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La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée

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76 [ Voir p. 4 et Comment les Belges résistent..., p. 177.]

77 [ La Soupe, no. 357, a publié in extenso le rapport de M.Castelein, président de la Chambre de Commerce d'Anvers.]

Un épisode caractéristique de la furie allemande.

LES RÉQUISITIONS A ANVERS

M.E. Castelein, président de la Chambre cde Commerce d'Anvers, a envoyé, le 18 mars dernier, aux membres de la Commission internationale d'Anvers, un rapport sur les réquisitions en masse dont le commerce anversois a été et est encore l'objet de la part des autorités allemandes.

Ces réquisitions finiront par créer le vide dans les entrepôts et amèneront la stagnation forcée de nombreuses industries.

Elles se chiffrent par dizaines de millions et atteindront des centaines de millions si on ne les arrête point. Elles atteignent les matières premières, les produits fabriqués, et même l'outillage des usines, voire même des chantiers réquisitionnés en bloc. Quand les stocks de marchandises ne sont pas absorbés par ces réquisitions, ils sont «bloqués» par l'interdiction imposée à leurs détenteurs de les vendre ou de les livrer s'ils ont été vendus antérieurement.

Sauf de minimes exceptions, ces réquisitions ne sont pas liquidées, contrairement aux assurances données, il y a déjà près de quatre mois, en termes catégoriques par les autorités de l'Administration allemande, et ce en dépit d'une promesse formelle qui a été faite aux Anversois, en échange de 60 millions de surcroît de charges qui fut imposé à la Belgique en plus des 420 millions d'abord réclamés et dont elle s'acquitte correctement de mois en mois.

Nous ne pourrions énumérer ici, faute de place, toutes les réquisitions illégales dont se plaint le commerce anversois par l'organe de M. Castelein. Le détail de ces réquisitions et celui des réductions de prix imposées arbitrairement aux détenteurs seraient trop longs. Plus long encore et plus important serait le détail de toutes les marchandises qui ont été enlevées sans paiement préalable et même sans fixation préalable de prix, ou à des prix imposés arbitrairement par les Allemands. Céréales, graines diverses, tourteaux, nitrates, huiles diverses animales, végétales et minérales, laines, cotons, caoutchoucs, cuirs, crins, ivoires, bois, cacaos, cafés, riz, tout est livré ou bloqué, et la plupart du temps pas payé depuis deux, trois et même quatre mois.

Sur 85 millions, 20 millions au maximum ont été payés. Environ 60 millions de francs de marchandises brutes ont été enlevées sans fixation de prix.

Il faut ajouter à ces sommes, qui ne comprennent pas la totalité des réquisitions opérées (l'absence d'un certain nombre de réquisitionnés rend impossible l'addition complète), les réquisitions qui ont frappé les maisons maritimes et les maisons d'expéditions en frappant les marchandises déposées pour leur compte dans des hangars, magasins et entrepôts.

Tout cela a été réquisitionné et en grande partie enlevé et expédié depuis octobre et novembre à des prix à convenir et à régler à Berlin.

Une des plus grandes firmes maritimes, qui avait insisté sur l'opportunité de disposer d'un lot de marchandises réquisitionnées en voie de détérioration, put la réaliser, mais à condition de la remplacer par une même quantité de marchandises en état sain.

Il faudrait encore supputer ce qui a été réquisitionné en masse dans les industries chimiques et métallurgiques en matières premières; ce qui a été réquisitionné en fait de métaux et ce que représentent les usines et chantiers réquisitionnés en bloc, voire partiellement démontés.

Certains journaux allemands affirmaient préventivement, comme un fait dont le commerce anversois aurait à se féliciter, la liquidation totale sans précédent de tous les stocks anversois. Or, la plupart des marchandises non réquisitionnées sont bloquées et étroitement contrôlées par l'autorité allemande; elles ne peuvent donner lieu à aucune transaction ou de livraison sans une autorisation rarement accordée. Et ainsi «la situation économique normale», qu'on nous faisait entrevoir, se traduit en réalité par une stagnation absolue de transactions, par la disparition successive des stocks sans paiement ou même sans fixation de prix, par l'immobilisation des soldes restés à Anvers, enfin, par la suppression de tout trafic avec l'étranger, la privation des téléphones, des télégraphes, de relations postales régulières et par des moyens de déplacement inférieurs à ceux d'il y a trois siècles».

Le rapport de M. Castelein démontre en terminant que tous les faits dont le commerce anversois souffre et se plaint sont commis en violation des engagements formels pris par les autorités allemandes, notamment par M. le gouverneur von Bissing (ordres de décembre 1914 et du 9 janvier 1915), et par le commissaire général près des banques de Belgique à Anvers (réunion à Anvers du 13 janvier 1915 où se trouvaient les chefs de plusieurs firmes allemandes).

(La Libre Belgique, n° 16, avril 1915, p. 2, col. 1.)

Le 31 août 1915, la Chambre de Commerce d'Anvers publia un nouveau rapport protestant contre la violation de leurs engagements par les Allemands.

