empire moscovite renferme, il est clair que la tactique de Joffre et de French a, jusqu'à présent, été couronnée de succès et que l'usure des forces teutonnes progresse incessamment. Il serait presque impossible de calculer les pertes d'hommes et de capitaux que l'Empire a subies depuis dix mois, mais il est certain qu'elles sont colossales et inouïes dans l'histoire du monde. L'entrée en scène de l'Italie avec ses 2 millions de soldats n'est pas faite pour améliorer la situation des empires austro-germains, et l'Italie sera très probablement suivie de près par d'autres nations.

Il y a enfin à compter avec les «impondérables», c'est-à-dire avec la conscience de l'univers qui chaque jour se prononce davantage contre l'Allemagne, à cause de sa trahison envers la Belgique, de son mépris du droit des gens et de sa façon abominable de faire la guerre. Les Allemands eux-mêmes, en dépit de leur fanatisme chauvin, se rendront compte de cette réprobation universelle. Leur folie collective ne résistera pas toujours à l'évidence du sens commun. Pour eux aussi la vérité est en marche.

Nous devons donc avoir confiance. L'épreuve que nous subissons est longue et douloureuse, mais nous avons le bon droit pour nous. Persévérons avec patiente et dignité. La victoire est certaine. Nous avons cent fois plus de raisons de dire comme le Kaiser: Gott mit Uns—Dieu est avec nous.

HELBÉ.
(La Libre Belgique, n° 27, juin 1915, p. l, col. 1.)

Une seule chose pourrait à la longue ébranler notre courage, c'est la durée imprévue de notre calvaire. Aussi est-il utile de rappeler de temps en temps que, sous peine de voir recommencer la guerre dans peu d'années, la lutte actuelle doit être continuée jusqu'à l'aplatissement définitif de la puissance militariste allemande.

Voici, à titre d'exemple, la conclusion de l'article Guerre aux Huns modernes (La Libre Belgique, n° 39, août 1915).

Les milliers de nos frères, de nos parents, qui sont tombés sur les champs de bataille ou sous la rage de nos envahisseurs, se lèveraient de leurs tombes si nous cessions la lutte avant d'avoir jugulé le monstre de la guerre.

HELBÉ.

Les journaux prohibés expriment l'avis de la masse. Les personnalités élevées nourrissent-elles le même optimisme? Voici quelques extraits du mandement de carême de 1916, écrit par Mgr Mercier, à son retour de Rome:

Fête de Saint-Thomas d'Aquin 1916.

MES BIEN CHERS FRÈRES,

...Il y a beaucoup de choses que je ne puis vous dire. Vous me comprendrez. La situation anormale que nous avons à subir nous interdit de vous exposer, à coeur ouvert, tout juste ce qu'il y a en notre âme de meilleur et de plus intime pour vous; ce qui, venant de plus haut et vous touchant de plus près, est à moi mon plus ferme soutien et serait pour vous, si je pouvais parler, votre plus puissant réconfort: mais vous ne douterez pas de ma parole, vous me croirez lorsque je vous assure que mon voyage a été particulièrement béni, et que je vous reviens heureux, très heureux....

Vous avez eu déjà des échos, je pense, des acclamations qui, sur tout le parcours de notre voyage, à l'aller et au retour, en Suisse et en Italie, saluèrent le nom belge.

Supposé même, mes bien chers Frères, que l'issue finale du duel gigantesque engagé, en ce moment, en Europe et en Asie Mineure, fût encore incertaine, un fait acquis à la civilisation et à l'histoire, c'est le triomphe moral de la Belgique. En union avec votre Roi et votre Gouvernement, vous avez consenti à la patrie un sacrifice immense. Par respect pour notre parole d'honneur; pour affirmer que, dans vos consciences, le droit prime tout, vous avez sacrifié vos biens, vos foyers, vos fils, vos époux, et, après dix-huit mois de contrainte, vous demeurez, comme le premier jour, fiers de votre geste; l'héroïsme vous paraît si naturel, qu'il ne vous vient pas à la pensée d'en tirer gloire pour vous-mêmes: mais si vous aviez pu, comme nous, franchir nos frontières et contempler à distance la patrie belge; si vous aviez entendu le peuple, «l'homme dans la rue», ainsi que s'expriment les Anglais, je veux dire, l'ouvrier manuel, le petit employé, la femme de la classe qui peine; si vous aviez recueilli les témoignages, vivants ou écrits, de ceux qui représentent, avec autorité, les grandes forces sociales, la politique, la presse, la science, l'art, la diplomatie, la religion, vous auriez mieux pris conscience de la magnanimité de votre attitude, vos âmes auraient tressailli d'allégresse et même, je crois, d'orgueil.

