La pudique Albion
XI
LA COLONNE D’ANGOISSE
However obscure the language of love may be, women have a particular talent for seising the sense of it.
(Dictionary of Love.)
J’ai connu une jolie miss répondant au doux nom de Connie (Constance) qui attendait chaque matin le journal avec impatience.
Elle n’y cherchait pas les plaintives péripéties d’une nouvelle moralement amoureuse ni les chapitres effrayants d’un grand roman à sensation, bien pimenté d’empoisonnements, de coups de poignard et de pendaisons, car les feuilles quotidiennes anglaises ne publient ni romans ni nouvelles.
Les roublardises de la politique la laissaient froide, et c’est à peine si elle prêtait une plus grande attention aux exploits du général Wolseley en Égypte qu’à ceux du maréchal Booth dans Whitechapel.
Elle ne jetait qu’un coup d’œil distrait sur les procès pour Breach of Promise (manquement à une promesse de mariage), généralement pleins d’intérêt pour les demoiselles, ni sur ceux de divorce, plus intéressants encore, et qui ouvrent de si étonnantes éclaircies dans les recoins mystérieux des intérieurs de la haute vie britannique ; elle ne lisait pas avec une attention plus sérieuse les beaux extraits des sermons du dimanche, les péroraisons stupéfiantes des prêcheurs à la mode, ni les articles palpitants des missionnaires sur la providentielle propagation dans les tribus du centre de l’Afrique, des articles de Birmingham combinés avec ceux de la foi.
Non ; ce qui la préoccupait dès son réveil, ce qui attirait sa curiosité, ce qu’elle parcourait avec des yeux avides, c’est la colonne d’angoisse, l’agony column.
D’ordinaire la deuxième de la première page, sa hauteur ne dépasse guère trois ou quatre pouces ; mais dans cet espace restreint s’agite, prie, pleure, espère et sanglote tout un coin de l’humanité.
Surpris d’abord, je ne tardai pas à m’expliquer l’ardeur de la sensible Connie ; je compris combien pouvaient se passionner les imaginations rêveuses des jeunes et vieilles demoiselles qui trouvent une pâture quotidienne dans ces entrefilets mystérieux, exposant au public, avec la brutalité de l’annonce, les angoisses des amantes, des épouses et des mères.
L’agony column est, certes, de toutes les colonnes du journal, la plus excentriquement anglaise, offrant en quelques lignes écourtées comme des télégrammes une série jamais interrompue de drames, de comédies, de larmes, de misères et de hontes où l’amour joue le premier rôle sous l’œil généralement indifférent du lecteur.
Mais ceux qui, comme miss Connie, se donnent la peine de suivre ces correspondances si brèves et si passionnées, d’écouter ces cris de détresse et ces appels à un seul, au milieu de la foule impassible ou railleuse, y trouvent bientôt tout l’attrait d’un roman.
— Ah ! me dit-elle un matin, je suis bien heureuse !
— Que vous est-il arrivé, chère miss Connie ?
— Ce n’est pas à moi qu’il est arrivé rien d’heureux, c’est à cette pauvre miss S. T.
— Esther ?
— Non, S. T. Je suppose que son nom est Sophia, ou Sis, ou Suky ; mais peu importe, je me contente d’S. T.
— Eh bien ?
— Eh bien elle a retrouvé W.
— Vraiment ?
— Oui, c’est-à-dire Wat, Will ou Win.
Et, comme mon sourcil s’arrondissait en signe d’interrogation, la pétulante Connie continua avec volubilité :
— La pauvre S. T. était abandonnée par le perfide W. ; du moins elle l’a cru longtemps, la chère petite. Mais le perfide W. a eu des remords, et à l’heure qu’il est, le cœur de la mignonne doit bondir de joie, car cette après-midi, entre trois et cinq, elle pardonnera à l’ingrat repentant. Il est si doux à une femme d’avoir à pardonner. Tenez, lisez plutôt, là, dans l’agony column.