Voici la réponse de M. le gouverneur général. On y remarquera principalement: a) le reproche fait au président de la Chambre de Commerce de travestir les faits (les Allemands accusant les Belges de mensonge!!); b) la supposition que les commerçants belges ont intentionnellement négligé de se faire payer; c) la censure allemande établie sur tous les actes de la Chambre de Commerce.

LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL
B. A. N° 20.

Bruxelles, le 24 septembre 1915.

Le commissaire général impérial auprès des banques en Belgique m'a soumis le rapport en date du 31 août du président de la Chambre de Commerce aux membres de la députation permanente à Anvers, ainsi qu'un rapport en date du 18 mars 1915 aux président et membres de la Commission intercommunale d'Anvers, ce second rapport étant invoqué dans le premier.

De l'examen de ces documents, il ressort que les faits y sont travestis de façon grossière, dans le but de provoquer de l'excitation dans des milieux étendus, particulièrement à la Chambre de Commerce d'Anvers, chez les personnalités actuellement appelées à représenter les intérêts des régions belges occupées vis-à-vis de l'Administration allemande, de discréditer les autorités civiles et militaires allemandes et de contrarier pour les unes et les autres l'accomplissement des obligations de la guerre.

D'après des constatations, les intendances, la Commission d'indemnisation de Berlin et la Caisse d'avances de Bruxelles ont accordé en tout plus de 40 millions de marks d'indemnité pour des marchandises réquisitionnées en masse. Dans cette somme ne sont pas compris les paiements au comptant pour d'autres marchandises de diverses sortes, qui, par exemple, depuis le 15 janvier 1915, à Gand seulement, ont dépassé mensuellement 6 millions de marks, rien qu'en objets de nourriture et de fourrage pour la IVe armée. Si les sommes consenties en Belgique par la Commission d'indemnisation et la Caisse d'avances pour couverture de réquisitions en masse n'ont atteint jusqu'au 15 septembre 1915 que la somme de 20 millions de marks, la raison en est que les déclarations faites à ces administrations ne sont jusqu'à présent aucunement en proportion des valeurs qui, suivant les deux missives mentionnées ci-dessus, ont été saisies. Comme d'autre part l'indemnité à accorder dépend nécessairement d'une réclamation, c'est une erreur manifeste d'adresser un reproche à l'Administration allemande de ce que les indemnités fixées ne soient pas en rapport avec les valeurs déclarées et que la promesse de l'administration allemande d'effectuer le paiement le plus tôt possible n'ait pas été exécutée. Cela fait soupçonner que les groupes qui jusqu'à présent n'ont pas réclamé d'indemnité, ont négligé de le faire dans l'intention de fournir au président de la Chambre de Commerce l'occasion d'adresser à l'Administration allemande un reproche qui pourrait être de nature à donner une impression d'exactitude aux non-initiés et propre à ébranler la confiance de la population belge dans l'Administration allemande.

Dans le but de mettre fin à ces procédés, le président de la Commission impériale d'indemnités déléguera sous peu à Anvers, suivant mes instructions, un commissaire spécial qui aura mission d'accueillir dans les locaux de la Chambre de Commerce les demandes d'indemnisation pour marchandises saisies en masse dans le ressort de la position fortifiée d'Anvers et de préparer les solutions.

Je décrète à cet effet que les sujets belges dont des marchandises ont été saisies en masse jusqu'au 30 septembre 1915 dans le ressort de la position fortifiée d'Anvers, et qui y sont domiciliés, auront à présenter leurs déclarations, soit à ce commissaire, soit à la Caisse d'avances à Bruxelles, soit à la Commission impériale d'indemnités à Berlin, avant le 15 novembre de cette année, ce par écrit ou verbalement, étant entendu qu'en cas d'omission de déclaration par la faute de l'intéressé, la vérification de sa déclaration sera ajournée jusqu'à la conclusion de la paix et que le règlement sera prévu par le traité de paix.

En vertu de ce qui précède, j'arrête de plus que toute la correspondance de la Chambre de Commerce, y compris les imprimés expédiés par elle, sera mise sous la surveillance de l'Administration allemande. Ce contrôle sera exercé par le commissaire général impérial pour les banques de Belgique, qui vous fera parvenir des instructions complémentaires au sujet de l'exercice de ce contrôle. Je décide finalement que le commissaire général impérial pour les banques sera informé, trois jours à l'avance, de chacune des séances de la Chambre de Commerce et qu'il lui sera donné connaissance de l'ordre du jour. Il aura le droit d'envoyer un délégué aux séances. Ce délégué a pouvoirs pour interdire la discussion de questions ne figurant pas à l'ordre du jour ou qui, par leur essence ou du fait de leur discussion, sont de nature à léser les intérêts allemands; il peut également, en cas de nécessité, lever la séance.

(S.) Freiherr VON BISSING,
Generaloberst.