Les expressions les plus vibrantes du respect, de l'admiration du culte pour la grandeur morale, pour la noblesse d'âme, pour la patience calme et obstinée de la nation belge nous arrivaient des cités et des villages de Suisse, d'Italie, d'Espagne, de France, d'Angleterre et montaient, portées par l'enthousiasme, à ceux-là qui personnifient le patriotisme belge, nos Souverains, le Gouvernement, le clergé, notre vaillante armée.

Pour nous, les hommages que nous recevions, nous les reportions constamment vers vous, car un instinct secret nous rappelait toujours que c'est vous qui, par votre endurance, les méritiez et nous les attiriez....

La conviction, naturelle et surnaturelle, de notre victoire finale est, plus profondément que jamais, ancrée en mon âme. Si, d'ailleurs, elle avait pu être ébranlée, les assurances que m'ont fait partager plusieurs observateurs désintéressés et attentifs de la situation générale, appartenant notamment aux deux Amériques, l'eussent solidement raffermie.

Nous l'emporterons, n'en doutez pas, mais nous ne sommes pas au bout de nos souffrances.

La France, l'Angleterre, la Russie, se sont engagées à ne pas conclure de paix, tant que la Belgique n'aura pas recouvré son entière indépendance et n'aura pas été largement indemnisée. L'Italie, à son tour, a adhéré au pacte de Londres.

L'avenir n'est point douteux pour nous.

Mais il faut le préparer....

Imaginez une nation belligérante, sûre de ses corps d'armée, de ses munitions, de son commandement, en passe de remporter un triomphe: que Dieu laisse se propager dans les rangs les germes d'une épidémie, et voilà ruinées, sur l'heure, les prévisions les plus optimistes!...

D. J. CARDINAL MERCIER,
Archevêque de Malines.
Par mandement de S. Ém. le Cardinal Archevêque:
L. MEEUS, Secrétaire.

Les Allemands se fâchèrent: l'imprimeur du mandement, M. Dessain, de Malines, fut condamné à un an de prison. Il est à Anrath, en Allemagne, dans une prison de droit commun. Les exemplaires du mandement furent saisis, et les prêtres reçurent l'ordre de ne pas en souffler mot (ce qui, bien entendu, ne les empêcha pas d'en donner lecture publiquement en chaire). Enfin, M. le gouverneur général élabora le monument que voici:

La lettre de Bissing au cardinal Mercier.

Voici le texte de la lettre impudente que le Bissing vient d'adresser au cardinal Mercier. Le texte en est publié, bien entendu, par les soins des journaux embochés de Belgique et par ordre de la Kommandantur:

UNE LETTRE DU GOUVERNEUR GÉNÉRAL EN BELGIQUE A S. ÉM. LE CARDINAL MERCIER

A la suite de la lettre pastorale qui vient d'être lue dans toutes les églises de l'archidiocèse de Malines, le gouverneur général en Belgique a adressé, le 15 mars dernier, la lettre suivante à S. Ém. le cardinal Mercier:

Je porte ce qui suit à la connaissance de Votre Éminence:

Celui qui est le plus haut placé pour veiller à la sauvegarde des intérêt de l'Église catholique m'a certifié, de la manière la plus formelle et à différentes reprises, qu'à son retour de Rome, Votre Éminence observerait une attitude pleine de modération. En conséquence, je pouvais m'attendre à ce que Votre Éminence s'abstînt des manifestations qui continuent à jeter le désarroi dans l'esprit, si facile à surexciter, de la population belge. Dans cette attente, je m'étais gardé de discuter avec Votre Éminence des incidents provoqués par votre voyage et notamment la lettre collective des évêques belges et l'abus politique que vous avez fait du sauf-conduit que le Saint-Père avait sollicité pour vous permettre de vous rendre à Rome dans un but purement ecclésiastique.