Cher W. — Vous m’avez fait bien souffrir. Quelle terrible attente ! Quels horribles doutes ! Viens, tout est oublié. Entre trois et cinq maman et tante seront sorties.
— Pensez, ajouta miss Connie, voici plus de deux mois qu’il la laissait sans nouvelles.
— Comment le saviez-vous ?
— Par elle-même. Trois fois par semaine elle adressait au perfide un appel désespéré.
Cher W. — Chéri, je meurs sans vous. Trois fois par semaine je vous écris, et pas un signe de pitié ! Répondez, oui ou non, si je dois mourir.
— Et il a répondu non.
— Avant-hier seulement. Voici :
S. T. — Est toujours la bien-aimée de mon cœur. Elle n’est et ne sera jamais oubliée. W. passera demain devant la maison. Trois heures précises. Réponse par voie ordinaire.
— Enfin, conclut-elle avec un soupir, l’ingrat est revenu. Il peut se vanter d’être aimé !
J’ai imité la douce Connie, et bientôt je me suis pris, non à verser comme elle, des larmes sympathiques sur des lettres majuscules, mais à m’intéresser aux appels et aux correspondances de la colonne d’angoisse ; car j’en ai trouvé grand nombre qui offraient, aussi clairement que les toiles de William Hogarth, des drames ou des comédies en quatre ou en huit tableaux.
Je commence par un drame qui, bien que composé de sept, n’en est pas moins complet. Une ceinture de vierge dénouée en avril et renouée en décembre sous forme de linceul.
H. chéri. — C’est la quatrième fois que j’écris. (Je sais que chaque matin vous lisez ce journal), la quatrième fois que je dis « je t’attends », et vous ne répondez pas.
H. chéri. — Je ne me lasserai pas de te dire « je t’aime ». Je continuerai à braver tout. Je serai fière quand viendra le gage de notre amour. Ce qui fait la honte des autres sera mon orgueil.
Voilà évidemment une jeune personne très exaltée, et cette exaltation prouve que son amant est d’une position sociale supérieure à la sienne. Elle se calmera, je l’espère. Mais non, car quatre mois après, en septembre, je vis reparaître l’H majuscule suivie du même mot darling (chéri).
— Cinquième lettre sans réponse. Vais-je recommencer la série. Oh ! pour l’amour de Dieu, que je ne la recommence pas ! Autrefois vous reveniez à moi. Les temps sont changés. C’était le printemps, nous voici bientôt à l’automne. Je redoute l’hiver.
H. chéri. — Vous n’avez pas voulu me voir. Pourquoi ? Vous le pouviez cependant. Lundi vous saviez que j’étais seule. Mardi je vous ai attendu à Hyde-Park. Que vous ai-je fait ? Je vous attendrai encore demain. Oh ! venez. Le temps est proche.
Cet appel était du commencement d’octobre ; six semaines après, je lus, toujours sous la même rubrique :
H. chéri. — La solitude et le silence. Baby est mort. Dernier appel. Venez de suite. Est-il possible que j’arriverais à vous écrire que la misère est proche et que j’ai peur de moi.
Novembre, et décembre presque entier passent ; je n’avais plus revu l’H fatidique lorsque, tout à coup, il reparut deux ou trois jours avant Noël.
H. chéri. — Si celle qui écrivait à cette adresse veut écrire de nouveau pour dire ce qu’elle est devenue, on ira la chercher avec un cœur aimant.
Était-ce le séducteur pris de remords ? était-ce la mère ou le père qui à la veille de la grande fête de l’année voulait revoir la fille chassée ou enfuie reprendre sa place au foyer ? Mais ni chez l’amant, ni au doux home l’enfant égarée ne revint ; car pendant un mois l’annonce se répéta régulièrement chaque jour. Puis l’H reparut suivi du libellé habituel, et ce fut le dernier, car immédiatement au-dessous se lisait le mot final :
H. chéri. Maudit cent fois plutôt (!). — Doit cesser ses démarches. La réponse est au cimetière de Highgate, 4e rangée, 22e ligne, S. E. Maudit ! Maudit ! Maudit !