Dans son premier rapport, M. Edgar Castelein rappelait un passage de la proclamation affichée à Anvers le 9 octobre 1914, le jour même de l'entrée des Allemands:

La première proclamation adressée à la population anversoise par le chef de l'armée d'occupation était aussi nette que concise. Elle nous garantissait le respect de nos personnes et de nos propriétés, moyennant l'observance, de notre part, des obligations imposées aux villes occupées par les conventions internationales.

(La Soupe, n° 357, p. 8.)

Le respect des Allemands pour la propriété privée s'affirma tout de suite: dans le butin de guerre fait à Anvers, ils affectèrent de confondre les canons et les munitions, propriété de l'État, avec le blé, la farine, la laine, le cuivre, etc., appartenant à des particuliers. Bien plus, ils affichèrent l'aveu de ces vols sur les murs de Bruxelles:

Nouvelles publiées par le Gouvernement allemand.

Berlin, 16 octobre.
(Communications officielles du quartier général.)

Le butin de guerre à Anvers est considérable: au moins 500 canons, une quantité immense de munitions, de selles, beaucoup d'objets pour le service sanitaire, de nombreuses automobiles, des locomotives et des wagons, 4 millions de kilos de blé, beaucoup de farines, de charbons et de lin, de la laine d'une valeur de 10 millions de marks, du cuivre et de l'argent-métal pour un demi-million de marks; un train blindé de chemin de fer, plusieurs trains chargés de provisions et alimentation; de grandes quantités de gros bétail...

Le Gouvernement militaire allemand.

Rien ne manque, comme on le voit, à ces «réquisitions en masse»,—comme les appelle l'autorité allemande—pas même l'illégalité flagrante et reconnue par les pillards eux-mêmes. Ce qui n'a pas empêché M. von Huene (Habent sua fata ...nomina) et M. von Bodenhausen, les deux principales autorités allemandes d'Anvers, d'injurier et de menacer personnellement M. Castelein.

*
*      *

Voyons maintenant la contribution de 480 millions par an.

La contribution de guerre de 40 millions.

L'autorité allemande, qui vient de palper les derniers 40 millions restant à payer sur la contribution de guerre de 480 millions dont le pays avait été frappé à l'origine de l'occupation, vient de décider que nous lui paierions désormais une nouvelle contribution de 40 millions par mois.

Pourquoi se gênerait-elle? Puisque ces bons Belges ont eu la faiblesse de se laisser tondre, a dû penser von Bissing, nous serions bien naïfs de ne pas récidiver. Bis repetita placent!

C'est parfaitement raisonné, à la condition que les moutons se laissent faire docilement, ce dont le gouverneur général en Belgique ne paraît pas douter un seul instant.

A sa place, il nous semble cependant que nous afficherions moins de confiance. Nous nous refusons, en effet, à croire que les autorités belges, dans la partie occupée du pays, consentent à satisfaire à perpétuité l'appétit dévorant de l'ogre germanique.

Un des journaux hollandais, dont la censure allemande autorise l'entrée dans le royaume, écrivait ces jours-ci que le Gouvernement allemand abusait vraiment de l'imprécision de certaines clauses de la Convention de La Haye pour en faire une application arbitraire au détriment des populations belges déjà épuisées par la guerre. Et le Nieuwe Courant—car c'est de lui qu'il s'agit—résumait son opinion dans ces mots sévères pour un organe germanophile: «Cette exigence nouvelle est impitoyable!»

Nous espérons bien que les conseils provinciaux refuseront énergiquement, fièrement, courageusement de déférer à cette incroyable sommation. En acceptant de payer les 480 millions échus, ils ont déjà fait montre d'une obéissance excessive et que nos alliés auraient peut-être sujet de leur reprocher un jour. N'est-ce pas, en partie, grâce à l'argent qu'ils nous ont prêté ou donné, que nous avons pu, avec l'appui du Comité américain, résister jusqu'ici à la famine et pourvoir à tous nos besoins? Or, cet argent, nous en avons généreusement disposé en faveur de l'ennemi, puisque nous avons accepté de lui servir 40 millions par mois. Nous ne pouvons continuer ce système. Ce serait un acte de lâcheté impardonnable, en même temps qu'une trahison envers la patrie et les puissances qui nous secondent.

Si les provinces sont intervenues pour liquider la première contribution, c'est dans une louable intention et dans l'espoir que cette somme constituerait un forfait qui nous mît à l'abri de toutes réquisitions ultérieures. Mais les Allemands sont insatiables; ils veulent nous arracher, par l'intimidation, un supplément de 40 millions par mois, ce qui représenterait, à supposer qu'ils restent ici une année encore, le joli total de 1 milliard.

Nous ne comptons évidemment pas, dans ce chiffre, tout ce qu'ils nous ont volé sous forme d'amendes, de contributions de guerre spéciales, de réquisitions de toutes espèces payées en bons, de matières premières, de machines et d'outils enlevés aux usines, de locomotives et de matériel roulant saisis à la Société nationale des Chemins de fer vicinaux, de cuivre enlevé aux ménages gantois, de charges de tous genres imposées aux particuliers.