Votre lettre pastorale me permet de dire que non seulement vous ne vous êtes pas conformé aux assurances que nous avait données la haute personnalité la mieux placée pour nous les donner, mais qu'en outre vous avez fait en sorte que vos rapports avec le pouvoir occupant soient plus tendus que jamais. Il ne peut naturellement faire doute pour personne que je n'empêcherai jamais Votre Éminence de transmettre aux fidèles les communications que le Saint-Père désirerait leur faire connaître par votre intermédiaire. Mais Votre Éminence se livre dans sa lettre pastorale à des commentaires purement politiques, et cela, je ne puis, en aucun cas, l'admettre.

Je ne puis admettre que Votre Éminence, à propos de l'issue de la guerre, cherche à susciter des espoirs non fondés et contraires à la réalité des faits. Notamment Votre Éminence, pour appuyer ses affirmations, cite des déclarations imprécises émanant de personnalités absolument étrangères aux événement, et qu'il est absolument impossible de considérer comme compétentes. Dans un autre passage de votre lettre pastorale, vous cherchez à faire impression en disant que la décision que vous espérez pourrait être amenée par la propagation de maladies épidémiques. Par cette argumentation arbitraire, Votre Éminence ne peut que provoquer une surexcitation nuisible dans la population si crédule, et l'amener à opposer une résistance active ou passive à l'administration du pouvoir occupant.

Je dois signaler, comme particulièrement intolérable, l'allusion que vous faites dans votre lettre pastorale à une atteinte à la liberté religieuse de la population dans le territoire occupé. Votre Éminence sait mieux que personne combien cette insinuation est injuste.

Dans ces conditions, contrairement à la longanimité dont j'ai fait preuve jusqu'à présent, je poursuivrai désormais sans hésitation toute propagande politique tendant à fomenter des sentiments hostiles à l'égard de l'autorité légitime du pouvoir occupant, autorité reconnue par le droit des gens, même si cette propagande est fomentée sous le couvert de la liberté des cultes, comme c'est d'ailleurs mon devoir de le faire, en conformité avec mes décrets et en accomplissement de ma mission. Si j'ai jusqu'à présent signalé à Votre Éminence, pour qu'ils fussent punis suivant la discipline canonique, les écarts dont se sont rendus coupables des ecclésiastiques, je m'en abstiendrai désormais. En effet, Votre Éminence elle-même a donné l'exemple de l'insubordination, de telle sorte que son influence est maintenant sans poids. J'ai, en outre, l'obligation de rendre de plus en plus Votre Éminence moralement responsable des agissements regrettables auxquels de nombreux ecclésiastiques se laissent entraîner et qui attirent à certains d'entre eux des châtiments sévères.

Votre Éminence m'objectera sans doute de nouveau que j'ai mal compris certains passages de sa lettre pastorale ou que je leur ai donné une interprétation qui n'était pas dans sa pensée. Toute discussion de ce genre devant fatalement rester stérile, je n'ai pas l'intention de la reprendre. Je suis, au contraire, fermement résolu à ne plus tolérer à l'avenir que Votre Éminence, abusant de ses hautes fonctions et du respect dû à sa robe ecclésiastique, poursuive une propagande politique effrénée qui entraînerait pour tout simple citoyen des responsabilités pénales.

Je préviens donc Votre Éminence qu'elle aura à s'abstenir désormais de toute activité politique.

Agréez l'expression de notre considération distinguée.

(s.) Baron VON BISSING,
Général-colonel.

(La Belgique [de Rotterdam], 28 mars 1916, p. 3, col. 3.)

Notre optimisme ne nous fait pourtant pas oublier combien l'heure est grave et triste: on montre un visage souriant, mais au dedans chacun est fort sérieux. Des visiteurs occasionnels ont pu se méprendre sur notre conduite et croire que la vie mondaine se poursuivait à Bruxelles. Erreur profonde: presque toutes les salles de spectacle sont fermées; les estaminets eux-mêmes sont presque déserts. La lettre d'un bourgmestre, reproduite par La Libre Belgique, donne les raisons de notre gravité intime:

Plus de fêtes, fussent-elles des fêtes de bienfaisance!

Il existe à Bruxelles une catégorie de gens que la guerre n'atteint pas et qui sont trop indifférents ou trop égoïstes pour en souffrir. Ce sont ces gens-là qui constituent la clientèle la plus assidue des théâtres et des lieux de divertissement. Il en est d'autres aussi qui se persuadent à tort que la charité retirerait de l'organisation de fêtes ou de représentations théâtrales des profits plus abondants. Nous dédions aux premiers comme aux seconds cette lettre d'une si belle tenue et d'une si noble élévation de sentiments, adressée à la présidente d'une oeuvre destinée au soutien des enfants en bas âge pendant la guerre par le bourgmestre d'une grosse commune de province, qui est en même temps une des personnalités les plus estimées du monde politique:

«MADAME LA PRÉSIDENTE,

«Vous me demandez de vous délivrer l'autorisation écrite d'organiser une fête de bienfaisance qui consistera en un concert payant.

