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Le Cantique de l'Aile
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XII
LA TOUCHE
Voici l’artiste de race
Et de grâce
Qui, tel sa pomme un pommier,
Fait, quand le soleil le touche,
Du La Touche…
Et même en fit le premier.
Voici les treilles que cintre
Ce beau peintre
Au-dessus d’aimables fronts ;
Voici du rêve, et des fêtes
Plus parfaites
Que celles que nous offrons ;
Voici le rouge carrosse
Qu’il nous brosse,
Et, dans l’eau se reflétant,
La fusée ombellifère
Qu’il sait faire
Éclater sur un étang ;
Voici les globes orange
Qu’il arrange
Dans le bleu de la forêt,
Et la chandelle romaine
Qu’il emmène
Bien plus haut qu’elle n’irait ;
Voici cette fantaisie
Cramoisie,
Et, sous un ciel de linon,
Ce voluptueux royaume
Peint en chrome
Et qui portera son nom ;
Voici tous les bergamasques
Près des vasques,
Et, voici, voici, voici
Pierrot, le Singe, le Faune,
Blanc, noir, jaune,
Grimace, rire et souci ;
Voici la cage éternelle
De cette aile
Qui revient… d’où ? l’on ne sait ;
Et voici la marche rose
Où se pose
Le pied d’un vers de Musset !
Il y a, près des fontaines,
Des mitaines,
Et, sur la mousse, il y a
Des souliers dont la bouffette
Semble faite
Avec un camélia.
Il y a la fleur vermeille
Sur l’oreille,
Sur le cou le velours noir,
Et sur les dents qu’on voit luire
Le sourire
Qui n’ôte pas tout espoir.
C’est comme un anachronique
Pique-nique
Où l’on verrait Camargo
Se faire porter en chaise
Chez Thérèse
Pour souper avec Hugo.
Des sapajous peu novices
Sous leurs vices
Ont une âme qui rêva :
On sent qu’ils ont, ces macaques,
Lu Jean-Jacques
Autant que Casanova.
Le regard d’une Isabelle
Nous révèle
Que si, triste et grimaçant,
L’amoureux descend des singes,
C’est des sphinges
Que l’amoureuse descend.
Mais, plus loin, — car ce La Touche
Qui nous touche
En montrant l’arbre et le nid
Peint l’amour, de la romance
Qui commence
Jusqu’au berceau qui finit, —
Plus loin, dans des blancheurs pures
De guipures
Et de doux linge bouffant,
Un regard de jeune mère
Énumère
Les beautés d’un bel enfant.
C’est le peintre aristocrate
Dont la patte
Trouve sans avoir cherché
Et peint sous une manchette
Qui s’achète
Bien ailleurs qu’au Bon Marché.
C’est aussi l’artiste brusque
Qui s’embusque,
L’œil clair sous un chapeau mou,
Pour peindre un coin de campagne,
Une Espagne,
Ou son jardin de Saint-Cloud.
Il prend, de cet œil vorace,
La terrasse
Où s’effrite un Coysevox,
Les peupliers dans la brise,
L’eau, Venise…
Il prend tout ! une ombre, un phlox,
Le cœur d’un jour, l’âme d’une
Nuit de lune !
Et si ce peintre est charmant,
C’est qu’il a l’inquiétude
Et l’étude,
La souplesse et le tourment.
Au moment qu’il portraicture
La Nature,
Comme il peut changer encor,
Il laisse le paysage,
Ce visage,
Pour ce masque, le décor.
Alors, il peint des balustres
Et des lustres,
Et, Cazin de l’Opéra,
S’il place au coin de sa toile
Une étoile,
Zambelli la posera.
Il est certain que la Muse
Dont il use
N’est pas une virago.
Elle est blonde et sensuelle
Comme celle
De notre divin Frago.
Peins, la Touche, les attentes
Palpitantes
Et le bleu des soirs sournois ;
Que ton chimpanzé s’occupe
D’une jupe
Plus que de croquer des noix !
Fais sortir le Capripède
Du bois tiède ;
Donne à cet écornifleur
Bon goûter, bonne sieste
Et le reste,
Sous les marronniers en fleur !
Peins l’Automne ! et que Septembre
De son ambre
Charge ta palette encor !
Et qu’Octobre qui titube
T’offre un tube
Gonflé de son plus bel or !
De l’époque lourde et vile,
Tel Banville,
Allège-nous le fardeau !
Grand devoir que tu t’assignes,
Peins des cygnes,
Des bras nus et des jets d’eau !
Dans ce bassin de Versaille
Dont tressaille
Le cœur d’Henri de Régnier,
Écartant la feuille morte
Que l’eau porte,
Fais les Nymphes se baigner !
Et toujours, allégoriste
Qui n’es triste
Que sous un voile d’humour,
Fais sentir, même en tes fresques
Simiesques,
Ta tendresse pour l’amour !
Reprends pour nous le vieux thème
Du : « Je t’aime ! »
Mais en lui superposant
Les caprices virtuoses
Que tu oses
Sur les modes d’à présent !
Lorsque pour tes Cydalises
Tu stylises
L’auto qui court les chemins,
Montre sur la couverture
De fourrure
Comment se prennent deux mains !
Et que toujours on remarque,
Dans ta barque
Ou ton carrosse d’or clair,
Comment s’incline une tête
De poète
Sur une épaule de chair ;
Et que toujours, par ta grâce,
Lorsque passe
La berline ou le bateau,
On entende au loin l’haleine
De Verlaine
Dans la flûte de Watteau !
Cambo, 12 mai 1908.
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