Nous ne comptons pas non plus, dans ce chiffre, les 4.500.000 francs inscrits au budget annuel pour solder les frais de l'Administration allemande en Belgique, ni les 20 millions à payer chaque année sur nos recettes comme «quote-part du pays dans les dépenses des chemins de fer et des postes allemands».

Tout cela nous dicte notre devoir. L'ennemi ne doit plus compter sur nous. Les conseils provinciaux n'ont d'ailleurs pas à intervenir dans une question qui est du domaine exclusif de l'État. Il ne leur appartient pas de se substituer à lui.

Une autre raison doit les déterminer à la résistance que souhaitent tous les patriotes. Jusqu'ici, les Allemands ont fait faire par les provinces toutes leurs sales besognes; ils ont fait retomber sur elles l'impopularité de leurs impositions brutales et tracassières. Il serait naïf de leur fournir une nouvelle occasion de jeter sur elles le discrédit. Si l'autorité allemande veut nous accabler de nouvelles charges écrasantes, qu'elle le fasse elle-même ouvertement. Il ne faut pas que les provinces continuent à jouer plus longtemps le rôle de dupes.

Et ce que nous disons ici des provinces, nous le disons des communes et de toutes les administrations publiques.

(La Libre Belgique, n° 54, décembre 1915, p. 2, col. 2.)

Pour faire saisir l'importance de la contribution de 480 millions, rappelons qu'elle représente plus de six fois le montant annuel de nos contributions directes en temps de paix. Et cela dans un pays ruiné, vidé, dépouillé à fond, où le commerce et l'industrie sont immobilisés!

On sait que divers conseils provinciaux avaient d'abord agi comme le conseillait La Libre Belgique. Mais l'autorité allemande les a forcés à revenir sur leur décision. Déjà en décembre 1914, lors du vote de la première contribution de 480 millions, des voix s'étaient élevées pour protester. L'une des plus éloquentes de ces oppositions est celle de M. François André à Mons, que la dactylographie a répandue à des milliers d'exemplaires. 78

78 [ Voir Comment les Belges résistent..., p. 163.]

Insensible aux souffrances d'une nation pressurée à l'excès depuis plus de deux ans, l'autorité allemande a encore aggravé ses spoliations en novembre 1916. Au lieu de 40 millions de francs par mois, elle exige maintenant 50 millions. Cette fois la mesure était comble, et les conseils provinciaux refusèrent de voter. Mais comme c'est M. von Bissing qui détient le pouvoir, il a simplement annulé leurs décisions et les a condamnés à payer.

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*      *

Enfin, ils viennent de saisir 980 millions de marks déposés dans des coffres-forts de la Banque nationale à Bruxelles et à Anvers. Comme M. Carlier, directeur de la Banque nationale à Anvers, ne voulait pas céder aux injonctions de M. von Lumm, commissaire général pour les banques belges, ils l'ont déporté en Allemagne et ils ont arrêté Mlle Carlier, sa fille.

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Mais tout cela ne suffit pas encore à leur appétit. Pour donner aux particuliers leur part de la curée, ils ont modifié à leur avantage, et de la façon la plus illégale, le décret de vendémiaire.

Un arrêté allemand peu connu.

LES MODIFICATIONS AU DÉCRET DE VENDÉMIAIRE SUR LA RESPONSABILITÉ DES COMMUNES

(Moniteur allemand pour la Belgique occupée, n° 37, 9 février 1915.)

Le gouverneur allemand a publié un arrêté, non affiché sur les murs de Bruxelles, et par ce fait peu connu, mais qui sort des limites permises au pouvoir occupant.

Voici ce dont il s'agit: On se rappelle qu'au début de la guerre, la population de certaines villes de Belgique, justement exaspérée de l'attitude parjure de l'Allemagne à notre égard, s'était laissée aller à des violences sur les établissements allemands se trouvant dans ces villes. Or, d'après le décret de vendémiaire, les communes sont responsables des dégâts commis par violence contre les propriétés des habitants de cette commune. Les Allemands, revenus en Belgique lors de l'occupation, vinrent réclamer aux communes l'indemnité décrétée par la loi de vendémiaire. Beaucoup de communes tranchèrent à l'amiable, mais d'autres durent recourir au jugement du tribunal à cause des prétentions exagérées des «ressortissants allemands» qui voulaient exploiter la situation et empocher de gros bénéfices au détriment des contribuables. La justice belge, fidèle à la ligne de conduite qu'elle s'était tracée depuis toujours, examina les questions avec la minutie qu'elle apporte aux affaires importantes.

Mais la procédure belge—où la garantie des droits des parties est assurée—ne plaisait pas à MM. les Allemands et semblait compromettre leurs intérêts, d'où l'arrêté du 9 février 1915, dont voici la substance:

1° Un tribunal arbitral est formé pour chaque province à la requête de la personne lésée qui constatera le dommage causé et fixera les dommages et intérêts dus de ce chef, pour les excès commis en août 1914 dans plusieurs communes belges;

2° Chaque tribunal se compose d'un président nommé par le gouverneur général allemand et de deux assesseurs dont l'un nommé par l'Administration civile de la province, l'autre par la députation permanente;

3° Le tribunal déterminera lui-même la procédure à suivre;

4° Si l'un des assesseurs devait arrêter indûment la marche de la procédure ou faillir à ses devoirs de juge, le chef de l'Administration civile à la demande du président peut nommer un autre arbitre;

5° Les décisions du tribunal sont prises à la majorité des voix, définitives et immédiatement exécutoires.