«Je vous ferai remarquer qu'il ne m'appartient pas de vous accorder cette autorisation; chacun est libre d'organiser, dans un local privé, tel divertissement qu'il lui plaît. Mais je ne vous cacherai pas que, si pareille autorisation m'était demandée pour une fête que je pourrais interdire, je n'hésiterais pas à la refuser.

«Et voici pourquoi:

«Si, au milieu de mes préoccupations et des tracas que me suscite ma charge, une chose m'a fait du bien, c'est de constater que notre population a compris la gravité et la tristesse de la situation.

«Le silence s'est fait dans la ville, ininterrompu depuis plus d'un an; plus de chants dans les rues, plus de réunions d'aucune sorte; les sociétés de musique se sont tues; plus d'exécutions, plus de répétitions.

«J'ai senti là l'instinctive et délicate attention de l'âme populaire envers ceux qui souffrent du départ d'un époux, d'un fils ou d'un frère.

«Ce deuil, il faut qu'il dure jusqu'à l'heure où, notre indépendance reconquise, la liberté nous sera rendue.

«Aussi, j'en sais beaucoup qui souffriraient, au fond d'eux-mêmes, de tout ce qui, à cette heure douloureuse, nous distrairait de nos angoisses patriotiques. Donc, plus de fêtes, fussent-elles des fêtes de bienfaisance.

«Bien faire!», chacun en a la stricte obligation, à tous les instants, et notre bourgeoisie n'y a pas manqué quand, dans des circonstances récentes, elle a mis, en deux journées, 20.000 francs à la disposition des malheureux, sur un simple appel fait au devoir, sans perspective d'un divertissement musical.

«Elle renouvellerait, s'il le fallait, ce mouvement généreux. Mais le soutien de «la soupe aux petits» ne réclame plus un tel effort, et je pense qu'il ne serait pas difficile de réunir les quelques centaines de francs que demande la bonne marche de l'oeuvre.

«D'ailleurs, si vous aviez l'appréhension du contraire, je m'empresserais de vous rassurer en vous disant que j'apprécie assez l'utilité de l'institution pour me charger de vous trouver, tous les mois, les ressources nécessaires à son fonctionnement régulier.

«Mais, de grâce, chère Madame, pas de fête! Et puis, êtes-vous certaine qu'elle réussirait? N'y en a-t-il pas d'autres que moi qui auraient peur, en y assistant, d'entendre, dans les intervalles des morceaux, la voix lointaine du canon pour rappeler qu'il y en a, là-bas, qui ne sont pas à la fête.

«Veuillez agréer, etc.,»

(La Libre Belgique, d'après L'Echo belge, 21 mars 1916.)

Il convient de rappeler que dès les premiers jours de l'occupation un journal censuré, Le Belge (qui n'est pas Le Belge clandestin), refusa d'insérer les réclames de théâtres, cinémas et autres divertissements; mais ce journal, trop peu souple, fut bientôt supprimé.

4. L'esprit goguenard des Belges.

Il ne suffit pas qu'une nation reste ferme et confiante devant l'oppression étrangère. Il faut encore qu'elle conserve sa bonne humeur.

La contemplation journalière des casques à pointe et de la Parade-Marsch n'a pas fait perdre au Bruxellois son esprit frondeur, et la «zwanze» fleurit autant qu'en temps de paix. Les auteurs de La Libre Belgique savent parfaitement que s'ils sont pris ils risquent fort d'être placés devant le peloton d'exécution, car l'Allemagne ne badine pas avec le crime de lèse-majesté; mais cette perspective ne les empêche pas d'envoyer les Polizisten faire visite à la statue d'André Vésale ou à un W.C. (p. 11). On ne se prive même pas du plaisir d'épingler un numéro de La Libre Belgique au dos d'un soldat, qui se charge ainsi de faire de la propagande gratuite pour le journal traqué.