On le voit, rien ne manque au drame : enlèvement, abandon, mort de l’enfant, misère et peut-être suicide. C’est la vieille histoire. En voici d’autres, aussi complètes, en un seul chapitre :
— J’ai tout entendu, je sais tout. Il est dur de savoir que vous m’avez si facilement écartée de vous. Mais, mon ami, vous aussi, je le sais, vous avez longtemps lutté et souffert. Un éloignement était inévitable. Vous ne connaîtrez jamais les trésors de tendresse de ce cœur qui aurait dû vous appartenir. J’ai prié pour vous nuit et jour. Oh ! si seulement nous avions été présentés l’un à l’autre. Cela aurait éclairci tous les malentendus. Nos vies sont séparées maintenant. La façon dont votre père a agi à mon égard, et à laquelle vous sembliez acquiescer m’a empêchée de vous parler. Son dernier mot, je ne puis le comprendre. En quoi l’ai-je offensé ? Cher bien-aimé, adieu. Je vous envoie mes souhaits les meilleurs et les plus sincères pour votre jour de noces, et une longue et heureuse vie. Je ne vous oublierai jamais. Adieu. Adieu.
Tito. — Très cher, pour l’amour de Dieu, écrivez. Je suis presque folle de douleur. Les avertissements du 11, du 14, du 20, et celui d’aujourd’hui sont seuls de moi, tous les autres sont faux. O mon amour, pourquoi écrire si tendrement le 8 « espérant vous rencontrer bientôt », et écrire ces cruelles paroles du 13 ? Écrivez, je vous implore. Ne me poussez pas au désespoir. Je vous en prie, cherchez une autre rubrique pour notre correspondance.
Enfant chérie. — Une froide lettre en trois mois. Puis-je m’empêcher de douter de vous ? Vous rappelez-vous le 27 juillet de l’année dernière ? J’attendrai jusqu’au 27 juillet de cette année avant de croire que vous êtes perfide. Je vous ai envoyé un mot pour le 1er juin ; on l’a inséré le 30 mai, par erreur. Mais nul doute que vous ne l’ayez vu. Vous m’avez rendu bien malheureux, moi qui avais tant de confiance en vous. Chérie, je vous aime comme autrefois. — Jack.
Kathleen Mavourneen. — Si j’avais été riche et que vous eussiez été libre je vous aurais demandé, lorsque nous étions seuls mercredi, de m’épouser. Mais, sachant tout et étant pauvre, il a été bien mal à moi de vous montrer tant d’attentions et de vous faire comprendre que je vous aimais si tendrement. Oubliez-moi et pardonnez-moi, je vous en prie. Avec un petit et discret amoureux baiser.
Cette annonce, qui me paraît être celle d’un parfait roublard à la chasse d’une héritière, est signée du nom de Ravenshoe (soulier de corbeau).
En voici d’une simplicité sinistre :
Willie B., qui a quitté la maison en juin dernier, est instamment supplié de retourner chez sa mère. Son père est mort.
Il en est d’aussi tristes, répétées continuellement. C’est l’appel monotone et douloureux comme une plainte de blessé qui s’échappe à intervalles égaux, des cris de désespérés toujours les mêmes, jetés pendant des semaines et quelquefois des mois entiers, appels désolés à un enfant ingrat, un lâche amant, une amante envolée, un mari disparu. Puis tout cesse. Est-ce l’ingrat revenu ? l’oubli ? la mort ?
Celles-ci parurent bien longtemps et à l’heure où je les transcrivais ici, elles paraissaient encore.
Cher Allan. — Cette incertitude est terrible ; je vous en supplie, revenez à la maison ou donnez de suite de vos nouvelles. Vous n’avez rien à craindre. Cardiff.