C'est donc la création pure et simple d'un tribunal extraordinaire et d'exception—puisqu'il n'est compétent que pour juger les dommages résultant des excès commis au mois d'août—tribunal défendu expressément par l'article 94 de notre Constitution. Or, d'après les Conventions de La Haye le pouvoir occupant doit reconnaître et régler sa conduite d'après la Constitution du pays occupé. Le gouverneur von Bissing l'a d'ailleurs implicitement reconnu lorsque dans son arrêté du 3 décembre 1914—concernant la délégation des pouvoirs—il déclare que les pouvoirs appartenant au roi des Belges sont exercés par lui en qualité de gouverneur général. Nous savons bien que les pouvoirs du roi des Belges sont uniquement accordés par notre Constitution dans ses articles 60 et suivants.

L'arrêté en question viole non seulement notre Constitution, mais prète tellement à l'arbitraire qu'aucune garantie de justice ne nous est donnée: en effet, la procédure sera celle que les Allemands voudront; les décisions de ces tribunaux étant définitives et immédiatement exécutoires, la garantie de l'appel inhérente aux affaires de quelque importance est supprimée. S'il plaît aux Allemands de condamner les communes à des dommages et intérêts fort élevés, disproportionnés aux dégâts commis—et d'un peuple parjure, rien ne doit nous étonner—nous n'aurons qu'à nous taire, les décisions étant sans appel. L'arrêté allemand veut dorer la pilule en donnant à la députation permanente le droit de nommer un assesseur: mais ce qu'il donne d'une main il le retire de l'autre; car si l'assesseur entrave «indûment la marche du procès»—et nous savons ce que cela signifie ne pas pousser aux intérêts des Allemands—il sera destitué et remplacé. Donc la garantie est illusoire.

Au surplus, espérons que les députations permanentes dont les membres ont juré fidélité à la Constitution 79 ne participeront pas à l'organisation d'un tribunal d'exception qui est en contradiction manifeste avec l'article 94 de notre loi fondamentale.

79 [ Loi du 1er juillet 1860, article 1.]

Cet arrêté est la mise au pillage systématiquement légalisé de nos caisses communales et par le fait même des bourses de tous les contribuables!

(La Libre Belgique, n° 6, mars 1915, p, 4, col. 1.)

Faut-il s'étonner qu'une spoliation poursuivie avec tant de méthode et d'âpreté ait réduit notre pays à la famine.

Toujours le pillage méthodique.

Dans ses discours du 9 novembre, Bethmann-Hollweg a déclaré solennellement devant son pays et devant le monde, que la situation économique de l'Allemagne est bonne. «Nous avons des vivres à suffisance, tel est le fait dominant et décisif.» Il ajouta: «Notre cohésion directe avec la Turquie est d'une valeur inappréciable; au point de vue économique, les arrivages des États balkaniques et de la Turquie complètent nos approvisionnements de la manière la plus parfaite.»

Nous ferons au chancelier l'honneur de croire qu'il n'a pas menti. Venant d'un homme aussi haut placé et connaissant l'importance et la responsabilité de ses paroles, nous admettrons donc que ces affirmations officielles doivent être tenues pour l'expression de la vérité entière. Par contre, nous avons le droit d'en tirer les conclusions qui s'imposent.

Nous disons: dans les conditions indiquées par Bethmann, si les Allemands saisissent dans les pays occupés le nécessaire de la vie, la nourriture, le bétail, les matières indispensables à l'industrie, s'ils appauvrissent ces pays et y préparent la disette et la famine, ils y commettent «inutilement» un crime dont ils porteront la responsabilité devant Dieu et les hommes.

Or, que font-ils en Belgique? Eux, «qui ont des vivres à suffisance», ils enlèvent, pour l'expédier chez eux, ce qui est indispensable à la sustentation populaire pour le moment et pour l'avenir; il y a disette de pommes de terre, de beurre, de lait, de viande, de sucre, toutes choses nécessaires à la vie. Ces produits atteignent des prix excessifs presque uniquement parce que les Allemands en privent le pays pour les envoyer en Allemagne où «on a tout à suffisance». Ces enlèvements prennent des proportions invraisemblables: dans certaines régions, ils prélèvent dans les étables le tiers, et plus, de ce qui reste encore de bétail; dernièrement, dans les environs de Bertrix, ils ont fait une rafle de plus de 4.500 bêtes à cornes; aux abattoirs des villes, ils saisissent plus de la moitié des bêtes mises en vente; il n'y a pour ainsi dire plus un cheval utilisable en Belgique; les animaux reproducteurs sont impitoyablement transportés au delà des frontières; l'avoine nécessaire aux chevaux est prise; le foin, le son font défaut, de sorte que les agriculteurs, pour nourrir leurs derniers bestiaux, sont forcés de garder une grande partie des pommes de terre qui devraient alimenter le peuple. Par une dérision sinistre, nos maîtres établissent des prix maxima qui, ils le savent, ne servent qu'à leurs spoliations et dont la population, de par la loi de l'offre et de la demande, ne peut bénéficier.