D'innombrables plaisanteries circulent en Belgique. Écrites à la machine sur un bout de papier, elles passent rapidement de main en main, laissant derrière elles un large sillage d'éclats de rire. Voici quelques-unes de ces anecdotes, à titre d'échantillons:

Un paysan venait chaque jour en ville avec sa charrette attelée d'un âne. Le vieux landsturm, tout-venant avec 80% de gros27, qui était de faction à l'entrée de la ville, examine ses papiers et demande le nom de l'Ane.

27 [ C'est la formule classique des marchands de charbon à Bruxelles: leur tout-venant contient 80% de gros. On désigne ainsi le landsturm (Note de J.M.)]

—Mon âne! il n'a pas de nom!

—Il faudra lui en donner un. Chez nous, tous les ânes ont un nom. Je pourrais facilement vous en citer 93.

Quelques jours plus tard:

—Eh bien, dit le landsturm, avez-vous choisi un nom?

—C'est que... je n'en trouve pas de convenable.

—Appelez le donc Albert.

—Ah! pardon! riposte le paysan, ce serait injurieux pour mon Roi.

—Oh! là! là! En voilà des scrupules! Tenez! appelez-le Guillaume!

—Ah! pardon! riposte le paysan, ce serait injurieux pour mon âne.

*
*      *

Chez un paysan logent des soldats allemands. Ils ne tarissent pas en rodomontades sur la puissance de leur armée, sur son triomphe certain, sur les inépuisables réserves en hommes de l'Empire, sur l'excellence du pain K.K., etc. Un beau matin, ils annoncent l'arrivée de 100.000 nouveaux hommes sur le front de l'Yser. Le paysan se gratte la tête.

—Hein! qu'en dites-vous? 100.000 nouveaux!

Le paysan se gratte toujours la tête.

—Mais parlez donc, insistent les Teutons, dites ce que vous en pensez!

—J'en pense, dit enfin le Flamand, que c'est trop! Je ne sais vraiment plus où nous trouverons encore de la place pour en enterrer 100.000,

*
*      *

Tout au début de la guerre, ils avaient réquisitionné dans la campagne de Liège un homme pour les aider à enterrer leurs morts. La besogne ne manquait pas. Ils le forcèrent à les accompagner à Haelen, puis devant Anvers, enfin sur l'Yser. Il était de plus en plus surmené; bientôt, la déformation professionnelle aidant, il en était arrivé à ne plus faire grande différence entre les morts et les vivants, et il enterrait indistinctement toute la bocherie qu'il ramassait. Si quelque blessé hurlait trop fort:

«Je ne suis pas mort, moi!» notre Liégeois se contentait de lui lancer un «oui, oui, vous dites ça!» qui coupait court à toute discussion; et le Boche dégringolait au fond du trou. «R.I.P.»

Pourtant sa façon d'agir vint aux oreilles de l'état-major, et on le fit passer en conseil de guerre; non pas tant parce qu'on désapprouvait ses procédés (les blessés ne sont qu'un embarras pour une armée en campagne), mais pour se donner une contenance vis-à-vis des troupes.

—Est-il vrai, lui demanda-t-on d'un air sévère, que vous enfouissez aussi ceux qui vous déclarent qu'ils ne sont pas morts?

—Ah ouiche! répondit-il, si on les écoutait, ils ne seraient jamais morts.

Devant une telle fermeté de principe, il n'y avait qu'une chose à faire: on lui donna de l'avancement. C'est lui maintenant qui est préposé à l'incinération des Boches dans les hauts fourneaux de Seraing.

*
*      *

Un Bruxellois causant dans la rue avec un camarade prononce à haute voix le mot «canaille». Aussitôt un rhum-cognac28 s'avance et emmène mon homme à la Kommandantur. Après avoir été gardé à la diète pendant un jour ou deux, dans le grenier, le voici mis sur la sellette.

28 [ Les policiers allemands étalent fièrement sur la poitrine une large plaque brillante en cuivre jaune, avec l'inscription Polizei. Dans les cafés, les bouteilles de liqueurs portent une plaque analogue, d'où le nom de rhum-cognac donné aux policiers. (Note de J. M.)]

—Vous avez parlé de canaille?

—Oui.

—De qui était-il question?

—...De personne en particulier.

—Si, si, vous faisiez allusion à un souverain.

—...Soit; je l'avoue; je parlais de l'empereur de Chine.

—Ta ta ta! Tout le monde sait que, lorsqu'on parle d'une canaille, c'est toujours de l'empereur d'Allemagne qu'il s'agit.