A. B. — Je vous attends chaque jour. A chaque bruit je tressaille. Vos chers petits enfants vous demandent. Votre mère ne veut pas mourir sans vous pardonner. De grâce, revenez.
Tout au-dessous de cette dernière, parut un jour celle-ci, exaltante d’allégresse et comme pour accentuer la tristesse de l’autre :
Mère. — Hurrah ! Les cloches joyeuses sonnent à toute volée. Les enfants chantent. Venez compléter le chœur.
Sous la rubrique For ever and ever, a paru pendant plus d’un mois :
— Amour chéri, ma pensée n’a jamais cessé d’être pleine de vous. J’aspire à vous. Un mot, un mot.
A la huitième annonce le mot est venu :
— Très fâchée, trop tard. Je me dois à un autre.
Répétée bien souvent aussi, celle-ci plus énigmatique, obtint une identique réponse.
Élaine. — Bateau de Ryde. Est-il possible qu’il y ait quatre ans. Pas d’école à W… alors. Mais si Élaine veut bien écrire à l’ancienne adresse, ou correspondre par la voie de ce journal, elle n’aura pas à s’en repentir.
Élaine se décida enfin à répondre :
— Il y a maintenant une école à W… Quatre ans, quatre siècles. Élaine n’a rien autre à dire. Le bateau de Ryde fume toujours.
Mais comme galimatias, rien ne vaut le suivant, qui a réjoui je ne sais combien de fois la colonne d’angoisse du Standard :
Hermose. — La même route aux franges de fleurs, royal bouton de rose qui s’épanouit, puis grandiose visage de fleur magnifié par une dame au port superbe et majestueux, beauté splendide (dont la noble image est faite pour les hommages du cœur, l’épanouissement plus grand et plus profond des yeux brillants et du noir cadre de ses cheveux) forte est mon admiration, intense était mon amour alors et depuis il s’est agrandi encore plus passionné jusqu’au dernier moment sombre d’une vie d’idolâtrie avec une véhémence de tous les fibres, de tous les nerfs, force et pensée de ma virilité, mon cœur à vous, tout, tout à vous. — Vraie rose.
N’ignorant pas avec quelle assiduité est parcourue l’agony column et l’intérêt qu’elle excite chez nombre de jeunes gens des deux sexes, un fanatique puritain a jugé que nulle place n’était meilleure pour la propagande religieuse et entre un appel de maîtresse en couches et un rendez-vous d’amoureux, on rencontre de temps à autre, le désopilant advertissement qui suit :
« Anglais ! Votre pays est dégradé. Son prestige s’est évanoui, sa suprématie navale n’est plus. Il fait le chien couchant devant toutes les puissances étrangères ; Ichabod, ta gloire est partie. Et pourquoi ? Parce que l’Angleterre a abandonné son protestantisme. Par l’acte fatal de « l’Émancipation catholique romaine » en 1829, la Constitution protestante fut renversée, et le papisme et l’idolâtrie triomphèrent encore une fois. Notre grandeur et notre protestantisme vont de concert. Le papisme est maintenant dominant dans l’Église et dans l’État, et du papisme coule fatalement la profonde humiliation nationale. Il n’est qu’un seul remède. Retourner au Dieu que nous avons apostasié. Rétablissons à tous risques et à tous prix notre constitution protestante. Alors l’Angleterre, une fois encore, portant témoignage à la vérité biblique, recouvrera d’un coup sa situation première, se lèvera au milieu des nations, terreur et envie de l’univers. Dieu sauve la reine ! »
Passons à la série légère des amours en floraison et des rendez-vous, c’est surtout là que la pudique Albion se montre sans fard. Rendez-vous dans les parcs, rendez-vous dans les rues sous l’œil de papa et de maman, rendez-vous dans les cabs, rendez-vous dans les hôtels.
— Je serai où il a été convenu à l’heure précise. — Sally.
W. à Phyllis. — Je suis chez moi. Venez vite.
Fanny. — Le jour et l’heure que vous m’indiquez me conviennent. Mais ne manquez pas cette fois. Je rentre en pension après-demain.