Leurs exactions outrées sont poussées au point que, la reproduction étant pour ainsi dire empêchée, le cheptel national aura disparu dans quelques mois. De là, privation à courte échéance de la nourriture populaire, et quasi-impossibilité de labourer les champs; de plus, disette d'engrais; fumure insuffisante et nulle, rendement fortement réduit de la terre: Ces manoeuvres sont vraiment diaboliques; c'est la préparation scientifique (la Kultur allemande est méthodique dans ses crimes) de la ruine prochaine de nos riches campagnes et de la famine de tout un peuple!

Et l'on dit et répète: le paysan s'enrichit. Mais on ne se dit jamais que tout ce que le cultivateur a pu, ou dû réaliser, n'est pas bénéfice comme on voudrait le faire croire au public ignorant. L'argent qu'il met en réserve, s'il le peut, est, en partie du moins, le prix des réquisitions abusives dont il a été victime, prix très souvent inférieur à la valeur de la marchandise et du matériel enlevés. Plus tard, pour recommencer l'exploitation normale de la terre, il faudra que les fermiers et les éleveurs rachètent bétail, chevaux, véhicules, etc. (en a-t-on vu défiler sur les routes des charrettes, camions, de tous genres, qui n'ont jamais été payés!). Or, selon toutes prévisions, les prix de toute chose n'auront pu qu'augmenter, d'où perte sérieuse pour tous ceux qui auront été dépouillés même moyennant finances.

Nous le demandons à toute conscience loyale: quand un pays comme l'Allemagne (qui, d'après le chancelier, a tout à suffisance) organise ainsi sciemment, volontairement et sans nécessité pour lui, la disette dans une région occupée, avec les conséquences funestes qui en résultent (maladies, mortalité, misères morales, etc.), ce pays peut-il encore prétendre au nom de pays civilisé, respecte-t-il les droits les plus élémentaires de l'humanité, ne commet-il pas le plus impardonnable des crimes de lèse-humanité? Certes, nous le savons, Bismarck et les militaristes allemands considèrent ce crime comme une arme de guerre. Mais que font-ils de la Convention de La Haye, signée par leur pays, qui, non seulement impose à l'occupant de respecter les lois et règlements en vigueur dans la région occupée, mais l'«oblige à pourvoir à l'alimentation de cette région»? Invoquer les intérêts militaires est hors de saison: la situation de la Belgique, bonne ou mauvaise, ne peut avoir aucune influence sur les décisions des Alliés qui veulent, quoi qu'il en puisse coûter, une victoire complète et définitive; bien plus, ces intérêts bien compris devraient, au contraire, exiger l'écartement de mesures vexatoires et criminelles qui pourraient provoquer contre l'armée occupante des soulèvements, des révoltes, des massacres de soldats; un moment arrive où le peuple, même désarmé, peut se croire en état de légitime défense: il a droit à la subsistance pour l'avenir; la lui rendre impossible, c'est créer une situation anormale, révolutionnaire, où il pourrait croire légitime la violence contre l'affameur.

Surtout que les Allemands n'écoutent pas la parole d'un député du Reichstag: «La Belgique est une source inépuisable!» Ceux qui envisagent sainement la situation comprennent que la partie est désormais perdue pour eux; ils savent que dans un avenir peu éloigné ils devront dégager la Belgique pour aller défendre leur Rhin. Que diraient-ils s'ils voyaient édicter chez eux ces proclamations impies que leurs généraux se plaisent à édicter en territoire occupé et dont voici un exemple suggestif:

«J'ordonne que l'on saisisse, sans formalité, tout ce qui peut être d'une utilité quelconque à l'armée: vivres, couvertures, fourrures, chevaux, vaches, chèvres, etc. Il y a lieu de ne tenir aucun compte des supplications que les populations pourraient élever à ce propos; nous sommes en territoire ennemi, nous ne pouvons prendre tout cela en considération.» (Général Somer, 27 août 1914.)

EGO.
(La Libre Belgique, n°62, février 1916, p.2, col.1.)

De cette misère abominable, les prohibés n'ont pas besoin de parler. A quoi bon? puisque tout le monde la supporte stoïquement. Silence aussi dans nos journaux allemands d'expression belge. N'ont-ils pas pour consigne de laisser croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des pays occupés? Mais les rapports mensuels du Comité national de secours et d'alimentation contenaient des tableaux dont les chiffres en disaient long sur l'épuisement de la Belgique. Aussi, à partir du mois de février 1915, la censure ne renvoie-t-elle plus les épreuves de ces rapports; et ceux-ci ne peuvent plus voir le jour!