*
*      *

Un cabaretier voit s'attabler chez lui un piquet de landsturm. Un soldat, avisant une bascule, veut se peser. «Inutile, dit le cabaretier, vous pesez 92 kilos.» Vérification faite, c'est le poids. A un deuxième soldat qui désire savoir s'il a bien profité de son séjour en Belgique, le patron dit aussi son poids d'avance: «98 kilos.» Étonnement général: c'était tout à fait juste. Bref, tous les soldats se font dire leur poids avant de monter sur la bascule: 105 kilos, 89 kilos, 96 kilos, 110 kilos.

—Mais, lui dit-on, comment faites-vous pour deviner si exactement notre poids?

—Affaire d'habitude, dit le Belge: je suis marchand de cochons.

*
*      *

M. le baron von Bissing fils, professeur à l'Université de Munich, était à Bruxelles. Comme il craignait, en sa qualité d'officier allemand, de s'exposer aux bombes que les aviateurs alliés pourraient lancer sur le château de Trois-Fontaines, où habite son père, il était descendu dans un hôtel de la place du Luxembourg. Il travaillait du matin au soir à dresser la liste des pendules à expédier en Allemagne comme butin de guerre. Il n'avait donc pas le temps de visiter la ville. La veille de son départ, il désira pourtant faire un tour dans Bruxelles, et il s'adressa à l'hôtelier: «Ne pourriez-vous pas, lui dit-il, me faire accompagner par quelqu'un qui me ferait voir les curiosités... s'il y en a.» L'hôtelier, flatté malgré tout d'héberger un si haut personnage, s'offrit comme guide.

Les voici au coin de la rue Royale et du boulevard Botanique. M. le baron jette un coup d'oeil au paysage. «Oui, dit-il, c'est pas mal; si nous avions ça à Berlin, nous en ferions quelque chose de kolossal.»—Sur la Grand'Place, il lorgne d'un monocle rapide l'Hôtel de Ville, la Maison du Roi et les Maisons des Corporations; puis il consent à déclarer que «c'est gentil; mais qu'à Berlin ils auraient fait ça en plus kolossal».

L'hôtelier le mène vers le Palais de justice. M. von Bissing se promène devant la façade; il admire les canons et les remparts, en sacs de terre, élevés par l'armée allemande; il note soigneusement le nombre des sacs, leur couleur, les inscriptions qu'ils portent, leur volume et leur poids approximatif (car il prépare un important mémoire sur les fortifications de campagne construites dans les villes); il examine en connaisseur les débris des meubles que les soldats ont démolis dans les grandes salles du Palais; il en prend un instantané destiné au Livre Blanc que le Gouvernement impérial va publier sur le respect des monuments par l'armée allemande; il fait aussi une photographie des guérites aux élégantes rayures obliques et des militaires qui se tiennent devant (pour son intéressant mémoire sur le sentiment esthétique chez les Allemands). Au moment de partir, M. von Bissing regarde aussi le Palais; il le trouve bien, quoiqu'un peu mesquin, puis il fait remarquer que «si à Berlin on avait éprouvé le besoin d'avoir un Palais de justice, ce qui n'a pas été nécessaire jusqu'ici, mais le deviendra peut-être lorsque la Belgique sera annexée, car chacun sait combien la population belge est perfide et toujours prête à accomplir des actes volkerrechtswidrig, on en bâtira un qui sera kolossal».

Devant ce parti pris, l'hôtelier ne pousse pas plus loin la visite. Mais le soir, il dépose une forte tortue de jardin dans le lit de M. le baron. Quand celui-ci veut se coucher, il recule épouvanté devant l'horrible bête qui gigote entre ses draps. Comme il n'est pas fort brave (il est officier allemand), il se précipite sur la sonnette. L'hôtelier parait en personne. «Là, tenez! dans le lit!» hurle M. von Bissing, blême de terreur. «Ça! dit l'hôtelier d'un ton léger, c'est une puce, tout simplement; en Belgique elles sont kolossales!»

*
*      *

Au prône de M. le curé.

«Mes chers paroissiens, ce ne sont pas toujours de bons Wallons qui ont habité ce pays. D'abord il y avait ici des Gaulois; puis vinrent les Romains, qui introduisirent une civilisation déjà fort avancée. Ensuite eurent lieu les invasions des Barbares: les Burgondes, les Alains, les Huns, les Suèves, les Francs, les Normands, les Goths: d'abord les Visigoths, puis les Austrogoths, et en dernier lieu les Saligoths, encore appelés Salboches ou Ostroboches, qui sont les plus barbares de tous.»