U. B. — Maman garde la chambre. Papa est à Brighton pour huit jours avec Harry. A bon entendeur salut.
Yeux bleus. — Vous êtes fou. Vous ne savez pas vous y prendre. Faites-vous présenter à maman. — Ruban rose.
Francesca. — Ainsi soit-il. Il se pourrait que je sois samedi à l’endroit que vous savez. Tenez un cab prêt.
Avenue. — Mardi 6 h. 30. Quelle pièce joue-t-on ? Vous souvenez-vous de la Fille de l’air, P. m’accompagnait au piano. Peut-être pourra-t-il m’accompagner en voiture ?
S. — Jamais ce que vous me proposez, Un cab ou rien. — Lili.
On le voit, nombre de ces amoureuses, ne voulant pas ou n’osant pas se compromettre dans un hôtel, se décident à prendre une voiture. Le plus souvent après un entretien en plein air où l’amant n’a pu exprimer ses sentiments que viva voce et à la face du ciel, la jeune personne ayant en pitié sa cruelle déception, lui fait héler un cabman :
— Reconduisez-moi chez ma mère, dit-elle.
Le couple monte, Dieu sait, si à Londres, les cochers sont complaisants — et l’on roule doucement par les rues solitaires.
Mais il arrive que le cab traverse soudainement de populeux carrefours, et, si c’est le soir, la traînée lumineuse d’une flamboyante boutique ; le cocher fouette alors le cheval et le véhicule passe rapide, offrant au passant indigné ou charmé, l’image fugitive mais distincte du bonheur.
Voici une annonce qui parut simultanément dans les quatre grands journaux de la métropole :
Cab ! cab ! cab ! — Si le monsieur à moustache blonde qui se trouvait hier dans un cab paraissant venir de Charing-Cross, avec une valise jaune, se souvient d’une dame qu’il a tendrement regardée, cette dame sera très heureuse de correspondre avec lui à l’adresse M. S. L. Poste restante, Hackney.
— La dame sera charmée d’avoir des nouvelles du gentleman qui s’est rendu si délicieusement agréable dans un compartiment de première classe, mardi dernier, de Victoria station à Turnbridge Wells. Voudrait-il écrire à Violetta, aux soins de Mills, libraire, Union Street, Ryde.
— Le gentleman qui, dimanche dernier, a voyagé de Maïda Vale à Oxford Circus en omnibus, vis-à-vis d’une dame en robe couleur crème et qu’il a aidée à descendre, pourra avoir de ses nouvelles en écrivant à Verona, poste restante, Cricklerwood.
— Le jeune homme qui voyageait en 3e classe par le train de 8 h. 35 de Chippenham à Bristol, lundi 17 août, serait bien aimable d’envoyer discrètement son nom et son adresse au clergyman qui était assis à côté de lui. L. J. K. 33 Hamilton Road. S. W. London.
A côté de ces rencontres de voyage, et, qu’en gens pratiques on veut utiliser, les rencontres dans la rue ou dans le parc :
— Le gentleman brun qui avait une rose blanche à la boutonnière peut écrire à la demoiselle blonde en robe bleue qu’il a rencontrée à Hyde Park accompagnée d’une dame d’un âge moyen.
Adresser à Mand, sous l’enveloppe de Jane Collins, 22, Southampton Street.
Rose mousseuse. — Si vous n’avez pas oublié le jeune homme en veston clair, avec des cheveux châtains et une moustache blonde, qui s’est assis près de vous à Kensington Gardens, et à qui vous avez bien voulu sourire, il serait heureux de vous retrouver là ou ailleurs. Répondez, sous le même titre, par le même journal.
Amazone. — Vous l’avez trouvée belle et vous lui plaisez. Soyez mardi à Rotten Row. Suivez les chevaux à la sortie du parc. Il est possible que je laisse tomber un billet.