Toutefois, si la presse clandestine ne croit pas devoir parler de la famine qui nous étreint, elle a soin de rappeler la reconnaissance vouée par notre pays à l'Amérique, la noble nation qui nous a sauvés de la mort par inanition.

Hommage aux États-Unis.

Que le grand peuple des États-Unis reçoive mon solennel hommage. Géant dans le cortège des nations, il vient au secours de la petite Belgique opprimée, malheureuse, et donne au monde un exemple inégalé de fraternité internationale.

On célèbre notre héroïsme d'avoir tout sacrifié à la sainteté de la parole donnée et d'avoir osé résister, au risque de l'existence, au cyclone d'une invasion sauvage.

A nous de célébrer la magnificence de l'aide que nous apportent de si loin les coeurs magnanimes des citoyens d'Amérique.

La Belgique meurtrie, ravagée, mourante, mais qui ne veut pas mourir, dont le courage a paru sublime, a trouvé un sublime bienfaiteur pareil au Samaritain de l'Évangile. .

Quel spectacle grandiose, jusqu'ici inconnu dans l'histoire, qu'un peuple se faisant le nourricier d'un autre peuple tout entier, s'égalant aussi, pour ainsi dire, à la Divine Providence, mettant sur les plaies affreuses de la guerre le baume d'une immense charité. Gloire à cette âme collective resplendissante au ciel de l'humanité comme un rayonnant soleil par un jour d'été ou, comme au firmament d'une nuit de gel, les palpitantes étoiles si noblement semées sur l'azur de son fier drapeau.

22 février de l'année terrible 1914-1915.

(Signé) ED. PICARD.
(La Libre Belgique, no.18, avril 1915, p.3, col.2.)

Notre gratitude s'est manifestée publiquement d'autres manières.

D'abord par des cartes postales illustrées, symbolisant l'aide offerte par les États-Unis à la Belgique souffrante. Notre intention était d'écrire de ces cartes à toutes les personnes que nous connaissions en Amérique. Mais l'Allemagne ne l'entendait pas ainsi, et son administration des postes refusa de transmettre nos témoignages de reconnaissance: Nous fûmes donc forcés de les envoyer en Hollande par fraude, et de les faire timbrer de là.

On a aussi imaginé d'orner les boulangeries de drapeaux américains et de sacs à farine80. Aussi longtemps que la décoration est purement américaine, l'Allemagne ne sévit pas. Mais il ne faut pas qu'il s'y mêle le plus petit drapeau français, anglais ou belge: aussitôt irruption de la police avec injonction d'enlever les insignes subversifs.

80 [ Ces sacs sont ceux dans lesquels l'Amérique nous envoyait de la farine, au début de 1915. Ils portent des dessins et des inscriptions variés. Voir Comment les Belges résistent..., fig. 6.]

Plus tard, la manie de prohibition de nos oppresseurs eut l'occasion de s'exercer plus largement à propos de ces mêmes sacs. Des dames les enjolivaient de broderies; des artistes y peignaient des sujets variés; puis on les renvoyait en Amérique en guise de remerciements. Des expositions publiques de sacs ainsi décorés eurent lieu à la maison communale d'Auderghem (près de Bruxelles), au Palais du Cinquantenaire de Bruxelles et à l'Harmonie d'Anvers. Naturellement l'autorité allemande intervint: car de quoi ne se mêle-t-elle pas? Et tout aussi naturellement elle intervint pour prohiber, puisque sa devise est: Alles ist verboten. Bref, elle défendit l'exposition de tous les sacs qui avaient été ornés de devises trop patriotiques à son gré, par exemple de portraits du Roi et de la Reine dans les tranchées. Ces sacs-là ne sont plus montrés qu'en cachette; leur qualité de prohibés a accru considérablement leur valeur.

CONCLUSION

La fermeté dans le malheur. Appels à la modération.

Relisez les dernières phrases de la Lettre des ouvriers belges aux ouvriers français, lancée en décembre 1916, à la suite des déportations:

OUVRIERS FRANÇAIS!

Du fond de notre détresse, nous comptons sur vous.

Agissez.

Quant à nous, même si la force réussit un moment à réduire nos corps en servitude, jamais nos âmes ne consentiront.

Nous ajoutons ceci: «Quelles que soient nos tortures, nous ne voulons la paix que dans l'indépendance de notre pays et le triomphe de la justice.»

N'est-elle pas à la fois troublante et touchante, cette volonté indomptable de supporter les pires souffrances plutôt que d'engager à l'acceptation d'une paix allemande? Et qu'on n'imagine pas qu'ils se sont laissé attraper dans le traquenard tendu par M. von Bethmann-Hollweg. dans la séance du Reichstag du 12 décembre 1916! Le 25 décembre 1916, au Congrès socialiste de Paris, M. le ministre Émile Vandervelde disait:

Hier même, j'ai reçu un message de Belgique d'une assemblée qui m'envoyait les noms des délégués du parti ouvrier belge à la conférence prochaine des socialistes alliés, et ces noms, c'est tout un programme. Les ouvriers de là-bas, réunis là-bas en assemblée secrète, n'ont élu pour délégués que des militants qui sont d'avis que cette guerre ne peut finir dans l'équivoque et dans l'indécision.