*
*      *

Des soldats allemands circulent dans Bruxelles. Tout à coup, passant au coin de la rue de l'Étuve et de la rue du Chêne, ils saluent militairement et se mettent au pas de l'oie. «Pourquoi?» leur demande un Bruxellois. Ils montrent la statue de Mannekenpis: «Von Pissing!» disent-ils.

*
*      *

Saint Pierre inspecte le corps de garde à la porte du Paradis. Arrive l'âme d'un soldat allemand tué sur l'Yser.

—Qui êtes-vous? demande saint Pierre.

L'âme fait d'abord semblant de ne pas entendre, car personne n'aime à avouer sa honte; elle espère se tirer d'affaire en répétant: Gott mit Huns! Gott mit Huns!

Saint Pierre, qui ne connaît pas cette nouvelle orthographe, est d'abord un peu ahuri; mais il finit par poser de nouveau la question:

—Qui êtes-vous?

L'âme se décide enfin à répondre:

—Je suis l'âme d'un soldat allemand.

—Arrière, menteur! s'écrie saint Pierre; je lis chaque jour les journaux publiés à Bruxelles sous la censure allemande; ils n'ont pas encore annoncé la mort d'un seul soldat allemand.

L'instant d'après, arrive l'âme d'un Turc tué aux Dardanelles.

—Votre passeport! demande saint Pierre... Bon, vous êtes Turc... Bienheureux les pauvres d'esprit! Entrez!

—Je veux voir le Bon Dieu, dit le Turc.

—Comme vous y allez, vous! Savez-vous bien que...

—Je veux voir le Bon Dieu! Les prêtres disent que ceux qui tombent dans les combats peuvent voir le Bon Dieu. Je veux donc voir le Bon Dieu!

—Bien, bien... Seulement...

—C'est pas tout, ça; je veux voir le Bon Dieu!

—Écoutez, dit saint Pierre, on ne peut pas voir actuellement le Bon Dieu; il est un peu indisposé.

—Ça ne fait rien. Je veux voir le Bon Dieu!

—Mais son état est plus grave que vous ne pensez. Il est atteint du délire des grandeurs: il se croit le Kaiser.

Quand ces propos parvinrent aux oreilles de Guillaume II, il en fut très affecté, car il a besoin du vieux Bon Dieu pour ses proclamations. Et vous comprenez, si on venait à savoir que le Bon Dieu n'a pas toute sa raison, son nom ne produira plus aucun effet.

De nombreuses notes, sur le modèle de celles du président Wilson, furent échangées entre la Wilhelmstrasse et le Ciel. On conclut finalement l'accord que voici: chacun restera à sa place, sans chercher à s'élever au-dessus de sa condition; en échange, le Bon Dieu recevra des lettres patentes de noblesse et il pourra signer von Gott.

Pourvu, mon Dieu, que cette convention ne soit pas traitée de chiffon de papier!

Pas mal de plaisanteries ont aussi paru dans les prohibés réguliers. Rappelons-en quelques-unes:

Esprit Liègeois.

Dans un tram de Liège, trois officiers parlant français détaillent avec force gestes et à voix très haute, les «cruautés» russes. Personne ne prête attention à leurs dires. Cependant, avant de descendre, un paysan dit bien haut à sa femme: «Je te l'avais bien dit, Bertine, les Russes ont été en Belgique.» Tout le monde de rire... les officiers plus fort que les autres. Et rentrés au logis, ils content à leur hôte forcé ce trait d'ignorance crasse des paysans belges qui croient encore que les Russes sont venus à leur secours... L'hôte a mis une heure à les détromper.

(La Libre Belgique, n° 45, septembre 1915, p. 4, col. 2.)

Ponchour, Madame...

Elle est arrivée...

Elle en a soupé du Berlin où l'on a faim, où l'Empereur—cet incorrigible bavard—est tellement baba qu'il a oublié de faire, le 1er janvier, une proclamation à son peuple...

Elle a pris ses cliques et ses claques et vite, vite, elle a rappliqué vers Brüssel.

Elle est ici...

Mais qui ça? Elle?

Elle! la moitié de von Bissinge 29... Parfaitement. Depuis le 29 décembre, elle nous comble de sa présence, et ce qu'elle comble elle le comble bien.

Chargement de la publicité...