Plus de vingt fois Tom a averti l’indifférente Lizzie qu’il brûlait de lui parler. L’annonce parut en mai ; fin juillet on la voyait encore, rédigée avec ténacité :
Tom voudrait parler à Lizzie, désigner un endroit.
Enfin, Lizzie s’est laissé toucher par tant de constance, et elle a répondu :
Lizzie rencontrera Tom mercredi près de Morgate Station.
Voilà Tom au comble de ses vœux ; il a rencontré Lizzie, cette fois, et sans doute bien d’autres encore, sans qu’il soit besoin de renouveler les avertissements. Août et septembre se passent, et les noms de Tom et de Lizzie reparaissent. C’est Lizzie qui commence le feu :
Tom. — Impossible. Maman vient. A huitaine.
Lizzie. — Pas de lettre, pas d’annonce. Je suis plein d’anxiété. Un mot, de grâce.
Tom. — J’ai quitté la pension. N’écrivez plus. Grand tapage. Vous saurez tout. Mardi à l’endroit ordinaire.
Espérons que, pour miss Lizzie et l’heureux Tom, les affaires se sont arrangées.
Au sentimental. C’est le pauvre Tool ; pendant des semaines il n’a cessé d’affirmer quotidiennement, dans le Standard, sa sincérité.
Tool. — Toujours vrai. N’oubliera jamais. Crois et espère.
Pauvre Tool. — N’a jamais oublié et n’oubliera jamais. Franc comme l’acier.
Pauvre Tool. — Ne se décourage pas. Il aime, il espère. Le reste viendra.
A la bonne heure, nous avons affaire à un philosophe ; mais voici un amoureux, maître Ralph, qui l’est moins :
Ralph. — Dévoré d’impatience. Ne puis attendre plus longtemps. Écrivez ou j’irai. Prêt à braver tout.
Ralph. — Perfidie ? Indifférence ? Coquetterie ? Votre lettre m’a désappointé en plus d’un sens. Les hommes ne sont pas de simples machines. La chose est faite, cependant. Il faut me récompenser de mes peines. Je ne me contente pas si facilement. Qu’il parte : j’ai le droit de l’exiger.
Ralph. — Ce soir, vous entendez, et pas demain.
S’il n’est pas philosophe, il commande du moins en maître. Félicitations à Ralph.
Mlles Lilly et Rose jaune m’ont intrigué longtemps et m’intriguent encore. Écoutez-les gazouiller comme deux mésanges, se béqueter comme tourterelles, se quereller comme pierrettes et se plumer comme de jeunes coqs :
Lilly et Rose jaune. — Certainement, et merci ; mais vous devez envoyer votre nom et votre adresse.
Lilly et Rose jaune. — Délicieuse soirée. Souvenir ineffaçable. Suavité. Merci. Merci. Merci.
Lilly et Rose jaune. — Je n’ai jamais trouvé de semaine aussi longue. Et ne pas pouvoir s’écrire ! Aimez-moi comme je vous aime. Baisers et encore baisers.
Lilly et Rose jaune. — Vos explications ne me suffisent pas. J’ai des preuves, moi. Assez de perfidie. Depuis longtemps vous souhaitez une rupture. Vos souhaits sont accomplis.
Lilly et Rose jaune. — Je décline respectueusement de prêter la moindre attention aux lettres anonymes. Je sais d’où elles viennent. Inutile d’insister. Adieu et pour toujours. Je vous méprise.
Encore quelques extraits pris au hasard :
A. I. — J’avais promis de ne plus vous écrire. Trois fois j’ai écrit par la poste ; la dernière lettre, portant mon nom et mon adresse, m’a été retournée ; les deux autres ne vous sont pas sans doute parvenues. Je ne vous fais pas l’injure de vous accuser de songer à l’argent ; mais sachez que je suis riche, très riche.
Nadine. — Impossible. Répondez par le journal. Dites-moi où ma lettre vous trouvera. Crains maman.