Il y a plus de deux ans que la classe ouvrière lutte. Elle a subi l'invasion; elle a, pendant de longs mois, vu enlever aux patrons mêmes les moyens de travail qui lui permettent de gagner un maigre salaire. Elle vit aujourd'hui uniquement de ce que lui donne la solidarité internationale. Elle a vu, ces temps derniers, des milliers de travailleurs chaque jour entassés dans des wagons à bestiaux et entraînés en Allemagne pour servir contre leur pays.

J'ai écrit, il y a quelques jours, à un de mes amis à La Haye pour lui dire ma douleur et ma tristesse devant ce nouveau crime, et, au moment où cette lettre arrivait à son destinataire, entrait dans son bureau un camarade de Belgique. Il disait de répondre à Vandervelde que c'est de Belgique même que viennent les conseils de courage et de résistance aux envahisseurs.

Après tout ce que la Belgique a souffert,—violation de la neutralité, massacres d'innocents, incendies, déportations de prisonniers civils, razzias de travailleurs, condamnations de tout genre, spoliations, calomnies...—on s'attend peut-être à ce que les prohibés poussent les Belges à se venger des bourreaux. Loin de là! Ils nous engagent à boycotter tous les produits d'outre-Rhin, puisque ce sera à l'avenir notre seule défense contre un retour de l'infiltration allemande; ils prêchent l'exécration de l'Allemagne, afin que nos enfants et petits-enfants n'oublient jamais combien notre pays a été torturé au moral et au physique; mais la vengeance... non: nous les méprisons trop pour cela!

Il y a pourtant des têtes chaudes à qui il faut recommander le calme. Et c'est à cela que s'appliquent nos journaux clandestins. L'appel suivant, publié dans le n° 16 de La Libre Belgique, a été répété dans le n°30 81, celui qui donne le portrait de M. le baron von Bissing lisant La Libre Belgique.

81 [ Voir la couverture de ce livre.]

Restons calmes!

Le jour viendra (lentement, mais sûrement) où nos ennemis, contraints de reculer devant les Alliés, devront abandonner notre capitale.

Souvenons-nous alors des avis nombreux qui ont été donnés aux civils par le Gouvernement et par notre bourgmestre M. Max: Soyons calmes!!! Faisons taire les sentiments de légitime colère qui fermentent en nos coeurs.

Soyons, comme nous l'avons été jusqu'ici, respectueux des lois de la guerre. C'est ainsi que nous continuerons à mériter l'estime et l'admiration de tous les peuples civilisés.

Ce serait une inutile lâcheté, une lâcheté indigne des Belges, que de chercher à se venger ailleurs que sur le champ de bataille. Ce serait de plus exposer des innocents à des représailles terribles de la part d'ennemis sans pitié et sans justice.

Méfions-nous des agents provocateurs allemands qui, en exaltant notre patriotisme, nous pousseraient à commettre des excès.

Restons maîtres de nous-mêmes et prêchons le calme autour de nous. C'est le plus grand service que nous puissions rendre à notre chère patrie.

Ce même journal a reproduit aussi un passage caractéristique d'un sermon du R.P. Janvier:

Belges, n'oubliez pas ceci!

Quand vous serez victorieux, vous n'userez pas de représailles, vous ne confondrez pas la guerre avec le brigandage, vous n'immolerez ni les vieillards, ni les prêtres, ni les enfants, vous ne les ferez pas marcher au feu devant vous, vous ne brûlerez pas la bibliothèque de Nuremberg, vous ne bombarderez ni la cathédrale d'Aix-la-Chapelle ni la cathédrale de Cologne, vous imposerez silence à l'esprit de vengeance pour écouter l'esprit chrétien et chevaleresque qui enflamme le courage à l'heure de la bataille, qui inspire la miséricorde et la pitié avec la victoire.

(La Libre Belgique, n° 7, mars 1915.)

Résumons.

Les auteurs militaires d'outre-Rhin érigent en principe qu'il est utile de faire souffrir le plus possible la population du pays occupé, afin qu'elle agisse auprès de son gouvernement pour faire conclure une paix favorable à l'occupant. Mais nos tortionnaires perdront leurs peines: jamais l'excès des souffrances n'engagera la population belge à désirer une paix prématurée; elle insiste pour que, malgré tout, la guerre soit continuée jusqu'à l'écrasement du militarisme prussien, seul gage d'une paix durable.

Les mauvais traitements que l'Allemagne nous inflige systématiquement ont fait naître une aversion profonde, qui ne s'éteindra jamais. Mais notre hostilité contre nos bourreaux ne nous empêche pas de manifester notre reconnaissance à ceux qui nous font du bien: la haine n'a pas effacé dans notre âme l'amour. Elle ne nous entraînera pas non plus à la vengeance; nous avons contre celle-ci un antidote puissant: le mépris. Nous voulons nous défendre,—non nous venger.

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ILLUSTRATIONS

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