Baby. — Je n’oublie pas votre anniversaire. Ma lettre vous attend où vous savez. Accusez réception par une ligne. Tout ne marche pas comme je le désire. Obstacles. Pourrai sortir seule mercredi prochain. Attendez avec voiture place ordinaire.
Mon amour. — Je vous aime follement. Je pense toujours à vous avec un cœur reconnaissant. Votre amour patient et fidèle m’est précieux. Quel bonheur j’ai goûté ! Dites-moi vos projets, amour. J’ai pleine confiance en vous, mais mon anxiété est grande. — Y. O. C.
L. M. — Bien malheureux. Pourquoi hésitez-vous ? Si votre amour ressemblait au mien, tout serait fait. Ce n’est pas l’argent qui vous manque. C’est donc le courage ? Oh ! je ne veux pas le croire. J’attendrai encore après-demain même heure. Ce sera la dernière fois ; si vous n’êtes pas prêt, tout sera fini. Au revoir !
L. M. — Vous êtes un lâche.
P. à B. — Acceptez tout mon amour et tous mes vœux. Je craignais de vous écrire. Quand pourrez-vous arranger un rendez-vous ? Essayez, je vous en prie. Je brûle de vous revoir. Je n’ai pas encore vendu mes propriétés. Dites un mot.
B. à P. — Tout est arrivé sain et sauf. J’essayerai d’être brave, puisque vous l’êtes. Ayons foi l’un dans l’autre. Gardez-vous de vendre vos propriétés. Demain 9 heures, à l’endroit où nous nous sommes rencontrés. Voiture.
Minnie. — J’ai su par M… que vous étiez de retour. Je suis toujours à la même adresse. Maison vide. Venez vite et sans crainte.
S. — J’ai reçu votre lettre. Je m’en moque. Vous savez bien ce que je demande.
Charing Cross. — Trois heures. Sur la plate-forme. Vous me reconnaîtrez à un bouquet rouge et blanc posé sur la poitrine. Je suis blonde.
Mary. — Vous êtes un ange. Depuis que j’ai eu le bonheur de vous rencontrer dans ce bal j’ai juré de ne pas avoir d’autre femme que vous.
Mary. — Si c’est le gentleman brun avec une moustache et de petits favoris, qui a dansé deux fois avec Mary, qui a écrit l’avertissement du 6, qu’il se trouve demain à 3 heures précises devant Marble-Arche.
M. G. U. Voudrait-il passer au numéro 20 ? Mabel sera seule jeudi et vendredi.
La colonne d’angoisse sert, on le voit, de complément au jeu de mouchoir. Discrète, nullement compromettante, on y peut tout dire et tout écrire, donner et accepter des rendez-vous sous l’œil du papa, de la maman, des frères, des sœurs, des rivales du mari. Masqué par un faux nom, un chiffre convenu ou de simples initiales, il est d’autant plus difficile d’être reconnu que la même rubrique sert souvent pour l’amant et la maîtresse, et que, les adjectifs n’ayant pas de genre, la rédaction peut être faite de façon à laisser indécis sur le sexe du rédacteur.
Les jeunes Anglaises, on en est maintenant convaincu, vont droit au but, en filles pratiques. Elles sont indomptables et terribles dès que des parents indiscrets se mêlent de traverser malencontreusement leurs propres affaires ou essayent de leur barrer la route du bonheur.
On a été édifié sur les moyens employés pour dompter ces rebelles ; aussi ne sera-t-on pas surpris de rencontrer des demandes comme celles-ci :
Poignées de verges. — Une dame ayant deux filles insubordonnées désirerait trouver une institutrice qui consentirait à entreprendre, pendant trois mois, leur redressement.
Une dame voudrait-elle se charger de l’éducation de trois jeunes filles déréglées (unruly) qui ont besoin toutes trois d’une sévère correction quotidienne ? J. Bradshaw. Post Office. Brighton.
Discipline. — Un monsieur demande une institutrice compétente de moins de 40 ans et sévère disciplinarienne. Elle doit être grande et d’aspect imposant. Bons appointements.